Captive - Liberté - Julie Jean-Baptiste - E-Book

Captive - Liberté E-Book

Julie Jean-Baptiste

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Beschreibung

Captive est un thriller psychologique de science-fiction qui se déroule en URSS en pleine guerre froide. C'est une quête d'identité et de liberté pour ces mutants qui fascinent autant qu'ils dérangent. Ils touchent au but. Mais quel sera le prix de leur liberté ?

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Dans le tome précédent…

Hiver 1962, le docteur Zaystrev a créé d’autres sujets génétiquement sélectionnés. Les sujets Trois, Quatre, Cinq, Six, Sept, Huit, Neuf et Dix.

Ces naissances ne passent pas inaperçues auprès du comité, qui envoie tour à tour le concupiscent haut fonctionnaire Josiah Melnyk, responsable du projet, et le zélé secrétaire Grigori Toropov, pour faire des observations.

Au manoir, les employés s’accoutument de ces nouveaux arrivants serviables et avenants. Malgré les avertissements des scientifiques, Donna, la femme de ménage muette, se laisse séduire par le sujet numéro Trois.

Incontrôlables, les sujets Sept et Huit sont éliminés par une nouvelle création des docteurs Zaystrev. De son côté, Jonathan commence à douter. Il se sent sur la sellette auprès du comité et prend conscience que son fils à raison et que les sujets préparent quelque chose.

D’autres personnalités sont aussi nées dans l’esprit du sujet Numéro Un, qui, lorsqu’elle rencontre ses congénères ; qui la considèrent comme leur mère, retrouve la force de se battre. En dépit de ses démons, c’est du tréfond du sous-sol qu’elle prépare minutieusement leur plan de sortie. Pour être libre, enfin.

Sommaire

Printemps

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Été

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

Chapitre 55

Chapitre 56

Chapitre 57

Chapitre 58

Chapitre 59

Chapitre 60

Printemps

1966

1.

Numéro Deux ajusta les manches de sa chemise bleu marine dans la salle des costumes sous l’œil attentif de Magda, la couturière. Il se préparait pour un séjour de trois mois en France.

— Vous êtes parfait ! Je pense que je ne me suis pas trop mal débrouillée grâce aux magazines que Quatre m’a trouvés.

Elle croisa ses bras sur son torse, satisfaite, avant de repartir dans le fond de la pièce pour vérifier le contenu de la valise une dernière fois. Deux observa son reflet. Il ressemblait effectivement à un Américain, le sourire en moins ; il ne le porterait qu’à leur arrivée à Paris. Il regarda sa montre. Il avait encore un peu de temps pour lui dire au revoir.

La valise à la main, il traversa le chemin toujours tapissé d’une fine couche de neige qui le séparait de la serre. Elle était assise sous le citronnier, une tasse de thé serrée entre les doigts.

Le printemps pointait timidement le bout de son nez. Bientôt, la boue remplacerait le manteau neigeux et Sergueï installerait des planches entre la dépendance et le manoir afin que le docteur puisse déambuler entre les bâtiments sans salir ses chaussures en cuir.

Numéro Un était emmitouflée dans une couverture noire et rouge. Elle ne portait pas de perruque et admirait un parterre de fleurs, l’air absent.

— Numéro Un, je m’en vais. On prend l’avion pour Paris avec Quatre, Neuf et Cinq.

— Je sais.

Elle tourna la tête vers lui mollement.

— Quand j’avais dix ans, ajouta-t-elle rêveuse, je n’avais qu’une hâte : me réveiller pour aller voir les plantes pousser.

— Je n’existais pas encore.

— Non...

Elle caressa le rebord de la tasse. Sa couverture retomba et laissa apparaître l’uniforme noir. Jamais elle ne lui parlait de sa vie avant lui.

— Amuse-toi bien à Paris.

— J’essaierai, répondit-il, amer.

Elle but son thé du bout des lèvres. Les volutes de fumée dansèrent devant ses yeux un instant.

— Je suis désolé.

— Pour ?

— Je n’ai pas été là quand tu avais besoin de moi.

— N’étais-tu pas en mission ?

— Si, confirma-t-il en détournant le regard, honteux de ce mensonge. Je m’excuse aussi de t’avoir frappée.

— Tu étais… désespéré et saoul. Non ?

— Je n’aurais pas dû agir de la sorte.

— Tu es jeune et impétueux. Tu dois apprendre à te contrôler. Mais ça, je te l’ai déjà dit.

— Oui. Pardon.

— Tu vas mettre tout le monde en retard. Il ne faudrait pas rater le train ni l’avion. N’oublie pas de t’amuser et ne fume pas trop. Les femmes n’aiment pas les hommes qui sentent la cigarette.

— Je n’y vais que pour superviser les autres.

— Cela ne t’empêche pas d’aller voir… autre chose.

Numéro Deux fronça les sourcils. Il ne comprenait pas ce qu’elle essayait de lui dire.

— Nous pourrions le faire ensemble.

— Et comment comptes-tu t’y prendre ? En me cachant dans ta valise ? Tu sais bien qu’il est difficile de passer les frontières de l’Union soviétique.

— On l’a déjà fait.

Elle ne parlait plus de partir depuis qu’il avait retrouvé Petrov et que ce dernier n’avait pas pu les aider. Rien. Aucune nouvelle indication. Et cela le frustrait.

— Ne t’inquiète pas.

Elle posa la tasse de thé et s’enroula à nouveau dans la couverture. Neuf fit irruption dans la serre et ralentit en se rendant compte de la présence de Numéro Un. Elle fit une discrète révérence.

— Deux, c’est l’heure ! Dépêche-toi.

— À bientôt, dit-il sans prêter attention à Neuf.

— À bientôt, Deux.

Neuf l’entraîna vers la voiture de Sergueï qui les attendait à l’entrée du manoir. Elle portait un manteau avec un col en fourrure et une mise en plis bouffante. Ses cheveux blonds rayonnaient et ses grands yeux soulignés par le mascara accentuaient son regard de poupée. Quatre, bras croisés, patientait en discutant avec l’homme à tout faire. Ses boucles avaient été lissées et étaient retenues par un serre-tête.

Leurs missions, les sujets les connaissaient déjà. Beaucoup de politique pour Quatre et Cinq, et du commerce pour Neuf. Rien de bien original, si ce n’est qu’ils se trouveraient loin de la mère patrie et seraient donc plus libres.

2.

Contrairement à son fils, vérifier les enregistrements des caméras de surveillance n’était pas le fort du docteur Zaystrev.

Tomek lui avait fourni les bandes qu’il souhaitait contrôler et montré comment cela fonctionnait. Jonathan s’était enfermé dans le local de surveillance du sous-sol. Le néon éclairait son visage tendu. Que ferait-il si ses soupçons se confirmaient ?

Il commença par les images datant de la naissance de Sept et Huit. Les couloirs n’étaient pas dotés de caméras ; il les avait volontairement omis pour plus de confidentialité. À l’écran, la salle des gestations apparut. Sept et Huit flottaient dans leurs couveuses. L’horloge montrait 2h du matin. Un employé de garde dormait sur un bureau. Il actionna la manivelle pour accélérer la vitesse de visionnage jusqu’à remarquer une ombre qui déplaçait les cassettes des enregistrements écoutés par les sujets pendant leur croissance. La main fantôme noire et blanche modifiait l’ordre des cassettes puis retira celle en cours pour en mettre une autre. Jonathan fronça les sourcils. Il changea d’enregistrement et à plusieurs reprises, nota cette main ou cette silhouette. Quelques minutes plus tard, l’écran clignota au rythme de l’alarme qui signalait que Numéro Un essayait encore de s’échapper. Jonathan se crispa.

Dans un carnet, le psychiatre consignait toutes les dates auxquelles le sujet Numéro Un avait fait des tentatives de fuite. Elles coïncidaient en grande partie à ces manipulations de cassettes. Il continua ses vérifications jusqu’au jour de la naissance de Sept et Huit. Il observa le dos de Numéro Un dans sa blouse d’hôpital qui pianotait sur le tableau de bord des gestations. Cet accouchement prématuré était donc sa faute. Le poing de Jonathan se serra.

Il effectua les mêmes vérifications pour Cinq et Six, et Trois et Quatre. À chaque fois, une main changeait l’ordre des cassettes et quelques jours avant la naissance, elle apparaissait pour trafiquer le système. Elle l’avait saboté sous son nez. Les seuls à avoir évité l’intervention de leur « maman » étaient Neuf et Dix. Trop occupée à réaliser des missions, elle n’était restée au manoir que très brièvement.

Le docteur continua ses vérifications. Il l’aperçut dans la salle de prélèvement et dans celle de recherche. Il se cala dans le fond de sa chaise pour réfléchir. Le psychiatre se savait sur la sellette vis-à-vis du gouvernement. Et, à l'évidence, son fils avait raison. L’étau se resserrait. Qui parmi les sujets croyaient qu’Un était leur mère ? Avait-elle autant de pouvoir sur ses congénères que sur Sept et Huit ? Avait-il été trop laxiste ? Quatre d’entre eux étaient déjà passés de l’autre côté du rideau de fer. Cette séparation le soulageait. En les éloignant les uns des autres, il amenuisait leur force.

Il rangea les bandes dans les archives puis convoqua Dix au sous-sol. Le sujet s’installa dans la pénombre de la salle d’interrogatoire et l’observa avec défiance. Le plafonnier ne lui permettait pas de voir clairement le visage de son créateur.

— Vous vouliez me voir, monsieur ? demanda Dix sur la défensive.

— Sujet numéro Dix.

Jonathan posa les coudes sur la table en aluminium qui les séparait et laissa planer le silence quelques instants. Seule la ventilation se faisait entendre.

— Est-ce que vous complotez contre moi ?

Les yeux de Dix s’écarquillèrent et il répliqua :

— Bien sûr que non.

— Est-ce que votre mère complote contre moi ?

Dix se figea et ferma les paupières. Ses jambes furent prises de légères secousses.

— Répondez-moi, sujet numéro Dix. Tout de suite.

— Non, non, bien sûr que non.

— En êtes-vous sûr ? Je suis votre créateur, sujet numéro Dix. Vous me devez la vérité.

— Non. Non, elle ne complote pas.

— Ouvrez les yeux, sujet numéro Dix. Regardez-moi quand vous me parlez.

Dix agrippa ses cuisses et ouvrit les yeux pour faire face à son créateur qui le regardait, placide.

— Non, monsieur. Jamais elle n’oserait comploter contre vous.

— Prenez-vous aussi Numéro Un pour votre mère ?

— Non.

— Vous n’avez pas tiqué quand j’ai utilisé ce terme un peu plus tôt.

— Je… balbutia Dix. Elle est la première. Elle prend soin de nous. Surtout pendant les missions. Elle me rappelle la définition du mot « mère ». Ce qu’on en a appris.

— Qui d’autre la considère comme telle ?

— Tout le monde.

— Tous les sujets ?

— Oui. Mais nous savons que vous êtes le seul maître et créateur et que nous devons vous obéir.

Jonathan scruta attentivement le visage inquiet de Dix.

— J’aimerais vous croire, sujet numéro Dix. Mais je ne peux pas me permettre le moindre doute.

— Pas ça, s’il vous plaît.

Jonathan se leva et attrapa le téléphone installé à l’entrée pour faire venir des gardiens et Lennox. Dix se redressa, tentant de dissuader le docteur.

— Restez assis, numéro Dix.

Tentant d’ignorer l’ordre du docteur, Dix contourna la table et se rapprocha de son créateur qui lui jeta un regard dédaigneux.

— Assis, j’ai dit ! Je sais que comme numéro Neuf n’est pas présente, ce sera un peu plus difficile pour vous. Je vous conseille donc de coopérer afin que ce petit interrogatoire ne dure pas longtemps.

Dix abdiqua, vaincu.

3.

Neuf, assise à la terrasse d’un bistrot, s’extasiait à la vue des passants au style chic, des voitures et des bâtiments haussmanniens.

Elle était à Paris.

C’était la première fois qu’elle prenait l’avion et qu’elle voyageait aussi loin. À cette excitation s’ajoutaient ses beaux habits, plus seyants que cet uniforme horrible et bien plus à la mode que ce qui se faisait en URSS. Elle portait une robe trapèze orange qui lui arrivait légèrement au-dessus du genou et un manteau léger assorti. Le printemps n’avait rien à voir avec celui de leur forêt soviétique. Les arbres bourgeonnaient pleinement, il faisait doux et le ciel était d’un bleu agréable. Les chaises de la terrasse, disposées face à la rue, permettaient à elle et Quatre de déguster le spectacle de la vie parisienne comme un bonbon. Le serveur, dans son tablier blanc et veston noir, vint lui apporter son café. Elle le remercia avec un fort accent américain.

Durant ces prochaines semaines, elle serait Nina, jeune étudiante d’outre-Atlantique d’une vingtaine d’années en échange universitaire. À ses côtés, Katelyn, qui n’était autre que Numéro Quatre, buvait un thé. Bien qu’elle la préférât les cheveux bouclés, ses cheveux lissés lui donnaient un air strict que Neuf trouvait particulièrement sexy.

Dans un autre troquet à l’angle, Chase, l’alias de Cinq, débattait, une cigarette à la main, de la relation francoaméricaine dans son anglais parfait. Il avait troqué son accent de gentleman que Nina lui adorait, pour celui des États-Unis. Deux fronça les sourcils avant de balayer l’avis de son ami d’un geste de la main. Sa transformation s’était achevée en revêtant l’attitude décontractée et accueillante du « nouveau monde ».

Du coin de la rue, il aperçut Nina et Katelyn qui quittaient leur table. Leur journée était terminée, contrairement à eux. Pour pouvoir les superviser, Deux disposait aussi d’une identité d’étudiant américaine : Desmond. Retourner à l’école était bien la dernière chose dont il avait envie, tout comme Chase. Malheureusement pour lui, la réussite de sa mission en dépendait.

— Il va être l’heure, retournons en cours, signala Desmond en regardant sa montre.

— On est obligé ?

— C’est un cours d’histoire de l’art. Tu devrais apprécier. Peut-être même que tu apprendras quelque chose.

Tout en râlant, Chase le suivit jusqu’à l’amphithéâtre. Ils s’installèrent dans les dernières rangées du fond. Parmi la masse d’étudiants qui prenaient place, une blonde aux teintes glaciales attira l’attention de Desmond. Elle hésitait, sa sacoche à la main, un livre contre la poitrine, le regard tourné dans leur direction. Après quelques secondes, et hâtée par le professeur qui prenait place au pupitre, elle se décida pour le siège voisin de celui de Chase, qui serra la mâchoire. Desmond rit intérieurement.

Ils sortirent leur cahier et stylos, plus pour se fondre dans la masse que pour noter quoi que ce soit. Ils ne participeraient pas aux examens, donc cela n’avait pas d’importance. Face à eux, le professeur qui portait une large cravate s’épongea le front avec un mouchoir en tissu à carreaux beige et marron avant de commencer. C’est à peine s’il leva les yeux vers son auditoire. À mesure de son monologue, de la salive s’accumulait dans les commissures de ses lèvres qu’il épongeait avec ce même mouchoir à carreaux.

Chase s’occupait en faisant des esquisses dans son carnet. Le matin, ils avaient pris l’habitude de courir dans les jardins du Luxembourg situés à quelques rues de leur appartement ; Chase dessinait la fontaine qui s’y trouvait, entourée des habitants du quartier. Une scène dominicale qu’il n’avait pourtant vue qu’une fois depuis leur arrivée.

— C’est joli ce que tu dessines.

Le doigt de Chase se crispa sur son crayon. Desmond lui donna un coup de coude.

— Merci, chuchota-t-il entre ses dents.

Après un moment, elle ajouta :

— J’aurais aimé avoir ce talent. C’est pour ça que j’ai choisi de me contenter d’étudier la théorie.

— Et tu as encore fort à apprendre car ce que tu regardes n’est qu’un brouillon.

Desmond se retint de rire et se gratta le sourcil. Malgré les cours intensifs de Quatre et Trois, Chase avait encore du mal à se retenir. Pourtant, cela ne démonta pas l’iceberg qui était assis à côté d’eux. Elle se cacha timidement la bouche pour rigoler.

— Tu es toujours aussi franc ?

Chase se tourna enfin vers elle, étonné. Son franc-parler ne l’avait pas effarouchée.

— Oui.

— Je m’appelle Sofia. Et si ce n’est que le brouillon, je suis impatiente de voir la pièce finale.

Le cours se termina deux heures plus tard, sans plus de conversation. En sortant, Chase heurta malencontreusement leur professeur qui semblait pressé. Il n’avait pas pour habitude d’évoluer parmi la foule et cela le rendait maladroit. Desmond l’aida à s’orienter et ils quittèrent les lieux.

Leur appartement n’avait rien à voir avec les cagibis moscovites dont ils avaient l’habitude. Chacun disposait de sa chambre, la décoration était moderne, tout en rondeur et en violet. De la moquette tapissait toutes les pièces, même la salle de bain. Chase s’affala dans le canapé.

— Suis-je obligé de subir ça tous les jours ?

— Quatre jours par semaine et je suis le plus à plaindre. Je vais revoir l’histoire de la renaissance pour la énième fois. Tu as eu ce dont tu avais besoin au moins ?

— Oui.

Il sortit le mouchoir à carreaux du professeur imprégné de ses odeurs, de quoi le suivre à la trace. Le professeur n’était pas la cible, un de ses amis l’était. L’ami en question se cachait quelque part dans Paris. Il était autant à la vue de tous que dissimulé par les habitants. Grâce à l’emploi du temps du professeur fournit dans le dossier, Chase prévoyait un pistage dès le lendemain. Il avait hâte de terminer cette mission pour ne plus assister aux cours.

— Tu n’as que ça ? demanda Desmond.

— Oui.

— Trois mois, c’est long.

— Ils vont sûrement en rajouter en cours de route.

Desmond attrapa le journal, pensif. Ils discutaient toujours en anglais lorsqu’ils étaient entre eux, peu importe où ils se trouvaient. Rien ne devait trahir leur véritable identité.

— Au moins, tu pourras voir ton admiratrice plus souvent.

— De quoi tu parles ?

— Sofia. Je crois qu’elle t’aime bien.

Chase retroussa le nez de dégoût et remua la tête.

— Ça t’occuperait.

— On croirait entendre l’autre.

Il faisait référence à Dix. Au même moment, Nina et Katelyn sonnèrent à la porte. Elles venaient faire leur premier compte-rendu de la semaine.

— Hello !

Nina se présenta, un sac à la main. Faire les boutiques était devenu sa nouvelle drogue, à défaut de pouvoir se procurer celle du manoir. Chase lui en donnait les moyens en lui remettant le fruit de ses vols, qu’il continuait à commettre pour garder la main.

— Comment s’est passée votre semaine ? demanda-t-elle en s’asseyant près de Chase.

— Nulle.

— Il s’est trouvé une admiratrice, ajouta Desmond.

— C’est vrai ?

— Non, et même si c’était vrai, je n’en ai rien à foutre de ce…

« Miserable insect » pensèrent-ils tous en silence, habitués à la formule.

— Nina se construit un harem parisien, annonça Katelyn.

— Tant qu’elle ne fait que regarder, avertit Desmond.

Nina gloussa en se cachant la bouche des deux mains.

— Je n’ai couché avec personne jusqu’à maintenant. Mais j’ai approché quelqu’un de très intéressant. Je dîne chez ses parents ce week-end.

— Je suis très fier de toi, Nina, la félicita Desmond sur un ton moqueur. Et toi, Katelyn ? As-tu fait autre chose qu’aller à la bibliothèque et à l’opéra ?

— Je tourne autour de l’intéressé, dit-elle en dessinant un cercle dans l’air avec son index.

— Vous avez trois mois pour ça ?

— Apparemment, répondit-elle en haussant les épaules.

— Chase, à quoi elle ressemble ? Comment elle s’appelle ? s’enthousiasma Nina, balayant le sujet des missions.

— Elle s’appelle Sofia. Je pense qu’elle nous vient d’Europe du Nord, répondit Desmond à sa place.

— Ça me dit quelque chose… Elle est blonde aux yeux bleu glacier ?

— C’est ça.

— Elle fait partie du club des étudiants en échange. On pourrait lui passer un mot de ta part, Chase.

Nina grimpa à califourchon sur lui, qui tenta de s’enfoncer davantage dans le canapé pour la fuir.

— Dois-je te rappeler comment on fait, Chase ? murmura-t-elle à son oreille.

— Fous-moi la paix.

Desmond observa ses camarades. Il les trouvait différents. Encore plus détendus que d’habitude. Il savait que leur couverture américaine pouvait y être pour quelque chose, mais c’était plus que ça. L’éloignement et l’ébullition de la nouveauté, peut-être.

— Je vais préparer le dîner. Tu manges, Katelyn ?

— Non, je dois garder de la place pour les repas français.

— Nina, tu connais le chemin de la chambre.

Elle était occupée à déboutonner la chemise de Chase en l’embrassant dans le cou. Katelyn les rejoignit sur le canapé. Comme une lionne attaque une gazelle, Nina maintenait Chase immobile à coup de baisers dans le cou. Il tentait désespérément de la repousser, mais ses mains agrippant la taille de Nina bougeaient avec fébrilité. Combien de temps tiendrait-il avant de succomber ?

— As-tu l’intention de te taper l’étudiant intéressant que tu as rencontré et son père ? demanda Katelyn en observant les techniques de chasse de sa camarade.

Le père était la véritable cible de Nina. Elle s’écarta de sa proie et son visage s’illumina.

— Bien sûr que oui ! Comme ça, je pourrai comparer. Ça va être une sacrée expérience ! Je pourrai peut-être même les entraîner dans un plan à trois.

— Attends la veille de notre départ pour ça.

Chase en profita pour récupérer ses esprits. Dégoûté par ce qu’elle venait de dire, il déclara :

— C’est bon, tu as gagné ! Je pars.

Il la poussa, bondit hors du canapé et remua le mouchoir à carreaux en signe d’abandon avant de partir en claquant la porte. Nina riait toujours, les bras affalés le long du dossier.

— Depuis qu’elle est arrivée, Nina ne me laisse jamais dormir tranquillement. Je veux bien vous la laisser quelques nuits. Elle me parle sans cesse d’orgies et de choses comme ça.

— Mais on est à Paris !

— Quel est le rapport entre Paris et les orgies, Nina ? demanda Desmond en sortant la tête de la cuisine.

Il avait déjà visité plusieurs fois cette capitale et ne voyait franchement pas le rapprochement.

— C’est la ville de l’amour. Certains ont beaucoup d’amour à donner.

Katelyn le prenait à la rigolade mais au fond elle savait, et Chase aussi l’avait remarqué : l'angoisse submergeait Nina. Toute cette inquiétude se traduisait par une libido encore plus active qu’à l’accoutumée. Chase essayait de compenser en lui fournissant assez d’argent pour qu’elle puisse faire des emplettes. Pour autant, rien n’y faisait.

— C’est ton rôle de gérer Nina. Tu la gardes, ordonna Desmond.

— Ce soir, c’est toi qui la gardes. Elle a rendez-vous dans un club de jazz avec des étudiants du groupe. Je ne vais pas réussir à la maîtriser dans cet environnement. Et je voudrais dormir en paix.

Desmond soupira. Jouer à la nounou n’était vraiment pas son passe-temps favori.

4.

URSS

Diana attendait le sujet Numéro Dix à l’infirmerie pour un contrôle avant un départ en mission. Le docteur Zaystrev avait annoncé que le sujet devait recevoir un traitement particulier dont il sortait tout juste. Dix et Neuf faisant partie des sujets les plus dociles, cette nouvelle l’avait étonnée. Mais c’était lui le spécialiste, il devait savoir des choses qu’elle ne pouvait pas comprendre. En rangeant ses ustensiles, elle se rendit compte qu’aucun des sujets ne lui avait rendu visite. Depuis le départ de Deux, ils étaient livrés à eux-mêmes pour les entraînements et ne manquaient pas d’imagination pour martyriser leurs cadets : Onze et Douze. Plus personne n'était là pour jouer les arbitres.

Comme Numéro Dix se faisait attendre, elle décida d’aller faire un tour dans la salle des costumes pour voir Magda. Peut-être que par suite d’un malentendu, Dix s'y était rendu en premier lieu. Ils s’emmêlaient parfois les pinceaux avec les responsables des sujets ; surtout Youri, qui n’en faisait qu’à sa tête.

Magda, la costumière, approchait de la quarantaine. Elle travaillait ici pour améliorer la vie de sa famille. En pensant à ses deux enfants, Diana se disait que sa collègue avait été bien courageuse d’avoir accouché quatre fois.

À quelques mètres de la pièce, l’infirmière se figea.

« Oh non, ça ne va pas recommencer ! »

Depuis l’entrebâillement de la porte, elle aperçut Magda assise sur la table où elle confectionnait d’habitude les patrons et découpait les tissus. Ouvertes en offrande, ses jambes accueillaient les baisers d’une toison blonde qui s’appliquait à la tâche. Les gémissements de plaisir étouffés de la couturière ne laissaient aucun doute quant à l’habileté du sujet. Diana se retourna prestement et partit à la recherche d’un responsable pour se plaindre de nouveau des agissements des sujets. Ce n’était pas la première fois et ce ne serait sûrement pas la dernière, mais il était temps qu’ils fassent quelque chose pour remédier à cela. Elle demanderait aussi au docteur s’il serait possible de traiter leur libido hyperactive.

Elle interpella Paul qui était posté devant la porte d’entrée, les mains dans les poches de sa blouse.

— Paul ! Il est temps que vous fassiez quelque chose concernant le comportement de Neuf et Dix.

— Ils vous ont fait du mal ?

— Bien sûr que non. Vous savez très bien de quoi je veux parler. De leur comportement… avec le personnel.

— Je ne vois pas, non. Ils sont plutôt gentils, dit Paul en se grattant l’arrière du crâne.

— Leur comportement intime avec le personnel.

— Ah, ça ! Ils ne font rien de mal. Vous savez ce qu’on dit : faites l’amour, pas la guerre. Et puis la vie privée de nos collègues ne nous regarde pas.

Paul avait sûrement déjà goûté aux charmes de Neuf et ne souhaitait pas que sa source de plaisir se tarisse.

Donna fit irruption depuis un couloir, les interrompant. Elle gesticula dans tous les sens, ce qui les laissa perplexes. Diana la calma et la femme de ménage sortit son carnet : « L’armée arrive, » écrivit-elle à la hâte. Elle avait aperçu des véhicules militaires depuis les chambres des sujets au deuxième étage. Diana écarquilla les yeux et se tourna vers Paul.

— Ne vous inquiétez pas. Je les attendais justement. Nous avons connu de grandes avancées. Retournez vaquer à vos occupations.

— Combien de chambres leur faut-il ? demanda Diana.

— Aucune, ils ne devraient pas rester.

Elle rassura Donna qui retourna à ses occupations.

— Savez-vous où je peux trouver Youri ? Je dois le voir pour discuter du programme de la journée.

— À la dépendance, probablement.

— Merci.

L’infirmière décida de sortir par derrière en passant par les cuisines afin de voir ce qu’Iona allait leur servir ce midi. L’odeur des oignons qui cuisaient l'accueillit, mais pas la cuisinière. Les feux étaient éteints et s’il y avait bien des oignons dans la casserole, ils étaient tièdes. En y réfléchissant, elle n’avait croisé personne depuis un moment. Aucune blouse blanche qui rentrait de leur garde, ni de Sergueï qui courait dans le manoir avec son nouvel apprenti pour réparer ce qui pouvait l’être.

Elle traversa le chemin boueux qui reliait le manoir à la dépendance. Cette année, Sergueï tardait à mettre les planches. À cause de la météo instable qui oscillait entre la pluie et la neige, il lui était difficile de prendre une décision. Elle essuya ses chaussures sur le paillasson de la dépendance. Des nuages noirs aspiraient le ciel bleu. Il allait pleuvoir, peutêtre même y avoir de l’orage. Avant d’entrer, elle entendit les crissements des roues depuis l’allée du manoir et les pas des bottes dans le gravier. Ils devaient être une bonne dizaine de soldats.

— Vous voilà enfin ! s’exclama Trois en la surprenant dans le vestibule recouvert de lambris.

— Vous étiez donc ici. Je cherche Youri. Mais où sont-ils tous passés ?

— Suivez-nous sans poser de questions.

Les yeux de serpent du sujet la fixaient avec sérieux. Soudain, Diana se rendit compte qu’il ne portait pas son uniforme, mais des vêtements de civil.

— Vous partez en mission ?

— Tout ça, c’est terminé, déclara Six.

Elle descendait les escaliers de l’étage en provenance de l’ancien dortoir des employées et du bureau de Jonathan. Six aussi était habillée en civil, avec deux fusils à l’épaule et deux pistolets à la ceinture de son pantalon. Elle en lança un vers Trois et un autre vers Dix, qui sortait de nulle part. L’infirmière porta sa main à la bouche.

— Qu’est-ce que vous faites ? Qu’est-ce qui se passe ?

— Mère vous aime bien, Diana. Et nous aussi. On ne vous fera rien, la rassura Trois.

— Qui est mère ? Et où sont les gardiens ?

— Morts, annonça Six en la toisant.

Elle avait maintenant rejoint le groupe en bas des marches.

Trois attrapa le poignet de Diana et l’attira au sous-sol. Youri débarqua de l’ancienne salle à manger en boitant et tenta de les stopper.

— Revenez ici ! Bande de…

Diana s’arrêta et demanda à son collègue :

— Youri ? Mais que vous est-il arrivé ?

Elle n’eut pas le temps de s’attarder sur son cas. Déjà, Trois l’entraînait dans les escaliers menant au couloir du sous-sol. Dix, la main sur la poignée, prit le temps de vérifier que personne ne manquait à l’appel quand, soudain, des coups retentirent à la porte d’entrée, le figeant un instant.

— Docteur Zaystrev ! Ouvrez ! Le comité reprend le projet.

— Quoi ? s’exclama Youri en se hâtant à grande peine vers Dix ; qui maintenait encore la porte du sous-sol ouverte, pour s’y cacher.

Dix ferma la porte derrière l’assistant, qui s’était faufilé juste à temps, et la bloqua à l’aide d’une barre de fer.

Le cœur de Diana battait la chamade et elle avait perdu des couleurs. Arrivée en bas de l’escalier, elle poussa un cri en trébuchant sur le corps sans vie de Tomek, couché au travers du seuil de sa cabine. Le mur d’écrans, qui éclairait le couloir, s’éteignait petit à petit. Sur le dernier moniteur, celui de la salle capitonnée, elle eut juste le temps d’apercevoir Numéro Un. Puis ce fut le noir complet. L’infirmière hurla à nouveau. Tout cela lui paraissait cauchemardesque.

— Qu’est-ce-qui se passe ? Mes enfants… je veux revoir mes enfants !

Youri était resté sur le palier, en haut des marches. Entre les sujets et les soldats, il se sentait pris au piège et défaillit au pied de la porte qu’il venait de barricader. Qui avait bien pu les trahir ? Le cerveau du bras droit de Jonathan carburait à toute vitesse. Le comité leur tombait dessus, les sujets faisaient une mutinerie et les docteurs Zaystrev restaient introuvables.

— Où est Paul ? interrogea soudain Youri.

— Au manoir. Il pensait qu’il ne s’agissait que d’une visite du comité pour les vérifications d’usage, répondit Diana, agitée. D’en bas, elle percevait difficilement la silhouette de son collègue.

— Soit il est de mèche avec eux, soit il s’est laissé berner par sa naïveté.

— Ne sommes-nous pas tous des fonctionnaires employés par le gouvernement, après tout ?

— Ce n’est pas le moment, Diana. Docteur Zaystrev ! Estce que vous êtes ici ?

Youri se mit à hurler, suppliant son patron de lui venir en aide. Six, agacée, remonta les marches et l’interrompit d’un coup de crosse de pistolet.

— Ta gueule, misérable insecte. Il ne te sera d’aucune aide ici.

— Sujet numéro Trois, empêchez-la de me nuire !

— Il n’est plus ton chien et moi non plus.

Des craquements, suivis des cris de douleur de l’assistant, résonnèrent dans le couloir. Diana en eut des frissons.

— Six. Finis-en. On y va.

Diana sursauta deux fois. Tout d’abord parce qu’elle ne reconnut pas la voix de la femme qui venait de s’adresser à Six, puis à cause du coup de feu qui suivit, la renvoyant à la mort de son collègue. Elle était soulagée de ne pas pouvoir associer l’image au son.

— On aurait peut-être dû la laisser là-haut, réfléchit Dix à haute voix. Ils ne lui auraient rien fait.

— J’ai entendu des tirs depuis le manoir. Six avait raison. Encore un pari de gagné, félicita la voix de femme.

Dès qu’elle avait appris que l’armée serait mêlée à leur plan de fuite, Six s’était doutée que les soldats exécuteraient les membres du personnel, contrairement à Dix qui n’en voyait pas l’intérêt. Il ne mesurait pas l’importance de leur existence et de celle du laboratoire.

— Yes ! Tu me dois cent dollars, Dix, s’esclaffa Six.

— Trois se chargera de Diana, intervint Un.

— Qui est-ce ? demanda Diana en tâtant l’obscurité.

— Vous ne me reconnaissez pas, Diana ? Calmez-vous et réfléchissez.

L’infirmière fronça les sourcils, concentrée, puis ouvrit grand les yeux.

— Numéro Un ?

— Bravo, Diana. Le champ est libre. On peut y aller.

— Numéro Un, qu’est-ce que vous êtes en train de faire ? Cela ne vous ressemble pas…

— Me connaissez-vous seulement vraiment ?

— Mais… le docteur…

— Ces docteurs méritent ce qui leur arrivera. Vous le savez, Diana. Ce qu’ils faisaient n’était pas bien.

Trois l’entraîna dans ses pas pour l’orienter dans le noir. Naviguer dans les ténèbres ne les dérangeait pas. Trois y voyait quasiment aussi clairement qu’en plein jour. Numéro Un se laissait guider par les sons, Six par les odeurs et Dix par son instinct.

— Où m’emmenez-vous ? s’inquiéta l’infirmière. Je croyais que vous ne me feriez jamais de mal.

— Loin d’ici. Et nous ne vous ferons rien.

— Pourriez-vous au moins allumer la lumière ?

— Avez-vous vraiment envie de voir ce dont je suis capable ?

Diana se tut et resserra son étreinte autour du bras de Trois.

Le groupe entra dans la salle des gestations. Les utérus artificiels étaient tous vides et éteints. Seules les lampes de bureau éclairaient la pièce. L’endroit parut à l’infirmière encore plus lugubre que d’habitude.

Deux étagères dissimulaient une ouverture gardée par les sujets Onze et Douze. Debout les bras croisés, comme deux chiens de faïences, ces archétypes de la masculinité ; avec leurs mâchoires carrées, gardaient la sortie. En les voyant, Six leur tira dans les cuisses, les forçant à s’agenouiller.

— Salauds. Demi-insectes. Traîtres, cracha-t-elle.

— Docteur Zaystrev ! appela Un. Nous savons que vous êtes ici, montrez-vous.

Le père et le fils sortirent de leur cachette derrière un bureau. Ils avaient tous les deux une valise à la main.

— Bonjour, messieurs, leur adressa Un.

Six les avait en joue. Elle rêvait de les torturer comme ils l’avaient fait avec eux, mais elle devrait passer son tour. Mère avait des comptes à régler.

— Mademoiselle Numéro Un, peut-être pourrions-nous nous allier contre le comité ? Il est dans notre intérêt commun d’unir nos forces contre eux et la taupe qui nous a trahit.

— Docteur, n’avez-vous tout simplement pas pensé que je puisse être la taupe ? Et que ce qui arrive est de mon fait ?

Jonathan la regarda, interdit. Près de lui, James déplia sa valise qui n’était autre qu’un magnétophone portatif et lança la bande. Un bruit de tictac résonna dans la pièce. Trois jeta un coup d’œil à Dix, anxieux. Le sujet avait resserré son étreinte contre son arme et fermé les yeux en secouant la tête. Comment allaient-ils réagir face aux tictacs bien connu des séances d’hypnose ? Trois croyait que lui et Six pouvaient y résister mais Dix et Neuf étaient connu pour être très docile.

— Voyez-vous, Numéro Un, je l’avoue, j’ai eu un doute. J’ai donc gentiment demandé à votre « fils », numéro Dix, de me dire la vérité. Sujet Numéro Six, tirez sur votre mère.

Six sourit, mais ses lèvres retombèrent tout de suite, ses mains obéissant sans qu’elle ne le souhaite.

— J’ai aussi effectué un petit rafraîchissement sur Six, afin de lui rappeler qui est le maître. Bien sûr, elle ne s’en souvient pas consciemment.

— Merde ! Dix, tout ça, c’est ta faute ! Putain, Dix !

Ses membres tremblaient à force de lutter. Numéro Un se contenta de pencher la tête. Les tictacs la gênaient, mais elle avait encore la force de se battre. Ce qui n’était pas le cas de Dix qui transpirait, les doigts toujours crispés sur son arme. Elle contempla leur sortie de secours. Onze et Douze se redressaient déjà. De toute évidence, les docteurs avaient aussi effectué quelques modifications chez eux.

Contre sa volonté, Six tira. Numéro Un évita le premier coup de feu d’un mouvement rapide d’épaule, mais le deuxième la toucha à l’autre bras. Elle serra les dents.

— Dix, à votre tour. Choisissez : Numéro Un ou Numéro Six ?

— Arrêtez !

Tout le monde se retourna sur Diana.

— Arrêtez ! Ne leur faites pas faire ça, docteur. Je vous en supplie.

Au même moment, une explosion retentit à l’étage. L’armée venait de faire éclater la porte du sous-sol. Trois profita de cette diversion pour entraîner Diana vers la sortie. Ils filèrent entre Onze et Douze et s’engouffrèrent dans le tunnel. Ils coururent durant ce qui sembla être une éternité à Diana.

Elle savait. Elle savait que les médicaments qu’elle leur donnait, que les techniques utilisées par le docteur, n’étaient pas normales. Malgré cela, elle avait choisi de fermer les yeux. Pour l’argent et la paix de sa famille.

Elle serra la main de Trois plus fort. Son cœur battait contre ses tympans et sa gorge la brulait. Elle voulait s’arrêter pour reprendre son souffle, mais il continuait de courir.

— On y est presque ! Encore un effort.

Ils débouchèrent quelques minutes plus tard au milieu de la forêt. La camionnette de Sergueï les attendait. Donna les accueillit et se jeta dans les bras de Trois.

— Je dois y retourner, Donna.

Elle leva la tête vers lui et la remua de droite à gauche. Il retira son collier et le lui confia.

— Je suis désolé. Ne m’attends pas. Trouve-toi quelqu’un d’autre. Quelqu’un de bien.

Elle lui frappa le torse tout en secouant la tête. Il l’embrassa sur le front et la serra un instant dans ses bras. Il n’avait pas envie de repartir. Il ne voulait plus ressentir l’asservissement. Celle-là même qui lui avait chatouillé le cerveau à l’instant et dont il en avait vu les effets sur ses camarades. Pourtant, il ne les abandonnerait pas, il lutterait pour leur liberté.

— Sergueï, démarrez !

— Vous êtes sûr ?

— On trouvera un autre moyen.

L’homme à tout faire mit le contact, Diana monta à l’arrière et Donna fut jetée de force dans l’habitacle du véhicule. L’infirmière dut retenir son amie afin qu’elle n’ouvrît pas la porte.

Sous le choc, elle serra la main de Donna qui pleurait. Des larmes coulèrent aussi le long de ses joues. A travers la vitre, les arbres défilaient. Diana comprit qu’elle ne reverrait jamais les sujets et qu’elle venait de faire ses adieux à sa seconde maison. Lorsque le véhicule quitta la forêt une demi-heure plus tard, l’orage éclata, accompagné par la grêle. Sergueï, mal à l’aise face aux larmes de ses collègues, se concentrait sur la route. Il essaya de les consoler :

— Je suis sûr qu’ils vont s’en sortir. En tout cas maintenant, il va falloir faire profil bas. Ça devrait pas être trop compliqué. Les monstres ont vraiment pensé à tout.

Sergueï faisait référence aux deux valises à l’arrière que lui avait remises Trois. Une valise d’argent, ramenée par Deux de ses aventures dans la mafia locale, et une autre contenant leurs nouvelles identités.

5.

Paris

Chase avait traqué son professeur depuis l’université. Il avait remonté l’agenda de sa fin de journée grâce à son odeur de sueur, de beurre et de fromage. Le professeur était passé par une épicerie, avait traversé un square et s’était arrêté dans le quartier de la Salpêtrière, probablement son lieu de résidence.

Il décrypta la façade de l’immeuble et soupira. Il avait hâte de ne plus avoir à jouer au chien pour Jonathan et sa bande. Il espérait que c’était la dernière fois. Il nota mentalement l’adresse et pénétra dans l’entrée. La trace de sa cible y était chaude. La cage d’escalier se dépliait du ciel vers cinq ou six étages. Chase posa le pied sur la première marche et s’arrêta. Son bras et sa main le démangèrent. Une sueur froide traversa son dos. Il s’appuya contre le mur.

La première fois qu’il avait ressenti cela, c’était au sous-sol. Il y était consigné sous le regard attentif d’Andreï. Au manoir, dans leur chambre, un assistant avait poignardé Six. Il avait fallu quelques minutes avant que ça ne le gratte à l’endroit où elle avait été touchée et qu’un sentiment de nervosité le gagne.

La lumière de l’escalier éclaira le carrelage crème et les murs tapissés. À l’odeur, Chase reconnut sa cible. Il prit plusieurs inspirations avant de s’enfuir en courant. Il devait retrouver Katelyn pour en savoir plus.

***

Nina présenta Desmond au reste du groupe d’étudiants en échange. Il s’intégra dans une bande de jeunes hommes en provenance des cinq continents. Leur discussion tournait autour des Françaises, de la famille restée au pays et des voitures.

Desmond s’enfilait des verres de vodka en fumant tout en surveillant Nina du coin de l’œil. Elle était prise en sandwich entre un Italien aux cheveux bouclés et sa cible. Cinq et Six disaient que quand elle était décidée à coucher, elle dégageait des phéromones irrésistibles. Ce soir, il pouvait presque les sentir. Pourtant, il l’avait prévenue de ne pas céder et lui avait promis Chase en pâture à son retour si elle avait été sage. D’un côté, elle faisait les yeux doux à ce jeune premier, descendant d’un directeur de marque automobile et de l’autre, ses doigts effleuraient la cuisse de son voisin, l’électrisant au passage sans qu’il ne s’en rende vraiment compte.

La salle était bondée, l’orchestre jouait du jazz et certains s’aventuraient à se déhancher tels des automates défectueux au milieu de la piste de danse improvisée. Par endroit, on distinguait juste les rires de certains groupes dont les visages étaient dissimulés sous la fumée de cigarette.

Desmond écrasa son mégot et se défit de ses camarades pour s’aérer un peu. Dehors, un couple s’embrassait contre la carrosserie d’une voiture. Il huma un instant l’air, son verre à la main, tentant d’apercevoir les étoiles.

— Bonsoir.

L’obscurité avalant une partie de son profil, il ne reconnut pas immédiatement la personne qui s’adressait à lui.

— Je suis Sofia, du cours d’histoire de l’art.

— Bonsoir. Je sais qui tu es. Je suis désolé, mais Chase ne m’accompagne pas ce soir.

Desmond se gratta l’épaule et lui sourit.

— Ah… Euh… Ce n’est pas grave. Et puis… Je ne le cherchais pas vraiment… Je…

— Il te plaît ?

— Non. Enfin, peut-être un peu. Il est marrant.

— Marrant n’est pas le meilleur des qualificatifs pour cette tête de mule.

Son verre passa d’une main à l’autre. Sa paume le démangeait. Il en but une gorgée.

— Tu t’amuses bien ?

— Oui. Mais il est tard, je vais prendre un taxi et rentrer.

— Bonne soirée.

— Merci, pareillement.

Il la regarda illuminer le trottoir avec sa chevelure blonde jusqu’à ce qu’elle trouve une voiture au bout de la rue. Cette fête l’ennuyait. Il se gratta l’épaule à nouveau, retourna à l’intérieur pour déposer son verre, puis fit signe à Nina pour lui signifier qu’il était l’heure de rentrer. Elle fit la moue, puis après une longue demi-heure d’attente, elle abandonna enfin sa proie de la soirée.

***

Chase, à bout de souffle après avoir traversé tout Paris en courant, secoua Katelyn par les épaules.

— Ont-ils appelé ?

— Il est encore trop tôt. Nous n’attendons pas leur appel avant au moins une semaine. Pourquoi ?

— Ça me démange, dit-il en pointant son bras.

— Un accident peut arriver. Puis elle a tendance à attraper des balles perdues. À l’entraînement, ça arrivait tout le temps.

— Et si…

— Tais-toi. Du calme. Tout ira bien. Elle est avec eux. La semaine prochaine, tout sera terminé.

Chase s’assit au bord du lit et fixa son amie. Il avait envie d’y croire, mais beaucoup de facteurs leur échappaient. Dont la pièce maîtresse qui était loin d’être stable, surtout depuis la mort de Sept et Huit.

— Comment s’est passée ta filature ?

Il tâta les poches de sa veste et de son pantalon. Il avait égaré le mouchoir.

— Merde.