Contes et légendes du Bénin - Patrice Tonakpon Toton - E-Book

Contes et légendes du Bénin E-Book

Patrice Tonakpon Toton

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Beschreibung

Une anthologie de contes traditionnels réalisée en collaboration avec l’association de conteurs de Cotonou (Bénin).


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Couverture

Page de titre

Introduction

Les contes constituent une littérature orale permettant la transmission de génération en génération des récits, faits, croyances et valeurs des peuples qui les racontent.

Nul ne connaît l’origine des contes du Bénin ; ils appartiennent à la société dont ils sont issus. Ainsi, on entend dire par exemple : ce conte est fon ou mahi (ethnies du centre du Bénin), ou bien ce conte est yoruba (ethnie du sud-est du Bénin), ou encore cet autre conte est bariba (ethnie du nord Bénin).

Ces contes, on les écoutait, autrefois, après que le soleil a étalé à l’horizon ses rayons couleur d’huile de palme pour laisser place à la nuit. On les écoutait seulement quand la lune perce le pagne noir de la nuit et vient, accompagnée de ses milliers d’enfants les étoiles, semble-t-il pour défier le soleil orphelin des siens, mais aussi pour éclairer nos soirées contées.

De Porga, à la frontière entre le Bénin et le Burkina-Faso, jusqu’à la côte sablonneuse de Cotonou, sur les plages de l’océan Atlantique, en passant par les collines de Savalou et les murs rouges de la ville historique d’Abomey ; de Kraké, près du Nigeria, jusqu’aux portes du Togo, à Grand-Popo, en passant par la vallée de Sitatunga à Zinvié, les conteurs de l’association socioculturelle Katoulati recueillent des contes traditionnels pour leur donner une nouvelle vie.

Comme le disent les sages, les meilleures connaissances sont celles qui mènent l’homme vers l’homme. Les conteurs de Katoulati ont rencontré Magali Brieussel et, ensemble, ils ont décidé d’élaborer ce recueil qui se trouve entre vos mains. Et voilà ! Des contes d’origine béninoise racontés par une Française, un peu pour confirmer l’universalité des contes et les rendre accessibles aux lecteurs francophones – puis un jour, pourquoi pas, aux lecteurs anglophones et lusophones.

Ce recueil nous rappelle, on ne le dira jamais assez, qu’au-delà des différences, des cultures, il y a un seul liquide rouge, le sang, qui rythme le battement de nos cœurs, que les contes d’ici ou d’ailleurs renferment des archétypes qui cimentent l’humanité et véhiculent les valeurs humaines auxquelles aspirent les hommes, les femmes, les enfants de toutes les origines.

Les personnages des contes sont des êtres humains, des animaux, des éléments de la nature, des génies, des esprits, des dieux. Tous sont différents mais se complètent pour raconter l’univers à travers divers thèmes : la cosmogonie, les origines du monde, l’enfant, l’amour, l’amitié, la nature, la fécondité, la mort, l’initiation, l’héroïsme, la richesse, la pauvreté, la vie quotidienne, les animaux…

Mesdames et messieurs, bienvenue au clair de lune et, comme on le dit chez nous, « mon conte vole vite, vite, vite ! »

Patrice Tonakpon Toton, au nom des conteurs de Katoulati

Avant-propos

Des rencontres et des contes

De même que mon recueil de contes de Bornéo, publié en collaboration avec l’exploratrice Mady Villard (cf. bibliographie en fin de volume), le présent recueil est né d’une rencontre imprévue. En novembre 2013, j’avais été invitée au Bénin par Héloïse Cuillier, alors directrice de la médiathèque de l’Institut français de Cotonou, dans le cadre de la Semaine du Livre Béninois de Jeunesse (Selibèj). Ateliers d’écriture et lectures ponctuèrent ce court séjour. Court, certes, mais intense et riche en rencontres.

C’est à cette occasion que je fis la connaissance de Patrice Tonakpon Toton, fondateur et président de Katoulati ; cette association regroupe, depuis 2009, des conteurs béninois qui œuvrent dans leur pays et à l’étranger à la conservation et la transmission de contes traditionnels du pays. Patrice me réserva la surprise, le soir de ma conférence de clôture à l’Institut français, d’envoyer sur scène Parfait Dossa et Fancy Zinsou, deux jeunes conteurs travaillant à ses côtés, pour qu’ils racontent un des contes de Bornéo. Quelle émotion pour moi, Européenne qui avais mis en forme ces légendes asiatiques, de les voir revivre dans les voix et les corps de ces conteurs africains ! Plus encore que le plaisir de retrouver mes mots réincarnés chez d’autres, c’est cet harmonieux mélange des cultures qui me toucha profondément. Je sentis que ces conteurs et moi, nous pourrions faire quelque chose ensemble.

La collaboration avec l’association Katoulati

Il se trouve justement que les conteurs de l’association Katoulati cherchaient, depuis quelque temps, à fixer par écrit les contes qu’ils récoltaient dans tout le Bénin et qu’ils racontaient lors de tournées, notamment dans les écoles de leur pays, mais aussi à l’occasion de festivals en Afrique et en Europe. Grâce au financement européen du Programme Société Civile et Culture, ils avaient publié cette année-là un premier recueil de trente histoires, Xo lomi lomi. Contes utiles, bons à dire et à entendre, imprimé par les éditions béninoises Plumes Soleil à deux cents exemplaires (distribués gratuitement). Il mettait en valeur un travail de collecte, de traduction et de transcription de longue haleine.

Dans ce contexte, pourquoi venir mettre mon grain de sel et proposer de réécrire ces contes une nouvelle fois ? À la lecture, je m’étais aperçue que, malgré tout le soin apporté par les auteurs et conteurs béninois ayant travaillé sur Xo lomi lomi, il fallait encore fluidifier l’expression, homogénéiser le style, rendre les textes plus vivants grâce à des dialogues, les étoffer avec des descriptions et évocations de coutumes locales. Ces histoires provenaient de l’oralité, elles en étaient encore trop proches. Conter face à un public, aussi restreint soit-il, est un métier à part entière, que je ne maîtrise absolument pas ; raconter à l’écrit, à l’intention d’un lecteur souvent solitaire, en est un autre, dont je commence à connaître les codes et méthodes. Je proposai ainsi à Patrice et aux conteurs de Katoulati de m’appuyer sur leurs travaux pour parachever la démarche d’écriture.

Le début du travail d’écriture

Pour commencer, je sélectionnai une quinzaine de contes dans Xo lomi lomi, privilégiant les textes bien construits, mais aussi la variété des thématiques. J’avais, en tant que Française connaissant à peine le Bénin, le privilège du regard neuf qui remarque les particularités locales et s’en étonne. Cette naïveté rendait cependant indispensable ma collaboration avec les conteurs béninois, seuls à même de m’expliquer certaines coutumes et d’attirer mon attention sur les formulations caractéristiques de leur art et celles qui, au contraire, leur paraîtraient inappropriées.

Pendant plusieurs mois, nous travaillâmes à distance, par e-mails interposés. Mais très vite, je ressentis la nécessité de retourner au Bénin afin d’entendre les conteurs dans leur contexte familier et de les questionner de vive voix. J’adressai alors une demande de bourse d’écriture à la Région Languedoc-Roussillon, qui répondit favorablement.

Retour à Cotonou

En octobre 2015, je retournai donc à Cotonou, où je fus accueillie avec beaucoup d’égards et de chaleur par Patrice, ainsi que ses amis et collaborateurs. Mon séjour dura cette fois deux semaines, pendant lesquelles je me consacrai à ce travail sur les contes, tout en animant, en parallèle, un atelier d’écriture avec douze Béninois aussi énergiques que talentueux (mais ceci est une autre histoire).

D’une part, je relus les textes que j’avais réécrits, en présence de deux à huit conteurs. Réunis chaque soir dans ce but, nous traquions les incohérences et les répétitions, essayions d’intégrer davantage d’éléments locaux, évoquions des variantes. Ce fut l’occasion, souvent, d’entendre sur le vif de nouvelles histoires, que je pus inclure au présent recueil. Certains contes soulevèrent de passionnants débats : fallait-il absolument punir de mort tel ou tel personnage ? Tel autre personnage était-il vraiment nécessaire à l’intrigue ? Certaines ellipses devaient-elles être conservées, ou bien comblées par une explication logique ? Ces échanges sur place nourrirent mon travail au-delà de mes espérances !

D’autre part, Katoulati sélectionna dans ses archives une vingtaine d’histoires supplémentaires ; je sélectionnai celles qui me semblèrent les plus intéressantes (une douzaine), afin de les réécrire sur place, de les soumettre d’emblée aux conteurs béninois et de recueillir leurs commentaires et rectifications.

Enfin, Patrice et ses collaborateurs organisèrent une veillée de contes dans le village de Zinvié, à une trentaine de kilomètres au nord de Cotonou, afin que je me fasse une idée du contexte dans lequel les contes sont traditionnellement racontés. Au bord d’une piste de brousse, à deux pas d’une pompe à eau à laquelle des femmes venaient remplir de grandes bassines en fer-blanc, une paillote ouverte aux quatre vents et couverte d’un toit de tôle accueillit la veillée.

Je pus ainsi ressentir la complicité de chaque conteur avec son public : bien sûr, l’humour omniprésent dans les contes béninois se trouvait accentué à l’oral, grâce aux mimiques, aux gestes et aux intonations des conteurs, qui provoquaient les éclats de rire de l’assistance ; des interjections, auxquelles les spectateurs répondaient en chœur, venaient renforcer la cohésion du groupe. Entre chaque histoire, je vis des enfants se démener sur des tambours. Des danseurs masqués et un homme monté sur des échasses accentuèrent l’atmosphère festive de la soirée. Je fus en outre heureuse de voir, parmi ces conteurs amateurs, plusieurs femmes prendre la parole, moi qui avais jusqu’alors été frappée par la masculinité du milieu professionnel des conteurs. (D’ailleurs, Parfait Dossa attira mon attention sur la difficulté, pour un conteur africain, de contribuer à l’évolution des mentalités : comment renverser les rôles dans des histoires où la femme, traditionnellement, est celle qui cuisine, nettoie, sert et, surtout, doit ignorer les secrets ?) Préparée de longue date, cette veillée permit de recueillir encore vingt contes supplémentaires, dont une douzaine vint enrichir le corpus sur lequel je travaillai ensuite.

Le présent recueil résulte donc d’une collaboration fructueuse, fondée sur le dialogue interculturel et le désir de partage. Les quarante-et-un contes et légendes présentés proviennent principalement de deux régions du Bénin (voir aussi la carte) : la zone fon, à Cotonou et ses environs (dont le village de Zinvié), et la zone mahi – d’où Patrice Tonakpon Toton est originaire –, située à Savalou et dans les villages alentour (région des Collines, au centre du Bénin, à environ 250 km au nord de Cotonou). Cela dit, il est intéressant de noter que les conteurs de l’association Katoulati, souvent amenés à voyager dans d’autres régions du Bénin et des pays limitrophes, ont régulièrement entendu des variantes de ces contes qui, tout en conservant une trame identique, reflètent alors des environnements sociaux, linguistiques et naturels différents : par exemple, certains animaux ou végétaux sont remplacés par d’autres, ou encore les prénoms changent. Restent des éléments communs à tous pays francophones de l’Afrique occidentale, comme l’intelligence du lièvre ou la bêtise de la hyène. Ces Contes et légendes du Bénin constituent donc, à mes yeux, une belle plongée dans l’imaginaire séculaire ouest-africain.

Au fil des pages, le lecteur qui souhaiterait en savoir plus sur le Bénin se référera, à la fin de l’ouvrage, au glossaire, qui explique les mots signalés par un astérisque, ainsi qu’à l’appareil de notes, qui indique les variantes de certaines histoires et apporte un éclairage sur diverses spécificités béninoises (croyances, coutumes, faune, flore…) évoquées dans les contes.

Magali Brieussel, novembre 2015

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier les personnes suivantes, sans qui ce recueil n’aurait jamais vu le jour :

Avant tout, Magali Brieussel souhaite vivement remercier :

Héloïse Cuillier, qui lui a fait découvrir le Bénin ;

Patrice Tonakpon Toton, qui n’a pas ménagé ses efforts pour que ce projet aboutisse ;

et la Région Languedoc-Roussillon, pour la généreuse bourse d’écriture qu’elle lui a accordée, lui donnant ainsi l’opportunité de mener ce projet à bien.

Merci aux conteurs de l’association Katoulati (Cotonou) : en particulier Parfait Dossa, Souleman Laly, Fancy Zinsou, mais aussi Sandra Adjowa Santos, Nathacha Acakpo, Francisca Adjatan, Ismaël Radji.

Merci à Virginie Gimenez Toton, pour la collaboration et le soutien de Katoulati France.

Merci aux personnes impliquées dans les différentes séances de collecte de contes dans les Collines à Savalou : Sa Majesté Dah Dèkandji, chef traditionnel du village Ouèssè à Savalou ; la collectivité Awo-Agbado ; les familles Toton, Dougnon, Deffon ; Dah Toton Awagnon Antoine ; Dame Tognon Akotounou, dite Dakpanou ; Dame Hounsito, dite Honon ; Monsieur Djaou Agbèdè Cyprien ; Monsieur Sètondji Edgard ; Monsieur Germain Deffon, chef d’arrondissement de Ouèssè ; les villages de Lowozoungo, Logbo, Doyissa, Tchogodo et Akété.

Merci aux personnes qui ont contribué à la veillée dans le village de Zinvié : d’une part, Angélique Rouer, qui a accepté de partager le travail de collecte qu’elle a mené sur place, Charlemagne Falade, qui a transcrit les textes en français, et Carolle Ahodekon, qui les a saisis sur ordinateur. D’autre part, bien entendu, les conteurs amateurs du village : Adèle Agbokpanzo, Pascaline Kodjo, Léonard Legba, Pierrette Mahoulinkponto, le tout jeune Lionel Massénon, Aimé Sanny. Enfin, tous les anonymes ayant contribué à la collecte et à la veillée.

Même si l’atelier d’écriture animé par Magali Brieussel pendant son séjour à Cotonou est une histoire quelque peu annexe, les auteurs tiennent à remercier les participants à cet atelier pour leur énergie et leur enthousiasme communicatifs, ainsi que la présence de certains d’entre eux lors des séances de travail sur les contes : Francisca Adjatan, Dine Arekpa, Claude Biao, Yves Biaou, Natacha Fanou, Jordy Hounhoui, Marcel Kpogodo, Souleman Laly, Paterne Tchaou, Gérard Tolohin, Gandhi Tomede, Jérôme Tossavi.

Merci à Koffi Attede, fondateur des éditions Plurielles et de BéninCultures, qui a accueilli cet atelier d’écriture dans ses locaux.

Merci aux auteurs confirmés ayant accepté d’intervenir dans le cadre de cet atelier : Joël Ajavon, Michel Beretti, Hermas Gbaguidi, Daté Atavito Barnabé-Akayi, Fernand Nouwligbeto.

Le Bénin en bref

Les contes de ce recueil ont été collectés à Savalou et ses alentours, Zinvié et Cotonou.

Petit pays d’Afrique de l’Ouest d’une superficie de 114 763 km² (environ six fois plus petit que la France), le Bénin compte quelque 10 millions d’habitants. Il est indépendant depuis 1960.

La langue officielle est le français, parlé par près de 35 % de la population. Il existe par ailleurs une quarantaine de langues locales et dialectes, dont les principaux sont le fongbé (26 %), le yoruba (14 %), le baatonum (13 %) et le gougbé (12 %).

Pourquoi le ciel est si haut

Autrefois, peu après la création de l’univers par Dadassègbo, le ciel était tellement proche de la Terre qu’il suffisait de lever le bras pour le toucher. Les hommes en profitaient allègrement, car ils se nourrissaient de lui. Oui, ils mangeaient le ciel ! Un morceau de nuage le matin, une assiettée d’azur le midi, quelques bouchées de voûte céleste le soir – le tout, arrosé d’un peu de pluie.

Ainsi l’avait voulu Dadassègbo.

Hélas ! Ce que les hommes obtiennent trop facilement, ils finissent par ne plus le respecter. Le temps passant, ils prirent l’habitude de dédaigner les miettes de ciel qu’ils laissaient tomber dans la poussière. Ils faisaient d’inutiles provisions, jetaient les restes aux chiens. Ils n’avaient pas la moindre considération pour l’entité qui, sans la contrepartie, leur permettait pourtant de vivre.

Le ciel n’en pouvait plus de ce gaspillage permanent. Il se confia à Dadassègbo. Le maître de l’univers fut pris de pitié pour le ciel et de colère contre les hommes. Du jour au lendemain, il éloigna le ciel de la Terre. Il le repoussa si loin du sol qu’il nous semble, aujourd’hui encore, parfaitement inaccessible.

Pour ne pas succomber à la famine, les hommes furent dès lors obligés de cultiver des champs et d’élever des animaux. Ils avaient appris à leurs dépens qu’il ne faut pas gaspiller la nourriture1,2.

La récompense de Dadassègbo

Il y a très longtemps, à l’origine des temps, les hommes et les animaux vivaient ensemble. D’ailleurs, les hommes n’étaient guère différents des animaux, puisqu’ils se déplaçaient à quatre pattes, comme eux. Chaque jour, ce petit monde vaquait à ses occupations et tout se passait à merveille.

Mais Dadassègbo, le créateur de l’univers, annonça un jour une nouvelle qui bouleversa ce paisible équilibre : désormais, à chaque fin d’année, il récompenserait une espèce animale ou végétale. Il voulait ainsi les inciter à cultiver leurs qualités.

Pour commencer, il récompensa les hommes. Désireux de mettre en valeur leur intelligence, il décréta qu’ils pourraient dorénavant marcher et courir sur deux jambes. Les hommes et les femmes étaient fous de joie. Ils prirent un avantage considérable sur les autres espèces, devenant de redoutables chasseurs capables de voir loin et de courir longtemps.

Dès lors, à chaque fin de saison, tout le monde se figeait dans une attente douloureuse. Personne n’en disait rien, mais plus les jours passaient, plus la tension s’amplifiait. Chacun se demandait qui Dadassègbo choisirait de récompenser, et surtout comment. Car la récompense de Dadassègbo donnerait à l’espèce élue un privilège significatif sur les autres.

Il fut une fin d’année où il récompensa les girafes pour leur tranquillité. Elles qui, auparavant, n’avaient qu’un tout petit cou, furent dorénavant dotées d’un cou allongé qui leur permit d’atteindre, au sommet des arbres, les feuilles les plus savoureuses, inaccessibles aux autres animaux.

Il fut une fin d’année où il récompensa les kapokiers* pour leur générosité. Eux qui, auparavant, avaient une écorce lisse qui permettait aux hommes de grimper facilement jusqu’à leur ramure pour récolter le duvet de leurs fleurs, furent dès lors protégés par des épines menaçantes tout le long de leur tronc et de leurs branches.

Il fut une fin d’année où il récompensa les araignées de lutter si efficacement contre les insectes nuisibles. Elles qui, auparavant, devaient guetter leurs proies pour les attraper, purent depuis ce jour tisser des toiles invisibles et collantes, redoutablement efficaces pour piéger les moustiques et autres moucherons.

Mais il fut une fin d’année où Dadassègbo resta silencieux. On eût dit qu’il ne parvenait pas à faire son choix. La nouvelle année commença et Dadassègbo ne s’était toujours pas prononcé.

Perplexes, les créatures animales et végétales n’osaient aborder le sujet qui les préoccupait. Mais on ne pensait à rien d’autre. Le silence du créateur de l’univers intriguait animaux et plantes, qui se posaient une foule de questions.

Comme le temps ne s’écoule que dans un sens, la fin d’année suivante approcha et, inexorablement, finit par arriver. Quelques jours avant la cérémonie tant attendue, Dadassègbo fit appeler, dans le plus grand secret, le roi des singes. En ce temps-là, les singes ressemblaient beaucoup aux hommes, sauf qu’ils étaient couverts de poils et incapables de se déplacer sur deux pattes. Le créateur de l’univers, qui s’était trompé en créant les singes différents des hommes, avait résolu de corriger son erreur. Mais il hésitait et voulait d’abord en toucher deux mots au roi des singes.

Il lui parla en ces termes : « Vous serez bientôt les plus heureux de la forêt, car je ferai de vous les semblables des hommes. Vous marcherez debout, sans poils sur le corps. »

À ces mots, le roi des singes eut de la peine à contenir son enthousiasme.

Dadassègbo ajouta : « Vous êtes content, fort bien. Mais attention ! Gare à vous si vous répandez le secret ! C’est à moi et moi seul qu’il revient d’annoncer cette récompense. »

Bien entendu, le roi des singes promit de garder le secret.

De retour chez lui après la tombée de la nuit, le roi des singes trouva sa femme éveillée. Elle avait attendu son retour, brûlant de savoir ce que Dadassègbo avait bien pu lui dire.

« Tu verras dans quelques jours. D’ici là, je ne peux rien te dire. » Le roi des singes était fermement décidé à tenir sa promesse.

Or, durant la nuit entière, sa femme insista tant et si bien qu’au point du jour, le roi finit par céder.

« Jure-moi d’abord que tu ne diras rien à personne !

– Bien sûr, mon chéri, je te le jure !

– Je peux te faire confiance, c’est sûr ?

– Mais évidemment, mon époux, depuis le temps que nous vivons ensemble !

– Voici ce que m’a dit Dadassègbo : bientôt, nous serons debout comme les hommes, sans poils sur le corps. Mais jusqu’au jour de la cérémonie, motus ! C’est un secret absolu. »

Cette nouvelle, inutile de le dire, enchanta la femme du roi des singes. Elle en était tellement contente qu’elle fut incapable de garder le secret. Il fallait absolument qu’elle en parle à quelqu’un. À peine le roi fut-il sorti que sa femme appela sa fille pour lui confier la bonne nouvelle.

« Mais surtout, ne dis rien à personne, c’est un secret.

– C’est promis, maman. »

Ah ! Il est tellement tentant de partager les bonnes nouvelles ! La fille se rendit sans attendre chez son fiancé, à qui elle chuchota le secret. Et le fiancé, le jour même, avait déjà mis au courant ses frères et sœurs. Bref, la révélation se répandit comme une traînée de poudre dans tous les coins et recoins de la forêt. Les singes dansaient et chantaient à n’en plus finir :

Tant pis pour les jaloux !

Bientôt nous marcherons debout !

Comme les hommes, sans poils et debout,

Tant pis pour les jaloux !

Ils festoyèrent, chantèrent et dansèrent. Ils étaient si heureux à l’idée de cette récompense inattendue !

Les singes avaient une si grande bouche que la nouvelle se propagea dans toute la forêt. Elle revint aux oreilles de Dadassègbo.

Le matin de la cérémonie, animaux et plantes se rassemblèrent sur la grande place de la forêt. En réalité, les animaux se faisaient du souci. Car si les singes devenaient les égaux des hommes, le nombre de chasseurs augmenterait considérablement. L’inquiétude était palpable, le silence lourd.

C’est alors que Dadassègbo apparut et prit la parole : « Cette année encore, je ne récompenserai personne. »

Stupéfaction dans l’assemblée !

« Je voulais distinguer les singes, mais ils ont trahi ma confiance. »

Les singes, consternés, baissèrent la tête.

« Vous n’avez pas mérité ma reconnaissance. À l’avenir, vous continuerez de marcher à quatre pattes et de vous épouiller le pelage. »

Un murmure désolé parcourut le groupe des singes.

Mais Dadassègbo n’avait pas terminé : « Ce n’est pas tout. Pour vous punir, je vous ai accroché une queue au derrière. De la sorte, vous resterez vraiment différents des hommes. » Horrifiés, les singes firent volteface pour regarder leur arrière-train. Tous, sans exception, portaient bel et bien une longue queue. Impossible de passer pour un humain !

Dadassègbo ajouta : « Rappelez-vous qu’un secret est un secret. Il faut savoir tenir sa langue. »

Et il congédia l’assistance.

Ainsi, les singes, affublés de cette queue ridicule, furent condamnés à vivre tels qu’ils étaient depuis la nuit des temps et restèrent tels qu’on les voit encore aujourd’hui.