Comme un papillon qui s'est brûlé les ailes - Willerval - E-Book

Comme un papillon qui s'est brûlé les ailes E-Book

Willerval

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Beschreibung

Un accident de voiture provoque la mort d'une mère et d'une fille. Violette Dessaux est certaine que ce n'est pas un simple accident et décide d’enquêter sur le passé des victimes.

Deux gendarmes viennent annoncer à un homme que sa compagne et la fille de cette dernière ont péri brûlées dans un accident de voiture. Après leur départ, l’individu ouvre la boîte à souvenirs. Éloignés au quotidien, les amants s’adressaient régulièrement des messages avec, pour nom de code, « papillon ». Un véritable conte de fées… Tandis que l’homme se passe en boucle leur vie commune, les gendarmes se posent des questions. Pour le supérieur, Victor Ducasse, il s’agit d’un banal fait divers routier. Mais sa jeune collègue, Violette Dessaux, ne l’entend pas de cette oreille. « La nouvelle a laissé le type de marbre. Pire, il savait quelque chose. » Elle n’en démord pas, il ne s’agit pas d’un accident. Pour le prouver, elle devra reconstituer les faits, et surtout l’histoire de ce couple, en dehors de toute enquête officielle.

Auteur de pièces de théâtre, Willerval relève ici le défi et nous offre un remarquable thriller psychologique, sa contribution pour dénoncer et combattre le féminicide.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Excellent polar avec une superbe construction remarquablement scénarisée et des personnages admirablement dessinés, qui ne laisse pas au lecteur la possibilité de reprendre son souffle, et c'est très bien ainsi. Un très grand merci aux éditions Lucien Souny et à Véronique Thabuis. - Polarmanique,

À PROPOS DE L'AUTEUR

Willerval écrit habituellement des pièces de théâtre. Il relève ici le défi et propose un remarquable thriller psychologique. Parce que le roman offre au dramaturge une liberté totale dans laquelle on joue avec les non-dits, les discordances, Willerval a décidé d'adopter de nouveaux codes et une nouvelle façon de raconter, ici l'innommable. Il est membre des Écrivains associés du théâtre de Nouvelle-Aquitaine. Né dans le Pas-de-Calais, il habite le Périgord et est engagé dans la vie culturelle Locale.

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Contenu

Page de titre

Remerciements

Le 30 mai, 14 h 28

À l’époque, j’étais déjà délégué…

Le 30 mai, 14 h 45

Alors que j’étais allongé…

Le 30 mai, 14 h 55

Quelques jours après…

Le 30 mai, 15 heures

Plusieurs semaines après…

Le 30 mai, 15 h 15

Nous avons dû attendre…

Le 31 mai, 8 h 30

Le dimanche…

Le 31 mai, 14 heures

En descendant du TGV…

Le 31 mai, 16 h 45

Après cette grande explication…

Le 1er juin, 11 h 45

Après avoir quitté son mari…

Le 1er juin, 14 h 40

Je n’ai pas pu revenir…

Le 1er juin, 15 h 30

Très vite, au cours de l’automne…

Le 1er juin, 15 h 55

Paradoxalement, c’est Fanny…

Le 2 juin, 8 heures

Le déménagement…

Le 2 juin, 10 h 15

« Je ne t’aime plus autant qu’avant »…

Le 2 juin, 19 h 15

J’étais lugubre…

Le 2 juin, 20 h 30

Au début des beaux jours…

Le 2 juin, 21 h 7

Un jour que je rentrais chez moi…

Le 2 juin, 21 h 26

La semaine qui a suivi mon altercation…

Le 3 juin, 11 heures

Lorsque je suis enfin rentré chez moi…

Le 3 juin, 12 h 5

Depuis ce karaoké…

Le 3 juin, 12 h 20

Le 30 mai, 18 h 45

Postface

Le mot de l'éditeur

Bonus littéraire

Dans la même collection

Copyright

Remerciements
Un grand merci pour leur soutien, leurs lectures et leurs avis à Christel, Pascal et Roger.
Mes remerciements plus particuliers à Stéphanie, correctrice attentive, qui a su aussi faire des propositions souvent justes.
Enfin, je reconnais avoir eu beaucoup de chance de pouvoir bénéficier des grandes qualités de mon éditrice, Véronique Thabuis : passion, exigence et disponibilité.
Le 30 mai, 14 h 28
Je sens une main sur mon épaule. J’ouvre les yeux et je découvre, à côté de moi, une chemise bleue ! Non, deux ! Je saute immédiatement dans mon short qui traîne par terre, dégage de mes oreilles les écouteurs du Walkman et j’entends une voix grave me dire :
– Excusez-nous, monsieur. Nous avons d’abord frappé à la porte, mais vous ne pouviez nous entendre…
Dressé sur mes pieds, je constate que la chemise bleue à la voix grave habille un géant aux yeux bleus. La seconde revêt une jeune femme mal gracieuse, au visage plat, avec des traces d’acné. Le géant semble embarrassé de m’avoir surpris à poil sur mon transat. Sa collègue me fixe d’un œil plus sévère.
– Mais qu’est-ce que vous faites là ?
– Désolé, monsieur, de troubler votre sieste, mais il faut qu’on vous parle. Maréchal des logis-chef Ducasse et ma collègue, la gendarme Dessaux. Vous êtes bien le propriétaire des lieux ?
– Oui, fais-je d’un air ahuri.
– Vous pouvez justifier de votre identité, s’il vous plaît ?
– Oui, dis-je en réfléchissant. Mais qu’est-ce que j’ai fait ?
– On dirait que vous n’avez pas la conscience tranquille, vous, intervient, sournoise, la gendarme.
Je ne peux m’empêcher de déglutir avec difficulté et de rougir, soudainement inquiet. Son collègue tempère ses propos par une expression à la fois bienveillante et gênée.
– Nous n’avons rien à vous reprocher pour l’instant. Simple formalité.
Je respire à fond et me tourne alors pour entrer dans la maison, derrière moi, à la recherche de mes papiers.
Aussitôt, la gendarme me colle aux basques. Pas bon, ça, je me dis. Pour éviter de m’affoler complètement, je me concentre uniquement sur mon portefeuille. Évidemment, il n’est pas dans mon sac à dos, dans lequel je le mets habituellement. Je ne le vois pas non plus sur la table où il m’arrive de le laisser. Qu’en ai-je fait ? Dans la voiture, peut-être ? Je sors par la porte de devant, la gendarme sur mes talons. Ça me fout les jetons, cette obstination à ne pas me lâcher. J’ouvre la portière de mon véhicule. Je la sens sur ses gardes. Le portefeuille est là, coincé entre les deux sièges avant. Je le prends et en sors ma carte d’identité. Je sens que la gendarme s’impatiente. Pour la décrisper, je lui présente ma carte avec une petite grimace qui voudrait dire : « Quel étourdi ! » Elle la saisit brusquement et étudie scrupuleusement les vingt centimètres carrés plastifiés tout en rentrant dans la cuisine. Puis elle me la rend et me demande en reniflant l’odeur qui stagne dans la maison :
– Vous cuisinez ?
– En effet.
– Du poisson frais ou des poissons carrés avec les yeux dans les coins ?
– Non, non, du frais. C’était de la truite.
– C’est rare, un homme qui cuisine.
Je ne sais que répondre. Je ne vois pas trop l’intérêt de cette conversation. J’ai l’impression que ces paroles ont vocation à créer du lien, mais son ton est tellement sec que je préfère rester silencieux. Même, je me sens coupable avant d’être accusé de quoi que ce soit. Nous ressortons de la maison. Nous retrouvons son collègue, penché au-dessus de l’eau bleue de la piscine. Le bassin est nickel. Ce matin, j’ai enlevé la bâche et aspiré les saletés qui s’étaient déposées pendant l’hiver. En se tournant vers moi, il constate :
– Elle est propre. Ça donne envie.
– Elle doit être encore un peu fraîche, mais j’essaierai sans doute tout à l’heure.
Il se redresse et me regarde, visiblement embarrassé. Il hésite un temps, se pince l’oreille. Je ne sais plus que penser. Je me sens glacé et au bord de la panique. Il se racle la gorge et reprend :
– Nous ne sommes pas porteurs d’une bonne nouvelle…
– Je vous écoute, fais-je en prenant une grande inspiration.
– Fanny Lafaysse habite bien ici, avec sa petite Maëlys ?
– Oui. Mais elles ne sont pas encore rentrées de Lyon, où elles sont allées rendre visite à la famille de Fanny… C’est bizarre, d’ailleurs, le train doit avoir du retard. Quelle heure est-il donc ?
– Elles ont eu un accident.
– De train ?
– Non, de voiture.
– De voiture ? Mais où ? Quand ?
– Il y a moins d’une heure, pas loin de la gare, sur la route du coteau.
– Merde ! Elles sont à l’hosto ?
– Elles sont…
– Décédées, coupe la gendarme.
– Gendarme, un peu de tact ! Excusez-nous, monsieur. Manifestement, elles ont péri dans l’incendie du véhicule. Ce n’est pas beau à voir…
Livide, je tombe assis sur le transat, en apnée. Je ne m’attendais pas à ça ! Au bout de quelques secondes, le maréchal des logis-chef me secoue légèrement aux épaules avant de me demander :
– Ça va aller ? Vous voulez que nous appelions un médecin ?
– Je suppose que les pompiers sont intervenus ? J’ai entendu la sirène tout à l’heure, c’était pour elles ? Que pourrait faire de plus un médecin ?
– Je proposais cela pour vous. Le choc est rude.
– Je vais devoir reconnaître les corps ?
– Vous ou quelqu’un d’autre de la famille…
– Son mari ?
– Ce n’est pas vous, le conjoint ? s’exclame la gendarme.
– Nous vivons ensemble depuis plusieurs mois, mais le divorce avec le père de la gamine n’est pas encore prononcé… C’est pour ça qu’elle s’appelle encore Lafaysse. Son nom de jeune fille, c’est Malbranche.
– C’est bien ce qu’il me semblait, ajoute le gendarme gradé. C’est Nicolas du Crédit Agricole, son mari ?
– C’est ça. Il habite pas loin de la gare, justement, la petite maison en pierre au-dessus du parking…
– Nous devons aller le prévenir, alors.
– Oui, allez-y, j’ai besoin d’être seul…
Ils prennent congé d’un petit salut militaire et contournent la maison, comme ils ont dû le faire quand ils sont venus, pour retrouver en façade leur Kangoo, garée derrière ma voiture. Ils avancent pesamment. C’est ce qui explique sans doute que la gendarme se prend le pied dans une racine du pin, qui affleure à cet endroit, et trébuche, les mains en avant, en plein sur le capot de ma R19.
– Gendarme ! Attention ! J’espère que le capot du véhicule de monsieur n’est pas marqué !
Ils examinent aussitôt la tôle, mais je leur fais comprendre que, le coup au capot, par rapport à celui que la vie vient de me porter, je m’en fous un peu. Ils finissent par quitter les lieux, un tantinet gênés.
Je reste un instant pensif, à regarder vaguement l’endroit où ils avaient arrêté leur véhicule de service. Apparemment, le voisinage n’a rien remarqué. Faut dire qu’à part Léopold, sur le coteau sud qui domine l’entrée de la maison, et le pépiniériste au nord, au pied de l’autre coteau, qui borde le vallon, il n’y a pas beaucoup de commères dans le coin pour commenter la visite de la maréchaussée. Les moutons, peut-être, se régalent de ce fait divers, mais je ne bêle pas couramment leur langue… Je m’arrache finalement à ma curieuse contemplation, retourne à l’arrière de la maison, sors de mon short et plonge dans la piscine.
L’eau n’est pas encore très chaude et me tire de mon hébétement. Je me concentre sur mon crawl, pas très bon, et aligne dix allers-retours rageurs, ce qui ne fait jamais que cent mètres au total, mais je finis essoufflé, appuyé au bord. Je me remplis du paysage splendide de ce relief abrupt, crêté de quelques pins au milieu de la caillasse, qui dominent des châtaigniers et des chênes verts ayant poussé plus bas, vers la route. Je me délecte de cette beauté qui m’a saisi dès que j’ai découvert l’endroit et déguste le calme parfait de cet après-midi. Au pied de la haie, dans la touffe de thym citronné, il y a un petit argus bleu, les ailes vibrant à peine, profitant du parfum et des premières chaleurs. L’immobilité ensoleillée du vallon me tranquillise. Par contre, j’ai froid et je remonte m’installer au soleil, sur mon transat. Je ferme les yeux.
À l’époque, j’étais déjà délégué national d’une mutuelle de fonctionnaires, et Fanny était aide administrative en contrat aidé, donc précaire, à l’école du village, à côté de l’endroit où je vis désormais. À la suite d’une réforme qui visait à accueillir comme nouveaux adhérents les contractuels des collectivités territoriales, j’étais chargé de présenter nos services dans des réunions d’information publiques décentralisées. Je devais, de ce fait, me rendre dans tous les chefs-lieux d’un grand quart sud-ouest de la France.
Ainsi, ce jour-là, bien introduit par le responsable local, j’ai présenté d’abord l’histoire de la mutuelle, puis ses valeurs fondatrices. J’ai expliqué avec conviction que c’étaient ces mêmes valeurs humanistes et universelles qui justifiaient que notre mutuelle accueille désormais ceux qui participaient à la bonne marche du service public sans avoir la chance d’être immédiatement titulaires de la fonction publique.
Tout en développant mon discours, j’ai rapidement remarqué cette jeune femme, blonde et menue, admirablement proportionnée, la seule qui semblait prendre note de tout ce que j’exposais. C’était Fanny. Souhaitant sans doute attirer son attention, j’ai conclu avec emphase. La salle a lâché une salve d’applaudissements tandis que je discernais, dans son regard, comme un arc électrique à fortes propriétés attractives. Il y avait à la fois de l’intérêt, de la reconnaissance et de l’admiration. J’ai été immédiatement aimanté. Tout naturellement, je me suis retrouvé à proximité d’elle lorsque nous sommes passés au buffet. Tandis que j’échangeais des mots aimables avec mes voisins, je cherchais comment capter son attention. Arrivé devant une assiette de foie gras, j’ai lancé un peu fortement :
– Mais où sont les toasts ?
L’organisateur du buffet a fait une mine contrite et allait s’expliquer quand, dans un rire cristallin et moqueur, Fanny s’est esclaffée :
– Les toasts, c’est bon pour les Parisiens qui n’y connaissent rien ! Ici, c’est avec une belle tranche de tourte qu’on l’accompagne, le foie. Le pain est là-bas, au bout !
Comme je me suis mis à rire également, l’incident s’est aussitôt dissipé. Mais il m’a permis de lui adresser directement la parole et de l’inviter à partager mon repas. Elle a exprimé son accord avec un large sourire, et nous avons déjeuné ensemble avec plaisir. Elle s’est révélée telle une convive à la fois timide et gaie, curieuse de connaître les choses. Elle m’a raconté qu’elle ne ratait aucun numéro de Thalassa ou Des racines et des ailes. Nous avons ainsi parlé un long moment du château de Compiègne, sujet de la dernière émission. Elle m’a appris une quantité de détails que j’ignorais, alors que j’habitais à côté. J’ai insisté évidemment pour qu’elle adhère à la mutuelle, en lui recommandant de me contacter directement si elle avait besoin de renseignements complémentaires. Je lui ai laissé ma carte et lui ai même demandé ses coordonnées.
– Pour vous appeler en cas d’incertitude sur le type de pain à acheter pour accompagner le foie gras… J’ai une très mauvaise mémoire ! lui ai-je précisé.
Elle a répliqué en souriant :
– Je veux bien vous croire. Je suis bien certaine que vous m’aurez oubliée dès que vous serez parti d’ici !
Et elle m’a regardé avec un drôle d’air, manifestement ravie et fière de l’intérêt que pouvait lui porter un Parisien-qui-toaste-son-foie-gras, mais, en même temps, ne doutant pas que la rencontre serait sans suite. Ce sur quoi elle se trompait, car j’ai gardé au fond de moi son regard vert, qui a su m’émouvoir. Les jours suivants, je pensais à elle régulièrement sans oser la rappeler.
Ma femme m’a offert l’occasion sur un plateau. En effet, quelques jours plus tard, elle m’a annoncé qu’elle voulait servir du foie gras à des amis gourmets, conviés à un prochain repas, et qu’elle souhaitait en trouver de « l’authentique » sans trop savoir comment faire. Je lui ai immédiatement assuré que j’avais une idée. Dès que je me suis retrouvé seul, j’ai envoyé un SMS à Fanny pour qu’elle me recommande un producteur, et les textos se sont enchaînés :
Bonjour, pouvez-vous me recommander un producteur de foie gras local ?
Bien sûr, la ferme voisine fait un excellent foie, mais n’expédie pas.
Pouvez-vous me le prendre et me l’envoyer ? Je vous rembourserai le tout.
Sur mon front, ce n’est pas écrit « La Poste », si ?
Je ne voulais pas vous vexer. Mais vous avez raison, nous ne nous connaissons pas et j’agis avec vous comme avec une amie… Sincèrement désolé. Je ne vous ennuie plus. Au revoir.
Attendez, j’aime bien rendre service. Mais comment faire ?
J’ai eu alors une idée flamboyante !
Le 12, je dois animer une réunion dans le département voisin : je vais bien trouver un moment pour m’échapper jusqu’à votre ferme…
Vous descendez en voiture ?
Non, en train…
Comment ferez-vous ? À moins que je ne vous l’apporte ?
Vous feriez cela ? Je rembourserai votre essence.
Mais le 12, c’est bien un jeudi ? Alors, je ne pourrai pas : je travaille.
Zut ! Fichu, alors ?
Fichu. Sauf si vous pouvez venir la veille parce que, le mercredi après-midi, je ne travaille pas.
Où nous donner rendez-vous ? À l’hôtel où je descendrai ?
Ça me gêne un peu. Je n’ai pas l’habitude de rejoindre des hommes à l’hôtel.
Vous avez raison, mais je ne connais pas cette ville.
Tant pis. Faisons ainsi, c’est le plus simple.
Merci. Je vous transmets le nom de l’hôtel dès que possible.
N’arrivez pas trop tard, mon mari n’appréciera pas si je rentre après la nuit tombée.
Vous êtes mariée ?
Comme vous.
Nous ne sommes pas mariés, mais vous avez raison, c’est pareil.
À mercredi 11, alors. Heureusement que ce ne sont pas des harengs qu’elle voulait, votre femme.
Des harengs ?
Je n’aurais pas pu vous en fournir, c’est loin de la Baltique, le Sud-Ouest ! Et on ne se serait pas revus.
Je l’aurais dissuadée de servir des harengs.
Vous l’auriez convaincue de servir du foie gras plutôt que des harengs ? C’est bon aussi, les harengs.
Oui. Mais ce qui est surtout bon dans le foie gras, c’est que c’est vous qui allez me l’apporter.
Vous avez raison. Le meilleur dans l’histoire, c’est de nous revoir.
Comme cet échange m’a rendu heureux ! Un vrai gamin ! Quand ma femme m’a rejoint, mon air béat l’a surprise. Je lui ai confirmé que j’avais trouvé son foie et que nous pourrions recevoir nos amis avec sérénité.
Le 30 mai, 14 h 45
La voiture bleue quitte les lieux avec la gendarme au volant. Son chef la fixe avec mécontentement.
– Je trouve que tu n’as pas montré beaucoup de tact. À plusieurs reprises. Qu’est-ce qui t’arrive ?
– Je suis désolée, chef. C’est par timidité, en fait. Je n’arrive pas toujours à poser ma voix.
– Il n’y a pas que ça ! Tu es intervenue alors que je cherchais des mots appropriés et…
– Mais vous n’arriviez pas à les trouver. C’était pour vous aider, chef.
– Je n’apprécie pas qu’on me coupe la parole, gendarme. Surtout si c’est pour te montrer maladroite. Ça, plus le coup de la voiture, ça fait beaucoup, tu ne trouves pas ? Ce citoyen avait besoin de plus d’égards, voire de douceur, vu les circonstances, non ?
– Justement, chef…
– Prends par le coteau, s’il te plaît. Justement quoi ?
– Pourquoi, chef ? Elle est pas pratique, cette route.
– Je veux repasser par les lieux de l’accident.
– Vous aussi, vous avez un doute, chef ?
– Un doute ?
– Oui. C’est pas clair, cette histoire.
– Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
– Je le sens… Il n’a pas été surpris.
– Qui ça ?
– Mais lui. L’amant nu sur sa chaise longue.
– C’est ça qui t’a choquée ? De le voir à poil ? Tu en verras d’autres !
– Mais non, je m’en fous, de sa quéquette ! Je dis juste qu’il n’a pas été surpris.
– Qu’est-ce qu’il te faut ? On lui a foutu la peur de sa vie, oui !
– Quand on l’a réveillé. Mais pas après.
– Explique.
– Il savait.
– Mais qu’est-ce qu’il savait ?
– Qu’elle était morte.
– L’intuition féminine, sans doute ?
– Si vous voulez, chef. Mais il n’a posé aucune question sur les circonstances.
– Et ça pose problème ?
– Tu m’étonnes ! Franchement, chef ! On vous apprend que votre femme est morte, et vous ne posez aucune question, vous ?
– Je serais tellement soulagé… Je plaisante, gendarme. Je suis divorcé. Qu’aurais-tu voulu qu’il demande ? On lui a dit l’essentiel, non ? Un accident de voiture et les deux passagères brûlées vives. Qu’est-ce qu’il avait encore besoin de savoir ?
– Je sais pas, mais…
– Allons ! On ne t’a pas appris à te méfier de tes intuitions à l’école ? À te fier surtout aux faits ? Et quand bien même il aurait déjà été au courant par l’effet de je ne sais quelle manifestation ésotérique, qu’est-ce que ça change ?
– Ce n’est peut-être pas un accident…
– Stop ! Arrête-toi là.
– Là ? Mais c’est dangereux. C’est justement ici qu’a eu lieu le drame, chef. Il y a nos traces fluo sur le goudron.
– Nous sommes d’accord. Tu vois, d’ici, on ne remarque les véhicules qui viennent en face qu’à la dernière minute, quand ils sortent du virage. Et la route est tellement étroite qu’il ne faut pas dévier beaucoup de sa trajectoire pour se retrouver du mauvais côté. Après, un coup de volant malheureux, et c’est ce pré en pente jusqu’à la rivière… Comment veux-tu que ce ne soit pas un accident ?
– Mais elle connaissait la route, et le chauffeur du bus aussi. Tous deux devaient être très prudents à cet endroit.
Alors que j’étais allongé sur le lit de la chambre d’hôtel, en attendant que Fanny arrive, mon téléphone portable s’est allumé sur ce message : Je suis là.
J’ai bondi aussitôt sur mes pieds. Mon cœur battait à cent à l’heure, comme si j’avais quinze ans alors que j’en avais bientôt le triple ! Un coup d’œil dans le miroir accroché à la porte pour vérifier ma mine et ma mise, et je me suis précipité pour la rejoindre dans le hall. J’ai ouvert le battant dans un grand élan et j’ai failli renverser une jeune femme blonde qui attendait là. Qu’est-ce qu’elle foutait ici, celle-là ? C’était elle !
Une fois de plus, je devais avoir l’air bête. Elle avait l’art de me mettre dans des situations embarrassantes. Elle souriait franchement, espiègle, ravie de son bon coup. Qu’elle était jolie ainsi, avec ses longues bottes marron sous une jupe courte en daim et un pull jaune, enveloppée dans un manteau de laine rouge foncé ! Un vrai Petit Chaperon rouge !
Je me suis alors effacé pour la laisser entrer dans la chambre. Elle y a pénétré en rougissant, soudainement empruntée. Elle est restée debout avec un sac en plastique dans la main, ne sachant trop que faire. Je le lui ai pris des mains en demandant si c’était le foie.
Elle m’a fait « oui » de la tête, soudain intimidée. J’ai sorti les bocaux du sac et les ai examinés. C’était parfait. Il y en avait deux. Je lui ai demandé le prix, ai sorti le carnet de chèques et en ai rempli un, appuyé sur le bureau, à côté du lit. Elle a fait mine d’observer une reproduction de Klee accrochée au mur. En lui tendant le chèque, je lui ai demandé de s’asseoir.
Elle a jeté un œil à la ronde avant de se poser, du bout des fesses, au bord du lit, puisqu’il n’y avait pas d’autre siège disponible dans la chambre. Elle a plié soigneusement le chèque avant de le ranger dans son portefeuille. Elle a remis ensuite ce dernier dans le sac à main qu’elle portait en bandoulière. Elle semblait faire le tout avec une grande concentration. Je la regardais. Elle était vraiment mignonne dans sa jupe courte qui laissait voir ses genoux, qu’elle gardait soigneusement serrés. Il fallait que je trouve quelque chose à dire, sinon elle allait repartir aussitôt. À ce moment-là, peut-être nerveuse, elle a renversé le contenu du sac alors qu’elle le fermait.
– Zut ! Quelle nouille !
Je me suis hâté pour rattraper un tube de rouge à lèvres, qui avait roulé sous le lit, tandis qu’elle se baissait en même temps avec la même intention. Nos têtes se sont entrechoquées sèchement. Elle a dû avoir mal, j’ai bien senti le choc au-dessus du sourcil droit. Elle a placé ses doigts sur l’impact avec un court gémissement. Je me suis aussitôt excusé, lui demandant si elle souhaitait que je mette un peu d’eau sur l’endroit douloureux. J’ai couru à la salle de bains sans attendre sa réponse. Elle semblait un peu sonnée lorsque je lui ai tendu le coin d’une serviette-éponge largement imbibée. Elle a saisi le tissu et s’est tamponné légèrement le front. Pendant ce temps, j’ai plongé sous le lit, ai récupéré le bâton de rouge à lèvres et l’ai brandi fièrement.
Elle m’a remercié avec un lent sourire à se damner tout en se tapotant toujours le front avec la serviette. Je la lui ai prise doucement des mains pour vérifier l’étendue des dégâts. Plus de peur que de mal. Une petite rougeur s’étalait jusqu’à la tempe, mais devrait s’estomper avant qu’elle ne soit de retour chez elle.
– Quand j’étais un petit garçon, ma maman me déposait toujours un bisou sur l’endroit douloureux, et c’était magique : après, je n’avais plus mal.
– Les bisous magiques des mamans ! Je fais pareil avec ma petite fille.
– Vous croyez que seuls les bisous des mamans sont magiques ?
– Non. Ceux des princes charmants ont la même propriété. Rappelez-vous le baiser qui réveille Blanche-Neige !
– Je peux essayer ?
– Mais je ne suis pas morte, quand même !
– Non, sur le front, ai-je précisé en rougissant.
Elle a tourné son front pâle vers moi et j’ai déposé, au-dessus de l’œil, un baiser léger comme le battement d’ailes d’un papillon.
– Ça marche. Vous êtes très délicat.
Elle me regardait avec des yeux pétillants de reconnaissance, la bouche légèrement entrouverte sur ses dents d’un blanc éclatant. Elle était irrésistible, et j’ai frôlé ses lèvres des miennes en un baiser furtif. Elle m’a caressé légèrement le visage avant d’accoler doucement à son tour ses lèvres aux miennes, puis de glisser une langue aiguë dans ma bouche. Le baiser a duré un temps infini, comme tous les premiers baisers. Il était à la fois onctueux, assuré et subtil. Mais notre position peu commode – elle, penchée depuis le bord du lit, vers moi, à genoux – a interrompu notre échange langoureux. Nous nous sommes détachés lentement, installés dans la sensation et nos émotions. Puis nos regards se sont croisés, à la fois chaleureux et confus. Finalement, elle a soufflé d’une voix enfantine et d’un ton déçu :
– Je suis désolée. C’est bête.
Je l’ai observée un court instant en silence, cherchant à démêler ce qui était bête, lorsque je me suis résolu à lui poser simplement la question.
– Ça n’a pas de sens, a-t-elle répondu en murmurant.
– Pour moi, c’était bon. C’était juste. Je ne regrette pas.
– Je ne regrette pas non plus. Ce n’est pas ça. Et c’était merveilleux. C’est ça qui est bête.
– Je ne comprends pas.
– Que ce soit si immédiatement merveilleux. Ça donne envie de recommencer, mais nous ne nous reverrons plus.
– Vous m’avez déjà dit cela la dernière fois, vous vous en souvenez ? Et nous voilà.
– Nous avons su saisir cette occasion, mais c’est une impasse…
– Vous êtes en train de me dire que vous avez apprécié ce baiser, mais que vous n’avez plus le temps de recommencer alors que vous en avez envie ?
– J’en ai très envie, mais il ne s’agit pas seulement de ce soir…
– Je vois. Vous n’êtes pas femme à profiter de l’instant présent ?
– Pour qui me prenez-vous ? Croyez-vous que j’ai l’habitude d’embrasser chaque homme que je croise ? Je vous rappelle que je suis mariée ! Et vous n’êtes pas libre non plus, que je sache !
– Libre ? Peut-être ne le suis-je plus depuis ce baiser, justement.
– Et ça veut dire ?
– Je n’ai rien prémédité et, en même temps, il est certain que je ressens pour vous, depuis l’autre jour, une forte attirance… J’espérais que nous nous reverrions, mais sans pouvoir imaginer comment. Et moi aussi, je trouve tout cela aussi merveilleux qu’un conte de fées. Je me sens comme un enfant comblé le soir de Noël. Tout s’enchaîne tout seul…
– Et ?
– Et, comme un enfant, je ne pense à rien d’autre. Je suis dans ma joie et dans l’instant. Et je refuse de laisser entrer dans cette chambre la pensée de ma femme, de mes enfants et du lendemain. Mais je comprends ce que vous dites. Et, en même temps, je crois que c’est trop tard : quoi qu’il se passe désormais, nous nous dirons que c’est trop bête…
Entre-temps, je m’étais remis debout et j’arpentais l’espace dégagé entre le lit et la fenêtre. Elle restait assise sur le bord du lit, le visage baissé sur ses genoux, me jetant de temps à autre un petit regard par en dessous. Je la distinguais de moins en moins bien, le soir intensifiant progressivement la pénombre dans la pièce.
Soudain, elle s’est levée, décidée. Elle a défroissé machinalement sa jupe d’un rapide passage de mains, a ramassé son sac refermé soigneusement et est venue vers moi pour prendre congé. J’ai soupiré :
– Vous devez y aller ?
– Je préfère. Pour cette fois.
– Pour cette fois ?
– S’il ne doit pas y avoir d’autres fois, je préfère garder le souvenir de ce baiser unique. Mais peut-être qu’il m’a réveillée… Et peut-être qu’il a transformé le crapaud en prince charmant !
– C’est moi, le crapaud ? Merci bien !
– Crapaud ou prince charmant, personne ne le sait. C’est vous qui avez parlé d’un conte de fées… L’histoire n’est peut-être pas finie…
Je l’ai retenue par l’épaule tandis qu’elle se tournait déjà vers la porte. Je lui ai saisi les mains, qu’elle avait douces, et l’ai embrassée, cette fois avec davantage de passion. J’ai senti qu’elle s’abandonnait totalement, son corps amolli épousant mes formes. Puis elle m’a lâché et regardé plus joyeusement.
– Je crois que tu es plutôt un prince charmant. Nous allons nous revoir. J’ai confiance.
Le 30 mai, 14 h 55
La gendarme gare la Kangoo sur le parking de la gare et désigne, au-dessus, une petite maison aux volets bleus fermés.
– Je crois que c’est là, chef. Mais on dirait qu’il n’y a personne.
Ils descendent du véhicule et gravissent la pente étroite qui monte jusqu’à une petite terrasse déjà bien fleurie. La terrasse est coupée en deux par une minuscule véranda et s’ouvre sur un seuil en pierre jaune, devant une porte en chêne. Le maréchal des logis-chef appuie brièvement sur le bouton de la sonnette, mais rien ne se passe. Il renouvelle bientôt sa tentative en laissant son doigt plus longtemps sur le bouton. Sa collègue furète autour, heurtant les volets du poing, sans plus de succès. Soudain, la voix usée d’une vieille femme les surprend dans leurs dos.
– Vous cherchez le Nicolas ?
– Ah, c’est vous, madame Fernande, répond le maréchal des logis-chef en reconnaissant la commère. En effet, nous recherchons M. Lafaysse.
– Perdez vot’temps, il est point là.
– Où est-il ?
– Y revient d’main. Mais qu’est-ce que vous y voulez, au Nico ?
– Lui parler, c’est tout.
– Un brave gars. Faut voir comment y s’débrouille bien avec la chatounette depuis que sa cocotte est partie pondre ailleurs !
– Vous la connaissiez, sa femme ? intervient sèchement la gendarme.
– Pas eu beaucoup l’temps.
– Pourquoi ?
– Y sont à peine installés là depuis un an qu’elle s’est envolée. Il avait tout refait la maison comme elle voulait. Une fois le nid douillet, elle l’a planté là, comme un vieux coucou !
– Mais il est d’ici, Nicolas Lafaysse, précise le maréchal des logis-chef.
– Pour sûr. Toute sa famille est du canton, mais sur l’autre rive.
– Il habitait où avant de venir ici ?
– De l’aut’côté du bourg, dans les HLM à côté de la poste.
– Il vivait seul à l’époque ? demande la gendarme.
– Et la chatounette, elle serait venue comment ? Non. Avec la Fanny, ils ont dû vivre là-bas cinq ou six ans. Elle est venue directement de Lyon pour se mettre avec lui.
– Elle est de lui alors, Maëlys ?
– Y a qu’elle qui sait ! Mais c’est ce qui s’dit. Bon, qu’est-ce que vous avez à lui causer, au Nico ? Il a fait du surplus de vitesse ?
– Non. Mais on ne peut rien vous dire, madame Fernande : mission officielle. On va laisser une convocation écrite dans la boîte, qu’il passe nous voir dès son retour.
– Dès son retour ? Mais c’est que c’est grave, alors ?
– Allez, au revoir, madame Fernande. Il faut qu’on rentre à la gendarmerie.
– Tous les mêmes, les poulets : ça vous tire les vers du nez, mais pour ce qui est de vous donner du grain à moudre, y a plus personne ! Heureusement qu’on est pas tous pareils, y aurait plus de causeries ! Si c’est pas malheureux, tout de même…
Quelques jours après notre premier baiser, Fanny m’a adressé par mail une photo prise au départ du défilé du carnaval, qui réunissait traditionnellement tout le village. Près d’un tracteur qui tirait un char décoré de fleurs, elle se tenait les bras ballants, le corps habillé d’une longue robe pastel, sur laquelle on avait cousu de longues ailes de tulle. Son visage était maquillé de traits bleus et, sur la tête, elle portait une espèce de diadème surmonté d’antennes flexibles. Cet accoutrement pouvait la faire paraître tour à tour grotesque, charmante ou espiègle. Sur la photo, elle ressemblait à un papillon trop vieux, les traits tirés, sans forces, qui aurait respiré de trop près un puissant insecticide. Elle était triste à mourir. Il aurait suffi qu’elle sourie à l’objectif pour que le papillon reprenne grâce et vie. Mais, manifestement, elle n’avait pas eu envie de sourire à la personne qui l’avait photographiée. J’ai su, plus tard, que c’était son mari. La photo était accompagnée d’un message :
– Viens donc à la chasse au papillon. Je me languis de toi. D’habitude, je suis la reine du carnaval, battant des mains comme une enfant. Tu as retenu dans tes bras toute ma joie. J’ai ma petite vie fixée ici comme un papillon épinglé dans son cadre en bois. C’est triste, un papillon transpercé. Viens me délivrer tant que je palpite encore un peu.
Ma première réponse l’a prise à rebrousse-poil. Sans que je sache pourquoi, ces mots étaient venus sous mes doigts :
– Peut-être n’es-tu qu’un éphémère et qu’il convient de te transpercer le cœur pour te garder près de soi.
Piquée au vif, elle m’a répliqué :
– Je reconnais bien là le crapaud à la bave fétide !
Après réflexion, je me suis dit que je m’étais montré peu courtois et j’ai rectifié le tir. C’est vrai qu’elle faisait peine à voir dans son déguisement de fête raté. J’ai rebondi en adaptant la chanson de Brassens :
– Un bon petit diable entre deux âges
La tête légère et l’œil polisson
S’en vint voir à travers le vitrage
La jolie collection de papillons.
Il fit le plus tendre des bavardages
Faisant des promesses au papillon :
Je t’emmène de ce pauvre village
Dès que tu m’offres tes jolis tétons.
La réponse n’a pas tardé, dans le même style :
– Je t’invite alors à un beau voyage
Si tu veux bien me rejoindre à Lyon.
Tu verras alors tous mes paysages
Les monts d’Or, de Vénus et le secret vallon.
La coquine ! Elle maniait bien les mots finalement. Plus futée que blonde ! Cet échange m’avait donné la fièvre, et j’ai décidé de répondre favorablement à l’invitation. Une série de mails, dont l’objet immanquablement était « papillon », a organisé l’événement. Elle a inventé pour son mari une histoire où elle devait voir l’une de ses sœurs en difficulté conjugale, et elle ne pouvait pas emmener, cette fois, sa fille. Elle avait aussi averti sa famille lyonnaise qu’elle serait de passage à Lyon, seule, le week-end suivant, et qu’elle serait ravie de leur faire un bisou le samedi après-midi, au parc de la Tête d’Or.
De mon côté, j’ai prétexté une réunion professionnelle dans l’ancienne capitale des Gaules.
Je suis arrivé le premier, le vendredi soir, dans un petit hôtel que j’avais réservé, pas loin du Parc et proche également du métro pour accéder facilement au centre-ville. J’étais parti directement depuis Paris, à la sortie du boulot.
Pour Fanny, le voyage serait long : elle n’avait pu partir avant 16 h 30 de son trou occitan. Cela aurait pu être pire. Elle habitait à côté d’une petite gare, et le train passait juste vers cette heure-là pour l’amener jusqu’à Toulouse. Ensuite, correspondance pour Lyon, par Montpellier, où elle arriverait six heures plus tard, soit pas loin de minuit. Quel courage ! Exécuter ce périple juste pour que l’on se voie deux nuits, cela me paraissait extraordinaire et m’excitait terriblement. Il fallait qu’elle eût sacrément envie de me montrer son corps et de m’embrasser. C’était complètement fou ! On ne s’était vus que deux fois et embrassés, pas plus…
Mais qu’est-ce que ça faisait du bien de se montrer complètement déraisonnable et de faire exploser son train-train quotidien !
Évidemment, si je pensais à ma femme et à mes enfants, la culpabilité me plantait un remords acéré dans le foie. Mais il suffisait de penser à autre chose, de se rappeler les baisers échangés, pour que l’euphorie balaie le sentiment de faute. Le sang bouillonnait dans mes veines et j’arpentais sans fin l’espace réduit de ma chambre, incapable de rester tranquille, même devant la télé.
J’ai fini par me rendre au centre-ville, où j’ai dîné d’une pizza quelconque. J’ai ensuite sillonné le quartier de la Part-Dieu, en travaux, une heure avant l’arrivée du train. Au-dessus de la gare, une tour crayon semblait écrire notre destin à l’encre bleu nuit de cette soirée lyonnaise. Ce quartier neuf et moderne, qui sortait du chaos contenu derrière des barrières et des palissades, témoignait d’une énergie revivifiée qui ressemblait fort à la mienne.
Enfin, Fanny est descendue de son train à l’heure dite. Je l’ai vue arriver de loin, menue parmi tous ces voyageurs pressés, marchant d’un pas décidé mais sans se hâter, vêtue comme la dernière fois et traînant derrière elle un sac de voyage à roulettes. Dès qu’elle m’a aperçu, son visage s’est illuminé et fendu d’un large sourire. Elle s’est blottie bientôt dans mes bras, m’a embrassé avec précipitation et a respiré mon odeur comme un animal.
Elle m’a avoué avoir craint que je ne sois pas présent au rendez-vous sans que je puisse la prévenir à cause du réseau souvent déficient des trains. Son soulagement était perceptible et m’a touché. Je lui ai proposé de grignoter quelque chose, mais elle a refusé, pressée de nous voir au lit, attendant manifestement beaucoup de notre première nuit ensemble.
Nous sommes donc rentrés directement à l’hôtel, sa tête posée sur mon épaule, serrés l’un contre l’autre, sans trop parler pour mieux savourer ces retrouvailles.
Nous n’avons pas eu besoin de nous attarder à la réception de l’hôtel, car j’avais gardé avec moi la clef de la chambre. Je l’ai montrée de loin au concierge et, Fanny sur les talons, j’ai monté les marches de l’escalier qui menait jusqu’à la chambre. Je sentais derrière moi Fanny mal à l’aise. À son tour, elle devait être frappée par la culpabilité ou, pire, par un sentiment de déshonneur : on associe facilement, dans les milieux populaires, « hôtel », « jeune femme » et « prostitution »…
Pour évacuer sa gêne sans doute, à peine entrée dans notre espace privé, elle s’est précipitée dans la salle de bains. Peu après, j’ai entendu l’eau couler dans la douche. J’avais déjà pris la mienne. Pendant qu’elle procédait à sa toilette, j’ai fermé les doubles rideaux et éteint les lumières, à l’exception de la petite lampe de chevet de mon côté. J’ai disposé sur la tablette quelques préservatifs, me suis déshabillé et me suis glissé sous les draps. J’étais impatient de découvrir son corps. Je l’imaginais déjà, et cela m’excitait beaucoup. J’étais sur le gril, parcouru d’émotions et d’élans impatients.
Fanny est sortie de la salle de bains, dont la porte ouvrait sur le côté du lit que je lui avais réservé. Elle n’a eu ainsi que trois pas à faire, enveloppée dans la serviette blanche mise à disposition par l’hôtel, avant de se coucher à son tour. Même fugace, la vision de sa silhouette engoncée dans le tissu-éponge, du haut des genoux à la naissance de la poitrine, a revêtu pour moi un fort caractère érotique, qui m’a électrisé. J’ai eu le temps d’apercevoir des jambes fines et nerveuses, aux mollets bien dessinés, et, surtout, une descente de gorge légèrement hâlée et parsemée d’éphélides. Ces taches de son, lorsqu’elles cuivrent la peau d’une femme, ont toujours exercé sur moi un fort attrait, peut-être lié à des réminiscences de nourrisson allaité par une gorge maternelle ainsi tavelée. Mon émotion était à son comble. Elle ne m’avait pas encore touché que j’étais déjà quasiment en apnée et au bord de l’éjaculation. Il fallait absolument que je retrouve un peu de calme et que je me libère de ma tension pelvienne. J’ai déposé un rapide baiser sur ses lèvres rose pâle pour l’accueillir et me suis précipité aux toilettes. J’ai eu un mal fou à uriner avec ce membre congestionné, mais, à force de grandes inspirations, l’érection a faibli, et j’ai pu me libérer un peu de cette tension par un pissou qui m’a brûlé l’urètre. J’ai passé ensuite le gland sous l’eau froide, autant par souci d’hygiène que pour rafraîchir mes ardeurs.
Je suis revenu à ses côtés avec un sourire charmeur. Elle m’a reçu avec un air espiègle, ses yeux rieurs semblant demander : « Soulagé ? » J’ai répondu d’un lever de sourcil ironique et approbateur avant de l’embrasser posément. J’ai essayé de maîtriser mon excitation. Ses boucles blondes me caressaient le nez tandis que ses mains, pour m’attirer contre elle, ont agrippé mes épaules d’une pression légère mais ferme. J’ai interrompu l’embrassade qui s’accélérait et me suis dégagé pour dénouer la serviette qu’elle portait encore. Je la lui ai retirée avec le plus de précaution possible avant de la jeter au pied du lit. Au moment précis où j’ai cru pouvoir contempler son corps, elle a basculé sur moi et éteint la lampe. J’ai gémi à la fois de désappointement et de désir, sentant ainsi son sexe contre le mien. Je n’ai pu m’empêcher, d’un habile coup de reins, de la placer bien sur moi et de la pénétrer aussitôt. Son sexe, immédiatement ouvert et humide, m’a aspiré profondément. Il était doux et vivant comme un coquillage. C’était une sensation que je n’avais jamais connue. Ses pulsions et contractions pompaient littéralement ma verge, démultipliant considérablement l’effet de mes va-et-vient. J’ai joui brutalement avec un cri que je n’ai pas pu retenir. J’ai cru l’entendre gémir, elle aussi, en dépit de la brièveté de nos ébats. Elle est restée ainsi sur moi, posant sa joue sur ma poitrine, tandis que je reprenais difficilement haleine. Entre deux respirations, je me suis excusé. Elle a haussé les épaules. Elle m’a rassuré en rappelant qu’il n’y avait pas de résultat à atteindre, juste à se donner entièrement à l’autre. Elle s’est ensuite inquiétée, constatant que j’étais toujours aussi essoufflé, de savoir si elle ne pesait pas trop lourdement sur moi. Je lui ai répondu que c’était un désir persistant qui saccadait ma respiration. Elle a remarqué en riant que ce devait être plutôt bon signe. J’ai répondu en grimaçant que, même si elle trouvait que l’asphyxie était un signe positif, je préférais retrouver ma respiration. Aussitôt, elle m’a embrassé puissamment après m’avoir expliqué qu’elle me sauverait grâce à un bouche-à-bouche adapté.
Ce baiser a duré longtemps. À la fin, je me suis senti apaisé et définitivement amoureux. C’est alors que je me suis souvenu soudainement des préservatifs déposés – et oubliés – près de la lampe. Une fois encore, elle m’a rassuré en me disant qu’elle prenait la pilule et qu’elle me faisait confiance, tout comme je lui faisais confiance. Elle a coupé court à mes objections en plongeant aussitôt sous les draps avec l’intention manifeste de revigorer mon sexe abattu. Mais j’ai eu de nouveau envie d’uriner. Je l’ai donc arrêtée dans son élan en lui précisant que je devais me rendre aux toilettes. De retour, j’ai masqué mon embarras en lui expliquant que mon médecin m’avait toujours conseillé d’uriner, puis de me laver immédiatement après un rapport sexuel, et que j’en avais pris l’habitude. Elle a eu l’air amusée, mais je n’appréciais pas qu’elle me prenne pour un papy un peu maniaque. Heureusement, cela ne lui a pas fait passer son désir de faire l’amour, et elle m’a accueilli avec beaucoup d’envie. J’ai parcouru le moindre grain de sa peau de blonde, enivré par son odeur discrète, renforcée par des effluves marins et soulignée par un trait de Chanel No 19, que j’avais reconnu immédiatement. Ce parfum avait la faculté de me rendre fou. J’ai retrouvé une érection suffisante pour un nouveau rapprochement, mais en même temps une pression insoutenable au bord de l’urètre ! Je n’ai pas pu faire autrement que de passer à nouveau aux toilettes ! Quand je suis revenu, évidemment, elle m’a regardé avec un drôle d’air. Je n’en ai pas tenu compte et lui ai fermé les yeux de légers baisers avant de la pénétrer doucement. Cette fois, je l’ai entendue nettement gémir, comme le miaulement bref d’un tout petit chaton posé dans un souffle de bien-être. J’étais complètement vidé, incapable du moindre geste, du moindre mot. Je pouvais juste la regarder, devinant à peine son visage satisfait et ses yeux verts pailletés d’or qui me remerciaient. Petit à petit, nos respirations se sont harmonisées et nous ont entraînés dans une vague somnolence. Je n’en revenais pas d’avoir contre moi ce corps de jeune femme blonde qui se donnait aussi simplement. Cette pensée s’agitait en moi et m’a mis dans un état de tension nerveuse qui a eu une influence continue sur ma vessie. J’ai dû me relever trois ou quatre fois au cours de cette courte nuit – une façon comme une autre, je suppose, pour mon inconscient, de veiller à ce que je ne m’endorme pas trop profondément pour bien profiter de sa présence. Je lui ai quand même raconté qu’enfant, je ne pouvais pas regarder un film à la télévision sans être obligé d’aller pisser trois ou quatre fois tellement j’étais pris par l’action. Ce réflexe incontinent en situation de stress émotionnel me poursuivait apparemment toujours. L’idée que notre première nuit pouvait me faire flipper à ce point l’a remplie de joie : pour elle, cela prouvait l’importance que j’accordais à notre relation et à son devenir. Ce n’est qu’au petit matin que je me suis écroulé de fatigue, et c’est la sonnerie du téléphone de la chambre qui m’a réveillé en sursaut. Tout en le décrochant, je me suis extasié en découvrant, sur l’oreiller voisin, le visage clair d’un ange qui me souriait, les yeux encore embrumés de sommeil.
J’ai ensuite découvert une partie de sa famille. Installé, anonyme, à la terrasse de la buvette du parc de la Tête d’Or, j’ai attendu le retour de Fanny, qui déambulait avec sa mère, l’une de ses sœurs et ses gamins. Je les ai vus passer tout près de moi. Si la sœur, la quarantaine, brune, était presque aussi jolie qu’elle, sa mère était une horreur. Le corps obèse précédé d’une poitrine énorme, la bouche sans dents qui mâchouillait sans cesse, les bajoues qui pendouillaient, les cheveux jaunes et raides comme une botte de foin, elle s’avançait en se dandinant. Elle m’a aussitôt été antipathique.
Fanny a profité de l’occasion pour m’accoster, comme si j’étais un inconnu, et m’a demandé, l’air de rien, de la prendre en photo avec sa famille. Je me suis exécuté sans rien dire, à peine civil, sidéré par sa hardiesse. Elle avait ainsi la preuve qu’elle était bien à Lyon ce week-end avec sa famille. Son mari ne pourrait que la croire. Quand il le fallait, elle savait admirablement mentir.
Le 30 mai, 15 heures
De retour à l’unité, les gendarmes Dessaux et Ducasse remarquent, dans la pièce à côté de l’accueil, un homme effondré sur sa chaise. Derrière le bureau, le major Agar semble bien ennuyé.
Le maréchal des logis-chef Ducasse lui fait signe pour savoir ce qu’il se passe. L’autre hésite, lève les épaules, puis approche.
– C’est le chauffeur du bus. Je n’arrive pas à le faire parler de l’accident. Il est choqué. Le docteur lui a pourtant fait une piqûre, mais ça ne le rend pas bavard pour autant.
– Tu veux que je m’y colle, André ? Parfois, il suffit de changer d’interlocuteur… Et puis je le connais bien.
– Essaie donc, Victor. Il n’est pas question qu’il parte d’ici sans nous avoir raconté ce qu’il a vu.
– Mais pourquoi ? Il n’y est pour rien ! s’écrie la gendarme.
– Et comment tu sais cela ? demande sèchement le major.
– Laisse, André, c’est ses intuitions féminines qui lui parlent ! Elle est persuadée que c’est un type à poil sur son transat qui a tout fait depuis le village voisin.