Contes et légendes du Sénégal - Jessica Reuss - E-Book

Contes et légendes du Sénégal E-Book

Jessica Reuss

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Beschreibung

La collecte des contes présentés dans l’ouvrage a débuté il y a vingt ans. Ils proviennent essentiellement de l’ethnie Diola en Casamance, cette région de l’extrême sud du pays où les auteurs, munis d’un petit dictaphone, ont séjourné assez longtemps, et de la région de Dakar. Les histoires sont classées par thématique : les contes « étiologiques » (histoires courtes, où l’on explique l’origine des choses ou des éléments qui nous entourent), les contes « initiatiques » (des histoires plutôt longues, pleines de rebondissements, qui relatent diverses épreuves et au cours desquelles les protagonistes en sortent vainqueurs, enrichis d’une grande sagesse), les contes « moralisateurs » (dont la conclusion introduit un exemple à suivre), les contes traitant de la famille ou de la vie des hommes, les contes animaliers.
Les histoires de Leuk le lièvre, le héros malicieux, auraient pu se fondre dans les récits animaliers, mais les auteurs ont choisi d’en faire un chapitre à part entière.

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Couverture

Page de titre

Le tronc d’arbre aura beau séjourner dans la rivière, il ne deviendra pas pour autant un crocodile.

Proverbe sénégalais

Pour notre mamette qui vient de nous quitter

Pour JP Nliba, qui a été le premier à nous faire découvrir et aimer le conte africain, et qui est parti bien trop tôt

Didier et Jessica Reuss-Nliba

Introduction

« Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque vivante qui disparaît » avait écrit l’écrivain malien Amadou Ampâté Bâ. Ce dicton est plus vrai que jamais concernant cet ouvrage, dont de nombreuses histoires nous ont été transmises directement, oralement, lors de soirées à la tombée du jour… Pourtant, à l’époque (c’était en 1998, lors d’un voyage en Casamance puis à Dakar), nous n’avions jamais écrit de livre, nous n’avions même pas l’idée d’en écrire un jour. Nous avions juste un petit dictaphone et nous avions enregistré les histoires pour ne pas oublier ces quelques anecdotes littéraires ni ces rencontres faites au cours du voyage…

Dix-huit ans après, nous avons retrouvé ces souvenirs de voyage, quelques photos et quelques enregistrements à peine audibles qu’il nous a fallu tenter de mettre par écrit aussi fidèlement que possible. Nous avons mis sur papier ce qui était récupérable. Les fondations de ce livre étaient alors posées. Puis nous avons fait quelques recherches, sommes tombés sur des ouvrages qui nous ont permis d’enrichir et de compléter les textes que nous avions déjà. Enfin, nous avons demandé tout autour de nous, parfois avec insistance, notamment aux personnes originaires d’Afrique de l’Ouest, de faire des efforts de mémoire pour nous raconter des histoires de leur enfance. Nous avons retrouvé des connaissances anciennes, des amis perdus de vue. Ce fut l’occasion de belles retrouvailles. Quand nous habitions trop loin les uns des autres, le téléphone et le mail ont pris le relais. Nous avons aussi fait parfois des rencontres fortuites, comme cette jeune femme diola rencontrée sur une plage de Rapallo, près de Gênes, lors d’un voyage en Italie. Ainsi s’est construit, petit à petit, l’ouvrage que vous tenez dans vos mains.

Origine des contes présentés

Il existe de nombreux recueils de contes d’Afrique de l’Ouest, et plus particulièrement du Sénégal. Nous en avons lu quelques-uns afin de nous plonger dans l’ambiance du pays, mais la plupart des contes que nous vous présentons ici sont directement issus de la tradition orale et n’ont jamais été publiés auparavant. D’autres ont été publiés dans de très anciens ouvrages, aux dires de ceux qui nous les ont contés, mais qui n’ont jamais été réédités et sont tombés dans le domaine public : nous en avons récolté quelques-uns de la sorte, lorsque les contes en question nous paraissaient intéressants.

Dans un cas comme dans l’autre, il y a des contes qui nous ont été présentés comme « sénégalais » mais que nous connaissions déjà, à quelques nuances près, notamment des contes camerounais et créoles… Preuve que la littérature orale voyage beaucoup et est souvent reprise et adaptée d’un pays à l’autre. Nous avons ajouté dans les notes en fin d’ouvrage toutes les références utiles, pour celui ou celle qui aurait envie de comparer les différentes variantes géographiques d’une même histoire. Au-delà même des contes, des personnages tels que Leuk le lièvre, le héros de nombreuses histoires sénégalaises, n’est pas sans rappeler le Compère Lapin antillais, à qui nous avons consacré deux ouvrages. Étant d’origine franco-camerounaise, avec de plus quelques racines martiniquaises, quelle ne fut pas notre surprise de redécouvrir dans un contexte sénégalais des contes qui nous étaient déjà bien familiers !

Lorsqu’un conte transmis oralement présente des similitudes avec un texte précédemment publié, nous le précisons également en annexe. Lorsque la source nous a été transmise par une tierce personne, nous sommes partis du principe qu’il s’agissait de « tradition orale ». Néanmoins, dans la mesure du possible, nous nous sommes efforcés de vérifier la source exacte de chaque conte, mais si par hasard une de ces histoires était soumise à des droits, nous nous en excusons par avance auprès des éventuels ayants droit (cela nous est arrivé une fois lors d’un précédent ouvrage de contes camerounais). Si un lecteur voyait dans un de ces contes une œuvre personnelle, cela ne serait en aucun cas fait sciemment de notre part, sachez juste qu’il ne nous est pas possible de connaître avec certitude l’origine précise de chaque conte qui nous a été transmis oralement, et qu’avec les moyens de communication modernes, il est parfois difficile de faire la distinction entre transmission orale et transmission électronique… Ce qui fut jadis une transmission de bouche à oreille tend à devenir une transmission de PC à PC, y compris entre conteurs.

Quelques mots sur l’origine géographique des contes. Ceux que nous avons récoltés sur place proviennent essentiellement de l’ethnie diola en Casamance, cette région de l’extrême sud du pays où nous avons passé un peu de temps il y a bien des années, et de la région de Dakar, où nous avons terminé le voyage avant de repartir en Europe. Les autres contes proviennent généralement de personnes sénégalaises rencontrées en France, dans la région parisienne et en région Centre. Dans tous les cas, nous nous sommes efforcés de préciser en annexe l’origine des contes à chaque fois que cela était possible. Cela dit, la littérature orale voyage, elle est souvent reprise d’un village à l’autre, puis d’une région à l’autre voire d’un pays à l’autre : en d’autres termes, lorsque nous mentionnons l’origine ethnique d’une histoire, il faut comprendre avant tout l’origine ethnique de la personne qui nous l’a rapportée. L’histoire peut être commune à plusieurs peuples, à quelques nuances près.

Chaque conte est une aventure particulière. Nous avons néanmoins cherché à classer les histoires par thématique : les contes « étiologiques » (histoires courtes, où l’on explique l’origine des choses ou des éléments qui nous entourent), les contes « initiatiques » (des histoires plutôt longues, pleines de rebondissements, qui relatent diverses épreuves et au cours desquelles les protagonistes en sortent vainqueurs, enrichis d’une grande sagesse), les contes « moraux » (dont la conclusion introduit, par un dicton, un proverbe ou une vérité générale, un exemple à suivre), les contes traitant de la famille ou de la vie des hommes, les contes animaliers (dont l’action, très souvent, se déroule avant la naissance de l’homme). Les histoires de Leuk le lièvre auraient pu se fondre dans les récits animaliers, mais le personnage est tellement présent dans la culture orale du pays que nous avons finalement choisi d’en faire un chapitre à part entière.

Le Sénégal en bref

Situé dans l’ouest du continent africain, le pays est pour ainsi dire coupé en deux horizontalement par la Gambie. Au nord, le pays est majoritairement musulman, tandis qu’au sud, la Casamance est plutôt chrétienne avec des traditions animistes encore bien présentes (du moins chez les Diolas). Ces traditions religieuses se ressentent dans certains contes, et c’est également la raison pour laquelle nous avons jugé utile de préciser systématiquement la zone d’où provient le conte : la même histoire peut exister à travers tout le pays, mais parfois avec des fortes nuances, chacun l’ayant adaptée à son environnement culturel et religieux.

La superficie du pays est de 196 720 km2, soit approximativement le tiers de celle de la France. Le Sénégal est traversé par plusieurs fleuves : le plus important, dans le Nord, est le fleuve Sénégal, sur 1 700 km, le fleuve Saloum, long de 250 km, qui s’écoule au Sénégal dans la région du Sine-Saloum, le fleuve Gambie, qui traverse à l’est le parc national du Niokolo-Koba, et, au sud, le fleuve Casamance, qui est en partie navigable.

Dans le nord du pays, la végétation est une steppe sahélienne, sauf en bordure du fleuve Sénégal, dans l’Est, on trouve une savane arborée avec notamment de nombreux fromagers (arbres avec lesquels, traditionnellement, on fabrique les meilleures pirogues), dans l’Ouest, des forêts de baobabs et d’acacias, et dans le Sud (Casamance), des manguiers, des palmiers, des bananiers, des avocatiers : c’est le véritable grenier du Sénégal. La population est d’environ 14 799 000 habitants, dont 60 % ont moins de vingt-cinq ans.

Principaux groupes ethniques :

– les Wolofs sont majoritaires avec 36 % de la population, qui sont à 90 % musulmans,

– les Sérères (15 % de la population) sont en majorité catholiques ou animistes. Ils ont culturellement un prestigieux passé de guerriers,

– les Toucouleurs (13 % de la population), traditionnellement des pêcheurs, des artisans ou des cultivateurs, sont installés essentiellement dans le Nord du pays, autour du fleuve Sénégal,

– les Peuls (ou Peulhs, 10 % de la population) sont installés d’est en ouest sur la bande sahélienne. Ils sont musulmans. On les trouve par ailleurs dans bien des pays, jusqu’en Afrique centrale (nord du Cameroun, par exemple),

– les Diolas (6 % de la population), très majoritairement catholiques ou animistes, sont installés essentiellement en Casamance, dans l’extrême sud du pays,

– les Mandingues (4 % de la population), dont les Bambaras et les Malinkés sont des sous-groupes, se sont installés en Gambie et en Casamance, après l’effondrement de l’empire du Mali,

– les Bassaris (1 % de la population) vivent pour la plupart dans des villages retirés du Sénégal oriental,

– les Tendas Bediks (1 % de la population) sont traditionnellement animistes. Ils vivent également dans la partie orientale du pays.

Si, comme nous l’avons écrit plus haut, beaucoup de contes présentés ici proviennent de Casamance et de la région de Dakar, régions que nous avons visitées, nous nous sommes efforcés dans nos recherches de trouver également des contes qui soient typiques de tous les peuples évoqués ci-dessus, cela afin d’avoir une représentation aussi complète que possible du pays.

Nous vous souhaitons une bonne lecture, et espérons de tout cœur que les histoires qui vont suivre vous permettront de découvrir le pays sous son aspect littéraire, et d’une façon plus générale de vous faire connaître et apprécier la culture orale africaine.

CONTES ÉTIOLOGIQUES

Pourquoi la lune meurt et revient toujours

Un jour, Dieu alla trouver le lièvre afin de le charger d’une importante mission :

– Va trouver les hommes et dis leur ceci de ma part : j’ai décidé que la lune est destinée à disparaître à jamais après sa mort, tandis que les hommes, eux, sont destinés à mourir et à revenir.

Le lièvre s’en alla et se dirigea vers l’endroit où étaient les hommes, mais à mi-chemin, il rencontra l’hyène, qui l’interpella :

– Hé, mon ami le lièvre, où vas-tu de bonne heure de ce pas si pressé ?

Le lièvre s’arrêta, se retourna et lui répondit :

– Dieu m’a demandé de dire aux hommes que la lune est appelée à mourir et à disparaître, tandis que les hommes sont appelés à mourir et à revenir.

L’hyène lui proposa :

– Rentre chez toi, je vais me charger de leur faire la commission.

Puis l’hyène s’en alla et se dirigea vers l’endroit où vivaient les hommes. Quand elle arriva, elle leur cria :

– Dieu a décidé que vous les hommes êtes destinés à mourir pour ne plus revenir, tandis que la lune, elle, est destinée à mourir et à revenir.

Dieu, qui avait entendu l’hyène, protesta :

– Mais non, je n’ai jamais dit cela, c’est exactement l’inverse !

Mais qu’à cela ne tienne. Dieu n’en tient que la première parole, c’est pourquoi, depuis ce jour, la lune meurt et revient toujours tandis que l’homme disparaît définitivement après sa mort.

La création du monde

Il y a très longtemps, au tout début du tout premier commencement, un lézard et un œuf ont eu envie de manger du raisin. Ils partirent dans la brousse et se mirent à la recherche d’un beau raisinier*. Ils cherchèrent longtemps, et finirent par trouver un bel arbre couvert de fruits. Le lézard grimpa immédiatement dans l’arbre et sauta de branche en branche. L’œuf, quant à lui, eut beaucoup de mal : il essaya de grimper mais il n’y parvint pas. Le lézard descendit de l’arbre et lui vint en aide. Il poussa l’œuf par derrière et finit par le hisser tant bien que mal sur les premières branches. Tous les deux se mirent alors à manger du raisin. Ils en mangèrent tant et tant qu’ils en eurent plein la panse, à tel point qu’ils ne pouvaient plus avaler ne serait-ce qu’un seul grain.

Ils décidèrent de redescendre. L’œuf eut de nouveau beaucoup de mal : il roula, glissa, puis cria « à l’aide » au lézard qui l’attendait en bas de l’arbre depuis déjà un moment.

Le lézard fit comme son ami lui avait demandé : il posa autour des racines de l’arbre un tas de terre et de feuilles. Mais l’œuf perdit l’équilibre et tomba sur une grosse pierre que son ami n’avait pas eu le temps de recouvrir, et se brisa en mille morceaux. Plus d’œuf !

Le lézard se mit à rire comme un fou, lorsque soudain une herbe haute et coupante lui trancha le cou. Plus de lézard !

L’herbe se mit à rire à son tour, lorsqu’un feu se déclencha et la brûla entièrement. Plus d’herbe !

Le feu se mit à son tour à rire, quant de l’eau vint l’éteindre. Plus de feu !

L’eau se mit à rire, mais des animaux sauvages arrivèrent et la burent entièrement. Plus d’eau !

Les animaux sauvages se mirent à rire, mais des chasseurs les entendirent. Ils s’approchèrent et les tuèrent. Plus d’animaux sauvages !

C’étaient maintenant au tour des chasseurs de rire. Ils rirent encore et encore quand la mort arriva et vint les prendre. Plus de chasseurs !

C’était alors à la mort de rire. Elle s’étouffa de rire lorsque la vie arriva et vint l’étouffer. Plus de mort !

La vie ne put s’empêcher de rire. Elle se mit à rire de bon cœur lorsque Dieu arriva et vint la détruire. Plus de vie !

Le monde, lui-même, fut anéanti. Dieu est très sérieux. Il n’a pas ri, ni même souri. Et quand le monde fut complètement anéanti, Dieu en créa un nouveau, celui-là même où l’on vit aujourd’hui, ici.

La création du monde dans lequel nous vivons s’est déroulée comme ça, et pas autrement !

Pourquoi le Ciel est si loin de la Terre

Il y a très longtemps, à l’époque où les humains venaient tout juste d’être créés, le Ciel et la Terre s’entendaient à merveille. Ils habitaient à proximité l’un de l’autre, et ils pouvaient facilement se concerter lorsqu’il y avait des décisions importantes à prendre, concernant par exemple la survie de l’humanité, celle des animaux, des plantes, ou même des minéraux. Le Ciel posait donc un regard bienfaisant sur tous les êtres vivants qui résidaient en dessous de lui. Il se courbait parfois si fort qu’il lui arrivait de frôler les cimes des grands baobabs et des fromagers*, qui sentaient alors comme un frisson parcourir leur cime.

Tous les êtres vivants avaient donc parfaitement conscience que le Ciel leur témoignait une attention toute particulière, ce qui leur donnait un fort sentiment d’importance et de responsabilité.

Un jour, une femme prit une jarre de terre cuite et la plaça sur des pierres posées en rond qui constituaient son foyer. Le bois, qui brûlait depuis longtemps, avait déjà donné de hautes flammes, et les braises rougeoyaient et dégageaient le maximum de leur chaleur. La femme s’activait à remuer un mélange d’eau et de farine de maïs à l’aide d’une grande spatule de bois. Elle cherchait à obtenir une pâte bien lisse et homogène avant de la mettre à cuire.

Quand elle eut fini de cuire sa pâte de maïs, qui constituait l’essentiel du repas familial, la jeune femme racla le fond de la marmite pour en décoller des morceaux qui étaient restés attachés. Elle y versa deux ou trois calebasses d’eau qu’elle avait puisée dans un énorme récipient, également en terre cuite, placé à proximité du puits, et qui contenait l’eau nécessaire pour les activités de la journée. Malencontreusement, elle remua la marmite dans tous les sens, et, d’un geste distrait, envoya tout son contenu en l’air, de toutes ses forces. L’eau s’éleva si haut qu’elle vint frôler la voûte céleste. Le Ciel, surpris par les gouttelettes d’eau, se mit en colère. Il gronda de plusieurs coups de tonnerre, mais cela ne suffit pas à l’apaiser.

– Que dois-je faire pour manifester mon mécontentement ? s’écria-t-il. Tomber de toute ma puissance sur cette femme maladroite et l’écraser ? Non, cela ne convient pas à ma grandeur. Je ferais mieux de me calmer, mais de me mettre à l’écart de la terre, hors de la portée des humains, si maladroits.

Depuis ce jour-là, le Ciel se retira loin, très loin de la Terre. Il ne voulut plus jamais descendre près des humains… Par ailleurs, les quelques morceaux de pâte de maïs qui l’avaient touché y sont restés collés depuis, et forment aujourd’hui les étoiles.

C’est donc ainsi que, par simple maladresse, une femme changea irrémédiablement la face du monde tel qu’il était autrefois.

L’origine du monde et des hommes

Autrefois, il y a de cela très longtemps, quand le soleil et la lune ne brillaient pas encore dans le ciel et quand le monde se résumait à une brume verdâtre dans la forêt vierge, les esprits se réunirent pour élire leur roi. Après des palabres interminables, ils hésitèrent entre le fort Ntogini, l’habile Ndogagin et le sage Mguri-mgori.

Un esprit insignifiant et faible nommé Impisi s’adressa alors à toute l’assemblée :

– Choisissons pour roi celui d’entre nous qui réussira l’exploit le plus remarquable.

Tous les esprits furent d’accord.

Le fort et courageux Ntogini se leva, et d’un seul geste de la main fit se dissiper la brume verdâtre.

Le vif et adroit Ndoga-gin, fit lui aussi un geste de la main et créa la terre.

Le sage Mguri-mgori étendit ses bras au-dessus de la terre et, aussitôt, la forêt se mit à pousser, les ruisseaux et les rivières se mirent à couler, et les lacs à se remplir d’eau.

Enfin, le robuste Ntogini gonfla ses joues et se mit à souffler de toutes ses forces. Il arracha tous les arbres de la forêt, en engendrant des vents et des tempêtes.

Ndoga-gin réunit alors tous les esprits morts depuis les origines du temps pour les suspendre dans le ciel, créant ainsi la lune et les étoiles.

Mguri-mgori prit l’un de ses yeux et le lança haut dans le ciel, où il se transforma en soleil.

Ensuite, Ntogini créa les nuages, Ndoga-gin la pluie et Mguri-mgori l’éclair. Peu à peu, la terre acquit son apparence définitive. Seuls les hommes manquaient encore.

Alors le faible et insignifiant esprit Impisi se présenta de nouveau devant la grande assemblée et dit :

– Les trois dieux sont en vérité extrêmement puissants, mais il me semble que Mguri-mgori soit tout de même le plus fort d’entre eux. Faisons-en notre roi s’il parvient à créer des êtres semblables à nous, les esprits.

Tous les esprits acceptèrent la proposition d’Impisi. Mguri-mgori leur fit ses adieux et se retira dans un lieu connu de lui seul. Il resta absent très longtemps, se montrant discret à son retour sur ce qu’il avait fait durant sa retraite. Il se contenta de dire :

– Je vais créer des êtres semblables à nous. Je leur accorderai le privilège de régner sur tout ce qui se trouve sur terre, mais ils auront deux devoirs : celui de nous obéir, à nous, les dieux et les esprits, et celui de se laver tous les jours dans l’eau fraîche et courante pour que leur pensées soient pures.

Après avoir manifesté bruyamment leur enthousiasme, les esprits l’élurent roi. Seul le fort Ntogini en fut mécontent, car il jalousait Mguri-mgori. Il souffla de toutes ses forces et une tornade terrible dévasta la terre. Les fleuves sortirent de leurs lits pour inonder les terres. Lorsque la tornade s’apaisa et que les fleuves retrouvèrent leur cours habituel, des marécages s’étendaient un peu partout. Et voilà que les hommes se mirent à sortir de toute cette boue.

Comme ils sont issus des marécages, leur peau est noire, mais comme ils se baignent tous les jours dans l’eau cristalline des rivières, leurs pensées sont d’une blancheur éclatante.

Pourquoi la colère et le rire sont les armes des pauvres

Il était une fois un despote qui s’était installé dans un petit pays. À vrai dire, ce n’était pas le premier et il ne sera probablement pas le dernier…

Pour gouverner, il avait besoin, comme tout despote, que son peuple ait peur et devienne ignorant.

Pour instaurer la peur, ce n’était pas bien compliqué : celui qui désobéissait au despote avait aussitôt la tête coupée. Celui qui le contredisait, ou qui essayait de remettre les ordres en question, avait la tête coupée. Celui dont la tête ne revenait pas au despote avait lui aussi la tête coupée.

Le despote faisait aussi parfois couper les têtes sans raison apparente, juste pour se divertir et pour passer le temps. Puis il prit avec lui les hommes les plus lâches du pays, les plus hypocrites, et les plaça aux postes clefs du royaume : armée, police, justice.

Rendre un peuple idiot et ignorant est une tâche bien plus compliquée : le despote interdit tout d’abord que l’on apprenne à lire et à écrire aux enfants, et il fit progressivement fermer toutes les écoles du pays. Mais ceux qui savaient déjà lire lisaient des livres à ceux qui ne savaient pas. Le despote fut donc contraint de faire brûler tous les livres du royaume (les despotes détestent toujours les livres !). Mais les conteurs sont arrivés et ont commencé à raconter tout ce qu’autrefois on trouvait dans les livres. Le despote a donc interdit les conteurs, puis les bavards, et enfin les histoires.

Cependant, le soir, à l’intérieur des maisons, les mères continuaient à raconter des vieilles légendes à leurs enfants, afin de les aider à s’endormir et à enrichir leurs rêves. Le despote commença à se méfier des rêves de la nuit, car cela peut donner des idées le jour. Il a alors voulu interdire les mères, mais on le lui a déconseillé, car sans mères, le pays risquait de s’écrouler.

Le despote a alors couvert toutes les femmes de tissus, de la tête aux pieds. On ne devait plus rien deviner d’elles, et elles devaient rester muettes. On n’apercevait plus que leurs mains qui s’affairaient dans la journée, pour laver, préparer les repas, et quantité d’autres choses.

Mais, un beau jour, un espion vint trouver le despote et lui dit que dans un village reculé, à l’extrémité du royaume, une vieille femme apprenait toujours à lire aux enfants, en traçant des lettres et des mots sur le sable. Et, une fois la leçon terminée, elle effaçait tout avec la pointe de ses pieds.

Le despote fut fou de rage. Il décida de partir sur-le-champ et de faire une punition exemplaire. Il fit ligoter la femme et la fit venir à lui, puis il rassembla tout son peuple. D’un geste brusque, le despote retira le tissu qui cachait le visage de la vieille femme et s’adressa à elle d’un ton méprisant :

– Alors, vieille femme, tu oses prétendre détenir la connaissance et la transmettre ?

– Oh non, répondit la femme, ce que je sais n’est qu’une goutte d’eau perdue au beau milieu de tout l’océan des connaissances…