Chroniques de France - Sébastien Deman - E-Book

Chroniques de France E-Book

Sébastien Deman

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Beschreibung

« — Ça y est ! J’entends la Marseillaise, le moment est venu, mais bordel, c’est quoi cette Marseillaise faisandée aux violons ! Ce n’est pas dieu possible, qu’ont-ils fait de notre chant patriotique ? Si même la Marseillaise est en dépression, alors la France est au bord du désastre. En ce moment, les Français devant leur poste sont en train de voir l’image figée du palais de l’Élysée, puis le travelling sur le bâtiment, suivi de la mention Christian Sarezy - président de la République française qui s’affiche à l’écran. Dans quelques secondes, la France hallucinera en voyant ma cabine en lieu et place de celle du président. J’ai peur ! Pendant une courte durée, j’ai l’idée de fuir, mais je m’accroche aux accoudoirs. J’y suis, j’y reste. Je pose mon regard sur la caméra, la lumière rouge apparaît. Je suis à l’antenne. »


À PROPOS DE L'AUTEUR

"Jeter des points d'exclamation, répandre des virgules et éparpiller des tirets m'amuse et accessoirement éclaire ma compréhension du monde. Par conséquent, j'évolue au milieu de paragraphes - plus ou moins bien tournés - j’entasse des fictions et bâtis un univers ; et si en plus, ça en divertit quelques-uns, c’est parfait !"

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Chroniques de FRANCE…

Deman Sébastien

Je n'ai pas une seule goutte de sang français, mais la France coule dans mes veines. »

Romain Gary

AVANT PROPOS

L’auteur de ce roman, ou plutôt de cette comédie de mœurs, a écrit cette histoire en Gironde, à Bordeaux où il passa la plupart de son temps.

Les Bordelais, se souviennent-ils de ce poète bucolique qui préférait s’enivrer sans trêve plutôt que d’assouvir ses besoins les plus secrets ? Ont-ils toujours en tête l’ambition de cet extravagant de vouloir faire du langage, une aventure ?

Quoi qu'il en soit, amis lecteurs, ce jeune écrivain vous invite à vous laisser bercer par son roman si singulier et si terrible ; même si vous aurez peut-être du mal à croire que cette histoire s’est déroulée comme il va vous la présenter, il vous convie à la copier, la diffuser, l’offrir et la partager… À bon entendeur.

1

« Seigneur, donne-moi la force et le courage de vaincre le dégoût que m’inspire cette famille ».— Tiens ! Regarde ce que le père Noël t’a apporté, mon cher frère ! déclara ma sœur.

J’étais abonné aux cadeaux bizarres ; l’année passée, mon oncle m’avait offert un pull moche, mais moche. En laine, bariolé de blanc et de rouge, le dessin de trois rennes en train de se grimper dessus et autour du trio infernal des étoiles bizarres et des cœurs partout. Partagé entre la déception et l’envie d’éclater de rire, je me souviens m’être demandé : ce cadeau, n’est-il pas la combinaison du mauvais goût avec un manque d’élégance ? J’eus ma réponse, lorsque mon oncle s’est écrié :— Avec ce pull, tu vas faire des ravages en discothèque. Les filles, tu vas voir, elles vont tomber comme des mouches.Le pire, c’est qu’il était sérieux ! Il pensait vraiment, qu’en arrivant en boîte où que sais-je, les filles, et même les plus belles, allaient se jeter sur moi, attirées par mon pull magique. Avec un tel tricot, je n’étais même pas sûr de vouloir sortir le chien. Si le goût est un instinct de défense contre le monde extérieur, mon oncle est sans protection.

Par conséquent, quand ma sœur me tendit ce paquet, je m’apprêtais à sortir mon baratin habituel ; mais à la différence des années précédentes, je restais sans voix, lorsque je déballai une paire de lunettes. Abasourdi, j’étais là, à me demander à quoi pouvaient bien me servir des lorgnons, alors que ma vue est impeccable. En plus, une paire de binocles même pas solaire ; cerclée, un modèle pour homme, couleur bleu gris, tout ce qui avait de plus classique. Sans voix, je dévisageais l’assistance en me demandant, mais quel imbécile avait-il pu m’offrir un tel cadeau ? C’est là, que mon cousin Laurent s’est approché :— J’espère qu’elles te plaisent !Toute la famille avait les yeux braqués sur nous. Je n’avais pas envie d’amplifier ma réputation de mufle, alors j’ai répondu en m’esclaffant :— Tu rigoles, elles sont géniales !Mais pendant que chacun de ces culs-terreux retournait à ses occupations et bavardages sans intérêts, je lui murmurai :— Qu’est-ce qui t’as pris de m’offrir ça ?— Elles sont choucardes, t’es naze ou bien ! Essaie-les avant de juger.— Attends, mais ce sont tes lunettes ! La dernière fois, je t’ai vu avec !— Oui, ce sont les miennes, sauf que je n’en ai plus besoin maintenant.Depuis l’enfance, ce type avait toujours été embrigadé dans des plans foireux. Ancien toxico, reconverti dans le commerce aux States où il aurait ouvert une boîte de com et ne vendrait que des trucs honnêtes.— J’espère que ça te fait plaisir ? insista-t-il.— Oh, beaucoup ! Une paire de lunettes, alors que j’ai une vision excellente, c’est le cadeau idéal.— Elles ont une utilité spéciale, me dit-il, en s’approchant de moi, avec son regard du KGB, genre espion sous couverture ; balançant des coups d’œil par-dessus son épaule, il m’ordonna :—Mets-les !Et comme un imbécile, je lui ai une nouvelle fois obéi.

2

À partir du moment où elles touchèrent mon nez, il se passa une chose étrange ou plutôt deux, et cela en même temps. Primo, je vis la face de mon cousin hilare, mais pas avec son sourire habituel, plutôt avec un air bienveillant. Autant vous dire, une attitude que je n’avais jamais vue sur sa trogne de moqueur dégénéré. Deuzio, en me retournant, je m’aperçus que la tapisserie moche de chez mes parents avait disparu. À la place, il y avait une peinture, couleur rouge saumon, ma couleur préférée. Aussitôt, je retirai mes besicles. Et là, chose incroyable, rien n’avait changé. Mon cousin avait la même tête d’ahuri et la tapisserie de mes parents était toujours aussi affreuse ; les fleurs dégoulinantes de marron étaient bien là. Naturellement, je remis mes lunettes et de nouveau, la magie opéra. Tout redevint chaleureux et beau. Quand je regardai mon père, installé au côté de mon oncle, je découvris avec ravissement que son énorme bouton sur le nez qui depuis quelques jours lui déformait le visage, avait disparu.— Mais quel est ce prodige ? murmurai-je.J’entendis mon cousin répliquer :— Tu vois ! Je ne t’ai pas menti, elles sont incroyables ! Je les enlevai ; mon père et sa pustule m’observaient d’un œil perplexe.— Tu commences à comprendre le pouvoir qu’elles ont ? Me demanda mon cousin.Sans trop y croire, je chuchotai :— Elle me montre ce que j’aimerais voir !— C’est ça !— Où les as-tu trouvées ?— Chut ! Pas si fort. Il lança un regard à l’assistance, mais comme aucun membre de la famille ne nous calculait, il m’expliqua : c’est un prototype ultrasecret, encore en cours d’étude. Une fois les différents tests terminés, c’est ma boîte qui commercialisera ce petit bijou.Imagine tout le fric que je vais me faire !— Pourquoi tu m’en fais cadeau ? Tu ne veux pas les garder pour toi ?— Je voulais te faire plaisir, voilà tout. Maintenant, si tu ne les veux pas…— C’est bon, excuse-moi, je les accepte, dis-je, en scrutant la famille parfaite que j’aurais tant aimé avoir.Là-dessus, mon cousin m’embrassa, chose qu’il n’avait jamais faite.— Faut que je te laisse ! J’ai rencard avec une petite brune que je suis en train de me taper, dit-il en ajoutant des gestes inutiles à ces propos. Puis, il déclara :— Salut la famille, je mets les voiles !— Oh non, pas déjà, déclara ma tante qui se précipita sur son fils pour le couvrir de baisers.— Si maman, faut que je file ; j’ai mon avion pour Miami à 14 heures et tu sais ce que c’est, il faut être à l’aéroport deux heures avant le départ.— C’est à cause de ces maudits terroristes, déclara mon oncle Michel.— Michel a raison ! C’est à cause de ces satanés bougnoules ! affirma mon oncle Francis.— Il a dit terroriste ! Pas arabe ! s’empressa de rectifier ma sœur.— Et alors ! Ce n’est pas la même chose ?

— Non ! Arabe et terroriste ne compte pas comme pléonasme, tonton.Chaque famille a son lot de soi-disant racistes. Dans la mienne, il y a mon tonton Francis. Il ne sert à rien de tenter de le raisonner ; alors que la majeure partie de ses amis sont africains. Il passerait sous un bus pour son pote Fouad, mais comprenne qui voudra, mon oncle n’aime pas les Arabes. Peut-être est-il plus difficile de haïr les individus que les groupes ?— Merci encore pour ton cadeau, murmurai-je, en raccompagnant mon cousin jusqu’à la porte.— De rien, ça m’a fait plaisir. La seule chose que je te demande, c’est de n’en parler à personne !— Motus et bouche cousue, t’as ma parole.

Je me souviens, l’avoir regardé monter dans sa voiture, puis m’adresser un au revoir d’un signe de tête avant de partir à toute berzingue, comme il en avait l’habitude. C’était la dernière fois que je voyais mon cousin vivant.

3

Deux jours plus tard, au cours d’une balade, je décidai de sortir mes lunettes de leur étui. Je m’en souviens comme si c’était hier. Sur ma droite, deux clochards se disputaient pour je ne sais quoi. Ils étaient visiblement très en colère et aussi très éméchés. Seulement, à la seconde où je chaussai mes lorgnons, tous deux se transformèrent en jeunes hommes bien sous tous rapports ; ils semblaient exulter :— C’est clair, mec ! Enjoy ! Faut savoir profiter de la life !— Carré ! On va boire un coup au Rooftop du Mama ?— Grave mon ami ! Let’s go ! C’est tipar pour kiffer.

Je les observais avec un grand sourire. C’était rassurant de voir ces jeunes : bien intégrés, gentils, fêtards, pas méchants pour deux sous. Pourtant, je ne pouvais empêcher mon esprit de voir les autres vagabonds. Dans le doute, je décidai de retirer mes carreaux afin de constater si le changement avait bien eu lieu. Je ne fus pas déçu.— Va te faire enculer ! Disait l’un.— Je te pisse à la raie, répondait l’autre.— Sale con ! hurla le plus gros des va-nu-pieds en assénant à son homologue un grand coup de bouteille sur la tête.Instantanément, je repositionnai ma monture sur mon nez et je bus leurs paroles :— Demain, j’ai rencard avec la petite Clara.— Cool ! Moi demain, je bosse H24 sur mes rimes…— C’est clair, faut travailler, sinon, on n’arrive nulle part. Vive la start-up nation…C’était la confirmation que j’attendais. Je préférai cette version, plus moderne et avec du pouvoir d’achat.

Je me mis à déambuler dans la ville, en constatant que la vie est belle quand elle est simple. Les gens me faisaient des sourires ; tout le monde était bienveillant, agréable. Je m’arrêtai dans une boulangerie pour acheter un croissant et la vendeuse me fit du gringue. Ça ne m’était jamais arrivé. Par acquit de conscience, je décidai de regarder un instant, par-dessus mes verres. Erreur effroyable : la jeune fille magnifique aux cheveux blonds s’était changée en guenon, avec un nez retroussé comme si une mauvaise odeur était venue se nicher sous ses narines. Je revissai ma monture bien sagement et aussitôt, je retrouvai mon adorable blonde au sourire enjôleur. Je n’en revenais pas. Ses lunettes, me montraient-elles ce que je voulais voir ? Révélaient-elles mes désirs ?

Arrivé au pied de mon immeuble, perdu dans mes réflexions, je sursautai quand la voisine du premier me tomba dessus. Cette vieille acariâtre me surine avec mes bruits de pas. J’habite au-dessus de chez elle et je marche trop fort, paraît-il. Cette vieille bique se sent constamment persécutée. Si on l’écoute, elle est agressée en permanence.— Bonjour, comment allez-vous ? Me demanda-t-elle avec un sourire.— Bien, répondis-je, surpris.Je n’avais jamais vu cette vieille peau heureuse et encore moins sourire.— Vous voulez venir prendre un café à la maison, me proposa-t-elle.Avant de répondre, j’ai touché mes binocles ; elles étaient bien en place.— Ça ne va pas ! Je préfère aller me pendre. En plus, ça doit sentir le singe, chez vous. — Ce n’est pas grave, une prochaine, peut-être, me répondit-elle, avant de monter dans les étages pour rejoindre son appart.

J’étais médusé. Je venais d’être odieux et elle, en retour, me couvrait de politesse. Ces lunettes, avaient-elles le pouvoir de me faire nier l’existence de trucs qui existent ? Dingue !

4

Le lendemain matin, quand le téléphone sonna, j’étais encore au lit :— Qui c’est ? demandai-je d’une superbe voix pâteuse. — Il est arrivé un malheur, me dit ma mère tout de go.— Tu pleures ?— Laurent est mort !— Quoi ? Mais comment ?— Ta tante vient de m’appeler...— Qu’est-ce qui lui est arrivé ?— Il a été tué… — Mais tué par qui ? Et pourquoi ? demandai-je au bout d’un moment.— Je ne sais pas ! C’est la police de Miami qui a appelé ta tante, tôt ce matin. Ils l’ont retrouvé mort, chez lui. Visiblement, les assassins cherchaient quelque chose, son appart a été tout retourné.Aussitôt, je jetai un coup d’œil à mes lunettes, posées sur ma table de nuit. Mon cousin m’avait dit de n’en parler à personne et il avait bien insisté. Se pouvait-il que ce soit à cause d’elles qu’il ait été tué ?— Il faut que j’aille m’occuper de ta tante, je te rappellerai, déclara ma mère avant de raccrocher.

J’étais abasourdi et choqué ; incapable de pleurer, je suis resté prostré quelques minutes avant d’aller consulter des sites d’information à la recherche d’un article qui aurait pu en parler. Le journal Le Parisien traitait de l’affaire : « … Selon le quai D’Orsay, un Français domicilié à Miami avait été retrouvé mort dans son appart, une balle dans la tête. L’homme tué était visiblement lié à la pègre locale… »Soudain, la sonnerie de mon téléphone retentit. Ce devait être un appel de l’étranger vu la quantité de chiffres qui s’affichait sur l’écran. Quand je décrochai, une voix épouvantable à l’accent espagnol m’agressa et sans préambule :— Il vaudrait mieux que tu nous rendes ce que l’autre froggy nous a volé.— Excusez-moi, je ne connais pas de froggy.— Ne raconte pas d’histoire ! Ton cousin a tout balancé avant qu’on l’abatte comme une merde. Je sais que tu as mes lunettes. Il nous a aussi refilé ton numéro et ton adresse.— Bande de grosses merdes, pour qui vous vous prenez ? m’écriai-je.— Tu vas nous rendre ce que ton cousin nous a fauché, sinon… — Sinon ? répliquai-je.— Fais le malin ! Nous savons où habitent tes parents. En ce moment même, une voiture est garée devant chez eux. Un coup de fil de ma part et mes amis se chargeront d’aller expliquer notre différend à tes vieux. Et il raccrocha.Aussitôt, je composai le numéro de ma mère :— Maman, est-ce que devant chez nous il y a une voiture avec des individus louches à son bord ?— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ! C’est encore une de tes blagues ?— Non, maman, cette fois, c’est du sérieux. Tu pourrais aller voir si devant chez vous se trouve une voiture avec quelqu’un à l’intérieur.— Mais il n’y a personne… Attends ! Si ! Deux gars sont dans une voiture noire, garée en face.Je sentis mon épine dorsale s’humidifier et la sueur ruisseler sur mon dos.— Vite, Maman, appelle la police !— Pourquoi ? Parce qu’une voiture est garée devant chez nous ?— Écoute maman, ne discute pas. Ces hommes sont dangereux, fais-moi confiance. Appelle la police et dis-leur que des hommes louches veulent vous faire du mal.— Non ! Je ne vais pas me couvrir de honte à dénoncer des gens ; en plus, ils sont peut-être amis avec les voisins.— Bon sang, mais vas-tu m’écouter pour une fois… — Il s’agirait de te faire soigner, me coupa ma mère. Nous sommes effondrés depuis la mort de ton cousin.— Maman ! hurlai-je, mais c’était trop tard, elle venait de raccrocher.

J’étais dans la panade. Assis sur mon lit, j’observai ces lunettes : la cause de tout ce foutoir. Avais-je imaginé toute cette histoire ? Le coup de téléphone de ce type et les gars devant chez mes parents ! Pourtant, tout semblait bien réel. Je passai le reste de la journée dans le brouillard, mes lunettes sagement posées sur la commode de l’entrée. J’appelai mes parents par acquit de conscience ; ma mère m’insulta avant de raccrocher ; c’était au moins la preuve qu’ils allaient bien.

Quand 18 heures sonnèrent, n’en pouvant plus de rester enfermé, je me décidai à quitter mon appart. Je me saisis de mes lorgnons et pris la direction de mon pub préféré. Il fallait que je me ressaisisse. Au comptoir, la charmante serveuse avec qui je n’avais jamais discuté, mais que je contemplai à loisir, me dévisagea, en affichant son plus beau sourire.— Qu’est-ce que je te sers beau gosse ?Oh, purée, elle m’avait appelé beau gosse ! Je n’avais pas rêvé !— Une pinte de blanche, s’il te plaît, dis-je en soutenant son regard ; chose incroyable parce qu’en temps normal, je suis plus du style à baisser la tête et à manquer d’assurance.— Une pinte de blanche ! Un homme selon mon cœur, ajouta-t-elle en m’adressant un clin d’œil.Magnifique ! Je ne sais, si c’était mon imagination, mais son arrière-train,au gré d’une démarche chaloupée, semblait se trémousser plus que d’habitude. Lorsqu’elle posa mon verre devant moi, elle déclara :— Sont sympas tes lunettes ! Elles te vont super bien, me lança-t-elle avant d’aller s’occuper d’autres clients. Je risquai un coup d’œil par-dessus mes carreaux et chose incroyable, ma serveuse gardait sa belle allure de brune au physique intelligent. Pourquoi ne changeait-elle pas, comme la boulangère et les clochards ? — T’es pas en train de me reluquer, me demanda-t-elle avec un grand sourire.— Si ! Clairement, c’est ce que je fais, dis-je avec un aplomb qui m’étonna moi-même. J’étais confiant, même ma voix avait changé ; elle semblait forte et sûre d’elle. Je ne pris pas la peine de m’en inquiéter, j’étais si excité à la vue de cette femme, qui plus est, une femme qui s’intéressait à moi.— Elle est méga bonne cette pouliche !— Quoi ? Qui a dit ça ?— Tu m’as parlé, beau brun, me demanda-t-elle.— Non, non, c’est …Elle me sourit et partit à l’autre bout du comptoir pour s’occuper d’un vieux bonhomme.Qui avait parlé ? J’avais clairement entendu une voix d’homme. Etais-je en train de devenir fou ? Pendant que je réfléchissais à cent à l’heure, j’entendis de nouveau :— Elle est vraiment super bonne cette gonzesse ! Je sursautai et malgré la terreur qui m’envahissait, mes yeux restaient fixés sur les fesses de la serveuse ; elle s’était penchée pour prendre des verres sous le comptoir et lorsqu’elle s’aperçut que je la matais, elle me lança un clin d’œil. J’étais au comble de l’excitation et en même temps, inondé d’une frousse de tous les diables.— Non, tu ne deviens pas fou, insista la voix.

5

Je remuais sur mon siège mal à l’aise. N’osant plus me retourner, même si je savais qu’il n’y avait personne autour de moi.— Je suis là, vieille branche !Je décidai de ne pas répliquer. Il était hors de question que je discute avec une voix inconnue, encore plus, si je n’identifiais pas son propriétaire.— Une chose est sûre, il faut que tu ramènes cette pouliche chez toi.— C’est une femme, pas une jument, marmonnai-je ; mais après avoir dit ces quelques mots, j’eus un frisson, voilà que je me mettais à parler tout seul.— Non, tu ne discutes pas tout seul, vu que tu discutes avec moi. Et si j’ai envie de l’appeler pouliche, je l’appellerai pouliche. Dans tous les cas, ce soir, tu la ramènes à ton appart et tu la fais danser sur tes couilles.Mais c’était impossible ! Comment cette voix avait accès à mes pensées ! — J’en ai rencontré des buses, mais toi, tu gagnes tous les prix.— Ne m’insultez pas, murmurai-je.— Tu n’as pas besoin de parler, penses plutôt, si t’en es capable. Ma parole, mais t’es une véritable bourrique.À ce moment-là, j’eus envie de hurler et de me fracasser le crâne sur le comptoir. Ce que je voulais, c’était que cette voix cesse de me harceler. Au moment où je retirai mes lunettes, la voix m’ordonna :— Ne t’avise pas de faire ça !— Quoi ?— N’enlève pas les lunettes !— Et pourquoi ? Qui êtes-vous ?— Tes lunettes, pardi !— Vous voulez dire que cette voix que j’entends depuis tout à l’heure, provient de mes…— C’est ça, Einstein. En fait, tu comprends vite, mais faut quand même t’expliquer longtemps.Et là d’instinct, j’ai désobéi ; je les ôtai et les posai sur le comptoir. La voix disparut comme par enchantement. Où êtes-vous ? Pensai-je. Aucune réponse. Une chose était sûre, j’étais en train de devenir complètement maboul.— Tu me remets la même, s’il te plaît, demandai-je à la serveuse qui, en prenant mon verre, ne m’accorda aucun sourire.Bonté divine, quel changement stupéfiant ! On était loin des coups d’œil langoureux qu’elle m’adressaitjusqu'alors. Par conséquent, dégoûté de n’être plus si attirant à ses yeux, je remis mes lunettes.— Voilà mon chou, me dit-elle en posant mon verre sur le comptoir, appuyé de l’un de ses formidables clins d'œil.— Tu commences à comprendre tête d’ail ? Si tu les enlèves, elle ne te regarde plus. Tu les gardes, tu deviens son prince.Je bus une gorgée de bière, tout en me demandant :— Alors, si vous êtes bien « ce que vous dites être », là, en ce moment, nous sommes en train de converser par la pensée ?— Alléluia ! Il a enfin compris !— C’est n’importe quoi, déclarai-je. Vous ne pouvez pas être mes lunettes ! Vous me faites marcher !— Alors qui suis-je ?Je n’avais rien à répondre et encore moins d’antécédents psychiatriques. J’étais juste timide, mais ce n’était pas une tare.— Tu ne me crois toujours pas, hein ?Au lieu de répondre, je bus une nouvelle gorgée.— Alors écoute un peu tocard ! Qu’est-ce que tu préfères : deux pouilleux qui se battent ou des jeunes socialisés qui décident d’aller boire un coup ?Et comme je ne réagissais toujours pas, la voix insista :— Qu’est-ce qui te rassure le plus ? Hein, ringard ?— Arrêtez de m’insulter !— Alors, réponds à ma question.— Effectivement ! C’est plus rassurant de voir des gars adaptés aux exigences de la vie sociale, plutôt que des clochards qui se tapent dessus. Pour être clair, vous me faites voir, ce que je veux voir ?— Si on peut dire ! Je peux accéder à ton esprit, je connais tes moindres désirs, notamment toutes tes envies inconscientes.— Vous voulez dire que vous pouvez atteindre des zones de mon cerveau qui me sont impénétrables ?— Exactement ! Tous tes sentiments, désirs refoulés, besoins inassouvis. J’ai accès à tous tes fichiers.— Ce n’est pas possible !— Crois ce que tu veux, mais la petite serveuse qui te dévore des yeux, c’est le fruit de mon imagination ? — Et le coup de téléphone de ce matin, c’était quoi alors ? pensai-je, en jetant un regard à la barmaid qui me fusilla d’une œillade incendiaire.— Ton cousin m’a volé à une bande de malfrats. Ils l’ont tué pour pouvoir me récupérer. Je coûte vraiment très cher, tu sais !— Comment savez-vous qu’il a été tué ?— Je te l’ai dit, j’ai accès à tes pensées !— Oui, c’est logique ! Mais alors, mon cousin s’est débarrassé de vous quand il… Enfin, je veux dire, lorsqu’il a…— Va pas te faire une crampe au cerveau, mec. Effectivement, ton cousin se savait traqué ! Peu importe, il était bête à manger du foin, bon débarras !— Ne dites pas ça, m’écriai-je.— Que t’arrive-t-il mon mignon ? Tu es surmené, tu veux qu’on en discute ? Me demanda la charmante serveuse appuyée de l’un de ses sourires les plus sublimes.— Heu… Oui… D’accord, balbutiai-je.— Ce soir, je finis à 23 heures. Tu m’attends et on pourrait finir la soirée chez toi à papoter ou faire autre chose, comme tu voudras.Pour réponse, j’ai dégluti avec difficulté, remué la tête nerveusement, pendant qu’elle me souriait en repartant servir les autres clients.— You-ou ! Ce soir, on baise !— Ne hurlez pas si fort !— Pourquoi ? À part te trépaner, je ne vois pas comment on pourrait m’entendre.— Vous avez raison ! Parlez-moi de mon cousin.— Je te l’ai déjà dit, c’était un demeuré, rien de plus.— Non, ça, je le savais. Mais pourquoi vous a-t-il volé ?— Pour me vendre au plus offrant ! T’as compris que j’ai accès aux zones du cerveau qui sont confisquées à tous les êtres humains !— Et alors ?— Il me dit : et alors ! Mais t’es grave toi ! Tu n’imagines pas le pouvoir que tu possèdes grâce à moi ! Tous tes besoins, désirs et sentiments qui te sont inconnus, moi, j’y ai accès. Tu imagines le pouvoir que tu possèdes ! Je peux te dire ce que tu ressens et te montrer ce que tu veux voir, tu comprends ?— Pas tout, j’avoue !— Pourquoi la serveuse te drague ce soir ? Toutes les fois où t’as rappliqué dans ce pub, elle devait t’ignorer royalement, je me trompe ?— C’est pas faux !— Alors, pourquoi ce soir, elle te zieute et mieux, pour quelle raison t’a-t-elle proposé un rencard ?— Parce que j’en avais envie !— Voilà !— En avoir envie est une chose ! Comment se fait-il qu’elle aussi en éprouve le désir ?— Parce qu’elle sent ton appétit et perçoit ton assurance.— Concrètement, du moment que je convoite une femme, je peux l’entraîner dans mon lit ?— C’est à peu près ça, en effet !— Je ne comprends pas ! Même si je suis plus assuré et me montre plus confiant, ça ne veut pas dire qu’elle sera attirée à coup sûr par mon charme plein d’assurance.Après avoir pensé ces mots, je ne croyais toujours pas qu’ils aient pu sortir de mon esprit.— Oui et non ! Tout est question de phéromones, mais surtout, n’oublie jamais qu’en règle générale, l’être humain n’a pas confiance en lui ; les hommes ont peu d’estime d’eux-mêmes. Ceux qui montrent une pleine audace, affichent généralement un aplomb de façade. Alors quand une serveuse comme cette belle femme, sent irradier de ton être un réel courage, elle veut croquer un morceau de gâteau. Comme si t’étais pour elle, un commercial qui distribuerait des parts de confiance.— Je commence à comprendre…— Est-ce que t’es d’accord pour qu’on fasse équipe ?— Équipe ?— Si t’es pleinement conscient de mon potentiel et que tu me laisses te guider au gré de tes désirs, je t’offre un pouvoir immense.— Je ne veux pas être sous ton emprise.— Qu’as-tu fait tout à l’heure quand tu t’es senti devenir fou ?— J’ai retiré les lunettes ! Enfin, je veux dire, j’ai coupé le contact.— Voilà !— J’ai une nouvelle question.— Pose-la !— Pourquoi, j’ai vu la boulangère telle une déesse alors qu’elle était moche comme un pou ?— Désormais, tu peux y répondre tout seul.Je réfléchis une minute avant de déclarer :— Parce que j’avais envie de la voir comme ça ! Alors que cette belle serveuse, il n’y a rien a changé. Elle est exquise comme elle est, dis-je en la dévorant du regard.— T’as tout compris ! Bon, parlons peu, mais parlons bien. Commence par emballer cette petite et en arrivant à l’appart, tu me gardes sur ton nez, je ne veux rien rater de votre partie de baise.

J’ai suivi les conseils de mes lunettes et à 9 heures, quand Sophia quitta mon appart, j’étais pleinement satisfait.— Elle était sacrément bonne cette petite.— Arrête un peu avec ce vocabulaire, ça me met mal à l’aise.— T’es au courant que je ne fais que suivre tes désirs. En résumé, c’est toi qui parles, mais sans filtre pour une fois.— C’est impossible !— Tu t’es laissé envahir par tout ce politiquement correct. Aujourd’hui, vous n’avez plus le droit de vous exprimer sans choquer de la femelle, de la pédale ou du négro…— Ça suffit ! Arrête ! T’es insupportable ! Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demandai-je.— On va à la chasse aux meufs !— J’adore t’entendre parler comme ça.

6

Après une bonne douche, rasé de frais et habillé, je me scrutais devant le miroir ; je devais me rendre à l’évidence : j’étais canon ; vêtu d’un pantalon de costume slim- Bleu Marine, un t-shirt blanc col en V, des baskets montantes marron et la touche charme de l’homme élégant, une veste de costume slim stretch ! Le pire, c’était que j’avais ces fringues dans ma penderie depuis des lustres, mais je préférais mettre mes jeans taille 42, mon blouson marron avec quelques traces de peintures sur le dos et des Caterpillar usés à la corde. Je réalisais, là, devant ma glace, que je m’étais oublié. Toute ma vie, je n’avais fait que des choses par obligation, avec les fameux : « Je dois » et « il faut ». Résultat, j’avais relégué mes sentiments et mes désirs dans un trou, cachés sous une multitude d’obligations. Je n’avais plus aucune exigence, mise à part obéir à une société qui place la sacro-sainte culpabilité en norme indépassable.

J’ai claqué la porte cochère de mon immeuble, tout en pensant :— Dis-moi, je pense à un truc. Il faut que je te donne un nom.— Appelle-moi Tony.— Alors mon cher Tony, je vais te faire découvrir un petit resto connu pour ses brunchs somptueux et délicieux.— Et la serveuse qui anime tes rêves depuis une bonne année, si je ne me trompe pas.

[Pour être très clair avec toi lecteur, il me faut te préciser une chose : je ne vais pas retranscrire toutes les interventions de Tony, mais sache qu’il me dicte la plupart de mes répliques ; il est une sorte d’oreillette. Et aussi, détail important, toutes nos discussions se font uniquement par la pensée ; je ne parle pas à voix haute ; loin de moi l’idée de finir dans un hôpital psychiatrique].En arrivant dans ce ravissant resto, je pris place derrière deux jeunes femmes. Comme l’une d’elles me dévisagea quelques secondes, je lui adressai un sourire ; qu’elle me rendit. Et tandis qu’elle suivait son amie pour se rendre à sa table, j’ai ajouté un clin d’œil, tout en sachant que j’allais passer pour un gros lourd. Mazette ! Elle ne cessait de me contempler avec de grands yeux gourmands. J’étais au septième ciel. — C’est pour une personne ? Me demanda la charmante serveuse.— Exactement, répondis-je.Elle m’examina, puis sourit. C’était incroyable, j’utilisais toute la panoplie du péquenaud, mais c’était comme si les femmes qui en étaient victimes m’excusaient et pire, trouvaient ça bien.— Adeline n’est pas là ? demandai-je.— Elle a démissionné, c’est moi qui la remplace.— Une beauté pour en remplacer une autre que demander de plus ! Et vous vous appelez ?— Lucienne !— Bonté divine ! j’espère que vous avez fait un procès à vos parents !— Je préfère qu’on m’appelle Sandra, me dit-elle en souriant. Je sais, c’est plus commun.— C’est surtout moins moche.

Le repas fut très agréable ; je m’étais cassé le bide et en prime, je repartais avec le numéro de la petite Sandra.— J’ai une question Tony : t’as été créé en quelle année ?— Il y a cinq ans, dans un labo à Miami.— Et t’as eu combien de propriétaires ?— Tu es le quatrième. Il y a eu le professeur Foldingue, le taré qui m’a créé, puis, il y a eu le mafieux Braguetti, je sais, on ne fait pas dans l’original, mais c’est la stricte vérité et le troisième était ton cousin qui m’a dérobé au nez et à la barbe du mafioso.— Chaque fois, tu lis dans les désirs de tes hôtes ?— Exact ! Tous les trois étaient pervertis par la gloire. Ils voulaient toujours plus de pouvoir, notamment ton cousin. — Pour le mafieux, c’est compréhensible. Acquérir plus de puissance, c’est un peu normal quand on suit cette voie, mais je suis surpris qu’un professeur qu’on pourrait penser plus modéré…— Pourquoi ? Parce que c’était un intello ? Détrompe-toi, les diplômes ne conduisent pas forcément à la raison et encore moins à la sagesse ; il était fou, constamment à la recherche de plus de pouvoir. Dans un sens, ton cousin état un cas intéressant ; il avait des désirs, mais il craignait ce qu’ils pourraient l’amener à lui faire faire.— Sérieux ! De quel genre ?— Ton cousin était un homo refoulé.— Merde, ah bé ça alors ; ça m’en bouche un coin. Attention te méprends pas, il pouvait bien aimer qui il voulait et faire ce qu’il voulait…— Sapristi ! Tu m’as pris pour un censeur du politiquement correct ? Je m’en fous moi, que t’aimes ou non les pédérastes.— Justement, je pense que chacun est libre d’exprimer ses préférences. Il n’y a aucun mal à ce qu’une personne choisisse...— Oh, tu m’écoutes ! On est juste tous les deux, là.— Alors, comme ça, mon cousin était…— Une tante !— Bon parlons d’autres choses.— On peut parler des Youpins si tu veux ?— Non, mais arrête ! Tu veux qu’on ait des ennuis ?— Tu sais, je vois que tu n’aimes pas trop les Arabes !— Ce n’est pas vrai, j’avais un pote à l’école qui était…— Cesse tes balivernes ! Les Arabes te font peur. À ta décharge, c’est vrai que certains sont terrifiants.— Non, je ne suis pas d’accord.— Mais tu es incroyable ! Nous avons une discussion dans ton esprit ; personne ne peut nous entendre. Ça prouve à quel point tu as intégré comme normal ce contrôle social du langage.— C’est intéressant, mais parlons d’autres choses. Ce sujet me met mal à l’aise.— Alors, parlons de tes parents !