De(s)crescendo(s) - Tome 2 - Maya Brown - E-Book

De(s)crescendo(s) - Tome 2 E-Book

Maya Brown

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Beschreibung

Alors que Mélanie a passé l'été à tâcher de se reconstruire, la rentrée se profile et avec elle son lot de nouveautés mais aussi de retrouvailles... La jeune femme devra composer avec la proximité de l'homme qu'elle a tout fait pour oublier. À nouveau, deux chemins s'offrent à elle, et elle devra trancher définitivement.

Passion ou raison ? Jusqu'où l'emporteront ses démons cette fois ?


À PROPOS DE L'AUTEURE

Maya Brown est agrégée de lettres classiques. Après avoir écrit un essai autobiographique sur les conditions d’enseignement des jeunes professeurs intitulé Les tribulations d’une jeune prof, ainsi qu’un recueil de poèmes, Pêle-Mêle, De(s)crescendo(s) est son premier roman.

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Maya Brown

De(s) crescendo(s)

Tome 2

Bis repetita…

Romance

Éditions « Arts En Mots »

Illustration graphique : © Graph’L

Image: Adobe Stock et François Forest

« On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. », Alfred de Musset

« When life gives you lemon, make lemonade », Elbert Hubbard

Aux Promesses tenues…

****

Prologue

****

L’été finit par passer. Difficilement. Douloureusement. Avec l’aide de Johan, Mélanie s’est relevée, petit à petit. Aucune certitude sur leur futur, ni sur le sien. La jeune femme se contente de tenir bon, chaque jour, d’apprécier les petits moments de grâce, de profiter de la moindre accalmie. Toutes les victoires, même les plus ténues, doivent être savourées pleinement lorsque l’on a vécu l’Enfer. Un jour à la fois. Une heure après l’autre. Surtout, ne pas trop penser. Ne pas se laisser happer par la frénésie des questionnements sans fin. Vivre, c’est tout. Elle s’y emploie de tout son être. Elle y met toutes ses forces. Durant les derniers jours des vacances d’été, elle voit quelques amies qu’elle n’a pas revues depuis près d’un mois et demi. C’est l’occasion de faire le point, et de raconter tout ce qui lui est arrivé en quelques semaines, qui lui ont semblé être de longues années. Puis, après ces temps où elle met tout en œuvre pour se reposer, Mélanie doit encore surmonter la rentrée. Avant de retrouver les élèves, une journée de réunion est consacrée à la reprise. C’est l’occasion de revoir les collègues, de discuter des vacances, de la reprise et des projets qui l’accompagneront. Il s’agit d’ordinaire d’un moment convivial où chacun revient bronzé, frais et dispos, et où les papotages vont bon train. Aujourd’hui, cependant, Mélanie envisage cette journée comme une véritable épreuve, un sommet qu’elle doit gravir sans aucun filet.

Chapitre 1 : La rentrée

Je m’avance sur le parking avec une boule nichée au creux du ventre. Il va falloir tenir. Endurer les questions des collègues. Jamais je n’aurais pensé que la phrase : « alors, tu as passé de bonnes vacances ? » serait si difficile à soutenir. Heureusement – d’une certaine manière – la crise sanitaire a abrogé tous les moments conviviaux. Pas d’accueil avec le café et les croissants. Rien que les réunions ennuyeuses et le travail. Comme si l’on risquait moins d’attraper le Covid en parlant de la Dotation Horaire Globale qu’en se racontant comment se sont passés nos étés. Toutefois, cela me permet de me cacher derrière mon masque. Dès mon arrivée, je me réfugie auprès de mes amies et collègues les plus proches. Quelques jours auparavant, j’ai craqué. Je leur ai tout dit. Impossible pour moi d’envisager cette rentrée scolaire sans pouvoir parler de lui au sein de l’endroit dans lequel je passerai l’essentiel de mes journées, dans ce lieu où tout a commencé et où tout me rappelle à lui. Alors j’ai parlé. Elles savaient jusque-là que j’étais tombée amoureuse, et que j’avais dit toute la vérité à Johan. Elles ignoraient encore le nom du mystérieux amant. Du moins, c’est ce que je pensais.

Trois jours avant la rentrée, nous étions trois amies attablées à la terrasse d’un café. Je tournais et retournais ce dilemme dans ma tête : dire ou ne pas dire… Mais l’angoisse qui m’oppressait à l’approche du jour fatidique où je devrais reprendre le chemin du collège fut la plus forte. J’appréhendais la réaction de mes comparses. Après tout, il était notre chef à toutes les trois. Le cœur au bord des lèvres, je me lançai, et je leur demandai, avec des trémolos dans la voix, si elles avaient une idée de l’identité de l’homme qui avait bouleversé ma vie. Elles se regardèrent avec des airs entendus tout en m’encourageant à continuer. Alors, cessant toute résistance, je lâchai :

— Philippe Caravage…

— On en était sûr ! me répondirent-elles en chœur. Devant mon regard sidéré, elles poursuivirent :

— Enfin, Mélanie ! C’était évident, ce ne pouvait être que lui. On t’a toujours dit qu’il y avait quelque chose entre vous. Tu n’as jamais voulu l’entendre !

Finalement, elles avaient raison. J’avais toujours balayé d’un revers de la main cette hypothèse que je jugeais farfelue. Je n’avais même pas songé à l’envisager sérieusement. On s’entendait bien, c’était tout ! C’était ce que je répondais alors à leurs insinuations moqueuses. Si j’avais su…

En ce dernier jour du mois d’août, donc, je me précipite vers mes complices afin d’y trouver chaleur humaine et réconfort. Nous nous dirigeons en masse en direction du réfectoire pour la première réunion de la journée. Dans la foule des professeurs, je reconnais ma stagiaire, que j’ai accueillie à la maison quelques jours auparavant afin de l’aider à préparer la rentrée. Je raccroche mon sourire sur mes lèvres afin de l’encourager comme je le dois. Avec le masque, il ne reste plus que les yeux qui s’expriment, peut-être que l’on ne verra pas que ce sourire est forcé. Nous nous installons dans le réfectoire et attendons quelques minutes, lorsqu’il arrive à son tour. L’« homme à la cravate ». L’homme pour lequel j’ai vibré pendant de longues heures, qui ont pourtant filé si vite. Un nœud se forme dans mon ventre. Ne pas le regarder. Essayer de se raccrocher à un unique objectif : supporter cette journée et rentrer chez moi en sécurité avant d’envisager demain.

Durant la pause déjeuner, je m’installe dos à la grande salle, en compagnie de mes collègues de toujours, et des nouveaux arrivants. Cela fait du bien de converser avec des personnes qui n’ont pas vu le sale état dans lequel j’ai fini l’année. J’ai beau ne pas être face à l’entrée, je le sens arriver malgré tout. Il s’assoit face à son adjointe. Solitude des chefs. Il retire son masque et discute avec elle. Lorsqu’il relève les yeux de son plateau-repas, ses prunelles attrapent les miennes, et nous restons quelques secondes ainsi, à ne pas nous quitter des yeux, avant que chacun de nous les abaisse à nouveau. Quelques secondes qui suffisent à faire vaciller toute ma bonne volonté, toute la force que j’ai mise dans une seule et unique résolution : je ne peux pas renouer avec lui. J’ai déjà dû rassembler tant d’énergie et lutter contre moi-même avec une violence inouïe pour ne pas prendre avec moi Mme Pyrinska et la leçon de piano, ou le livre dans lequel mon texte sur le confinement est paru cet été, et pour ne pas courir les lui montrer ! Mais Johan a été très clair : il ne pourra accepter le moindre contact qui sortirait du cadre professionnel. Et moi, dans tout cela, j’ai fait le choix de redonner une chance à notre mariage, et face au magma d’émotions et de désirs contradictoires qui m’assaillent, je dois tout faire pour ne pas risquer de tomber à nouveau dans le gouffre de l’angoisse. Me protéger. De lui, et de moi.

En rentrant de cette première journée de reprise, je suis vidée. Sur la route, les larmes coulent. J’essaie de me raccrocher à l’essentiel : j’ai tenu bon. Je me suis levée, j’ai pris la voiture, je suis passée devant la clairière enchantée sans m’effondrer, j’ai assisté à toutes les réunions et j’ai parcouru le chemin inverse en voiture. C’était loin d’être gagné. Quelques jours auparavant, je ne donnais pas cher de ma reprise. Un jour, j’irai mieux. Un jour, je serai à nouveau moi-même, pleine de vie et de fougue, de curiosité et de confiance, avide de découvrir ce qui m’attend au coin du chemin. Pour l’instant, je ne peux pas faire mieux que d’avancer pas à pas, et aujourd’hui est un pas supplémentaire. À peine arrivée à la maison, tous ces encouragements mentaux ne m’empêchent pas de m’effondrer. Nous discutons, avec Johan, de nos journées respectives. À aucun moment il ne me demande si je l’ai vu et s’il a cherché à me parler. Nous parlons de nos emplois du temps — j’ai beaucoup de chance avec le mien, je crois que la proviseure adjointe a voulu m’épargner le plus possible, m’évitant certains allers-retours en regroupant mes cours au maximum. Cela signifie en contrepartie que, durant les jours où je viendrai au collège, mes journées seront particulièrement intenses.

Chapitre 2 : pleurs et culpabilité

La rentrée des classes a lieu. Mélanie retrouve ses élèves. Devant eux, pas de demi-mesure : La jeune femme doit tout donner. Cela lui permet de ne pas trop s’égarer par la pensée. Mais le gouffre n’est jamais loin, et elle s’accroche. Chaque jour est un combat qu’il lui faut mener, et ce combat lui prend toute son énergie.

Tous les soirs, au retour du collège, je fonds en larmes. Parfois pendant le trajet, parfois dès que j’entre dans la maison. Je sens l’émotion naître au plus profond de mon ventre, s’accroître et prendre progressivement toute la place. Puis, une masse pesante remonte lentement, inexorablement jusqu’à ma gorge. Elle exige de sortir. Alors je la laisse m’envahir et se déverser hors de moi en un flot continu. Combien de temps cela durera-t-il encore ? Quand irai-je enfin réellement mieux ? Difficile de rester positive et de se concentrer sur les petites victoires quotidiennes. Ces crises me découragent et me font me sentir encore plus seule dans ma détresse. Pourtant, Johan est là. Il m’accompagne du mieux qu’il peut, me serrant dans ses bras lorsque les spasmes, insatiables, me secouent et me laissent vidée de toute énergie.

Notre quotidien ensemble en souffre. Je rentre de mes journées de cours absolument épuisée et sans la moindre envie. Je dois me coucher tôt si je veux être capable d’enchaîner sur un nouveau jour, et dès 20h, je ne tiens plus debout. Johan ne me rejoint que bien plus tard. Je m’en veux terriblement de lui imposer l’épreuve de ma déchéance quotidienne. Comment se reconstruire ensemble lorsqu’il ne me reste plus de forces en dehors des moments consacrés au travail ? J’ai peur qu’il se lasse de mes pleurs incessants, si loin de l’image de la femme forte et fière qu’il avait connue jusqu’alors. Et, évidemment, je ne peux m’empêcher de me questionner : est-ce dû à la seule décompensation si je craque invariablement au moment où je me retrouve à la maison, ou y a-t-il une autre raison sous-jacente ? Là encore, je me blâme de ne pas parvenir à être heureuse à nouveau auprès de mon mari malgré tous ses efforts pour être présent à mes côtés.

Pourtant, par certains aspects, je sais que je vais mieux. J’ai repris mes cours de piano. Je n’étais plus parvenue à jouer depuis le mois de juin, et l’aveu de mon infidélité. Mais durant l’été, j’ai écouté par hasard la Sonate au clair de lune de Beethoven, et pour la première fois, l’émotion qui m’a envahie et les larmes qui ont coulé sur mes joues n’avaient rien de négatif. Elles n’étaient dues ni au manque, ni à la tristesse, ni au désespoir. Pour la première fois, je pleurais parce que c’était beau. Parce que la musique en do dièse mineur du fameux compositeur me bouleversait profondément, sans que je puisse expliquer exactement ce qui se passait en moi. Elle pénétrait simplement au plus profond de mon être et venait toucher une corde sensible à la pureté et à la beauté. J’ai décidé à ce moment-là que cette sonate serait le prochain morceau que j’apprendrais, même s’il était difficile pour le niveau modeste auquel j’étais parvenue. Qu’à cela ne tienne, je prendrai pour l’apprendre le temps qu’il faudra. Ainsi, j’ai commencé son apprentissage au tout début du mois de septembre. Et le temps que je passe chaque jour à étudier minutieusement la partition me permet de m’évader loin du labeur du collège et des difficiles retours à la maison.

Chapitre 3 : La tragédie

Malgré toute sa bonne volonté, Mélanie ne parvient pas à rester éloignée de l’homme qui a causé sa chute. Trop de non-dits restent en suspens. Elle sent qu’elle ne pourra pas se reconstruire tant qu’elle n’aura pas obtenu certaines réponses. Lorsqu’elle le revoit, elle a le sentiment de ne plus rien contrôler. Elle a devant elle une pièce de théâtre en cinq actes et regarde se démener face à un destin qui la dépasse la comédienne choisie pour le rôle. Mais cette comédienne, c’est elle, et le rôle, sa vie.

****

Je n’ai pas tenu longtemps. Quelques jours à peine. J’ai besoin de le voir. De pouvoir lui parler. Je ne pourrai pas avancer avant d’avoir eu cette conversation avec lui. Alors je lui demande de m’accorder quelques minutes. À la fin de mon cours, je reste dans ma salle. Encore une fois, c’est moi qui l’attends. Il descend et entre doucement, sans frapper. Il s’avance, mon cœur se serre. J’avais promis de ne plus le revoir en dehors du cadre professionnel. Mais j’ai besoin de ce moment. Il s’approche de mon bureau et demeure debout, devant moi, à quelques pas à peine. À la fois si proche et pourtant si loin. Il me sourit et me demande comment je vais. Je ne vais pas bien. Comment pourrais-je aller bien ? Depuis le début de l’année, je le croise sans arrêt et chaque fois que je le frôle, je perds tout contrôle. De mon corps qui ne désire plus que lui, de mes émotions qui s’emballent, de mon cerveau qui s’agite dans tous les sens. Nous parlons longtemps. Je lui demande où il en est dans l’écriture de Decrescendo. Il ne l’a pas terminée. Son été aussi s’est révélé compliqué, à sa manière. Je ne saurais expliquer en quoi cet écrit est si important pour moi. Pourtant, il l’est, indéniablement. Peut-être parce qu’il a promis. Peut-être parce que l’amour de l’écriture et de la lecture est ce qui nous lie depuis le début. Peut-être pour pouvoir comprendre pourquoi il a prononcé ces mots de plombs, ces mots qui m’ont heurtée de plein fouet, sur ce parking, à la fin de cette année scolaire. « Cela me détruirait d’être avec vous ». Combien de fois cette phrase est-elle revenue me hanter ? Combien de fois, aussi, l’ai-je moi-même invoquée à mon esprit pour tenter de réfréner tous les instants que ma mémoire ravivait et qui me berçaient de rêves illusoires où je me laissais aller dans ses bras, ou même simplement à discuter avec lui ? Je n’ai qu’une certitude : j’ai renoncé à tout le reste et je m’évertue tous les jours à tâcher d’honorer mon choix, mais renoncer à le découvrir par l’écriture, cela, non, je ne le peux pas. Ce sera la seule chose qui me restera de notre amour. Nos mots qui se parlent de nous. Qui nous disent. Le lien que je ne puis me résoudre à couper, c’est celui-là. Il renouvelle alors sa promesse. Il l’écrira. Je le lirai. Et tandis que je l’écoute bavarder encore et encore – lui qui se prétend être en réalité un grand timide et un adepte du silence, j’ai tant de peine à le croire – mon esprit s’alourdit sous le poids de cette réalité écrasante : je l’aime, tout mon être le réclame, mais je ne peux pas être avec lui. Avant de partir, alors que j’essaie de lui expliquer à quel point je me sens fragile, je lui fais face et je suis soudain attirée contre lui par une pulsion incontrôlable. C’est comme si un fil me reliait à lui par le ventre, et qu’il se tendait sans merci, réduisant la distance qui nous sépare encore jusqu’à ce qu’elle ne soit plus. Alors doucement, douloureusement, je me laisse aller dans ses bras, pour un instant. Pour un instant seulement, retrouver le contact de son corps, la pression de ses mains autour de moi, son odeur enivrante. Une seule fois. Une dernière fois. Lorsque je me résous à quitter ce nid réconfortant, je me sens déchirée. Je le regarde avec une douleur infinie, avec des yeux qui crient de désespoir. Il va falloir lui dire au revoir, encore. Alors j’ai ce sentiment insupportable, cette impression que ma vie est une véritable tragédie, au sens théâtral du terme. Il est Tite et je suis Bérénice. Malheureusement, pas dans la version de Corneille. C’eût été trop beau. Non, dans celle de Racine, dans celle qui ne porte que le nom de Bérénice, pour montrer à quel point Bérénice est seule. Mais cette tragédie, pourquoi au juste la subissons-nous ? Parce que presque deux décennies nous séparent ? Parce qu’il est mon supérieur hiérarchique ? Mais ces règles, qui les édicte et pourquoi devrait-on les suivre ? Que sont-elles face à cette évidence qui nous étreint dès le moment où nous sommes ensemble ?

Chapitre 4 : La reprise de la vie quotidienne

Mélanie tient bon. Elle s’accroche à tout ce qu’elle peut afin de continuer son chemin. Son travail, ses élèves, ses amis, Johan. Elle s’accroche à la vie, de toutes ses forces. Chaque réveil est une épreuve. L’énergie n’est pas là. Le désir non plus. Mais la jeune femme se fait violence. Elle sait que rester à la maison n’est pas une solution pour elle. Elle ne le supporterait pas. Chaque soir aussi comporte son lot de difficultés. Mélanie rentre épuisée d’avoir dépensé toute la journée une énergie dont elle ne dispose pas. Elle puise dans ses ultimes ressources et, inévitablement, de retour à la maison, elle laisse s’échapper tout ce qu’elle a gardé en elle durant le jour. Johan et elle ont décidé de changer la routine qu’ils suivaient systématiquement jusqu’alors sans se poser de questions. Ils prennent désormais leur repas à table, et non plus sur le canapé devant une série télévisée. Mais ces repas sont nimbés de silence. Le silence naturel de Johan, plongé dans ses pensées, et celui, triste et si peu habituel, de Mélanie, bloquée dans les siennes. La jeune femme monte rapidement se coucher, complètement exténuée et démoralisée par ce rythme qu’elle juge digne d’une octogénaire malade.

****

Les premiers jours de septembre passent. J’ai retrouvé un rythme qui m’est familier : accueillir la classe dont je suis professeure principale, découvrir les nouveaux élèves, retrouver les anciens. J’essaie de changer ou d’améliorer certains de mes cours, mais j’ai un mal fou à me concentrer. L’efficacité légendaire qui m’a valu d’obtenir les concours les plus sélectifs et les plus difficiles n’est plus de mise. Je passe des heures sur le moindre document et je n’avance pas. Ce sentiment d’immobilisation tant physique qu’intellectuelle est terriblement difficile à supporter pour moi qui aime tant le mouvement. Quand je regarde certains de mes cours, j’ai l’impression d’être une prof affreuse, de m’être reposée sur mes lauriers durant les dernières années et de ne pas proposer aux élèves de contenu satisfaisant. Jusque-là, c’est mon immense énergie et ma joie de vivre qui faisaient que mes élèves m’appréciaient et qu’ils adhéraient à ce que je leur expliquais, mais comment faire maintenant que ces deux joyaux ont disparu ? Je sais pertinemment que la réalité que je perçois est déformée par le prisme noir de la dépression. Difficile, pourtant, de concevoir une autre réalité.

Un après-midi, alors que j’ai du temps libre, je décide de rejoindre une amie au lac. Cet endroit a toujours eu un effet apaisant sur moi. J’arrive en avance, et m’allonge sur ma serviette de plage en contemplant l’étendue vert émeraude qui se déploie devant moi. Les collines boisées et la transparence de ce trésor d’eau douce et chaude dans laquelle les arbres baignent leurs racines s’étendent à perte de vue. Dans ce petit paradis sauvage où je suis allée tant de fois avec Johan, où nous avons fait nos photographies de mariage, c’est pourtant à Philippe que je pense. Je me sens bien, calme et tranquille, je ne suis pas assaillie par mes doutes ou mes peurs, mais mes pensées et ma tendresse vont d’un même pas vers cet homme qui me manque malgré tout. Nous sommes le 10 septembre. Près de deux semaines se sont écoulées depuis la dernière fois où je l’ai vu. Je me suis forcée à ne pas le recontacter. Mais aujourd’hui, dans la douceur de ce moment où je revis enfin un peu, je ne puis tenir davantage. Je regarde mon téléphone pendant de longues minutes. J’hésite encore et encore. J’écris un unique message : « Monsieur le Proviseur, je voulais vous dire qu’il était terriblement difficile de ne pas vous écrire. Juste cela. ». Je tergiverse une fois de plus, puis, n’y tenant plus, je me résous à l’envoi salvateur. Quelques minutes plus tard, je reçois sa réponse. Je crois comprendre qu’il se trouve en pleine tourmente, à l’heure de pointe, dans les quartiers du rectorat ou de je ne sais plus quelle instance administrative et ennuyeuse. Il est heureux de lire mon message. L’échange est bref. Je dois y mettre fin. Mon amie est sur le point d’arriver. Je m’observe et me découvre telle que je ne me suis plus connue depuis des semaines : mon cœur est léger et bat fort dans ma poitrine, un petit sourire rêveur flotte sur mon visage. Ô douce béatitude amoureuse… Ô cruelle illusion… Je ne suis décidément pas sortie de l’auberge. Je passe les heures qui suivent à essayer d’oublier cet instant, quelques secondes de plus volées au temps.

Chapitre 5 : Déraison

Alors que, pendant ses cours, Mélanie parvient à se consacrer pleinement à son travail et à ses élèves, le sentiment qui s’empare d’elle dès qu’elle a une heure laissée vide sur son emploi du temps est un magma contradictoire. Elle bout du désir de lui écrire. De se laisser aller à l’envoi du message réparateur. Elle a déjà craqué. À maintes reprises. La tentation était trop forte. Pourtant elle lutte, ardemment, à chaque fois. Elle se bat contre cette irrésistible envie qui s’oppose à toute sa raison, à tous ses principes et à son choix. Elle se souvient de ces moments qui ne semblaient jamais devoir passer, où elle a tant souffert cet été, à sa chute dans le précipice et à la main tendue de Johan pour tâcher de l’aider à se sortir de là. Mais lorsqu’elle est émotionnellement à bout de souffle d’avoir ainsi lutté contre elle-même, elle craque. Elle écrit. Il répond. Ainsi recommence l’échange endiablé. Chaque message en appelle un autre. À chaque fois que vibre le téléphone, deux sensations tentent de l’emporter de manière acharnée et de se frayer un chemin en elle : l’adrénaline issue de l’attente et de la frustration enfin bannies, et la culpabilité de s’enchaîner encore à ce cercle vicieux qui l’entraîne dans sa course folle.

****

Je suis assise à mon bureau, dans cette salle aux murs bleus. J’essaie de travailler, ou, quand je n’y parviens pas, à vider mon esprit de ses incessantes pensées. Parfois j’y parviens. Je me fais violence, sans arrêt. Ne pas lui écrire. Ne pas lui écrire. Ne pas lui écrire. Mais cette fois, je ne peux pas. Je laisse une liste de chansons défiler de manière aléatoire sur l’ordinateur lorsque je suis soudain happée par une chanson tant de fois écoutée que je suis capable de fredonner par cœur depuis toujours. Mais à ce moment-là, les paroles de Cabrel me percutent de plein fouet. L’encre de tes yeux. L’histoire de deux amants dont l’amour est impossible, liés définitivement par l’écriture. « Puisqu’on ne vivra jamais tous les deux ». Première phrase reçue comme un uppercut. « Même la morale parle pour eux. J’aimerais quand même te dire, tout ce que j’ai pu écrire, je l’ai puisé à l’encre de tes yeux ». Là, c’est le K.O. Je suis terrassée. Je n’ai rien oublié. Non, je n’oublie pas. Comment pourrais-je oublier ? Même s’il m’a laissée anéantie, sur un parking, quelques mois plus tôt, même s’il a décidé qu’il ne serait pas présent, même s’il m’a laissée partir. Je n’arrive pas à occulter les moments passionnés partagés dans la clairière enchantée. Ces moments où il m’a donné un amour inégalé, et inégalable, cette puissante source d’inspiration à laquelle, assoiffée, j’ai puisé, inlassablement. Alors je me saisis une fois de plus de mon téléphone. J’appuie une fois de plus sur l’icône qui ne comporte aucune photographie, rien que son nom, ce nom que j’ai tant de fois murmuré dans le silence de ma solitude, depuis des mois. « En ligne », indique l’application. Et j’écris. Et une fois que j’ai abaissé la faible armure, la seule que je suis parvenue à me constituer, je livre tout ce que j’ai retenu depuis si longtemps. Je partage tout ce que j’ai à partager. Sur la chanson de Cabrel, il m’avoue avoir vécu exactement le même électrochoc. Alors, accoudée à mon bureau, je secoue la tête en fermant les yeux, avant de la blottir au creux de mes mains, lassée. Quel gâchis ! Combien de temps devra-t-il encore durer, ce « parfum des regrets » qui ne quitte plus mes narines et envahit tout mon être à chaque seconde ?