Berlin, Bucarest-Budapest : Budapest-Bucarest - Gonçalo M. Tavares - E-Book

Berlin, Bucarest-Budapest : Budapest-Bucarest E-Book

Gonçalo M. Tavares

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Beschreibung

Des personnages ordinaires aux prises avec le passé.Avec une grande liberté formelle, Tavares nous entraîne dans un voyage où nous suivons d’abord Martha, une jeune fille borderline, au fil de ses errements dans Berlin, pour assister ensuite au transport d’une statue monumentale de Lénine, de Bucarest jusqu’à Budapest, tandis qu’un violoniste rapatrie dans le trajet inverse le corps putréfié de sa mère…Un diptyque qui nous expose sans relâche aux tiraillements du choix et à la difficulté de dépasser les frontières quelles que soient leurs formes.Découvrez sans plus tarder l'œuvre décalée d'un digne représentant de la littérature portugaise contemporaine !EXTRAITArrivées de Budapest. Deux silhouettes, la nuit. Deux taches sombres sur une grande tache sombre. Mais les deux taches sombres agissent, elles ont un objectif ; alors que, pour la nuit – la grande tache sombre –, tout indique que ce n’est pas le cas ; elle n’a pas d’objectif.Ils commencent par faire sauter le cadenas. La serrure de la porte de l’entrepôt est solide. Ils utilisent le feu. Ensuite, un coup d’épaule enthousiaste, deux corps contre la porte haute et large, mais débarrassée de sa serrure. Pareille à une personne sans défense : une grande porte sans défense ; une serrure brisée.Les deux hommes pénètrent dans une obscurité nouvelle, une obscurité plus petite, fermée, ordonnée. Dans la nuit, mais à l’extérieur de la nuit.Ils savent bien ce qu’ils cherchent, les deux hommes. De nombreux objets sont stockés dans l’entrepôt, mais les deux hommes ne sont pas là pour visiter, ils ne sont pas perdus. Ils savent ce qu’ils veulent. Et ce qu’ils veulent se trouve ici-même.CE QU'EN PENSE LA CRITIQUESes romans, baignant dans une atmosphère raréfiée, abstraite, ont la rigueur d’épure et la présence charnelle d’un Kafka qui contemplerait les catastrophes du siècle écoulé et celles qui s’annoncent avec détachement et ironie. - L’HumanitéIl y a dans cette écriture une part de jeu qui fait glisser le récit le plus réaliste dans une narration et un climat insensiblement décalés, sur le fil de l’absurde et de son théâtre. - Marc Ossorguine, La Cause littéraireBerlin est une ville palimpseste, celle qui porte sur ses murs, dans ses rues, « l’Histoire, la robuste Histoire, le Siècle et ses grandes enjambées », elle est cette carte qu’évoque Gonçalo M. Tavares dans les premières pages de son Berlin, Bucarest-Budapest : Budapest-Bucarest, la matérialisation mobile et fluctuante « des modifications graphiques sur de la pâte à papier civilisée et préparée à recevoir de nouveaux tracés vigoureux par-dessus de vieux tracés fragiles ». - Christine Mercandier, Mediapart.À PROPOS DES AUTEURSNé en 1970, Gonçalo M. Tavares est considéré comme l’un des plus grands noms de la littérature portugaise contemporaine. Il a été récompensé par de nombreux prix nationaux et internationaux dont le Prix Saramago, le Prix Ler/BCP (le plus prestigieux au Portugal), et le Prix Portugal Telecom (au Brésil). Apprendre à prier à l’ère de la technique (Viviane Hamy, 2010) a reçu le prix du Meilleur Livre Etranger - Hyatt Madeleine 2010.Dominique Nédellec a été responsable du Bureau du livre à l’ambassade de France en Corée et chargé de mission au Centre régional des lettres de Basse-Normandie, avant de devenir traducteur de portugais depuis 2002. Il est également le traducteur de Antonio Lobo Antunes (Mon nom est légion, Christian Bourgois, 2011).

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Berlin, Bucarest-Budapest: Budapest-Bucarest

© Gonçalo M. Tavares, 2014, tous droits réservés© ( Éditions ) La Contre Allée, 2015, pour l’ édition française.Collection Fictions d’ Europe.

GONÇALO M. TAVARÈS

BERLIN, BUCAREST-BUDAPEST : BUDAPEST-BUCAREST

traduit du portugais par Dominique Nédellec

La collection « Fictions d’ Europe » est née d’  une rencontre entre la maison d’ édition La Contre Allée et la Maison européenne des sciences de l’ homme et de la société. Désireuses de réfléchir ensemble au devenir de l’ Europe, La Contre Allée et la MESHS proposent des récits de fiction et de prospective sur les fondations et refondations européennes.

Martine Benoit, directrice de la MESHS.

PARTIE I – BERLIN

Berlin : 23 ; 383 – Chaussures

Ce buste qui a résisté au passage des siècles, mais pas au Bel Homme, car le temps est, malgré tout, parmi d’autres arts mineurs et majeurs, bien moins efficace en matière de destruction.

Une statue qui résiste comme un homme après la bombe : il lève le bras, mais le bras n’est pas là ; jamais il ne baissera la tête, mais la tête n’est pas là pour qu’il ne la baisse pas – or, pour préserver sa fierté, il faut au moins que le cou et ses muscles n’aient pas renoncé à porter le crâne, comme dans certaines cérémonies pour initiés des femmes portent des chandelles allumées.

Mais regarde, si tu commences à observer un homme en partant du bas (de ses chaussures, par exemple), ce qui est le plus éloigné est ce qui est le plus haut, et ce n’est qu’à l’endroit le plus éloigné qu’il n’y a rien : ont été emportées la tête et la possibilité de saluer de la main le passage de la pacifique parade militaire ; mais ce n’est pas grave : observe bien les chaussures de cet homme-ci sans tête ni bras : ses chaussures sont impeccablement lacées.

Berlin : 27 ; 626 – Documents

Et en plus du besoin de s’alimenter, en plus d’une fenêtre de ton salon dont un imbécile de gamin a brisé les carreaux, en plus de ta femme engrossée par un pénis que tu ne connais pas, en plus de tout cela il y a l’Histoire, la robuste Histoire, le Siècle et ses grandes enjambées, les hommes si souvent photographiés signant des documents qui semblent avoir été rédigés par les secrétaires du Dieu des pays, pour autant qu’Il existe – et, s’Il n’existe pas, qu’on L’invente, car nous ne sommes plus naïfs au point d’avoir un Dieu du soleil ou un Dieu pour tel astre encore plus insignifiant ; un Dieu assurant le contrôle non pas de la lumière naturelle, mais des frontières figurant sur la carte, voilà ce dont nous avons besoin.

Mais peut-être que ce Dieu existe, tu l’appelles Histoire et te voilà content.

Du reste, pendant qu’une femme s’accroupit pour uriner et qu’un homme pisse en pensant à sa facture de téléphone ou à la couleur des couloirs dans la maison qu’il vient d’acheter, quelle importance peuvent avoir les évolutions d’une carte ? Dans le fond, ce ne sont que des modifications graphiques sur de la pâte à papier civilisée et préparée à recevoir de nouveaux tracés vigoureux par-dessus de vieux tracés fragiles.

Non. Pour l’instant, je dois dire que le monde ne m’intéresse pas ni ses grandes décisions. Tu peux te déshabiller, dit Markus. J’irai dans ta chambre, je laisserai la somme exacte, en liquide, et si nécessaire je ferai sur les parties que tes vêtements cachent le plus certains mouvements qui pourront ne pas te plaire, mais le prix est juste, et à ce jour jamais je n’ai laissé la moindre dette dans le tiroir d’une belle femme comme toi.

Berlin : 20 ; 121 – Lecture

Je vais te raconter ce que j’ai vu depuis la fenêtre. Sont d’abord arrivés des sons qui effrayaient, puis l’explication : l’ambulance est entrée et elle faisait du bruit comme s’il y avait eu à l’intérieur un estomac affamé. À quelques mètres seulement de ta haute fenêtre, l’ambulance s’est arrêtée ; subitement le bruit cesse et plusieurs hommes sortent en courant du véhicule. De toute évidence : quelqu’un est en passe de mourir. Il n’est certainement pas encore mort car les hommes arrivés en ambulance courent à toute vitesse, se précipitent dans l’immeuble ; or, tant qu’on se précipite, c’est que le salut reste possible.

Et je vais te raconter ce que je vois maintenant, à cet instant, depuis la fenêtre. Une poignée de secondes s’est écoulée, les hommes de l’ambulance se trouvent dans l’immeuble, quelque part à un étage quelconque, aucun n’est resté dehors ; cependant, à l’entrée de l’immeuble, de cet immeuble dans lequel quelqu’un n’est pas encore mort, un homme, en maillot rouge à manches courtes, est adossé contre le mur et lit. Et il lit. Et il lit.

Ce qu’il est en train de lire, je l’ignore ; d’ici je ne vois pas ; ce n’est pas un livre. Soit un journal, soit un catalogue publicitaire – qui annonce des prix extraordinaires pour des serviettes, des détergents, une livre de viande. Essaie donc de voir ce que je vois, fais un effort. Je suis à la fenêtre, il ne s’est pas écoulé deux minutes ; et il y a une ambulance devant un immeuble, silencieuse mais avec des lumières qui s’agitent ; et à l’entrée de ce même immeuble un homme lit.

Pas la peine de faire de nouveaux calculs ; ne réclame pas le bistouri pour ouvrir le corps. Tu veux plus d’explications sur le monde ?

Berlin : 22 ; 264 – Histoire

Tu es aux portes de Berlin, l’Histoire a recruté vingt mille scribes pour relater ce qui s’est passé ici, mais tu es venue à vélo et tu es trop occupée à penser à cet homme : Markus, qui hier t’a laissé une boîte d’allumettes parce qu’il l’a oubliée, et une trace de sang sur les lèvres parce qu’il t’a trop embrassée (comme si l’Occident était sur le point d’être envahi, as-tu pensé).

On n’embrasse comme ça que lorsque l’Histoire est prête à tout faire sauter, et toi, tu en es encore à l’âge où on tombe amoureux pour toujours et autres absurdités arithmétiques du même genre dans lesquelles te précipitent un romantisme excessif et ta jeunesse.

Markus est un homme et elle encore une fille. Elle est venue à vélo pour regarder l’Histoire en face et voir si elle pouvait vieillir un peu et mieux comprendre comment se débrouiller avec les mains et le pénis anxieux d’un homme.

Markus, l’homme, revient demain ; et elle veut apprendre rapidement ce qu’elle doit faire avec lui : elle regarde les portes historiques de Berlin et se concentre, comme si elle apprenait une leçon, comme si elle apprenait le grec ancien.

Ah, mais cet homme, Markus, ne va pas faire de toi une idiote.

Il va faire pire : il va faire de toi un être humain ; et ces mots, qui au début t’enthousiasment, te donneront bientôt la nausée. Tu te laveras les mains, le cuir chevelu, tu inspecteras tes cheveux, un à un, comme pour t’épouiller, tu te sentiras si sale qu’aucun vêtement ne t’ira. Oui, tu es à Berlin, mais tu pourrais être dans une autre ville : jamais tu ne pardonneras à un homme plus âgé d’avoir fait de toi un être humain. Tu ne voudrais qu’une chose, ne jamais avoir grandi, mais au moment où tu n’as que ce seul désir, il est déjà trop tard.

Tu rentres chez toi à vélo et tu t’appelles Martha.

Berlin : 27 ; 682 – Égypte

La civilisation égyptienne ? Mais qu’est-ce que j’en ai à foutre ? se dit Martha.

L’Histoire ? C’est de la propagande, ma chère madame. Une forme de publicité à laquelle on donne une plus grande importance. C’est tout.

Pauvres cloches ! se dit Martha.

— Les Égyptiens étaient un peuple qui…