Captive - Captif - Julie Jean-Baptiste - E-Book

Captive - Captif E-Book

Julie Jean-Baptiste

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Beschreibung

Captive est un thriller psychologique de science-fiction. C'est une quête d'identité et de liberté pour ces mutants qui fascinent autant qu'ils dérangent. Le sujet Numéro Deux ne l'a pas abandonnée, malgré ce qu'elle a fait aux leurs... Parviendra-t-il à retrouver la Numéro Un qu'il l'a connue ? Dans le dernier tome de la saga, le sujet Numéro Deux doit s'accoutumer au monde moderne. Il trouvera de l'aide auprès d'une des leurs, dont le retour inattendu mettra en doute ses véritables intentions.

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Seitenzahl: 231

Veröffentlichungsjahr: 2024

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I miss you more than I remember you.

Sommaire

Dans le tome précédent…

ÉPILOGUE

Hiver 2022 États-Unis

Chapitre 1

Seattle

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Dans le tome précédent…

« Il n’y avait pas de « chose ». Il n’y avait qu’elle. »

Numéro Deux et Numéro Un se sont échappés du laboratoire, mais une « chose » a tué les leurs. Sans nulle part où aller, Deux est retourné au centre à La Nouvelle-Orléans où il a affronté l’agence secrète qui avait aidé les Zaystrev à les emmener aux États-Unis. Pour se faire oublier, il intègre un cartel au Panama grâce au fruit des années de travail de Cinq.

Tout en essayant de s’acclimater à sa nouvelle vie parmi les humains, Deux s'efforce de comprendre et de canaliser les personnalités de Un, sans succès. Pour éloigner tout danger de Un et mieux s'intégrer, il se marie. Le Panama marque le début d'un long chapelet d'épouses qui lui servent de boucs émissaires. Pendant ce temps, une personnalité nommée Lily décide de prendre son indépendance et de devenir chercheuse aux États-Unis.

Finalement, sous la menace des fusions opérées par une psychiatre que Lily consulte, les personnalités se tournent vers Deux pour ne pas disparaître. Ils retrouvent James Zaystrev dont l’existence avait été occultée de l’esprit de Deux. À la mort de ce dernier, il découvre que le sujet numéro seize qu’il pensait coupable du meurtre des siens est en réalité Sixtine, la fille de James née grâce à une insémination artificielle.

Les documents récupérés avant l’explosion du sanatorium lui apprennent beaucoup sur leur conditionnement mental et sur les investisseurs qui ont permis aux Zaystrev de prospérer aux États-Unis. Deux les retrouve et se venge en les faisant disparaître.

Pour mieux canaliser Un, il invoque Ana, la personnalité « passerelle ». Elle laisse rapidement place à Rose, une personnalité belliqueuse qui a ébranlé ses affaires.

Aujourd’hui, s’il contrôle son empire financier et une partie du narco trafique aux Amériques, il ne sait plus comment agir avec Un qui, après avoir visionné la vidéo du massacre de leurs compagnons, est redevenue apathique.

Quant à Deux, il doit composer avec Numéro Un qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, son propre ressentiment et sa dernière épouse Emma, en qui il n'a pas confiance.

ÉPILOGUE

« Si vous n’y arrivez pas, vous l’éliminerez, parce qu’elle sera devenue un danger. »

Cette phrase tourne en boucle dans ma tête depuis le début de cette séance. Je suis resté vingt heures à son chevet, en connexion avec elle. J’ai parcouru les dédales de son esprit malade pour essayer de la ramener.

De l’autre côté de la maison, Sixtine fait les cent pas. Je lui ai demandé de nous rejoindre. Si elle se réveille, elle voudra sûrement faire sa connaissance. Mais pour le moment, j’ai préféré l’éloigner.

Je perçois enfin du mouvement dans la chambre depuis le mur du couloir auquel je suis adossé. La lumière du petit matin perce lentement depuis la fenêtre au bout de celui-ci. Mon cœur cesse de battre quelques secondes et je tends l’oreille, dans l’attente.

Elle pousse un gémissement sourd, se redresse et s’immobilise. Le drap se replie sur le lit et ses pieds glissent naturellement dans les chaussons que je lui ai laissés. Elle marque une pause.

Dans ma main, le métal de mon arme se réchauffe et mon doigt se resserre sur la détente. Je m’interdis de replonger dans son esprit avant de l’avoir vue.

Ana m’a indiqué qu’elle ne se souviendrait probablement pas de ce qui s’est passé après la mort des autres. Tout comme j’observe ses moindres mouvements, elle doit être en train de sonder son environnement.

La porte de la chambre s’ouvre et laisse entrer un faisceau de lumière dans le couloir qui auréole ses longs cheveux noirs ondulés. La première chose que je reconnais est sa démarche ; la même que dans mes souvenirs. Cela dit, la dernière personnalité possédait déjà certains de ses gestes. Elle sort, sans crainte. Elle sait que je suis là.

Je me redresse tout en restant sur mes gardes et examine sa silhouette à la recherche d’un autre signe familier. Je me rends compte que je ne sais plus vraiment ce que je cherche. Ma main serre toujours mon arme.

— Deux ?

Le doigt tendu sur la détente, j’hésite, ne sachant pas à qui j’ai affaire.

Hiver 2022 États-Unis

1.

Seattle

Emma tourne sur sa chaise de bureau en repensant à Rose. À la suite du rendez-vous avec Ramos ; un narco trafiquant mexicain, qu’elles avaient organisé sans l’aval de son fiancé deux ans plus tôt, Rose avait disparu sans laisser de traces. A vouloir trop en faire, elle s’était sûrement brûlé les ailes et faite assassiner. Soit par lui, soit par le chef d’un cartel.

Sa chaise s’immobilise devant la fenêtre d’où elle peut apercevoir la forêt hivernale de Bridle. Le club privé où elle travaille depuis presque quatre ans se situe à proximité du Trail à Seattle. Un endroit idéal pour que les clients s’envoient discrètement en l’air. La neige est tombée ces derniers jours et ce paysage immaculé apaise son esprit tourmenté.

Levi frappe et entre sans attendre de réponse. En tant que responsable de la sécurité, il en a le droit. Il ferme la porte doucement et s’assied sur le fauteuil en tweed. La décoration du club lui rappelle celle d’un film des années 20. Un cliché de ce que ces hommes riches apprécient. Pourtant, à force de travailler ici, Lévi reconnaît que ses meubles et ses vêtements de grand magasin suédois sont de piètre qualité.

— Comment ça va ? Tu penses encore à elle ?

— Oui, soupire Emma avant de se tourner vers lui. Je me dis que ça aurait pu être moi.

— On ne sait pas si elle est morte. Si ça se trouve, elle fait partie du programme et a disparu comme les autres pour refaire sa vie.

Le « programme ». Il était difficile pour elle d’y croire. Les « hôtesses » ne restent pas plus de trois ou quatre ans. Toutes économisent pour préparer leur avenir. Elles gagnent soixante-dix pour cent du montant de la passe. Une très bonne affaire quand on sait que, d’habitude, c’est plutôt les trente autres pour cent. Elles ont toutes un point commun : elles ont un projet et la prostitution n’est qu’un moyen d’y parvenir plus vite. À la fin de leur contrat, elles se volatilisent et partent faire leur vie ailleurs.

La première fois que le patron lui a expliqué le fonctionnement du club, elle n’y a pas cru. Et lorsque la première « hôtesse » a disparu, elle a failli le signaler à la police. Le secret qui entourait leur départ ne faisait qu’approfondir ses craintes. Plus tard, elle apprit que la femme qui avait précédemment occupé le poste de gérante l’avait amené vers sa nouvelle vie dans un nouvel État. Avant de partir, elle avait tenu à leur rappeler la règle d’or : ne jamais parler de leur ancienne vie et surtout pas du patron.

Mais le cas de Rose est différent. Elle n’a pas travaillé ici ; en tout cas, pas à sa connaissance.

Le rôle d’Emma consistait à la surveiller et à faire des rapports au patron. Elle s’était bien gardée de lui dire qu’elle lui paraissait instable, voire folle, à cause de ses changements d’humeur brusques. Pourtant, Rose avait eu assez de clairvoyance pour tenter de faire un grand coup qui la rapprocherait de son but.

Le contrat d’Emma prendrait bientôt fin et si elle ne parvenait pas à ses fins, qui sait de quoi serait fait demain ?

— J’ai effectué quelques recherches, mais je n’ai rien trouvé. Aucune information sur une dénommée Rose.

Levi arrange sa veste noire qui ressemble à celle d’un videur de boîte de nuit prestigieuse. À défaut d’en avoir la carrure, il en revêt parfaitement le style avec ses cheveux noirs plaqués sur sa tête.

Son rôle consiste à gentiment faire comprendre aux clients fortunés, qui se croient tout permis, que la fête est finie et qu’ils doivent partir. Il s’assure aussi que les filles ne sont pas suivies ou ne font pas de mauvaises rencontres sur la route du travail. Les clients bien sous tous rapports peuvent parfois se montrer possessifs. Eux, ou les fréquentations douteuses du patron.

— Et toi ? Comment ça va ? lui demande Emma.

— Bien. J’avance doucement mais sûrement. À quelle heure il arrive ce soir ?

— Aucune idée. Je n’ai pas le privilège de le savoir tout le temps.

— Au fait, demain je rencontre Piotr.

Emma écarquille les yeux. Levi tente d’approcher cet homme insaisissable qu’on surnomme « le fantôme » depuis son arrivée au sein du club. Au début, elle pensait, comme certaines, que son patron était le fantôme parce que personne ne l’appelle par son prénom. Après tout, ce surnom doit bien avoir une origine. Toutefois, elle s’est rapidement rendu compte que le secret était monnaie courante au club et que son patron pouvait tout aussi bien être un épais brouillard qui dissimulait le vrai décideur.

— Comment tu as réussi ça ?

— Le patron apprécie mon travail. Il veut que je rencontre la garde rapprochée de Piotr afin d’apprendre leur manière de travailler et pouvoir ensuite l’enseigner.

La « garde rapprochée » de Piotr. Ce détail confirme ses doutes. Le patron n’a pas de garde du corps, alors qu’un membre aussi important que « le fantôme » serait protégé.

— Félicitations. Je n’ai pas ce genre de privilèges.

— Ta patience et ta loyauté porteront leurs fruits. Fais-moi confiance.

— Demain, le patron assiste à sa fameuse réunion « 5 - 6 ». À quelle heure tu vois Piotr ?

— Vers 21h au nord de la ville.

— Sa réunion est à trente. Peut-être que tu vas le croiser.

— Ça m’étonnerait pas qu’il veuille s’assurer que tout se passe correctement.

— Lui et son besoin viscéral de tout contrôler, commente Emma en roulant des yeux. N’oublie pas de tout me raconter une fois le rendez-vous terminé.

— Compte sur moi. Je retourne à mon poste. À plus tard.

Avant qu’il passe la porte, Emma ne peut s’empêcher de le rattraper et de le serrer dans ses bras. Sa présence le rassure. Il est son îlot de normalité dans ce monde plein de règles et de mystère qui est devenu le sien.

Malgré un avenir incertain, elle n’attend qu’une chose : que tout ça se termine.

2.

À l’autre bout du pays, Vanessa s’accoutume à sa nouvelle liberté. Elle aussi gère un club : celui de New York. Ce soir, elle travaille, installée dans son bureau à la décoration sur le thème du moulin rouge. Pour coller à son image de gérante, elle aime porter des robes ou des tailleurs près du corps avec de hauts talons aiguilles. Son style imite celui de ces femmes fortes des séries américaines : ses modèles.

Ses rêves de voyage ont été exaucés depuis qu’elle a changé de « propriétaire » ; il déteste ce terme. Il accepte tout au mieux celui de « mari » car, oui, elle a consenti à l’épouser tout comme sa nouvelle identité américaine. Un mariage sans amour et sans sexe. Du moins au début.

Tant de choses ont changé en deux ans.

À son arrivée aux États-Unis, il l’avait abandonnée dans un appartement à Seattle en lui laissant les clés. Méfiante, elle avait attendu son retour ou l’irruption de gros bras chargés de la surveiller, voire pire. Elle était habituée aux mauvais tours de Dmitri. Mais rien. La porte était restée close, si bien qu’elle s’était sentie stupide, immobile depuis une heure, les clés à la main. Son rêve de liberté était devenu tout à coup effrayant.

Finalement, elle avait ouvert la porte dans son survêtement beige qui lui avait tenu rapidement chaud sous le soleil estival. Elle avait traîné dans un parc pour apprécier cette sensation enivrante de pouvoir faire ce qu’elle voulait.

Malgré tout, dépassée par ce nouvel environnement et cette langue qu’elle maîtrisait mal, elle avait fini par regagner l’appartement. Comme ces oiseaux apprivoisés incapables de survivre seuls dans la nature, et obligés de rentrer. Qui plus est, cette longue marche avait réveillé ses douleurs au dos causées par ces énormes prothèses que Dmitri l’avait forcée à avoir. Son « mari » n’avait pas tort, elle souhaitait plus que tout s’en débarrasser, mais hors de question de lui donner raison. Ses lèvres gonflées aussi la gênaient. Dmitri lui avait ordonné de faire une dernière injection quelques semaines avant son départ.

Ce nouveau propriétaire lui promettant qu’elle pourrait se défaire de tout ça, elle avait saisi cette chance. Après tout, elle pouvait se considérer comme ces oiseaux stupides ou au contraire comme une chatte arrogante qui profitait de la naïveté de ses maîtres. C’était en cette dernière histoire qu’elle avait décidé de croire.

Aujourd’hui, elle possède son propre appartement qu’elle a choisi, mais qu’il lui a acheté. Il l’a formée à exercer le métier d’assistante et à respecter ses règles, qu’elle s’amuse à contourner pour lui rappeler, ou plutôt se rappeler à ellemême, qu’elle a un libre arbitre.

Le Neuf, club qu’elle gère, se situe au nord de Newark. Elle ouvre l’agenda en cuir dans lequel elle note les réunions de son patron. Il déteste tout ce qui est dématérialisé, synonyme d’insécurité selon lui. Tous ses rendez-vous sont qualifiés par des numéros. Elle sait seulement, pour avoir réservé les billets, qu’il est de retour de Seattle et que ces derniers mois, il multiplie les voyages au Mexique.

Du coin de l’œil, deux ombres attirent son attention et elle lève la tête en direction du couloir. Une fenêtre sans teint lui permet de voir les employées et parfois leur client. Elle aperçoit une silhouette féminine qu’elle n’a jamais rencontrée. Pourtant, elle connaît bien les dix filles qui travaillent au club. Elle sort et tombe sur Lilas, une hôtesse aux cheveux châtains qu’elle a recrutée quelques mois auparavant. Une autre fille en robe de soirée l’accompagne. Celle-ci lui semble jeune, beaucoup trop jeune.

— Bonsoir Lilas. C’est qui elle ?

— Ah. Vanessa. Bonsoir. Euh, elle ? Elle vient du club de Floride, fais pas attention. C’est une demande spéciale d’un client.

— Elle a quel âge ? Il y a d’autres clubs ?

Lilas rougit et la jeune fille répond avec assurance :

— J’ai vingt-et-un ans.

Du haut de ses talons, l’employée d’un soir la toise avec insolence. Malgré le maquillage, son visage rond et son regard innocent la trahissent. Son rouge à lèvres déborde pour créer une bouche plus charnue. Cette technique, Vanessa l’a aussi utilisée avant que Dmitri ne décide de passer par la case aiguille. Le produit a disparu de son organisme il y a seulement six mois.

Elle lève le doigt pour leur ordonner de ne pas bouger et téléphone à son patron.

— C’est qui la nouvelle ?

— Une commande spéciale. Elle ne restera pas. J’ai demandé à Lilas de s’en occuper.

— Elle ment ? Quand elle dit qu’elle a vingt-et-un ans ?

— Elle donne l’âge qu’elle doit donner pour son client de ce soir.

— Elle est mineure, murmure Vanessa.

— On en parlera à mon retour.

— Non, attends. Elle a quel âge ?

— Vanessa.

Quand elle commence à dépasser les limites, il prononce son prénom avec froideur. Dans sa voix, une colère sourde gronde, à la manière d’un ciel sombre annonciateur d’un orage.

— Retourne dans ton bureau. S’il te plaît. Elle n’est pas toi. Sa situation est différente de la tienne. D’accord ?

Sa mâchoire se serre, comme à chaque fois qu’il l’empêche de faire une bêtise en la raisonnant. Les plus anciennes employées s’étonnent de la patience dont il fait preuve envers elle : « Tu dois vraiment être la bonne », lui glissent-elles parfois. « La dernière est morte pour moins que ça », lui disent d’autres.

— D’accord, réplique-t-elle en claquant la porte de son bureau. J’espère que ce porc est sur ta liste de mecs à buter.

Elle raccroche, lance son téléphone sur son bureau et sent les larmes monter. « Tout est différent », se répète-t-elle. « Je ramène peut-être des filles comme la femme qui est venue me chercher quand mes parents m’ont vendue, mais elles sont consentantes ».

À travers la vitre sans teint, elle voit l’ombre de son garde du corps se poster devant la porte. Son patron sait déjà comment la soirée va se terminer.

3.

Les êtres humains sont compliqués et contradictoires.

C’est ce qui les rend faibles.

Je le sais et pourtant, j’ai engagé Vanessa. Ces deux dernières années avec elle ont été difficiles. Mais rien qu’elle ne m’aurait préparé à affronter.

L’âme de Vanessa m’est apparue de façon limpide dès le premier jour. Sa rage de vivre et sa fragilité aussi. Les raisons pour lesquelles je lui ai proposé de me rejoindre.

Le portail de la villa de Piotr s’ouvre lentement et se referme sur ma voiture. Il a choisi un lieu de vie discret, quoique ostentatoire. Le jardin est un mélange de topiaires et de statues d’art contemporain en béton. Peu importe, il fait parfaitement illusion.

En me garant devant l’entrée, je perçois les fréquences de quatre individus. À ma demande, il a congédié ses domestiques ; un autre élément qui amène de la crédibilité au personnage. Le jugement des humains repose sur les apparences malgré ce qu’ils prétendent.

L’une de ces présences est inquiète. Ses ondes me parviennent comme un électrocardiogramme violacé. En ouvrant la porte, l’odeur de son angoisse vient agrémenter le tableau, couverte par celle de Piotr et de son parfum d’une marque française ainsi que l’aftershave bon marché des gardes du corps.

— Mais regardez qui nous fait l’honneur de se joindre à nous : le patron en personne, s’exclame Piotr en ouvrant grand les bras pour m’accueillir. Il t’a chaudement recommandé, Levi, même si tu dois déjà le savoir.

— Patron ? s’étonne Levi dans un sursaut. Qu’est-ce que vous faites ici ? Vous ne m’aviez pas dit que vous seriez présent.

En deux ans de collaboration, sa crainte envers moi ne l’a jamais quitté.

— Levi. Comment se passe cet échange ?

Piotr ne prête déjà plus attention à nous, absorbé par son téléphone. Ils sont installés dans le petit salon près de son bureau. Je prends place sur le fauteuil à côté de Piotr. Ces sièges de designer sont aussi confortables que le lit de ma cellule au sanatorium.

— Euh… J’apprends plein de trucs.

Avec le temps, le vocabulaire des Américains s’est appauvri.

Face à nous, Levi est assis sur un canapé, cerné par deux gardes du corps qui, de toute évidence, ont bien joué leur rôle.

— Rappelle-moi, Levi, que faisais-tu avant de travailler dans la sécurité ?

— Eh bien, je… j’enchaînais les p’tits boulots et j’ai tenté de devenir auteur. Bref, la sécurité, ça paie mieux.

— Comment reconnaîtrais-tu un traître ?

Sa fréquence se mue en pics nets et aigus. Comme celles des gardes qui l’entourent. Malgré leur innocence, ils ont peur. Piotr exulte. Nous avons réussi à capter son attention.

— Il n’y en a pas, finit par répondre Levi.

— Ce n’est pas la question que je t’ai posée.

Son corps se raidit et ses pupilles se mettent à trembler, cherchant une voie de sortie.

— Que penses-tu d’Emma, par exemple ?

— Emma est votre fiancée, patron. Vous l’avez choisie. Elle est sûre.

— Et parmi les employés ?

Piotr se lève pour se rendre dans son bureau, puis revient une tablette à la main.

— Euh… je me méfie un peu de la blonde, Marissa. Ou Monique.

Il secoue la tête pour appuyer ses fausses accusations. Sa coiffure impeccable laisse échapper quelques mèches. Il croit que ces mensonges vont le sauver. Je me tourne vers Piotr qui se racle la gorge et lit sur la tablette :

— « Dans ce réseau digne d’un film, on ignore qui tire réellement les ficelles. Seule chose certaine, cet écosystème criminel est couvert par les plus grandes figures de la ville, voire du pays. Le fantôme n’est pas une, mais plusieurs personnes qui entretiennent son mythe et tentent de faire croire à une chimère. Durant mes deux années d’infiltration, il m’a été difficile de discerner le vrai du faux, mais j’y suis parvenu. Et voici l’histoire du plus grand réseau criminel des États-Unis, voire du monde : celui du fantôme. » Fin de citation.

Piotr redresse la tête.

— Tu connais les règles, Levi, dit-il en secouant la tête. Ou plutôt, Edward. Il n’y a rien de pire que la délation dans ce « plus grand réseau criminel des États-Unis, voire du monde ».

Les gardes du corps attrapent Levi par les épaules et le lèvent de force.

— Vous vous en sortirez pas comme ça ! Si vous me faites quoi que ce soit, ça finira par se savoir, toute la population se tournera contre vous et les autorités seront obligées d’intervenir. J’ai… J’ai commencé à poster sur mon blog !

— Encore un mensonge…

Le regard d’Edward posé sur Piotr se tourne lentement vers moi, et il fronce les sourcils.

— Tu es le fantôme, m’accuse-t-il. C’est toi, hein ? Piotr n’est qu’une marionnette.

— Eh ! Me traite pas de marionnette.

— Tu t’en sortiras pas comme ça !

Edward essaie de se rassurer. Il croit que le monde peut être juste. C’est un mensonge que beaucoup se racontent.

Les gardes du corps l’emmènent dans une pièce entièrement carrelée et éclairée par des spots. Piotr a désiré mélanger le travail et le plaisir, et il l’utilise autant pour satisfaire ses délires sadomasochistes que pour torturer ceux que je lui désigne.

Comme dit l’adage, il faut garder ses ennemis près de soi. Et dire que Rose a failli briser cet équilibre précaire en pactisant avec eux.

Aucun des articles de Levi n’est parvenu jusqu’à ses supérieurs. À la place, ils ont reçu des textes rédigés par une intelligence artificielle. Les humains sont si prévisibles que celle-ci a parfaitement fait illusion en produisant le contenu qu’ils voulaient lire.

L’annonce de sa mort sera diffusée à la télévision. Je m’en assurerai. Cela sonnera comme un avertissement pour certains et pour un appel irrépressible à la justice pour d’autres. Et ces deux forces s’annuleront.

4.

Sa mauvaise habitude de se ronger les ongles la chatouille. Emma patiente dans un café miteux loin de Seattle, à la frontière canadienne. Elle a roulé trente minutes de plus que prévu afin de s’assurer que personne ne la suivait. Son rendez-vous arrive enfin dans un imperméable couleur camel.

— Vous vouliez me voir, monsieur ?

— Hayleen, vous rentrez avec moi. Tout de suite.

Emma se retient de porter son doigt à sa bouche pour lui demander de taire sa véritable identité. Elle tient cette couverture depuis plus de trois ans. Un petit dealer rancunier lui avait donné l’idée d’infiltrer ce réseau : sa petite amie venait de se faire recruter au club après l’avoir quitté et il considérait n’avoir plus rien à perdre. Emma avait d’ailleurs rencontré ladite petite amie qui était encore en poste et d’après ce qu’elle lui avait raconté, elle avait bien fait de partir.

— Notre indic est mort, l’informe l’homme.

— Non. Joe est mort ? Vous êtes sûr ?

— Oui.

— C’est peut-être ce Piotr. Je parie que le fantôme, c’est lui. Levi, le journaliste dont je vous ai parlé, l’a rencontré hier soir.

Je suis sûre qu’il pourra m’en dire plus.

— Là n’est pas la question. S’il est mort, vous savez ce que ça signifie pour votre couverture. C’est terminé.

— Sommes-nous sûrs qu’il ait été tué par le fantôme ou le patron ? Il y a mille raisons de mourir prématurément pour un dealer. Je ne peux pas abandonner maintenant. J’ai réussi à infiltrer un réseau mondial. Je le sais. Ce gala en était la preuve. Il me fait confiance. Je suis sûre que je peux trouver quelque chose.

— Cela fait plus de trois ans que vous êtes infiltrée et vous avez à peine aperçu une ligne de coke.

— Faites-moi confiance. S’il vous plaît.

L’une des qualités recherchée chez un agent du DEA, la police antidrogue américaine, est l’obéissance. Pourtant, aujourd’hui, Hayleen refuse d’obéir. Son supérieur, monsieur Wolf, tient toujours sa tasse de café maintenant froid dans la main. Il tord la bouche d’un côté puis de l’autre. Lui aussi a des choses à cacher et des personnes qu’il ne veut pas décevoir.

— Cette mission montre déjà à quel point je vous ai fait confiance. Vous en avez fait assez. Ce soir, vous faites vos valises, vous lui racontez n’importe quelle salade et vous disparaissez.

— Laissez-moi le temps de renvoyer la dernière fille. Elle termine à la fin de la semaine. Je l’ai vue arriver et je voudrais la voir partir vers un meilleur horizon.

Wolf tord la bouche à nouveau d’un côté puis de l’autre, faisant danser les rides sur son visage, et finit par acquiescer.

— Si je ne vous vois pas à la fin de la semaine, je monterai une opération spéciale s’il le faut, mais je vous ferai sortir.

Hayleen fronce les sourcils. L’insistance de son supérieur lui paraît tout à coup étrange. Certes, il n’était pas enthousiaste à l’idée qu’elle infiltre le club et a eu beaucoup de mal à faire approuver l’opération. De prime abord, rien ne liait ce club au trafic de drogue, mais son intuition la trompe rarement. Après avoir croisé quelques têtes pensantes de la police fédérale au club ou dans les soirées auxquelles elle a assisté, elle est désormais certaine d’être au bon endroit. L’identité du fantôme doit forcément se trouver dans le carnet d’adresses du patron.

— Très bien. C’est compris, monsieur. Y a-t-il de nouvelles informations que je devrais connaître ?

Wolf fixe Hayleen droit dans les yeux, hésitant. Il l’a vue grandir à ce poste et se montrer féroce face aux agents masculins. Elle se porte toujours volontaire pour ce genre d’opérations et sa proposition ne l’avait pas étonné. Tout comme lui, Hayleen veut nettoyer les rues de la drogue et rêve de faire tomber un cartel. Mais anéantir celui du fantôme est peut-être trop ambitieux.

— Non. Rien d’autre. Je dois y aller.

Wolf jette un coup d’œil à sa montre, laisse quelques billets sur la table et se lève. Avant de partir, il pose sa main sur l’épaule d’Hayleen :

— Faites attention à vous.

— Comptez sur moi, monsieur. Je rentrerai ce week-end.

5.

Il est 2h du matin quand Vanessa ferme les portes du club. Accompagnée de quelques employées, elles se rendent en boîte de nuit suivies de près par un garde du corps. Sa présence remplace celle du patron. Ce dernier sait dans quel état elle va finir après avoir croisé la jeune hôtesse.

Son nez est douloureux d’avoir trop tiré sur ses lignes de cocaïne ; un mélange spécial qu’il lui donne afin qu’elle ne cherche pas des substances encore plus toxiques ailleurs. Ce qu’il aime est bien plus fort et dangereux et elle ne l’a jamais vu en prendre.