Chemins croisés - Tome 1 - Sarah Dheilm - E-Book

Chemins croisés - Tome 1 E-Book

Sarah Dheilm

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Beschreibung

Adeptes du "Suis-moi, je te fuis ; fuis-moi, je te suis", finiront-ils par se trouver ?⠀

L'été a à peine commencé que Cat voit celui qu'elle considérait comme son grand amour la quitter. Cerise sur le gâteau, ses deux meilleures amies filent le parfait amour sans vraiment réaliser à quel point elle va mal.⠀
Et puis, elle rencontre Alex... Le jeune l'attire autant qu'il la met hors d'elle. C'est pourtant le seul qui semble remarquer sa détresse. Voulant la sauver d'elle-même, il sait pourtant qu'il risque de la détruire bien plus encore.⠀

Craquez pour cette nouvelle romance que vous terminerez avec une seule envie : vous plonger dans le tome 2 !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Ce tome 1 est un début de révélation, j'ai hâte de savoir la suite, et de voir comment l'auteur a géré sa trilogie." Delphine sur Accro2newromance

"Le premier volet d’une trilogie qui tient toutes ses promesses et qui laisse présager une suite pleine de surprises." Lectures évasion

À PROPOS DE L'AUTEURE

Sarah Dheilm a toujours aimé extérioriser sa créativité en dessinant ou en écrivant. Il y a cinq ans, frustrée que ses lectures ne prennent pas le chemin qu'elle souhaitait, elle a décidé d'écrire elle-même ses histoires.

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Chapitre 1L’invité mystère

Il est onze heures lorsque Léa m’appelle :

— On passe cette aprèm avec Elyne et les garçons. Quatorze heures, ça te va ?

Hum… Je ne suis pas d’humeur. Le rêve que j’ai fait cette nuit m’a bouleversée. C’était l’un de ces rêves où lorsqu’on se réveille, on sait que cela va se produire. Et dans ce cas, je serais anéantie : j’ai rêvé que Tom m’appelait enfin et qu’il me larguait comme une vieille chaussette. Ce garçon, que j’ai aimé toute l’année de terminale et qui a enfin daigné me regarder autrement il y a maintenant deux mois, celui qui a été mon premier pour, eh bien… pour tout, est parti en vacances depuis lundi. Or, nous sommes vendredi, et je n’ai toujours pas la moindre nouvelle de lui.

Et s’il lui était arrivé quelque chose sur la route des vacances, est-ce que je l’aurais su ? Je ne sais même pas si quelqu’un de sa famille a mes coordonnées. Se pourrait-il qu’il ait eu un accident ? Mon Dieu, j’en mourrais !

Mais l’inquiétude fait place au doute ; ce rêve, dans lequel il m’appelait et me disait tout simplement qu’il ne m’aimait plus et que c’était fini, était vraiment beaucoup trop réaliste à mon goût.

— On passe te récupérer et on va faire un tour en ville, il y a la fête foraine pour le dernier week-end !

— Je n’ai pas trop envie de bouger, si Tom appelle...

— Quoi ? Tu n’as toujours pas de news ?

Léa et moi sommes semblables : on fonctionne de la même manière. Elle sait tout de ma relation avec Tom et sent aussi que ce silence devient plus qu’inquiétant.

— Bon, on passe de toute façon, on s’est donné rendez-vous chez toi.

C’est à la fois l’intérêt et le désagrément d’être la seule de la bande à habiter le centre-ville. Mon appartement est devenu le point de ralliement de la nouvelle bande d’amis que nous formons depuis le début de l’été. Au moins, ils ne peuvent pas se passer de moi, mais ça devient parfois envahissant.

Depuis que Léa est en couple avec Chris et qu’on a littéralement mis Elyne et Steph ensemble, j’ai quelque peu l’impression de tenir la chandelle. L’autre jour, j’ai même trouvé Léa à cheval sur Chris sur mon lit. Mon lit !!! Certes, je les comprends, c’est le seul endroit où ils peuvent être tranquilles ; chez leurs parents, il leur est tout simplement impossible de se voir, alors que moi, ma tante n’est jamais là. Mais mon lit !! Quelle horreur !

La sonnette retentit peu de temps après quatorze heures. J’appuie sur l’interphone sans prendre le temps de demander qui a sonné, puisque c’est parfaitement inutile. J’attends à la porte de l’appartement que l’ascenseur s’ouvre, laissant mes amis sortir et me rejoindre. Léa sort la première, suivie de Chris, qui la tient par la taille. Ils forment un beau couple, il la fait tout le temps rire, et j’aime voir ma meilleure amie s’amuser. Je ne l’ai jamais vue aussi épanouie que depuis qu’elle est avec lui.

Je suis contente qu’elle ait réussi à passer à autre chose. Elle a, comme moi, passé l’année de terminale follement amoureuse de l’un de nos camarades de classe. Le plus beau garçon de la classe, d’ailleurs. Mais jamais elle n’a pu obtenir de sa part ce qu’elle espérait. Quand il a su les sentiments qu’elle éprouvait à son égard, il a été adorable, peut-être même un peu trop. Il semblait intéressé, faisant de ce fait perdurer les choses, sans pour autant passer à l’action. C’est vraiment bien qu’elle ait rencontré Christian, qui semble vénérer le sol qu’elle foule.

Elyne et Steph forment quant à eux un couple moins bien assorti. Physiquement, ce sont tous les deux de beaux blonds aux yeux bleus, mais du point de vue du caractère... Ce serait mal de dire de mon amie qu’elle est coincée, mais bon... Elle l’est un peu tout de même. Steph s’était montré un peu trop intéressé à mon égard quand Léa et moi les avions rencontrés, lui et Chris, et comme cela n’était absolument pas réciproque, surtout que dorénavant j’ai un petit ami, on l’a quasiment forcé à faire la connaissance d’Elyne et à ce qu’ils sortent ensemble. Comme ça, tout le monde est content.

Enfin, sauf moi qui, finalement, me retrouve toute seule tandis que Tom est en vacances avec son père dans le Sud. Nos conversations téléphoniques, chaque soir auparavant, où il me serinait qu’il m’aimait et où je répondais que je ne le croyais pas, que ça n’avait pas pu arriver comme ça, d’un coup, alors qu’il ne s’était pas intéressé à moi de toute l’année, me manquent.

Je suis perdue dans mon constat de solitude imprévue lorsque j’aperçois une cinquième silhouette, masculine, sortir de l’ascenseur. Steph se tourne vers l’inconnu et semble plaisanter avec lui. Il est donc venu avec eux et n’est pas un quelconque voisin que je n’ai encore jamais vu. En même temps, j’ai vite compris qu’il ne faisait pas partie de la résidence dans laquelle j’habite : il a un look qui ne colle pas du tout avec le hall de marbre et les tapisseries couvertes de miroirs. Il est mince et grand, même par rapport aux deux autres garçons, qui sont de bonne stature : il les dépasse d’une bonne tête, on dirait qu’il est passé dans la machine à guimauve de Willy Wonka et y a été étiré. C’est son style qui déclenche ma colère.

Qu’est-ce que ce machin vient faire chez moi ? Il porte un treillis de camouflage, de grosses boots qui, par un temps pareil, sont complètement inadaptées, et un T-shirt noir près du corps qui souligne à quel point il est dégingandé. Sans compter son piercing à l’arcade et sa boucle d’oreille, accessoire que j’ai toujours trouvé absolument ridicule chez un garçon. Bien que là, je dois l’avouer, ça colle plutôt pas mal avec son style. À dire vrai, je n’aurais pas pensé trouver cela un jour... pas si laid que ça. En plus, il est tatoué ! C’est franchement contrariant de voir un type pareil faire irruption ne serait-ce que dans mon couloir, et je sens tous mes poils se hérisser sous l’effet de l’irritation que déclenche cette simple vision.

Mes amis me saluent en entrant. Le « bad boy » entre sans y être invité, suivant le mouvement, et surtout sans avoir la politesse de me dire bonjour. Je le toise en soulevant un sourcil. D’habitude, je suis plutôt timide, mais mon rêve m’a mise dans un tel état de stress que je ne réponds plus de rien. Bizarrement, la nervosité qui m’a envahie depuis mon éveil a tendance à me rendre quelque peu soupe au lait.

Steph a dû percevoir mon agacement, car il s’empresse de me demander :

— Ça ne te dérange pas si on est venu avec un pote à moi ? C’est lui qui m’a conduit ici, ma voiture est en rade.

— De toute évidence, je n’ai pas le choix, dis-je en claquant la porte.

Bon, je dois bien l’avouer, ce n’est pas très chaleureux comme accueil. Mais ce look « déchet de l’humanité » chez moi, sans que l’on m’ait demandé mon avis, et sans que j’aie pu m’y préparer psychologiquement, m’agace prodigieusement.

Nous filons tous dans ma chambre. Les filles prennent place sur mon lit, Steph s’installe sur un pouf, tandis que Chris fait le tour et vient s’installer derrière Léa, posant délicatement une main sur sa hanche, son autre main jouant avec ses boucles brunes.

C’est stupide, mais je suis tellement contrariée de sentir mon territoire envahi par la présence inopinée de ce type que je n’arrive pas à m’asseoir, j’aurais l’impression de me mettre en situation de faiblesse. Je porte instinctivement mes doigts à la gourmette gravée au nom de Tom, celle qu’il m’a donnée en gage d’affection en tant que petite amie officielle. J’ai beau adorer le symbole que représente le fait de l’avoir au poignet, le côté romantique est quelque peu terni par les trois filles qui l’ont portée au fil de l’année.

L’invité mystère s’adosse tranquillement contre la porte, plaçant sa botte sur le bois blanc. Je grimace.

— Euh toi... Quel que soit ton nom...

C’est à peine s’il lève la tête, préférant regarder ses ongles.

—… Alex.

— Ouais, peu importe, t’es gentil, chez toi tu fais ce que tu veux, mais là, par contre, tu vires tes pompes de ma porte.

Il ne daigne toujours pas me regarder mais obtempère.

Je ne sais pas pourquoi j’ai été si agressive. Mon inquiétude transformée en colère a, semble-t-il, besoin d’un bouc émissaire et, le pauvre, c’est tombé sur lui.

L’ambiance peu conviviale que j’ai malgré moi établie met rapidement mes amis mal à l’aise. Quelle idiote ! Mais ma nervosité a gagné en intensité et je n’arrive pas à ressentir de culpabilité ni de gêne, mon corps entier est en état de stress, comme si je m’apprêtais à passer un oral devant un jury. Ou quand je savais que j’étais la prochaine à devoir réciter sa poésie devant toute la classe à l’école primaire.

Chris essaie de sortir deux ou trois blagues pour détendre l’atmosphère, mais à l’évidence, tout le monde a ressenti mon animosité et ils décident bientôt de partir.

— Ravi d’avoir fait ta connaissance, me dit Alex en passant devant moi.

Sa voix est neutre, tout comme ses traits, mais je me doute bien que, vu mon comportement, il ne dit pas cela pour me faire plaisir ni être poli.

Je hausse les sourcils et le regarde dans les yeux pour la première fois. Leur bleu intense tranche avec ses cheveux d’un noir de jais. C’est bien la première fois que je ressens autant d’aversion pour quelqu’un, surtout sans le connaître. Je m’estime plutôt ouverte d’habitude, mais je ne suis pas dans mon état normal. Il a fait irruption chez moi le mauvais jour.

Je lui réponds d’un laconique :

— Ravie pour toi.

Tous quittent l’appartement pour replonger dans l’obscurité du couloir, mais Léa reste en retrait.

— Tu es sûre que tu ne veux pas venir avec nous ? Tu as besoin de sortir, c’est quand même pas terrible pour ton ego de rester près du téléphone. Et puis, s’il n’a pas appelé jusqu’ici, ce serait quand même pas de bol qu’il le fasse cette aprèm.

Ma boule au ventre se resserre. Mon rêve est encore terriblement présent à mon esprit.

— Demain plutôt. Là, vraiment, je préfère ne pas louper son appel.

— OK, comme tu veux. À demain.

Je traverse la cuisine et vais à la fenêtre pour les regarder partir. Alex est finalement souriant quand la harpie que je suis aujourd’hui n’est plus dans les parages. Ils discutent tous ensemble quelques instants, puis regagnent leurs voitures. Léa monte avec Chris, tandis qu’Elyne et Steph montent avec le bad boy. J’ai un petit regret d’avoir préféré rester enfermée ici par ce beau temps, et surtout de rater un bon moment avec mes amis, qui vont sans doute bien s’amuser.

J’observe les voitures démarrer quand, tout à coup, le téléphone sonne.

Alex 1Rencontre amusante

Steph me gonfle. Quand il m’a appelé ce matin pour que je traîne avec lui, j’aurais dû me douter que c’était uniquement pour lui servir de chauffeur. Mais bon, ça faisait un sacré bout de temps que je ne l’avais pas vu, et j’ai envie de faire autre chose que mon train-train habituel boulot-baise-repas.

Je ne pensais pas que je me retrouverais devant cet immeuble de bourges. Je m’adosse contre la voiture, jambes et bras croisés. Ses nouveaux potes sont tout droit sortis du lycée, on se croirait dans une de ces séries pour ado à la con. On pourrait presque voir leur bavoir encore autour de leur cou.

J’avais déjà vu Chris deux ou trois fois. Sa nouvelle copine, une brune plutôt pas mal dont j’ai déjà oublié le nom, fait un pas en arrière en me voyant et regarde directement ses pieds. C’est toujours pareil avec ce genre de nanas. Soit elles sont coincées et je les fais flipper, soit elles trouvent mon look excitant et ont envie de m’avoir dans leur lit. Ça doit être une sorte de défi entre le « Waouh, les copines, regardez, je me tape un rebelle ! » et « Regarde, papa, je fais tout pour te faire chier », ce qui, dans les deux cas, arrange mes affaires. Surtout maintenant que je suis maqué avec Carrie : elle n’est pas trop regardante sur mon emploi du temps, ne me demande jamais où j’étais ni avec qui, et écarte les cuisses dès que j’arrive.

La copine de Steph, Lyne, ou un truc comme ça, est, quant à elle, carrément effarée. Qu’est-ce qu’il fout avec une nana aussi coincée ?! Elle n’est même pas vraiment jolie. Elle a un beau corps, c’est vrai, mais franchement, son visage, ce n’est pas trop ça.

Steph commence à avancer avec ses amis, moi je préfère rester en bas, je n’ai aucune envie de mettre les pieds dans cet endroit qui pue le fric.

— Allez, viens, t’as peur ou quoi ? dit-il en se tournant vers moi.

Comme si mettre les pieds dans un endroit pareil pouvait me faire flipper… Je hausse les épaules, les mains dans les poches, et lui passe devant.

La fille qui nous ouvre est encore une de ces nanas BCBG, exactement comme ses copines, dans sa petite robe proprette, qui met ses hanches et ses longues jambes en valeur. Je sens que ça va être une loooongue après-midi ; j’aurais vraiment mieux fait de rejoindre Carrie pour une bonne partie de jambes en l’air.

Lorsque j’entre, elle me toise. Ça change du regard habituel de ces midinettes ; c’est plutôt amusant de la voir m’affronter comme ça, d’un simple regard, au lieu d’être à moitié flippée. Elle a l’air d’être furieuse de me voir là, j’ai bien envie de la titiller un peu plus.

Dans sa chambre, je mets, rien que pour la faire chier, mon pied sur la porte. Gagné, elle fulmine carrément. J’ai envie de rire mais ne laisse rien entrevoir de mon petit jeu. J’en rajoute une couche en partant. Je la regarde droit dans les yeux… Tiens, ils brillent de colère. Je n’avais pas remarqué leur couleur jusque-là, ils ont une teinte de vert absolument indéfinissable.

— Ravi d’avoir fait ta connaissance.

En me détournant d’elle, je ne peux cette fois retenir mon sourire, mais elle ne peut déjà plus le voir. J’ai juste le temps d’entrevoir ses lèvres pleines et roses se tordre sous l’effet de la colère.

Chapitre 2Roméo — Juliette

Je sens mon cœur battre jusque dans mes oreilles. Une deuxième sonnerie retentit. Toutes les émotions que j’ai ressenties depuis le lever : la tristesse en m’éveillant en pleurs, mettant quelques instants à réaliser que ce n’était qu’un rêve, l’inquiétude et le stress d’être sans nouvelles de lui, la colère provoquée par l’intrusion de ce gars qui n’avait rien à faire chez moi… Tout me quitte. J’ai l’impression d’être vidée de tout et que ma vie entière sera déterminée par ce coup téléphone.

Je décroche, absolument incapable de penser. Mon cerveau aussi semble avoir disparu.

C’est sa voix au bout du fil, comme je m’en étais douté, avant même que le téléphone ne sonne. Comme si je savais que cet appel aurait lieu dès l’instant où je me suis réveillée ce matin.

— Cat. Hum... Tu es chez toi. Je pensais tomber sur le répondeur.

Une vague de panique monte en moi. Rien que ça, ce n’est pas bon signe. Il espérait de toute évidence ne pas m’avoir au bout du fil.

— Non, j’attendais que tu appelles.

— Oh. OK... C’est mieux comme ça. Il faut que je te parle.

— Pourquoi ne m’as-tu pas appelée avant ? J’étais super inquiète et...

Son ton devient subitement sec.

— Parce que tu crois que je l’ai fait exprès ?! J’ai eu un accident de scooter des mers, je te signale. J’ai manqué d’être paralysé ! Je viens seulement de sortir de l’hôpital, je suis encore en fauteuil, et tu vois, je t’appelle tout de suite de la première cabine accessible que j’ai trouvée !

Je reste sans voix. Mes pires craintes se sont donc produites et il me crie presque dessus. Pourquoi me parle-t-il aussi méchamment ?

— Bon, peu importe, enchaîne-t-il. Écoute, il faut que tu saches que je vais rester ici.

— Quoi ?!

Mon cœur, que je sentais battre à tout rompre il y a encore quelques secondes, semble lui aussi s’être volatilisé. Il a comme cessé de battre et se délite au fur et à mesure que j’entends Tom m’annoncer qu’ayant échoué au bac, il a trouvé sur place un cursus universitaire acceptant de lui faire passer une équivalence. Il ne reviendra donc pas.

De mon cœur, il ne reste plus rien à présent. C’est comme s’il n’existait plus, parti en lambeaux au fil de la conversation, ou plutôt du monologue de Tom. C’est une douleur sans nom qui a pris sa place, logée là où il était quelques instants plus tôt. Elle s’insinue dans mes membres maintenant, rendant même mes mains douloureuses. J’ignorais que la souffrance mentale pouvait infliger une telle douleur physique.

Je réalise que je pleure. En fait, je suis littéralement inondée de larmes, quand j’entends ma voix, déformée par les sanglots :

— Mais tu peux peut-être trouver le même cursus par ici ? Reviens déjà avant le début des cours, que l’on puisse se voir et en discuter.

— Non, répond-il fermement. Je me suis renseigné, ça ne se fait qu’ici, et je ne peux pas revenir, il faut que j’organise mon emménagement.

Mes doigts effleurent la gourmette à mon poignet. Un espoir s’autorise à naître en moi. Peut-être pourrais-je partir le rejoindre ? Certes, ma chambre est déjà payée, mon inscription à la fac est faite, mais peut-être pourrais-je faire transférer mon dossier ? Nous pourrions même nous installer ensemble.

Sa réponse à ma proposition met un terme à la conversation :

— Non, je ne peux pas te demander de tout quitter pour moi, il vaut mieux en rester là. Et être à 800 kilomètres l’un de l’autre, ça sera bien trop dur et compliqué. Je suis désolé. Je n’ai plus de crédits, ça va couper.

Je ne reconnais pas ma voix, à la fois éteinte et suppliante, lorsque je lance une dernière supplique.

— Mais je…

—… je suis désolé, me coupe-t-il avant de raccrocher.

Je suis anéantie par la douleur.

Le plus terrible, c’est que nous nous aimons mais que nous sommes séparés par le destin. Si je pouvais avoir une bonne raison de lui en vouloir et transformer cette douleur insupportable en colère, cela m’épargnerait sans doute ce sentiment terrible d’être le jouet des évènements.

J’ai été amoureuse de ce garçon pendant un an, désespérément amoureuse. Moi, la fille boulotte qui n’a jamais intéressé personne. Quand, à la fin de l’année, le vilain petit canard a perdu les nombreux kilos qui le séparaient du joli cygne, enfin, il m’a regardée comme une de ces filles avec qui il était sorti tout au long de l’année.

Je n’avais pas osé y croire lorsqu’il m’avait proposé de nous éclipser du dernier cours de sciences pour aller nous promener dans le grand parc du lycée. Nous avions attendu que monsieur Rague se tourne vers son tableau pour écrire et étions passés derrière les paillasses du labo presque à quatre pattes. Nous avions alors longuement discuté ; il m’avait posé tant de questions pour mieux me connaître. C’était si romantique de n’être qu’à deux au milieu des arbres… J’étais sur un petit nuage. Lorsque quelques jours plus tard, il m’avait enfin embrassée, j’étais la plus heureuse des filles du lycée.

Quelque temps plus tard, il m’a dit qu’il m’aimait, alors que j’étais quasi inexistante à ses yeux des semaines plus tôt. Ce fut le plus beau jour de ma vie. Même si je n’arrêtais pas de lui dire que je ne le croyais pas, il insistait et parvenait à me convaincre à chaque fois.

Comment peut-il laisser la distance avoir raison de ce que nous avons construit ? Il était si déterminé au téléphone, sans doute avait-il bien mûri sa réflexion durant son séjour à l’hôpital. Il a été intraitable : la rupture est franche et définitive.

À cet instant, j’ai juste envie de cesser d’exister, afin que la douleur, là où était mon cœur, cesse à jamais.

Chapitre 3Une décision fatale

J’ai passé la soirée à tenter de joindre Léa, jusqu’à ce qu’elle soit enfin rentrée chez elle. Je sais bien que sa mère m’a dit qu’elle lui passerait le message de me rappeler sitôt qu’elle serait rentrée, mais chaque seconde compte, chaque seconde où la tristesse provoque cette horrible douleur. J’ai besoin de parler à ma meilleure amie.

Heureusement, elle n’a que la permission de dix-neuf heures. Malgré ses dix-huit ans, ses parents ne plaisantent pas avec l’éducation et la vertu de leur fille.

Lorsqu’enfin je peux lui parler, je parviens difficilement entre deux sanglots à lui raconter ma conversation – si l’on peut la nommer ainsi, car cela suppose qu’il y ait eu un réel échange – avec Tom.

— Je suis désolée, c’est vraiment un gros con...

— Quoi ? Mais non, pas du tout, ce n’est pas de sa faute, c’est super pour lui d’avoir trouvé une solution plutôt que de refaire encore une année de terminale.

— Ouais, enfin, il aurait sûrement pu trouver ça par ici, c’est bizarre quand même. Je demanderai à ma sœur ce qu’elle en pense, au bout de trois ans de fac’, elle doit savoir ce que c’est que ce cursus parallèle.

Léa semble croire que Tom m’a menti. Pourtant, ça tient la route. Il ne m’a pas appelée avant parce qu’il était à l’hôpital. Bon, c’est vrai qu’il y a des téléphones dans chaque chambre, mais il doit avoir une bonne raison de ne pas m’avoir appelée de là : sans doute son père n’a-t-il pas voulu prendre un supplément pour cette option. Cela dit, entre son arrivée et l’accident, il a dû avoir suffisamment de temps puisqu’il a su se pencher sur de nouvelles perspectives d’avenir. Et il n’en a pas profité pour m’appeler pour autant.

J’entends les clés tourner dans la porte. Ma tante est rentrée. Je mets un terme à mon appel avec Léa après avoir convenu de nous recontacter demain matin.

Nous en sommes à un stade de notre amitié où nous pouvons nous appeler un long moment le matin, nous voir l’après-midi, puis nous rappeler une fois chez nous, le soir venu, pour discuter du temps passé ensemble. Il a fallu laisser une place à Chris dans le temps que nous partagions jusque-là exclusivement — en y incluant également Elyne. Mais même si Léa est moins disponible, je sais que notre amitié restera solide.

Ma tante voit tout de suite que ça ne va pas. Elle n’a pas le temps d’ouvrir la bouche que je fonce dans ses bras. Après une bonne heure à pleurer sur son épaule, je décide d’aller me coucher.

Malgré l’épuisement, le sommeil ne daigne pas venir. J’ai si mal que j’ai envie de mourir. Enfin, plutôt de cesser d’exister, parce que l’action de mourir en elle-même me terrorise. Pourtant, si je n’étais plus de ce monde, la douleur cesserait.

Je commence à réfléchir aux différents moyens de passer du statut de vivante à l’état de morte. Mais tout me fait peur, et les risques en cas d’échec sont considérables. Je m’imagine sauter du balcon, mais en habitant au deuxième étage, je risque juste de me casser une jambe comme l’avait fait mon chat deux ans plus tôt. Et si j’allais au dernier étage de l’immeuble ? Les gens ne me laisseraient pas entrer, mais il me suffirait de frapper à leur porte, de forcer le passage, et de foncer vers la fenêtre lorsqu’ils m’ouvriraient... Mais c’est au quatrième étage, et si ça ne marche pas, je n’ai aucune envie de finir tétraplégique.

Me vient alors l’idée de prendre des médicaments. Mais ici, nous n’avons rien dans l’armoire à pharmacie. Il me faut des somnifères, ainsi je m’endormirais à jamais. Pour en obtenir, il va falloir que je joue la carte du manque de sommeil afin que ma tante accepte d’en demander au médecin.

C’est décidé, chaque nuit, elle m’entendra bruyamment sangloter jusqu’à l’aube, et d’ici quelques jours, la seule solution sera de me faire prescrire le nécessaire. Dans une semaine, je serai morte et la douleur s’éteindra, tout comme mon existence.

Chapitre 4J’existe encore ?

Trois jours ont passé. Je passe mes journées à larver dans le canapé devant la télé. Je n’ai pas la moindre idée de ce qui défile devant mes yeux, zappant machinalement d’une chaîne à l’autre.

Les nuits, je pleure tout mon soûl. Je n’ai pas besoin de me forcer, mais il m’est pénible de devoir le faire bruyamment pour parvenir à mes fins, alors que toute énergie m’a quittée. Même les larmes ne viennent plus ; je me suis asséchée.

Cela fait plusieurs fois que je refuse les propositions de sorties de Léa. Pleurer sur mon sort avec elle de longues heures au téléphone me fait du bien, mais je n’ai envie de voir personne.

Alors que je m’apprête à regarder ce qui semble être un documentaire, on sonne à l’interphone. Tant pis, je fais la morte, ça me fera de l’entraînement.

La sonnerie retentit une deuxième fois, plus longuement. Puis une troisième, sans cette fois vouloir s’arrêter. Je regarde par la fenêtre. Deux étages plus bas, Chris est adossé contre sa voiture, en train de rouler une cigarette. À côté d’une seconde voiture, je peux voir Steph, qui enlace Elyne, en pleine discussion avec Alex.

J’en déduis que la personne que je ne peux voir depuis la fenêtre de la cuisine, et qui a encore le doigt appuyé sur le bouton de l’interphone, est Léa.

— Stop ! Stop !! Arrête ! Qu’est-ce qu’il y a ?

— Bon, tu bouges tes fesses et tu descends nous rejoindre, tu ne vas pas passer ta vie enfermée ici.

Pas question, je suis très bien ici à me morfondre, je n’ai pas envie de mettre un pied dehors. Bénéficier des rayons du soleil me donnerait qui plus est l’impression de ne plus être au plus mal, alors que la fraîcheur et l’obscurité de mon appartement correspondent parfaitement à mon état d’esprit.

— Non, c’est bon, tu sais bien que je n’ai pas envie de bouger.

— OK, j’espère que tu n’as pas les oreilles trop sensibles parce que je vais rester ici à appuyer sur ce fichu bouton toute l’après-midi.

S’en suit un nouveau coup de sonnette. Interminable. Bon sang, pourquoi cette sonnerie est-elle si horriblement stridente ?

— OK, OK, laisse-moi m’habiller, je descends !

Je vais rapidement dans ma chambre chercher la première robe que je trouve. Accrochée à mon miroir, ma robe à bretelles en mousseline bleu pastel n’attend que moi. Elle ne colle pas à mon humeur, toute charmante qu’elle est, mais elle a le mérite de se passer en trois secondes sans avoir besoin de la coordonner à un quelconque vêtement. Je me brosse ensuite les dents et me regarde rapidement dans le miroir.

Je fais peine à voir. Mes clavicules ressortent plus qu’avant. Tom me disait d’arrêter de maigrir — difficile de s’arrêter sur sa lancée ! —, c’est un comble qu’à cause de lui j’aie perdu davantage de poids.

Mes cheveux sont ternes, d’un blond fade, comme s’ils avaient décidé de refléter l’anéantissement de mon cœur ravagé. Mes traits sont tirés et mes yeux semblent prendre toute la place dans mon visage : ils sont gonflés et rougis par les nuits passées à pleurer ; j’ai des cernes à faire pâlir un mort. Leur vert, en revanche, est plus soutenu. C’est sans doute le seul point positif à tirer de l’effet dévastateur de ces derniers jours : je suis passée d’un vert presque kaki à un vert intense, quasi fluo.

Je dois être trop longue à me préparer car Léa perd patience et met ses menaces à exécution en usant à nouveau du pouvoir de la sonnette.

Je descends en trombe et salue mes amis, le loubard compris. Il me dérange moins dehors que chez moi. Après tout, il a le droit de traîner dans la rue, même si c’est la mienne. Il risque uniquement de faire un peu peur aux voisins, la plupart étant d’un âge avancé.

— Où va-t-on ?

— Au MC, on va prendre un verre. Monte, me somme Alex.

Léa et Chris se dirigent déjà vers la voiture de ce dernier, alors qu’Elyne et Steph prennent place dans la voiture d’Alex. L’idée même d’y monter me hérisse le poil.

— Non, je pars avec Léa.

Je tourne les talons et m’installe précipitamment à l’arrière de la voiture de Chris. Je n’ai aucune envie d’être coincée dans le même habitacle qu’Alex, mais j’en viens presque à regretter mon choix quand, à chaque feu, Léa et Chris se jettent goulûment l’un sur l’autre.

Nous arrivons rapidement devant le MC. Il est très proche de chez moi, à seulement trois rues, à vrai dire. Je suis déjà venue une ou deux fois dans ce bar pour acheter des cigarettes. À l’époque, j’étais un peu plus jeune et je m’empressais de partir une fois mon magot récupéré. Je n’avais jamais fait attention à l’ambiance feutrée qui y règne, bien trop gênée de la raison pour laquelle j’y allais pour regarder autour de moi.

Le café fait l’angle d’une des rues les plus passantes de la ville. Toute la partie gauche est composée d’alcôves aux boiseries lambrissées et au velours rouge, la lumière y est tamisée, tandis que de l’autre côté de l’immense bar de chêne trônent une multitude de petites tables de bistrot donnant un style beaucoup moins intime.

Je m’installe en bout de table, contre la paroi vitrée ornée des lettres M et C calligraphiées, et mon regard se perd dans le flot incessant des voitures dans ce qui s’avère être la rue principale du centre-ville.

Je perçois à peine mes amis discuter. Une coquille vide n’a pas d’oreilles. C’est en entendant mon prénom que je sors de ma torpeur. Je ne reconnais pas la voix qui m’appelle. Alex. Visiblement, vu son air interrogateur, il a déjà dû m’appeler avant que cela n’atteigne les brumes de mon cerveau.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Tom. Non, mauvaise réponse, je ne peux plus avoir Tom. Et vu que la main d’Alex désigne une serveuse, j’en déduis qu’il faut que je dise ce que je veux boire. Je bloque, anesthésiée, c’est une question à laquelle je suis incapable de répondre, comme si on me demandait une introspection au plus profond de moi-même. Mon Dieu, je me suis transformée en légume !

Alex me regarde patiemment.

— Un coca, ça te va ?

Sa sollicitude m’étonne encore plus que mon récent accès de sénilité. J’acquiesce et les larmes me montent aux yeux, m’obligeant à détourner rapidement le regard et à retourner à la contemplation des voitures pour donner le change, tout en jouant machinalement avec la gourmette de Tom.

Le reste de l’après-midi passe sans que je ne m’en rende compte. Apparemment, Chris a encore fait preuve de son humour bientôt légendaire, car j’ai le vague souvenir d’avoir entendu mes amis rire à plusieurs reprises. Les filles sont si obnubilées par leurs nouveaux copains que seul Alex s’est adressé directement à moi, afin de m’inclure dans la conversation. Il doit avoir, lui aussi, l’impression d’être de trop parmi ces couples. En mode pilotage automatique, j’ai donné les réponses classiques adaptées à chaque situation, oubliées sitôt qu’elles avaient franchi mes lèvres.

Nous sortons du bar lorsqu’une décapotable bleue se gare près de nous. Sa conductrice en sort pour s’adresser à Alex :

— Tu passes manger à la maison ce soir ? Papa veut absolument te voir.

Je sors alors de ma torpeur de façon brutale et inexpliquée. Qui est cette fille ?

Des cheveux châtains et soyeux encadrent son visage jusque sous le menton. Elle est fine et a des jambes interminables. Mais c’est son visage, d’un bel ovale aux traits fins, qui attire l’attention. Sa peau hâlée met en valeur ses yeux azur.

— C’est qui, celle-là ?

La question qu’a posée Elyne à Steph en chuchotant fait écho à mon interrogation intérieure.

— C’est Carrie, sa copine, ça fait un mois ou deux qu’ils sortent ensemble.

Une petite pointe de déception vient réveiller mon cœur endormi. Je suppose qu’inconsciemment, j’avais pris les intentions d’Alex à mon égard pour de l’intérêt. Et mon ego s’en trouve chiffonné. Mais la piqûre d’adrénaline est insuffisante, mon cœur s’apaise déjà, prêt à sombrer à nouveau dans le néant où il a désormais sa place.

Alex et Carrie échangent quelques mots, puis elle lui dépose un baiser sur les lèvres. Lorsqu’elle regagne sa voiture et démarre en trombe, il se tourne vers nous et me regarde directement dans les yeux. Ses traits sont sans la moindre expression, mais son regard est si intense qu’il me transperce et m’injecte une nouvelle salve d’adrénaline. Cette fois, mon cœur a un raté, comme une vieille voiture qu’on tenterait de démarrer, mais dont la batterie est de toute façon trop faible pour espérer la voir un jour repartir.

Cela reste malgré tout si déstabilisant que je prends aussitôt congé de mes amis et rentre chez moi à pied, autorisant enfin les larmes que je retenais à s’échapper.

Alex 4Regardez-la !

Et voilà que je me trouve à nouveau aux pieds de cet immeuble de riches. Je n’avais pas repensé à cette fille depuis l’autre jour, enfin sauf les fois où j’ai repensé à ses yeux — mais c’est juste parce que leur couleur m’interpelle.

La copine de Chris s’acharne sur l’interphone, tandis qu’Elyne – c’est finalement son nom – m’explique que la fille de l’autre jour, Cat, risque fort de ne pas descendre, et qu’elle et la copine de Chris essaient de la sortir d’un chagrin d’amour dont elle ne se remet pas. J’écoute vaguement ce qu’elle dit d’une oreille distraite. Elle ne remarque pas que la posture de Steph a changé en entendant que Cat était de nouveau célibataire ; il s’est raidi et s’est légèrement détaché d’elle. Alors comme ça, elle l’intéresse ?

Léa revient finalement vers nous avec sa copine. Elle a vraiment une sale tête. Et elle a maigri, c’est dommage, elle a moins de formes. Elle me fait de la peine, on voit qu’elle a passé son temps à pleurer, la teinte de ses yeux a changé, ils irradient de douleur.

Je propose aux autres d’aller traîner dans mon bar de prédilection. Une fois installé à une table du MC, j’observe Cat à la dérobée. Elle est complètement apathique. C’est dommage, ça me plaisait bien de me prendre la tête avec elle. Elle est en train de regarder dehors, au bord des larmes.

Lorsque Laura, la nana qui travaille ici, nous demande ce qu’on veut boire, elle ne réagit même pas. Personne ne semble s’apercevoir qu’elle n’a pas commandé. J’ai envie de taper du poing sur la table pour leur dire de la regarder, ils ne voient donc rien ? Je reconnais cet air-là, elle est comme morte de l’intérieur, et elle pense à passer à l’acte pour l’être tout court. Ses amies ne le voient même pas, trop occupées à se coller à leurs nouveaux mecs, elles ne voient pas qu’elle ne supporte plus de souffrir.

Laura commence à s’éloigner, je la rattrape par le bras, elle me fait un grand sourire. J’avais presque oublié que j’avais couché avec elle quand elle a été engagée l’année dernière. Visiblement, elle ne serait pas contre remettre ça. En d’autres circonstances, je lui aurais rendu son sourire, mais je la regarde froidement, montrant Cat du doigt.

— La demoiselle là-bas n’a pas commandé.

Elle rougit.

— Oh pardon. Vous voulez quoi ?

Cat ne s’est rendu compte de rien.

— Cat ?

Elle lève ses doux yeux verts vers moi. Ils sont vides.

— Qu’est-ce que tu veux ?

Elle ne répond pas, non pas qu’elle s’en fiche, on dirait plutôt que je viens de lui demander de calculer de tête une opération à huit chiffres. Je finis par passer sa commande et essaie de la ramener à la réalité en lui faisant la conversation.

— Alors, tu as fini le lycée ?

— Oui.

— Tu fais quoi après ?

— Je vais à la fac de géo avec Léa.

— Tu vas habiter là-bas ?

— Oui, dans un immeuble pas loin, on a signé le mois dernier, avec T…

Sa voix s’éteint, apparemment elle allait dire le nom du connard qui l’a mise dans cet état. Je continue à essayer de la faire parler, mais c’est peine perdue, je vois bien qu’à chaque fois que je m’adresse à elle, elle répond sans même y penser.

Quand nous sortons du bar, Carrie débarque dans sa décapotable. Je l’avais presque oubliée. Forcément, elle savait où me trouver. C’est vrai qu’elle m’a envoyé au moins trois messages auxquels je n’ai pas répondu depuis le début de l’après-midi. Je devais la rejoindre plus tôt chez elle, je suppose qu’on peut dire que je lui ai posé un lapin, mais quand Steph m’a demandé de le prendre chez lui et de retourner voir cette fille, je n’ai pas résisté à l’invitation.

Ça m’agace prodigieusement qu’elle soit passée comme ça : c’est un peu trop intrusif à mon goût. La seule raison pour laquelle je ne l’ai pas encore envoyée chier, c’est que j’ai bien trop de respect pour Victor pour faire du mal à sa fille. Il m’a accordé sa confiance malgré mes casseroles en me laissant sortir avec elle ; peu de gens l’auraient fait en toute connaissance de cause. Elle et moi avons un accord tacite sur certaines de mes « libertés », mais elle sait quand je dépasse les limites me rappeler les liens qui nous unissent, comme elle le fait là en me rappelant que je suis attendu chez eux pour dîner. Pas de problème, j’irai manger là-bas, je discuterai tranquillement avec son père, puis je suppose que je la baiserai vite fait dans la voiture, je n’ai pas envie d’y passer la soirée.

Carrie me confirme que j’ai tout bon. Elle me lance mon regard de chaudasse favori puis me chuchote à l’oreille :

— Après je m’occuperai de toi, si tu es sage.

Pas besoin d’être sage quand on sort avec une fille comme ça, mais je sens que ma soirée ne sera pas trop désagréable.

En revenant vers les autres, je ne peux pas m’empêcher de chercher le regard de Cat. Pour la première fois de la journée, je crois y voir un peu de vie, mais ça la fait fuir, et elle se dépêche de partir. Dommage, cette étincelle dans ses yeux était plutôt plaisante.

Chapitre 5Changement d’air

Une fois rentrée chez moi, je file sous la douche. Lorsque j’en sors, j’ai l’impression que la soirée est bien engagée, mais il n’est que dix-huit heures. Je me contente malgré tout de passer un grand T-shirt en guise de chemise de nuit. Le temps s’allonge quand on a cessé d’exister à l’intérieur. Enfin… Je croyais être morte, mais mon cœur a encore des soubresauts. Il s’accroche à ses derniers instants de vie. Plus que quelques jours et mon petit manège aura porté ses fruits. Je vois bien le regard que me porte ma tante. Elle s’inquiète et devrait bientôt envisager de consulter un médecin pour m’aider à reprendre pied.

Je tâte le terrain au dîner :

— Je suis épuisée, mais je n’arrive pas à dormir… Dès que je ferme les yeux, je pense à Tom.

Prononcer son prénom me fait tressaillir.

— Ah.

Non, non et non ! Sa réponse devrait être « Attends, j’ai une idée, il te faut un petit coup de pouce » !

Je décide de la mettre sur la piste...

— Je n’en peux plus, si seulement je pouvais trouver un moyen de me détendre…

Elle ne répond pas. Il me faut être plus claire.

— Je devrais aller voir le docteur Dailot, il aura peut-être une solution...

— Ça me semble un peu tôt. Prendre des somnifères ne se fait pas à la légère.

Zut ! J’ai manqué de subtilité, elle est en train de comprendre, il faut que je détourne sa vigilance.

— Oui, tu as raison, ça va finir par passer…

— Oui, le temps fera son œuvre.

Merveilleux ! Ce petit jeu va durer plus longtemps que prévu alors qu’il est déjà devenu épuisant.

Je suis encore devant la télévision quand j’entends l’interphone. Bon sang, mais qui peut donc sonner en pleine nuit ainsi ! Il est quand même… 21 heures 30. Quand je dis que le temps passe lentement, là c’est paroxysmique.

Plutôt que de répondre, je vais sur le balcon observer le gêneur. C’est une réelle surprise que de voir Steph et Alex en contrebas. Je tâche de rester un peu en arrière et de ne laisser que ma tête apparaître : je suis honteusement sans culotte sous mon T-shirt et même s’il fait sombre, leur point de vue risque de porter atteinte à ma dignité.

— Qu’est-ce que vous fichez là ?!

— On est venu te chercher, on va traîner en ville et on s’est dit que tu avais besoin de te changer les idées.

Je ne sais pas ce qui m’étonne le plus : les voir là sans mes amies – comme s’il était illégitime de voir Steph alors qu’Elyne n’est pas là –, voir Alex ici alors qu’il est censé être chez Carrie, ou les voir s’intéresser à ma santé mentale… La dernière idée étant à la fois adorable et... vexante. Est-ce que je fais à ce point pitié à voir ?!

— Non, il est tard et je suis déjà en chemise de nuit.

— Mais non, la nuit ne fait que commencer, me crie Steph.

— Tu peux rester en nuisette si tu veux, ajoute Alex, des intonations lubriques dans la voix.

De toute évidence mon honneur est sauvé, ils ne peuvent voir le vieux T-shirt difforme que je porte en ce moment même.

— Allez, viens, on va bien s’amuser ! promet Steph.

— Non non, vraiment, ce sera sans moi ! Je suis de mauvaise compagnie en ce moment de toute façon.

— Allez ! hurle Alex. Qu’est-ce qu’il faut pour te convaincre ? On fera ce que tu nous demandes !

— Vous pourriez me supplier à genoux, qu...

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase qu’Alex pose un genou à terre et joint ses mains, tendues vers moi.

— Je t’en prie à genoux ! S’il te plaît, viens avec nous ce soir.

Je sens la place laissée vide au-dessus de mon estomac réagir. Comme un petit pincement pour me prouver qu’elle existe encore et n’a pas été happée par le trou noir laissé par Tom. Je suis gênée — mes voisins ne doivent pas perdre une miette de la scène, par ce temps si chaud toutes les fenêtres sont ouvertes ! —, mais aussi flattée de voir une scène si romanesque se dérouler devant mes yeux. Non, pas devant mes yeux, je suis partie prenante de la scène, pas une simple observatrice. C’est moi qui suis au balcon et les deux garçons en bas s’adressent à moi. Même s’ils sont en couple et que c’est de la simple pitié…

Si je retourne me coucher pour sangloter ce soir, ce sera sûrement remplie de regrets et d’interrogations. Savoir que mes amis s’amusent alors que je pourrais être avec eux serait trop frustrant. Je choisis alors de suivre les conseils du vieil adage « mieux vaut avoir des remords que des regrets ».

Ma tante apparaît derrière moi.

— Tu as la permission de minuit. Une heure grand max.

Je lance au balcon un « OK, vous avez gagné ! » avant de filer m’habiller. Il fait si chaud que je passe à nouveau une simple robe à bretelles. Elle est un peu courte, mais Tom disait que j’ai des jambes magnifiques. Ensuite, je me donne un coup de brosse et me mets un peu de crayon sous les yeux. Le résultat est loin d’être fantastique mais il a le mérite de me rendre présentable.

Alex 5Sur le marché

Mon début de soirée s’est passé comme je l’avais prévu et l’appel de Steph m’offre l’occasion parfaite de tirer ma révérence.

Je le retrouve chez lui. Il arbore un grand sourire en se glissant dans ma voiture.

— Qu’est-ce qui te met d’aussi bonne humeur ?

— Je suis à nouveau sur le marché !

— Sans blague...

— Je viens de rendre sa liberté à Elyne. En plus, elle part en vacances demain ; si je ne l’avais pas fait maintenant, j’aurais été menotté à elle pendant trois semaines de plus !

— À toi les jolies filles alors !

— Non, il n’y en a qu’une qui m’intéresse, et on va aller la chercher maintenant.

Je hausse un sourcil interrogateur, même si je crois connaître la réponse à ma question muette.

Il croit nécessaire d’ajouter :

— Je parle de Cat, bien sûr.

— Vraiment ?

— Oh je t’en prie, ce n’est pas à toi que je vais apprendre qu’elle est super mignonne, et maintenant elle est enfin célibataire !

— Ouais, elle est pas mal, enfin c’est pas trop mon style mais bon, j’peux pas dire qu’elle est moche, c’est sûr.

— Moi, j’adore. La seule raison pour laquelle j’avais laissé tomber, c’est qu’elle décrochait pas de son Tom, là. Donc maintenant, le champ est libre ! Allez, on y va.

— Tu veux y aller là, maintenant ? Et quoi alors, je te dépose et après, tu rentres à pied ? Ou je t’attends sagement dans la voiture pendant que tu tires ton coup ? Ou alors je reste avec toi et je la tiens de force jusqu’à ce qu’elle te dise oui ? Parce que vu son état, mon vieux, ça m’étonnerait que tu obtiennes quoi que ce soit d’elle.

Ma voix est moins mesurée que je ne le voudrais. Mais l’imaginer en train de lui faire du rentre-dedans alors qu’elle est si fragile en ce moment ne me plaît pas. Son visage désespéré m’a hanté toute la soirée. Je la sens capable de faire une connerie.

— Non, mais jamais elle ne voudra sortir de chez elle si je suis seul, elle va me voir venir, à deux on a plus de chance de la convaincre de bouger.