De la Truffe - MM. Moynier - E-Book

De la Truffe E-Book

MM. Moynier

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Beschreibung

Extrait : "On a longtemps cherché et l'on s'est longtemps occupé d'analyser cette étonnante production appelée TRUFFE. La botanique et la médecine ont fait chacune de leur côté de studieuses et de savantes recherches ; mais toutes ont été infructueuses ; elles n'ont pu arriver à nous apprendre et à nous démontrer ce qu'était au définitif la substance De la Truffe ; comment elle prenait germe, comment elle grandissait."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Préface

Plusieurs personnes auxquelles nous avons parlé de notre traité De la Truffe, nous ont tenu ce langage : « Mais qu’y a-t-il donc tant à dire là-dessus ? » Une pareille observation nous a fait relire notre manuscrit plusieurs fois ; et nous y avons fait des recherches, afin de saisir et de retrancher ce qui nous paraîtrait n’être que longueurs et superfluités ; mais nous n’avons rien trouvé : nous avons jugé indispensable de tout dire, de tout imprimer.

D’autres personnes, dont les professions embrassent ce tubercule, nous ont fortement engagé à faire cette publication, afin surtout d’établir des bases sur l’emploi de la truffe, tout en nous laissant sentir du reste qu’il ne serait pas généreux de tenir ignoré les résultats de nos recherches et de nos travaux.

En effet, amour-propre d’auteur à part, ce n’est point un opuscule à ajouter à tous ceux qui existent déjà, qui ont traité si légèrement et si imparfaitement de cette matière que nous avons entendu faire. Forts de douze années d’études de toute nature sur le tubercule, nous osons pouvoir dire le bien connaître ; et, puisque la truffe devient de plus en plus répandue, nous avons présumé qu’il serait agréable à l’amateur d’avoir sur elle un traité, qui en fût réellement un, dans lequel il pût puiser au besoin des moyens certains de la connaître et de l’employer : car jusqu’à ce jour on n’a pas fait encore à la truffe l’honneur d’une description aussi étendue qu’elle le mérite.

Nous n’avons pas eu la prétention d’écrire pour un genre de littérature. Nous ne nous classons dans aucune école, ni dans l’ancienne ni dans la nouvelle ; nous n’avons voulu qu’être narrateurs, descripteurs ; dès lors, nous nous sommes seulement attachés à rendre avec clarté le sujet de notre publication.

L’ordre et les divisions que nous avons suivis ont été encore en vue d’être les plus intelligibles que possible. Notre intention principale, en publiant ce livre, est de détruire les errements usités, en foi de ce qui a été écrit ou dit jusqu’à présent par des littérateurs, marchands ou amateurs, plus superficiels, que profondément instruits et éclairés sur leur sujet.

Enfin, nous croyons avoir jeté les vraies lumières sur la connaissance et l’apprêt des truffes, en publiant dans notre quatrième partie les méthodes, que nous avons jugées être les seules appropriables à l’art culinaire en ce qui concerne la truffe.

PREMIÈRE PARTIEDescription et histoire naturelle

On a longtemps cherché et l’on s’est longtemps occupé d’analyser cette étonnante production appelée TRUFFE. La botanique et la médecine ont fait chacune de leur côté de studieuses et de savantes recherches ; mais toutes ont été infructueuses ; elles n’ont pu arriver à nous apprendre et à nous démontrer ce qu’était au définitif la substance de la truffe ; comment elle prenait germe, comment elle grandissait ; si c’est par culture, ou bien par terre préparée, ni de quelle manière on devait s’y prendre pour la propager, la cultiver, la multiplier. Tout cela n’est que demeuré inconnu et dès lors impossible à exécuter. Il faut donc que l’amateur, le gourmet s’en tiennent à savoir qu’à l’excellent goût, au succulent parfum qu’elle exhale, elle réunit, d’après le dire de messieurs de la faculté, la propriété de ne jamais causer d’indisposition qui puisse avoir de suites fâcheuses, de réchauffer nos sens amortis, et par là donner de la gaieté au plus froid convive.

Les connaissances pratiques que l’on a de la truffe, ses formes physiques peuvent la faire avec le plus de certitude décrire ainsi.

La truffe est une espèce de tubercule végétal, ou de masse charnue, presque informe, raboteuse, sans tiges ni racines ; recouverte par de petites éminences en forme de boutons ; de couleur parfaitement noire ; au-dedans d’un charnu de la même couleur, pourtant moins prononcée ; veinée en tout sens ; généralement très odorante ; elle se trouve dans la terre. C’est une substance mangeable ; sa nature est échauffante et irritante ; elle possède le feu le plus pénétrant et le plus actif des autres végétaux, ce qui l’empêche d’être prise comme aliment simple, c’est-à-dire pouvant seule sans danger remplir un estomac affamé. Son emploi ordinaire est d’accompagner auxiliairement les mets dans lesquels on la fait entrer.

La truffe naît, vit et meurt ; ses puissances charnues n’existent que pendant sa vie ; une truffe qui en devient privée ne vaut rien. Nous voudrions pouvoir expliquer d’une manière solide au lecteur quelles sont les matières qui concourent à former ce tubercule ; mais jusqu’à présent, c’est ce qu’on n’a pu saisir. Pour nous les connaissances que nous avons acquises sur ce tubercule, l’étude et les examens auxquels nous nous sommes livrés nous ont fait arrêter à un jugement, à une opinion ; et ce jugement cette opinion, nous osons les présenter comme certains ou tout au moins comme tout ce qui peut se recueillir de plus fixe, de plus probable sur le compte de la truffe. Partant de là, nous offrons nos analyses au lecteur comme étant celles qui peuvent être les plus certaines, convaincus du reste que nous sommes, que notre expérience seule suffit pour nous préserver des illusions et des errements.

Nous avons vainement cherché dans les traités de médecine et de botanique quelque autorité, quelque précision qui pussent nous permettre de présenter au lecteur une description assez assise de la nature de ce tubercule ; mais nous n’avons trouvé que du vague et des contradictions, qui se résument très bien par les laconiques définitions qu’en donnent les principaux vocabulaires.

L’Académie : TRUFFE, s. f. plante très savoureuse et très odoriférante, qui n’est en apparence qu’une masse charnue, qui se trouve dans la terre et qui ne pousse ni tige, ni feuilles, ni fleurs, ni racines.

Boiste : TRUFFE, s. f. plante et tartuffe, espèce de champignon informe, charnue, sans tige ni racines, raboteuse, odorante, veinée ; se trouve dans la terre.

Noël : TRUFFE, s. f. tuber : sorte de champignon sans tige ni racines, qui a la forme d’une masse charnue, et qu’on trouve dans la terre.

On voit donc que la nature des truffes est un vrai mystère ; qu’on est encore à découvrir comment elles naissent, poussent, mûrissent et se reproduisent ; que l’on ne peut former là-dessus que des conjectures toutes fort équivoques, fort incertaines ; car les remarques exactes, les véracités qu’ont pu obtenir les gens qui les cherchent, qui en commercent, ainsi que les amateurs qui les étudient, ne sont fondées sur rien qui puisse déterminer à adopter irréfragablement la moindre croyance.

Nous le répétons : on ne connaît nullement la nature des truffes ; elles n’ont point de germes ni de semences, conséquemment on ne peut ni en semer, ni en planter, ni en cultiver ; toutes tentatives faites jusqu’à ce jour, et qui ont eu pour but l’un ou l’autre de ces résultats, ont toutes avorté. Combien ne doit-on pas sourire à ces instructions de toutes sortes qui sont données dans divers traités sur les diverses manières prétendues récemment découvertes d’en faire produire à volonté, et d’en importer et immatriculer d’un bon canton, soit du Périgord, soit du Dauphiné, ou de la Provence, dans tout autre terrain du goût de l’amateur, de faire enfin à son gré des Truffières, comme on est certain de faire produire du blé à son champ ! Combien produirait d’hilarité à ces paysans extracteurs, connaisseurs consommés, s’il en doit être, la lecture de ces divers manuels imprimés, non seulement de nos jours, mais tout récemment, où de si beaux systèmes sur la nature et la reproduction des truffes sont avancés et traités avec l’assurance du véridique ! L’incrédulité de ces bonnes gens, manifestée par une brusque et laconique réponse, ferait aussitôt justice de l’assurance et du ton musqué de ces messieurs, qui sur la matière prennent hardiment le ton de professeurs, eux qui n’ont jamais été écoliers.

Toutes combinaisons, toutes réflexions, tous calculs, toutes analyses faits, il faut s’accorder à croire à une espèce de prodige : que les truffes naissent spontanément dans toute leur grosseur, dans toute leur maturité ; et pour autorité de ceci, nous dirons seulement qu’il arrive fréquemment de fouiller dans un endroit, n’y rien trouver d’abord, y repasser une heure après, fouiller de nouveau, et cette fois y trouver des truffes de toutes les grosseurs en quantité plus ou moins considérable.

Il est donc bien constaté que cette substance ne naît pas par soins, par semence, par calcul, par opération de l’homme. Elle naît spontanément et sans aucun secours, par une révolution atmosphérique, de la pluie au beau temps, du froid au chaud, ainsi de suite. Mais il a été remarqué que l’intensité du temps froid produisait seulement les meilleures truffes et en plus grande abondance : c’est aussi seulement dans l’hiver qu’on en mange le plus abondamment.

Nous pensons que ce qui forme les truffes en terre sont des herbes racines, auxquelles se mêle une certaine quantité de terre de l’espèce à peu près de celle appelée terreau, humectée longtemps par des eaux pluviales, amassées et demeurées dans les terrains truffiers, en plaine à l’ombre des arbres, principalement le chêne, le mûrier ; ce qui a suscité l’erreur à certaines personnes de penser que des feuilles mortes de ces derniers arbres, tombées sur la terre et mêlées avec elle, produisaient la naissance des truffes.

La truffe a existé de tout temps ; clic existait aussi bien dans les temps les plus reculés qu’elle existe aujourd’hui. Il est du reste plus naturel de croire qu’on fait seulement de nouvelles découvertes, plutôt que de penser que la nature soit elle-même inventive. Quoiqu’il ne soit pas parlé de la truffe aux dîners des grands seigneurs du bon vieux temps, nous pouvons affirmer qu’elle y tenait place. Tout le monde sait pourquoi Molière appela du nom de Tartuffe, mot qui depuis a pris rang dans notre vocabulaire, le personnage principal de sa comédie. Il fut frappé de la rotondité du visage et du vermillon des joues d’un saint homme selon l’habit qui mangeait devant lui des truffes à la table d’un prélat. Ce digne homme était affublé d’une énorme robe de laine, laquelle enveloppait en même temps sa personne et une bonne partie de la table qu’il occupait. Cette attitude lui donnait un air profondément occupé ; il paraissait en mangeant ses truffes être en contemplation devant une madone ou savourer à longs traits des plaisirs intérieurs adroitement dissimulés. Comment appelez-vous ceci ? lui demanda Molière. – Truffe, mon cher maître, lui répondit le mangeur contemplatif. – J’en ferai Tartuffe et le pauvre homme, se dit Molière.

La truffe était donc en ce temps bien connue ; on ne saurait en douter, et bien auparavant la découverte en était faite ; mais sans chercher cette époque, qui se perd dans l’ignorance du vieux temps, et après Molière, nous voyons qu’elle n’attendait pas notre époque pour se faire remarquer ; que cette substance paraissait être fort ordinaire, pendant le siècle de Louis XV ; qu’il s’en consommait beaucoup, nous le pouvons assurer ; car plusieurs paysans nous ont affirmé que leurs aïeux en ramassaient considérablement, et que les quantités qu’ils en vendaient étaient d’une grande importance. Enfin ne voulant rien donner de douteux, nous nous garderons d’avancer un nom et une époque par qui et dans laquelle la découverte de la truffe aurait été faite.

 

Le mérite et la valeur de la truffe sont placés très haut par les personnes gourmets, d’un palais délicat ou très sensible ; c’est pour elles le superlatif de toutes les substances mangeables ; ils la recherchent et la convoitent avec avidité ; les regards dont ils la frappent sont dévorants et peignent visiblement la véhémence de leurs désirs, car la vue d’une truffe leur cause une émotion difficile à décrire ; ils la mangent avec une sensualité dont rien n’approche ; l’odeur de la truffe met tous leurs sens en émoi ; il est facile de se figurer les voluptés gourmandes qu’ils satisfont, lorsqu’ils la savourent et la mangent.

Beaucoup de personnes, et notamment les gens du peuple, ne trouvent point dans la truffe ces merveilleux mérites à la sensualité. Ils lui préfèrent un aliment des plus simples, des plus grossiers ; ils ne trouvent à la truffe qu’un goût fade, insignifiant. On peut en attribuer les motifs avec assez de probabilité à la virginité de leur palais, qui peu accoutumé aux mets de luxe, n’est point aiguisé ni éveillé, tandis que ceux qui l’ont fatigué, blasé et amorti par une constante nourriture de mets succulents, recherchent extrêmement les truffes ; parce qu’elles stimulent leur goût, excitent leurs sensitives friandes, ouvrent et aiguisent leur appétit. Mais les mérites et la succulence de la truffe ne sont parfaitement sentis, aperçus et goûtés que par les vieillards : il faut voir comme leur dégustation sait se faire rendre compte de tous ses goûts, comme leur palais en raisonne la succulence, comme enfin toutes les voies leurs sont ouvertes pour en humer toutes les sensitives gastronomiques. Allons plus loin : la truffe tient lieu, dit-on, à quelques-uns de toute volupté. Du reste, et généralement elle porte aux plaisirs des sens charnels. C’est en mangeant une truffe avec ce raffinement complet de gourmandise, avec cette sensualité indéfinissable qu’elle procure, qu’ils y trouvent une certaine jouissance, qu’il n’est point déplacé sans doute, pour la définir véridiquement au lecteur, de la qualifier délire.

 

Le goût et l’odeur de la truffe ont quelque chose d’aromatique, de suave, de violent, de parfumé, d’épicé ; ils imbibent et pénètrent tous les corps qui les entourent : que l’on mette dans un lieu renfermant seulement une ou plusieurs truffes, en voilà assez pour remplir l’espace d’une seule odeur, qui est celle de la truffe ; son odeur aliène même ou l’emporte sur celles qui pourraient exister par la présence de tous autres corps odoriférants dans la même pièce. Laissez également quelques truffes assez de temps (et il n’en faut pas beaucoup) parmi des fleurs, des fruits, de la viande ou toute autre substance sensible, elles leur communiqueront à un degré si fort leur goût et leur odeur, que ceux-ci détruiront entièrement ceux de ces autres substances.

Un petit ballot de comestibles d’office, tels que oranges, citrons, figues, nougats, gâteaux, etc. dans lequel on aura adjoint quelques truffes, et qui seront restés auprès de ces objets seulement pendant deux jours de route, déballé aussitôt son arrivée, ne présentera plus tous ces divers objets que leur goût naturel détruit et totalement gâté par l’extrême prééminence de celui de la truffe. Que l’on se garde de croire que nous parlons par induction : un fait pareil à celui que nous décrivons est arrivé, et nous avons vu de ces effets mille exemples confirmatifs.

 

Il y a des truffes de toutes les grosseurs, de très petites comme de fort grosses, depuis trois lignes de diamètre jusqu’à six pouces. Les différentes grosseurs ne les font point différer en qualité ; les petites comme les grosses sont indistinctement aussi bonnes.

La truffe, quoique informe, peut se dire ronde, mais d’une rondeur généralement peu régulière ; cependant il y en a de très cornues, de tortueuses, de biscornues, de tournées de façons les plus difformes ; plus la truffe est ainsi, et moins elle a de prix, parce qu’elle a plus de terre après elle, et qu’elle fait plus de déchet à l’épluchage que lorsqu’elle est tout à fait ronde.

La truffe n’est recouverte par aucune peau ni écale, car on ne pourrait appeler ou de l’un ou de l’autre de ces noms les petites éminences tilleuses, en forme de graine de millet ou de petits boutons, qui la recouvrent.

L’intérieur des bonnes truffes est un charnu noir, divisé et traversé en tous sens par des membranes extrêmement minces, de couleur plus ou moins foncée, tirant sur le blanc gris ; ce qui fait qu’une truffe coupée représente assez un marbre cendré. Ce charnu est peu humide. Les bonnes truffes sont toujours très fermes.

 

Il y a presque sur toute la surface du globe des truffes. Il y en a en Italie, en Piémont, en Corse, en Espagne, dans toute la France, en Allemagne. On en a trouvé dans le midi de l’Angleterre, dans quelques Îles des mers du nord et de la Manche, en Amérique, et généralement par toute la terre. Chaque contrée les a d’une espèce et d’une qualité qui lui est particulière : en exceptant celles du midi de la France, et auxquelles seulement s’appliquent les descriptions que nous venons de faire, toutes ces truffes ne sont pas fameuses ; elles sont à juste titre dédaignées, et n’ont en conséquence que peu ou point de valeur ; c’est pourquoi nous ne nous étendrons pas sur leur description.

Les meilleures truffes ne se trouvent donc que dans quelques départements méridionaux de la France, qui à eux seuls en fournissent aux consommateurs de toutes les contrées. On divise ces truffes en deux classes : la première du Périgord, qui comprend les truffes qui se trouvent dans les départements de la Charente, de la Haute-Vienne, de la Dordogne, de la Gironde, de la Corrèze et de la Haute-Garonne ; la seconde du Dauphiné, ou plutôt de la Provence, qui est la plus considérable et sans trop de justice la moins réputée, mais qui n’en donne pas moins des truffes excellentes de même qualité que celles du Périgord, et qui même dans certains moments l’emportent sur ces dernières de beaucoup en qualité. Elle comprend les truffes des départements de l’Isère, de l’Ardèche, de la Drôme, du Gard, des Hautes-Alpes, de Vaucluse, des Basses-Alpes, des Bouches-du-Rhône et du Var.

Les meilleures truffes du Périgord sont données par le canton de Sarlat (Dordogne), et par celui de Brives (Corrèze) ; les meilleures truffes du Dauphiné sont données par les cantons de Tain et de Valence (Drôme).

On ne reconnaît donc en France que deux espèces de truffes mangeables, gourmandes, parfumées et savoureuses ; ce sont celles que nous venons de dénommer sous les noms du Périgord et du Dauphiné-Provence, c’est-à-dire qui sont extraites de ces provinces. Ce sont les seules que nous reconnaissons bonnes, d’un parfait arôme et d’une exhalaison d’excellent parfum.

Il est cependant d’autres truffes dont on se sert à cause de leur précocité, d’autres par respect pour l’éloignement des lieux d’où on les exporte ; ce qui fait croire au consommateur qu’il faut que ce soit une excellente production, puisqu’on a pris la peine et fait les frais de la faire venir de si loin ; mais malheur, malheur, trois fois malheur au gourmet imprudent, inhabile qui se sera laissé fasciner et tromper ; son palais si bien disposé à la dégustation de la vraie truffe gourmande, ses titillations gastronomiques vont s’émousser ; ses facultés gourmandes sont perdues.

Parmi ces truffes étrangères à celles qui seules méritent leur nom, nous citerons celles d’Alsace, de Poitou, de la Bourgogne, de la Champagne, de l’Auvergne, etc. On en a même employé en 1831 de Vincennes, près Paris, où on en a trouvé à cette époque une assez grande quantité. En truffes étrangères, nous citerons les truffes à l’ail d’Italie, appelées ainsi à cause de leur goût d’ail fortement prononcé ; elles se rapprochent de la race des topinambours ; celles d’Angleterre, d’Espagne, d’Autriche, et même d’Amérique.

Les truffes existent tant dans les plaines que dans les forêts et sur les montagnes, parmi le thym, le romarin, le long des rivières, dans le sable ; quelques-unes même se ramassent sur le bord de la mer. Cependant elles se trouvent de préférence et en plus grande quantité aux alentours d’un bois, le long d’un taillis. Elles sont en terre depuis quelques pouces jusqu’à plusieurs pieds de profondeur, jamais à l’extérieur ; rien n’indique à la surface de la terre s’il y en a dessous. Le paysan fouilleur ou extracteur marche dans la campagne au hasard çà et là, indispensablement accompagné d’un chien, plus communément et plus fructueusement d’un pourceau ; il se laisse guider par cet animal, ou plutôt suit attentivement toutes les directions qu’il prend, selon son instinct et la pleine liberté dont il jouit. Attiré par l’odorat, il se dirige bientôt vers les divers endroits qui recèlent des truffes. Arrivé au lieu où il en existe, l’animal fouille aussitôt la terre ; son conducteur le laisse opérer jusqu’à ce qu’il fasse paraître quelques truffes, ou qu’il lui en voie manger ; aussitôt il éconduit son animal découvreur ; fort souvent il n’y réussit qu’à force de coups de bâton, car le cochon est tenace par véracité pour la truffe, qu’il aime beaucoup, en place de laquelle il est alors forcé de se contenter d’une poignée de gland, dont le dédommage son conducteur, qui ensuite s’occupe d’extraire et d’enlever les truffes qui viennent d’être découvertes.

Il n’y a pas de terrain affecté plus particulièrement à la résidence des truffes ; cependant la truffe paraît affectionner un terrain sec et stérile, ne produisant que des herbages insignifiants. Presque toujours les terres où elles se trouvent sont abandonnées par la culture. C’est à l’entrée d’un bois qu’elles se trouvent en plus grande quantité. Aux alentours du chêne on n’en manque jamais ; aussi existe-t-il sur les lieux de production, dans l’esprit de quelque observateur, ainsi que nous l’avons déjà observé, la croyance que la truffe est germée par les racines de cet arbre. Mais lorsqu’on considère que l’on en trouve également dans les plaines, sur les montagnes où il n’existe pas même le moindre arbrisseau, et qu’encore des terrains sablonneux sans arbres donnent également de fort bonnes truffes ; qu’on en trouve aussi sur les rives caillouteuses du Rhône, l’opinion que nous venons de rapporter est sur-le-champ détruite et ne laisse pas même à sa place le moindre doute dans l’esprit.

On trouve aussi des truffes le long des sentiers, aux bords des routes, aux pieds des buissons et des taillis.

 

Toute l’année il y a des truffes ; mais elles ne sont noires et en plus grande abondance qu’en hiver, c’est-à-dire depuis le commencement du mois de novembre jusqu’à la fin de mars. Cet intervalle de temps forme l’époque de l’année où elles sont en pleine qualité ; et ce n’est seulement que dans ce même temps, qui s’appelle par les commerçants de l’article la saison des truffes, qu’elles se recherchent plus généralement. Dans tous les autres temps de l’année elles sont blanches dans l’intérieur, privées de parfum et de saveur, et la couleur de leurs membranes marbrantes n’est que d’un gris presque blanc ; il n’y a que les petites éminences qui forment la couverture de la truffe, qui sont toujours et à toute époque de l’année d’un noir parfait. Cette différence a laissé croire à quelques personnes, et surtout aux auteurs dont nous parlions tout à l’heure, que cette sorte de truffe n’est pas encore mûre, que ce sont de jeunes truffes ; mais il n’est que trop constant qu’une truffe qui naît blanche est toujours blanche et ne devient jamais noire ; et une preuve assez péremptoire de ceci, c’est qu’elles ne sont pas toutes petites : il y en a de toutes grosseurs, comme de noires, et aucun degré de leur passage à la maturité n’est jamais indiqué ; la forme extérieure des truffes blanches, grosses ou petites ne diffère en aucune manière de celle des truffes noires. En accueillant ceci, on pourrait encore rester dans un autre vague ou doute, que les truffes blanches peuvent être au moins une autre espèce de truffes ; mais l’on saura que c’est le froid seul qui les produit noires, et qu’en conséquence toutes truffes qui ne naissent pas par une température froide, doivent être blanches indubitablement.

Ainsi que nous l’avons déjà dit, ces truffes n’ont point de goût, car nous n’appellerons pas ainsi l’espèce de saveur fade et insignifiante qui est leur seul apanage ; elles n’ont en conséquence que très peu ou point de valeur : on les recherche à peine en Périgord. Mais en Provence on n’en néglige pas la récolte, parce que quelques explorateurs ont la possibilité de les vendre à tous les méridionaux et à quelques orientaux, qui ont pour elles un goût particulier. Cette truffe est offerte au commerce d’une manière toute différente : extraite de terre, les paysans les lavent et les découpent par rondeur et minceur de la représentation d’une pièce d’un sou ; ils les font promptement sécher sur les toits de leurs habitations par leur exposition à leur ardent soleil du midi ; ensuite ils les mettent en caisse, sacs ou paniers. On en voit des quantités immenses exposées en vente à la grande foire de Beaucaire.

 

La qualité des autres truffes, à l’exception de celles du Périgord, du Dauphiné et de la Provence, seules truffes gourmandes reconnues de notre hémisphère, qui se trouvent dans les autres contrées que ces provinces, est à peu près semblable à celles de ces truffes blanches dont nous venons de parler. La nature, toujours bizarre sur le compte de ce tubercule, fait pourtant paraître de temps en temps quelques exceptions. Ainsi on a vu dans les saisons de 1828 à 1831, le Poitou, province de France, en donner de fort bonnes, assez pleines de feu, de saveur et d’arôme ; elles différaient pourtant encore des vraies truffes gourmandes en ce qu’elles étaient plus humides, et que le jus de cette truffe était composé de parties peu spiritueuses, plutôt aqueuses en totalité. Ces truffes furent bien vite exploitées. Le commerce les a présentées aux consommateurs, qui les a payées et mangées, comme, hélas ! il paie et mange bien autre chose équivoque en qualité, pour de première bonté et valeur.

Les truffes du Poitou sont tellement passagères et leur bonne saison si rare, qu’il n’a pas été possible de faire des recherches et des applications sur leur qualité savoureuse. Cependant on a pu reconnaître qu’elles se rapprochaient un peu pour la qualité de celles du Périgord, et qu’en de certaines années le consommateur ne perdait rien en s’en servant ; cependant les cas sont si exceptionnels, que nous ne saurions trop recommander de ne pas y toucher. Ce qui encore a fait employer cette truffe, c’est sa précocité ; elle paraissait noire déjà fin d’août. Elle est d’une belle forme ronde ; son intérieur charnu n’exhale que peu d’odeur au dehors, c’est-à-dire à travers les pores de sa couverture ; la terre n’y est presque jamais adhérente : cette truffe ne conserve pas son arôme en l’employant. Pour sa conservation, plusieurs préparations que nous en avons faites nous ont démontré qu’une fois en contact avec le calorique, elle ne conserve plus ni odeur ni fumet.

La truffe du Poitou est belle, bien noire, a l’intérieur veiné ou marbré de blanc ; elle porte un goût de muscade ou des quatre épices ; elle est suintante, légère et d’une faible ductibilité.

Les truffes de Bourgogne sont grosses, ont les éminences de leur couverture grosses et carrées ; leur intérieur est blanc sans être marbré ; elles ne portent aucun parfum, aucune odeur.

Les truffes d’Alsace tiennent un milieu entre celles du Poitou et de la Bourgogne ; mais leur mince qualité et valeur sont de la plus éphémère existence ; à peine si chaque année on en récolte pendant une vingtaine de jours qui aient quelque bonté.

Les truffes du Piémont et de la haute Italie font hardiment exception à la généralité des espèces que nous venons de décrire ; elles n’ont point comme les autres pour couverture les petites éminences noires et tilleuses : elles ont une vraie peau, à peu près semblable à celle du champignon, mais rougeâtre ainsi que leur intérieur, qui représente assez un marbré, parce qu’il est également traversé en tous sens par des membranes grisâtres, mais moins en abondance, ce qui fait que les veinures sont plus distancées. Le goût de l’ail domine singulièrement dans le goût de ces truffes ; il y a loin, bien loin, du fumet délicieux, de cette odeur balsamique, aromatique, dont la vraie truffe gourmande est si richement dotée, au goût désagréable, détestable, de cette truffe du Piémont. Le commerce non seulement ne lui donne pas la moindre valeur, mais la craint, la tient dangereuse même. Lorsque dans quelques saisons il arrive qu’elle se montre en assez petite quantité, il est vrai, dans le midi de la France, et qu’elle est extraite et envoyée avec la vraie truffe gourmande, il faut voir comme en toute occasion l’on en écarte avec soin l’espèce reconnue pour celle dite de Piémont, afin que son odeur empoisonnée n’altère pas celle délicieuse de la truffe gourmande. On dit que quelques gourmands recherchent la truffe de Piémont ; nous sommes à en connaître un seul. Il n’est pas gourmand celui qui peut savourer avec délice un si abominable goût. Quel charlatanisme ! quelle piperie n’existe-t-il pas dans l’exposition sur la voie publique, que font ces magnifiques magasins de toute sorte de gourmandise de cette truffe avec ce titre : Truffe de Piémont, que le consommateur peu exercé tient sans doute, sur cette indication, bien supérieure aux autres ! Nous ne savons pas si les détaillants en vendent beaucoup ; mais nous savons que le commerce n’en vend jamais, n’en achète jamais, et que ces mêmes détaillants éconduisent toujours les proposants de cette espèce de truffe : nous en sommes donc à deviner où ils en prennent.

Les truffes de Bourgogne, celles de Champagne, etc. ne sont vantées par personne, ni recherchées par aucun consommateur ; non seulement elles n’ont rien de ce qui appartient à la bonne truffe, mais encore elles sont du plus mauvais goût. Malheureusement le plus grand nombre des marchands en présente à la vente bien avant l’apparition en parfaite qualité des truffes des bonnes contrées, trompé qu’il est par la difficulté de la distinguer de ces dernières, puisqu’elles sont blanches également, comme le sont les bonnes en primeur : il y en a dans le nombre quelques-unes dont on pourrait se servir à cause du plus de parfum qu’elles ont que les autres ; mais elles sont fort rares. Nous en avons mangé cependant d’assez bonnes en 1823 à Avallon.

Les truffes trouvées à Vincennes en 1831 n’ont eu qu’une saison, et ça a été un véritable acte de bonne foi qu’ont fait les explorateurs de ce lieu en n’en provoquant pas une seconde, car mettre de pareilles truffes dans le commerce, et les laisser acheter par le consommateur trop confiant, c’était véritablement tromper le public.

Les truffes d’Angleterre, d’Autriche, et d’Amérique, comme toutes celles qui se trouvent dans toute autre contrée du globe, sont des espèces particulières, qui diffèrent totalement de celles ci-dessus décrites pour la forme, la couleur, et le parfum ; comme aussi par les préparations différentes auxquelles il faut recourir pour les apprêter. Nous en avons goûté de fort bonnes et de fort mauvaises. Cependant il faut le dire : notre palais, à nous autres Français, n’est point disposé comme celui des étrangers à recevoir des préparations fortes ; c’est peut-être à cela que nous devons attribuer la mauvaise impression gourmande que nous avons ressentie en goûtant ces truffes ; car d’après les essais partiels que nous en avons faits, nous avons reconnu que, quoiqu’elles soient loin d’approcher en qualité de nos bonnes truffes de France, elles n’en ont pas moins une qui, pour leur être particulière, n’est pas sans mérite, et s’y familiarisant un peu, finit par devenir supportable et ensuite tant soit peu agréable. Chose étrange ! Ces truffes exotiques sont dix fois plus diversifiées en espèces que les nôtres ; et que serait-ce encore, si l’on s’occupait de les rechercher d’une façon plus intéressée ! Peut-être en découvrirait-on de parfaitement bonnes comme de meilleures que les nôtres : qui sait ? Un connaisseur nous a assuré qu’en Pologne et en Moldavie, il en avait mangé provenant du pays de parfaitement bonnes.

En Espagne, par exemple, les truffes y sont de parfaite qualité ; et nous ne savons pas trop si en de certains cantons elles ne sont point préférables aux truffes du Périgord. Nous avons longtemps recherché les moyens de les livrer à la consommation parisienne ; mais le trajet, quoique se faisant en poste, était fort long ; il s’en gâtait beaucoup, et le prix du transport les faisait revenir à un prix trop élevé pour soutenir la concurrence des autres truffes émises dans le commerce. Nous avons seulement quelquefois cédé aux désirs et aux demandes de quelques gourmets particuliers, qui en avaient avec nous reconnu la parfaite supériorité en qualité.

En général la truffe, quelle qu’elle soit, présente tout d’abord un goût fade ; il n’est donné qu’à l’amateur, au connaisseur, de s’apercevoir de ses riches arômes ; il n’est aussi donné qu’au cuisinier, c’est-à-dire à son art, de faire par l’apprêt ressortir tout ce qu’elle renferme de précieux goût, de suavité gourmande, tout en concentrant son arôme par les divers assaisonnements qu’il y adjoint. Feu M. Brillat-Savarin, le plus grand connaisseur et appréciateur de ce tubercule, était aussi le seul qui savait le mieux en approprier les apprêts selon ses diverses qualités, et toujours en professeur lumineux. Il est vraiment rare de trouver comme lui un homme s’occupant exclusivement de tout ce qui devait composer son dîner, où la truffe paraissait toujours. – Si je n’ai pas des truffes à trois heures aujourd’hui, nous disait-il un jour que l’article était fort rare, vous me ferez le plus grand mal ; vous me mettrez au désespoir.

 

Le lecteur sait que nous ne reconnaissons positivement que deux espèces de truffes bonnes et gourmandes, CELLES DU PÉRIGORD, ET CELLES DU DAUPHINÉ ET DE LA PROVENCE, que l’on confond ensemble généralement. Il y a encore cependant bien du choix à faire parmi elles, car il existe bien des degrés et des différences de qualité dans ces deux bonnes espèces ; on y trouve des musquées, de bois, des pierreuses, des verreuses, des suintantes, des mollasses, quoique saines, etc.

Pour distinguer la bonne truffe, il faut beaucoup d’attention, beaucoup de tact : dans une quantité nombreuse de truffes réunies, il n’y a pas une seule truffe qui se ressemble ; nous tâcherons cependant d’indiquer de notre mieux les procédés pour connaître la bonne truffe d’une manière invariable, et nous décrirons les vices des autres.

Nous avons dit qu’il y avait des truffes toute l’année, c’est-à-dire que la terre en produit pendant toute l’année sans interruption. On peut les diviser pour les qualités ainsi qu’il suit :

La truffe de l’automne, qui se récolte en septembre, octobre et moitié novembre.

La truffe d’hiver, qui se récolte fin novembre, décembre, janvier, février et première moitié de mars ; en de certaines années on voit cette saison se poursuivre jusqu’à la mi-avril ; mais cela est très rare.

La truffe du printemps et d’été, qui se récolte fin mars, avril, mai, juin, juillet et août.

La truffe d’hiver est la meilleure : c’est seulement celle qui est dans l’intérieur noire, veinée blanche en tous sens par de courtes et nombreuses membranes blanches ; elle est dure, cependant flexible ; elle possède toutes les qualités qu’il est possible de désirer ; elle n’est ni sèche ni humide ; elle doit exhaler extérieurement tout son parfum de truffe. On doit commencer par respirer cette odeur, ce qui conduit à distinguer, à apercevoir toutes celles d’une odeur fétide dont nous avons parlé ; on s’apercevra également, pourvu que l’on ait l’odorat sensible, des musquées, des suintantes, qui ont une odeur de moisi, des échauffées, etc.

Les truffes du printemps, d’été ou d’automne sont toutes blanches, ou rouges, ou grisâtres, veinées de blanc ; elles n’ont pas de couleur bien caractérisée, car ce qui la détermine, c’est la température. Le peu de bonne qualité qu’elles peuvent avoir est si faible, que nous n’engagerons jamais le consommateur à y toucher, toutes les fois qu’il pourra avoir des truffes noires, fraîches, ou des conservées de la bonne saison à une préparation bien réussie. On ne doit généralement se servir des truffes des saisons autres que l’hiver que particulièrement et d’après les moyens que nous indiquerons dans notre dernière partie.

Ces truffes blanches, pour être des cantons des bonnes truffes gourmandes, soit du Périgord, soit du Dauphiné ou de la Provence, et conséquemment appartenir à la bonne espèce, doivent être petites, de la grosseur tout au plus d’une petite pêche ; leur couverture, qui est noire, ne doit consister qu’en éminences fort petites et très peu prononcées. Cette indication doit être bien remarquée, parce qu’elle a le double avantage de faire distinguer ces truffes d’avec celles de Bourgogne, d’Alsace, etc., qui, quoique semblables pour l’intérieur, sont fort grosses et ont les éminences de leur couverture très prononcées ; et l’on sait que ces truffes ne valent rien. Comme le détaillant en tient comme pour annoncer les bonnes en primeur de la saison d’hiver, il est bon de prévenir le consommateur ; ainsi, avec la facilité d’asseoir son jugement, par l’emploi des moyens ci-dessus, il repoussera les truffes d’une énorme grosseur et d’une couverture trop raboteuse.

On n’aura pas à rencontrer cet inconvénient de mélange parmi les truffes noires de l’hiver, car il est incontestablement reconnu, constaté que cette couleur n’affecte que les truffes du Périgord, du Dauphiné et de la Provence.

Dans ces dernières, on doit toujours rechercher les grosses truffes ; les plus belles et les plus profitables sont celles qui sont rondes, sans cavité, sans trop de terre y attenant, et d’un terrain sablonneux. Qu’elles soient lourdes ou légères, cela est indifférent ; on ne doit pas s’en inquiéter, car leur degré de pesanteur ne fait rien à leur goût et à leur qualité. La légèreté fait au contraire gagner au volume, puisque cet article se vend au poids. On reconnaîtra facilement et on aura soin d’écarter toutes celles qui ne se rencontreront pas à l’intérieur, comme nous l’avons déjà décrit plus haut, d’un noir marbré de blanc et d’une fermeté solide. Puis les mauvaises sortes se reconnaîtront sur ces descriptions :

La truffe de bois est rouge, remplie ou plutôt composée de racines ; elle a une odeur de terre assez prononcée.

Celles appelées pierreuses sont remplies d’un amas de petits graviers, que l’on ne saurait extraire.

Les verreuses, qui, quoique fermes et de bonne apparence, contiennent des vers en quantité plus ou moins grande ; mais cette sorte est facile à reconnaître tout d’abord, parce qu’à l’extérieur les truffes attaquées montrent de petites piqûres.

Les truffes suintantes sont celles qui sont toujours mouillées ; elles exhalent un goût d’âcreté insupportable.

Enfin les truffes musquées devront se reconnaître le plus facilement de toutes par une odeur de musc, que ces truffes exhalent fortement. La rencontre de cette sorte de truffe défectueuse n’est à redouter qu’à la fin de la saison d’hiver, seule époque où elle apparaît durant la bonne saison.

Les truffes les plus récentes sont les meilleures ; une vieille truffe a perdu son parfum, tout son goût. Pour les connaître, il faut examiner la terre qui se trouve adhérente à la truffe : si cette terre se détache facilement, la truffe est vieille ; si tout en s’en détachant, la terre est tant soit peu humide, la truffe est gâtée ou va se gâter ; si elle s’en détache sèche, en poussière ou par fragments, la truffe est sèche et perdue ; car, nous le répétons, les puissances odoriférantes, que le charnu de la truffe renferme, s’échappent d’elle à mesure qu’elle vieillit : il se fait que dans ce dernier cas, celui de la sécheresse, il n’existe plus dans cette truffe qu’une substance d’un goût insignifiant.

Cependant quand nous disons que les truffes les plus récentes sont les meilleures, cela ne doit s’appliquer qu’à des truffes dont l’extraction de terre date du moins d’une dizaine de jours, car une truffe employée dès son extraction ne développe point encore tous ses arômes, toutes ses bonnes qualités.

La saison de parfaite qualité des truffes du Périgord commence plus tôt que celle des truffes du Dauphiné-Provence ; mais aussi elle finit bien plus tôt. Les truffes du Périgord commencent à se trouver noires en novembre, et finissent de l’être avec le mois de janvier. Les truffes du Dauphiné et de la Provence ne se trouvent noires qu’en décembre ; mais il n’est point rare du tout d’en trouver encore de très noires et de très bonnes en avril.

Déjà nous avons dit qu’autour des truffes, lors et depuis leur extraction, il reste toujours plus ou moins de la terre. Cette terre a la couleur rouge ou grise, ou brune, ou noire, selon celle du terrain d’où elle provient. Toutes ces sortes de terre se tiennent attachées à l’entour de la truffe par la constante évaporation de son humidité. Moins une truffe a de terre autour d’elle, plus elle se conserve ; néanmoins celle qui y demeure indispensablement est conservatrice de la truffe : une truffe lavée ne peut vivre longtemps et ne peut jamais voyager.

Il y a aussi des truffes qui viennent dans des terrains sablonneux ; alors elles ne sont entourées que d’un peu de sable. La forme de cette truffe est généralement d’une rondeur bien formée, sans presque aucune irrégularité. Cette sorte de truffe ne se trouve que dans le Dauphiné et la Provence ; il n’y en a point dans le Périgord. Elle existe bien abondamment le long du cours du Rhône, soit sur la rive gauche, soit sur la rive droite. On trouve encore des truffes sablonneuses sur quelques pics de la Provence. Le mont Liberon, dans le département de Vaucluse, en présente à l’extraction. Toutes les truffes de cette sorte sont de parfaite qualité et d’un premier prix ; par une seconde raison, c’est que ce sont celles qui subissent le moins de déchet de toutes.

Nous avons défini l’essence et la nature de la truffe, en disant que c’était un feu végétal des plus actifs, dont ce tubercule est pourvu au degré le plus élevé que ne le possède aucune autre substance végétale. Cela est sans contredit incontestable : dès que la truffe est sortie de terre, elle périclite jusqu’à sa mort. Son odeur est d’abord des plus vives, et sa consistance des plus fermes : mais insensiblement son feu s’exhale ; son odeur si violente, si prononcée, se passe et finit par devenir infecte ; sa consistance devient nulle ; enfin elle tombe en fumier et se fane totalement.

La durée moyenne de la vie d’une bonne truffe est d’un mois environ dans un temps tempéré : un temps chaud les facilitant à s’exhaler, les fait périr bien plus vite ; un temps froid retenant et resserrant leur feu, les conserve et les maintient plus longtemps. La truffe peut alors exister sept à huit semaines.

 

La truffe paraît être de toutes les substances végétales celle à laquelle la gelée fait le plus de mal ; cependant il faut un bien grand froid pour les détruire complètement.

Les truffes sorties de terre gèlent à cinq degrés au-dessous de zéro du thermomètre de Réaumur : la gelée leur fait perdre la plus grande partie de leur feu, de leur odeur, de leur saveur et de leur consistance, en un mot, de leur bonne qualité ; elle fait disparaître leur marbré et change leur noir de l’intérieur en gris cendré : l’extérieur est toujours le même.

On concevra facilement que la gelée doit abréger leur vie ; dès que les truffes passent de cet état à celui du dégel, elles se ramollissent considérablement ; elles écoulent par tout leur extérieur un liquide, et finissent par tomber tout à fait en eau. Une truffe gelée à un degré quelconque ne doit plus se considérer comme une bonne truffe.

Par un froid assez fort et continu, les truffes gèlent aussi dans la terre ; quoique cela ne manque pas de leur faire beaucoup de mal, ce mal n’est pas si considérable que celui des truffes qui gèlent après leur extraction. De même qu’à celles-ci, leur marbré et leur goût disparaissent, mais non pas autant qu’à celles qui gèlent après leur sortie de terre. Les truffes gelées dans le sein de la terre perdent aussi au dégel leur consistance ; de plus elles deviennent en grande partie caverneuses, terme par lequel le commerce entend désigner le vide qui se forme alors dans leur extérieur.

 

Les truffes gelées se reconnaîtraient facilement, si on les apercevait avec le givre qui les entoure généralement ; mais c’est ordinairement ce qu’on a soin d’enlever aussitôt par une prudence naturelle au marchand. Si la truffe en tombant à terre résonne, rebondit, elle est infailliblement gelée : il faut l’ouvrir pour s’en assurer mieux, et aussitôt en la pressant dans la main, on verra sortir de nombreuses gouttes d’eau. Voici à peu près les moyens qui sont employés par les marchands, pour que l’acheteur ne reconnaisse pas des truffes gelées. On étend dans une petite chambre à cheminée une quantité de feuilles de papier gris les unes sur les autres ; on y verse les truffes, qu’on a soin d’étendre ; on laisse l’air de la cheminée libre, et l’on fait grand feu dans un poêle, que l’on doit monter au milieu de la pièce. Après deux ou trois heures, on ramasse les truffes pour changer le papier, qui se trouve alors extrêmement mouillé ; après en avoir remis d’autres, on étale, comme la première fois, les truffes dessus ce nouveau papier, et après avoir fait subir deux ou trois heures encore de calorique aux truffes, elles redeviennent positivement à leur état naturel ; nous ne disons pas quant à la bonté, mais du moins quant à l’apparence : seulement si l’on veut y donner une laborieuse attention, on pourra reconnaître celles qui auront passé à ce procédé par de nombreuses gerçures, qui diviseront la surface de la truffe en tous sens.

Les truffes s’échauffent, lorsqu’on en rassemble et qu’on en laisse assez de temps en trop grande quantité renfermée hermétiquement, ou par une chaude température.

Si les ravages de la gelée sur la truffe sont terribles, ceux de l’échauffement le sont bien plus encore. On peut, en employant promptement une truffe gelée, y trouver encore quelque saveur, quelque parfum ; mais la truffe échauffée est désormais corrompue. Elle se hâte de tomber en déconfiture putride ; elle n’a plus de soutien ; la plupart s’entourent d’un gluant empesté, et en général elles gagnent une odeur de putréfaction insupportable, qui les fait repousser avec le plus prompt dégoût. On ne peut donc plus que les mettre au rang des truffes pourries, ou tout au moins des avariées, selon le degré d’échauffement.

Les truffes atteintes du mal de l’échauffement sont, nous le disons cependant, lorsqu’elles ne sont pas toutefois corrompues, bonnes encore quelque temps, selon qu’elles ont plus ou moins souffert ; on les voit encore dures, assez noires, charnues à peu près comme les saines. Voici ce que nous indiquons pour distinguer, autant que possible, cette sorte valétudinaire.