Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Captive est un thriller psychologique de science-fiction qui se déroule en URSS en pleine guerre froide. C'est une quête d'identité et de liberté pour ces mutants qui fascinent autant qu'ils dérangent. Comment vivre lorsque toutes vos certitudes ont été ébranlées ? Dans le cinquième tome de la saga, Deux doit faire face à la vérité et apprendre à s'approprier sa vie loin du laboratoire et des missions, dans un monde moderne qu'il connaît peu, à côté d'une Numéro Un qui est devenue une étrangère.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 336
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Dans le tome précédent…
Automne 1972 États-Unis
1. Chapitre
2. Chapitre
3. Chapitre
4. Chapitre
5. Chapitre
6. Chapitre
7. Chapitre
8. Chapitre
9. Chapitre
10. Chapitre
11. Chapitre
12. Chapitre
13. Chapitre
14. Chapitre
15. Chapitre
16. Chapitre
Saison sèche 1974 Panama
17. Chapitre
18. Chapitre
19. Chapitre
20. Chapitre
21. Chapitre
22. Chapitre
23. Chapitre
24. Chapitre
25. Chapitre
26. Chapitre
27. Chapitre
28. Chapitre
29. Chapitre
30. Chapitre
31. Chapitre
32. Chapitre
33. Chapitre
34. Chapitre
35. Chapitre
36. Chapitre
37. Chapitre
38. Chapitre
39. Chapitre
40. Chapitre
Printemps 1984 États-Unis
41. Chapitre
42. Chapitre
43. Chapitre
44. Chapitre
45. Chapitre
46. Chapitre
47. Chapitre
48. Chapitre
49. Chapitre
50. Chapitre
51. Chapitre
52. Chapitre
53. Chapitre
54. Chapitre
55. Chapitre
56. Chapitre
57. Chapitre
58. Chapitre
59. Chapitre
60. Chapitre
61. Chapitre
62. Chapitre
63. Chapitre
64. Chapitre
65. Chapitre
66. Chapitre
67. Chapitre
68. Chapitre
69. Chapitre
Été 2020
70. Chapitre
71. Chapitre
72. Chapitre
73. Chapitre
74. Chapitre
75. Chapitre
76. Chapitre
77. Chapitre
78. Chapitre
79. Chapitre
80. Chapitre
Les sujets ont échoué. Malgré leur plan, ils ne sont pas parvenus à se libérer suffisamment de l’emprise des Zaystrev pour s’évader. L’imminence de la menace du gouvernement soviétique pousse les Zaystrev à fuir avec leurs cobayes aux États-Unis. Enfermés dans un sanatorium en Pennsylvanie et drogués en permanence, les sujets sont impuissants. N’ayant plus besoin de Numéro Deux, Jonathan l’échange contre du matériel à un laboratoire développant des membres bioniques pour des militaires à La Nouvelle-Orléans. Là-bas, il sert de cobaye aux docteurs Butler et Laurence pour un nouveau projet de nanorobots.
Désormais loin de l’emprise des Zaystrev et sevré, Deux parvient à retrouver la mémoire et retourne sauver les autres. Mais trop tard. La dernière création de Jonathan aura eu raison de ses camarades. Ils sont libres, mais ne sont plus que tous les deux. Qui plus est, perturbée par la mort des siens, Numéro Un a disparu au profit des personnalités avec lesquelles Deux devra dorénavant composer.
Deux était focalisé sur la direction à suivre. Numéro Un était assise à côté de lui, tremblante, le regard perdu dans le vide.
Les nouvelles capacités de Deux l’empêchaient de trop penser à l’état de Un. Pour l’instant, le vrombissement des pales de l’hélicoptère allié à l’odeur du sang de ses camarades le perturbait déjà suffisamment. Il dut redoubler de concentration pour se souvenir du chemin du retour. La maison achetée par les autres à La Nouvelle-Orléans possédait un terrain à l’arrière, où il posa l’appareil. Ils restèrent un moment assis à l’intérieur de l’habitacle. Juste tous les deux.
Dehors, seul le chant des oiseaux brisait le silence. À quelques centaines de mètres face à eux se dressait de façon lugubre la villa créole à moitié décrépie. Les arbres recouverts de mousse espagnole demeuraient immobiles sous l’écrasante chaleur humide de la Louisiane. Pourtant, une enveloppe glacée les entourait ; la marque de la disparition des leurs les pénétrait jusqu’à l’os. La chose qui leur avait fait ça le regretterait, se promit Deux.
Malgré tout, ils devaient aller de l’avant.
Il appela Numéro Un à plusieurs reprises, mais elle ne répondit pas. Ses doigts gelés ne réagirent pas non plus à sa caresse.
Deux la porta jusqu’à la chambre à l’étage où il la coucha délicatement sur un lit une place. Rien n’avait bougé depuis sa dernière visite. Les yeux de sa partenaire se perdirent sur le plafond défraîchi. Il effleura les mèches courtes de ses cheveux agglutinés par le sang. Sa première mission serait de la laver.
La salle de bain attenante était bien conservée. Au-delà de la poussière, le lavabo à colonne rond, la baignoire sur pied et le sol en carrelage blanc et noir étaient propres. Dans une boîte en aluminium, il trouva un bloc de savon et un gant. Le placard près du lavabo renfermait des serviettes et des sous-vêtements en tout genre. En fouillant, il tomba sur un mot :
« Le puits est à côté du magnolia derrière la maison. Oui, il faut faire chauffer l’eau sur le poêle près de la baignoire. »
Derrière la carte, une écriture rageuse avait noté :
« La prochaine fois, achète au moins une baraque avec l’eau courante et l’électricité. Merde. »
Trois et Cinq devaient être les auteurs de ces messages. La réalité rattrapa son sourire.
Ils auraient dû être tous là. Numéro Un aurait dû être éveillée, en train de préparer leurs prochains déplacements. Il aurait dû être en train de calmer les ardeurs de Neuf et Dix qui seraient certainement passés à l’acte à la moindre occasion. Il aurait dû être en train de canaliser les envies de meurtre de Cinq et Six et la soif de pouvoir de Quatre et Trois afin qu’ils ne renversent pas tout un gouvernement pour prendre leur place, par plaisir.
Ils auraient dû tous être ici pour célébrer leur victoire, leur liberté.
Au lieu de ça, ils étaient seuls. Les deux derniers survivants de leur espèce. Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire. Ses souvenirs lui faisaient encore défaut, l’acuité de ses sens le déroutait et il craignait qu’une personnalité ne se réveille à la place de Un quand elle serait enfin sortie de sa léthargie.
Sa main tâta les poches de son survêtement, à la recherche d’une cigarette, mais elles étaient vides. Il soupira et s’attela à l’allumage du poêle et à la préparation du bain. Après quelques allers-retours, il se posta devant elle et lui dit :
— Numéro Un, je t’ai préparé un bain.
Il attendit une réaction qui ne vint pas. Doucement, il retira la blouse d’hôpital marbrée de cramoisi. Elle émit quelques gémissements de douleur et grimaça, mais ne protesta pas. Son corps nu et froid était constellé de taches noires et violettes, des hématomes provenant sûrement du combat avec la chose.
Lentement, l’eau chaude du bain l’accueillit, se teintant de rouge. À son contact, elle poussa à nouveau un soupir. Deux attrapa le savon et le gant pour la nettoyer. Mis à part les bleus, il ne nota aucune blessure, ce qui le rassura.
— Je vais plonger ta tête sous l’eau, pour laver tes cheveux, d’accord ?
Il n’attendait plus de réactions et sa parole suivit son geste. Les derniers restes des siens encore accrochés à elle se dissipèrent dans l’eau. Soudain, cherchant de l’air, Numéro Un s’agita. Ses bras brassèrent le vide jusqu’à s’agripper au rebord de la baignoire. Des larmes se joignirent aux gouttes d’eau qui perlaient sur son visage. Elle observa nerveusement son environnement, totalement perdue.
— Je suis là, Un. Je suis là. Calme-toi.
Il la serra contre lui et continua de la rassurer. Après un moment, elle se détendit et enfouit sa tête contre son torse en s’accrochant à son survêtement. Il la sortit du bain, la sécha et l’habilla avec une robe blanche et bleue à carreaux qu’il avait trouvée dans l’armoire de la chambre. Numéro Un s’endormit, et il en profita pour se changer et faire le tour de la maison.
Le soleil déjà chaud du matin réveillait doucement la vieille demeure qui sentait le renfermé. Ses rayons mettaient en lumière les nuages de poussière qui virevoltaient dans les pièces. Des bougies disséminées un peu partout et l’absence d’interrupteurs confirmèrent le manque d’électricité. Dans les placards et le garde-manger, ni nourriture ni eau potable. Il n’y avait pas non plus d’armes ou d’indices pour la suite. Cet endroit ne devait être qu’un premier point de chute.
Tout à coup, une sonnerie de téléphone interrompit ses recherches. Le son provenait d’un combiné fixé au mur de la cuisine. Surpris, il décrocha.
— Bonjour ?
— Buenos días, Marco. C’est Lucas ! Je suis content de t’entendre enfin. Ça fait une semaine que j’essaie de t’avoir. Alors, le Panama ? C’est toujours bon pour toi et ton équipe ?
Bien que Deux ne reconnut pas l’accent hispanique et enthousiaste à l’autre bout du fil, il joua le jeu.
— Oui. On ne sera que deux finalement.
— Deux ? Avec des personnes comme vous, je suis sûr que ce sera suffisant. Je réserve les billets et je préviens Miguel pour la villa. Vous serez reçus comme des rois. On se retrouve à notre café habituel ?
— Oui, rappelle-moi juste l’adresse.
— Le Galatoire’s restaurant en centre-ville. Dans deux jours à 11 h.
— À dans deux jours.
Deux raccrocha. C’était peut-être la suite du plan. Le prénom Mark ou Marco lui évoquait quelque chose de familier. En fouillant dans sa mémoire, il se souvint des passeports et des permis de conduire dissimulés dans une boîte dans l’armoire. Leur prochain point de chute se trouvait donc hors du pays. Étant donné qu’un avis de recherche avait déjà dû être lancé pour les retrouver, cela paraissait logique.
Sans aucune certitude, il tenta d’appeler un numéro. Après quelques sonneries, Martine, la secrétaire, décrocha. Il réussit à plaider sa cause afin qu’elle lui passe Elizabeth.
— Docteur Laurence à l’appareil, j’écoute.
— Je suis content de vous entendre. Je vais avoir besoin d’un endroit où me réfugier pendant quelque temps. Une semaine tout au plus.
— John, c’est vous ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Il y a eu un problème à l’hôpital ? Est-ce que vous allez bien ?
— Je préfèrerais vous expliquer la situation de vive voix.
Le ton empreint de tristesse de son ancien patient étonna Elizabeth. Cela ne lui ressemblait pas.
— Bien sûr. Venez. En contrepartie, je vous ferai passer des tests. Vos camarades seront ravis de vous revoir. Vous êtes parti de façon assez soudaine.
— J’arriverai par les airs. Pourriez-vous prévenir votre équipe ?
— Sans problème. À quelle heure ?
— Dans une demi-heure, tout au plus.
— À tout de suite.
Deux raccrocha et fit un dernier tour de la maison. Ici et là, il trouva des mots échangés par ses camarades sur des cartes postales. Il les ramassa, récupéra la boîte dissimulée dans le renfoncement du placard et rangea le tout à l’arrière de l’habitacle de l’hélicoptère ; près des documents pris au laboratoire. Puis, il porta Numéro Un encore endormie jusqu’au siège passager.
Derrière lui, il laissa son uniforme en jersey, dernier signe de leur asservissement, se consumer dans le poêle.
Elizabeth attendait son ancien cobaye sur le toit du centre. La chaleur étouffante de ce début d’après-midi lui faisait déjà regretter le confort de l’air conditionné de son bureau.
Sa curiosité se mêlait à l’inquiétude et l’enthousiasme. Que pouvait-il bien s’être passé dans cet hôpital psychiatrique pour qu’il revienne si vite ? Peut-être avait-il changé d’avis. Les nanorobots l’avaient-ils aidé à se souvenir de son passé ? Son absence n’avait finalement duré que vingt-quatre heures et elle avait hâte de savoir ce qui l’avait amené à rebrousser chemin en si peu de temps.
Un point noir apparut dans le ciel bleu et l’équipe s’agita sur l’héliport pour accueillir l’engin. L’appareil se posa en douceur et Elizabeth remarqua avec surprise que John pilotait et qu’il n’était pas seul. Il descendit, habillé en chemise et pantalon noir, une jeune fille dans les bras. Il la serrait et la protégeait de sa stature. C’était la première fois qu’elle le voyait porter autre chose que l’uniforme du centre ou de l’hôpital d’où il venait.
— Bonjour John, je ne m’attendais pas à vous revoir si vite. Qui est-elle ?
Il ne répondit pas à sa question. Son visage se ferma et il la blottit davantage contre lui, dissimulant la jeune femme.
— Je répondrai à vos questions une fois que nous serons au sous-sol. Il y a des documents très importants et confidentiels dans l’hélicoptère. Dites à vos employés de ne pas y toucher. J’irai les ranger dans mon ancienne chambre, si elle est encore libre, ou bien en bas. Voire mieux, dans votre bureau.
Elizabeth accueillit ses demandes bouche bée. Elle comprit à son ton, à son regard méfiant et à sa posture défensive que quelque chose de grave s’était produit. Son sourire s’évanouit en demi-lune et elle lui fit signe de la suivre.
Une fois au sous-sol, John déposa délicatement sa protégée sur le lit médicalisé qui l’avait déjà reçu. Elizabeth ferma la porte derrière eux.
— Nous sommes en sécurité ici. On ne peut pas nous entendre et personne ne viendra. Dites-moi tout. Que s’est-il passé ?
Il fit face à une Elizabeth encore peu habituée à ce nouveau John pétri de défiance. Il serra la mâchoire et lui dit :
— Docteure Laurence. Je ne sais pas par où commencer. Pour faire court, elle et moi sommes des sujets d’études créés par manipulation génétique. Je ne viens pas d’un hôpital psychiatrique, mais d’un laboratoire de recherche. Si vous ne me croyez pas, demandez au docteur Butler. Il sait tout.
Elizabeth cligna des yeux, incrédule.
— William m’a dit que vous sortiez d’un programme qui étudie les personnes qui ne ressentent pas la douleur.
— C’est bien plus que ça, docteure. Je ne savais pas où l’emmener pour qu’elle soit en sécurité. Même si vous m’avez acheté pour m’injecter vos choses, je sens que je peux avoir confiance en vous. Tout le monde là-bas, au laboratoire, est… mort. Nous… nous sommes les derniers…
John baissa la tête et passa ses doigts dans ses cheveux. C’était la première fois qu’il parlait de leur disparition à voix haute. Elizabeth s’approcha, se voulant réconfortante.
— Oh mon dieu, John, c’est terrible. Je suis tellement désolée.
Elle posa sa main contre son épaule.
— Mais, vous vous souvenez de tout maintenant ?
— Mes souvenirs reviennent petit à petit. Je pense que je n’aurais jamais pu me réveiller sans vos nanorobots.
— Ça a vraiment fonctionné ? Ils vous ont aidé ?
— C’est un ensemble de choses. Mais je me dis que ça a grandement aidé.
Elle poussa un petit cri de joie et sautilla sur place.
— John, je suis tellement contente !
— Et appelez-moi Deux.
Elle marqua une pause, surprise.
— Deux ? Comme le chiffre deux ?
— Oui. Et voici Numéro Un…
Il lui caressa doucement la main et la regarda tristement. Son sommeil ne semblait pas paisible. Derrière ses paupières, ses pupilles bougeaient activement.
— Mon dieu, ils ne vous ont même pas donné de prénom ? Même à mes souris je leur donne un petit nom. Oh mon dieu ! Vous êtes les premiers !
Elle cacha sa bouche avec ses mains, craignant d’avoir parlé trop fort. Elle s’excusa et reprit :
— Très bien, Deux. Dites-moi, que lui arrive-t-il ?
— Elle a assisté à ce qui s’est passé au laboratoire et ne l’a pas supporté. Elle tenait beaucoup aux autres…
De nouveau, il baissa la tête et son regard se perdit dans le vide. Sa mémoire était revenue, mais elle avait emporté avec elle l’insouciance du John Doe qu’elle avait connu.
— Elle est sous le choc, c’est normal. Il faut lui laisser du temps. Je peux demander à un de nos infirmiers de confiance de la surveiller. Il est habitué aux personnes ayant subi des traumatismes.
— Non, je préfèrerais que le moins de monde possible soit au courant de sa présence.
— Je ne pourrai pas la surveiller, Deux, dit-elle en utilisant ce chiffre en guise de prénom, ce qui lui fit tout drôle. Cela éveillerait les soupçons. La vie a repris ici, et avec elle mes obligations.
— J’imagine…
Deux hésita. Il ne pouvait pas rester à son chevet. Il devait préparer leur départ et craignait le moment où elle sortirait de sa léthargie. Qui se réveillerait ? Pourrait-il seulement la ramener ?
— Faites venir cet infirmier. Mais il doit savoir se défendre.
— Pourquoi ? Elle est dangereuse ?
— Je ne sais pas.
— Tous nos infirmiers sont d’anciens militaires, ça devrait aller. Que comptez-vous faire ?
— Je dois me rendre en ville. Si tout va bien, j’espère que l’on pourra quitter le pays d’ici cinq ou six jours.
Elizabeth avait très envie de savoir comment deux êtres vivants sans identité allaient faire pour « quitter le pays », mais elle se refréna de poser la question. Deux fronça les sourcils et l’observa.
— Vous êtes curieuse, docteure Laurence. Mais moins vous en savez, mieux c’est.
Deux s’étonna lui-même. D’habitude, il pouvait deviner les intentions des personnes en face de lui grâce à leur langage corporel, mais cette fois, le son s’était ajouté.
Une nuée de grésillements, pareil à une radio qui ne captait pas, l’avait accueilli un peu avant qu’il n’atterrisse sur le toit du centre. Il avait mis cela sur le compte de son ouïe devenu plus fine et des grésillements des talkies du personnel. Pourtant, même au sous-sol, ces parasites lui chatouillaient l’oreille, entrecoupés de mots, de phrases ou parfois d’images. Son ouïe quant à elle, n’entendait pas d’autres bruits aux alentours, à part ceux de la ligne de montage des membres bioniques. Il était en train de se métamorphoser, comme Sept et Huit.
— Je vais chercher les documents. Est-ce que vous pouvez rester le temps que je fasse l’aller-retour ou je dois attendre l’infirmier ?
— Euh… je peux rester un moment.
— Merci pour tout.
— Après tout ce qu’il s’est passé, c’est la moindre des choses.
Il disparut sans rien ajouter. Elle se retourna brutalement quand elle se rendit compte qu’elle ne lui avait pas transmis de badge pour les accès. Elle tâta la poche vide de sa blouse. Comme la première fois, il le lui avait subtilisé. Elle rigola doucement et se tourna vers sa semblable.
S’il ne lui avait rien dit, jamais elle n’aurait cru qu’ils étaient autre chose que des êtres humains normaux. Ce qui l’étonnait cependant, était que rien sur son corps ne laissait entrevoir l’épreuve qu’elle venait de vivre. « Numéro Un », semblait être en train de faire une sieste. Elles avaient la même longueur de cheveux courts et noirs, mais la texture de la docteure était plus frisé qu’ondulé.
Tout à coup, Numéro Un poussa un gémissement. Elizabeth écarquilla les yeux et se chuchota à elle-même :
— S’il te plaît, surtout, ne te réveille pas.
Le docteur Butler traitait quelques paperasseries administratives dans son bureau. Maintenant qu’ils avaient sécurisé les fonds pour l’avenir du centre, il devait statuer sur les fonctionnalités finales des nanorobots ainsi que sur la répartition de l’argent.
Soudain, un des talkies posés sur son bureau et réglé sur les communications avec l’équipe aérienne grésilla. Selon son agenda, aucun appareil n’était attendu aujourd’hui. Il s’étonna donc d’entendre un des chefs d’équipe distribuer des ordres comme si un engin venait de se poser.
William se redressa brusquement. Pensant à une visite surprise du général, il bondit hors de son bureau et grimpa à toute vitesse jusqu’au toit du centre.
Ses employés s’affairaient autour d’un hélicoptère. Mais pas de celui de l’armée. Il reconnut l’engin qui avait emmené John hors de son centre. Il intercepta l’un des agents et lui demanda :
— Que se passe-t-il ? Qui a donné l’autorisation pour que cet appareil se pose ici ?
— La docteure Laurence.
— Et qui était dans cet appareil ?
— Deux personnes. Un homme et une femme. Elle avait l’air mal en point, je suppose que c’est pour elle.
William fronça les sourcils. S’il y avait bien des femmes dans l’armée américaine, elles n’étaient pas autorisées à aller en mission. Le centre n’avait aucune patiente féminine.
— Et l’homme ? Qui était-ce ? Vous l’avez reconnu ?
— John Doe je crois.
Cette fois William écarquilla les yeux. Il croyait s’être débarrassé de ce poids.
— Enfin, pas sûr. Je l’ai vu qu’une fois. Mais il doit repasser prendre des affaires « top secret ». Nous avons interdiction de décharger l’appareil.
William marcha à grands pas vers l’hélicoptère et pénétra dans l’habitacle. À l’arrière se trouvaient des boîtes d’archives, une caisse et deux grands sacs noirs. Il en ouvrit un à la hâte et fouilla dans les documents. Un dossier dans les mains, il se pétrifia.
— Vous êtes bien curieux. Docteur.
Il sursauta en reconnaissant la voix du cobaye qu’il avait marchandé comme du bétail. Le poids de la culpabilité s’abattit lourdement sur ses épaules et il manqua de tomber lorsqu’il fit volteface.
— Pourquoi vous êtes ici ? Je croyais que vous deviez rentrer là d’où vous venez.
— Ce n’était pas l’hôpital psychiatrique de votre description. J’ai cru bon de retourner à l’envoyeur.
— Je ne veux plus de vous ici.
— Vous êtes deux à gérer cet endroit si je ne me trompe.
— Elizabeth… maugréa William. Nous en discuterons tous les deux et vous ne ferez pas long feu dans mon centre.
— Je ne compte pas m’attarder de toute façon. En attendant vu que vous étiez mon dernier propriétaire.
Il lui jeta un regard plein de reproches et William ne sut plus quoi dire.
— Bon et bien puisque vous êtes là, est-ce que vous pourriez m’aider à ramener mes affaires dans ma chambre ?
— Qu’est-ce que c’est que tout ça ? Ce sont les recherches du docteur Zaystrev si je ne me trompe ? Que s’est-il passé là-bas ?
— L’une de leurs expériences a mal tourné. Il est mort.
Deux lui avait dit cela froidement, en lui tendant la plus petite des boîtes. Il empoigna les deux sacs noirs et cala la caisse sous le bras en direction de son ancienne chambre : la numéro douze.
— Où suis-je ?
Merde, elle s’est réveillée, jura intérieurement Elizabeth. La jeune fille s’était redressée timidement et avait ramené ses jambes contre sa poitrine. Elle osait à peine poser les yeux sur elle, éblouit par les néons de la pièce aux murs blancs.
— Est-ce que vous êtes une nouvelle assistante du docteur Zaystrev ?
Elizabeth, comme à son habitude, portait sa blouse blanche.
— Non pas du tout, opposa-t-elle avec les mains. Je… je suis une amie de… de John.
— Qui est John ? demanda-t-elle en penchant la tête.
— Deux. Je suis une amie de Deux. D’ailleurs, il va revenir d’une minute à l’autre.
— D’accord.
Elle appuya son menton sur ses genoux et fronça les sourcils. La nouvelle n’avait pas l’air de la réjouir. Elle ferma les yeux et se mit à psalmodier puis à se frotter les tempes. Tout à coup, elle s’assit au bord du lit. Son regard avait changé et elle lui reposa la question, cette fois avec de la détermination dans la voix.
— Qui êtes-vous ? Vraiment.
— Je vous l’ai dit, je suis une amie de Deux.
— Ses amis ne portent pas de blouse blanche. À moins qu’il ait changé de camp.
Elle serra les poings et tenta de se redresser, mais elle poussa une plainte de douleur et se recroquevilla au sol.
— Est-ce que ça va ? Vous avez mal quelque part ? s’enquit Elizabeth.
La jeune fille lui opposa son bras afin qu’elle recule. Puis elle se mit à se parler à elle-même : « Chut, chut. Pas toutes en même temps ». Elizabeth repensa à l’hôpital psychiatrique ; et bien qu’elle sût qu’ils ne venaient pas de là, douta et fit un pas en arrière. Elle n’avait jamais travaillé avec des patients psychotiques. Si certains des militaires souffraient de syndrome post-traumatique, ils étaient sous contrôle.
Soudain, quelqu’un frappa à la porte :
— Elizabeth ? C’est William. Je peux entrer ?
Il manquait plus que ça, se crispa Elizabeth. Connaissant William, il ne verrait certainement pas d’un bon œil leur retour ici.
— Non attends, la patiente est nue. Je sors.
Elle s’exfiltra hors de la pièce en faisant signe à Un de rester calme.
— Un souci ? demanda Elizabeth à William.
— Je viens de croiser John. Notre John Doe qui était censé être rentré là d’où il vient.
— Ah. Tu l’as croisé ?
— Et comment. Je l’ai même aidé à descendre des affaires dans sa chambre. Il est en train d’étudier des documents au moment où on se parle. Et qui est cette patiente ? On n’a pas de patientes ici. Les gars là-haut m’ont dit qu’il y avait une femme avec lui. C’est elle qui est là-dedans ?
Il tenta de rentrer, mais Elizabeth l’en empêcha.
— Non, il est arrivé seul. Ils ont dû confondre.
— Laisse-moi passer Elizabeth.
— Non Will, la… le patient n’a pas envie de voir du monde.
— Elizabeth !
Il feinta et parvint à ouvrir la porte. Numéro Un au sol glissa sous le lit.
— Non seulement tu l’as laissé revenir, mais en plus avec sa compagnie. Ils sont combien ? Il les a tous ramenés ici ? invectiva William en faisant l’aller-retour entre Un et sa collègue. Tu aurais pu me consulter avant Elizabeth, lui reprocha-t-il.
— Est-ce que tu m’as consulté avant de le choisir pour le projet ? Est-ce que tu m’as consulté avant de choisir de ne pas injecter les nanorobots et de mentir au général ? Non ! Et ça, c’était plus grave que de recueillir deux personnes, totalement perdues pour moins d’une semaine.
Tout à coup, Elizabeth se calma et se retourna vers Un. Elle se balançait maintenant, les poings fermés contre ses tempes. Son esclandre avait dû l’effrayer.
— Terminons la conversation dehors.
Elle entraîna son collègue dans le couloir.
— Qui te dit qu’ils vont vraiment rester moins d’une semaine ? Si ça se trouve, il ment.
— Il t’a donné l’impression de mentir ? Et puis tu n’as pas vu comment il est avec cette fille. Il ne se sent pas en sécurité ici William. Il ne restera pas. Surtout avec toi dans les parages.
— Tant mieux. Et ce n’est pas une fille, c’est une chose. Et la première en plus. Donc la plus monstrueuse.
— Tu n’as pas honte de dire ça ? Est-ce que tu considères nos patients greffés comme des choses aussi ? Est-ce qu’ils perdent leur humanité parce qu’ils ont un membre bionique ?
— Ce n’est pas pareil Elizabeth.
— Si ! Ils ont été conçus avec des améliorations, mais ça ne leur enlève pas leur part d’humanité. Deux est triste. Il a perdu toute sa famille dans cet incident. Cette fille est traumatisée par ce qu’il s’est passé là-bas. On ne peut pas les jeter dehors sous prétexte… sous prétexte qu’ils ne seraient pas « humains ».
— Le centre vient de récupérer son financement, ils vont nous coûter de l’argent.
— Comment oses-tu ? C’est grâce à lui qu’on a pu récupérer les fonds.
— Ils vont nous apporter des problèmes je le sens.
— Laisse-leur une semaine. C’est tout ce que je te demande. Et après on verra.
William hésita. Il se souvenait encore de l’incident avec Deux où il avait dû, lui et ses patients, le maîtriser. Mais il culpabilisait et abdiqua.
— D’accord. Mais si dans une semaine ils sont encore là, j’appelle l’hôpital psychiatrique le plus proche et je les fais interner.
— Will !
William sortit en coup de vent hors du sous-sol. Il devait vérifier ce que Deux leur avait dit à propos du laboratoire et du docteur Zaystrev.
Deux se tenait seul au milieu de la pièce face aux bagages qu’il avait rapportés. Le mobilier de la chambre avait en grande partie été remplacé depuis sa crise et il ne manquait que l’électronique. À cette heure, les quartiers des militaires et les couloirs étaient vides. Les patients déjeunaient ou se rendaient à leur consultation et le bourdonnement de pensées qui gênait Deux ne correspondaient plus qu’à un léger froissement.
Il ne savait pas par où commencer. Les caisses contenaient majoritairement des bandes vidéo et audio. Il n’avait pas le matériel nécessaire pour les lire et il s’interrogeait sur sa capacité à supporter ce qu’il pourrait voir ou entendre. Il ouvrit un premier sac, d’où une odeur de parfum d’agrume émana, et prit deux carnets noirs : les journaux du professeur Dan et celui du docteur Zaystrev senior.
Les battements de son cœur s’accélérèrent lorsqu’il tomba sur un cahier dont la page de garde annonçait « personnalités ». C’était exactement ce dont il avait besoin. Mais quelque chose, son instinct, l’avertissait. Il découvrirait des choses qu’il savait déjà tout au fond de lui. Des choses terribles, que Jonathan s’était efforcé de lui cacher ou d’effacer de sa mémoire. Il le posa et commença par le journal de Dan. Des annotations d’une écriture différente ; probablement faites par Jonathan, parsemaient les entrées du professeur. Les pages claquaient entre ses doigts, comme les voiles d’un bateau dans une tempête. Le souffle coupé, il se jeta sur celui de Jonathan. Incrédule, il continua sa lecture, ouvrant et parcourant chaque dossier, jusqu’à ce que le sol de toute la pièce soit tapissé de feuilles et de photographies. Il fit de même avec la deuxième valise. Sans s’en rendre compte, il avait cherché nerveusement dans la poche de son pantalon une cigarette salvatrice.
Enfin, il reprit le fameux carnet de personnalité. La main tremblante, il en découvrit le contenu. Au bout de quelques minutes, il lâcha l’objet à terre et planta ses doigts dans ses cheveux et ferma les yeux. Sous ses pieds, l’océan de faits accablants des rapports engloutissait ses fausses certitudes.
Tout ceci ne pouvait être qu’une erreur. Une grossière erreur. Les employés s’étaient peut-être trompés. Pourtant, au fond de lui, il connaissait la vérité.
Toute leur vie n’avait été qu’un mensonge.
De retour dans son bureau, William n’arrivait plus à se concentrer. Cette affaire l’irritait. Il avait essayé de joindre les docteurs Zaystrev ; refusant de croire à la version de Deux, sans succès. La ligne était coupée. Il tripotait un stylo nerveusement quand sa secrétaire lui transmit un appel des services secrets. Très rarement, des agents des services spéciaux échouaient dans son centre pour réparation.
— Docteur Butler, j’écoute.
— Docteur Butler, je suis l’agent Winchester. Je vous contacte au sujet du centre des docteurs Zaystrev. Il y a de cela vingt-quatre heures, des employés ont prévenu que l’un des sujets avait fait exploser le laboratoire et était reparti en hélicoptère avec des documents confidentiels. Vous êtes le dernier à avoir été en contact avec le docteur Zaystrev senior et son sujet. Savez-vous quelque chose sur la localisation du sujet numéro deux ?
William se redressa et laissa tomber son stylo. Il repensa à Elizabeth et à sa promesse. Il repensa aux cellules, aux colliers électriques, aux drogues et à la coercition.
— Et si je savais quelque chose, qu’est-ce que ça changerait pour vous ?
— Hors de contrôle, les sujets peuvent être très dangereux. Nous savons de quoi ils sont capables, car nous avons déjà travaillé avec eux. Vous avez dû assister à leur entraînement ?
— Euh oui.
— Sachez que cela n’était pas qu’une démonstration. Nous souhaitons le récupérer pour la sécurité de tous.
— Et que ferez-vous de lui une fois que vous aurez la main dessus ?
— C’est notre problème, pas le vôtre. J’ai cru comprendre que vous venez de recevoir une importante somme d’argent pour votre centre. Je suis sûr que si le général apprenait qu’en réalité ce que vous leur avez promis est faux, il n’hésiterait pas à vous faire tout rembourser. Jusqu’aux derniers centimes.
— Les nanorobots fonctionnent.
— Ce n’est pas ce qu’il croira.
William ferma les yeux, il avait du mal à respirer. Il ne s’était pas donné toute cette peine pour tout regarder partir en fumée à cause de ces choses.
— Ils sont là. Ils sont revenus en fin de matinée.
La main à plat sur son bureau, William attendit le verdict de son mystérieux correspondant. Il ne pouvait pas le voir, mais il entendit son sourire.
— Dois-je comprendre qu’il n’est pas revenu seul ?
— Il est avec sa partenaire. Le sujet numéro un. Les autres n’auraient pas survécu, débita William froidement.
— Vous avez le sujet numéro un ? C’est bien. Très bien même. Savez-vous s’ils ont prévu de bouger ?
— Il m’a dit qu’ils partiraient d’ici une semaine.
— Prévenez-moi s’il y a du mouvement et ne tentez rien. Nous interviendrons au plus vite. Vous recevrez une demande d’autorisation pour atterrissage de ma part. Acceptez.
— C’est compris.
— Dernière chose. Vous ne dites rien à personne. Même pas à votre associée et surtout pas à eux.
— Bien monsieur.
— À très bientôt.
Charly sortait de sa partie de basket avec ses camarades. Il maîtrisait enfin sa prothèse de jambe et avait même réussi à marquer plusieurs points contre un autre joueur plus jeune que lui. Marchant presque sans boitiller dans les couloirs du centre ; le mécanisme de son membre bionique bien visible sous son short de sport, Charly ne ressentait ni la gêne ni la honte. Pourtant, un doute qui subsistait le retenait encore ici : pourra-t-il ressentir la même aisance une fois de retour dans la vie civile ?
L’ancien militaire retournait dans sa chambre pour prendre une douche et récupérer son journal. Avant le dîner, il avait rendez-vous avec le docteur Crawford. L’angoisse de faire face à ses démons n’avait rien à voir avec les premières fois. Même s’il n’aimait pas le fait de consulter un psychiatre, il devait reconnaître que cela aidait. Il claqua la porte de sa chambre derrière lui et s’esclaffa :
— Merde, Johnny, qu’est-ce que tu fous là ?
John ne lui répondit pas. Il était couché, une jambe repliée, amorphe sur le lit. À côté de lui gisaient des petits bouts de papier, une cuillère, un briquet et une seringue.
— Putain de merde Johnny, qu’est-ce t’as foutu ?
Il tapa le genou de son ami qui tomba mollement sur le matelas.
— John ?
Ses paupières étaient closes et sa respiration lente. Charly réalisa que John venait de s’injecter l’intégralité de ses doses d’héroïne restantes, soit trois jours de consommation. Ses tiroirs vides confirmèrent ses doutes. John était en train de faire une overdose.
— Johnny ? Johnny répond s’il te plaît. Ne meurs pas.
Il le secoua énergiquement, mais il ne rétorqua pas.
— Non Johnny, me fait pas ça putain. Putain.
Charly leva les mains en l’air. Deux choix s’offraient à lui : soit il allait voir l’infirmier et la docteure Laurence pour l’aider et il risquerait alors de se faire renvoyer ou inscrire de force en cure de désintox. Selon lui, il n’avait pas besoin de ça. Il avait trouvé son équilibre grâce à l’héroïne et il lui était hors de question d’arrêter. Soit, il attendait que les effets des doses passent, en priant pour que John ne meure pas. Qui sait, il avait été très étonnant jusqu’à présent.
Charly se frappa le front, se sentant stupide. Il ne pouvait pas l’abandonner. Sa vie était en danger. Attendre était comme lui planter un poignard et le regarder décéder.
Il se précipita à l’accueil, et demanda d’urgence les docteurs Laurence et Butler. Ensuite, il courut jusqu’à l’infirmerie de garde d’où il ramena, au pas de course, un infirmier pour s’occuper de son ami. La docteure Laurence se trouvait déjà à sa porte, un trousseau de clés dans sa main tremblante. Son biper n’arrêtait pas de vibrer dans sa poche et elle le balança au sol à bout de nerfs.
— Charly ? Vous avez prévenu l’infirmier. Vous avez bien fait.
Il ouvrit la porte sur le spectacle de cette masse, cet être extraordinaire, qui pliait comme tout être humain sous le poids d’un passé trop lourd à porter. Quoi qu’il ait découvert, il n’avait visiblement pas été prêt à l’apprendre, pensa Elizabeth.
L’infirmier vérifiait l’état de conscience de John lorsque William entra à son tour.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— C’est… John, hésita Elizabeth. Charly était encore dans la pièce. Il se faisait tout petit. Il fait une overdose d’héroïne.
— Mais où est-ce qu’il a trouvé ça ?
William porta son regard sur l’actuel occupant de la chambre qui détourna la tête.
— Nous en reparlerons après Charly. Pour le moment, sortez.
Sans demander son reste, l’ancien militaire disparut.
— C’est un sacré numéro que vous avez là, commenta l’infirmier. C’était le même qui s’en était occupé après le coup de feu.
— Je ne vous le fais pas dire. Il va nous falloir des bras pour le ramener au sous-sol. À trois avec Charly ça devrait aller. Comme la dernière fois.
— Quelle dernière fois ? demanda Elizabeth.
— Comme il y a trois jours. Quand tu étais chez ta mère.
— Mais il ne s’était pas pris une balle d’ailleurs ? ajouta l’infirmier.
Il souleva à nouveau le t-shirt pour vérifier. William retint son souffle, ne sachant quoi dire.
— Top secret Homer, intervint une Elizabeth sûre d’elle.
L’infirmier fit signe qu’il verrouillait sa bouche et alla chercher un brancard pour descendre ce patient hors du commun.
Deux émergea, couché sur le lit d’hôpital du sous-sol du centre qui l’avait déjà accueilli trop de fois ces derniers jours. Il voulut se relever, mais s’immobilisa aussitôt. Numéro Un dormait paisiblement, blotti contre son flanc. Il profita de sa chaleur et de son odeur.
En fond sonore, Deux percevait le bourdonnement des machines de construction des membres bioniques et l’effluve trop familier des médicaments. Il se demanda comment Cinq et Six et les autres faisaient pour ne pas devenir fous. Entre les flashs de ses souvenirs et ses sens exacerbés, réussir à se concentrer relevait du tour de force ; qu’il devra accomplir, s’il voulait trouver une issue pour eux deux.
Il lui caressa les cheveux, le regard triste et lui murmura :
— Je suis désolé.
Cette intimité le réconfortait et le rassurait dans son rôle ; élaboré de toute pièce par Dan.
Les documents avaient levé le voile sur des incertitudes qu’il aurait préféré préserver. Dan autant que Jonathan avaient été coupables.
Le professeur l’avait délibérément conditionné à ne voir que par elle. Il comprenait maintenant pourquoi Un avait autant de doutes envers lui et avait essayé de le repousser. Dan avait aussi déployé des méthodes identiques à celle de Jonathan pour les maintenir auprès de lui. Un sut rapidement qu’ils travaillaient pour le gouvernement, qu’elle méprisait. Elle avait même tenté de mettre fin à ses jours ; après avoir disparu six mois pendant une mission qui lui avait ouvert les yeux sur sa situation. C’était donc ça qui avait préoccupé tout le manoir quelque temps, forçant son instructeur à le surveiller pour le tenir éloigner. L’image que Dan fabriquait d’elle devait rester intacte. Malgré cela, il aurait aimé avoir pu la soutenir.
Puis vint le tour de Jonathan. Il avait profité du processus de croissance ; ce moment si vulnérable, pour la modeler à sa guise. La divisant pour mieux la contrôler, en leur faisant croire qu’elle devenait folle. C’était lui qui ajoutait ces démons en elle au gré de ses lubies. Camouflant les crises de Numéro Un sous couvert de cauchemars. Tous les soirs, Deux luttait pour atteindre le sommeil, écrasé par l’incertitude. Il savait que Jonathan lui mentait. Mais ces cigarettes et ses tours de passe-passe le maintenaient dans un brouillard tel, qu’il se laissait guider. Et puis, au fond, il aimait vivre dans l’ignorance.
Ils avaient été des zombies, comme disait Cinq, jusqu’à oublier ce plan d’évasion qu’il avait pourtant orchestré avec elle lors de ce Nouvel An 1966. Comment avait-il pu l’omettre ? Comment avait-il pu se faire berner à ce point ? Et surtout, comment avait-elle fait pour continuer de discerner le vrai du faux et a mené sa barque ?
L’une des choses les plus dures fut d’apprendre qu’elle avait assassiné Dan, Mathilda ; leur première infirmière, mais surtout, Sept et Huit. Elle vivait seule avec ce poids sur les épaules. Il se souvenait aussi maintenant de Cécilia ; leur mère adoptive, dont sa mort ; causé indirectement par la gestation de Un, avait été difficile. Plus encore pour elle qui se sentait fautive.
Jonathan avait fait en sorte que ne subsiste entre eux que l’animosité des débuts, créant le trouble dans leur relation. Pourtant, Deux savait qu’ils avaient déjà réussi à surmonter tout ça, parce que toutes les techniques de manipulation du monde ne pourraient lui faire oublier son importance à ses yeux.