Bulle de savon - Sylvia Hansel - E-Book

Bulle de savon E-Book

Sylvia Hansel

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Beschreibung

Une Parisienne de 25 ans tombe amoureuse d’un très jeune Britannique au charme magnétique. Nous sommes en 2006, sur Myspace les top friends imposent leur loi et Zizou va bientôt placer son coup de crâne légendaire. Après une lune de miel enfiévrée, l’amant file à l’anglaise. Désespérée, la jeune femme sombre dans l’autodestruction. Obsession, désir, jalousie, troubles alimentaires, alcool et réseaux sociaux…

Avec Bulle de savon, Sylvia Hansel nous guide dans les méandres du désamour passionnel. De l’évidence du premier jour à l’amertume de la rupture, ce récit porte un regard acéré mais pas exempt d’humour sur le mécanisme irrationnel d’une relation toxique.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Sylvia Hansel travaille dans la presse, notamment musicale, chante et joue de la guitare dans des groupes de rock indé. Après les très remarqués Les adultes n’existent pas et Cannonball, L’adolescence n’est pas une chanson douce, Bulle de savon est son troisième roman publié aux Éditions Intervalles.

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Ähnliche


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Éditions Intervalles

Playlist

1. Joni Mitchell, « Cactus Tree »

2. Kristin Hersh, « Trouble »

3. The Divine Comedy, « If… »

4. Nico, « These Days »

5. Belly, « Untogether »

6. Judee Sill, « Jesus Was a Cross Maker »

If you were a tree

I could put my arms around you

And you could not complain

If you were a tree

I could carve my name into your side

And you would not cry

Cause trees don’t cry

(…)

If you were a horse

I’d clean the crap out of your stable

And never once complain

If you were a horse

I could ride you through the fields at dawn

Through the day until the day was gone

I could sing about you in my songs

As we rode away into the setting sun

(…)

If you were a dog

I’d feed you scraps from off the table

Though my wife complains

If you were my dog

I am sure you’d like it better then

You’d by my loyal four-legged friend

You’d never have to think again

And we could be together till the end

The Divine Comedy, « If… »

Got My Mojo Workin’

Il ressemblait à cette photo de Joseph Staline jeune qui a fait le tour d’internet il y a quelques années et que l’on trouve toujours un peu partout, sous forme de coque d’iPhone ou de carte de vœux — qui sont ces déséquilibrés qui ressentent le besoin d’envoyer une carte de vœux à l’effigie de Staline, ou de protéger leur téléphone avec sa tête ? Sur ce cliché, le jeune homme est beau comme un cœur ; une mèche rebelle et un foulard genre keffieh lui donnent l’air d’un poète anarchiste du Quartier latin, n’importe quelle fille en tomberait raide amoureuse. D’où le succès de cette image : c’est incroyable de réaliser qu’à peine quelques années plus tard, ce mec trop mimi craquant tout choupinou deviendrait l’un des dictateurs les plus cruels de son siècle, tuant les gens par paquets de mille. Sa photo n’avait pas encore fait le tour des réseaux sociaux quand j’ai rencontré Jason, aussi n’ai-je pu flairer l’entourloupe. Et quand bien même, j’étais si aveuglée que je n’aurais sans doute pas vu, dans cette troublante ressemblance, un signe funeste, car après tout, il y avait dès le départ des signes, bien plus inquiétants, que mon cerveau a choisi d’ignorer.

L’écrivain Pacôme Thiellement pense que chaque relation amoureuse se trouve résumée dans ses premiers instants : « Dans toute histoire naissante, on sait toujours tout, absolument tout, dès le premier rendez-vous, mais on ne veut pas savoir qu’on le sait. (…) On s’illusionne volontairement sur quelque chose qui devrait être immédiatement évident 1. »Mouais, ai-je songé en lisant cela, dubitative. Puis j’ai repensé à ma rencontre avec Jason. Effectivement, tout était déjà là, dès le premier soir. J’étais juste trop obtuse pour m’en rendre compte.

C’était un samedi, premier jour du long week-end du 1er mai. Je me trouvais à une fête dans le 20e arrondissement, invitée par des amis d’amis chez quelqu’un que je ne connaissais que vaguement. La soirée était douce, le jour traînait en longueur derrière les fenêtres ouvertes donnant sur la place Gambetta. Je buvais du vin rouge dans un gobelet en plastique et tapais dans les Curly tout en papotant avec mes copines. Étaient présentes les trois Aurélie, qu’on désignait par leur patronyme pour les distinguer, Clem, Juliette, quelques garçons aussi, je ne me souviens plus lesquels exactement. J’adorais mes amies ; je ne les connaissais que depuis six mois, mais la connivence avait été immédiate. Jamais je n’avais été aussi proche d’une bande de filles. Ayant atteint notre quart de siècle, nous étions fort occupées à être libres. Joyeusement célibataires, nous courions les calbuts comme les mecs courent les jupons, sautant d’une aventure à l’autre, piquant des fous rires en nous racontant ensuite les détails devant une bière. Je venais d’ailleurs de narrer à Juliette et Clem mes déboires avec mon dernier coup d’un soir : une catastrophe, le type me faisait prendre une nouvelle position toutes les deux minutes chrono, se regardait la bite en me pénétrant et n’en finissait pas, ça s’éternisait pire qu’un solo de Joe Satriani, j’avais peur de ne pas arriver à temps au Franprix pour acheter un sac de litière pour le chat avant la fermeture, avec toutes ces conneries. Pourtant, le gonze avait un visage exquis, rien ne laissait deviner qu’il serait aussi nul au plumard. M’enfin, ce long moment de sécheresse vaginale avait au moins eu le mérite, a posteriori, de faire se gondoler mes amies.

Il y a des soirs où l’on a le mojo. Où l’on se sent bien, à l’aise, sur la même longueur d’onde que le reste des gens. Où l’on se sent jolie, et les autres ont, pour une raison mystérieuse, l’air de partager cette impression. Ces soirées sont rares, d’habitude j’ai plutôt des problèmes de communication que je tente de résoudre en buvant, ce qui a pour effet de me rendre idiote, puis malade le lendemain. On ne force pas le mojo avec de l’alcool ou des drogues. Il est là, ou il ne l’est pas, c’est tout. En me visitant ce soir-là, il me faisait un cadeau empoisonné.

Je vivais une période de joie intense. Ma vie sociale était riche, et, la plupart du temps, agréable. J’étais guitariste dans un groupe garage déjanté qui, sans être le genre de musique que j’avais envie d’écouter chez moi, me plaisait. Du reste, je m’entendais bien avec les autres musiciens ; sans qu’ils soient de super potes, j’avais plaisir à les retrouver pour les répètes. Mon boulot de vendeuse dans une boutique était satisfaisant. J’aimais bien mes collègues, la clientèle était globalement sympathique même si, bien sûr, on ne pouvait échapper à certains pénibles, et le salaire me permettait de beaucoup sortir sans avoir à compter le moindre euro. Ma garde-robe était gentiment glam, colorée, abondamment fournie chez H&M ou Mango, et seyait à mon 36 qui faisait des envieuses, d’autant que ma taille n’était le fruit d’aucun effort, je pouvais bouffer du kebab cinq fois par semaine si ça me chantait. Je fréquentais des tas de gens qui jouaient dans des groupes, le rock avait été remis à la mode par les Strokes, White Stripes, Libertines et leurs enfants bâtards parisiens, Naast et Plastiscines, si bien que n’importe quel bar ou restau de couscous s’était empressé de transformer sa cave en salle de concert. Presque chaque soir il y avait un groupe à aller voir, c’était une période d’effervescence incroyable où j’occupais une place pas loin du centre, en tant que musicienne jeune, célibataire et, disons, à défaut d’être belle, au moins assez avenante pour moissonner les coups d’un soir — qui, certes, n’étaient pas toujours mes premiers choix, mais je n’étais sans doute pas le leur non plus. Sans avoir spécialement conscience de l’être (car en cherchant bien, on trouve toujours une bonne raison de râler), j’étais heureuse. Et puis j’ai rencontré Jason et il m’a fauchée comme du blé mûr.

Il a fait son apparition assez tard dans la soirée, passé minuit. Mon œil l’a repéré parmi la foule. « Oh. La. Vache. », ai-je articulé en arrondissant la bouche, affolée. « Vous avez vu ce mec ? » Le garçon était positivement sublime. Unanimes, mes copines ont convenu qu’elles en feraient volontiers leur petit déj. Nul ne savait d’où il sortait. Renseignements pris, il n’avait pas été invité, il avait simplement débarqué avec deux filles qu’on ne connaissait pas. Il devait avoir atterri ici juste pour se faire croquer par moi, c’était pas possible autrement. Au bout de cinq minutes à l’observer de loin, j’ai foncé tête baissée. Littéralement. Il se trouvait dans le couloir, juste devant la porte des toilettes, aussi ai-je fait mine de m’y rendre, et en passant je l’ai percuté. Pourquoi se creuser la tête à chercher un prétexte pour aborder les gens, quand on peut simplement leur rentrer dedans ? La magie a opéré. Je me suis excusée, il s’est excusé à son tour, j’ai protesté que tout était de ma faute et, de fil en aiguille, on s’est mis à discuter. Jason avait tout juste 20 ans et était britannique. Bien que vivant à Paris depuis plusieurs mois, il avait dû ne fréquenter que des gens qui parlaient sa langue ; tout ce qu’il savait dire, c’était « mon français c’est merde ». Moi, bon, je ne suis pas très douée en anglais ; je baragouine suffisamment pour me faire comprendre, mais mes potes, qui le parlent couramment pour la plupart, se foutent un peu de ma gueule avec ça. J’étais là pour le séduire, je ne voulais pas perdre l’ascendant, aussi ai-je décrété en détachant bien chaque syllabe que, puisqu’il était en France, il allait parler français. Je ne garde aucun souvenir de ce que l’on s’est raconté, ça ne devait de toute façon pas voler très haut vu la barrière de la langue, mais nos phéromones, qui usent d’un vocabulaire universel, se comprenaient parfaitement. Nous sommes restés pendant des heures dans la pénombre de ce minuscule couloir, devant la porte des W.-C., ne nous séparant que pour aller nous ravitailler au cubi. Il y a bien eu un moment où il a dû quitter l’appartement quelques minutes à la demande de l’une des filles avec qui il était venu, ils causaient en rosbif alors j’ai pas trop compris, il m’a semblé entendre une meuf pleurer dans l’escalier, un étage plus bas… Je n’ai pas trop fait gaffe, de toute façon Jason est vite revenu, les filles avaient disparu et nous nous embrassions.