Couleurs émouvantes - Marie-Christine Paul - E-Book

Couleurs émouvantes E-Book

Marie-Christine Paul

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Beschreibung

« C’est la rencontre d’une femme auteure, lors d’un voyage en Égypte, qui comme un miroir m’a transcendée, éveillant mon désir d’écrire, pour la jeunesse, aujourd’hui, après quelques collaborations artistiques, je signe mon premier roman. J’écris à n’importe quelle heure et je peins lorsque le soleil est au zénith, ça m’inspire ! L’art est une sublimation. Je citerai Huxley, Barjavel, Isabel Allende, mais aussi Saint-Exupéry ou Camus des modèles littéraires, pour finir, les quelques mots d’une grande dame passionnée, mélange glacial et brûlant, de parents danois et cubains, terriblement humaine et philosophe : «Le seul alchimiste capable de tout changer en or est l’amour. L’unique sortilège contre la mort, la vieillesse, la vie routinière, c’est l’amour.» Anaïs Nin. Écrire c’est pour moi, « La rencontre » avec l’autre et nous-mêmes, le sens de notre vie, le partage du temps, la seule chose qui est comptée, mais que nous pouvons donner sans compter…

Des ocres roses, toulousains, aux verts phosphorescents Antillais, Marie promène ses rêves, sa gourmandise et ses amours, jusqu'à ce que l’irrationnel bouleverse son quotidien, les couleurs se mettent à vibrer. Commence une bataille à livrer entre les ombres et la lumière, pour la survie !

À PROPOS DE L'AUTEURE

Marie-Christine Paul est une écrivaine française. Elle est née le 29 décembre 1964 à Toulouse dans une famille de commerçants. Aquarelliste, venue à l'écriture par détresse, Elle écrit un livre par an, fruit d'expériences et de collaborations variées. "Curieuse, artiste polymorphe, je suis entrée en écriture, presque par inadvertance, sur la pointe du stylo, comme mon pinceau d'aquarelliste, je décris les images, les parfums de la vie avec une insatiable gourmandise... et puis si je ne devais garder qu'une idée, elle serait de vous encourager à être vous-même, en dehors des schémas proposés..."

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COULEURS ÉMOUVANTES

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie-Christine Paul

Préface

 

Lorsqu’on regarde derrière soi, tendrement, on ressent au fond de notre être une multitude d’émotions, plus tenaces, plus fugaces aussi, les unes que les autres. Tenaces ou fugaces parce que la vie est faite de ces moments paradoxaux que la mémoire décline, et décline avec notre propre déclin. Mais que ces images sont belles ! Qu’elles nous construisent, qu’elles nous déracinent parfois ! On se surprend à croire, au fil du temps, que l’éternité est loin, intemporelle et irréelle, et lorsqu’on regarde derrière soi, on se dit, finalement, que l’éternité est faite de toutes ces choses, instants fugaces ou ancrages tenaces, de la fragile liberté à la pesante éducation.

Marie-Christine Paul est une voyageuse. Elle est une itinérante des mots et des douleurs, des maux et des douceurs. Elle est une vagabonde du temps qui s’épuise sur les sillons de chacune de nos vies. Ces couleurs émouvantes sont à la fois fugitives et présentes, caractéristiques de sa personnalité, entre attaches et libérations.

Nous portons tous cette ambiguïté en nous, mais rares sont ceux qui l’expriment avec talent et discernement. Que ces couleurs soient pour les lecteurs que nous sommes, couleurs captivantes. Et qu’elles nous permettent de donner du sens, le sens d’une vie que l’on regarde, si tant est que l’on veuille, un jour, regarder derrière soi. Pour poursuivre la route.

Olivier GUIEN Fondateur du Salon des écrivants de Rocbaron

Avant-propos

 

 

L’odeur pénétrante du mycélium se diffuse en volutes douces et tièdes. Dans le sous-bois, les branches craquent. L’étoffe grise sur son dos, s’agitant dans l’entremêlement des branchages, me transporte à une époque pas si lointaine… où ma grand’mère, après une nuit estivale, ramenait comme butin force cèpes de diamètres divers dans le grand tablier noué devant elle en guise de sac.

Mystérieusement, fièrement, elle posait la collecte de la matinée sur la table de la cuisine, devant les tartines beurrées et mon bol de chocolat fumant. Elle qui tremblait à la moindre suspicion de présence reptilienne partait chaque matin propice vers des lieux où personne n’aurait osé la suivre.

— Regarde, Kiki ! Je vais pouvoir préparer trois ou quatre bocaux supplémentaires.

— Millodiou !!!

Mon grand-père, (sombre paysan boitant après une chute de cheval) fronça les sourcils :

— Ne prends pas cet air, ma petite !

Ses yeux brillaient de malice et de joies mêlées.

Je reniflais le tout, d’un air dégoûté, imaginant la préparation nauséabonde où les immanquables vermisseaux s’agitaient dans la poêle malgré un bon bain d’eau vinaigrée donné aux champignons. Des émotions vives et incessamment renouvelées ponctuaient mes journées, sensualité de cette riche nature, caractère vif et curieux que cette petite personne élégante et simple, cette maîtresse femme m’ayant élevé les neufs premiers mois d’existence, m’avait transmis. Je pensais librement de manière terrienne, après maintes observations des mœurs animales. L’été, dans ce sud-ouest, représentait pour moi le seul îlot intéressant au milieu de la vie parisienne, affectionnée par mes géniteurs.

Déjà l’ombre grandissante des fins d’après-midi annonçait la date fatidique me ramenant vers l’aéroport, Blagnac et la capitale. À sept ans, j’adorais chevaucher les nuages, me sentir dorlotée pas les hôtesses, comme une orpheline occasionnelle.

Mais la rentrée, cette année-là, était spéciale. La voisine Marinette venait d’annoncer à mes grands-parents qui ne possédaient pas encore le téléphone, la naissance d’un petit frère… Ma famille, passablement débordée par l’espérance d’une vie meilleure et l’ambition démesurée de mon père, était ravie de posséder enfin un héritier.

J’avais bousculé, par mon arrivée au monde, la fusion orageuse de ces deux êtres passionnés. Mon frère, c’était différent, il amenait la perpétuation du nom, la réalisation de nombreux projets évoqués à mi-voix…

Bécon les bruyères, le placard aménagé que j’occupais, en guise de chambre, dans l’étroit logement parental, niché au sixième étage sans ascenseur d’un immeuble bourgeois en région parisienne, un goût immodéré pour la lecture, le dessin et le suicide de nombreux poissons rouges. La fuite sur un des nombreux boulevards du centre-ville, la correction qui s’ensuivit, les jeux malsains entretenus par un cousin indélicat.

 

 

CHAPITRE 1 : ROSE

 

 

Les balades au jardin des Plantes, les vitrines illuminées, ne parvenaient pas à me faire oublier l’hiver interminable, les glissades dans les rues nauséabondes et la mine sombre des passants.

La vie parisienne ! Maman, en blouse et queue de cheval, sa fiat 500, le premier commerce de mon père, une station essence, boulevard des Batignolles. Nos successifs bergers allemands de garde. L’odeur âcre de l’essence s’insinuant jusqu’à mes poumons, délicieusement, malgré l’interdiction maternelle. En catimini, je m’attardais près de la pompe pour savourer le plaisir défendu jusqu’à l’étourdissement.

Des jeudis, occupée à construire d’improbables édifices en pâte à papier dans un temple protestant, le jus de pomme, servi en abondance, à la cantine, la piscine glacée d’où je sortais terrorisée, puis en vrac, un vétérinaire soignant les animaux fabuleux des zoos voisins et des lions arrivant sur une civière, quelques vedettes de cinéma entrevues, des travestis, artistes et autres étrangetés, comme cette excentrique cliente, propriétaire d’un petit singe habillé en poupée et portant un béret. Apeurée et fascinée, je contemplais régulièrement sa fuite éperdue vers les étagères les plus élevées du magasin…

Marinieva, fillette espagnole élevée sévèrement par un père machiste, soutenant que les enfants naissaient dans les roses ou les choux. Choquée,  je m’empressais de démentir. Nous jouions dans la cour entourée de grilles jouxtant le magasin.

Et puis une autre gamine, dont je ne me souviens même plus du prénom, juste son parfum et des pâtisseries de la boulangerie paternelle. Pour une gourmandise, j’aurais fait beaucoup... Trop. Mon père, d’origine beauceronne, beau brun, aux yeux clairs et froids, conduisait souvent la fragile et difficile petite fille que j’étais dans sa famille, en convalescence. La Simca embrumée par la fumée de ses gitanes sans filtres, gitanes farouches et sombres qu’il admirait aussi, en séducteur impénitent.

Ma famille paternelle était composée d’un grand-père musicien, apiculteur et commerçant ruiné, une grand-mère cuisinière hors pair, dotée d’une santé mentale chancelante et d’un égoïsme forcené, le physique  très méditerranéen. Le caractère jaloux et soumis de maman contrastait violemment avec celui de ma tante, une femme blonde, élégante, douce d’apparence et carriériste.

Mais l’arrivée de ce petit garçon allait bouleverser mon quotidien. Il était aussi blond que je suis brune, yeux sombres ourlés de cils fantômes, duvet transparent, à l’odeur de pain.

La jalousie mêlée de joie, le départ vers les cieux plus doux de la région toulousaine où nous possèderions une chambre commune, la fin des petites histoires, et d’une certaine manière de l’innocence, marquèrent ma huitième année. Il était convenu que dorénavant, je seconderais ma mère, épuisée par les exigences diverses du pater pour garder Pierre.

 

Au début, la transition fut difficile. On m’envoya quelques mois à l’école religieuse du Fousseret, chez mamie, pour aménager notre nouvelle habitation. J’étais saisie par le contraste entre l’école pilote de Bécon et les encriers d’un autre âge…

Et puis, dans ce que j’appelle la période toulousaine, commença un rapport ambigu avec cette ville ! Je déteste le vent d’Autan et la chaleur épuisante en été, le brouillard pollué et le froid humide de l’hiver, son côté sale bruyant et "méditerranéen" m’insupporte. Pourtant, je vénère l'empreinte de l'Espagne en elle (sauf la corrida), la patine rose de ses briques avec un je ne sais quoi de florentin, je déteste la violence verbale et le côté affable des gens, les « cons » distribués à chaque phrase. Pourtant, leur gentillesse est délicieuse...

Cette fois, les souvenirs s’effacent pour laisser place à ma vie.

— Kiki, tu as terminé tes devoirs ? Laisse le journal de Mickey. Emmène Pierre se promener, il pleure là !

Voix passablement exaspérée de ma mère ! Nous habitions désormais au-dessus du garage et de la station service qu’ils géraient avec dévotion. Je tirais la lourde poussette à l’extérieur. Curieusement, le bébé était silencieux, me fixant de son beau regard vide. Je renâclais à sortir faire les kilomètres obligatoires nous séparant du dîner. Mais au moins cela permettait de rêver durant ce moment privilégié sans obligations. Je rejoignais mon amie de l’autre côté du « Cristal », immeuble emblématique toulousain. Aux Arènes, à la grande barre, plusieurs nationalités et religions cohabitaient. Véritable tour de Babel de la ville rose, l’immeuble réunissait une foule cosmopolite. Il fut construit, à la base, pour accueillir les pieds-noirs. Manuela, mon amie, était le dernier enfant d’une famille portugaise.

— Salut, tu vas bien ?

Je fixais le grain velouté de sa peau mate, ses yeux sombres où l’on ne pouvait discerner la différence de couleur entre l’iris et la pupille. Des cheveux épais, bouclés, envahissants, luisants, quasiment inhumains. Son parfum poivré légèrement acide contrastait avec le rose tendre ingénu de son chemisier à col Claudine.

— Oui ! Enfin, Karl m’a fait punir par mon père. Je ne vais pas pouvoir rester longtemps.

Elle parlait de son frère homosexuel, barman dans une boîte de nuit toulousaine (Ça, je le sus bien plus tard). Manuela était le pilier de son foyer. Elle gérait, dès dix ans, toute la paperasse française administrative de sa famille.

Nous jouions à habiller et peigner nos poupées, à la marchande !

Le temps passait au milieu des rires et de nos confidences. Soudain, mon frère, Pierre, endormi à côté dans sa poussette, se mit à brailler, marquant la fin des jeux. Ce soir-là, j’arrivais en retard et une fois de plus, mon père, furieux, m’invectiva.

— Tu es nulle, ma pauvre fille ! Imagine notre inquiétude, encore à traîner avec les Arabes du quartier !!

Il avait beau être commerçant, ancien d’Algérie, il possédait toujours du ressentiment envers ceux qu’il appelait les barbares. Je passais aux yeux des habitants du quartier pour une jeune bourgeoise. Image entretenue par ma sauvagerie naturelle, mais la vérité était autre, une seule amie à la fois, et des parents plus occupés à leurs affaires qu’à dispenser des cours de danse ou de dessin à leur sauvageonne de fille !

Les années passaient en étudiant, m’occupant de Pierre, les fins de semaines ou les vacances à la campagne permettant d’observer, avec curiosité, un monde coloré.

Ma grand-mère était profondément croyante et pratiquante. Elle empoisonnait le quotidien de mon grand-père pour une infidélité passagère, datant de quarante années, avec la factrice durant la seconde guerre. (Une femme qu’elle avait agressée et traînée par les cheveux). Elle veillait jalousement sur sa petite famille. Attentionnée, après chaque messe dominicale, elle ramenait, sur sa mobylette, un trésor sucré.

— Vous n’avez, Yvonne, ramené que deux éclairs au chocolat et quatre religieuses au café !! VOUS savez pertinemment que personne n’aime le café !! Et comme d’habitude, vous donnerez les chocolatés aux enfants, protestait mon père… Ces deux êtres se détestaient cordialement, l’un régnant avec autorité sur la famille, l’autre par la gourmandise. Yvonne, ma grand-mère, attribuait deux rôles aux représentants de l’espèce masculine, celui des artisans ou/et des reproducteurs. Au-delà d’une dizaine d’années, elle les supportait du mieux qu’elle pouvait, c'est-à-dire mal… réservant son affection à ses filles, petites-filles ou voisines. Après avoir dégusté un déjeuner qui s’éternisait une bonne partie de l’après-midi, mon père faisait une sieste au soleil ; ma mère et ma grand-mère s’égayaient dans le jardin pour admirer les nombreux spécimens de rosiers anciens ou remontants qu’elle collectionnait. Je m’éclipsais pour courir pieds nus dans les petites rigoles des pâturages alimentant en eau le bétail, ou découvrir, malgré la désapprobation des adultes, les nichées de chatons lapereaux ou autres canetons dont je m’enivrais, odeur animale et enfantine à la fois. Je tentais d’improbables expériences, habillant le chat « Ninisse » de la maison d’une brassière et d’un bonnet, mon gros lapin des Flandres avec une écharpe, les promenant ensemble dans une poussette, persuadée,innocemment, qu’ils pouvaient devenir, pour mon bon plaisir, les meilleurs amis du monde.

« Grégoire !! Venez ! ». Je reconnus la voix impérieuse de mamie.

Après les petites humiliations verbales du matin, j’imaginais bien que mon père n’allait pas s’en tirer à si bon compte.

— Venez voir.

 

Elle le conduisit à sa chambre, pièce utilisée seulement la belle saison pour sa fraîcheur. D’un air victorieux, elle brandit soudain un loir, sous son nez, en le tenant par le pompon de la queue. L’animal était mort.

— Vous avez dormi dessus, dit-elle et, pauvre bête, vous l’avez écrasée !

Elle parlait avec un sourire ironique (faisant allusion à un embonpoint plus que respectable).

— C’est en retournant le matelas pour l’aérer que je l’ai trouvé. Ils se refugient dans les pièces inhabitées, l’hiver, pour hiberner.

Elle continua.

— Cela fait certainement un bout de temps que vous dormez ensemble.

Mon père chancela, tout pâle. Il avait la phobie de tout ce qui se rapprochait, de près ou de loin, des rats. Malgré mes supplications, jamais je n’aurais un hamster. Seuls les lapins échappaient à cette aversion, probablement grâce à la longueur de leurs oreilles et les écureuils, de leur queue. Il évitait soigneusement le bord des étangs et gravières de peur d’apercevoir un ragondin, était monté sur une chaise dans la cuisine, devant une souris, en hurlant. Sa peau, rougie par le soleil, était parcourue de frissons, elle tenait sa vengeance.

Une autre fois, elle écorcha sa dignité en l’attirant vers une dépendance. Du haut d’une poutre, un rat eut la mauvaise idée de tomber dans la chemise entrouverte de mon père qui s’enfuit en vociférant, comme un beau diable ! Bref, la guerre était toujours de mise entre eux, bien qu’au fond je les soupçonnais de s’ennuyer l’un sans l’autre.

Au fond… ces années restent pour moi douces et affectueuses, entourée par des êtres aimants.

L’année de mes neuf ans, la tempête tropicale déferla, l’arrivée tôt, bien trop tôt de la puberté et de mes règles.

Une coiffure ridicule à la Stone, des seins assez volumineux, et en rapport avec ces catastrophes, les garçons qui commençaient à me regarder avec curiosité, intérêt.

— Marie, reviens ! Mais où va-t-elle, où ? Rattrapez-là !

La voix paniquée de madame Victor, l’institutrice de CM1, fusait, lointaine dans le bourdonnement parvenant singulièrement à mes oreilles et le regard ébahi des autres élèves me ramenant, en me tenant fermement par la main, vers ma classe…

Un matin, au petit déjeuner, après une nuit agitée, épuisée et vaguement nauséeuse, je glissais de ma chaise vers le néant…

Comment vous dire, j’aurais pu imaginer une lumière blanche, mais rien, RIEN, abolition totale du temps, un avant, et le vide.

— Kiki, ma chérie, reviens, s’il te plaît !!

 

Un linge mouillé sur le front et la sensation d’humidité entre mes cuisses, je compris que j’avais uriné sous moi, mortifiée. Maman, les larmes aux yeux, balbutiait.

— Papa arrive ! J’ai eu tellement peur !! On va t’emmener à l’hôpital, nous sommes là.

J’appris ce qu’étaient les convulsions, après une batterie de tests dont un électro encéphalogramme, hérissée comme un porc-épic.

ÉPILEPSIE, le verdict tomba.

Je sombrais dans une sorte de léthargie perpétuelle provoquée par les anticonvulsivants. Ils me laissaient épuisée dès le réveil. Mes parents décidèrent d’arrêter spontanément le traitement, après quelques semaines. Mes résultats scolaires dégringolaient vertigineusement et un mutisme permanent m’avait envahie. Je m’étiolais telle la dame aux camélias, mais à neuf ans.

Les hallucinations commencèrent. Je n’osais plus aller me coucher, redoutant de réveiller mon frère avec mes cris.

—Marie, tu te rappelles la nuit dernière ? Tu as bu du lait froid ?

— Impossible, maman, je déteste le lait froid !

— Je bouquinais assez tardivement. Tu es entrée dans la salle à manger, totalement nue, ta chemise sur les bras, les yeux grands ouverts, tu as bu un verre de lait…

Les journées passaient dans l’angoisse. Après, le somnambulisme s’invita régulièrement. Par la suite, arrivèrent des hallucinations, terreurs nocturnes diverses. J’avais la sensation d’être observée. De plus, la « dépêche du midi » rapporta, à cette période, d’étranges phénomènes lumineux, associés tantôt à des manifestations surnaturelles, tantôt à des visites extra-terrestres, ou encore des essais, plus ou moins secrets, de l’Aérospatiale, dans le ciel toulousain. Je n’osais pas parler… Et par la suite, pour éviter d’être traitée de folle,  je décidais de rester silencieuse.

Une nuit, l’impression de présences diaphanes au-dessus de mon lit m’arracha au sommeil, des sortes de murmures. Je me précipitais sur le fauteuil, dans la chambre de mes parents, terrifiée !

Brusquement, comme il était venu, le malaise se dissipa. Persistèrent d’horribles épisodes de douleurs menstruelles, me clouant au lit une journée entière, malgré les traitements.

La vie reprit son cours.

Les jeux m’intéressaient moins, excepté mes poupées de collection « Bella ».

Juillet arriva et l’insouciance. Mon petit frère restait avec mes parents, en ville.

Potions de fleurs, bicyclette, les cheveux au vent, découvertes variées, je passais mon temps au milieu de la basse-cour, m’enivrant du parfum des diverses herbes séchées, du duvet, du poil, prenant conscience de ma nature animale fougueuse, indisciplinée. Je maîtrisais, à présent, la compréhension du patois occitan, déchiffrant parfaitement le sens des disputes entre mes grand-parents… sans en avoir l’air.

— Émile, mais où est ce putain d’homme ?? (En patois)

Je le soupçonnais une fois de plus de s’attarder chez un voisin pour l’apéro, loin de sa bouillante et acide épouse.

— Et bien, tant pis, je planterai les piquets sans lui !!

Je savais qu’elle se plaindrait, le soir venu, de violentes douleurs rhumatismales, dues à la paresse de son indigne de mari.

Mamie me gâtait outrancièrement, farinettes (entremets) confitures maison, pâte de coing, salé de canard. Sa crainte pour ma santé enchantait mes repas, très peu de remontrances ou de devoirs de vacances, un peu de broderie sous le poirier. Je me rappelle bien de quelques séances de colère où elle me pourchassait à coups de balais, sous la table, menaçant de tout raconter à mon père, mais à part cela, seuls persistaient le plaisir et la liberté de rester la reine des canards, et de tout le poulailler !

— Mamie, tu sais, je veux beaucoup d’enfants, mais pas d’homme, les pères c’est sévère, nous vivrons au milieu des animaux, sans contrainte.

Cette idée me ravissait !

— Tu feras comme tu voudras, ma chérie. En tout cas, évite d’épouser un paysan, ils sont bourrus, tu serais malheureuse comme les pierres, ma pauvre petite.

Et son front se plissait :

— Prends un mari à la ville, tu pourras porter de belles toilettes, te parfumer.

En disant cela, ses yeux gris semblaient soudain rajeunis.

Des épisodes toulousains suivirent, ponctués par les séances de cinéma auxquelles j’emmenais mon frère. Cela me permettait d’échapper aux fréquentes disputes des parents concernant l’argent ou la jalousie, exacerbée, alimentée par les disparitions inexpliquées de papa.

Les années passaient doucement, sans plus de remous autres que ceux provoqués par les adultes. Malgré quelques crises de somnambulisme, des résultats scolaires convenables me permettraient, sans doute, d’échapper au modèle familial, d’effectuer un cursus plus long.

Une bien triste nouvelle arriva l’année de mes onze ans. Mon grand-père paternel, fragilisé par un diabète insulinodépendant, venait de décéder. Le choc passé, sa disparition apporta forces supputations sur la manière de gérer l’héritage, assurer à son épouse une vie décente.

 

Ma tante, fâchée avec dans l’ordre sa mère et sa fille, entretenait curieusement des rapports étroits avec ma mère, adorant celui qu’elle appelait son petit frère, papa ! Elle était son aînée d’une douzaine d’années, nous rendait de fréquentes visites. J’admirais sa blondeur distinguée, c’était une femme étonnante. Un certificat d’études avec mention, et un CAP de coiffure l’avait poussée à entrer aux PTT puis continuant sur sa lancée, elle était devenue, successivement, gérante d’une boîte de nuit en Tunisie, et de retour à Paris, directrice de clinique. Elle possédait une forte inclination pour les hommes de pouvoir, l’opéra et les bijoux.

Une sombre histoire de meurtre non élucidé, dont elle avait été le témoin involontaire, lui faisant craindre pour sa vie. Elle venait de quitter la capitale pour s’exiler en Provence avec son dernier amour, un brillant ingénieur fraîchement séparé et fou d’elle.

Désormais, je passais une partie de mes vacances chez elle et son ami, près d’un centre d’essais nucléaires. Elle gérait là-bas  une structure hôtelière pour de jeunes ingénieurs venant du monde entier, travaillant à la centrale.

— Tatie, pourquoi y a-t-il tant d’escargots blancs ici ? C’est à cause de l’atome ? demandais-je, déjà préoccupée par les problèmes liés à l’environnement.

Cela faisait beaucoup rire Henri, son ami ! Entre tennis et réceptions amicales, leur vie pouvait être qualifiée d’idyllique, selon mes critères d’évaluation de l’époque.

Un seul détail me chiffonnait, leur sieste. Au début, je pensais à un lien avec les bouquins trouvés dans la bibliothèque lus avec avidité, en cachette, (du marquis de Sade et de Sacher Masoch entre autre…) mais non, des cernes profonds apparurent sur le visage des amoureux.

Je rentrais à Toulouse !

Manuela, mon amie, avait changé durant l’été. Un peu dépitée, je contemplais, désormais, un charmant papillon nocturne exotique. Des sifflements admiratifs accompagnaient nos balades urbaines, me laissant troublée, vaguement jalouse.

Au placard, les tenues d’écolière ! Désormais, elle portait des petits talons, assortis à un maquillage discret. J’étais littéralement ébahie par sa dernière acquisition, des chaussures compensées transparentes dans le talon desquelles se glissait une carpe japonaise orange. C’était pour moi le summum de l’élégance féminine.

Timide, mal à l’aise, quel qualificatif utiliser pour décrire mon état d’esprit, rêvant de féminité et de charme, malgré des formes embarrassantes dont je ne possédais pas le mode d’emploi.

Un soir, au retour du collège, je surpris mes parents parlant à voix basse. Papa avait l’air soucieux et je saisis le prénom d’Henri.

 

— Que se passe-t-il ? C’est grave ?

— Henri est atteint d’une leucémie galopante.

Je ne connaissais pas cette maladie mais j’imaginais que cela n’avait rien à voir avec la gracieuse course des chevaux…

Fatalement, le fiancé de Tatie s’en alla, aussi promptement qu’il était apparu dans sa vie. Elle bascula dans une profonde mélancolie, resta seule, et désespérée. Son rire disparut du téléphone, elle oublia ses rêves.

— Tu sais, ma kiki, j’ai aimé, souvent. Lui, c’était « l’homme de ma vie », l’unique. Nous avions prévu un mariage au printemps, nous devions signer pour l’acquisition d’un terrain dans le haut Var près du Verdon. Il y a trois mois, quinze jours avant sa mort, il m’a accompagné acheter une robe pour cette occasion exceptionnelle, écarlate ! Je me doutais déjà… y voyant un présage supplémentaire. Il est mort dans mes bras.

Les amis s’en allèrent, oubliant cette veuve qui ne l’était pas vraiment. Les parties de tennis se muèrent en lectures silencieuses et parties de cartes. Elle se mit à consulter des voyantes, puis finalement vint nous rejoindre.

— Tatie, que penses-tu de mon dessin ?

— Quel talent ! Pourquoi tes parents ne t’inscriraient-ils pas à un cours de PEINTURE ??

On arrivait sur le terrain mouvant des désirs de mes parents concernant mon éducation. Pour ma mère, c’était :

— Elle fera ce qu’elle pourra !

Mon père avait peu d’idées sur la question ! Ou peut-être une carrière commerciale, et poursuivre les traditions familiales…

J’étais une bonne élève en français et m’en sortait convenablement en langues étrangères. Un cursus littéraire classique tout trouvé.

Maman rentrait du travail.

Comme d’habitude, elle était habillée négligemment d’une robe coulissée fuchsia, maquillée d’un épais trait d’eye-liner brun, elle affichait des lèvres pulpeuses, cuivrées !

Aujourd’hui, près de l’allure un peu mondaine de ma tante, j’étais frappée par la désharmonie vestimentaire maternelle.

Je le lui fis remarquer, sans diplomatie, avec toute l’arrogance de mes treize ans… C’en était trop ! Elle venait de recevoir des remarques désobligeantes d’une amie et sa fille la poussait vers un placard poussiéreux, tout cela devant sa belle-sœur.

 

Une porte claqua, à la place de ma joue. Je sursautais, persuadée que la franchise était la seule attitude à adopter face aux évidences.

Une période suivit, faite d’ombre et de lumière. Le soir, je lui parlais de mes dernières notes, un quinze en anglais, un seize en histoire.

— Maman, tu m’achètes un rouge à lèvres, s’il te plaît ??

— Hors de question !

La diplomatie n’a jamais fait partie de mes aptitudes.

— Pourquoi ? Manuela se maquille, c’est joli et discret. De plus, elle porte des chaussures à talons. Je voudrais juste du baume coloré, brillant, pour donner bonne mine et protéger ma bouche du froid !

Cet argument pseudo médical la laissa de marbre. Tout comme mes supplications pour porter un jean. Elle persistait à m’habiller en fillette, jupettes fleuries ou en flanelle. Manteau en laine bleu marine, de chez « Cacharel », chaussures désespérément plates.

Je ne trouvais pas les mots pour communiquer avec elle, nous ne trouvions plus l’occasion d’être bien ensemble… les griefs s’accumulaient, et ce malaise, ils l’appelaient  « adolescence ». Arriva mon anniversaire et le premier pas vers un chemin semé d’embuches, l’âge adulte.

Telle une pie, j’avais formulé de nombreuses fois mon admiration pour les parures scintillantes exhibées par Tatie.

Elle m’offrit une aigue-marine montée sur un anneau délicat en or jaune, mon premier bijou, premier objet de femme, sur la liste de nombreuses autres exigences.

À ce moment-là, je vivais encore loin de la planète conso ; ça ne durerait pas… Frustrée et mécontente, je me confiais à mon amie.

— Je me sens terne, sans maquillage, jean, juste une petite fille insignifiante.

Devant mon air renfrogné, elle dit.

— Viens avec moi, on va en piquer un au supermarché, personne ne verra rien, je sais où sont dissimulées les caméras.

Le soir même, la peur au ventre, nous sortions en courant du magasin, sous l’œil impassible des vigiles, l’objet avait été essayé et sorti du blister. Par crainte, il était plus petit.

Cela semblait le comble de la décadence. Pour moi, admiratrice de Baudelaire, les fleurs du mal avaient le parfum de ce rouge à lèvres dont la couleur violente contrastait avec ma personnalité et mon style de jeune chatte effarouchée.      

 

Le printemps revint et avec lui des nouvelles provençales. Ma tante avait, par le biais d’une agence de rencontres, retrouvé un homme. Il correspondait parfaitement au profil recherché.

Nous n’en savions pas plus…

Quatorze ans, des désirs plein la tête, torturée et les poches vides, je commençais à aider ma mère au magasin, à faire la pression des pneus ou à servir du carburant aux clients répugnant à se salir les mains.

— Marie, écoute ! Il faut dépasser ta sauvagerie naturelle si tu veux faire du commerce. Apprends le moelleux !! Les gens te trouvent réfrigérante. Descends de ton monde lunaire !

Ainsi parlait mon père, être aimable et garder la tête froide pour comptabiliser la monnaie. L’opposé de ma nature, rêveuse et secrète.

Je me rendais bien compte qu’il avait raison. Si je voulais accéder à ce monde pailleté attirant, il faudrait évoluer, endosser un costume, et le garder ma vie durant.

Ma mère était différente, communicative, souriante, elle chantait souvent et portait de jolis tailleurs. Sa rébellion la poussa à adopter une coiffure courte, ce qui provoqua à la maison une effroyable dispute. Mon père décréta qu’il n’avait pas épousé un gars.

— Tiens, regarde ce petit pull-over, c’est pour toi, Kiki. N’en parle pas à ton père, disait-elle avec un air complice, sortant d’un luxueux sac imprimé de coquelicots géants, un nouvel ensemble en laine et tweed (en lainage piquant) en plus du pull, en annonçant des prix déraisonnables. Je détestais cette complicité mensongère. Incompréhension totale devant ces cachoteries provenant d’une femme gagnant sa vie, secondant parfaitement son époux et travaillant une partie de son temps aux PTT.

Cahin-caha, un nouvel épisode provençal arriva. Mamie était fatiguée. Cet été-là, nous partirions dans une maison louée pour l’occasion dans les collines seynoises et dominant le ruban azur de la méditerranée.

J’étrennais mon premier jean. Un tee-shirt mauve s’accordait parfaitement au vert changeant de mon regard. Une chevelure longue et ondulée remplaçait désormais les courtes mèches pratiques affectionnées par maman.

Heureuse de monter dans la Mercedes familiale et de laisser derrière le collège et les soucis, malgré la frousse des profondeurs aquatiques, je pensais aux crêtes blanches des vagues et aux crêpes chocolatées… à la caresse généreuse du soleil et aux soirées tièdes. Devant une maison basse, typique des années cinquante aux couleurs surannées, sur la terrasse stridulante de cigales, s’avançaient deux hautes silhouettes.

 

Tatie, au premier plan, sourire aux lèvres, dans une robe fleurie bain de soleil, avançait, les bras ouverts vers papa.

— Mon petit frère, je suis tellement heureuse, nous allons passer des vacances formidables ! Voici Georges… et son fils, Paul.

Quatre paires d’yeux nous observaient avec curiosité. Georges arborait un regard d’un bleu pâle et froid, une fine moustache, une élégante nonchalance, une calvitie avancée. Moins séduisant qu’Henri, il était cependant ingénieur chimiste. Tatie avait décidé de faire un pied de nez au destin, ou au hasard… En le choisissant, elle reprenait son avenir en main.

Une seule chose m’importait, l’expression du deuxième homme, c’était un adolescent à peine plus âgé que moi.

— Kiki (brusquement, je me mise à haïr ce sobriquet), voici ton cousin !

Mes parents et moi-même enregistrions ce qu’impliquait cette phrase, un mariage précipité, sans nous.

— Oui. Depuis une semaine, dans l’intimité. Avec la famille, ça aurait été compliqué, nous ne voulions pas attiser les ressentiments.

J’enregistrais ces informations avec une seule image, le regard du jeune homme devant moi.

Une tignasse bouclée, sombre et brillante, un sourire immaculé, mais le plus remarquable, des prunelles semblables aux miennes, d’une nuance plus turquoise. Mince et vraiment très grand, il tendait sa main vers moi.

— Bonjour ! Heureuse de vous connaître, laissais-je tomber d’une voix blanche.

— Tu me vouvoies, nous sommes cousins.

Le ton était ironique, comme le sourire relevant légèrement la commissure de ses lèvres. Je lui tendais la main mais il m’attira vers lui pour déposer un baiser sonore sur ma joue. Et je sus à ce moment.

Jamais, oh grand jamais, je ne pourrai le considérer comme un cousin ordinaire !

Sans idéal masculin, cette silhouette et ce sourire angélique s’imprimaient, élargissant le champ des possibles.

Après quelques jours d’adaptation au confort sommaire de la maison, nous commencions à en apprécier toutes les surprises, dîner dehors à « la fraîche », jouer au billard russe mis à notre disposition, paresser tard, le matin, et rejoindre la plage noire de Fabrégas, non loin de là, baignée par une eau de mer saphir.

 

Paul, avec toute la témérité de ses seize ans, dormait