Ces mots (maux) qui blessent - Luc J. Vigneault - E-Book

Ces mots (maux) qui blessent E-Book

Luc J. Vigneault

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Beschreibung

La famille monoparentale composée de Myriam et son fils Marc-Antoine, est victime d’intimidation ; surtout dans les médias, tant sociaux que verbaux. Tribunes plus ou moins légiférées, représentant autant de terreaux fertiles en liberté tout azimut.

Ces intimidations viennent empiéter allègrement dans la vie de Myriam et Marc-Antoine, à tel point que la justice devra tôt ou tard s’en mêler, au risque de ne pas faire uniquement que des heureux…

Fiction inspirée de faits vécus, le troisième roman de Luc J. Vigneault, Ces mots (maux) qui blessent, invite à la réflexion, sur la culture qui aiguille cet enjeu de société. D’abord dans les cours d’école, mais également à d’autres sphères comme l’activité humaine et les enjeux psychologiques.

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Couverture et mise en page : Ecoffet Scarlett

Toute représentation partielle ou totale est interdite sans le consentement explicite de l’auteur.

La révision linguistique de cet ouvrage est assurée par Amélie Carrier, Alexandra Paquin Dubé, Paquin et Carrier Révision

Cette publication est dirigée par :

Téléphone : 418-271-6578

Courriel : [email protected]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ÀIngridFalaise,dontcetouvrageseveutun échoausien.

 

ÀAnthonyetSabrinaLabergequil’ontaussiinspiré,enpartie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Préface

 

Dans ce roman intimiste de Luc J. Vigneault, j’ai pris la pleine mesure de ce qu’était l’intimidation. Bien des fois les mots m’ont transpercé l’âme, mais jamais comme ceux qui la subissent.

 

L’intimidation est comme un orage sombre qui gronde à l’horizon. Myriam et Marc-Antoine, les vedettes principales de ce livre vivent tous deux une manipulation habile de la part de leurs antagonistes. Je n’ai pas connu Luc dans sa vie d’avant, cette vie où lui-même a vécu l’intimidation, cette bête féroce qui rôde dans la jungle de l’existence. Cette intimidation qui le menace toujours, qui se cache, prête à bondir sur sa proie. J’ai connu Luc, dans sa vie d’après. L’intimidation lui ayant laissé des cicatrices invisibles sur son âme. Seule une personne l’ayant cruellement vécu peut écrire aussi fluidement sur ce sujet et nous faire ressentir toute la tristesse, la colère, le sentiment de rejet, la perte d’estime de soi que provoque l’intimidation.

Est-ce si difficile de composer avec la différence ? Non. Pourquoi s’en prendre, à ceux - qui, grâce à leur marginalité, nous font avancer et découvrir des horizons différents ? Ce roman nous amenant à revisiter notre schème de valeurs, j’ai senti mon cœur s’attendrir de compassion devant les scènes qui se déroulaient au fil de ma lecture.

 

L’auteur nous fait ressentir avec brio toute l’isolation qui vient avec le fait d’être intimidé. Nous comprenons combien une jeunesse peut être gâchée par un enfer quotidien, qui pourrait être évité.

L’intimidation est un fléau, mais nous sommes la force qui peut l’éradiquer. Je n’ai plus le désir de ne pas m’en soucier, et surtout, les émotions que m’a fait vivre le livre de Luc fait en sorte que je n’accepterai pas/plus ce silence complice qui vient avec l’intimidation.

J’ai énormément de respect pour ces victimes qui deviennent muettes devant des actes et des mots trop douloureux qui leur sont imposés. Ce livre nous incite à leur tendre la main.

Bonne lecture,

 

Gwen

 

 

Chapitre IRencontre d’un drôle de type

 

 

Thetford Mines est une municipalité de la région Chaudière-Appalaches qui compte environ 25 000 âmes, soit presque 3,33 % de la population de la ville de Québec et moins de 0,33% de celle de Montréal... donc peu de choses à y faire... et bien du temps pour s’y tourner les pouces, diraient les citoyens d’agglomérations majeures! Du moins, c’est selon! Les habitants de cette petite ville en ont sûrement une autre opinion.

 

En ce samedi 3 décembre 2005, les étudiants du cégep de cette localité s’étaient réunis dans leur gymnase où se tenait une soirée dansante afin de souligner la fin toute proche du trimestre d’automne. C’était aussi l’occasion de s’échanger des vœux de Noël, avant de se consacrer aux préparatifs des examens de fin de session, et de faire la fête en socialisant.

 

Si la taille diminutive de cette bourgade du comté Appalaches laissait entrevoir un nombre restreint d’activités, les élèves n’en avaient cure. Bien que l’on ait pu en recenser de toutes les provenances, en fonction de toutes les spécialités proposées, cette communauté académique était tissée serrée. Autant qu’ailleurs en ville, en fait. Cette promiscuité favorisait donc les rapports sociaux.

 

Parmi les fêtards, Myriam Bergeron et Jade Charland. Première session pour elles. Au programme d’études ès Secrétariat pour être exact. La première vient de Château-Richer, située à l’est de Québec. L’autre, de Granby. Consœurs de classe dans plusieurs cours, la chimie avait tout de suite opéré. La proximité de leur nom de famille dans l’ordre alphabétique y fut un peu pour quelque chose. La compatibilité de leurs traits de caractère, aussi. En plus de leur façon de s’habiller et de leurs résultats scolaires! À s’y méprendre, une fois les yeux fermés.

 

Depuis, elles étaient comme cul et chemise. N’eût été leur forme de visage disparate, on aurait dit des jumelles. Des siamoises, quoi! Dès leur entrée dans le gymnase, toutesles têtes masculines se tournèrent vers elles. Vêtues chacune d’un haut à bretelles fines et d’un pantalon à taille basse, elles ne passaient pas inaperçues. Rien de provocateur. Juste assez sexy pour être désirables etne pas finir la soirée seules, ce quin’étaitpas leur intention, le moins du monde. Elles n’étaient pas dépourvues de jugeote, sachant ce qu’elles voulaient, ou ne voulaient pas dans la vie.Elles avaient en celades idées bien arrêtées.

 

Leur présence suffit à piquer la curiosité des gars, y compris ceux qui étaientdéjà au bras d’une escorte féminine. De quoi éveiller un brin de jalousie chezles amoureuses. Cependant, un simple regard de la part des demoiselles ramena les cavaliers dans le rangde la fidélité. Chacun d’eux ne voulut pas courir le risque de se mettre sa dulcinéeà dos. Et ils leur accordèrent de nouveau toute leur attention.

 

Ce qui eut pour effet d’esquisser un sourire amusé sur les visages de Myriam et de Jade. Leur petite opération charme fonctionnait à merveille. Elles se confortèrent à l’idée qu’elles ne repartiraient pas bredouilles de leur party. Comme on dit dans le jargon de la pêche : « Si ça ne mord pas, elles auront eu au moins une touche! »

 

Leurs jolis yeux scrutèrent de nouveau les lieux et s’arrêtèrent sur un tandem d’adolescents qui leur renvoyèrent l’ascenseur. Tous les deux de taille et de poids identiques. À vue d’œil, un mètre soixante-quinze (cinq pieds et neuf pouces) et soixante-dix kilogrammes (cent cinquante-quatre livres), chevelure sombre, regard noisette. « Airs latino romantiques pour nuit torride », se dirent-elles en secret.

 

L’un arborait une barbichette virile, finement taillée et longue d’un mois. L’autre affichait un menton glabre. Presque un visage de chérubin tout droit sorti de la pouponnière. Les deux paires de membres oculaires se soutinrent. Et les gars décrochèrent. Voilà pour la touche, les filles!

 

Ce n’était que partie remise, se consolèrent-elles, car les revoici se frayant un chemin à travers la cohue de la piste de danse. L’occasion se représenta. Jade en profitapourdonnerunlégercoupdecoudeàMyriam,suivid’unhochementde tête en direction des garçons qui se déhanchèrent aussitôt au rythme d’une chanson d’Ed Sheeran.

 

—Lebarbum’al’aird’aimerledanger,dit Jaded’untonmi-moqueurmi-sérieux, mais la face de bébé danse plutôt bien. Qu’est-ce que tu en penses, Mimi?

—Bien d’accord avec toi, lui concéda sa compagne de classe. Tu me laissesla petite barbichette et tu prends l’autre. Ça marche?

—Vas-ymabelle!roucoulacomiquementJade.Fais-toiplaisir!

 

S’il existait des traits de personnalité qui se démarquaient nettement entre elles, c’était bien la hardiesse et le flirt avec le « danger », selon l’expression de la native de Granby. Sur ce plan, celle-ci détenait une longueur d’avance alors que l’autre se gardait une petite réserve, bien qu’étant disposée au sens de la découverte.

 

Sur l’invitation de sa copine, Myriam laissa ressurgir le côté Indiana Jones en elle. D’un commun accord, elles s’aventurèrent à leur tour sur le plancher de danse. La démarche féline, elles s’approchèrent de leur « proie ». Elles se trémoussèrent en parfaite coordination avec leurs mouvements. L’effet fut immédiat, puis le contact visuel se rétablit entre les deux tandems.

 

Comme convenu, celle venant de Château-Richer s’intéressa de plus près aubarbu et son amie, à la gueule angélique de l’autre danseur. Le tube de l’interprète irlandais céda le pas à un fondu enchaîné sur un mixage de hip-hop et de vieuxtubes disco. Le tourbillon des hanches du quatuor s’amplifia de part et d’autre.

 

L’accélération du rythme effréné enfla dans un crescendo ultime, jusqu’à cequ’un bref silence s’abatte sur la foule et que les lumières se tamisent, ce qui engendrauneatmosphèreplusdétendue.Letoutfutensuitebercéparuneballade de 1977 : Two Out Of Three Ain’t Bad de Meatloaf.

 

Vint alors le moment tant attendu d’épouser les corps deux par deux comme les animaux entrant dans l’arche de Noé. Jade se colla spontanément à son partenaire. Le geste de sa camarade de classe, lui, se fit plus en nuances. Celle-ci attendit que son vis-à-vis prenne lui-même l’initiative, ce qu’il fit en douceur et avec charme. Avant de joindre sa poitrine à la sienne, il lui susurra une question à l’oreille :

 

—Commenttut’appelles?

—Myriam.Ettoi?

—Kevin.Tuveuxdanseravec moi,Myriam?

—Ohoui,Kevin!

 

La gestuelle emboîta dès lors le pas à la parole. Kevin tendit ses bras vers sa cavalière, les enlaça autour de son cou et ce fut cœur contre cœur que cette paisible communion se poursuivit. Leur regard plongea aussitôt l’un dans l’autre :

 

—Tusais?luidit-il.Jet’airemarquée.

—Moiaussi,luirépliqua-t-elle.

 

Un moment de mutisme s’installa à l’intérieur du couple de danseurs, se laissant aller au son de la musique, la tête sur l’épaule de l’autre et les yeux mi-clos dans la pénombredel’instant.Ils’écouladeuxminutessansparolesentreeux,oùseulela lente mélodie romantique de fin de soirée se fit entendre. Ils inclinèrent leur front pour mieux les accoter ensemble, en belle harmonie.

 

Sur les dernières notes, ils relevèrent la tête et rapprochèrent leurs lèvres pour s’embrasser. Dix secondes passèrent, et leur bouche se sépara :

 

— Jet’aime,Myriam!luidit-il.

Elle lui répéta ces mots d’une voix inaudible en dodelinant du ciboulot à titre de réciprocité aux sentiments qu’il éprouvait pour elle et dont il lui avait fait part, devive voix. Ce fut le moment déterminant, où la connexion affective se crée. Ils en profitèrent pour relâcher leur étreinte et se prendre les mains avant de s’éclipser, ni vu ni connu.

 

Pendant ce temps, Jade ne perdit pas de temps à passer à l’action, embrassant langoureusement son partenaire bien avant la fin de la balade. Le bouche-à-bouche amoureux se déroula en fait tout le long de la danse. Puis, ils demeurèrent sur place, un brin. Et ils disparurent du décor, eux aussi.

 

***

KevinSimardoccupaitunlogementd’unepiècedanslesrésidencesduCégep de Thetford Mines. Il entraîna Myriam par la main dans le petit logis où il vivaitloin de son Outaouais natal. Il tenait son prénom à consonance anglophone de sa mère ontarienne. Il avait eu droit à une éducation bilingue de la part de parents fonctionnaires fédéraux. Donc, qui bossaient sur l’autre rive. Il devait son physique hispanophone à sa grand-mère paternelle, qui en avait hérité de loin.

C’était l’essentiel de son charme pour lequel sa nouvelle « blonde » avait craqué,le temps d’une danse. Son ami de cœur d’alors se défendait bien de passer pour un Casanovadeservice,letypedebeaumecquicollectionnaitlesconquêtescomme d’autreslefontdestimbres.Ilneseconsidéraitpointcommeunnumismatede l’amour au-delà de son sourire désarmant de séducteur.

 

À propos,aurait-elledûnepasbrûlerlesétapes?Nepassecontenterd’une danse d’un soir? Plus la conversation progressait, plus elle s’interrogeait justement. Elle avait bien noté l’agitation de son corps, mais elle se disait qu’il frémissait de joie, celle des amoureux transits qui tremblent telle une marguerite virevoltant augré du vent. Elle eut le réflexe de chasser ses doutes hors de son esprit tellementelle était sous le charme. Qui l’en aurait blâmé? Ah, l’amour…!

 

C’est au terme de quarante-cinq minutes de « bavardages préliminaires » que le jeune homme dévoila enfin son jeu. À cette fin, il se dispensa d’enfiler des gants blancs :

 

—Tusais,Myriam?luidit-il.Tumeplais…tumeplaisbeaucoup!

Cette déclaration de marque d’affection tangible sembla la déstabiliser un peu. Elle eut alors le réflexe de se placer sur la défensive, sans le démontrer clairement. Un peu comme pour se laisser désirer davantage, ou se prêter mystérieusement à ce jeu de la séduction.

 

—Quetuveuxdireparlà?luisourit-elleenvagissantàpeine.

 

Le masque de charmeur tomba sur son visage, sourire en coin. Un rictus devenu soudainement insistant du genre « Ramsès lubrifié », assorti de cette répartie :

 

—Faut-ilquejetefasseundessin?luirépliqua-t-ilsansdétourenrestantpoli.

Tuesunefille, jesuisungarçon.Onadansé,ilestdoncnormalquetum’attires.

 

— Hum, je ne sais pas, balbutia-t-elle sur un ton toujours un tantinet sensuel, mais de plus en plus sur les charbons ardents.

 

Devant autant de semblants d’incompréhension affichée d’une voix légèrement charnelle, Kevin lâcha un soupir d’exaspération et de désespoir larmoyant avant de foncer droit au but, tel un joueur acharné, mais sans le sou et désespéré :

 

—Ah!Etpuis…let’sgo!Jevaisteledire:onlefaitouonnelefaitpas?...Moi,j’ailegoûtde toi,entouscas.

 

Elle fut quelque peu désarçonnée par la soudaine ampleur des sentiments de son nouveau petit ami pour elle jusqu’à lui témoigner le désir de partager son lit cette nuit. Dans le même intervalle, elle éprouva de la pitié pour son désarroi amoureux verbalisé sous forme de supplication aux abois.

 

Elleconsentitenfinàl’acte…

 

***

Il ne fallut qu’une minute. Une petite minute. Le temps que Kevin éteigne les quelques sources d’éclairage des lieux, que Myriam et lui se dirigent vers le lit en défaisant les couvertures et qu’ils se déshabillent, jusqu’à ne porter que leurs sous-vêtements.

 

Le tout n’aura nécessité qu’une minute. Une toute petite minute. Une minute de rien du tout. À la fois trop courte et trop longue.

 

Trop longue pour lui, qui souffrait de solitude – en apparence, du moins! –, autant que pour elle, qui n’attendit et ne vécut que pour l’instant qui suivrait cette minute. Soixantesecondesquiduraientdepuislanaissance de Kevin,étantvenuaumondepource moment unique... tel qu’il l’aurait voulu, en tous cas! Ses méthodes de séduction classiques semblaient éprouvées comme s’il était un vieil habitué y étant rompu depuis aussi loin qu’il s’en souvienne... ou qu’il puisse s’en souvenir!

 

Ses parents lui ont-ils tout appris sur ces « mystères de la vie  » ? Son entourage, alors? Ou était-ce tout simplement inné chez lui? Une seconde nature, peut-être?

 

Toujours est-il que ça sembla fonctionner sur Myriam qui se laissa guider dans les dédales de ces « mystères » dont elle était néophyte, hormis les grandes lignes théoriques assimilées lors de son cours d’éducation sexuelle en 6e année et remisesà jour par son amie Jade pendant leurs conversations entre filles.

 

L’adolescentedeChâteau-RicheraccordasonvotedeconfianceàsonRoméo. Il lui sembla savoir ce qu’il faisait. Et, règle générale, il le faisait très bien. Elle supposa donc que c’était comme ça. Ou que ça devait se dérouler comme ça, à tout le moins.

 

D’autre part – et c’est en cela que la minute fut trop courte —, un doute – ou même, plusieurs – revint la hanter. N’était-ce pas prématuré? N’allait-il pas un peu trop vite en affaires? Y avait-il tant de presse que cela, au point d’avoir la gâchette facile? N’aurait-il pas plutôt été préférable de prendre tout le temps au monde pour se connaître? S’apprivoiser? S’apprécier? Ets’aimer, ultimement? En somme,denepasbrûlerlesétapesavantdefranchirlegrandpasverslegrandamour, ainsi que le chantait Joe Dassin, histoire de ne pas regretter après d’avoir voulu brûler la chandelle par les deux bouts?

 

Ce questionnement qui lui taraudait l’esprit l’amena à méditer les paroles de la chanson sur laquelle ils avaient dansé plus tôt. Des paroles poétiques, certes, écrites sur un tempo sirupeux destiné à la romance, mais des paroles lourdes de sens lorsque traduites comme suit :

 

Jeteveux, jetedésire,

Mais d’aucune façon,je ne t’aimerai; Alors, ne sois pas triste,

Cardeuxsurtrois,cen’estpassimal!

 

Quevoulaientdirelesmotsdecetteballademusicale?«Deuxsurtrois,cen’est pas simal!» Le sortla choisira-t-ilcomme étantl’heureuse élue? Ou la rangera-t-il dans le camp des deux autres? L’élue sera-t-elle si heureuse que cela en fin de compte?Ous’agira-t-iltoutbonnementducontraire?Etsilesortdécidait,enlieu etplace,delaclasserparmilesdeuxrestants?Est-cequeceseradesrestants,à juste titre? Ou encore, est-ce que les laissé(e)s-pour-compte se considéreront choyé(e)s d’être vu(e)s sous cet angle?

 

Ces interrogations tourbillonnèrent dans sa matière grise. Se multipliant comme les sables de la mer, elles y essaimèrent tel l’intérieur d’une ruche affairée.

 

Tout cela s’additionna aux nombreuses données inconnues sur Kevin. Qui était-ilvraiment? Dansqueldomaine étudiait-il? Quels étaientses résultats scolaires? Et ses parents, que faisaient-ils pour leur bifteck? Fonctionnaires fédéraux, oui. Mais dans quel(s) ministère(s)? Et quels étaient leurs postes respectifs? Enfin, qui étaient les personnes qui gravitaient dans son univers immédiat?

 

Cet esprit de suspicion se heurta en contrepartie à des certitudes. Celles d’avoir été intimidée dans son enfance et isolée par son apparence d’alors. De n’avoir pu compter sur des confidents, quels qu’ils fussent. De s’être butée au mur du silence. D'avoir grandi avec cette estime de soi brimée, à s’en montrer timorée avec autrui. D'avoir vu ses copines du secondaire fréquenter leurs premiers Don Juans et faire leur vie avec eux. Elle vivait dans la peur de vivre seule, de devenir une « vieille fille » et de mourir avec cette étiquette autour du cou telle une corde de potence.

 

Elle eut à peine une fraction de seconde pour décider de son avenir à court et à long terme. Sur le coup, elle opta pour l’éventualité du lendemain sans égards aux surlendemains. Seul le présent compta à ses yeux, plus que tout le reste. Pour bien illustrer la situation, elle s’inclina devant ses avances.

 

Etdevant l’irrésistible tentation dedéjouerle destin.Celuide la solitudeau profit de l’amour, quitte à être mal assortie... ou encore, mal accompagnée!

 

LechoixdeMyriamétaitdoncfait.

 

Elle se pendit au cou de Kevin, l’autre ne s’en formalisant guère et accueillant cette accolade amoureuse avec bienveillance. Il avait déjà dévêtu son torse. Elle portait encore son haut. Il entreprit d’en faire glisser les bretelles jusqu’en bas des frêles épaules de sa partenaire. Elle n’y offrit aucune résistance. La pièce de vêtement descendit tranquillement, dénudant ses seins qu’il caressa avec vigueur. L’une deses mains s’empara de celle de sa petite amie pour l’introduire dans son pantalon et lui toucher le pénis.

 

Débuta ainsi le coït, dans la place à demi-éclairée. Le couple tomba sur le lit où il s’échangea de longs baisers interminables et plus fiévreux que jamais. Puis, à partir de là, les ébats s’intensifièrent.

 

Letempsfutsuspendu,indéfiniment.

 

***

Des minutes s’écoulèrent. Des heures, même. Combien? Nul ne sut, ni même ne les eut comptés. Une chose fut certaine, le plaisir de l’orgasme– si plaisir, il y eut – dura jusque tard dans la nuit. Au petit matin, à vrai dire.

 

À ce chapitre, le couple s’était assez bien comporté. Admirablement bien, dirait le jeune homme. Il en fut pour le moins ravi. Cette satisfaction se reflétait dans la soudaine attitude détendue de son corps... et de son état d’esprit, aussi!

 

La fréquence des innombrables coups de reins énergiques, distribués de part et d’autre, s’espaça peu à peu, suivie d’un silence seulement brisé par la respiration bruyante de Myriam qu’elle tenta de récupérer afin de reprendre la conversation entamée plusieurs heures auparavant. La chose parut à la fois si loin et si récente dans le temps pour Kevin, à telle enseigne que sa mémoire sélective n’en fut guère désorientée.

L’adolescente y tenait mordicus, histoire de rattraper le souvenir tenace de ses tourments. Elle se risqua à les verbaliser avec un minimum de tact, mais pas avantde lui témoigner l’appréciation de sa première expérience sexuelle :

—Tusais,Kevin…?

—Quoidonc?l’interrompit-il.

 

Cela se voulut plus qu’une simple réponse anticipée à sa question, comme pourla forcer à commenter cette relation sexuelle. Ce qu’elle hésita à faire, elle qui avait tout plein d’autres préoccupations derrière la tête. Au fond, il ne s’en souciait pas outre mesure. Or, une curiosité formelle lui fit donner la chance au coureur... ou àla coureuse dans ce cas-ci :

 

—Excuse-moi,monamour!luiconfessa-t-il.Tudisais?

— Je voulais dire, s’avança-t-elle… que tu baises comme un dieu! Tellement que j’ai eu un peu de misère à reprendre mon souffle, et que j’ai joui comme une folle.

—Merci,luirépondit-ilpoliment.Et… quoid’autre?

 

La contre-interrogation la prit de court. Elle en était même presque inattendue, à tel point qu’il lui lança un regard appuyé d’une certaine expectative. Se sentant du même coup bousculée, elle s’empressa de masquer ce mutisme :

 

— Jevoulaisaussisavoir,bafouilla-t-elle…si jesuistongenredefemme?

 

L’humble maître de céans éclata discrètement de rire comme pour ménager lepeu de susceptibilité qu’elle aurait eu à son égard, ce qui n’irrita pas moins la jeune femme. Elle s’en sentit blessée. Il s’avisa dès lors de rectifier le tir :

 

—Quelestlesensdetaquestion ?luidemanda-t-ilpluscourtoisement.

— En fait, bégaya-t-elle, je me demandais… si tu me respectais assez pour ne pas avoir eu ces rapports sexuels avec moi, sans d’abord m’aimer un peu?

 

Cette imploration surprit Kevin. Ses paupières, alors mi-closes, s’entrouvrirentun peu. D’une torsion cervicale, il orienta son visage pour croiser l’air inquisiteurde Myriam et lui formuler la question de confiance :

 

—Qu’enpenses-tu,toi-même?M’aimes-tu?

—Biensûrquesi…!

— Où est le problème? Si ça peut te rassurer, je te le dis tout de suite : tu esmon genre de femme, Myriam! Autrement, je n’aurais jamais partagé mon lit avec toi. Ne crois-tu pas que cela fait du sens?

—Maisoui,j’enconviens…

—Alors,quoi ?s’impatienta-t-ilsuruntonharassé.

—Ehbien,gloussa-t-elle…onaparléunpeudetout,maistunet’espas ouvert sur toi. Enfin… sur tes proches, ta famille ou ta personnalité. Pour te dire la vérité, j’aurais espéré te connaître un peu plus avant de faire l’amour avec toi.

 

Il porta sa main vers son front pour le masser d’incrédulité comme s’ilvoulut se dire que les filles sont toutes les mêmes. Réaction plutôt misogyne, mais dontlemodederéflexionsemblaitgénétiquechezlui.Qu’enest-ilvraiment?Tôt ou tard, elle ne tarderait point à le savoir. Peut-être tirera-t-elle les conclusions qui s’imposent?

 

— Bon ! se résolut-il à dire d’un raclement de gorge, comme pour mesurer la portée de ses paroles. Je dois t’avouer un truc : mes parents m’ont inculqué lanotion du « petit parleur, grand faiseur ». Et je tâche de l’appliquer le plus possible. Tu comprends que les gestes ont plus de valeur que les paroles. Selon moi, c’est le fondement même d’une confiance mutuelle. Autrement dit, je préfère donner de l’amour concret plutôt que d’en parler. Cela dit, je te repose ma question, Myriam : as-tu confiance en moi, au point de m’aimer pour toujours?

 

Cette réplique représentait l’équivalent d’un discours... dans ses critères bien à lui, s’entend! Or, il s’avérait assez convaincant aux oreilles de sa bien-aimée. Cela correspondait aussi à ses propres prérequis, en termes d’homme idéal. S’il ne douta pas de la sincérité de celle qu’il aimait, la réciproque avait préséance en tout, ce qui allait de soi et contribuait à tuer dans l’œuf le fondement de ses angoisses de finirses jours sans amour, car elle pourrait compter sur un homme qui entretenait des valeurs similaires aux siennes.

 

Ce fut donc tout ce qu’elle voulut entendre de la bouche de Kevin qui exigea d’elle une confiance au-dessus de tout soupçon comme celle qu’elle lui demandait en retour :

 

—Oui,murmura-t-elled’unsoufflesilencieux.

— Tu en es certaine? Sinon, dis-le maintenant! Car je ne tournerai pas autour du pot, indéfiniment. Je veux donc que tu me donnes une réponse claire. Me fais-tu confiance?

—Jetefaisconfiance,Kevin, luirépondit-elledemanièreplusferme.

—Donc,m’aimes-tu?

—Oui,jet’aime.

 

La question réglée, le corps de Kevin perdit de sa raideur pour se détendre et se recaler dans son lit, permettant à sa dulcinée d’en faire autant.

 

Leursilhouettesecôtoya,la main dans la main.Jusqu’au leverdujour.

 

***

Les rayons du soleil étaient tout juste filtrés par les stores vénitiens des fenêtres donnant sur la cour du complexe résidentiel du cégep. Cette lueur vint agresser les paupières de Myriam. Elle en fut éveillée, prit la décision de s’extirper du lit et fit des étirements pour chasser l’état ankylosé de son corps nu qu’elle se dépêcha de revêtir par un réflexe de pudeur difficile à justifier, vu qu’elle venait de passer une nuit d’amour avec son « chum ».

 

Ce dernier lui emboîta le pas en cette matière, à temps pour noter un dragontatouéaubasdudosdesa princessequ’iln’avaitpasremarquédanslapénombre de la nuit précédente. Ses doigts retroussèrent la pointe de sa barbichette à la vuede cette « profanation » d’un corps de femme aussi parfait, invitant et attirant à son regard. N’étant excité que par les attributs anatomiques les plus évidents de la fille,il n’y avait prêté aucune attention particulière... pas dans l’éclairage tamisé de leurs agapes nocturnes, en tous cas!

 

N’ayant pas tenu compte du lever du corps de son partenaire, Myriam enfila une pièce de vêtement traînant au sol par hasard. C’était la chemise que Kevin arborait la veille. Une fois habillée, elle se retourna à temps pour le voir debout :

 

—Bonjour,monamour!luisusurra-t-elleàl’oreille.Tuasbiendormi?

—Commeunebûche,luirétorqua-t-il. Ettoi, monamour?

—Commeunbébé.

 

Il s’assit sur le bord du lit un instant. Puis, il se dirigea vers la penderie pour en sortir une robe de chambre. Il en couvrit sa propre nudité, se rapprocha de Myriam pour la bécoter tendrement sur la nuque et la serrer dans ses bras puissants.

 

—Quecomptes-tufairede tajournée ?luidemanda-t-il.

—Étudier,qu’est-cequetucrois?N’oubliepasqu’onestenfindesession.

 

Ce détail avait bêtement échappé à l’entendement du jeune homme, comme s’il s’en moquait éperdument. Peut-être parce qu’il se sentait le cœur léger après cette nuit d’amour avec la fille de ses rêves? Ou était-ce par pure et totale insouciance? Allez savoir.

 

Toujours est-il qu’il en fit peu de cas en réalisant à cet instant son propre statut d’élève et ses implications inhérentes, surtout sur son avenir professionnel à long terme... si la chose l’intéressait encore, bien sûr!

 

— Désolé, j’avais oublié, s’excusa-t-il presque tout en se pinçant pour revenirà la réalité. Alors, je ne te mettrai pas à la porte. Vu que tu seras occupée.

—Tuneleprendspaspersonnel,monamour?

—Non!serebiffa-t-il.Jedoisaussiallerétudier.OnsereverraavantNoël?

— Si tu as à peine oublié tes examens, je ne t’oublierai pas pour autant. Biensûr que l’on se reverra avant les Fêtes!

—Alors,peux-tumelaissertescoordonnéesavantque tunepartes?

— Certainement.

 

Myriam fouilla son sac à main pour en retirer un stylo et un bloc-notes, et y griffonner son numéro de téléphone à Thetford Mines en plus de celui de son domicile de Château-Richer. Elle tendit le tout à Kevin, enfila son haut, son pantalon, ses bottes et son manteau d’hiver à la hâte, avant une ultime étreinte à son prince charmant.

 

— JeterecontacteraiavantdequitterpourGatineau, luidit-il.

—OK!Aupire,tuaurasaussimonnumérochez moi,àChâteau-Richer.

—Parfait!Undernierbisouavantde seséparer?

—Oui,absolument.

 

Elle s’exécuta de bonne grâce en se resserrant encore plus autour du cou de son ami de cœur, le temps d’un tendre petit baiser d’au revoir :

 

—Jepenseraiàtoi,luipromit-il.Toiaussi,j’espère?

—Oui,c’estpromis,luirépondit-elle.

—Jet’aime,Myriam.

—Jet’aime,Kevin.

 

Elle pressa ses lèvres contre les siennes. Ils y glissèrent leurs langues pour les mélanger. Puis, leur bouche se sépara en relâchant leur accolade. Enfin, il laissa l’adolescente lever le camp. Après qu’elle fut sortie, l’hôte des lieuxyjetaun regard perdu.Le champ debataille qu’était son intimité le laissapantois de découragement. Il eut un sursaut d’énergie pour tout remettre en ordre.

 

Une dure journée d’étude s’annonçait à l’horizon pour lui aussi. Comme pour les étudiants des autres cégeps de la province.

 

***

Myriam n’eut pas le temps de chômer non plus : avant d’emprunter la direction de la bibliothèque, elle fit halte à sa pension afin d’y changer ses vêtements de la veille pour une tenue plus décontractée. Puis, elle se démaquilla et fit main bassesur ses manuels scolaires pour retourner sur le campus, en vue des préparatifs aux examens de fin de semestre.

 

Ce sera suivi du congé des Fêtes. Entre un morceau de dinde et deux bouchéesde tourtière, elle penserait à Kevin. Entre temps, elle réfléchirait plus longuementsurcequiluipendaitauboutdu nez,surcequ’elleignoraitdeluietsurl’ensemble de l’œuvre. Mais elle ne put oublier ce qu’elle savait, qu’il était charmant et qu’ils étaient bien engagés. Elle était tellement amoureuse qu’elle flottait sur un nuage.

 

Quitteàcequ’unepossible chutesoitbrutale…

 

 

ChapitreIID’ ados à adultes

 

 

De retour à son domicile de Gatineau, à la suite de ses examens, Kevin renoua avecses proches de même qu’avec plein d’amis qu’il avait laissés derrière lui lors des sessions passées au cégep. Il en profita pour souligner le passage à l’année 2006 avecsescopainsaprès avoirsavourésonrepasdeNoëljusqu’à ladernière miette. Il n’y aura pas fait mentir la réputation qu’il avait au sein de sa famille, c’est-à-dire d’avoir une bonne fourchette, porté qu’il était sur la bonne chair. Surtout en cette période de festivités au cours desquelles les effluves de dinde et de tourtière vous montent facilement au nez.

 

Myriam? Il ne lui était point venu à l’idée d’honorer la promesse qu’il lui avait faite de la contacter une fois le semestre terminé. Il y avait bien songé... sur le tard, pour tout dire! Ça lui était revenu à l’esprit au moment de passer à la table pour la dinde de minuit. Avant cela, il avait au préalable mis ses parents au parfum en leur soulignant le fait qu’ils avaient couché ensemble, avec force détails.

 

Sa mère, plutôt grande romantique dans l’âme, en fut enchantée. Elle avait même encouragésonrejetonàsecaserunefoispourtoutes.Ellen’étaitpassansignorer qu’ilavait tout letempsététrèspopulaireauprèsdelagentfémininedeson école, et ce, au primaire comme au secondaire, étant même leur poète favori à ses heures.

 

Or, un accroc avec son père pointait à l’horizon. C’est lorsqu’il fut question du dragon tatoué sur ses reins que le paternel se dressa sur ses ergots. Ultraconservateur comme nul autre, il n’était pas très chaud à l’idée que sa bru arbore un tatouage, même sur une partie intime de son anatomie qu’elle n’exhibait que lors des ébats au lit. Après avoirécoutélerécitdecetteviréenocturne, le pèrenepritaucundétourpourformuler ce grief à son fils en ces termes :

 

— Mon gars, tu peux fréquenter toutes les filles de la planète que tu voudras,à la condition sine qua non que ce soit des filles bien, dont le corps n’aura pas été mutilé. Hors de cela, point de salut! Aussi bien te faire une raison.

 

Ce coup de pied de l’âne de son paternel eut l’effet d’une douche froidesur la tête de Kevin. Certes, sa cote de popularité auprès du « sexe faible » était de notoriété publique dans son patelin. En humain qu’il était, son géniteur voulait bien leluiconcéder.Qu’ilsorteavecunefilleextrêmementséduisante,dotéede qualités indéniables... soit! Mais pas à n’importe quel prix!

 

Au-delà de ce strict critère d’admissibilité, toute autre discussion serait futile et s’avérerait un gaspillage de salive en pure perte. À vouloir raisonner un papa entêtéà ce point, aussi bien fouetter un cheval mort.

 

Le jeune homme dut faire son deuil de sa poupée de Château-Richer… pour le moment!Si l’ondit : «Tel père, tel fils!», cedernier sepromettaitbiende revenirà la charge et de gagner son point, quoi que son père en dise ou en pense.

 

***

Si son éventuel beau-père rechignait à une telle perspective, Myriam n’avait pas cessé de penser à son amoureux depuis, passant même des heures lors des Fêtes à faire le pied de grue aux côtés du téléphone familial de Château-Richer.

 

Cela alimenterait-il les remises en question dont elle fut la proie éphémère avant de succomber à ce séducteur, dont elle ne savait que peu de choses, outre sa libido stimulée par sa présence sous ses draps? Et puis, quoi d’autre? Se doutait-elle que des « amies » l’attendaient à son retour à Gatineau? Ou d’autres aussi, que l’on aurait pu recenser ailleurs?

 

Au bout du compte, cette absence de nouvelles la ferait-elle déchanter, fut-ce cruellement au point de dégonfler ce ballon d’essais digne de la foire aux illusions? Celles dont elle se berçait en toute quiétude, incluant la « garantie » qu’il lui avait soumise quant aux principes de confiance?

 

Ce n’était pas dans sa nature de lancer la serviette aussi vite. Il devait avoir de bonnes raisons pour expliquer son silence radio : un pépin de dernière minute, un empêchement majeur, des circonstances hors de contrôle... Une chose était sûre : elle était condamnée à imaginer toutes les hypothèses, que cela ne lui apportait pas plus de réponses.

 

Si la promiscuité d’une municipalité de 25 000 âmes comme Thetford Minesétait de nature à favoriser les rapprochements sociaux – et dans son cégep même, à plus forte raison –, cela n’empêchait pas que l’on ne soit pas renseigné sur tous les gens qui y vivent. Vous avez beau résider dans la même rue qu’une personne qui vousesttombéedansl’œil,laréalitédel’inconnufinittoujoursparvousrattraper tôtou tard.Celavautpourdespetiteslocalitésdecetacabitautantquepourles plus grosses, à Thetford Mines au même titre qu’à Québec, à Montréal ou à tout autre endroit sur la planète.

 

C’est ainsi qu’au lieu de se perdre en conjectures et en hypothèses de toute sorte, elle attendit et attendit cet appel tant espéré de Kevin. Elle attendit et attendit, et attendit encore, et attendit toujours, et attendit encore et toujours... patiemment et inlassablement, en vain!

 

Un jour, elle cessa spontanément d’attendre, se disant qu’il donnerait peut-être signe de vie au moment où elle ne l’attendrait plus, ce qui était une possibilité ensoi. Ne sait-on jamais?

 

AutantattendreGodotàlaplace,qu’ellepensa:ça iraitplusvite…

 

***

Le 16 janvier 2006, ce fut le début de la session d’hiver. Le Cégep de Thetford Mines reprit sa ronde grouillante de vie comme les autres établissements scolaires, dureste.Les étudiants seretrouvèrentets’échangèrentlesvœuxduNouvelAn. Les enseignants, aussi. Avec tout ce beau monde revenu en ville, la petite localitéfut saisie d’un regain de vitalité typique de la rentrée d’après les Fêtes, un second souffle jusqu’aux vacances estivales... le cycle des saisons suivant ainsi son cours, Dame nature oblige!

 

Tout le long de cette première journée, Myriam assista à ses cours. Des moitiés de cours, en réalité, le temps que la classe prenne connaissance du prospectus, le reste n’étant que formalité. Idem pour toutes les matières. Exceptionnellement, sa copine Jade lui avait fait faux bond, s’étant recyclée dans un autre champ d’études.

 

La fille de Château-Richer se sentit orpheline de ce point de vue, et c’était unpeu tant mieux. Elle avait d’autres préoccupations en tête. Elle eut, en effet, tout le loisir de penser à Kevin tout en ne sachant trop où le trouver sur le campus, tant le mystère sur son champ d’études demeurait entier.

 

En fin d’après-midi,illuivintl’idéed’allercognerà laportedeson logement du pavillon résidentiel. Elle ne perdit rien pour attendre, sa silhouette apparaissantau bout du couloir. Ils s’envoyèrent un signe de la main et franchirent la distance entre eux pour se rencontrer à mi-chemin. Ils tombèrent dans les bras de l’autre, se couvrirent le visage de baisers et de caresses.

 

— J’étais morte d’inquiétude, gloussa-t-elle. Pourquoi ne m’as-tu pas donnéde tes nouvelles, mon amour?

— J’en suis désolé, mon amour! balbutia-t-il avec maladresse. C’est vrai, je t’avais promis de donner un coup de fil et tu aurais raison de m’en vouloir le cas échéant. Je n’ai vraiment aucune excuse valable pour ça.

 

Lestourtereauxeurentcommunémentunlégermouvementdereculpourque les yeux du Gatinois puissent exprimer toute la mesure de son malaise à sa douce, celui d’avoir renié sa parole d’honneur de ne pas la laisser sans nouvelles. Cette autoculpabilité avouée renforça la miséricorde de la jeune femme et sa grande joie de le revoir du même coup. Plus facile de passer l’éponge en pareille circonstance. Elle ne lui en tint donc pas rancune.

 

—Tum’asbeaucoup manqué,tusais, luidit-elle.

— Jemesuisennuyédetoi,aussi,luirépliqua-t-il.

 

Ce commentaire fit scintiller le blanc des yeux bleus de Myriam, à la pensée de constater que ce sentiment était partagé. Elle se sentit rassurée. Son cœur se remit à battre la chamade plus rapidement lorsqu’il lui témoigna son vif plaisir de la revoir par le biais de ces mots tout simples, mais tellement peu utilisés en ce bas monde :

 

—Jet’aime,Myriam.

— Jet’aimeaussi,Kevin.

 

Autre échange de câlins langoureux. Et les bouches se dissocièrent en une sorte de retour à la réalité afin de mettre un terme à leurs tendres effusions affectives,plus une forme de rappel à l’ordre de la part du jeune homme :

 

— Ce n’est pas parce que je m’embête avec toi, s’excusa-t-il. Mais je doisaller me reposer un peu. J’ai dû me taper le trajet Gatineau-Thetford Mines en automobilehiersoir.Etilm’a fallumelevertôtce matin.Alors, jemesensun peu fatigué.

 

Le bonheur céda aussitôt la place à la déception qui se lit dans les pupilles de sa dulcinée, elle qui se faisait un festin de renouer avec lui. Il ne le savait que tropbien, ce pour quoi il se montra rébarbatif à rabattre le caquet de sa béatitude. Alors que son hamster se mit à pédaler avec frénésie chez lui, elle lui adressa ce doux reproche :

 

—Ohnon!gémit-elle.Moiquiétaissi heureusedeterevoir.

—Jesais,mabiche. Mais je…

—Nepeux-tupasm’accorderdeuxpetitesminutes?Lecoupa-t-elle.

—OKpourdeuxminutes,laissa-t-iltomberaprèss’être mordilléles lèvres.

 

Cetteconcession futdebon cœurde sapart,d’où lefaitqu’ellen’entenditpas en abuser, compte tenu de la sincérité de son compagnon sur son épuisement. Elle lui sourit en enchaînant sur la suite de ce conciliabule :

 

—Tunem’aspasditdansquoituétudiais.

—ÈsScienceshumaines.

—Quellessontles matièresdetonprogramme?

—Lagéographieetl’histoire…entreautres!

—Etqueveux-tufaireplustard?

 

—Alleràl’université.Etfairedelapolitique.J’aimeraisvoyager.Et toi?

—J’étudieèsSecrétariat. Jevoudraistravailleraveclepublic.

—C’estbien.

 

Un mutisme s’installa entre eux, lors duquel ils laissèrent parler leurs regards pour se réitérer leur affection l’un envers l’autre. L’étudiant ès Sciences humaines décrocha le premier, peinant à étouffer un bâillement :

 

—Excuse-moi,monamour!Fautvraimentquej’yaille.

—Je te comprends, mon amour, lui dit-elle en toute indulgence. Alors, je te laisse. On garde le contact d’ici là?

—Toutàfait.

 

Avant de se quitter, une autre étreinte du couple suivie d’un baiser prolongé,cette fois de vingt secondes top chrono, puis ils se relâchèrent et se serrèrent les doigts en se tenant à bout de bras pour étirer le plaisir de quelques secondes.

 

—Jet’aime,Myriam.

— Moiaussi,Kevin.

 

Elle lui fit un signe de bouche en cœur, en ultime baiser éloigné. Il leva la main, faisant mine de le recevoir et de le porter à sa joue. Enfin, il tourna les talons pour regagner ses propres quartiers et y piquer un roupillon.

 

Elle le suivit longuement des yeux. Ceux-ci nagèrent dans une chaleur humaine venue du fond de son être, du contenu de son muscle cardiaque, lequel n’en finitplusdecognerfurieusementaurythmedutambourdel’amour.Enmêmetemps, ses nerfs optiques baignèrent dans les larmes de joie de ses retrouvailles et aussi de tristesse de les voir se conclure abruptement.

 

Ellese tintlà,uninstant,perduedansses pensées.Etellepritl’autredirection.

***

Kevin se sentait frais comme une rose. Point de fatigue. Plus ou moins, à vrai dire. Le voyage de l’Outaouais vers les Appalaches s’étant bien déroulé, il avait pu récupérer amplement lors de la nuit de sommeil qui suivit.

Avait-il raconté n’importe quoi à sa belle? Avait-il cherché un prétexte à une pirouettepourlalaisserenplan?Sansluidirelavérité,parpeurdelablesser?Ou yétait-il alléd’unedemi-vérité dans le butde sedonnerbonne conscience? Voulait-il sauver les apparences avec un mensonge blanc? Ou n’y avait-il pas quelque autre raison dissimulée?

 

Lui seul savait les réponses à ces points d’interrogation, laissant d’autres en suspens. Ce quil’empêcha ausside relaxeren soirée, selon son vœu. Pourl’heure,il n’avait même pas soupé. Il était étendu sur le lit, tout habillé, les bras le long du corps et les mains tapotant à plat de chaque côté. À réfléchir à la fille de ses rêves? Était-elle bien cela, dans sa propre vision? Comptait-elle pour lui? Aurait-il dû lui démontrer le courage de sa franchise, quitte à lui briser le cœur? Au fait, jouait-ilbel et bien franc jeu avec elle? Et avec tout le monde, implicitement?

Ou au contraire, préférait-il se réfugier dans l’hypocrisie de dévouer son cœur à une autre? Qu’elle eut habité à Gatineau ou ailleurs? Peut-être était-il promis à une personne qui lui était imposée par son entourage... par son père, par exemple? Le trompait-il en voulant s’engager avec Myriam? Ou le trompait-il en lui obéissant et en se dupant lui-même aussi, de même que l’authenticité de ses sentiments? Était-il loyal envers son paternel en faisant cela? Ou mal intentionné en général, à l’instarde son vieux qui lui dictait ses quatre volontés? En bout de piste, était-il méchantpar définition?

 

L’heuren’étaitcertespasàladétente.Maisbien,auxquestionnements…

 

***

Chose certaine, ces doutes existentiels eurent cours de part et d’autre de ce drôle de ménage. Et ces appréhensions ne s’apaisèrent guère au fur et à mesure que le fil des jours s’étira sans aucun contact verbal ou visuel de part et d’autre– de la partde Myriam, en particulier. Pour ce qui était de Kevin, nul n’aurait su se prononcer. Les hypothèses des uns valaient aussi bien que celles des autres.

 

Méfiance? Peut-être. Jalousie? À ne pas écarter, non plus. Paranoïa, alors? Pas question, pour l’instant. On ne pouvait que spéculer, rien de plus!

 

***

Huit semaines passèrent dans ce climat d’incertitude. Accaparée par le maintien de bonnes notes, Myriam n’eut pas tout le loisir de s’arrêter à la situation. Elle pritle parti de laisser le temps faire son œuvre. Préoccupée par les tests de mi-session, elle dut se résoudre à cette philosophie, convaincue que son prince charmant lui-mêmeenavaitacadémiquementpleinlesbras.Peucaléeenscienceshumaines, elle n’en savait que fort peu sur le contenu des matières au menu. En cela, elle s’en remit à Kevin et à ses choix de carrière qui en résulteraient.

 

À l’aube de la semaine de lecture de mars 2006, la route de Myriam recroisa celle de Jade. Cette dernière avait abandonné ses études et emménagé avec l’imberbe du party du3 décembre. Elle parut filer le parfait bonheur. La relation de la fille de Château-Richer émergea par la suite. Son ex-copine de classe vint y ajouter son grain de sel. Le souhaitait-elle secrètement? Toujours est-il que sa confidente tenta d’éclairer sa lanterne :

 

— On dit que, dans le doute, mieux vaut s’abstenir, lui dit Jade. À ta place, jene me serais jamais approchée de lui, pas même avec une perche d’un million de kilomètres de long! Surtout si ce que tu me racontes est vrai, sur le fait qu’il ne te donne pas souvent de ses nouvelles. Moi, en tous cas, je trouve ça louche.

— Le doute est une lame à double tranchant, lui répondit-elle. Autant il nous amène à nous méfier, autant il peut nous inciter à donner la chance au coureur.

 

 

Le plaidoyer ne sembla pas émouvoir Jade, elle qui avait vu neiger avant. Elle parut parler en toute connaissance de cause et elle le fit savoir sèchement à Myriam en mettant les points sur les « i » et les barres sur les « t » :

 

— Raison de plus de ne pas accorder le Bon Dieu sans confession au premier venu. Tu ne le connaissais même pas quand tu as dansé avec lui. Comment pouvait-il en être autrement au moment de coucher avec lui?

—Maistoi?Toncopainimberbe,tune savaisriende luinonplus?

— C’est différent, car j’ai appris à le connaître ensuite alors qu’entre toi et lui,la communication est quasi-absente. C’est ce qui t’a laissée dans le brouillard à son sujet.

 

Sonanciennecompagnedeclassenes’étaitjamaismontréeaussi intransigeante. Pas jusqu’à être cinglante envers elle, du moins. Voyant qu’elle avait jeté Myriam en bas du piédestal de ses convictions, Jade se mit en devoir depoursuivre dans cette veine en lui donnant l’heure juste sur la noblesse de ses intentions :

 

— Mimi, reprit-elle sur un ton plus conciliant, tu es l’une de mes meilleures amies,sinonlameilleure.J’aitantd’estimepourtoiqueçamebriseraitlecœurde te ramasser à la petite cuillère dès ta première peine d’amour et, si je te parle de lasorte, c’est pour t’éviter une chose semblable. Tu comprends?

 

Myriam se tut, laissant ces paroles pénétrer son esprit perturbé. Bien que celles-ci ne lui aient pas évoqué le pire, son imagination ne s’en mit pas moins à gambader. Sentantla soupe chaude, soninterlocutricevoulut la sécuriser, non sans reprendrelà où elle avait laissé :

—Bon,secorrigea-t-elle,jereformuleletout:nevapascroirequejeveux le diaboliser systématiquement, ce n’est pas mon but. Et je ne dis pas qu’il t’agressera physiquement. Mais en attendant, il pourrait te blesser d’une autre façon.

 

Les mots étaient superflus. À tout le moins, Jade aura annoncé la couleur de ses opinions.N’était-cepasl’objectifdesconversationsentrefilles?Lesamiesne sont-elles pas là pour ça, que l’on dit en philosophant?