Captive - Julie Jean-Baptiste - E-Book

Captive E-Book

Julie Jean-Baptiste

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Beschreibung

Qui est l'homme qui la retient prisonnière, son protecteur ou son bourreau ? Elle se réveille comme chaque matin et suit la routine qu'il lui a imposée, recluse dans cet appartement. Amnésique, elle est incapable de se rappeler de son passé, et n'a pas d'autre choix que de vivre selon ses règles. Tout va changer le jour où il l'autorisera à l'accompagner dans sa société et qu'elle rencontrera une mystérieuse candidate. Il y a des vies dont il vaut mieux ne jamais se souvenir. Elle l'apprendra à ses dépens.

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Seitenzahl: 221

Veröffentlichungsjahr: 2021

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Merci à mes amies qui m’ont soutenu dans ce projet. Et surtout à Laura, qui rattrape toutes mes fautes d’orthographe et qui a créé cette magnifique couverture.

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

ÉPILOGUE

1 .

Les premiers rayons du soleil traversent le voilage et viennent éclairer les draps. C’est l’heure. L’heure de commencer la journée. La température est encore fraîche et engourdit légèrement mes sens. Je me lève et parcours le couloir jusqu’au salon. Je m’arrête un instant avant l’encadrement de la porte et me redresse. Il n’est pas là. Il n’est pas rentré ce matin. Je traîne mon corps jusqu’à la cuisine pour préparer le petit-déjeuner, mais l’appétit ne vient pas. Je me contente d’une tasse de thé et retourne dans le salon, fixant l’horloge holographique accrochée au-dessus de la porte de la cuisine.

Il est 8 h 30. Dans une demi-heure, je dois aller prendre une douche. Mes yeux fixent l’horloge, comme hypnotisés. Je vois les chiffres noirs tressaillir à force de les regarder. Elle ne brise pas le silence des lieux. Où est-il ? Il est au travail. Que fait-il ? Allez savoir. Je reste en tête à tête avec mon esprit qui est toujours aussi vide. Je ne me souviens que du jour où nous sommes arrivés ici. Plus rien avant.

C’est le deuxième hiver que je passe dans cet appartement à la décoration minimaliste, aux meubles blancs, sans un tableau au mur. Ni mon regard ni mon esprit ne peuvent s’attarder sur quelque chose. À part cette horloge, dont les aiguilles tournent lentement en silence. En général, il revient au milieu de la nuit et me serre dans ses bras. Cela me réveille chaque fois. Je n’aime pas quand il est si proche, même si j’aime le savoir près de moi ; sa présence me rassure.

9 h. Je vais me doucher. Mon corps est de plus en plus faible et je dois le traîner jusqu’à la salle de bain. Certainement parce que je ne mange plus beaucoup. J’essaie de me souvenir comment j’en suis arrivée là. Pourquoi je suis ici. La dernière fois que je lui ai demandé plus d’informations sur mon passé, il m’a rétorqué que les curieuses étaient punies. Les punitions. Ce sont les seules choses du passé dont je me souviens. Longues, effrayantes et douloureuses. Alors je m’en tiens à cette routine. Enfin, j’essaie. Je fais en sorte de lui faire plaisir et je ne peux pas m’empêcher de me dire que c’est pour mon bien. J’ai confiance en lui.

Je m’arrête au-dessus du lavabo et regarde le mur. Il n’y a pas de miroir. Il n’y a même aucun miroir ici. Aucune surface réfléchissante. Je pourrais apercevoir mon reflet dans les immenses baies vitrées, mais un voilage les occulte et je n’ai pas le droit de l’ouvrir. Si je le faisais, je suis sûre qu’il le saurait.

10 h. Je range et nettoie. Étant donné que je le fais tous les jours, il n’y a pas grand-chose à faire et tout est impeccable. Si blanc, si lisse. Même les livres blancs de la bibliothèque blanche ne détonent pas avec le reste. J’observe un instant la collection de livres. Je les ai tous lus et relus un nombre incalculable de fois.

11 h. Je devrais préparer le déjeuner, mais je n’ai toujours pas faim. Je reste en tête à tête avec moi-même, me tenant devant la cuisine où je devrais être en train de m’affairer. Depuis quelques jours, j’entends cette petite voix. Je l’appelle ma « voix intérieure », elle me tient compagnie. Parfois, elle me rappelle à l’ordre : « Tu devrais manger, tu sais. Sinon tu risques de mourir de faim. Et puis si tu manges, je t’en dirai plus sur ton passé et la raison de ta présence ici. » Je m’éloigne du comptoir sur lequel j’étais appuyée, alléchée par la perspective d’en savoir plus, et commence à préparer le repas.

14 h. Elle ne m’a rien dit. Pourtant, j’ai mangé. C’est peut-être parce que je n’ai pas réussi à terminer mon assiette. Il est l’heure de faire des étirements, de bouger un peu, pour mon bien. Je le fais. Mais mon corps me fait mal et me tire alors j’arrête rapidement et me couche sur le canapé. Mon corps est aussi raide que celui d’une poupée mécanique. Une poupée qui joue un spectacle ici tous les jours, réglée comme une horloge.

Quel jour sommes-nous ? Quel mois sommes-nous ? Quand va-t-il rentrer ? Je me sens seule. J’ai besoin de lui. Sans lui, je n’existe pas. Je vais me remettre à réfléchir, à penser. À inventer un passé et imaginer un futur. À essayer de trouver un sens à ce qui m’arrive. Comme dans mes livres. Ma petite voix s’est définitivement tue. Suis-je si curieuse et désobéissante que même elle décide de me tourner le dos ? Elle ne veut pas être punie. J’avais espéré qu’elle m’en dise plus après avoir fait ce qu’elle me demandait. Faire ce qu’on me demande. Faire ce qu’il me demande.

2 h du matin. Je me suis endormie dans le salon. Je me précipite dans la chambre et me prépare pour la nuit. Je devrais déjà être au lit depuis deux heures. S’il était rentré entre-temps, il n’aurait pas été content. Je dois me ressaisir. Pour mon bien.

Je me lève avec le soleil, l’esprit dans le brouillard. Il n’est pas venu se coucher hier soir non plus. Je traverse le couloir qui mène au salon. Malgré ma perte de poids, mes pas se font de plus en plus lourds au fil des jours. Je me fige un instant, juste avant de passer la porte, et adopte une posture plus droite avant d’entrer. Je pousse un soupir de soulagement. Il est là, couché sur le canapé.

— Que t’est-il arrivé ?

— Hum…

Il ouvre lentement les yeux et me fixe avec un sourire en coin. Son visage est égratigné et son corps est couvert de plaies qui saignent encore. Ses blessures ne semblent pas le faire souffrir.

— Tu es déjà réveillée ? Approche, demande-t-il en se redressant sur le canapé et en tapotant la place vide à côté de lui. Viens.

Son ton est devenu plus autoritaire et dénote avec son geste amical. Réticente, je m’approche de lui. Son sourire en coin me rappelle celui décrit dans les rares classiques romantiques qu’il me ramène. Face à ma trop longue hésitation, il attrape mon poignet et me force à m’asseoir près de lui. Sa tête se rapproche de la mienne et mon regard anxieux se reflète dans ses yeux qui scintillent.

— Pour panser mes blessures.

— Je vais chercher les pansements.

D’un bond, je me lève et me dirige vers la salle de bain afin de récupérer le nécessaire pour lui prodiguer les premiers soins. Silencieusement, je désinfecte ses plaies. La chair est blanche par endroit et ses blessures semblent profondes. Son rire arrogant et moqueur me fait sursauter. Je n’avais pas remarqué qu’il avait allumé la télévision. Le son est à peine audible. Il ne semble pas sentir le coton imbibé d’alcool désinfectant que je tapote sur ses plaies.

— Tes plaies sont profondes.

— Elles guériront vite. Va préparer le petit-déjeuner.

Son sourire s’est déjà évanoui et sa froideur habituelle est de retour. À la télévision, on parle du décès d’une personnalité qui semblait importante. Compte tenu de son rire satisfait et de ses blessures, je me doute qu’il est impliqué dans cette affaire. Du moins, c’est ce que me suggère ma petite voix intérieure.

Je range les pansements et le désinfectant puis me dirige vers la cuisine pour préparer une omelette, un café noir et une tartine grillée. Mes gestes sont précis, automatiques. Je pourrais le faire les yeux fermés. Une fois que le petit-déjeuner est prêt, je le lui apporte sur un plateau. Ses jambes sont désormais recouvertes d’un plaid, comme pour dissimuler ses plaies ; il doit souffrir terriblement même s’il ne laisse rien paraître.

— Aujourd’hui, je vais rester à la maison avec toi.

— Merci.

J’esquisse un sourire en lui tendant le plateau. Lorsqu’il est ici, je n’ai pas à respecter les horaires. Je me sens vivante. Il est très occupé par son travail et parfois, il lui arrive de ne pas rentrer pendant plusieurs jours. Ces derniers temps, les journées que nous passons ensemble sont devenues de plus en plus rares.

— Tu ne manges pas ? me demande-t-il.

— Je n’ai pas faim.

— Tu as perdu du poids ce mois-ci. Fais-moi plaisir et va te préparer quelque chose. Nous déjeunerons ensemble sur la table.

Le ton de sa voix n’a pas changé et pourtant mon corps se crispe. Je viens de le décevoir. Il se lève et dépose le plateau sur la table. Je retourne dans la cuisine. Les plans de travail, que je nettoie chaque jour, sont impeccables. L’ensemble est parfaitement épuré et quelques teintes de gris et de bleu viennent casser le blanc clinique de la pièce. Je me prépare un thé, ouvre le réfrigérateur, puis le referme. Même en sa présence, l’appétit ne me vient pas.

— Il y a des fraises dans le frigo et des biscuits dans le placard. Prends-les, m’indique-t-il depuis le salon.

Je m’exécute, angoissée à l’idée qu’il apprenne que je ne trouve plus l’appétit alors qu’il fait son possible pour que je mange. Je pose ma tasse et une assiette de fraises et de biscuits qu’il inspecte. La télévision est éteinte, de nouveau dissimulée par le mur.

— Que veux-tu faire aujourd’hui ?

— Je ne sais pas.

— N’y a-t-il rien que tu aimerais faire avec moi ? propose-t-il en esquissant un sourire malicieux.

— Non.

Il me caresse les cheveux, la tête penchée sur le côté, le regard songeur.

— Une partie d’échecs, ça te va ?

— Oui.

Je termine mon maigre repas et débarrasse. Je l’entends installer les pièces sur l’échiquier avec minutie, tout en m’observant. Je détourne les yeux vers le salon, parfaitement rangé et lisse comme mon esprit. Mon regard s’attarde sur le mur derrière lequel se cache la télévision et je me remémore les nouvelles du matin.

— Dis-moi… c’était toi, n’est-ce pas ? Ce monsieur dans la télé.

— Oui.

Il évite mon regard.

— Est-ce que c’est ton travail ?

— En quelque sorte.

— Dans quel domaine exerces-tu ?

— Tu es bien curieuse aujourd’hui.

— Pardon.

— Ce travail nous permet de vivre, d’accord ?

— Oui.

La nouvelle me surprend. Son attitude, surtout. Comme si ôter la vie à une personne pour gagner de l’argent n’était qu’un détail. Mais je décide de ne pas lui faire part de ma désapprobation, de peur de le contrarier. Après tout, il le fait pour nous. Afin que nous puissions vivre. La sonnerie de son téléphone brise le silence. Il le consulte, visiblement ennuyé, puis décroche et quitte la pièce.

J’attends. Bien droite sur ma chaise, les mains posées sur mes genoux. Mais il ne réapparaît pas. Ne le voyant pas revenir au bout d’une heure, je me lève et attrape un livre posé sur la table basse. Le dernier qu’il m’a rapporté. En général, il m’offre des livres sur les sciences, l’art ou des classiques de la littérature. Cette fois-ci, le thème du livre porte sur les sentiments et plus exactement sur l’amour. Intriguée, je feuillète les premières pages. Un énoncé biologique présente les sentiments et l’attirance des êtres humains les uns envers les autres. Je referme le livre et regarde la couverture jaune où le titre est inscrit en lettres rouges : « Qu’est-ce que l’amour ? ». A-t-il fait ça pour que je me laisse faire ? Ou serait-ce un test ? Je n’ai pas respecté la routine à la lettre et il est sûrement au courant. Il sait tout. Soucieuse à l’idée qu’il me découvre alors que je lui désobéis, je referme le livre, le pose exactement à l’endroit où je l’ai trouvé et me rassois face au jeu d’échecs.

L’horloge affiche 11 h. Je me lève pour préparer le déjeuner. Il n’est toujours pas ressorti de la chambre. Il lui arrive de disparaître quelques heures pour discuter au téléphone, alors je ne m’en inquiète pas. L’appartement est de nouveau plongé dans le silence. Lors de ces appels téléphoniques, je deviens soudainement sourde. Je ne sais donc pas ce qui le maintient au téléphone si longtemps. Souvent, il part travailler après avoir raccroché. Je suppose que ce sont des appels professionnels.

— Laisse-toi faire, s’il te plaît.

Sa voix suave me fait sursauter. Je ne l’ai pas entendu entrer. Ses bras m’enlacent de part et d’autre, me faisant tressaillir et je lâche le couteau. Je sens ses lèvres contre mon cou, ce qui me donne la chair de poule.

— Non…

— S’il te plaît, murmure-t-il encore.

Je me retourne, posant ma main contre son torse pour essayer de l’éloigner de moi. Il resserre son étreinte autour de ma taille et plonge alors son regard dans le mien. Ses yeux gris foncé me transpercent et me dévorent, comme s’il voulait m’avaler toute entière. Son cœur bat fort. Face à son insistance, je n’ai qu’une seule envie : fuir.

— Ton cœur bat fort. Ce n’est pas bien. Je t’en prie, arrête.

— S’il bat fort, c’est pour une autre raison.

Il m’embrasse encore dans le cou, puis sur la joue et s’arrête devant mes lèvres sur lesquelles il pose son pouce comme pour me dire de me calmer. Je ferme les yeux et baisse la tête. Son téléphone, posé à côté de la planche à découper, l’interrompt en se mettant à sonner.

— Et merde ! peste-t-il.

Il décroche et me laisse à nouveau seule. Soulagée, je me remets tout de suite au travail. Ces rapprochements me mettent mal à l’aise. Durant ces moments, je n’ai qu’une envie : m’isoler dans la chambre. Je ne sais pas ce qu’il veut, mais mon instinct me dit que c’est mal et dangereux. Mon instinct, ma petite voix. Les seuls compagnons que j’ai ces derniers jours. Ils essaient de remplir le vide dans mon cerveau lobotomisé par cette routine.

Je sers le déjeuner et attends qu’il me rejoigne. Au bout de quelques minutes, il fait irruption dans la pièce et contrarié, il m’annonce :

— Finalement, je vais devoir travailler ce soir.

— Ce n’est pas grave. C’est gentil d’avoir passé la journée avec moi. Je sais que c’est compliqué.

— Oui, c’est compliqué.

À la nuit tombée, il se lève pour partir. Debout devant la porte, mes mains rassemblées devant moi, j’attends qu’il ouvre pour le saluer. Mais sa main s’arrête un instant sur la poignée et il me regarde, hésitant.

— Veux-tu venir avec moi ?

J’ouvre grand les yeux. Le dernier vague souvenir que j’ai du monde extérieur remonte au jour où nous avons emménagé dans cet appartement. C’était il y a déjà très longtemps et tout me semble si flou. Je ne me rappelle même pas la sensation du vent sur ma peau.

— Tu es sûr ?

— Oui.

Il se dirige vers le placard et en sort un long manteau noir à capuche, dont je ne connaissais pas l’existence, puis m’aide à le mettre. Il attrape ma main et m’entraîne vers l’ascenseur. Nos pas sont étouffés par la moquette bleu nuit et les murs crème sont illuminés par une corniche. Mon cœur palpite. Je le suis dans cet engin métallique, dont j’entends chaque soir le bruit sourd résonner dans l’entrée. Lorsque la porte s’ouvre, je serre fort sa main qui ne m’a pas lâchée.

Une fois dehors, je prends une profonde inspiration. Ma première bouffée d’air frais depuis deux hivers. L’air est froid et la nuit noire est estompée par les lampadaires. Il ne semble pas y avoir âme qui vive sur le parking rempli de voitures de différentes marques et couleurs. Je me retourne et découvre pour la première fois l’aspect de l’immeuble gris dans lequel nous habitons.

— C’est par là.

Ma main toujours dans la sienne, il m’entraîne vers un véhicule noir imposant aux vitres teintées.

— Où allons-nous ?

— Au siège de ma société.

Sur la route, je m’extasie en observant l’extérieur. Les lumières des lampadaires et des voitures m’éblouissent, des immeubles différents du nôtre surgissent à l’horizon. Des grands, des petits, des blancs, des verts, des noirs. Certains possèdent des balcons sur lesquels j’aperçois enfin d’autres êtres humains. Sur les trottoirs, éclairés par les façades des bâtiments, je les observe avec curiosité : ils rient, semblent parfois aussi s’égosiller. Leurs vêtements sont différents des miens. Les filles portent des pantalons et des robes très courtes et moulantes. Rien à voir avec mes robes longues et amples, blanches et bordées de dentelles. Ils marchent en groupe ou seuls, déambulant dans les rues. Où vont-ils ?

Puis, les gens se font plus rares, les rues plus sombres. La nature prend le dessus. Les arbres se dessinent, jaillissant sous les phares de la voiture. À quand remonte la dernière fois où j’en ai vu ? La couleur de leurs feuilles oscille entre le marron et le jaune. Nous devons être en automne. La vitre se baisse comme pour me laisser humer l’odeur de la nature. Je peux entendre le doux son des feuilles sur les branches, balayées par le vent. Leur vue m’émerveille et m’apaise. Les arbres disparaissent peu à peu et des bâtiments plus austères, gris et sûrement désaffectés, les remplacent.

La voiture prend un virage et un bâtiment en brique rouge se dresse subitement devant nous, comme sorti de nulle part. Des néons roses éclairent la devanture sur laquelle je n’ai pas le temps de m’attarder. Ma portière s’ouvre et sa main m’attrape et m’entraîne vers une entrée à l’arrière du bâtiment. Il frappe à la porte en fer noir d’où un rayon de lumière jaillit, puis disparaît. La porte s’ouvre alors sur une grande salle dans laquelle se trouve un bar. Rangées comme les soldats d’une armée, des bouteilles éclairées par une lumière blanche s’alignent. Près des murs sont installés des canapés et des tables. Il y a plusieurs petites estrades au centre de la salle sur lesquelles sont fixées des barres remontant jusqu’au plafond. La lumière est tamisée et je distingue des hommes en costume, leur cravate défaite. Assises auprès d’eux, se trouvent des jeunes femmes apprêtées, très attentionnées à leur égard. Leurs vêtements soulignent leur silhouette.

Une jeune femme nous approche, interrompant mes observations. Elle a des cheveux bruns mi-longs et porte une jupe tailleur moulante. Sous sa veste, j’entrevois un bustier sous lequel on devine ses formes. Elle nous accueille avec un large sourire.

— Te voilà enfin ! s’exclame-t-elle. Oh, tu l’as vraiment emmenée ? Je n’y crois pas. Comme je suis contente de la voir !

Elle s’approche de moi et me prend dans ses bras. Surprise, je ne bouge pas et le regarde, attendant ses instructions.

— Doucement Vanessa.

— Bonsoir, me salue-t-elle en m’observant des pieds à la tête. Je suis Vanessa, l’assistante personnelle de ton frère. Il m’a tant parlé de toi. J’avais hâte de te rencontrer. Tu es tellement jolie.

— Merci. Enchantée.

— C’est pour la voir que tu as insisté pour que je vienne ce soir ? lui demande-t-il

— En partie, mais aussi parce que tu as oublié tous les rendez-vous importants pour lesquels tu t’étais engagé ce soir ! Tu sais bien que nous ne pouvons pas les repousser à plus tard.

— Tu dis tout le temps que je devrais prendre des vacances et quand j’en prends, tu n’es pas contente.

— Vérifie ton agenda avant de prendre des vacances.

Il soupire. Son attitude est si différente de celle qu’il adopte quand il est avec moi. Plus enjouée et détendue. Je me sens perdue dans ce milieu inconnu, d’autant plus qu’il ne ressemble plus à la personne que je connais.

— Bon, on commence ? Elles sont toutes là ?

— Oui, par ici.

Vanessa nous fait signe de la suivre. Des femmes surgissent de l’ombre pour prendre nos manteaux. Je lui attrape la main et le suis, intimidée. Il chuchote quelque chose à son assistante, mais je n’y prête pas attention. L’odeur de cet endroit est un mélange d’alcool et de parfum sucré. La musique est lancinante, presque envoutante et sensuelle. Les regards des femmes sont séducteurs. Elles sourient en le voyant et le saluent en l’appelant « patron ». Nous traversons un couloir éclairé par des spots avec des portes noires de part et d’autre. Des hommes y entrent accompagnés par de jeunes femmes toujours aussi attentionnées, mais beaucoup moins habillées. Ils se montrent très tactiles, certains allant même jusqu’à les embrasser. Gênée, je baisse les yeux et resserre ma main autour de la sienne.

Nous passons la porte au bout du couloir et entrons dans une pièce sans fenêtre. Des caissons en fer sont disposés derrière le bureau et un petit salon où trônent deux canapés en velours rouge est aménagé à gauche de l’entrée. Il m’installe au bureau et récupère une deuxième chaise pour Vanessa, qui s’assied près de moi. « Tu aideras Vanessa. Fais ce qu’elle te demande, » me dit-il avant de disparaître par la porte de droite. C’est la première fois que je suis avec une autre personne que lui. J’observe Vanessa qui ne semble pas gênée par ma présence. Elle sort une tablette d’un tiroir, la pose sur le bureau, puis insère une oreillette dans son oreille droite.

— Oui, c’est bon, je t’entends. J’aime tellement les jours d’entretiens. C’est parti ! s’exclame-t-elle en affichant toujours un grand sourire. Tu peux aller me chercher la première candidate ? me demande-t-elle en indiquant la porte de gauche tout en me tendant une autre tablette.

À l’écran, je découvre la photo d’une blonde dans une pose suggestive et un pseudonyme : Angel.

J’ouvre la porte et appelle la candidate.

— An… Angel ? Vous êtes la première à passer. Veuillez me suivre, s’il vous plaît.

Six femmes assises sur des chaises me fixent, les yeux écarquillés. Elles semblent stressées. Une blonde se lève enfin et me suit à l’intérieur.

— Bonsoir. Angel, c’est ça ? Comme tu es grande. Quelle est ta spécialité ? questionne Vanessa en regardant sa tablette. Le strip-tease ?

— Oui. Je croyais que je devais passer l’entretien avec le patron ?

— Tu es impatiente de faire ton numéro à ce que je vois. C’est par là, tu peux y aller.

Angel disparaît à son tour par la porte qu’il a empruntée et Vanessa note quelque chose sur un carnet. Puis, elle me regarde et me répète :

— Comme tu es belle !

— Merci.

— Je comprends mieux pourquoi il ne te sort pas souvent.

Comme il n’y a pas de miroir dans l’appartement, je n’ai qu’une vague idée de mon apparence. Mais pourquoi cela serait-il une raison de me garder enfermée ?

Vanessa étouffe soudain un rire. Face à mon regard interrogateur, elle se justifie :

— J’entends tout ce qui se passe de l’autre côté de cette porte grâce à mon oreillette. Je peux te dire que c’est très amusant.

— Quel genre d’établissement tenez-vous ?

— Il ne t’a rien dit ? demande-t-elle, surprise. Nous sommes en train de recruter de nouvelles hôtesses qui travailleront pour ton frère. Il insiste pour passer un entretien individuel avec chacune d’elles.

— Des hôtesses ?

— Des femmes qui tiennent compagnie à des hommes et qui, accessoirement, baisent avec eux.

— Baisent ?

— Oui, elles couchent avec eux.

— Ah…

À cet instant, Angel sort de la pièce avec un air plutôt satisfait.

— Cela s’est-il bien passé ? s’enquiert Vanessa en lui souriant.

— Je crois, oui.

— Nous reviendrons vers toi d’ici quelques jours, de la même manière que la dernière fois.

— Merci.

— En partant, pourras-tu demander à la prochaine candidate de nous rejoindre ?

— Bien sûr. Qui voulez-vous voir ?

— Ribbon, s’il te plaît.

Elle nous salue et une femme aux cheveux bouclés châtains lui succède. Je ne l’avais pas remarquée tout à l’heure. Ses vêtements laissent entrevoir son décolleté. Elle porte un ruban dans les cheveux et avance d’un pas déterminé jusqu’à nous, son corps ondulant du haut de ses talons. Vanessa lui pose des questions et lui indique la pièce à notre droite. Les yeux verts de Ribbon se plantent sur moi et me fixent un instant, puis elle s’en va. Mon cerveau se fige. Mon rythme cardiaque s’accélère. Ce regard, je le connais.

— Elle est chaude comme la braise celle-là. Il va n’en faire qu’une bouchée, s’esclaffe Vanessa, me ramenant à l’instant présent.

— Il va la manger ?

— Oui, dit-elle en riant avant de continuer. Oh, comment ça tu ne veux pas que je lui dise que tu vas lui bouffer la chatte ? Elle ne peut pas être naïve à ce point, ajoute-t-elle en m’examinant. En fait, si. C’est à se demander ce qu’on apprend aux jeunes d’aujourd’hui dans les cours de récréation.

— Que se passe-t-il ?

— Mon très cher patron ne veut pas que je te l’explique.

— Parce que ce n’est pas légal ?

— Il dit simplement que ça ne te regarde pas. Mais officiellement, nous sommes dans un bar. Ce que nous faisons est légal. Tiens, il a coupé le son. Je n’entends plus rien.

— C’est normal ?

— Ça arrive parfois.

L’entretien avec Ribbon dure un peu plus longtemps que le précédent. En jetant un œil sur son dossier, j’apprends que son vrai prénom est Alice. Lorsqu’elle sort enfin du bureau, elle a l’air troublée et moins sûre d’elle. Elle me fixe encore un instant avant de disparaître sans nous dire un mot. Vanessa, interpellée, l’interroge sur ce qui s’est passé par l’intermédiaire de l’oreillette. Puis elle se lève pour aller chercher la troisième candidate, qui semble impatiente à l’idée de rencontrer le patron. Vanessa lui pose les mêmes questions et l’invite à se rendre dans la pièce où il se trouve. Quelques minutes plus tard, elle sort, accompagnée par lui.

— Préviens les autres que je fais une pause, glisse-t-il à Vanessa.

Elle se lève, entrouvre la porte et crie : « Il fait une pause !Vous avez quinze minutes ! »

— Vous voulez quelque chose à boire ? nous propose-t-il.

Nous faisons non de la tête et il quitte la pièce.

— Ce n’est pas vraiment ton frère, n’est-ce pas ?

— Non, pas vraiment. Nous sommes orphelins et avons grandi dans le même orphelinat. Il a toujours veillé sur moi.

— Est-ce que tu l’aimes ?

Je la regarde, étonnée. Cette question me laisse perplexe et n’est pas sans me rappeler le livre qu’il m’a offert.

— Vous êtes mignons tous les deux, ajoute-t-elle.

— Nous ne sommes pas en couple.