Captive - La Faille - Julie Jean-Baptiste - E-Book

Captive - La Faille E-Book

Julie Jean-Baptiste

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Beschreibung

Comment peut-on être meilleur qu'un humain mais traité au même rang qu'une souris de laboratoire ? Captive est un thriller psychologique SF. Une quête d'identité et de liberté. Une tentative d'adaptation pour ces mutants dans un monde où ils dérangent autant qu'ils fascinent. URSS - Automne 1958 Les sujets numéro Un et Deux ont été créés avec des capacités surhumaines dans le but de représenter et servir leur patrie. Mais ce n'était pas ce que voulait leur créateur, le professeur Daniil, qui s'est enfui et les a cachés dans un manoir perdu dans la campagne russe. A son départ, il passe le flambeau à un confrère. Cependant, celui qu'ils attendaient n'arrivera jamais. A la place, c'est le docteur Zaystrev Jonathan qui prend sa place. Prêt à tout pour imposer ses intentions à l'opposé de ce que leur créateur souhaitait.

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Seitenzahl: 195

Veröffentlichungsjahr: 2021

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Comme un phénix, qui doit passer par le feu destructeur pour renaître, je me devais de m’embraser pour me délivrer. J’avais besoin que ces pans de moi-même tombent en cendres comme dans l’un de ces rites humains. Pour enfin l’atteindre : la liberté. Et te retrouver.

ÉPILOGUE

Comment en est-on arrivés là ? Comment me suis-je retrouvée, le corps endolori, parcourant les couloirs d’une maison inconnue à ta recherche ? Comment se fait-il qu’en te retrouvant face à moi, tu m’aies regardée comme une inconnue ? Comme la première fois où tu as posé les yeux sur moi, troublé de réaliser que j’existe vraiment. Que ce soit ton corps ou le mien, ils ne peuvent nous donner aucun indice sur notre passé.

Pourtant, nous sommes là, aujourd’hui, l’un en face de l’autre et pour la première fois, une larme coule au coin de ton œil et tes mains tremblent.

S’il te plaît, raconte-moi. Dis-moi tout sans rien oublier. Comment en est-on arrivé là ?

Sommaire

Chapitre

Chapitre

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1.

La pluie tombait sur le manoir et sa dépendance. C’était l’automne. Les arbres prenaient des teintes orangées et le froid rude de l’hiver approchait.

Le sujet Numéro Deux observait le sujet Numéro Un qui lisait, confortablement installée dans le vieux fauteuil en cuir de la bibliothèque. Une gnossienne d’Erik Satie crépitait sur le tourne-disque, entouré par les étagères, qui croulaient sous le poids des livres.

Le visage de Numéro Un avait encore la rondeur de l’enfance. Ce qui contrastait avec le chignon strict et la jupe tailleur qu’elle portait.

Numéro Deux détacha les premiers boutons de la veste de son uniforme et soupira.

— Il semblerait que nos invités aient du retard, constata-t-il.

— Un problème sur la route, sûrement.

Elle sourit faiblement. Deux était impatient. Cependant, les personnes qu’ils attendaient n’avaient pas moins de six heures de retard.

La dépendance du manoir, dans laquelle ils vivaient, se situait au milieu de la forêt et était difficile à trouver. Situé à deux heures du village le plus proche, le manoir était une légende que se racontaient entre eux les habitants. Néanmoins, grâce aux indications du professeur Daniil, le précédent propriétaire des lieux, il était plutôt aisé de s’y rendre. Avoir six heures de retard était donc un exploit. L’opinion de Numéro Deux concernant ce nouveau propriétaire était mauvaise.

Soudain, Numéro Un leva les yeux de son livre et le ferma.

— Je crois qu’ils arrivent.

Deux se leva brusquement, lui faisant signe d’attendre. Elle leva les yeux au ciel et posa son menton sur son poing. Il était vraiment trop protecteur avec elle.

Les voitures entendues par Numéro Un étaient encore loin, se démenant aux abords de la forêt qui entourait le domaine. Son ouïe exceptionnelle lui permettait d’entendre jusqu’à plusieurs centaines de mètres.

Deux descendit lestement les escaliers et patienta devant l’entrée, les bras croisés.

Quelques minutes plus tard, il entendit le crissement des freins des véhicules dans l’allée et des voix crier des ordres. Numéro Un choisit ce moment pour sortir de la bibliothèque et attendre leurs convives, assise en haut des marches. La pluie déferlait sur la fenêtre donnant sur l’escalier en bois.

Enfin, la porte d’entrée claqua et un ouvrier en imperméable noir, dégoulinant de pluie, entra brusquement en tirant une malle. Juste derrière lui, un homme de taille moyenne, mince, coiffé d’un élégant chapeau noir, entra à son tour. Il avait dans une main un parapluie qu’il secoua énergiquement et dans l’autre une mallette. Il se rangea sur le côté afin de faire place aux autres arrivants. À sa suite, des employés déchargeaient des affaires. Deux s’étonna de constater que ses invités n’avaient pas pris la peine de frapper.

— Bonjour, intervint Deux, l’homme ne l’ayant pas encore remarqué.

L’homme à la mallette sursauta et arrangea ses petites lunettes rondes sur son nez. Numéro Un descendit les escaliers à son tour. Deux lui lança un regard de travers, ennuyé qu’elle ne l’ait pas écouté et lui opposa sa main afin qu’elle n’avança pas plus près.

— Qui êtes-vous ? demanda l’homme en les examinant, les sourcils froncés. Êtes-vous les enfants du gardien ? On ne m’avait pas prévenu que quelqu’un surveillait les sujets.

— Je suis le sujet Numéro Deux et voici le sujet Numéro Un.

L’homme ouvrit grand les yeux.

— Sujets numéro Un et numéro Deux ?

— Oui.

— Comment se fait-il que vous soyez en liberté ?

Deux leva un sourcil et recula d’un pas, invitant Un à intervenir. Ce qu’il venait d’entendre ne lui plaisait pas et il ne put retenir une expression de dégoût sur son visage. Numéro Un saurait quoi dire. Elle avait bien plus de patience et de diplomatie que lui.

— Bonjour. Vous devez être le docteur Petrov, je suppose ? Enchantée de vous connaître.

L’homme semblait totalement abasourdi face à cette jeune fille d’un mètre cinquante-huit. Il dévisagea Numéro Un avec de grands yeux surpris et resta sans voix. Puis, il reprit ses esprits et répondit enfin :

— Je suis le docteur Zaystrev. Mais je vous en prie, appelez-moi Jonathan. Le docteur Petrov a dû renoncer à venir. On m’a demandé de m’entretenir avec le sujet numéro Un à ce propos. Cependant, je ne m’attendais pas à me retrouver face à une enfant.

— Vous devriez vous méfier des apparences.

Tous les employés étaient maintenant à l’intérieur. Réunis dans l’entrée, ils attendaient qu’on leur donne des instructions. Ils s’étaient débarrassés de leurs imperméables trempés qu’ils avaient entassés dans un coin de l’entrée. Le parquet ne s’en remettrait peut-être pas.

Il y avait trois femmes et cinq hommes. Parmi eux se trouvaient Mathilda, une infirmière qui avait déjà travaillé pour eux, ainsi qu’Alexeï, un ancien assistant du professeur Daniil.

— Souhaitez-vous faire le tour du propriétaire ? proposa Un.

— Non, répondit Jonathan avec dédain. Alexeï se chargera de me faire visiter les lieux. Je souhaiterais que vous retourniez dans vos quartiers. Je viendrai faire le point avec vous quand nous aurons terminé de nous installer.

— Très bien.

Numéro Un, suivie de près par Numéro Deux, monta dans leur chambre.

— Je n’aime pas cet homme, déclara Deux une fois la porte fermée.

— Laissons-lui une chance. Il a été nommé à la dernière minute. Il n’a sûrement pas reçu toutes les informations. Tu sais que notre condition peut être mal interprétée.

— Quelque chose me dérange.

— Moi aussi. Mais pour le moment, attendons. On avisera par la suite.

Ils patientèrent dans leur chambre jusqu’au soir. N’entendant plus personne, Un et Deux se rendirent à la salle à manger pour dîner. Il était minuit, tout le monde dormait. Dans la cuisine, sur le comptoir, ils trouvèrent deux assiettes couvertes par un torchon, accompagnées d’un mot : « Votre dîner. Désolé. Alexeï. »

— Je n’aime vraiment pas ce docteur, renchérit Deux.

2.

Des trombes d’eau s’abattaient sur la vitre du van. Coincée à l’arrière avec Vera Solovyov et Edna Novikov, ses deux nouvelles collègues, ainsi qu’une valise, l’infirmière Mathilda Kuznetsov observait la forêt qui les entourait. La pluie tombait si fort qu’elle ne lui laissait pas beaucoup de visibilité, mais elle préférait cela au discours ennuyeux de ses futurs collègues. Elle avait cessé de les écouter lorsque l’homme qui se trouvait au volant, un ouvrier nommé Bernard Nowak, avait comparé le sujet Numéro Un à Baba Yaga.

Tout à coup, le conducteur appuya sur le frein et elle se cogna la tête contre le siège avant.

— Faites donc un peu attention !

— Désolé, mademoiselle. Mais ça s’est arrêté devant.

Le visage de Bernard, marqué par des cicatrices dues à l’acné, se tourna vers elle. Il avait l’air stupide. Sa carrure imposante, ratatinée par l’habitacle étroit du van, lui donnait un air encore plus benêt. Mathilda se pencha et jeta un coup d’œil par le pare-brise, en arrangeant le foulard noué autour de ses cheveux. L’endroit lui rappelait vaguement quelque chose. Si elle ne se trompait pas, ils étaient encore loin de leur destination.

— Nous sommes perdus.

— Quoi ? s’écrièrent en cœur les trois passagers qui l’accompagnaient.

— À ce rythme-là, nous n’y arriverons jamais avant la tombée de la nuit.

Une lueur de terreur apparut dans le regard de Vera, qui se cacha la bouche avec sa main blanche.

— Au moins, si nous nous perdons, la Baba Yaga nous trouvera, ajouta Mathilda sur le ton de la rigolade.

Sa collègue, offusquée, lui donna une tape sur l’épaule et se signa.

— Pourquoi n’écoute-t-il pas Alexeï ? Nous serions arrivés depuis bien longtemps. Nous avons déjà presque six heures de retard.

Alexeï avait travaillé avec Mathilda au côté du professeur Daniil. À sa connaissance, il se trouvait dans la voiture de tête. Il avait été désigné comme le bras droit du nouveau docteur afin de le guider dans son installation.

— Croyez-vous qu’ils nous feront payer notre retard ? demanda Vera.

— Petite sotte. Pourquoi avoir accepté de venir travailler ici si vous avez si peur d’eux ?

Elle baissa les yeux, gênée. Edna lui lança un regard noir et reprit la broderie qu’elle avait dans les mains. Le moteur redémarra et le trajet reprit. Lorsqu’ils approchèrent enfin de la dépendance, la pluie ne tombait plus aussi fort. Mathilda sourit tristement en se souvenant du jour où elle avait quitté les lieux, un an plus tôt.

Le professeur Daniil avait manqué de fonds et avait craint de ne plus pouvoir la payer. Il l’avait alors congédiée. Lorsque Mathilda avait été convoquée par le nouveau directeur, elle avait été ravie, bien qu’inquiète. Ce contretemps sur leur itinéraire ne faisait que conforter son inquiétude. Ce docteur Jonathan semblait particulièrement têtu et ses intentions étaient difficiles à cerner.

Bernard lui ouvrit la portière avec un imperméable noir à la main, qu’il lui remit. Ses collègues et elle durent aider à décharger le camion. Vu le retard qu’ils avaient accumulé, il était hors de question d’attendre que le temps soit plus clément. Ce fut donc sous la pluie qu’ils se mirent à récupérer les énormes bagages du docteur. Essentiellement du nouveau matériel, lui semblait-elle. Elle se rappelait avoir vu des équipements similaires à l’hôpital de Moscou, lorsqu’elle y avait travaillé.

Essoufflée, elle s’arrêta un moment. Il avait enfin cessé de pleuvoir. Devant elle, l’aidant à porter une malle, Edna semblait tout aussi fatiguée. Elles évitaient péniblement les flaques de boue entre le gravier qui pavait l’entrée tout en faisant attention à ne pas abîmer les précieux bagages du docteur. Mathilda leva la tête vers la fenêtre de la bibliothèque. Furtivement, elle crut apercevoir la silhouette de Numéro Un qui les observait.

— Est-ce que… c’était elle ? lui demanda Vera qui se trouvait derrière elle.

— Je pense que oui.

— Comment devons-nous les appeler ? Parlent-ils notre langue ?

— Oh, taisez-vous, Vera. Vous m’agacez avec vos questions stupides.

Elle fit signe à Edna de repartir et emboîta le pas d’un ouvrier qui poussait une lourde caisse.

Dans l’entrée de la dépendance, tout le monde était rassemblé sous le vieux lustre en fer forgé, attendant les prochaines instructions du nouveau directeur.

L’endroit n’avait pas changé. Le lambris recouvrait les murs de moitié, suivi de près par les tapisseries défraîchies. Le hall d’entrée, qui desservait les salles communes, un dortoir, la cuisine et l’escalier, n’était qu’un lieu de passage, vide de tout objet.

Le visage de Vera s’empourpra à la vue du sujet Numéro Deux, qui se tenait devant Jonathan. Il ressemblait à un jeune prince rebelle. Les premiers boutons de sa veste étaient défaits, négligemment, laissant apparaître sa chemise blanche à col officier. Il se tenait avec les mains dans les poches, ce qui lui donnait un air nonchalant et sûr de lui.

Mathilda remarqua la distance qu’il essayait de maintenir entre Numéro Un et le nouveau propriétaire. L’instinct de protection de Deux envers Un avait sûrement dû se renforcer. Si ce docteur faisait un seul faux pas, elle ne donnait pas cher de lui et des autres. Voire d’elle-même, si Deux la considérait comme une traîtresse. Elle hésita à partager cette réflexion avec sa collègue, mais se retint. Cette dernière risquerait de se mettre à hurler et courir partout.

Derrière lui, avec la prestance d’une future tsarine, se tenait la petite Numéro Un, qui la salua en lui adressant un léger signe de la tête et un sourire. Mathilda lui sourit en retour. Numéro Un n’avait évidemment pas changé. Elle était adorable dans son uniforme. Malgré son air enfantin, on sentait toute la maturité d’une femme à travers sa posture et son regard.

— Mathilda ? lui chuchota Vera à l’oreille. Est-ce que ce sont eux ?

— Oui, Vera. Vous voyez, il n’y avait rien à craindre.

— C’est impossible. Le monstre est plutôt beau garçon.

— Cessez avec ce mot.

Vera balaya une mèche de ses cheveux châtains derrière son oreille et échangea quelques gloussements avec Edna. Il ne manquait plus que ça. « Cette petite sotte est sous son charme », pensa Mathilda.

Devant elle, Alexeï, crispé, écoutait attentivement la conversation entre le docteur et le sujet Numéro Un. Quelle que soit la teneur de leurs propos, cela ne plaisait pas à son collègue, qui était mal à l’aise. Une fois la discussion terminée, les sujets remontèrent à l’étage, certainement dans leur chambre. Perplexe, Mathilda s’avança vers Alexeï qui semblait franchement embêté.

— Alexeï, que se passe-t-il ? Pourquoi sont-ils partis à l’étage ? Ils ne veulent pas rester pour nous donner un coup de main ?

— Le docteur Jonathan préfère qu’ils se reposent avant le début des recherches.

— Mais nous allons mettre des heures à tout rentrer.

Alexeï lança un coup d’œil vers Jonathan, puis haussa les épaules de dépit.

— Vous savez peut-être comment traiter avec ces bêtes, mais tout le monde n’y est pas encore habitué, déclara Jonathan. Pour notre sécurité, il est préférable qu’ils restent là-haut, dans leur appartement. D’ailleurs, si je comprends bien, ils ont une chambre ? demanda-t-il en se tournant vers Alexeï.

— Oui, ils partagent une chambre. Celle qui se trouve à côté de la bibliothèque.

— Je pensais qu’ils seraient enfermés dans des cages.

— Comme des cobayes, vous voulez dire ?

— C’est ce qu’ils sont, après tout. Mais enfin, ils ne se sont pas échappés. Cela prouve qu’ils ont besoin d’un maître pour les diriger.

— Vous devriez vous méfier au lieu de fanfaronner, cracha Mathilda, remontée contre ses collègues et son nouveau patron. Suivez-moi, mesdemoiselles, nous allons nous installer dans nos quartiers.

— Allons-nous vivre là-haut, avec eux ? demanda Edna, craintive

— Cela vous pose-t-il un problème ? Vous préférez peut-être rester en bas, dans le dortoir des hommes ?

— Non, du tout. Je vous suis.

Mathilda monta les escaliers, frappant chaque marche comme si elle leur en voulait. Vera et Edna la suivaient de près, sur leurs gardes.

Le dortoir des femmes comptait six lits. Le mobilier était spartiate et les matelas à ressorts grinçaient lorsqu’on s’assaillait dessus. Chacune d’entre elles rangea ses vêtements et effets personnels dans la garde-robe attenante et dans le coffre en bois situé au pied de leur lit.

— Pourquoi le dortoir des femmes est-il situé ici ? demanda Vera. C’est dangereux.

— Il se trouve à côté de leur appartement afin qu’ils puissent nous protéger. Au cas où.

— Nous protéger de quoi ?

— Des attaques ennemies ou du gouvernement.

Vera et Edna pouffèrent de rire. Cela leur paraissait totalement improbable dans cette forêt perdue au milieu de nulle part.

— Cela ne risque pas d’arriver. D’autant plus que nous sommes employés par le gouvernement.

— Comment ?

Mathilda avait presque failli oublier ce détail, qui avait pourtant fait la fierté de son fiancé lorsqu’il avait compris qu’elle serait membre du prestigieux comité pour la sécurité de l’État.

— Cela vous avait-il échappé ? Quant à Jonathan, il est le nouveau directeur des expériences spéciales. Nous ne risquons donc plus de nous faire attaquer par le gouvernement. On devrait déménager, vous ne croyez pas ? Savez-vous s’il y a d’autres pièces ?

— La dépendance ne compte que deux chambres et deux dortoirs.

— Et le manoir qui se trouve à côté ?

— C’est une ruine à l’abandon depuis Dieu seul sait quand.

— Pourquoi les appréciez-vous autant ? demanda Edna. Ce ne sont que des armes de destruction. Violents, sanguinaires. Ils ne sont même pas vraiment humains.

— Que savez-vous d’eux sinon les rumeurs que vous avez glanées dans les couloirs avant de venir ici ? Savez-vous quelle est la véritable raison de leur existence ? J’ai vécu dix ans avec eux. Ce sont des êtres extraordinaires, bien plus humains que vous autres.

— Il n’empêche que maintenant, vous êtes une vieille fille et vous ne risquez pas de vous marier en vous enterrant ici pour les dix prochaines années. Moi, je suis encore jeune. Ce travail confortablement rémunéré m’apporte une bonne dotation pour mon avenir. Mais qu’en est-il pour vous ?

Mathilda devint rouge de honte. Le teint frais de ses collègues la narguait. L’infirmière avait quelques rides et des cheveux blancs commençaient à faire leur apparition dans ses boucles noires. À trente-six ans, elle n’était toujours pas mariée. Elle avait bien un compagnon qu’elle avait promis d’épouser, dans son village près de Moscou. Il travaillait comme embaumeur au sein de l’hôpital dans lequel elle exerçait. Elle l’avait convaincu que la paye généreuse qu’elle recevrait en travaillant pour le docteur Zaystrev leur permettrait d’acheter une maison et d’élever leur enfant paisiblement. Il avait accepté à une condition : qu’elle n’y reste qu’un an. Étant nourrie et logée sur place, elle ferait d’énormes économies. Cependant, au vu de la situation, elle se demandait si elle n’allait pas rester plus longtemps.

Sa carrière d’infirmière avait commencé ici, dans ce manoir. Avant cela, le docteur Daniil avait été son professeur à l’école d’infirmière ; il avait accepté ce poste afin de financer un projet personnel ambitieux : créer des êtres génétiquement sélectionnés. « Il veut ramener Jésus à la vie », avait-elle cru en l’écoutant la première fois. Le docteur Daniil souhaitait créer une armée de la paix. Numéro Un n’était qu’une ébauche, mais quel excellent début ! Intelligente, habile, dotée de capacités hors du commun qu’il n’avait sûrement pas fini de découvrir. Des êtres supérieurs, censés remplacer le peuple russe pour les rendre meilleurs et faire briller la patrie à travers le monde. Répandant la paix et prenant des décisions éclairées pour le bien d’une humanité primitive. Malheureusement, les choses ne s’étaient pas tout à fait passées comme il l’avait imaginé.

Alexeï frappa à la porte, la sortant de ses pensées.

— Mesdemoiselles, veuillez m’excuser, mais nous avons besoin de votre aide. Nous avons beaucoup de matériel à installer.

— Nous vous rejoindrons dans un instant, Alexeï.

Le soir, au dîner, Alexeï et Mathilda s’isolèrent du reste du groupe, s’installant sur une table près de la fenêtre de la salle à manger. Ils restèrent en silence un moment. La situation était étrange. Jamais ils n’auraient cru devoir revenir ici et prendre à nouveau un repas dans cette salle à manger mal éclairée et rustique. En partant, Daniil leur avait fait comprendre qu’il ferait son possible pour que cela ne se produise plus. Ils avaient déjà pris tant de risque pour évincer le comité de leur vie. Il ne voulait pas les mettre en danger. Et il n’avait pas eu tort de se méfier, car malgré tous ses efforts pour qu’il garde leur indépendance, le gouvernement en avait décidé autrement.

— Où sont-ils ? s’enquit Mathilda. Nous devrions les appeler pour qu’ils viennent manger avec nous.

— Non, ce n’est pas une bonne idée.

— Alexeï, vous devez le convaincre du caractère inoffensif des sujets.

— Je n’ai déjà pas réussi à le convaincre de suivre la bonne route pour venir jusqu’ici. Cet homme est têtu et suffisant. Je ne sais pas quelles sont ses intentions et cela m’inquiète. Je crains de ne pas pouvoir rester très longtemps. Juste le temps de l’aider à s’installer…

— Vous n’allez pas faire ça ? Vous n’allez pas les abandonner à cet être perfide ?

— J’ai encore une chance de trouver un bon poste ailleurs. La réputation du docteur Daniil à la suite de ses agissements n’a pas encore entaché ma personne. Je dois en profiter tant qu’il est encore temps.

— Ils ont confiance en vous.

— Les sujets sont suffisamment intelligents pour savoir… pour savoir…

— Que cachez-vous ?

Il regarda autour de lui pour voir si quelqu’un les observait, puis passa ses mains dans ses cheveux ébouriffés et sa barbe hirsute.

— Daniil n’a pas choisi cet homme. C’est le gouvernement qui l’a nommé à ce poste afin de récupérer ce projet une bonne fois pour toutes et leur objectif est très éloigné de l’objectif initial. Le docteur Petrov n’a pas renoncé à venir ici, on l’en a empêché. Il a été arrêté en Allemagne.

— Dans ce cas, qui est ce docteur ?

— Un savant fou. Je ne sais pas ce qu’il ambitionne, mais cela ne me dit rien qui vaille.

— Si seulement Daniil n’avait pas fourré son nez dans les affaires du comité.

— Il n’avait pas le choix. S’il ne l’avait pas fait, les deux sujets auraient été capturés et qui sait ce qu’ils seraient advenus d’eux ? Cela aurait pu être bien pire.

— Il est quasiment impossible de mentir à cette enfant, Alexeï, vous le savez.

— Nous ne lui mentons pas. Je suis certain que Numéro Un est déjà au courant. Du moins, elle se doute de quelque chose. Mais sa nature la pousse à faire confiance et à ignorer les faits lorsqu’elle pense que c’est dans son meilleur intérêt. Elle ne nous mettra jamais dans une situation délicate. Elle a confiance en nous.

— Nous n’honorerons pas cette confiance en fuyant, comme vous envisagez de le faire.

— N’oubliez pas que nous n’étions plus censés les revoir. Ils sauront quoi faire. Désormais, leur avenir est entre leurs mains.

— Ils n’ont aucun libre arbitre. Leur vie entière leur a été dictée par Daniil.

— Alors ils devront apprendre.

— Mais que deviendront-ils ? Les services secrets ne les lâcheront pas.

— Voyons, Mathilda, vous savez que ce sera le cadet de leurs soucis. Leur plus grand défi sera de trouver un sens à leur vie, une aspiration personnelle à suivre. Pour l’éternité.

3.

L’air était frais et leurs corps chauds fumaient dans la forêt ; recouverte d’une fine couche de neige, qui entourait la dépendance. Numéro Un devançait numéro Deux de quelques mètres. Leurs corps athlétiques se faufilaient avec aisance entre les arbres. Un et Deux couraient comme chaque matin. Après la course, ils se rendaient dans la salle d’entraînement située au sous-sol de la dépendance pour deux heures d’exercice physique. Cet entraînement de trois heures faisait partie de leur régime quotidien, strict et millimétré.

Le soleil était levé depuis une heure quand ils arrivèrent dans la cuisine pour préparer leur petit-déjeuner. Personne n’était encore levé. Seul le bruit de leurs couverts brisait le silence. Les autres tables rondes en bois étaient vides. La salle était plongée dans la pénombre ; une applique sur cinq fonctionnait. Le lambris en bois foncé et les poutres ne faisaient qu’accentuer l’obscurité ambiante.