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Extrait : "Le Miosson, affluent du Clain, est un charmant petit ruisseau qui a creusé un joli vallon, étroit et encaissé, au milieu du plateau où le roi Jean fut battu par le prince Noir, le lundi 19 septembre 1356."
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Seitenzahl: 418
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Souvenirs rétrospectifs. – Le plateau de Maupertuis. – La vallée du Miosson. – Le naturaliste et ses neveux. – La Fosse-Noire.
Le Miosson, affluent du Clain, est un charmant petit ruisseau qui a creusé un joli vallon, étroit et encaissé, au milieu du plateau où le roi Jean fut battu par le prince Noir, le lundi, 19 septembre 1356.
On ne peut, sans émotion, parcourir ce terrain mouvementé où se déroulèrent, dix ans après Crécy, les péripéties du grand drame qui eut pour épilogue la captivité du roi de France.
En évoquant les souvenirs du passé, on croit voir surgir de chaque buisson, de chaque haie, de chaque broussaille, ces terribles fantassins anglais qui égorgèrent, sans merci, tous ces chevaliers revêtus d’armures de fer, conduits par Jean de Clermont, le rival de Jean Chaudos.
On croit entendre le cliquetis des lances et des épées, le grincement des chariots et des harnais de guerre, le hennissement des grands destriers de combat, le bruit confus de la bataille.
Le roi Jean est là, debout sur un monceau de cadavre ; son bras est armé d’une lourde hache : blessé deux fois au visage, il présente son front sanglant à l’ennemi. À ses côtés se tient son jeune fils, un enfant, blessé lui-même, qui crie à chaque nouvel assaut : « Père, gardez-vous à droite ; père, gardez-vous à gauche ! »
Le bruit de la lutte s’éteint peu à peu : Charny, étendu aux pieds du roi, serre dans ses bras, roidis par la mort, l’oriflamme de saint Denis qu’il n’a pas abandonnée !
Jean, tête nue, brandissant sa hache des deux mains, défend sa patrie, son fils, la bannière de France, et immole quiconque ose l’approcher.
Tout est fini !… Et l’on cherche dans la plaine, là-bas, bien loin, à l’horizon, le fils du roi d’Angleterre, ce terrible prince de Galles, traînant à la suite de son armée victorieuse « deux fois plus de captifs qu’il n’avait de soldats. »
Mais toutes ces scènes d’un autre âge ne tardent pas à s’évanouir, et l’on n’a plus autour de soi qu’un paysage tranquille, des peupliers et des aulnes festonnés de houblons, enguirlandés de viornes et de convolvulus.
On n’entend d’autres bruits que le chant de quelques oiseaux, ou le murmure imperceptible du Miosson, dont les sécheresses de l’été interrompent en maints endroits le cours sinueux.
De temps en temps, du côté de Saint-Benoît, le sifflet aigu d’une locomotive, vous rappellerait, si vous étiez tenté de l’oublier, que cinq siècles se sont écoulés depuis la sanglante défaite de Maupertuis !
De distance en distance le vallon s’est élargi. Des mares, que le ruisselet n’alimente plus, se sont creusées et restent séparées les unes des autres jusqu’à ce que de nouvelles pluies aient permis au Miosson de reprendre son cours.
C’est au bord de l’une de ces mares, protégée par un fouillis inextricable d’eupatoires, de ronces, de mauves, d’armoise, de menthe et de roseaux, qu’un vieux naturaliste aimait à s’asseoir ; c’est là, qu’entouré de ses nièces et de ses neveux, qui composaient toute sa famille, il faisait, sans préparation, des leçons qui n’en avaient que plus de charme, et qu’il cherchait à initier ses jeunes auditeurs à une science qui avait fait la passion de toute sa vie.
On s’installait sur l’herbe, on se rangeait en cercle autour du vieillard, et le hasard seul fournissait le sujet de l’entretien.
La mare, assez profonde et bien ombragée par des frênes et des saules, devait à la teinte sombre de ses eaux le nom de Fosse-Noire.
Tous les animaux du village voisin venaient s’y désaltérer, et le vieux savant n’était jamais pris au dépourvu pour la leçon de la journée.
Les canards domestiques. – Étymologie du mot canard. – Canards américains. – Élevage des canards. – Éclosion artificielle chez les Chinois. – Les Indiens couveurs. – Les canards sauvages. – Leurs migrations. – Leurs nids. – Éducation des jeunes. – L’anatife. – Origine fabuleuse des canards. – Canards reconnaissants. – Trait d’amour maternel.
C’était un jeudi du mois de juin : La famille du naturaliste était réunie, au grand complet, au bord de la Fosse-Noire.
L’atmosphère était imprégnée des senteurs pénétrantes de la menthe aquatique, des chèvrefeuilles, et des violettes dont on devinait la présence sous le gazon.
Une bande de canards s’ébattaient joyeusement sur la mare, et remplissaient l’air du bruit assourdissant de leurs cans-cans.
Deux oies nageaient gravement à l’une des extrémités de la pièce d’eau, et semblaient s’éloigner à dessein de leurs bruyants voisins.
– Vous voyez, mes enfants, dit le vieillard, des échantillons intéressants de nos oiseaux de basse-cour, dont l’histoire présente des particularités fort curieuses.
« L’homme, dit Buffon, a fait une double conquête lorsqu’il s’est assujetti des animaux, habitants à la fois des airs et de l’eau. Libres sur ces deux vastes éléments, également prompts à prendre les routes de l’atmosphère, à sillonner celles de la mer, ou à plonger sous les flots, les oiseaux d’eau semblaient devoir lui échapper à jamais, ne pouvant contracter de société ni d’habitudes avec nous, rester enfin éternellement éloignés de nos habitations et même du séjour de la terre. »
Le canard sauvage est la souche de nos canards domestiques : Réduit en domesticité à l’époque la plus reculée, il occupe aujourd’hui une grande place dans nos basses-cours. Ses œufs fournissent un aliment sain et agréable ; sa chair est estimée. Ses pâtés de foie gras sont fortement appréciés des gourmets. Ses plumes moins légères que celles de l’oie, sont cependant l’objet d’un grand commerce ; on recherche son duvet qui est souvent substitué à l’édredon.
L’élevage du canard est facile et avantageux : Tous les aliments lui conviennent, et il n’exige presque ni soins, ni surveillance. Il se nourrit de plantes aquatiques, de vers, d’insectes qu’il recueille partout ; il aime à se vautrer aux bords des étangs et des marais.
Son ancien nom français était ane, de anas, d’où l’on a fait plus tard cane et canard.
Son cri ordinaire exprime assez bien can-cane, d’où quelques vieux auteurs ont prétendu qu’il en avait été formé le nom de canard.
« Le mot canard, dit un naturaliste, est synonyme de tromperie, de fausses nouvelles, de choses impossibles. Les différents sens qu’on attache à ce mot s’appuient-ils sur les mœurs de cet oiseau ? – Je pense qu’on peut trouver quelque analogie entre les habitudes du canard et le dicton populaire. »
« Lorsque les rigueurs de l’hiver amènent dans nos contrées des troupes innombrables de canards, qui viennent s’abattre sur les cours d’eau et dans les vastes marais, des chasseurs se réfugient dans les huttes formées par les branches repliées de jeunes arbres ou d’osiers, ou dans des cabanes recouvertes de feuillages et placées sur de légers bateaux. Là, les chasseurs passent les jours et les nuits à attendre les canards sauvages ; mais pour attirer ceux-ci à portée de fusil de leurs huttes, ils dressent des canards domestiques à servir d’appeaux.
Ces derniers poussent des cris de rappel, quand ils aperçoivent leurs congénères, puis s’envolent pour aller au-devant et les engager à s’abattre près de la hutte d’où doit partir le plomb meurtrier.
La conduite du canard domestique peut donc être regardée comme un symbole personnifiant le mensonge, la perfidie, puisque ce palmipède vole au-devant de ses semblables, paraissant leur offrir un lieu de repos et d’hospitalité, tandis qu’il les conduit à la mort. Le sens attaché vulgairement au mot canard peut donc ici s’appuyer sur les mœurs de ce palmipède. De plus cet oiseau trompe souvent les chasseurs par sa stratégie. Lorsque les bandes de canards s’envolent, à l’approche du danger, ou lors même qu’elles se préparent à s’abattre, elles s’élèvent verticalement, poussent de grands cris, tourbillonnent plusieurs fois, puis rasent la surface de l’eau assez longtemps avant de nager. De sorte que le chasseur est presque toujours trompé dans son attente, car le gibier qu’il poursuivait est bien loin de l’endroit où il avait cru le voir se reposer. Il en est de même de la femelle ; lorsqu’elle couve, elle ne revient jamais directement sur son nid, mais elle suit une série de lignes brisées. Dans ces différentes circonstances, le canard est donc un trompeur, et, dès lors, son nom peut rappeler le mensonge et ce qui est faux.
Enfin, le canard est omnivore, et son appétit est insatiable ; il mange de tout et en une telle quantité que souvent la réalité, dans cette conjecture, n’a pas même le cachet de la vraisemblance.
Sous ce rapport encore le mot canard se lie à l’idée de choses impossibles ou du moins bien extraordinaires. Ces choses deviennent encore beaucoup moins croyables quand il s’agit de canards américains. – On connaît la légende d’après laquelle un habitant du Nouveau-Monde, voulant introduire en Europe une espèce de canard originaire de son pays, apporta sur le navire une douzaine de ces palmipèdes qu’il entourait de soins vigilants. Hélas ! quel ne fut pas son étonnement lorsque ayant négligé, par suite d’une indisposition de quelques jours, de visiter la cabine dans laquelle étaient renfermés les douze canards, il n’en trouva plus qu’un seul qui avait dévoré ses onze congénères ! Quel estomac ! Quel canard ! »
Un joyeux éclat de rire répondit à la boutade du vieux savant et à son explication si pittoresque du mot canard.
Il ne se laissa pas déconcerter par cette interruption bruyante de son auditoire, et il continua gravement la monographie de l’intéressant palmipède.
Les Chinois sont passés maîtres dans l’art d’élever les canards. Ils ont recours à l’incubation artificielle, et un célèbre voyageur décrit ainsi un de leurs établissements :
« Une des notabilités de Chusan est un habitant fort âgé qui, chaque année, à l’époque du printemps, fait éclore des milliers d’œufs de canards par la chaleur artificielle. Son établissement est situé dans une vallée au nord de Tingaha, et attire constamment un grand nombre de visiteurs.
Le bâtiment d’éclosion attenant à la maison, n’est, à proprement parler, qu’une espèce de hangar couvert de chaume, avec des murs de terre. À l’une des extrémités, et par terre, le long d’un des murs, sont rangés en assez grand nombre des paniers de paille enduits, extérieurement, d’une forte couche de terre, pour les garantir de l’action du feu, et ayant un couvercle mobile de la même matière. Au fond de chaque panier est placée une forte tuile, ou, pour mieux dire, c’est la tuile elle-même qui forme le fond. C’est sur elle que le feu agit, chaque panier étant placé sur un petit fourneau. Le couvercle, qui ferme hermétiquement, est maintenu sur le panier pendant tout le temps que dure l’opération. »
Les œufs apportés à l’établissement sont placés dans les paniers et l’on allume les fourneaux dont la température est maintenue, autant que possible, toujours au même degré.
« Lorsque, continue le voyageur, les œufs ont été soumis pendant quatre ou cinq jours à cette température, on les retire pour les vérifier. Cette vérification se fait d’une manière assez singulière. Une des portes de l’établissement est percée de quelques trous de la dimension d’un œuf de canard. Les ouvriers présentent les œufs un à un à ces ouvertures, et, les considérant à travers le jour, ils jugent s’ils sont bons ou non.
Ceux qui sont clairs sont mis de côté. Les autres sont replacés dans les paniers et soumis de nouveau à l’action du feu. Au bout de neuf à dix jours, soit conséquemment, quatorze ou quinze jours, à partir du commencement de l’opération, on les retire et on les place sur les tablettes. Là, ils sont seulement recouverts d’une pièce d’étoffe de coton, sous laquelle ils restent encore quinze jours, au bout duquel temps les jeunes canards crèvent leurs coquilles. Ces tablettes sont fort larges ; elles peuvent recevoir plusieurs milliers d’œufs, et l’on juge que, lorsque l’éclosion a lieu, ce doit être une chose assez curieuse à voir. »
L’aînée des nièces ne put s’empêcher d’observer que la couveuse artificielle, employée à la ferme de son père, était d’un usage bien plus commode que le procédé chinois.
– C’est vrai, reprit l’oncle, mais les Chinois ont le mérite d’avoir fait éclore artificiellement des canards, bien longtemps avant l’invention de nos couveuses.
Un autre voyageur, M. de la Gironnière, signale dans les Annales de l’Agriculture des régions tropicales, un procédé d’éclosion bien plus curieux.
Ce sont des Indiens qui, aux Philippines, ont pour unique profession de faire éclore des œufs, et ils apprennent ce métier, comme ils apprendraient celui de menuisier ou de charpentier.
Ces Indiens couveurs construisent de petites cabanes de paille, ayant la forme de ruches, auxquelles ils ne laissent qu’une petite ouverture qui puisse leur permettre de s’y introduire.
Ils enveloppent leurs œufs dix par dix dans des chiffons et des balles de riz, les placent dans une caisse sur laquelle ils mettent une épaisse couche de balles et de couvertures. Puis ils s’étendent sur ce nid bizarre jusqu’à ce que l’incubation soit terminée !
L’incrédulité de l’auditoire était si visible que l’oncle crut devoir ajouter quelques explications de nature à le convaincre.
Le fait signalé par M. de la Gironnière, tout surprenant qu’il paraisse, n’a pourtant rien d’extraordinaire.
On comprend facilement que sous un climat brûlant, comme celui des Philippines, il se produise et se conserve, dans une cabane soigneusement fermée et exposée à un soleil ardent, une chaleur tout à fait convenable pour l’incubation des œufs.
Aussi, le plus curieux dans cette méthode n’est pas le résultat de l’incubation, mais bien plutôt que les Indiens aient su apprécier le moyen que la nature mettait à leur portée.
Les canards sauvages, se réunissent en grandes troupes vers les mois d’octobre et de novembre, et partent de concert, se dirigeant vers le sud.
Rien n’est curieux comme les bandes triangulaires qu’ils forment, et que vous avez souvent remarquées.
À cette époque on les voit par centaines de milliers, réunis sur les lacs de la Grèce, de l’Italie et de l’Espagne, couvrant la surface de l’eau sur d’immenses étendues et produisant, au moment où ils s’envolent « un bruit sourd fort analogue au bruissement de la flamme d’un incendie. »
Ils ne s’établissent jamais longtemps sur les eaux salées ; ils préfèrent les lacs, les étangs, les marais riches en joncs et en roseaux ; ils gagnent toujours au plus vite les fourrés les plus épais ; et là, nageant, marchant, barbotant, ils fouillent la vase et ramènent tout ce qu’ils y trouvent de comestible.
Ils semblent toujours en proie à une faim insatiable. Le temps qu’ils ne consacrent pas au repos, ils l’emploient à manger et ils mangent tant qu’ils trouvent quelque chose.
Ils marchent, ils nagent, ils plongent, ils volent comme les canards domestiques, mais en exécutant tous ces mouvements avec plus de force et de vigueur ; ils ont la même voix et font entendre les mêmes sons.
Le canard n’évite pas toujours le voisinage de l’homme ; il s’établit même quelquefois sur les pièces d’eau des places publiques et des promenades, et s’y montre très confiant, surtout si les personnes qui l’approchent ont l’habitude de lui jeter de quoi satisfaire sa voracité.
La cane sauvage recherche, pour y déposer son nid, un endroit tranquille, sec, sous un buisson, sous une touffe de plantes, et le plus près possible de l’eau. Assez souvent elle niche sur les arbres et prend possession d’un nid abandonné de rapace ou de corneille.
Le nid est formé de branches mortes, de feuilles sèches entrelacées ; l’extérieur en est tapissé de duvet ; les œufs, au nombre de douze à quinze, ressemblent à ceux du canard domestique. La durée de l’incubation est de vingt-quatre à vingt-huit jours.
La cane sauvage couve avec le plus grand dévouement. Avant de quitter ses œufs, elle les recouvre de duvet qu’elle s’arrache ; elle s’éloigne en rampant dans l’herbe, et ne revient au nid que lorsqu’elle s’est assurée qu’aucun danger ne le menace.
Après leur naissance, les canetons restent au nid encore un jour, puis ils vont à l’eau.
Si le nid est élevé au-dessus du sol, ils sautent en bas sans souffrir de leur chute : Alors la mère commence leur éducation.
« J’observais, dit Michelet, sur un étang de Normandie, une cane, suivie de sa couvée, qui donnait sa première leçon. Les nourrissons, attroupés, avides, ne demandaient qu’à vivre. La mère, docile à leurs cris, plongeait au fond de l’eau, rapportant quelques vermisseaux ou un petit poisson qu’elle distribuait avec impartialité, ne donnant jamais deux fois de suite au même caneton.
Le plus touchant dans ce tableau, c’est que la mère, dont sans doute l’estomac réclamait aussi, ne gardait rien pour elle, et semblait heureuse du sacrifice. Sa préoccupation visible était d’amener sa famille à faire comme elle, à disparaître intrépidement sous l’eau pour saisir la proie. D’une voix presque douce, elle sollicitait cet acte de courage et de confiance. J’eus le bonheur de voir l’un après l’autre, chacun des petits plonger, peut-être en frémissant, au fond du noir abîme. L’éducation venait d’être achevée. »
La croissance des jeunes canards est très rapide, et à six semaines, ils sont en état de voler.
Plus d’un jeune canard devient la proie du putois ou de la belette ; plus d’un canard adulte est dévoré par le renard ou par la loutre. Les rats d’eau et les milans détruisent les œufs ; mais les pires ennemis de ces oiseaux, ce sont les faucons qui, pendant certaines périodes ne vivent, pour ainsi dire, que de canards.
Un naturaliste eut occasion d’observer en quelques heures les diverses manœuvres qu’employa une bande de canards pour échapper à ses ennemis : « Ces canards, à la vue d’un aigle qui s’avançait lentement vers eux, s’élevèrent aussitôt dans l’air et se mirent à voler de côté et d’autre, sachant bien que l’aigle n’était pas capable de les attraper au vol. Celui-ci, en effet, abandonna sa chasse. Alors ils se rabattirent sur l’eau et se remirent à chercher leur nourriture. Un faucon apparut ; ils ne s’envolèrent plus, mais ils plongèrent continuellement jusqu’à ce que l’oiseau de proie dont toutes les tentatives avaient été vaines, eût disparu. Plus tard arriva un milan ; les canards se groupèrent aussitôt, se serrant les uns contre les autres, battant des ailes, de façon à lancer continuellement de l’eau dans l’air ; ils se trouvaient entourés d’un nuage de pluie ; le milan voulut le percer, mais il en fut tellement étourdi qu’il dut aussi abandonner ses poursuites. »
Tout cela n’indique-t-il pas plus d’intelligence que vous n’en aviez sans doute supposé chez les canards.
Ces utiles palmipèdes ont donné lieu à des fables singulières : Il existe encore aujourd’hui, chez les habitants du Nord, un préjugé vulgaire, qui leur fait croire que les canards sauvages naissent d’un animal appelé anatife, mot qui signifie : je porte un canard.
L’anatife appartient à une famille d’êtres que l’on classe aujourd’hui entre les crustacés et les annélides.
La ressemblance éloignée qu’offre la coquille de l’anatife avec un oiseau, a sans doute produit cette grossière erreur.
« Quelque absurde que soit cette idée, est-il dit dans le dictionnaire de Valmont-Bomare, voici ce qui pourrait y avoir donné lieu : Les oiseaux de la mer font leur nid dans les plaines marines et parmi les amas de différentes coquilles ; prêts à pondre, ils becquettent l’animal renfermé dans ces coquilles ; ils l’obligent à sortir et mettent leurs œufs à sa place. Quand les petits sont assez forts, ils rompent leur prison pour prendre leur essor. On peut donc croire que c’est ce qui a donné lieu à la fable de l’oiseau produit par cette coquille. »
Le jeune auditoire ne put encore une fois réprimer un mouvement d’incrédulité, et tous les neveux furent d’avis que la première assertion était encore la plus acceptable.
Anderson raconte que non seulement ces oiseaux sont très féconds, mais qu’il est encore possible d’augmenter leur fécondité, en plantant dans leur nid un bâton d’environ un pied de haut. Par ce moyen, dit-il, l’oiseau ne cesse de pondre jusqu’à ce que ses œufs aient couvert la pointe du bâton, et qu’il puisse se coucher dessus pour les couver. Il ajoute que les habitants de l’Islande ont longtemps pratiqué cette manœuvre.
– L’une des nièces que l’autorité d’Anderson paraissait avoir peu convaincue, promit cependant de faire connaître à la meunière, ce moyen si facile d’augmenter son revenu en faisant pondre à ses canes d’énormes monceaux d’œufs.
– Malgré l’épithète de sauvage par laquelle on désigne les canards non domestiques, ces oiseaux sont susceptibles de reconnaissance.
« J’en ai vu, dit M. de Cherville, qui témoignaient d’un attachement dont peu de leurs frères civilisés eussent été susceptibles ; faisons les honneurs de cette supériorité à la noble indépendance de leur origine. C’était en 1847, au château d’Aunay, en Normandie. Il y avait là, à cette époque, une ravissante jeune fille, un de ces êtres angéliques que le ciel ne se décide jamais à tenir longtemps en exil. Elle avait élevé une bande de canards sauvages que le garde de son père lui avait apportés, et elle les aimait, comme on aime lorsque la voix qui est en nous, nous a dit qu’on n’avait pas longtemps à aimer. Chaque matin, lorsque la fille de basse-cour avait ouvert le poulailler, la bande des jeunes canards, dédaigneuse des eaux de fumier, prenait son vol ; elle commençait par faire, à plusieurs reprises, le tour du château ; puis, agrandissant son essor, elle se plaçait au-dessus de la vallée, la sillonnait dans tous les sens de ses capricieuses spirales, tantôt rasant les cimes des futaies séculaires, tantôt s’éloignant à perte de vue, tantôt encore disparaissant dans les nuages, toujours insatiable de libre espace. De sa chambre, où la retenait déjà le mal cruel qui devait l’enlever, la jeune fille ne tardait jamais à s’apercevoir de l’équipée des incorrigibles vagabonds. Elle descendait en toute hâte, elle courait au jardin, ses beaux cheveux blonds flottant au vent, son blanc visage empourpré par l’émotion, elle s’arrêtait sur la pelouse et jetait son cri d’appel. À cette voix aimée, si loin que se trouvât la bande indisciplinée, elle entamait une courbe qui la rapprochait du château ; on voyait les fuyards ralentir les mouvements de leurs ailes, s’abaisser progressivement, enfin, glissant diagonalement dans les airs, venir tomber aux pieds de leur jeune maîtresse en la saluant de leurs cris joyeux. J’ai assisté depuis lors à des scènes de toute espèce ; il n’en est pas qui m’aient plus doucement remué que celle-là ! »
Audubon, le grand naturaliste, « cet infatigable pèlerin de la nature » qui a tant vu et tant observé, raconte le trait suivant : « Une fois, dit-il, je trouvai dans les bois une cane à la tête de sa jeune couvée, que, sans doute, elle acheminait vers l’Ohio ; mais elle m’avait aperçu la première et s’était cachée parmi les herbes, ayant autour d’elle toute sa famille. Quand je voulus approcher, ses plumes se hérissèrent, et elle se mit à siffler, en me menaçant, comme aurait pu faire une oie ; pendant ce temps, les petits décampaient dans toutes les directions. J’avais un chien de première qualité et parfaitement dressé à prendre les jeunes oiseaux sans leur faire aucun mal. Je le lançai sur leurs traces ; aussitôt la mère s’envola, mais en affectant de se soutenir à peine, et semblant prête à tomber à chaque instant. Elle passait et repassait devant le chien, comme pour le troubler dans ses recherches et en épier le résultat ; et quand les canetons, l’un après l’autre, m’eurent été rapportés et que je les eus mis dans ma gibecière, où ils criaient et se débattaient, elle vint d’un air si malheureux se poser tout près de moi, par terre, roulant et culbutant presque sous mes pieds, que je ne pus résister à son désespoir. Je fis coucher mon chien, et avec une satisfaction que comprendront ceux-là seulement qui sont pères, je lui rendis son innocente famille et m’éloignai. En me retournant pour l’observer, je crus réellement apercevoir dans ses yeux une expression de gratitude ; et cet instant me procura l’une des plus vives jouissances que j’aie de ma vie éprouvée, en cherchant à surprendre les secrets de la nature au milieu des bois. »
Neveux et nièces étaient émus, et, dans ce moment même, ils avaient sous les yeux un spectacle bien capable de leur faire comprendre combien l’amour maternel est développé chez les animaux.
Plus d’une fois, pendant le récit de l’oncle, leur attention avait été détournée par les cris de jeunes oiseaux, à demi cachés sous la feuillée, de l’autre côté de la mare, et à qui leurs parents apportaient la becquée avec une touchante sollicitude.
Le vieillard contempla quelques instants cette scène gracieuse, mais, il lui restait à parler à ses élèves des deux graves personnages qui lissaient leurs plumes et faisaient leur toilette avec une satisfaction visible, depuis que la gent tapageuse des canards avait clopin-clopant regagné la basse-cour.
Après avoir méthodiquement essuyé ses lunettes, il les replaça lentement sur son nez et continua sa leçon un instant interrompue.
Les palmipèdes. – L’oie domestique. – Son utilité. – Procédés d’engraissement. – Cruauté de procédés. – L’oie chez les Romains. – Les foies d’oie. – L’oie en Angleterre et l’invincible armada. – Maladies des oies. – Vigilance de ces oiseaux. – Les oies du capitole. – L’oie qui tourne la broche. – Un drame au bord de la mare.
Tous les oiseaux groupés sous le nom de palmipèdes diffèrent souvent entre eux par la taille et par les habitudes. Le caractère qui les unit est la forme de leurs pieds. Le mot palme se dit des doigts des animaux, lorsque ces doigts sont réunis par une membrane, tout en restant distincts : Les cygnes, les oies, les canards sont des palmipèdes.
« Destinés à passer leur vie sur l’eau ou près de l’eau, à plonger dans ses profondeurs ou à voler à sa surface, les palmipèdes, dit un naturaliste, ont reçu tous les dons nécessaires à l’accomplissement de la mission qui leur était confiée. – Le plumage de tous les oiseaux de cet ordre est composé de plumes vernissées ou enduites d’une huile secrétée par les glandes folliculaires de la peau. Leurs plumes très serrées constituent un tout imperméable au moyen d’un suc huileux que ses oiseaux font, à leur gré, sortir de deux glandes coccygiennes en les pressant avec leur bec, pour enduire ensuite de ce suc chaque plume séparément. – Cet enduit, ce vernis permet à l’eau de glisser sans effort sur le plumage des palmipèdes, sans y pénétrer, et dès lors sans arrêter ces oiseaux dans leur natation. Enfin, leur peau est très épaisse, et son tissu cellulaire est garni d’une graisse abondante qui empêche encore l’action de l’eau sur le plumage recouvrant un duvet épais et serré, destiné à préserver les palmipèdes de froids rigoureux. »
Parlons maintenant des oies, dont nous avons sous les yeux un échantillon. – Les deux oies étaient toujours là, en effet, au bord de la mare, fauchant l’herbe qui se trouvait à leur portée et semblant attendre qu’on voulût bien s’occuper d’elles.
L’oie commune (anser vulgaris) est une des plus belles conquêtes que l’homme ait faites sur les espèces sauvages. Cet oiseau, qui était autrefois désigné sous le nom d’oue, vit sur la terre et sur l’eau. Il mange particulièrement des herbes et des grains. Les oies s’élèvent à peu près partout, mais on en tire meilleur parti dans le voisinage d’une rivière, d’un ruisseau, d’un étang ou d’une mare.
La ponte des oies commence en mars et finit en juin. Un vieil auteur, Jean Liébault, nous apprend, dans sa maison rustique, que si l’on ne retire pas les œufs des oies à mesure qu’elles pondent, elles les couvent dès que leur ponte est complète ; mais, si on a soin de les leur enlever, elles font une seconde et même une troisième ponte ; en un mot, elles ne cessent point de donner des œufs et continueraient ainsi jusqu’à en mourir.
Dans certaines de nos provinces, on tire un grand profit de l’oie. Aussi en voit-on, après la moisson, de nombreux troupeaux pâturer dans les champs.
En automne on les engraisse dans l’espace de quelques semaines : Pendant tout ce temps, on les tient enfermées.
Parfois même les éleveurs se livrent à des actes de cruauté que l’humanité réprouve ; ils oublient que tout ce qui souffre a droit à notre pitié. – Ils crèvent les yeux des pauvres oiseaux ou ils leur cousent les paupières ; ils les forcent à avaler des boulettes très nourrissantes et les privent d’eau.
C’est vers l’époque de la Saint-Martin qu’on en fait une consommation considérable.
Dans le Poitou on se réunit encore aujourd’hui pour manger l’oie de la Saint-Martin, malgré la tendance qui consiste à bannir toutes ces vieilles coutumes qui avaient pour résultat de rapprocher les hommes et de leur enseigner la vraie fraternité.
Personne n’ignore combien ces oiseaux entrent dans nos usages domestiques : Vous connaissez la mollesse des lits de plumes, des coussins, des oreillers, des édredons qui nous préservent du froid pendant l’hiver ; et l’élégance des magnifiques fourrures, d’une blancheur éblouissante dont on garnit des vêtements aussi chauds qu’ils sont légers.
Il ne paraît pas que les anciens eussent coutume de se coucher sur la plume d’oie. Belon, dit qu’ils ne connaissaient pas les lits de plumes.
Le duvet de l’oie est un objet très recherché et très précieux : Aussitôt que les oisons sont assez forts, c’est-à-dire dès que les pennes des ailes commencent à se croiser sur la queue, ce qui arrive environ deux mois après leur naissance, on les plume sous le ventre, sous les ailes et au cou ; six semaines après, on réitère la même opération, et on la recommence dans la première quinzaine du mois de septembre pour la troisième et dernière fois. On ne plume les mères qu’une fois par an, environ cinq à six semaines après qu’elles ont couvé ; on peut, sans inconvénient, dépouiller les mâles et les femelles qui ne couvent pas trois fois pendant l’été.
Cette opération les rend fort maigres ; mais ils ne tardent pas à reprendre de la chair et s’engraissent promptement en automne.
Le duvet des oies qui vivent dans les pays froids est le plus estimé. La chair de l’oie grasse est un assez bon manger ; elle est de difficile digestion et ne convient guère qu’aux estomacs robustes. On a, je vous le disais tout à l’heure, imaginé des moyens barbares pour porter à l’excès la graisse dont les oies peuvent se charger, et pour faire naître une maladie dans laquelle leur substance se fond presque entièrement en une masse graisseuse qui s’amasse particulièrement dans le foie. Cet organe devient alors d’un volume énorme et s’augmente à mesure que le reste du corps de la malheureuse bête s’atrophie.
Ce procédé cruel consiste, dit Mauduyt, à lier l’oie dans un appartement très chaud, à ne point lui donner d’eau pour éteindre la soif qui la dévore, et à ne laisser à sa portée qu’une pâtée humide dont elle ne cesse d’avaler dans l’espoir de tempérer l’ardeur qui la brûle.
C’est ainsi, c’est au prix de toutes ces souffrances, qu’on se procure les pâtés de foie gras ; c’est ainsi que la sensualité de nos sybarites modernes ajoute à la destruction des animaux qu’elle sacrifie à ses goûts, l’inhumanité des tortures les plus raffinées.
Cependant, les gastronomes de notre temps n’ont pas le mérite d’avoir découvert la délicatesse du foie de l’oie : Les Romains appréciaient tout particulièrement la graisse et le foie de ce palmipède. Pline vante la qualité du foie : « Cette partie, dit-il, vient prodigieusement grosse dans les oies qu’on engraisse ; on l’augmente encore en la faisant tremper dans du lait miellé. » – Il attribue au fils de l’orateur Messala la gloire d’avoir découvert le secret de rôtir les pattes d’oie et d’en composer un ragoût avec des crêtes de poulet.
« Les anciens, dit Belon, n’ont rien jugé de meilleur en l’oye que le foye et l’ont trouvé de bonne digestion. Onc ne sut que la gresse de l’oye n’ait eu louange de vertu pour médecine. Il appert en plusieurs passages des anciens qu’elle était en commun usage et délices des Romains. »
« C’est l’oie, dit Toussenel, qui remplaça jadis le paon et le faisan, comme rôti d’honneur sur la table de nos pères ; elle a dû céder à son tour cet emploi glorieux au dindon, précieux cadeau du Nouveau-Monde, qui trouvera bientôt, je l’espère, par un juste retour des choses d’ici-bas, des rivaux heureux. »
« Quoi qu’il en soit, dit M. Ch. Jobey, il existe un pays en Europe qui a résisté aux modes culinaires et gastronomiques plus ou moins bien justifiées : l’oie règne encore despotiquement dans la vieille Angleterre. Tout bon Anglais doit manger une oie le jour de Noël, en mémoire de ce que la reine Élisabeth en avait une sur sa table ce jour-là, au moment où elle reçut la nouvelle de la destruction de la fameuse Armada de Philippe II, roi d’Espagne, qui devait envahir l’Angleterre et détrôner cette reine. »
Les jeunes oies sont sujettes à un grand nombre de maladie, surtout pendant les mois de juin et de juillet, et il en périt quelquefois des quantités. La cause principale est certainement la négligence avec laquelle on élève ces oiseaux. Pendant cette période, il faudrait leur donner plus de soins : C’est le moment où leurs ailes se garnissent, et où la croissance des grosses plumes les affaiblit extrêmement.
La nourriture maigre et sèche qu’elles trouvent, à grand-peine, dans les prairies, pendant les grandes chaleurs, est loin d’être suffisante. Il faudrait, en ce moment, leur donner de bonnes pâtées, mélangées de laitues hachées et y ajouter quelques rations d’avoine écrasée. L’expérience a démontré le succès de cette pratique pendant que les oisons prennent leurs plumes.
Un autre fléau pour les oies, c’est la vermine qui s’introduit dans leurs oreilles, dans leurs naseaux, qui les tourmente, les fatigue, épuise leurs forces et les fait périr par l’excès de la douleur.
Les oisons qui en sont attaqués marchent les ailes pendantes, secouent tristement la tête, allongent le cou et refusent de manger.
Pour faire déloger les hôtes importuns qui les incommodent, on leur présente, au retour des champs, de l’orge au fond d’un vase rempli d’une eau bien claire. Les oisons avides de l’orge précipitent leur tête et leur cou dans l’eau. Les insectes se noient, fuient ou se retirent au haut du cou ; les parties malades se trouvent ainsi nettoyées et bientôt les oisons recouvrent la santé.
Des observateurs superficiels ont taxé l’oie d’être stupide ; ils ont fait de son nom le synonyme de la sottise. On dit « bête comme une oie ! » mais ce dicton populaire est en contradiction évidente avec les habitudes de cet oiseau. Les naturalistes qui ont étudié de près les mœurs de l’oie sont d’un avis bien différent.
L’oie est une garde, une sentinelle vigilante ; son sommeil est si léger qu’elle se réveille au moindre bruit. Elle est aussi propre que les chiens à garder pendant la nuit, une maison de campagne. Dès qu’elle entend un bruit insolite, elle jette des cris si aigus, si perçants qu’ils semblent être l’expression des sensations qu’elle éprouve. On en cite, dans l’histoire romaine, un exemple resté fameux : Les Gaulois ayant trompé la vigilance des chiens préposés à la garde du Capitole, allaient s’emparer de cette forteresse, lorsque des oies avertirent, par leurs cris, les soldats de l’approche d’un danger. Les Gaulois furent repoussés. Aussi les Romains placèrent-ils les oies au nombre des oiseaux sacrés ; la première fonction des censeurs en prenant possession de leur charge était de passer le bail pour la nourriture des oies élevées aux frais de l’État. Chaque année, à l’anniversaire de ce grand évènement, une somme était votée pour l’entretien des oies sacrées, et le même jour, les chiens étaient fouettés, d’une manière ignominieuse, sur la place publique, en punition de leur coupable silence.
« C’est grâce à cet oiseau, dit Martial, que fut sauvé, sur le mont Tarpéïn, le temple du maître de la foudre. »
L’habitude que les oies ont de toujours jacasser, de crier à tout propos, leur avait fait comparer par les anciens les grands parleurs.
Leur coutume de donner l’alarme dès qu’elles aperçoivent quelque chose d’extraordinaire, les avait rendu l’emblème de la délation.
Les Égyptiens, ne considérant que les sentiments de vigilance paternelle qui animent les mâles et la longue soumission des petits à leurs parents, avaient représenté les oies comme le symbole du dévouement paternel et de la piété filiale.
On leur compare, aujourd’hui, à cause de leur démarche lourde, lente et en apparence gênée, les personnes chez lesquelles nous apercevons des défauts analogues.
Les oies passent pour être susceptibles d’attachement et de reconnaissance en échange des bons traitements qu’elles reçoivent.
Dans le Nord, les oies domestiques quittent souvent au printemps le domicile de leurs propriétaires, pour aller passer l’été et nicher dans de vastes marais parfois très éloignés. Néanmoins, elles reviennent en automne, amenant avec elles leurs petits dans les maisons qu’elles avaient quittées, qu’elles savent très bien reconnaître et où on les nourrit pendant l’hiver.
Un vieil auteur, Lémery, dit que cet oiseau est disciplinable : Il en a vu marcher dans un tournebroche pour faire rôtir la viande.
Le spectacle ne devait-il pas être bien curieux, lorsque le rôti était une oie, peut-être la mère, la fille ou la sœur de celle qui marchait gravement, avec une importance comique, dans la roue de l’instrument culinaire.
Depuis quelques instants les oies de la mare sonnaient le clairon d’alarme ; les petits oiseaux, que les neveux observaient, donnaient des signes non équivoques, d’une grande frayeur : Leurs cris redoublaient ; ils agitaient vivement leurs ailes, et leurs parents, les plumes hérissées, se précipitaient bravement vers une touffe d’aulne où les yeux perçants des jeunes auditeurs ne tardèrent pas à apercevoir un reptile :
À sa robe cendrée tachée de noir le long des flancs, à ses écailles carénées, c’est-à-dire relevées d’une arête, aux trois taches blanches formant une espèce de collier sur la nuque, le vieux naturaliste reconnut la couleuvre à collier (tropidonotus torquatus) qui fréquente le voisinage des eaux douces et qui, très bonne nageuse, vit dans les eaux elles-mêmes.
L’animal, enroulé autour d’une branche d’aulne, dressait perpendiculairement la moitié de son corps, dardait sa langue fourchue et ouvrait démesurément sa gueule dans laquelle un des jeunes oiseaux, fasciné par les yeux flamboyants du reptile, paralysé par la terreur, n’allait pas tarder à être englouti, malgré les efforts des parents pour attirer sur eux la colère du monstre.
Les neveux, pris de pitié, s’élançaient déjà pour dégager la pauvre victime, lorsqu’ils virent la couleuvre dérouler ses anneaux, et se préparer à la fuite : C’était le commencement du deuxième acte de ce drame dont les péripéties se passaient au bord d’une mare. Le reptile venait d’apercevoir un de ses plus terribles ennemis ; il voulut gagner un trou profond creusé naturellement au pied de l’aulne, mais sa retraite ne fut pas assez prompte.
Un épervier qui, depuis un instant, planait au-dessus de la mare, s’abattit rapide comme une flèche, et reprit son vol en emportant dans ses serres la couleuvre à collier, dont tous les efforts pour se dégager n’aboutirent qu’à précipiter la mort. Le rapace s’appuya sur une branche de peuplier et se mit à dévorer sa victime pendant que les oisillons, redoutant le même sort, se blottissaient au plus épais de la feuillée.
Lorsque l’émotion fut passée, les enfants vinrent se grouper autour du vieillard, et ce fut un feu roulant de questions sur la couleuvre, les petits oiseaux et l’épervier. Bon gré malgré, le naturaliste se vit dans l’obligation de promettre aux jeunes curieux qu’il ne tarderait pas à les satisfaire. Mais il fallait attendre qu’on eût terminé l’histoire des intéressants palmipèdes qui se dirigeaient lentement du côté de la basse-cour de la ferme.
L’oie sauvage. – Ses habitudes. – Ses mœurs. – Ses migrations. – Son vol. – Dégâts que commet cet oiseau. – L’oie cendrée. – La nonnette ou bernache. – Attachement de l’oie pour sa couvée. – Les ébats d’une famille d’oie. – Énigmes et contradictions.
La matinée était splendide. Les rayons du soleil tamisés par le feuillage des peupliers et des saules coloraient les abords de la Fosse-Noire des teintes les plus diverses. Grenouilles et tritons, larves de toutes espèces s’agitaient à l’envi, pendant que les petits oiseaux, insouciants des nouveaux dangers qu’ils pourraient courir, sautillaient de branche en branche, et essayaient leurs ailes trop faibles encore pour les porter au loin
Les sièges rustiques des élèves furent promptement occupés, et le professeur reprit son sujet de la veille.
L’oie sauvage, dit-il, est plus petite que l’oie domestique ; elle ne s’apprivoise que difficilement. Son plumage est d’un brun-cendré qui devient plus clair à l’extrémité de chaque plume.
Les oies qui vivent absolument indépendantes se plaisent surtout dans les pays du Nord ; elles ne fréquentent nos contrées tempérées que lorsque le froid, déjà trop rigoureux, les y oblige : On les voit alors arriver par grandes troupes à la fin d’octobre et au commencement de novembre.
Leur vol élevé, tranquille, se fait sur deux lignes qui, en se rejoignant, forment un angle aigu, une figure semblable à la lettre V. Chaque bande compte de quarante à cinquante de ces oiseaux ; et rien n’est plus intéressant que de voir l’oie qui est à la tête, qui fend l’air et qui se fatigue le plus pour passer, au bout d’un temps plus ou moins long, à l’extrémité de l’une des lignes : Chaque oie doit occuper à son tour le poste avancé et remplir le rôle de conductrice.
Plusieurs bandes se réunissent parfois en troupes de quatre à cinq cents, qui en s’abattant sur les terres ensemencées causent de grands dommages.
Elles pâturent de préférence les blés qui commencent à pousser ; et elles se retirent pendant la nuit sur les lacs et les étangs où elles ne cessent de pousser les cris les plus discordants, qui s’entendent de fort loin, et auxquels les paysans prêtent souvent une origine mystérieuse.
Les oies sauvages, d’un naturel inquiet et méfiant, sont fort difficiles à approcher. L’une d’elles fait toujours le guet et veille à la sécurité de toutes : Sentinelle vigilante, elle choisit avec beaucoup de sagacité l’endroit le plus propice, et avertit ses camarades par de grands cris dès qu’elle entrevoit le moindre danger.
Il existe un grand nombre de variétés d’oies sauvages. – Belon raconte que l’oie nonnette ou bernache, a la finesse du renard pour tromper le chasseur qui veut s’emparer de ses petits : Elle fait semblant de vouloir se laisser prendre et leur donne le temps de s’échapper. Quelquefois, elle feint d’avoir les ailes et les cuisses cassées ; on dirait qu’elle ne peut plus ni voler ni marcher ; mais, dès que sa couvée est en sûreté, elle fuit à tire-d’aile et s’échappe à son tour des mains des ravisseurs.
L’oie cendrée, (anser cinereus) oie sauvage, oie première ou oie grise est l’espèce souche de notre oie domestique ; elle appartient plus à la zone tempérée qu’à la zone boréale. Dans ses migrations, elle visite tous les pays du midi de l’Europe, le nord de la Chine et des Indes.
À leur retour, vers le mois de mars, les oies font entendre des cris joyeux et se fixent dans les vastes marais, dont une grande surface est couverte d’eau, dont le sol est tourbeux et qui renferment des îles couvertes d’herbes, de roseaux, de buissons et dont l’abord est difficilement accessible : C’est là qu’elles nichent et c’est de là que partent leurs nombreux bataillons pour aller paître et dévaster les champs et les prairies.
Les oies domestiques n’ont presque rien perdu des allures des oies cendrées ; mais celles-ci, comme tous les animaux sauvages, ont un port plus fier, des mouvements plus rapides : Leur démarche est légère et élégante ; elles courent très rapidement, nagent bien et plongent à une assez grande profondeur.
Malgré son extrême défiance, l’oie fuit moins l’homme quand elle le rencontre auprès de son nid. L’amour de sa progéniture fait qu’elle s’expose à de grands dangers. Des observateurs prétendent qu’elle sait distinguer le chasseur du paysan inoffensif ou du berger, l’homme de la femme et de l’enfant.
« C’est un véritable plaisir, dit Naumann, que d’assister, bien caché, par une belle soirée de mai, aux ébats d’une famille d’oies sauvages. Au coucher du soleil, elles apparaissent, l’une ici, l’autre là, mais toutes en même temps ; elles sortent des fourrés de roseaux ; elles nagent, elles gagnent la rive ; le père de famille redouble de vigilance ; il veille à la sécurité des siens. Quand la bande est arrivée au pâturage, c’est à peine s’il ose prendre le temps de manger ; s’il soupçonne quelque danger, il avertit sa famille par quelques faibles cris ; si le danger est réel, il pousse un cri plaintif et prend la fuite. Dans ce cas, la mère se montre plus courageuse, plus soucieuse du salut de ses petits que du sien propre ; par ses cris d’angoisse répétés, elle les invite à fuir et à se cacher, et si l’eau n’est pas trop éloignée, à la gagner, s’y précipiter, y plonger. Ce n’est que quand ils sont à peu près en sûreté qu’elle se décide à se sauver à son tour. Mais jamais elle ne s’envole bien loin, et dès que le danger a disparu, elle est de nouveau là pour rassembler les siens. C’est aussi à ce moment que le père rejoint sa famille.
La mère est avec ses petits dans des herbes déjà assez hautes ; le père est absent, par quelque hasard ; qu’on se glisse alors vers elle sans être aperçu, puis qu’on se montre tout à coup en poussant de grands cris ; elle vole tout autour de l’endroit où elle a été ainsi surprise, et les petits de se cacher aussitôt dans les sillons, dans les inégalités du terrain, de rester silencieux et tranquilles. L’on peut souvent alors les prendre l’un après l’autre, sans que ceux qui restent cherchent à fuir, tandis qu’ils courent droit vers l’eau lorsque ceux dont on s’est emparé se mettent à crier. Tant que les jeunes ne peuvent voler, ils plongent avec beaucoup d’adresse, et cherchent à se sauver de cette façon. À la vérité, ils ne peuvent rester longtemps sous l’eau, mais ils n’en plongent que plus souvent.
Pendant les quatre semaines qui suivent l’éclosion, les parents sont continuellement en éveil ; ils voient partout un danger, auquel ils cherchent à soustraire leur progéniture, mais parfois ils se trompent dans le choix des moyens de salut. Leurs allures sont pleines d’énigmes et de contradictions ; si les parents ne trouvent pas leurs jeunes en sûreté sur le petit étang isolé où ils sont nés, ils les conduisent, généralement au crépuscule, le soir ou le matin, vers une pièce d’eau plus étendue. Il est assez singulier qu’on puisse alors chasser devant soi, comme des oies domestiques, ces oiseaux généralement si pusillanimes. La crainte des parents qui n’osent s’éloigner de leurs petits, atteint dans ces circonstances un degré indescriptible. Si on arrive au milieu d’eux, si on en prend un, la femelle s’élance contre le ravisseur, le poursuit assez loin, puis elle revient pour rassembler ses autres petits épars et les entraîner dans l’endroit où elle avait l’intention de les conduire. Si la bande est ainsi arrêtée non loin de son point de départ, elle revient parfois sur ses pas ; mais de pareilles poursuites, même répétées plusieurs fois, ne parviennent pas à détourner la femelle de son dessein, quand bien même plusieurs de ses petits auraient péri de cette façon. On a bien souvent pris tous les jeunes d’une famille en train d’émigrer de la sorte ; on les a reportés à leur étang natal, et le soir suivant, quelquefois à la même heure, on les retrouvait sur le même chemin, et cela autant de fois que l’on renouvelait l’expérience. »
Prises jeunes, les oies cendrées s’apprivoisent rapidement ; mais elles ne démentent pas facilement leur origine, et à peine se sentent-elles adultes, que l’instinct de la liberté s’éveille en elles ; et, si en ne les retient de force, elles émigrent en compagnie des autres oies sauvages.
L’oncle s’arrêta, et regarda en souriant le point de la mare où plongeaient les racines du grand aulne, dont le feuillage servait d’abri protecteur aux petits oiseaux, et dans le tronc duquel la couleuvre n’avait pu se réfugier assez promptement pour échapper aux étreintes mortelles de l’épervier.
Une même pensée animait les visages des jeunes écoliers, une même question errait sur toutes les lèvres.
Le bon oncle, heureux de satisfaire la légitime curiosité des enfants qu’il voulait instruire des choses de la nature, promit pour le lendemain l’histoire des reptiles.
Les reptiles en général. – Les serpents. – Leurs habitudes. – Leur nourriture. – Leur mue. – Expérience de Redi. – Les reptiles à la Guyane. – Gros serpents non venimeux. – Histoires et fables. – Une couleuvre apprivoisée. – Une femme avalée par un serpent. – Le serpent de Régulus. – Les reptiles en médecine. – La vipère. – Ses mâchoires.
Les animaux désignés sous le nom de reptiles