Contes et légendes créoles - Jessica & Didier Reuss-Nliba - E-Book

Contes et légendes créoles E-Book

Jessica & Didier Reuss-Nliba

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Beschreibung

Le conte antillais est né et s’est développé à partir du XVIe siècle dans les habitations coloniales. En général, une fois la nuit tombée, le maître « béké » (blanc) autorisait ses esclaves à se réunir afin d’écouter celui qui allait leur raconter des histoires : le conteur. Toutes ces histoires recueillies en créole auprès des amis et de la famille du couple REUSS-NLIBA sont classées en deux grandes catégories : les contes d’animaux et les contes d’humains et de créatures surnaturelles.
Les contes d’animaux forment des cycles centrés sur les aventures d’un héros récurrent comme, par exemple, le cycle de la baleine, de l’éléphant, de la tortue, et surtout celui de Compère Lapin. La plupart des animaux appartiennent évidemment à la faune antillaise : on y trouve des araignées, des colibris, des serpents et bien sûr des lapins. Par contre, d’autres n’y ont jamais eu d’existence réelle : l’éléphant, le lion ou le tigre ne vivent qu’en Afrique ou en Asie, et le singe a été exterminé aux Antilles il y a bien longtemps.
Les contes à personnages humains et surnaturels sont souvent des histoires romanesques, des contes d’amour, ou des contes d’inspiration morale et religieuse. Ces contes nous emmènent dans un monde où peuvent s’entremêler la fiction et le quotidien, et où la faiblesse, associée à l’esprit d’initiative et à l’intelligence, se trouve opposée à la force cruelle : dans ces histoires, le Grand Diable, la Diablesse, le Monstre symbolisent la force mauvaise, alors que des fillettes, Cécène, Ti-Choute ou Petite Marie représentent la faiblesse, l’innocence, mais aussi la pureté.
Pour lutter contre les forces du mal, intervient généralement un jeune garçon, pas très costaud mais très futé, comme par exemple Ti Jean.


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Couverture

Page de titre

À Léa, Stevens, Théodore, Andréa, Jeanne et Eliot Charlotte Mollet

À la mémoire d’Hélène

Merci à tous nos amis, à notre famille, de France, d’Afrique, des Antilles et d’ailleurs. Merci à tous ceux qui nous ont aidés à collecter ces contes (et vous êtes nombreux). Cet ouvrage vous est dédié, ainsi qu’à nos enfants, Alyssa, Léna et Rivel, qui sont notre principale source d’inspiration.

Merci à Galina, qui nous a fait confiance une nouvelle fois pour cet ouvrage, et avec qui nous avons pris beaucoup de plaisir à travailler.

Didier et Jessica Reuss-Nliba

Avant-propos

Le conte « antillais » est né et s’est développé à partir du XVIe siècle dans les habitations coloniales. En général, une fois la nuit tombée, le maître « béké » (blanc) autorisait ses esclaves à se réunir afin d’écouter celui qui allait leur raconter des histoires : le conteur.

Le conte, dont les racines provenaient des différents pays d’Afrique, avait bien sûr pour fonction principale de distraire et d’amuser, mais, aux Antilles, il avait aussi une fonction de « résistance », à travers laquelle on pouvait deviner des paroles et des messages interdits, et certains héros et personnages récurrents représentaient les esclaves eux-mêmes, ou bien le maître :

Ti-Jean : « Petit Jean » représente la fragilité et la faiblesse, mais aussi la ruse et l’intelligence.

Misyé Li Wa : « Monsieur le Roi » symbolise le maître de la plantation.

Compè Lapin : « Compère Lapin », très présent dans les contes qui vont suivre, représente la malice, le cynisme et la débrouillardise.

Compè Zamba : « Compère Zamba » est un éléphant qui représente l’esclave travaillant dans les champs de cannes à sucre. « Zamba » peut également parfois désigner une chèvre.

Gran’yab : le « Grand Diable » représente toujours le maître « blanc » dans les habitations coloniales.

Le conteur utilisait traditionnellement énormément d’onomatopées, ce qui permettait de capter l’attention de l’auditoire et de créer de longues digressions humoristiques. Le conteur délivrait ainsi des comptines, des devinettes ou des histoires drôles, et provoquait de temps à autre des dialogues tels que :

– Yéééé-Krik ? hurle le conteur.

– Yéééé-Krak ! répond alors l’assemblée.

– Kouté pou tann pou konpwan mé pa mélé non mwen adan bagay la sa ! Écoutez pour entendre, écoutez pour comprendre, mais ne vous mêlez pas de ces choses-là…

Ensuite le conteur lance une fable, puis, d’un coup, une petite devinette :

– Sa ki ka fè y pa ka sevi’y, sa ki sèvi’y pa té ké pé kloué’y ? Qui l’a fait ne s’en sert pas, et celui qui s’en sert ne peut l’avoir construit ?

– Un cercueil, doit alors répondre l’assemblée, etc.

Parfois, on trouve également des personnages importés d’Afrique, comme par exemple Bouqui la Hyène (que l’on retrouve notamment en Haïti), mais ses actions ont été transposées dans un contexte antillais.

Nous avons longuement réfléchi à la manière dont on pouvait classer tous ces contes. Nous avions tout d’abord voulu les regrouper par zones géographiques, cela afin de respecter les traditions littéraires propres à chaque région (Guadeloupe, Guyane, Haïti et Martinique), mais cela nous est apparu quelque peu compliqué et aléatoire de localiser l’origine de certains contes (les histoires autour de Compère Lapin, par exemple, sont souvent communes à la Guadeloupe et à la Martinique). Nous avons finalement pris le parti de classer toutes ces histoires en deux grandes catégories : les contes d’animaux et les contes d’humains et de créatures surnaturelles.

Les contes d’animaux constituent des cycles centrés sur les aventures d’un héros. Il existe, par exemple, un cycle de la baleine, de l’éléphant, de la tortue, et surtout celui de Compère Lapin. Dans bien des contes, ces personnages se trouvent associés au sein du même récit, qui devient alors le cadre d’une longue intrigue où seul le plus malin triomphe. Le cycle de Compère Lapin est probablement le plus populaire. On peut comparer le Compère Lapin antillais au Leuk le Lièvre d’Afrique occidentale, ou encore au Renard en France. Le lapin antillais possède en effet les mêmes traits de caractère que le lièvre africain ou le renard français : il est rusé, débrouillard, malin, et très souvent sympathique. Son antagoniste le plus fréquent, le tigre, est crédule, un peu naïf, lourd d’esprit, un peu à l’image de l’hyène des contes africains ou du loup des contes de Métropole.

La plupart des animaux appartiennent évidemment à la faune antillaise : on y trouve des araignées, des colibris, des serpents et bien sûr des lapins. Par contre, d’autres n’ont jamais eu d’existence réelle : l’éléphant, le lion ou le tigre ne vivent qu’en Afrique ou en Asie, et le singe a été exterminé aux Antilles il y a bien longtemps.

Les contes à personnages humains et surnaturels sont souvent des histoires romanesques, où il serait possible de distinguer des sous-catégories, comme les contes d’amour, ou les contes d’inspiration morale et religieuse. Des animaux apparaissent aussi mais leur rôle est secondaire. Ces contes nous emmènent dans un monde où peuvent s’entremêler la fiction et le quotidien, et où la faiblesse, associée à l’esprit d’initiative et à l’intelligence, se trouve opposée à la force cruelle : dans ces histoires, le Grand Diable, la Diablesse, le Monstre symbolisent la force mauvaise, alors que des fillettes, Cécène, Ti-Choute ou Petite Marie représentent la faiblesse, l’innocence, mais aussi la pureté. Pour lutter contre les forces du mal, intervient généralement un jeune garçon, pas très costaud mais très futé, comme par exemple Ti Jean.

Pour chaque conte, nous avons alors précisé l’origine : il s’agit de l’origine de la personne auprès de qui nous avons recueilli l’histoire. Beaucoup de contes nous ont été transmis oralement, mais, s’agissant de contes « classiques », nous avons parfois retrouvé des versions de ceux-ci dans des ouvrages anciens. Lorsque c’est le cas, la référence est alors toujours précisée dans les notes de fin d’ouvrage.

Nous nous sommes efforcés de rester aussi proches que possible des contes originaux, seules des améliorations linguistiques ont été apportées afin de donner une unité de style à l’ensemble des textes (par exemple, par l’ajout de l’imparfait ou du passé simple, la plupart des textes nous ayant été rapportés au présent). Parfois, nous avons trouvé plusieurs variantes d’un même conte, c’est alors un mélange des différentes versions que nous avons retranscrit. Lorsque le titre nous a été donné en créole, nous l’avons traduit en français, mais nous avons alors systématiquement mis une note en fin d’ouvrage pour préciser le titre original.

Lorsque certains de nos amis ont su que l’on travaillait sur des contes créoles, beaucoup ont fouillé dans leurs mémoires et nous ont rapporté leurs souvenirs d’enfance. Un grand merci à toutes celles et tous ceux – famille, amis, amis d’amis, anciens collègues – qui nous ont rapporté quelques-unes de ces petites histoires, ou conté des histoires durant des soirées antillaises, et dont les noms figurent dans les notes à la fin de cet ouvrage. C’est aussi grâce à vous que cet ouvrage s’est construit au fil des mois !

Contes d’animaux

La splendeur de Coq

Il y a de cela bien longtemps, Compère Jaguar régnait en maître absolu sur la grande forêt. Il lui suffisait de lever une patte, de pointer sa griffe pour que tous les animaux de la forêt se mettent immédiatement à trembler, et bien entendu personne n’osait le contredire ni même lui faire la moindre remarque.

Compère Jaguar avait toujours voulu s’attirer la sympathie des nobles de la cour, et c’est la raison pour laquelle il avait décidé d’organiser chaque début de mois un immense festin.

Le jour du festin était venu, de nombreux invités arrivèrent en tenue de soirée. Une énorme table avait été dressée, sur laquelle chacun pouvait se servir à volonté de viandes, de poissons et de légumes préparés de diverses manières. Compère Jaguar s’installa sur son trône, puis il invita ses hôtes à s’asseoir et à se servir.

– Allez-y, mes amis, servez-vous, régalez-vous et profitez de cette belle soirée !

Les invités s’installèrent et commencèrent à se servir. L’atmosphère se détendit rapidement. Chacun dégustait selon son envie les nombreux plats qui étaient posés au milieu de la table.

Bien sûr, Compère Jaguar ne tarda pas à faire de même et il se servit à plusieurs reprises, alternant viandes et poissons qu’il engloutissait sans même prendre le temps de mâcher. C’est alors qu’un énorme rugissement se fit entendre, glaçant d’effroi tous les convives.

Certains sursautèrent au point de lâcher leur assiette qui se brisa sur le sol, d’autres prirent peur et s’enfuirent sans chercher à comprendre ce qui se produisait, d’autres enfin crurent bon de se réfugier sous la table.

– Que se passe-t-il donc ? demanda le maître d’hôtel à Compère Jaguar.

– J’ai une arête de poisson coincée dans la gorge, répondit Compère Jaguar en hurlant de douleur.

– Il vous faut boire de l’eau à grandes gorgées, et l’arête va finir par glisser, conseilla le maître d’hôtel.

Mais Compère Jaguar commençait à suffoquer, il fallait donc réagir au plus vite. Les quelques invités qui ne s’étaient pas enfuis se levèrent de table et se rendirent à la hâte vers la rivière en aval de la maison, afin de récolter autant d’eau que possible et la rapporter à Compère Jaguar. Mais, en arrivant au bord de la rivière, les nobles de la cour furent accueillis par des chants de crapauds et de cafards :

– Crooâ, crooâ ! firent les crapauds.

– Kriik, kriik ! rétorquaient les cafards.

L’un des convives s’écria :

– Ce sont les esprits des eaux ! Si nous tentons de nous approcher, ils risquent de nous dévorer et de nous emporter au fond de la rivière.

Un autre ajouta :

– Ne restons pas là, c’est bien trop dangereux !

Un troisième s’inquiéta pour Compère Jaguar :

– Mais l’eau pour notre maître ?

Le premier se contenta de répondre :

– Tant pis pour lui.

Les convives revinrent vers la maison de Compère Jaguar, et ils se présentèrent l’air confus à lui et se contentèrent de dire à voix basse :

– Maître, nous sommes confus, mais la rivière est peuplée d’esprits malfaisants qui nous ont défendu de puiser de l’eau.

Le Jaguar, en entendant cette excuse, piqua une énorme colère :

– Vous n’êtes qu’une bande de lâches, je devrais tous vous tuer pour votre manque de courage !

Les convives, terrifiés à l’idée d’être massacrés par le Roi, quittèrent immédiatement la maison et s’enfuirent dans la forêt. Compère Jaguar, fou de colère, se mit à hurler, ce qui eut effet d’enfoncer l’arête un peu plus dans sa gorge. Le Jaguar commençait à suffoquer.

Au loin, Compère Coq et sa famille furent attirés par tout le vacarme du Jaguar. Ils s’approchèrent et aperçurent le Roi suffoquant. Le Coq, à cette époque, était un volatile banal. Il ne possédait pas encore de crête et ses plumes étaient grises, sans aucun panache. Cependant, il était réputé pour être brave, courageux et audacieux. Apercevant le Jaguar qui était en train de s’étouffer, le Coq se précipita spontanément vers lui :

– Vos invités ont-ils peur à ce point des esprits de la rivière pour se sauver ainsi ?

– Il semble que oui, répondit le Jaguar en grognant.

– Eh bien, moi, je suis prêt à braver les esprits pour vous rapporter l’eau qui vous sauvera la vie ! claironna le Coq.

– Si tu fais cela, dit Compère Jaguar, et si tu parviens à me sortir cette arête de ma gorge, je t’accorderai tout ce que tu désires…

Le Coq partit donc à la rivière, accompagné de son épouse et de leurs Poussins. Arrivés à la rivière, ils furent eux aussi accueillis par les chants des crapauds et des cafards, qui tous en chœur, criaient :

– Crooâ, crooâ ! Kriik, kriik ! Crooâ ! Kriik, kriik !

Mais le Coq et sa famille ne se laissèrent nullement impressionner par tous ces cris. Après tout, ils avaient l’habitude de picorer des cafards et autres cancrelats à longueur de journée pour se nourrir. À coups de bec, ils tuèrent ainsi les dizaines de cafards et se régalèrent. Les crapauds ne demandèrent pas leur reste et quittèrent les lieux, de peur d’être eux aussi picorés.

Le Coq, son épouse la Poule et tous les Poussins remplirent alors des calebasses d’eau fraîche et la rapportèrent au Jaguar, qui la but à grandes gorgées.

– Moi et les miens avons vaincu les esprits de la rivière ! s’écria fièrement le Coq.

Enfin soulagé, le Roi reprit son calme, s’installa sur son trône et s’adressa au Coq :

– Je te félicite, toi et ta famille, pour votre courage, alors, comme promis, demande-moi ce qui te ferait plaisir, et je te l’accorderai.

– J’aimerais devenir le plus beau volatile de toute la basse-cour, répondit le Coq, levant fièrement la tête vers le Roi.

– Qu’il en soit ainsi ! répondit Compère Jaguar.

C’est ainsi que le Coq se vit attribuer un plumage aux multiples couleurs vives, ainsi qu’une belle crête toute rouge sur le haut de sa tête. Ses pattes furent également ornées de puissants ergots.

On dit que c’est depuis ce jour-là que le Coq est devenu le roi de la basse-cour.

L’histoire du hibou

La plupart des gens savent que le hibou est un oiseau très timide. Il se croit si laid qu’il pense que, s’il lui arrive malencontreusement de croiser quelqu’un, personne n’osera vraiment le regarder en face, si laid que des enfants se mettent parfois à hurler lorsqu’ils l’aperçoivent, si laid qu’il cause souvent des accidents de la route, etc. C’est pour toutes ces raisons-là et bien d’autres encore que le hibou ne sort jamais en pleine journée, qu’il préfère attendre bien sagement la tombée de la nuit : lorsqu’il fait bien sombre, personne ne peut plus le voir, alors il peut commencer ses activités.

Voilà qu’un soir le hibou rencontra une jeune fille. Tous deux se mirent à parler de tout et de rien. La fille lui proposa alors de venir chez elle afin de continuer leur discussion. Le hibou accepta et tous les deux s’assirent devant l’entrée de la maison de la jeune fille et parlèrent durant de longues heures. Lorsque le jour commença à pointer, le hibou prit finalement congé de la jeune fille. Il revint dès le soir suivant, et les deux amis reprirent leur longue discussion de la veille. Les deux amis semblaient s’apprécier. Par moment, ils se tenaient même la main, comme s’ils commençaient à tomber doucement amoureux l’un de l’autre.

Le hibou revint chaque nuit : il passait de longues heures avec sa douce, puis s’éclipsait et s’envolait dès les premiers rayons de soleil, si bien que celle-ci ne voyait jamais à quoi ressemblait son prétendant.

Dans la journée, la jeune fille parlait à toutes ses amies de cette rencontre qui avait bouleversé sa vie.

– Mais pourquoi ton ami le hibou ne vient-il jamais te voir durant la journée ? demanda une des amies de la jeune fille.

– C’est parce qu’il travaille, répondit simplement celle-ci, et, lorsqu’il rentre chez lui, il doit faire le ménage, préparer son repas, et s’occuper de sa maison avant de venir me rendre visite, à la tombée de la nuit.

– Nous aimerions bien le rencontrer et faire sa connaissance, dit une autre de ses amies.

– Pourquoi pas ? dit la jeune fille. Il ne travaille pas le dimanche, alors si vous organisiez une grande fête en son honneur ? Ainsi vous pourriez toutes faire enfin sa connaissance ! N’est-ce pas une superbe idée ?

Le soir venu, la jeune fille attendit patiemment son amoureux, et, lorsque celui-ci arriva, elle l’invita pour le dimanche suivant.

– Ce sera une très grande fête en ton honneur, une fête organisée par mes meilleures amies.

Le hibou se sentit gêné en raison de sa grande timidité, mais il se laissa convaincre par sa douce et finit par accepter.

– Je le ferai par amour pour toi, répondit-il alors.

Plus le dimanche approchait et plus le hibou se sentait nerveux, à tel point qu’il finit par demander à son ami le coq de bien vouloir l’accompagner afin de le rassurer. Le dimanche matin, ils se mirent tous les deux en route. Pendant qu’ils marchaient côte à côte, le hibou se mit à se comparer à son ami le coq :

– Tu es grand et bien habillé, tu as une belle crête colorée sur ta tête, à côté de toi, je me sens bien morne et triste.

Le hibou se sentit de plus en plus mal à l’aise à mesure qu’ils approchaient de la maison de son amie. Puis, au moment d’entrer dans la maison, il s’écria :

– Mon ami, je viens de réaliser que j’ai oublié quelque chose chez moi. Vas-y sans moi et tu diras à ma douce et à ses amies que j’arrive bientôt.

Le coq frappa, entra et transmit le message du hibou. Le hibou, quant à lui, attendit chez lui toute la journée, et n’arriva que tard dans la soirée, alors que la nuit commençait à tomber. Il craignait que sa douce ne fût fâchée de son retard, mais néanmoins il se dirigea vers sa maison, d’un air assuré.

Sous le porche, juste devant la porte d’entrée, il aperçut son ami le coq qui se tenait là, l’air effrayé :

– Hibou, qu’est-ce que tu as mis sur ta tête ?

– C’est un chapeau, tout le monde met un chapeau, c’est très chic, répondit celui-ci.

– Certes, mais en général, ça se porte SUR la tête, et non pas AUTOUR de la tête comme tu l’as fait, rétorqua le coq.

– Je sais bien, renchérit le hibou, mais je ne supporte pas la lumière, alors mon chapeau ainsi porté me protège les yeux. Mais laisse tomber mon chapeau, et dis-moi plutôt si les invités sont en colère pour mon retard.

– Ils risquent de l’être pour de bon si tu tardes encore à entrer !

– Alors j’entre de suite, mais puis-je te demander un petit service ?

– Si tu veux, de quoi s’agit-il ?

– Je dois être de retour chez moi avant le lever du soleil car je ne veux surtout pas que la jeune fille puisse voir mon visage à la lumière du jour. Est-ce que tu peux me prévenir à temps, et te mettre à chanter ton « cocorico » un peu plus tôt que d’habitude ?

– D’accord mon cher hibou, pas de problème… Allez, entre maintenant !

Quand le hibou entra dans la maison de la jeune fille, la fête battait son plein, il y avait de la musique et beaucoup d’invités dansaient sur un rythme endiablé. Le hibou se laissa entraîner par le rythme ambiant. Il s’excusa tout d’abord pour son retard, et proposa à sa jeune amie de bien vouloir danser avec lui. Le hibou fut tellement pris par l’atmosphère qu’il ne fit aucune attention au temps qui s’écoulait. Le coq, quant à lui, qui avait bien bu durant l’après-midi et le début de la soirée était reparti quelque peu ivre. Il eut alors du mal à se réveiller et le jour était déjà bien levé lorsqu’il poussa son « cocorico ».

Pendant ce temps, le hibou, qui était toujours en train de danser, finit par remarquer que la lumière du jour commençait à entrer dans la pièce. Lorsqu’il réalisa que l’obscurité avait disparu, il s’affola, cherchant un endroit par où s’enfuir au plus vite.

« Si ma belle voit mon visage en plein jour, c’est certain, elle va remarquer à quel point je suis laid et elle ne voudra plus jamais me parler. »

Le hibou voltigea dans tous les sens. Dans sa panique, son chapeau tomba sur le sol. Il finit par ouvrir une fenêtre et s’enfuit aussitôt. La jeune fille, qui ne comprenait pas la réaction subite de son compagnon, s’écria :

– Hibou, qu’est-ce qui t’arrive ? Reviens vite !

Elle se précipita à la porte, mais trop tard. Le hibou, qui d’ailleurs ne l’avait pas entendue, s’était déjà envolé. La jeune fille, déçue, rentra dans la maison. Ni elle ni personne parmi tous les invités ne comprenaient le comportement du hibou. Tout le monde s’arrêta de danser et se mit à ranger la pièce. La jeune fille se sentait bien triste et avait envie de pleurer. Le soir suivant, elle retourna à l’endroit où ils s’étaient rencontrés et où ils avaient l’habitude de se retrouver depuis ce jour, mais le hibou ne vint pas. Elle retourna alors chez elle et s’assit devant l’entrée sous le porche, mais le hibou n’était pas là non plus…

Chaque soir, depuis ce jour, la jeune fille attend devant chez elle, avec l’espoir que son ami le hibou reviendra. Souvent elle pense à lui et revoit son visage avec nostalgie : son beau visage presque rond, ses grands yeux sombres et son petit nez pointu. C’est ce visage qui l’a attirée tout de suite lors de leur première rencontre. Mais cela, le hibou ne l’a jamais su tant il se croit laid.

La jeune fille attend son compagnon le hibou depuis des mois, avec l’espoir que celui-ci revienne un soir. Mais chaque matin, au lever du jour, lorsque le coq se met à chanter son « cocorico », elle se demande toujours pourquoi le hibou s’est enfui si subitement.