Carnet d'enquête d'Halinea - Tome 2 - Isabel Lavarec - E-Book

Carnet d'enquête d'Halinea - Tome 2 E-Book

Isabel Lavarec

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Beschreibung

Un tertre en forme de tombe, trouvé sur la berge du fleuve qui longe la ville et voilà une nouvelle affaire à investir. Cette dernière semble simple en apparence, mais Halinea qui a décidé, envers et contre tous, d’en tirer les ficelles s’aperçoit rapidement que tout est plus complexe et plus dangereux que prévu... Elle se promet d’aller jusqu’au bout et de démasquer l‘être immonde qui se croit invincible. Le diable ne se cache-t-il pas entre les lignes ?
Les carnets d’enquêtes forment un ensemble de romans policiers et de thrillers. Après Il est plus difficile de désintégrer un atome qu’un préjugé, L’affaire Stéphanie et Hallali voici le quatrième carnet : Le diable à marier. L’amour impossible né entre Halinea et Kiero est un fil rouge qui relie les différents carnets.
Au travers de ces divers polars à multiples rebondissements, des thèmes touchant les adolescents sont abordés (phobie scolaire, racisme, relations intra et intergénérationnelles, drogues, dangers insoupçonnés : qui se cache derrière un profil internet lors de rencontres sur catalogues ou sur des sites spécialisés…).


À PROPOS DE L'AUTEURE


Après diverses productions spécialisées dans sa profession (manuels scolaires, articles pédagogiques), Isabel Lavarec, qui fut professeur agrégé en sciences de la vie et de la terre, continue à transmettre son expérience de vie au travers de romans policiers, romans fantastiques, contes et nouvelles.

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Isabel LAVAREC

Le diable à marier

Carnet d’enquêtes d’Halinea

Thriller

ISBN : 979-10-388-0389-3

Collection : Passerelle

 ISSN : 2729-2843

Dépôt légal : juillet 2022

© couverture Ex Æquo

© 2022 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite

Éditions Ex Æquo

6 rue des Sybilles

88370 Plombières Les Bains

www.editions-exaequo.com

I. PROLOGUE

23 août

16 heures 30

Un mal à la tête me fait revenir à moi. Mes oreilles sifflent et chauffent comme si j’avais reçu de grosses baffes. Que se passe-t-il ? Où suis-je ? Mes poings aussi sont douloureux. J’essaye de les bouger.

— Aïïïe !

Que m’arrive-t-il ? J’ouvre les yeux. Je suis attachée, les bras en croix sur une grande échelle murale. Ma tête tourne. Je ne suis pas bien.

Je me force à découvrir le lieu. Les diverses étagères, caisses, cartons, outils et bien d’autres entassements semblent indiquer que je suis prisonnière dans un entrepôt. Yeux enflés, oreilles avec acouphènes, aux aguets, je tente de déceler la présence d’un être humain. Apparemment, je suis seule. Je cherche à rompre mes liens. Soudain, un bruit d’ouverture de portail, une tignasse brune appartenant à un gros malabar, entre.

Mon cœur semble vouloir sortir de ma poitrine, j’ai encore la force de pousser un cri de détresse.

— Le... tu… eu… rrr…

— Oui, tu m’attendais ?

Espérant être entendue, je hurle autant que je peux en gesticulant. Mais, telles des serres, deux mains bloquent mes jambes, et une espèce de balai, tête de loup, soufflette mon visage.

— Berk ! ai-je le courage de lancer, tes cheveux sentent aussi mauvais qu’une serpillière d’égouts.

L’homme arrache ma chemise à carreaux avec rage. Je pousse un nouveau hurlement.

— Vas-y, continue à crier, personne ne t’entendra et, moi, ça m’excite, ajoute-t-il en me giflant. Crie, crie ! Rugis, j’adoore. Tu me filmais pour te caresser ensuite dans ton lit, hein ? Tu vas y goûter pour de vrai…

Je lui crache à la figure. Il beugle, déchire mon Marcel. Je veux me dégager en gigotant. Impossible. Je sens une langue râpeuse, humide sur ma poitrine. Je vomis d’écœurement sur sa crinière.

Il défait mon pantalon, déchire ma culotte. Je donne tous les coups de pied possibles. Il lâche mes jambes pour défaire ses habits. Par réflexe, je lui décoche une ruade dans le bas ventre. Il recule en vociférant. Mais très vite, il se rapproche, essaye de prendre ma bouche. Pour éloigner le vicieux, je mords tout ce que je peux : oreille, nez, lèvres. Sa respiration devient de plus en plus haletante. J’ai peur. Je vais mourir.

Tout à coup un espoir ! De grands coups donnés sur la porte arrêtent le violeur pédophile, juste à temps. Les coups redoublent, son téléphone retentit.

— Dumont, ouvre-nous ! On doit te livrer des colis de pulls qui viennent du Maghreb. Il paraît que je dois te les remettre en main propre. C’est de la part de Benamour.

Il se rhabille rapidement, me détache et me lance comme une vieille ordure derrière les frigos.

— Si tu bouges, je n’donne pas cher de ta peau.

Je grelotte de peur, de froid, passe par toutes les couleurs tant je suis transie. Je panique, me recroqueville, surveille les nouveaux venus, rampe en silence pour attraper la barre de fer qui n’est pas loin. Deux gars à la mine patibulaire, aussi affreux l’un que l’autre, discutent avec la raclure, le violeur, tueur de femmes. Mes habits ont été lancés de l’autre côté de l’entrepôt. Je ne peux pas les attraper.

Ils sortent, emportant de grosses boîtes en carton, j’identifie le bruit de la clé dans la serrure puis celui d’un moteur.

Je reste un bon moment, hagarde, à regarder le mur d’en face.

Il fait obscur

La lumière s’éteint.

J’ai l’impression d’être morte. Je ne vois presque rien, entends à peine les grouillements, grincements et petits chocs insolites. Gelée, effrayée, je me laisse aller. Des larmes coulent sans que je puisse les arrêter.

Les veilleuses de nuit s’allument. Ai-je repris ma respiration par réflexe de survie ? Peut-être. Je me surprends à inspirer profondément. Je répète l’exercice plusieurs fois de suite, m’efforce de me calmer, mais, il m’est encore impossible de me mettre debout.

Comment récupérer mes vêtements ? Je m’allonge sur le dos, fais des mouvements de gymnastique, pédale de plus en plus vite.

Légèrement réchauffée, je peux me déplacer. Je me rhabille et regarde autour de moi. Je suis dans le hangar du supermarché. Avec grand-mère, chez qui j’habite, nous sommes venues, l’année dernière, chercher le meuble de ma salle de bain. L’immeuble est au fin fond de la zone industrielle, devant un bosquet. Si je me souviens bien, on est samedi, personne ne passera par là et le personnel ne reprendra le boulot que lundi matin. Mes jambes se mettent à trembler. Je vais être une proie jusqu’à lundi matin.

J’ai besoin d’entendre une voix que j’aime, de demander de l’aide. Mamie Mossa et Didier, son compagnon, sont en voyage, il n’y a que Caro, mon amie d’enfance. Jacques, son oncle le policier, pourra me délivrer. Je cherche en vain mon téléphone dans mon sac à dos. Zut et flûte, téléphone et enregistreur sont restés sur le banc du supermarché, et j’ai perdu la caméra dans la salle des poubelles.

Abattue, j’éclate à nouveau en sanglots. Je me souviens à présent. Je venais chercher sinon une preuve de la culpabilité d’Yvan, du moins, faire une vidéo pour le déstabiliser. En s’appuyant sur mon petit film, la police aurait pu le pousser dans ses retranchements et le tueur aurait fini par faire des aveux ! Mais tout est parti à vau-l’eau. Un désastre.

Je pleure encore et encore. Puis, dans un sursaut de courage, trouvé je ne sais où, je pousse un cri de louve :

— Non ! Celui qui se croit tout puissant n’aura pas le dessus !

Subitement, j’ai envie de tout casser, je vocifère :

— Sale porc ! C’est quoi une femme pour toi ? Et une mineure ? Violeur ! Vie en leurre, est ta devise ? Tu appâtes et tu tues. C’est ça ??? Schlag d’ordure ! Je t’aurais. Je te jure que tu crèveras en prison. Sache, sale chien, que je suis férue de justice et que je ne supporte pas le crime impuni. Or, le pauvre tueur en série qui se fait plaindre serait toujours en liberté ? C’est inacceptable ! Sale cleps, tu te crois invincible, mais je t’aurai ! De plus, j’ai promis à Ramos, mon ami philippin, de venger la mort de sa sœur. Malgré mes seize ans, j’ai de l’expérience en la matière et je te ferai tomber.

Je respire plusieurs fois de suite.

— Ça fait du bien ! Bon, il me faut réagir et sortir avant que le pervers ne revienne.

Je tente d’ouvrir le portail. Impossible. Les vasistas parsemés sur les murs de droite et de gauche sont en hauteur. Peu accessibles de l’intérieur et trop hauts pour sauter à l’extérieur. Pas d’espoir d’évasion donc. Prisonnière, je suis prisonnière d’un obsédé sexuel. Comment vais-je m’en sortir ?

Pour me donner du courage, je fais quelques mouvements d’aïkido enseignés par Ramos. Puis, modérément rassurée, avec grande prudence, j’explore les lieux en cherchant d’éventuelles cachettes. J’escalade les murs de cartons, descends, remonte. À côté de la veilleuse installée au-dessus de la porte principale, des boîtes en bois, empilées les unes sur les autres, forment une sorte d’escalier qui monte presque jusqu’à un vasistas. Je grimpe et avec difficulté, me hisse au-dessus du dernier cageot.

— D’ici, je peux voir la route qui aboutit au parking de l’entrepôt. Je pourrais donc observer l’arrivée d’une voiture.

Je descends et fouille un peu partout. Dans le coin à gauche, se trouvent les cartons de gâteaux, pains d’épices, chocolats, cafés, thés, fruits secs, etc. Un peu plus loin, différents laits sont sur des palettes. Soudain, j’ai faim.

— Cela veut donc dire que je suis enfermée depuis quelque temps déjà.

J’ouvre des cartons, prends quelques réserves, remplis mon sac à dos et continue mes recherches : épicerie, mercerie, habits, chaussures, jouets, tout est bien rangé. Le magasinier est méticuleux. Les portants d’habillement sont bien achalandés. Je décide de troquer mes vêtements souillés et déchirés par le salopard contre des neufs qui sentent l’usine.

— À la poubelle, les relents d’ignominie !

À l’autre bout de l’immense hangar, mon attention est attirée par de longues caisses en bois foncé. Je les ouvre avec le levier en fer, mon arme de défense.

— Des fusils de chasse ! Les cartouches emplissent la boîte posée à côté des armes.

L’espoir renaît. Si l’obsédé sexuel revenait, il serait bien reçu. Ramos m’a appris à tirer. Je ne donne plus cher de sa peau !

Soudain, une onde de chaleur me traverse en pensant à mon ami philippin qui, loin du regard aigu de mamie, profitait de mon inexpérience pour me caresser avec douceur. Les trois leçons de tir données à Manille furent un vrai bonheur. Mon cher complice, si tu pouvais être là.

Sortie de mon rêve par un déclic provenant du fond du hangar, je charge rapidement un fusil et vise l’endroit d’où provient le bruit. Un conservateur se remet en marche. Je reprends mon souffle.

— La déflagration risque d’être entendue, dis-je à haute voix pour me donner du pep. Et puis, tuer n’est jamais la solution. Je dois trouver autre chose. Quoi ?

Pour réfléchir, je dois marcher. Je fais les cent pas dans l’allée principale.

— Sortir. Comment sortir de cette geôle ?

Je m’arrête devant la porte de l’entrepôt fermée à clé.

— Y’a qu’une solution, dis-je en fixant la fermeture. Il me faut profiter de l’arrivée d’une personne pour m’enfuir. Pour me camoufler et pouvoir me sauver au bon moment, je dois construire un mur avec des cartons. Non, deux murs, un de chaque côté de l’entrée. Ainsi, celui qui entrera sera obligé de marcher droit devant lui pour rejoindre le bureau qui est au fond ou pour aller dans un quelconque endroit de la réserve.

Aussitôt dit, aussitôt entrepris. Une heure après, la tâche finie, je vais vérifier que l’on peut bien passer à côté de moi sans me voir.

— Derrière le mur de droite, je pourrai rester en embuscade quelque temps et filer à l’anglaise dès que la porte s’ouvrira. Et si par malheur, le violeur me surprenait et avait envie de me suivre, je l’en dissuaderais en lui tirant une balle dans les jambes.

Fusil en bandoulière, munitions dans les poches, je rejoins mon poste de garde qui se situe en haut, près du vasistas.

Le temps passe lentement à fixer la route et le parking.

Vermoulue, estomac vide, bouche sèche, je suis mal. Je change de position. Ce n’est pas mieux. Je finis par poser mon fusil sur le cageot en contre-bas, m’installe sur le carton, mange quelques provisions mises dans le sac et repense à cette affaire de dingue. Si j’arrive à m’échapper, le tueur en série pourrait me poursuivre jusqu’à chez moi. Mon arme doit m’accompagner jusqu’à la copropriété. Je dois la camoufler. Comment ? Je distingue de loin des manteaux d’été en tissu léger. Sur l’arme portée en bandoulière, j’en revêts un, long, de couleur marron.

— OK, l’arme n’est plus visible. Mais pourrai-je tirer rapidement ? 

Comme dans les westerns, je m’exerce un long moment en lançant mon pardessus et dégainant le plus rapidement possible.

— Bon, je ne suis pas aussi excellente que les héros des films, mais j’y arrive !

Fatiguée, je remonte faire le guet.

Cette affaire me hante. « Cet homme n’a aucune humanité et il est plus rusé qu’un renard, il ne laisse jamais de trace derrière lui. » Ce genre de pensée a toujours le don de me mettre hors de moi.

— Il doit payer, dis-je en visant le parking avec mon arme. Des indices isolés semblent souvent anodins, mais reliés à d’autres, ils prennent un autre sens et peuvent aller jusqu’à l’inculpation ! (C’est la détective Mossa qui m’a appris cela.) Ce bonhomme est un diable qui cherche toujours à se marier. Je suis sûr qu’il espère épouser la petite Chinoise des journaux du supermarché. Mais, sale type, tu ne pourras pas. Tu es toujours marié puisque tu affirmes que ta femme est partie chez une copine sans laisser d’adresse. Tu l’as dans le baba !

En attendant, sur mon carnet d’enquêtes que je donnerai à grand-mère, et à Jacques, le chef policier, je vais essayer de retracer tout ce que tu as tenté de me faire.

— Le crime parfait n’existe pas ! Monsieur le Tout-Puissant, non seulement, tu tues, tu fais du trafic d’armes, mais en plus, tu violes des mineures ? Ouah ! Ton compte est bon !

Pour ne pas oublier, je note tous les mots, comme ils viennent et bien sûr le nom du Maghrébin. « Ça va intéresser les policiers. » Ma tête résonne. Lasse, je laisse encore couler des larmes, renifle pendant un long moment. Mes paupières brûlent, deviennent de plus en plus lourdes…

Il fait nuit noire

Un bruit de moteur me réveille. D’un bond, je m’assois pour reprendre la garde. De mon poste, à travers la vitre poussiéreuse, je vois une camionnette se garer devant l’entrepôt, deux silhouettes sombres en sortent. Sac au dos, je descends rapidement occuper la cachette proche de la porte principale. Le bruit de la clé dans la serrure bloque ma respiration, le grincement aigu de la porte, accélère mon cœur. Deux bonhommes entrent, je reconnais la voix de mon violeur. J’ai peur. Mon cœur bat fort. Pourvu qu’ils n’entendent pas ses pulsations.

— Qu’est-ce qui se passe ici ? C’est quoi ces murs ? Il est lourd l’Espagnol ! C’est cet idiot de Gato qui a livré ce matin. Il fait toujours ce genre de farce. Après la livraison, je reviendrai ranger l’entrepôt.

Les pas s’éloignent. J’entends des vociférations.

— Il s’est servi ! Il ne fait rien gratos, le corniaud ! il ne perd rien pour a…

La porte est restée entr’ouverte, je file sans écouter la fin de la phrase et me retrouve essoufflée dans le bosquet, situé derrière l’entrepôt. Le bouquet d’ifs rampants situé sur le côté me permet de surveiller le parking, sans être vue. J’attends peu de temps. Les deux bonhommes transportent deux boîtes contenant des armes dans la camionnette et démarrent rapidement.

Ouf ! Ce bosquet ne me semblait pas trop sûr. Des bruits peu sympathiques ne me donnaient pas confiance.

La route dans la pénombre ne m’inspire pas plus, je décide de longer le fossé afin d’y plonger en cas de danger. Apeurée, crispée, fuyant l’entrepôt de mes angoisses, je marche le plus vite possible. Deux chiens errants se dirigent en courant vers moi. Des cailloux me servent d’armes, j’en touche un. Aboyant, sans doute me maudissant, ils s’éloignent.

Je continue mon chemin et une heure plus tard, j’arrive enfin à la station tramway. Craignant une mauvaise rencontre dans ce quartier réputé difficile, je reste aux aguets. Après une attente interminable, je monte dans le dernier tram bleu, presque vide.

24 heures 30 à l’horloge de la station

Épuisée, pieds endoloris, j’arrive chez moi et fonce sous la douche. Sans même me déshabiller, je fais couler l’eau tiède. Longtemps. Pour que le jet emporte l’odeur immonde de l’autre.

Je sanglote, m’accroupis, ouvre à fond les deux robinets, ôte mes habits l’un après l’autre et offre ce corps souillé à l’eau chaude comme pour le brûler et changer de peau.

Triste, perdue, je déambule dans les différentes pièces vides. Je tourne en rond. Pendant combien de temps ? Je ne pourrais le dire. Mais ma tête tourne, j’ai l’impression d’être une loque errant dans un autre monde. Lorsque, je ne sais pourquoi, j’ai un besoin impératif d’entendre une voix amie. J’appelle machinalement Kiero, le gitan qui est toujours là pour moi.

— Halinea ? T’as vu l’heure ? Trois heures du mat ! Qu’as-tu ?

Mon silence puis mes pleurs l’effraient.

— Mais qu’as-tu ? J’arrive.

24 août

2 heures

On sonne. Mes jambes se mettent à trembler. Je respire plusieurs fois de suite, prends le fusil, regarde dans l’œil-de-bœuf. C’est Kiero. J’ouvre et me laisse tomber par terre.

— Halinea ! crie-t-il en m’emportant jusqu’au sofa. Que se passe-t-il ? Pourquoi m’as-tu appelé ? Pourquoi as-tu un fusil ? Dans quel pétrin t’es-tu encore fourrée ?

Je ne peux que sangloter. Il file dans la cuisine faire du café et revient avec deux tasses fumantes. D’une voix douce, il me met en confiance, je lui montre mon sac. Il fouille et trouve mon carnet d’enquêtes où j’ai griffonné les faits de l’aprèm. Il les parcourt rapidement.

— Quoi ? L’agent de sécurité du supermarché a tenté de te violer ? J’ai bien fait d’apporter mon arme. À huit heures, je demanderai à mon cousin et à deux de mes hommes de monter la garde devant la copropriété pour te protéger. Il sait où tu habites ? Non ? En attendant, tu dois dormir.

Il court dans la salle de bains de Mossa, me fait boire un autre café. J’ai à peine la force de lui montrer mon grand carnet d’enquêtes tombé près du sofa.

— Kiero, aide-moi, mon journal d’enquête… le tueur... c’est lui... c’est lui...

— Qui lui ?

Un nuage blanc m’enveloppe...

Quelque temps après, toujours dans du coton, en déplaçant mon bras, je heurte Kiero. Il est installé dans un fauteuil, tout près de moi, et parcourt mon carnet d’enquêtes «Le diable à marier.»

II. CARNET D’ENQUÊTE

24 mars (5 mois avant)

14 heures

Tout commence par une amusante et agréable sortie au bord du Larbe qui longe ma ville.

Munie de mon appareil photo, je rejoins l’atelier d’identification des oiseaux. Après avoir reçu les instructions de l’animatrice, Nivana, qui est aussi notre prof de Gym, mon groupe, deux garçons et deux filles de ma classe de première, choisit d’explorer la rive gauche du fleuve située après le pont neuf.

Nous sommes très excités. Pigeons, canards, goélands, merles, pies, hérons, aigrettes, foulques, mouettes semblent cohabiter en paix. Peu farouche à notre approche, la majorité montre son plus beau profil comme pour donner de la valeur à notre expo.

Pris par notre sujet, nous marchons sans nous en rendre compte. Alors que nous parvenons près d’une roselière, quelques étourneaux attirent notre attention. Nous avançons à pas de loup. Peine perdue, une soudaine et bruyante envolée échappe aux cliquetis de nos appareils. Mais cela ne nous démobilise pas pour autant. Espérant toujours surprendre quelques jeunes pris dans un quelconque fatras de racines ou de tiges, nous nous glissons discrètement dans le massif de roseaux. Après nous être distribué des zones à exploiter, nous nous séparons.

— À chacun sa chance pour la meilleure photo ! dis-je. Surtout, marchons en silence pour surprendre les animaux. Rendez-vous dans un quart d’heure, sur la roche qui est là-bas.

Je furète partout, passe en détail chaque trou, bosse ou branche de l’endroit qui m’est attribué. J’aimerais faire un gros plan de papillon sortant de son cocon ou fixer des mandibules de fourmi en action, ou… une litière d’herbes plus ou moins sèches s’impose subitement à moi. « C’est drôle ! Qui a bien pu arracher des herbes pour ensuite les remettre à leur place… ? De la patte humaine, ça ! » Je recule pour prendre une vue d’ensemble. Certaines plantes sont flétries, d’autres sont déjà sèches et certains chiendents s’étalent pour occuper le plus de place possible.

— La compétition pour avoir de la lumière semble sans pitié ! Comme nous, pour les photos.

Je fais des prises de vue sous différents angles, je m’amuse ensuite à jouer avec les couleurs. J’essaye de contraster la terre rouge avec les jaunes des herbes sèches et les verts environnants.

— Pas mal, mais c’n’est pas un scoop.

Délicatement, j’enlève quelques herbes sèches pour faire un gros plan du termite-soldat menaçant avec ses grosses mandibules ouvertes.

Impossible ! À grande vitesse, il se cache sous les herbes sèches. J’en retire de gros tas sans retrouver mon insecte. Dégoûtée, je m’éloigne et fais une photo d’ensemble.

— Les couleurs sont plus contrastées. Ma légende sera top ! Destruction gratuite d’un lieu sauvage ou quelque chose de ce genre-là.

J’observe le résultat.

— Mais…

Surprise par ma découverte, je fais des allers-retours entre la photo et la réalité. Je recule pour avoir un autre angle de perception, monte sur un caillou…

— Wahou ! L’ensemble a la forme d’une tombe !

J’alerte les copains.

— Venez voir ! J’ai trouvé un cadavre !

Marc et Gilles accourent. Lise, l’impassible, s’applique à photographier un bouquet de roseaux.

— Halinea, tu es une menteuse ! Y’a rien.

— Mais si, regardez, la terre semble avoir été retournée depuis peu.

Avec son téléphone, Lise photographie ce que nous appelons déjà la tombe de l’inconnu. Les garçons veulent creuser pour voir le squelette. Me souvenant de mon stage dans un labo de police scientifique, je les en dissuade en décrivant, grimaces et gestes à l’appui, les aspects d’un macchabée ayant séjourné plusieurs jours dans la terre : pourrissement, odeur, vers, insectes, peut-être même cadavre sans nez avec juste un œil et….

Lise m’arrête, Gilles conclut :

— OK. OK. Nous photographierons les vers une autre fois.

Silencieux, épaules basses et appareils dans les sacs, nous repartons la peur au ventre.

Un peu en avant du groupe j’ouvre la marche en écartant branches et diverses plantes épineuses (ce qui est normal, puisque depuis toujours, je voudrais seconder ma détective de grand-mère). Tout à coup, une dentelle rouge sur un roncier me fait changer de direction.

— Regardez, la culotte rouge de la morte est accrochée aux ronces !

— Ah non ! s’écrie Marc, on rentre maintenant. J’ai promis à ma mère de l’aider à faire les courses.

Comme seule réponse et pour les impressionner, j’enfile des gants en caoutchouc que j’ai toujours dans ma poche (au cas où…), et sors le rouleau de sacs de congélation. Je décroche délicatement la dentelle prise dans les piquants.

— Oh ! Regardez là-bas, s’écrie Marc, je vois une petite bouteille avec une étiquette. Qui arrive à la lire ?

— Du vitriol avec une tête de mort sur l’étiquette ! s’écrie Lise. Waouh ! Regardez ce que j’ai trouvé, une bouteille vide d’acide sulfurique !

— Les empreintes ! dis-je. Il ne faut pas laisser tes empreintes sur la bouteille. Essuie-les avec un mouchoir. Mettez chaque objet dans un sac. Le rouleau de sachets est là.

Marc, de plus en plus impatient, regardant partout, nous presse, comme si nous avions un loup à nos trousses !

— Là-bas ! Sur la broussaille ! Une socquette.

— Si ça continue, on va pouvoir se saper, remarque Gilles.

— Ah non ! Je n’joue plus, il faut rentrer. Ma mère… Et puis, s’il y a eu meurtre, le tueur ne doit pas être loin. On quitte les lieux ! Zou

— Mais nooon, ironise Lise… n’y a pas eu de crime. C’est une invention d’Halinea pour nous faire peur. Regarde-la rire ! Ici c’est bien la rive des rendez-vous amoureux, non ? Et là, chouffez, y’a un sachet de chips vide et une serviette de toilette… ça sent l’amour… l’amour, l’amour… Ils ont arraché l’herbe pour que ça soit plus douillet. Vous n’avez aucune expérience dans ce domaine. Bande de puceaux !

— Et ils se sont rasé la touffe aussi ! Y’a le rasoir ici, un peu enterré.

— Passe-lui un sachet en plastique pour prendre le rasoir, dis-je.

 Et toujours avec grande cérémonie, en prenant mon temps, je glisse la culotte dans le sac en plastique. J’arrache, avec des gestes amples, plusieurs feuilles de mon carnet, j’écris sur chaque sac, la date et le lieu de notre récolte.

— Ils feront partie de notre expo, souligne Lise ironiquement.

De plaisanteries un peu salaces en rires, nous quittons la rive du fleuve pour remonter le boulevard piétonnier. Tout à coup, pour nous remettre de nos émotions, nous sentons la nécessité de nous installer devant une bonne glace, au café des étudiants.

— Marc, ta maman doit t’attendre, s’exclame Lise. Dommage !

— Non, je peux rester. Mes grands-parents viennent d’arriver chez moi. Nous irons faire les courses demain.

— Youpi ! crions-nous. À nous les bonnes glaces.

Puis, après discussion et d’un commun accord, nous décidons de nous taire en arrivant dans le local du club.

— OK, s’écrie Gilles, ainsi, nous ferons un scoop !

— Ma grand-mère, détective, pourrait être très intéressée par notre découverte…

— Alors, on peut en parler à la maison, ou pas ? demande Lise. Bof ! de toute façon, Halinea tu seras déçue parce qu’une tombe, c’est plus grand. Et la terre qui est au-dessus n’est pas plate, mais en forme de tertre !

— Tertre ?

— Cherchez dans le dico bande d’ignares ! lance Lise.

Nous nous séparons en nous souhaitant de belles vacances de printemps.

17 Heures 30

« Je suis sûre qu’il y a un cadavre là-dedans, me dis-je sur le chemin du retour à la maison. Il faudrait creuser. Je dois en parler à Mossa, peut-être qu’en touchant deux mots à Jacques, le chef policier ferait fouiller la tombe de l’inconnu et bingo j’aurais une enquête à mener. (Hum, ce serait trop beau !) De toute façon avec les copains, nous avons décidé d’attendre avant de divulguer l’affaire. N’y pensons plus ! »

Ce n’est peut-être qu’un chat ou un chien, enterré sur le bord du Larbe par sa maîtresse. Ce serait super aussi. On prendrait des photos pour notre expo et on poserait la fameuse question : que deviennent les animaux sauvages après leur mort ? On se documenterait pour connaître les nécrophages de la région et après un texte bien gore, on ferait une BD, bien dégueu. En gros plan, on dessinerait un gros rat mort sur le bord de l’eau, des mouches pondraient dans son ventre, les larves se développeraient à l’intérieur, le ventre gonflerait, gonflerait au fur et à mesure du dégagement des gaz et… paaaaffff ! éclaterait en lançant des éclaboussures partout !

On montrerait alors que la réalité est encore plus trash que la fiction. Mamie qui me conseille toujours, de sortir des sentiers battus, de changer de regard, d’être originale, serait servie. Non… cet argument amuserait la grand-mère, mais ne ferait pas agir la détective. Je dois trouver autre chose… La tombe de l’inconnu doit mesurer dans les 1,50 m ou un peu plus. Donc elle ne peut renfermer qu’un enfant ou un ado. Qui ?

Eurêka ! J’ai une idée ! Grand-mère a été sensible à la disparition du garçon dont la photo est collée depuis trois mois sur les troncs d’arbres, murs et vitrines de la ville. Je vais lui suggérer l’hypothèse suivante : l’ado en question a peut-être été caché sous terre. Jusqu’à présent, personne n’a eu l’idée d’aller fouiller si loin. Ouais ! Ça peut marcher, elle pourrait en parler à Jacques. Et, si un cadavre apparaissait, une enquête serait ordonnée. Mossa est très prise par Didier, son amoureux, et son boulot. (Jacques et elle sont toujours surbookés.) Bien sûr, grand-mère me demanderait de me consacrer à mes cours de français, mais comme dab, en catimini, je ferais quelques petites investigations, juste pour passer le temps. Et qui sait, je trouverais le coupable. Je ne peux m’empêcher de rire, comme si je leur faisais une bonne blague.

Me voilà arrivée. J’espère être seule avec mamie, ce soir. Sa copine la prof est un vrai pot de colle. Elle ne nous lâche plus :

Le week-end dernier, visite avec elle de tous les parkings de la ville pour retrouver la voiture de son élève, qui aurait disparu. Avec des trémolos dans la gorge, elle m’a confié, « Émilia ne rate jamais un cours. »

Hier après-midi, j’avais une sortie de bota organisée par le prof de SVT. J’étais contente. Pas de Loisot, pour une fois. Loupé ! Elle était accompagnatrice, je l’ai donc eue sur le dos, tout l’aprèm. À un moment, j’ai réussi à faire quelques pas de côté et à la fuir. Ouf ! En un rien de temps, j’ai retrouvé en grande partie ce que le prof de bio nous a expliqué. Et puis à un détour, dans un fourré de ronces, d’orties et de lianes, j’ai vu une Seat. Bingo ! J’ai hurlé de joie. Ce qui a attiré quelques élèves de la classe, la prof de bio, mais pas Nivana, déjà installée dans le bus.

En ouvrant la porte de la maison, j’ai crié la nouvelle à la cantonade. Illico, grand-mère a tout laissé tomber et par téléphone a proposé à Nivana, ma prof de gym, de retourner sur les lieux. Sans demander son accord, je me suis installée devant et n’ai pas bougé en la voyant arriver blême et soucieuse. J’ai suivi tous ses mouvements dans le rétroviseur. Elle m’est apparue presque sans vie en s’installant derrière.

 « Fait-elle la tête ? Je m’en fous, je ne la vois pas ! »

En entendant mamie la rassurer pendant tout le trajet, j’ai compris que le problème Émilia était plus important qu’une simple disparition. À peine arrivée sur les lieux, bravant les orties, la prof s’est précipitée et a ouvert la voiture de son élève.

— Non ! s’est écriée la détective. Les empreintes ! Tu vas brouiller les empreintes.

Trop tard ! Elle avait déjà ouvert la portière du conducteur.

— C’est bien la voiture d’Émilia, a reconnu la prof, mais y’a un os ! Mon amie est petite, elle mesure 1 mètre 60. Pour conduire, elle remonte le siège, relève le dossier et a un gros coussin. Or le siège est bas, le dossier renversé et il n’y a pas de trace de coussin… c’est donc de la mise en scène…

Très professionnelle, la détective a vérifié les constats de son amie.

— Effectivement, le siège est en position basse… La dernière personne à l’avoir conduite était grande.

Sur les ordres de la détective, nous avons cherché quelques indices qui auraient pu expliquer la présence du véhicule en ce lieu. Nous avons fouillé tout autour, mais n’y voyant pas grand-chose, nous sommes rentrées.

— Demain, je signalerai à la police la présence de la voiture de madame Dumont dans la forêt Jasmine.

— Je me fais vraiment du souci, a soupiré Nivana. Lorsque j’ai su, après tes investigations, qu’Émilia n’était dans aucun hôpital, clinique ou hôtel, j’ai cherché sa voiture. Pour ce faire, j’ai parcouru tous les parkings des gares trains, bus et aéroport. Et évidemment ça été peine perdue, puisqu’elle est là. Mossa, as-tu signalé sa disparition aux policiers ?

— Oui. Vendredi, après ton passage chez moi, j’ai téléphoné à Jacques.

— Et alors ?

— C’est ce que je t’avais dit. On ne peut pas faire grand-chose. Ta copine a 28 ans, c’est bien ça ? Elle est majeure donc libre.

Après un sanglot étouffé, Nivana a fait promettre à son amie de ne pas la laisser tomber. « La laisser tomber ? », me dis-je. Pourquoi cette prof si stricte, sans grande fantaisie, menant ses cours tambour battant, perd-elle ainsi les pédales ? Hum, la détective a des infos que je n’ai pas. J’ai du mal à m’endormir.

Voiture volée ? En me couchant, je me demande si Émilia ne l’aurait pas garée exprès en ville pour qu’on la lui dérobe ? Possible, mais alors, pourquoi l’aurait-on abandonnée dans un lieu isolé, cachée dans les feuillages à côté d’une carcasse de voiture ? Pour qu’on la désosse aussi ? Non, il n’y’a pas grand monde qui passe par-là. Hum, c’est bizarre. Oui, bizarre ! Bizarre ! Ou peut-être, comme pour moi, cette prof commençait à lui sortir des yeux et elle voulait lui échapper. Alors là… y’a plus rien de bizarre. Je me suis endormie.

17 Heures 45

L’agréable promenade avec des camarades de classe de cette aprèm a été une bouffée d’oxygène. De plus, je me réjouis de passer enfin une soirée rien qu’avec grand-mère.

Souriante, j’entre dans le salon. Et … Nivana était installée dans le salon avec mamie ! J’ai vu rouge. Je ne saurais pas dire pourquoi, mais en une fraction de seconde, j’ai rapproché la découverte de la tombe de l’inconnu, et la voiture garée dans la forêt Jasmine.