Des femmes de coeur - Huguette Cloutier - E-Book

Des femmes de coeur E-Book

Huguette Cloutier

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Beschreibung

Dans un petit village niché au cœur des Appalaches, Zélia, issue d’une famille chaleureuse et aimante, rêve d’une vie remplie d’amour et de tendresse, au matin de son mariage. Très travaillante, le dur labeur sur la ferme ne lui fait pas peur. Habitant avec sa belle-mère, veuve, aigrie par la vie, elle se sent bien loin de sa famille. Sa douceur légendaire viendra-t-elle amadouer le caractère bouillant de son Ferdinand ? Elle traversera plusieurs épreuves, lui donnera six enfants et ne cessera jamais d’aimer son mari. Mais à quel prix ?


À PROPOS DE L'AUTRICE 

Cadette de sa famille, l’autrice a toujours fait preuve d’intérêt, de curiosité et d’admiration pour la vie de ses ancêtres. Ses sœurs déjà parties de la maison, elle se retrouve souvent seule avec les parents et recueille ainsi leurs confidences et leurs récits qui sont très précis. Depuis l’âge de 8 ans, l’idée de coucher cette histoire des années 20 et 30 sur le papier, est devenue de plus en plus pressante. Véritable bourreau de travail, elle écrit d’abord un programme d’études professionnelles, permettant ainsi à plusieurs centaines de femmes de retourner sur le marché du travail. Toute sa carrière sera vouée à l’administration de cliniques dentaires, où son écoute et son implication font la différence. Préretraitée, elle entreprend deux années de recherches et d’écriture afin de nous partager aujourd’hui, ce premier tome de la vie particulière de Zélia et sa famille.

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La photographie est une gracieuseté de Madame Pauline Thibault

Couverture et mise en page : Ecoffet Scarlett

Toute représentation partielle ou totale est interdite sans le consentement explicite de l’autrice.

La révision linguistique de cet ouvrage est assurée par Stéphanie Brière

Cette publication est dirigée par :

 

 

Téléphone : 418-271-6578

Courriel : [email protected]

Site Web : editionsenoya.com

 

 

 

 

 

 

Ce roman est dédié à Zélia, ma grand-mère maternelle, à ma mère Marie-Claire, ainsi qu’à toutes les femmes de cette époque, qui n’ont jamais pu exprimer leurs besoins et leurs sentiments.

 

Bien avant le « Me too », beaucoup de femmes ont été les esclaves d’hommes au cœur dur, et aux exigences démesurées des hommes d’église envers elles..

 

Racontée avec beaucoup de détails par sa fille aînée Marie-Claire, toute l’histoire est bien réelle, seuls les noms des habitants voisins ont été changés par respect pour leurs descendants

 

 

 

 

 

 

 

PROLOGUE

 

Vivre dans un petit village pendant les années 20-30 et 40, en période de guerre, veut dire travailler dur pendant de longues journées sur la ferme. La femme, quant à elle doit épauler son époux dans tous ses travaux de fermier, s’occuper de la maison souvent froide et sans aucune facilité, tout en ayant une trâlée d’enfants pour grossir le village.

 

La nourriture se fait rare, et elles doivent faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour nourrir leur grande famille. Les hommes n’ayant pas encore fait l’acquisition d’une terre, s’expatrient tous les hivers dans les chantiers loin de leur bien-aimée et de leur village.

 

La manipulation et la domination des hommes de l’église, donnent tous les droits et privilèges aux hommes. Zélia, jeune femme nouvellement mariée, tente par tous les moyens de satisfaire son homme et sa belle-mère, tel qu’exigé par leur curé. Y trouvera-t-elle son bonheur ou une vie misérable? Sa foi inébranlable sera-t-elle suffisante pour y vivre toute sa vie?

 

L’histoire de Zélia, ma grand-mère maternelle m’est revenue soudainement pendant la pandémie comme une urgence à écrire. J’ai plusieurs fois rêvé aux différentes anecdotes racontées par ma mère et mon père. J’ai effectué plusieurs recherches généalogiques et j’ai été profondément blessée, de réaliser que la majorité des hommes d’Église n’avaient aucun respect ni aucune compréhension de la vie des femmes. Seule leur propre mère était appréciée.

 

Ainsi j’ai découvert que sur plusieurs actes de naissance féminins, seule l’année était indiquée, aucun mois ni aucun jour! Puis, mes sœurs et moi nous nous sommes réunies, et nous avons mis tous nos souvenirs en commun, afin d’être le plus précis possible. J’ai donc mis deux années pour raconter l’histoire de cette femme au grand cœur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va »

 

Otto Von Bismarck

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ZÉLIA

 

1917/06/26

SIXIÈME RANG EST, ST-CYRILLE DE LESSARD

L’aube pointe très lentement à l’horizon lorsque Zélia ouvre péniblement les yeux. Les guenilles qui frisent ses longs cheveux roux depuis la veille au matin, de même que la chaleur étouffante au deuxième étage, lui ont fait vivre une nuit plutôt inconfortable. Même les draps de coton un peu rugueux qui recouvrent la paillasse des trois filles n’ont pas réussi à donner un peu de fraîcheur. La chaleur est intense, même si l’été vient tout juste de commencer, et l’odeur agréable des lilas se faufile par la fenêtre ouverte. Zélia a toujours adoré le parfum et les petites fleurs du lilas. Elles sont odorantes sans être tenaces, et d’une délicatesse qui la surprend toujours chaque année.

C’est le grand jour pour elle et son beau Ferdinand. Elle ressent des tremblements méconnus dans son ventre. C’est sûrement l’émotion, se dit-elle. Soudainement, par la fenêtre ouverte, elle entend le chant du coq dans la basse-cour et se lève promptement afin de passer de l’eau fraîche sur son visage. Elle repense alors à tout ce qui a occupé sa journée précédente; sa sœur Anne a pris bien soin de nettoyer ses ongles et lui a ensuite fait tremper les mains dans l’eau tiède, avec un peu de savon du pays. Elle lui a ensuite appliqué une crème onctueuse à l’effluve de rose conçue par leur grand-mère. Avant de se coucher, elle a enduit ses mains d’un peu de paraffine et a enfilé des gants qu’elle a cousus elle-même, dans un vieux morceau de coton mince pour l’occasion. Ce matin, la douceur de ses mains lui semble bien irréelle. La veille, sa mère et sa sœur Éva ont consacré de longues heures à friser sa lourde tignasse avec des guenilles. Avant d’aller au lit, elle a préparé elle-même une pleine cuve d’eau chaude afin de prendre un bain et de se laver complètement avec le savon à la rose fabriqué par sa marraine. Sa mère a souri lorsqu’elle l’a entendue fredonner sur l’air de la chanson « Le temps des cerises ». Son bonheur était évident.

Parfois, les dimanches d’hiver, lorsque la tempête fait rage dehors ou que le froid et le vent se mettent de connivence, on fait jouer le gramophone. Zélia, qui a l’oreille musicale, aurait bien aimé pouvoir jouer elle aussi au vieux piano, tout comme sa grand-tante que son père surnomme affectueusement la « vieille fille ». Hélas, les moyens financiers limités ne permettent pas à son père de lui accorder cette faveur, même s’il le voudrait bien. Déjà qu’il est plutôt avant son temps, il a permis à ses trois filles aînées de terminer leurs études primaires à l’école du village. L’année suivante, elles ont pu parfaire leurs connaissances en cuisine, en couture, en tricot, en broderie et en économie familiale. Peu de filles ont cette chance dans ces années difficiles.

Quant à son fils Phydime, le seul garçon de la famille, il se promet de le retirer de l’école dès qu’il aura la capacité physique de prendre soin des animaux et de participer aux travaux sur la terre. Il se plaît souvent à dire :

« Faut juste savoir compter et lire un peu, en autant qu’té capable de signer ton nom, c’est l’principal! Les créatures sont là pour nous lire ce qu’on a besoin de savoir. À moins que tu veuilles faire un prêtre! »

Zélia regarde le vieux lit qu’elle partage depuis toujours avec ses deux sœurs Éva et Anne. Il n’est pas très large, avec une tête et un pied en fer, dont les poteaux extérieurs sont recouverts de petites boules ouvragées. Celui-là même dans lequel sa grand-mère paternelle a donné naissance à tous ses enfants. Il leur a toujours semblé très sécurisant, comme si elle en assurait la protection de là-haut. De vieilles croûtes de bois sont placées en travers du lit et supportent une paillasse que leur mère remplit chaque automne de paille nouvelle, afin de la rendre plus confortable. Couchées les unes contre les autres, elles n’ont pas trop froid l’hiver, mais la chaleur de l’été est parfois plus difficile à supporter.

Anne dort encore paisiblement, mais Éva se rend compte tout de suite que Zélia est déjà levée.

— Pas trop nerveuse, la sœur? lui demande-t-elle.

— J’ai des vagues dans le ventre et j’ai mal dormi à cause de la chaleur et des guenilles. Je crains bien d’avoir l’air d’un épouvantail! lui répond candidement Zélia.

— Ben voyons donc, toi, t’es la plus belle de nous trois! Ne viens pas me dire que tu l’sais pas déjà, Sainte-Misère!

— T’es bien trop fine! Bon, je vais me laver le visage à l’eau très froide, peut-être que ça va m’aider un peu. Je descends demander conseil à maman; je l’entends marcher sans arrêt en bas. J’te dis qu’elle se donne beaucoup de mal pour la noce.

Zélia descend l’escalier dont les vieilles marches craquent malgré son poids léger. Dans la cuisine, sa mère s’affaire depuis quelques heures déjà à s’assurer que tout sera prêt à temps pour le repas de noces du midi. En bonne cuisinière, elle a tout préparé avec l’aide de ses filles et de ses deux voisines, Marianna et Lorraine. La marraine de Zélia sera bientôt là pour aider à mettre les tables et à préparer la mariée. En passant devant le vieux miroir dont le lustre est presque devenu un souvenir, Zélia jette un coup d’œil et remarque de légers cernes sous ses beaux yeux verts. Le miroir lui reflète ses taches de rousseur accentuées par les dernières journées passées au soleil dans le jardin, à semer et à planter. Même son grand chapeau n’a pas suffi à empêcher ce qu’elle considère comme une calamité sur son visage.

— Môman! C’est affreux, j’ai l’air d’un raton laveur avec des grandes plaques de rouille dans la face! s’exclame-t-elle aussitôt, complètement découragée.

— Voyons donc, ma belle grande fille, tu n’exagères pas un peu, là? On va te mettre des compresses de feuilles de thé bien froides sous les yeux. C’est une vieille recette de ta grand-mère, mais elle est toujours aussi efficace. Tu dois prendre de bonnes respirations et te détendre un peu; tu es tendue comme la broche de la clôture du voisin! Je te prépare une tisane de camomille, qui va t’aider, et je veux que tu la boives au complet!

Pour tenter de se calmer, Zélia se dépêche à mettre les feuilles de thé froides sur ses yeux et s’étend sur le vieux divan bourgogne, dont le tissu élimé démontre bien le grand âge.

Une douce chaleur l’envahit doucement et elle sent qu’elle doit vraiment se calmer, si elle veut tenir debout toute la grande journée. Elle s’assoupit quelques minutes en rêvant à son beau Ferdinand.

Lorsqu’Anne, encore revêtue de sa jaquette de nuit, vient voir si elle est calmée, elle sursaute et réalise qu’elle s’était assoupie.

— Sainte-Mère de Dieu, j’ai dormi! Comme si j’avais du temps à perdre!

— Ben oui, la sœur, calme-toi donc les nerfs! Astheure, Môman fait dire que tu peux appliquer de l’eau de rose. Elle est dans le petit flacon sur sa commode de chambre. Vas-y doucement! Elle la garde bien précieusement pour les grands jours. Elle m’a dit qu’aujourd’hui, c’en est un!

— Merci, Anne. Vas-tu vouloir m’aider pour enlever les guenilles de mes cheveux? J’ai bien trop peur de défaire les boudins, si je les enlève toute seule!

— Môman nous a demandé, à Éva et à moi, de te les enlever. On fera en arrière pour commencer et après on enlèvera un côté chacune. Comme ça, les boudins devraient rester de la même longueur.

— Oh, merci, vous êtes donc bien fines avec moi! Je vous promets que je serai là pour vous aider le jour de votre propre mariage.

Zélia se rend dans la chambre des parents pour prendre l’eau de rose de sa mère. À la vue du grand lit, qui n’est en fait que de quarante-huit pouces, elle ressent un malaise à l’idée que ce soir, elle sera à son tour couchée avec un homme dans son lit.

— Sainte-Mère de Dieu! dit-elle à haute voix. Comment est-ce que ça se passera? Qu’est-ce que je dois faire ou ne pas faire? Si seulement j’avais trouvé le courage d’en parler avec Môman. Moi et ma câline de timidité aussi! J’vais avoir l’air d’une belle nounoune!

 

Elle pousse alors un long soupir…

— À quoi songes-tu, ma belle grande fille? demande sa mère, qui l’observe depuis un bon moment.

— Oh, Môman! Vous êtes là! Je suis venue prendre un peu de votre eau de rose, comme vous l’avez dit à Anne.

— Et ça me fait bien plaisir. Tu vas voir, c’est quasiment miraculeux! Ça va pâlir tes belles taches de rousseur que ton père aime tant. Mais je sens bien que quelque chose t’inquiète, veux-tu m’en parler?

— Si vous saviez, Môman, comment je me trouve tellement ignorante des choses de la vie. Je ne sais même pas comment faire pour rendre mon homme heureux… Vous savez, pour la chose… enfin… pour faire mon devoir. Voulez-vous me conseiller un peu?

— Écoute ton cœur, ma fille, et fais preuve de tendresse et de patience. Laisse-toi faire et tout ira bien. Parfois, la première fois est un peu différente… C’est un peu plus rapide. Mais fais confiance à ton Ferdinand; je suis certaine qu’il sera doux avec toi, tout comme ton père l’a toujours été avec moi. Avec le temps, tu seras heureuse de lui appartenir. Mon meilleur conseil : prenez votre temps, vous avez toute la nuit et toute la vie pour vous aimer.

— Merci, Môman, vous avez toujours la bonne parole pour nous rassurer. Merci aussi pour tout ce que vous avez préparé pour rendre ma noce inoubliable. Jamais je n’oublierai le temps et le labeur que vous y avez mis.

— Maintenant, ma grande fille, mets-toi un peu d’eau de rose dans le visage et va t’habiller. J’irai t’aider à attacher ta robe.

Marie retourne à sa cuisine et se rappelle les doux souvenirs de sa nuit de noces avec son beau Philias. Il avait été très patient, si doux et si tendre, il l’avait rassurée et caressée tendrement pendant longtemps avant de prendre possession de son corps devenu brûlant d’amour et de désir. Un léger courant d’air venant du nord soulève un soupçon d’inquiétude : Ferdinand sera-t-il patient et doux avec sa fille ou s’il la prendra sans ménagement pour se satisfaire et s’endormir ensuite?

« Il faudra que je dise à mon beau Philias de lui parler un peu dans le courant de la journée. D’homme à homme, ça passera mieux. Zélia est si timide et ingénue », dit-elle à voix basse.

Après avoir appliqué l’eau de rose dont l’odeur restera quelques heures sur son visage, Zélia met sa culotte blanche à « grands manches » brodée d’une fine dentelle du même tissu. Comme toutes les jeunes femmes de son époque, elle se doit de camoufler sa poitrine. En guise de soutien-gorge, elle place une bande de coton épais pour soutenir et aplatir sa poitrine généreuse. Finalement, elle revêt sa camisole toute neuve en coton également. Zélia peine un peu à lacer son corset très serré; cette lingerie amincit sa taille de quelques centimètres. Cela remonte ses seins, mais surtout ça aide beaucoup à remplir les pinces du bustier de sa robe. Heureusement que tante Clairette est là pour serrer encore plus les longs cordons. Elle enfile ses bas de coton blanc qui montent jusqu’en haut des genoux, ainsi qu’un long jupon brodé d’une jolie dentelle blanche avec des roses bleues, qu’Éva lui a brodées l’hiver dernier. Sa marraine l’aide ensuite à revêtir sa robe de mariée. L’émotion serre la gorge des deux femmes. C’est un grand jour et Clairette a des doutes sur la douceur et la patience du futur époux. Ses yeux sont si froids…

Quand Marie pénètre dans la chambre, elle est sans mot devant sa fille. Avec l’aide de sa marraine, Zélia est enfin prête pour se rendre à l’église.

— Que tu es belle, ma Zélia! Je suis très émue. Tu n’as pas à t’inquiéter, tu feras des jalouses. Ton père sera bien fier d’avancer avec toi dans l’église et ton Ferdinand aura les jambes en compote quand il te verra, crois-moi.

***

 

Clairette donne un dernier coup de main pour finir de décorer les tablées déjà montées pour le repas du midi. Elle s’assure que les jeunes filles du voisinage surveilleront bien le poêle et les plats qui mijotent doucement. La vieille Madame St-Pierre, une bonne voisine toujours prête à aider, veillera à ce que chacune reste occupée.

Le menu composé de soupe aux légumes, de ragoût de porc, de poulet, de bœuf à la mode et de macédoine de légumes satisfera tous les appétits sans aucune inquiétude. De grosses tranches de pain de ménage et des carreaux de beurre fraîchement baratté feront saliver avant même d’y goûter. Philias est un homme orgueilleux et ne veut rien négliger, comme il l’a bien expliqué à Marie quelques semaines auparavant. Différents desserts font partie du banquet : un gros gâteau de noces blanc avec un épais glaçage au beurre, des tartes au sirop d’érable et d’autres aux raisins. La bonne crème épaisse et les confitures maison hausseront les saveurs de tout ce qui est offert.

Sur les nombreuses grandes tables recouvertes de draps blancs, des petits bouquets de fleurs des champs que les filles ont cueillies la veille, et conservées à l’ombre dans l’eau fraîche du puits, servent de centre de table. La vaisselle de l’arrière-grand-mère, malgré quelques minimes éclats, ajoute une touche royale au décor. La coutellerie en argent de la grand-mère paternelle de Zélia brille, tellement elle a été fourbie longtemps. Des petits verres serviront à porter une santé aux mariés. Très satisfaite du résultat, Clairette retourne auprès de sa jeune filleule pour laquelle elle a toujours eu un faible et qu’elle considère vraiment comme sa propre fille.

Les cloches de l’église sonnent au cœur du village, pour annoncer qu’un mariage sera célébré dans les minutes suivantes. Les bans ont été publiés trois fois et la promesse de mariage a été déclarée par le curé directement de la chaire, après le sermon, au cours des messes dominicales des trois dernières semaines. Personne ne s’est opposé au mariage quand le curé a haussé le ton pour énoncer la fameuse phrase :

— Si quelqu’un s’oppose à cette union, qu’il le dise maintenant ou qu’il se taise à jamais! 

La calèche est prête devant la galerie et c’est l’oncle de Zélia qui conduira le beau cheval noir « Ti-Prince » jusqu’à l’église. C’est le cheval préféré de son père. Travaillant et d’allure racée, il est son fidèle compagnon pour les sorties et les travaux. Zélia est même convaincue qu’il est son confident! Elle soulève le rideau blanc de la porte d’entrée et voit son père qui a revêtu son vieil habit de noces un peu défraîchi, mais bien pressé. Il porte une chemise neuve bleu pâle et un nœud de satin noir que Marie a fait de ses propres mains. Elle est très satisfaite du résultat sur son homme. Étant donné que Philias a toujours travaillé très fort physiquement, il a conservé sa taille de jeune homme. Seul son visage présente des rides causées par le froid et les vents d’hiver ainsi que le soleil brûlant de l’été. Ses cheveux, qui commencent à grisonner, ont été peignés vers l’arrière; seules quelques boucles plus foncées semblent vouloir s’échapper. Son veston, un peu serré au niveau des épaules, lui donne un air quelque peu vulnérable.

Philias monte les quelques marches et ouvre la porte pour annoncer le départ. Le souffle lui manque quand il la voit, revêtue de sa longue robe en crêpe de couleur ivoire. Marie l‘a coupée et cousue minutieusement en grande partie, à la main tout au long de l’hiver.

De plus, elle est ornée de fleurs ivoires brodées à la main avec de minuscules perles. Ainsi vêtue, Zélia ressemble à une princesse ou plutôt à un ange, se dit-il. Une ceinture en ruban de satin bleu pâle cintre sa taille et se termine en arrière par une large boucle de laquelle descendent de longs rubans bleus et ivoire. Il regarde ses chaussures, et admire les petits bottillons que Marie a recouverts de satin de la même couleur que la robe. Sa femme fait vraiment des miracles avec si peu! pense-t-il. Quand son regard se lève, il voit les longs cheveux roux de sa fille, savamment montés de chaque côté, et entrevoit la longue tignasse bouclée qui descend dans son dos jusqu’aux reins. De jolis peignes ivoire décorés de fausses perles que Zélia a collées retiennent les boucles de chaque côté, dégageant ainsi son beau visage angélique et mettant en valeur ses yeux verts vraiment uniques. Une légère poudre rosée sur ses pommettes, appliquée avec soin par sa marraine, lui donne un teint éclatant de santé tout en diminuant la carnation de sa peau. Même si l’été n’en est qu’à ses débuts, déjà plusieurs taches de rousseur colorent son visage et lui donnent un air moqueur.

Un léger effluve de fleurs émane d’elle mystérieusement.

— Es-tu prête, ma belle grande fille?

— Oui, Pôpa, mais j’avoue que je suis un peu nerveuse de m’en aller rester dans le fond du cinquième rang, où je ne connais personne. Vous serez si loin de moi, Môman et vous! Puis en même temps, je suis si heureuse que j’en suis toute tremblante!

— Tout est normal, ma fille. Tu vas commencer une nouvelle vie, ma belle rouquine! Mais tu sais, j’aurais tout donné pour te garder près de moi. Que veux-tu, la vie est ainsi faite; elle te donne de beaux enfants pour mieux te les enlever plus tard.

— Ne soyez pas triste, Pôpa, nous serons heureux et nous viendrons souvent vous rendre visite, même si nous habiterons loin. Pis vous viendrez, vous autres aussi, j’espère bien…

Redressant le dos, il répond aussitôt :

— Bon, assez parlé, il est bientôt temps de partir, si tu ne veux pas que ton Ferdinand s’inquiète à l’église!

— Père, voulez-vous me donner votre bénédiction, s’il vous plaît?

— Ben oui, ma grande fille; ben certain!

Zélia s’agenouille en prenant bien soin de ne pas briser sa belle robe sur les vieux madriers de pin noueux du plancher. Son père fait alors son signe de croix en disant :

— Que Dieu te bénisse et te garde en santé. Qu’il veille à ton bonheur et qu’il t’accorde la joie d’élever de beaux enfants en santé.

Mais bien malgré lui, une vague d’inquiétude lui serre le thorax. Il se demande s’il devrait lui dire quelque chose de plus. Il trouve que Ferdinand est un homme costaud et travaillant. Il est propriétaire de sa ferme et héberge sa mère qui n’est plus très jeune, c’est donc un homme qui a du cœur aussi. Mais ce regard froid transperçant qu’il a pu remarquer quelques fois dans ses yeux lui donne un frisson dans le dos. Qu’est-ce que sa douce Zélia a bien pu lui trouver? 

Lorsqu’elle se relève, elle remarque les larmes qui coulent sous les yeux de son père :

— Pôpa, est-ce que ça va? Vous êtes tout pâle!

— Ben oui, ma belle rouquine! Je me disais que ton homme a ben de la chance de marier une jeune femme aussi travaillante, maternelle, excellente cuisinière et une très belle créature en plus! Il sera sûrement le plus heureux des hommes, hum hum… après moé, c’est ben certain! lui dit-il avec un large sourire et un clin d’œil.

— Arrêtez-moé ça, Pôpa, je vais devenir aussi orgueilleuse que votre coq Welly!

— Promets-moi que si quelque chose te tracasse ou te rend malheureuse, tu nous écriras. Vivre avec sa belle-mère n’est pas toujours chose facile, mais j’veux qu’tu saches que nous serons toujours là pour toi, ta mère et moi.

— Ben voyons donc, Pôpa, vous savez comme j’ai bon caractère et que je m’entends bien avec tout le monde. Ça va être pareil avec elle.

Entrant dans la pièce, Marie les secoue en disant :

— Faut mettre ton chapeau, ma grande, sinon tu auras toute la face rouillée comme du vieux fer pour te marier! On est bien chanceux, les trois chapelets qu’on a mis sur la corde à linge ont fait du bon travail et la température est parfaite. Et puis toi, mon homme, va approcher la calèche, j’voudrais pas qu’elle salisse sa belle robe dans la terre.

Elle dépose le chapeau sur la tête de sa fille en faisant bien attention de ne pas déplacer les cheveux qu’Éva a su retenir avec des pincettes pratiquement de la même couleur. Elle pose ensuite, sur le côté droit du chapeau, une broche ornée de pierres du Rhin sur un nid de grandes plumes blanches. Ce cadeau précieux de sa grand-mère Fortin a été conservé dans un morceau de satin bleu depuis son propre mariage et laissé en héritage à ses petites-filles.

Éva et Anne se joignent à elles à l’entrée du salon avec un joli bouquet de fleurs des champs composé de marguerites blanches, de muguet et de lupins bleus miniatures, dont la couleur est rehaussée par quelques tiges de feuilles de lilas.      

— Tu es tellement belle, lui disent Éva et Anne en chœur.

Elles éclatent de rire toutes les trois. Leur mère met vite fin à ce beau moment en disant qu’il est temps de partir. Zélia sort sur la galerie avant de la maison à deux étages. Elle lève la tête et découvre que son père a attaché des boucles de ruban ivoire et d’autres de ruban bleu aux quatre coins de la calèche. Cette délicate attention lui ramène une larme au coin de l’œil et elle remercie son père, qui est bien content de cette petite cachotterie pour lui faire plaisir. La surprise est réussie! Il lui tend les bras et l’aide à monter dans la calèche qu’il a mis des heures à brosser et à polir, la veille, avec Alphonse, le fils de son voisin. Philias n’est pas riche, mais il est très fier. L’attelage brille et même Ti-Prince affiche une boucle bleue dans sa crinière. Son poil, qui a été longuement brossé, reluit sous les rayons du soleil éclatant du matin.

— Merci, merci, merci, Pôpa! Je suis tellement heureuse! C’est le plus beau jour de ma vie!

Doucement, Ti-Prince avance dans le chemin. Il est suivi de près par la voiture de tous les jours, conduite par l’oncle Maxime,dans laquelle prennent place la mère et toutes les sœurs de Zélia. Sa marraine et son parrain sont les suivants avec son seul frère cadet. Quelques voitures de voisins, d’oncles et de tantes forment le cortège derrière eux. Lorsqu’ils montent la côte menant à l’église du village, Zélia remarque pour la première fois l’imposante structure de l’église. Dominant le côté droit du plateau en haut de la côte, elle semble veiller sur tous ses paroissiens, et son haut clocher pointe vers le ciel. À gauche se trouve le presbytère, une grande bâtisse à deux étages, avec beaucoup de fenêtres et une large galerie qui l’encercle de tous les côtés. Au moment où Ti-Prince s’arrête tout près du perron de l’église, elle constate que des invités et plusieurs résidents du village se sont assemblés pour la voir arriver. Elle sent les yeux de plusieurs personnes rivés sur elle. Terriblement gênée, elle perçoit rapidement le regard émerveillé des hommes, mais remarque également celui un peu envieux de leurs femmes.

Quelques jeunes filles commentent discrètement entre elles.

« En voilà une qui réalise notre rêve à toutes », se disent-elles. « C’est un bel homme et il est tellement grand! »

Puis, son regard croise celui de son fiancé et une douce chaleur l’envahit lorsqu’il lui sourit. Tous ses doutes disparaissent instantanément.

« Il a bien des raisons de sourire, son beau Ferdinand, pense Philias. Cette magnifique créature lui fera une excellente épouse, dans sa maison et dans son lit. ll l’attend depuis si longtemps. » Les fréquentations ont duré un an et demi, parce que le père de la jeune femme a toujours refusé que sa fille se marie en plein hiver. « Des plans pour attraper son coup de mort! »

La mariée s’avance dans l’allée de gauche, la main au bras de son père et Ferdinand dans l’allée de droite avec son frère Phydime, qui lui sert de témoin en remplacement de son père David qui est décédé. Le curé a donné son autorisation même s’il n’a que 19 ans. Il n’est surtout pas question qu’une femme soit son témoin! Un hymne à la Vierge est joué à l’orgue pendant la procession. Lorsqu’ils arrivent en avant de l’église, son père lui lâche la main et la remet à Ferdinand. Il s’approche discrètement de lui et dit à son oreille :

— Je te donne ma fille, prends-en ben soin, parce que j’s’rai jamais ben loin! 

Le curé Mercier, qui célèbre la messe, est entouré de ses deux servants de messe. Les deux jeunes garçons sont vêtus d’une soutane noire sur laquelle est enfilée une aube blanche, brodée de dentelle au bas ainsi qu’au bord des manches qui s’arrêtent aux coudes. Vêtu de la même manière, le curé arbore également une étole couleur or qui impressionne grandement Zélia. Elle la voit de proche pour la première fois depuis sa communion solennelle. La messe se déroule en latin, que personne ne comprend. Aussi chacun prie silencieusement son chapelet pour le bonheur et la prospérité de ce nouveau couple du canton.

Le curé monte dans la chaire pour prononcer son sermon. Il rappelle à chacun des époux ses obligations envers l’autre : le devoir conjugal, avoir des enfants tant que la nature le permet, nourrir, vêtir et élever ses nombreux enfants et toujours payer la dîme à l’Église. La responsabilité du couple est de transmettre les valeurs religieuses catholiques à leurs enfants, comme le chapelet tous les soirs, en s’assurant qu’ils auront tous les sacrements, et de toujours se présenter à la confession avant d’assister à la messe dominicale en famille. Il rappelle également à Ferdinand qu’il sera le maître de la maison et à Zélia qu’elle lui doit obéissance et soumission. Il prévient les époux qu’aucun plaisir charnel ne doit être favorisé, sauf pour agrandir la famille. Juste à entendre ces mots, Ferdinand sent déjà une raideur pointer immédiatement dans son pantalon et se dit en lui-même que le curé ne sera jamais mis au courant de ce qui se passera dans sa chambre; Zélia en sera prévenue le soir même!

Une fois les registres signés par les mariés et les témoins, les tuyaux de l’orgue, gonflés à bloc, entonnent à plein régime la marche nuptiale. L’orgue, acheté l’année précédente, est joué magnifiquement par Jean-Baptiste Cloutier et sa musique accompagne les mariés et leurs invités jusqu’aux portes centrales toutes grandes ouvertes. Zélia en ressent les vibrations au plus profond de son être. Émue jusqu’aux larmes, la main sous le bras de son cher époux, son bouquet dans la main droite, elle lève les yeux vers son mari qui la regarde d’un air fier et possessif. Elle lui sourit tendrement et lui dit :

— Je t’aime, mon beau Ferdinand.

— J’chus ton mari, t’é à moé, maintenant! É’-tu contente, ma Zélia?

— Oh oui, mon homme! Je suis tellement heureuse et je t’aime tellement!

— J’ai ben hâte de t’montrer à quel point je t’aime, à souère, quand tu seras tu-seule avec moé.

Elle lui sourit en rougissant, très gênée par son aveu déclaré en pleine église, surtout après le sermon du curé. Les cloches sonnent à toute volée et les deux familles se regroupent autour des nouveaux mariés pour la traditionnelle photo de mariage.

Le vieux notaire Casgrain de L’Islet, qui connaît bien Philias, a gentiment offert de prendre quelques photos en cadeau de mariage. Des grains de riz sont lancés au-dessus des mariés lorsque l’appareil émet son clic. Même le curé, les servants de messe, le vieux chanteur Caron et le musicien sont de la partie. Le Sieur Gédéon Pelletier, quant à lui, est toujours présent sur toutes les photos prises au village, en tant que responsable de la Seigneurie de Lessard. Un mot du curé met fin à la prise de photo et tranquillement, la calèche des nouveaux mariés se met en route, suivie des voitures des parents et des invités.

Étant donné l’heure peu avancée, la tradition les invite à faire le tour des rangs. Le sixième rang ouest les accueille en premier, suivi du cinquième rang est, où Zélia peut enfin regarder la maison où elle sera la reine du foyer, du moins, l’espère-t-elle! Pour terminer leur promenade, ils prennent le chemin de traverse pour se rendre au sixième rang est et revenir au village où se trouve la maison des Caron, ses parents.

***

 

Dans tous les rangs, les mères et les jeunes filles les saluent de leur galerie en souriant, alors que les pères et les garçons lèvent leurs chapeaux en signe de félicitations. Un mariage représente le bonheur, l’amour et surtout une future famille qui viendra grossir le nombre de paroissiens.

Le soleil est de plus en plus chaud et aucun vent ne souffle de brise. Une fois rendus chez eux; le père de Zélia offre une santé aux hommes à l’abri du toit de son atelier de bois, tandis que sa mère propose aux dames d’entrer dans la maison pour prendre un verre de champagne de pissenlits qu’elle a préparé pour l’occasion. On entend les voix des hommes qui discutent animaux et agriculture d’un côté et le doux murmure des femmes qui jasent de jardin, de couture, de broderie et de leur marmaille, de l’autre côté.

Lorsque l’horloge émet ses onze coups, Éva demande aux hommes de bien vouloir entrer et se mettre à table. Tout le monde est affamé, car tous ceux qui voulaient communier n’avaient pas le droit de déjeuner. Quant aux plus jeunes, ils mangeront à l’extérieur, à l’ombre du gros chêne. Des planches supportées par des tréteaux, entourées de bancs construits en vieux madriers et recouverts de vieilles catalognes pour l’occasion, feront l’affaire pour asseoir les quelques enfants et adolescents présents. À l’intérieur, tous les invités prennent place aux longues tablées.

Le repas de noces se fait toujours en présence du curé, afin de rester dans ses bonnes grâces; Ferdinand lui demande donc de bien vouloir réciter le bénédicité. Ce dernier s’empresse de le faire volontiers, affirmant ainsi son autorité sur tous ses paroissiens, du haut de sa grandeur et de son orgueil vaniteux. Quand tout le monde répond « Ainsi soit-il », le curé se tourne vers Ferdinand et lui dit : « À partir de maintenant, je compte sur toi pour réciter le bénédicité à chaque repas dans ta maison. »

Plusieurs félicitent les qualités de cuisinière de Marie. Philias se lève et demande à tous d’offrir une santé aux nouveaux mariés. Du vin rouge maison servi un peu plus tôt leur permet de lever leurs verres. C’est alors que des bruits de cuillères cognées sur les tables viennent couvrir les voix, obligeant ainsi les nouveaux mariés à se lever et à s’embrasser devant tous les invités. Ferdinand grogne un peu, car il déteste les démonstrations publiques. Zélia sent le rouge affluer sur ses joues. Elle pose un délicat baiser sur les lèvres de son mari et se rassoit très vite. Son père, assis à ses côtés, veut la rassurer en lui disant d’un air moqueur :

— Ne sois pas gênée, ma belle grande fille, tu es une femme mariée, maintenant!

— S’il vous plaît, Pôpa, rajoutez-en pas! En plus, tout le monde me regarde!

À la fin du plat principal, son parrain se lève à son tour et demande une autre santé pour les mariés. À peine a-t-il fini de parler, que la mère de Ferdinand élève la voix et dit :

— Laissez-les donc manger tranquilles! Ils ont ben l’temps de fére ça, bande de voyeux!

Tout le monde baisse les yeux, gêné et un peu choqué de ce manque de savoir-vivre. Même le curé jette un regard sévère à madame Bernier. Quant à Zélia, elle réalise qu’elle devra limiter ses démonstrations d’amour à son mari, quand ils seront chez eux, en présence de sa belle-mère.

« C’est vraiment dommage », se dit-elle. « Moi qui aime beaucoup les petites cajoleries de Pôpa et Môman. Ils ont tellement l’air heureux, après toutes ces années de vie commune! »

La table est vite débarrassée, plusieurs jeunes filles et leurs mères se proposent pour laver la vaisselle, pendant qu’Anne et Éva apportent les tartes et le thé aux invités. Lorsque la mère de Zélia apporte le gros gâteau de noces, tout le monde applaudit. Les pots de confiture maison apparaissent comme par magie sur toutes les tables ainsi que les petits pots de crème fraîche.Lorsque tout le monde est servi, le père de Zélia se lève et demande un moment de silence pour s’adresser aux nouveaux mariés :

— Mes enfants, aujourd’hui, vous vous êtes unis l’un à l’autre pour le meilleur et pour le pire. Je vous souhaite la santé, le bonheur et des beaux enfants en santé. Sur la ferme, il ne faut pas compter les heures et il faut travailler fort. Dans les moments difficiles, tenez-vous la main et bravez les épreuves ensemble. Le travail, le respect et l’amour sont les seules valeurs que vous devrez toujours garder en tête toute votre vie. Le bon Dieu veillera sur vous, soyez de bons pratiquants et de bons exemples pour vos enfants. Ferdinand, mon gendre, le cadeau que je te fais aujourd’hui est aussi précieux que la prunelle de mes yeux. Fais-y ben attention; c’est une créature très douce qui saura te rendre heureux, si tu sais bien l’aimer et la protéger. Soyez heureux, mes enfants. À votre santé! 

Tout le monde lève son verre sauf la mère Bernier, qui lève à peine sa tasse de thé. Philias remercie tous les invités de leur présence et invite tout le monde à passer au salon double pour festoyer un peu. Un accordéoniste du rang, du nom de Cloutier, commence la musique d’un set carré accompagné d’Anne, qui fait chanter ses cuillères de bois. Monsieur Guimond se lève pour « caller » le set carré en même temps que les invités s’empressent de se mettre en place pour danser. La chaleur ne semble pas limiter le nombre de danseurs, qui ont peu souvent l’occasion de danser, puisque le curé l’interdit formellement, sauf lors des mariages. Vient ensuite la danse de la mariée où chacun des hommes présents doit payer une petite somme pour avoir le privilège de danser avec la mariée. Une toute petite bourse de velours blanc, attachée avec un ruban de satin bleu, est tenue par Éva qui récolte le pécule accordant le droit de danser avec la nouvelle mariée. Cette tradition remonte aux mariages des Filles du roi, quelques siècles précédents. Certains, qui sont plus à l’aise financièrement, sont très généreux alors que d’autres n’offrent que quelques centimes, mais tous le font avec beaucoup de plaisir. Zélia prend plaisir à la danse et sourit. Elle est très contente de savoir qu’elle aura un peu d’argent qu’elle pourra garder précieusement pour acheter des sous-vêtements de femme et quelques gâteries pour son homme, quand le besoin se fera sentir.

Quelques chansons à répondre, certaines un peu plus grivoises, quelques gigues et quelques verres de boisson plus tard, Ferdinand, qui n’aime pas du tout les fêtes, se lève et déclare qu’il est temps de partir en direction du cinquième rang où tout le monde est invité pour le souper.

Oncle Alphonse le taquine et lui dit en riant :

— Veux-tu déjà aller faire ton train, mon Ferdinand, ou ben tu t’ennuies de tes vaches?

— Ben non, voyons donc, vous! J’ai demandé Caouette pour fére le train. À souère, ç’é ben juste ma femme que j’veux, pas mes vaches!

Les hommes éclatent d’un grand rire pendant que les femmes baissent les yeux, un peu gênées, tout en se dépêchant de ramasser les chaises. Elles s’empressent aussitôt de remettre leurs chapeaux pour faire la route.

La danse a donné de grosses chaleurs à Zélia. Aussi, elle demande à sa mère de l’aider à se rafraîchir un peu. Une fois rafraîchie, elle s’apprête à sortir quand Éva lui rappelle qu’elle doit lancer son bouquet, le dos tourné, aux jeunes femmes célibataires. Elle reprend son bouquet, et se plaçant en haut des marches, elle le lance derrière elle. Une cousine l’attrape et fait un clin d’œil à son prétendant. Tout le monde éclate de rire, car il est bien évident que les cloches de l’église ne tarderont pas à sonner pour ces jeunes tourtereaux. La jeune mariée s’approche de la calèche, où Ferdinand fume sa pipe tranquillement aux côtés de sa mère. Ils semblent en grande conversation à voix basse, mais se taisent complètement lorsque Zélia les rejoint.

 

— Je vous dérange, peut-être? dit-elle doucement.

— Ben non, on se disait qui fa ben chaud pis que ça va fére du bien de rouler un peu plus vite su’l’chemin. Moryieu, pour la fin juin, c’é t’assez rare, une chaleur de même! lui répond Ferdinand.

— Madame Bernier, voulez-vous monter dans la voiture de mes parents? Ils vous l’offrent et se feront un plaisir de vous faire une place bien confortable, lui propose gentiment Zélia.

— Pantoute, j’embarque dans la calèche de mon gars. Fais-toé z’en pas, j’va m’assir en arriér.

Zélia aurait bien aimé être seule avec son nouveau mari, comme le veut la coutume. Elle jette un regard à Ferdinand, espérant qu’il l’appui, mais il détourne la tête et fait comme s’il n’avait rien entendu.

Il lui demande rapidement :

— As-tu ton coffre? J’ai pas ben ben envie de pardre mon temps à courailler lés ch’mins pour r’venir l’chercher, quand j’ai autant d’ouvrage su’à terre!

— Oui, oui. Mon oncle pis ma tante le transportent dans leur voiture. Est-ce que Pôpa t’a remis ma dot?

— Ouin… est pas mal p’tite, ta dot. Y s’é pas forcé ben ben, moryieu. C’é ben çà que j’disas à la mére, tantôt.

— Tu sais, Ferdinand, on n’est pas riche et il lui reste encore pas mal de filles à marier. Fais-toi z’en pas, mon coffre d’espérance que Pôpa m’a fabriqué, il y a deux ans, est rempli à craquer de lingerie de maison. J’ai tout cousu et brodé avec tout mon amour, chaque fois que j’avais une minute de temps libre. J’ai même deux belles catalognes neuves que j’ai tissées avec madame Leclerc. Pôpa nous a aussi donné une poche de farine, dix livres de beurre, du lard salé pis un cruchon d’herbes salées. Môman m’a préparé une grosse boîte de nourriture qu’elle a fait cuire pour nous, et aussi plusieurs pots de confiture. À l’automne, quand ils vont faire boucherie, Pôpa m’a dit qu’il va aussi nous donner du porc pour l’hiver. On s’ra pas dans la misère, mon beau Ferdinand.

— Ça paye pas grand-chose, un coffre d’espérance! répond Ferdinand d’un ton sans réplique.

— Coudonc, y avais-tu peur qu’on fasse pitié? les interrompt impoliment la mère de Ferdinand, qui a l’oreille fine. C’é pas parce qu’on reste dans l’cinquième rang qu’on é dans misére, bon yeu!

— Mon Dieu, pantoute, madame Bernier! proteste vivement Zélia. C’est juste une bonne intention, vous savez, mes parents sont généreux de nature.

— C’é pas pour rien qu’y é pas riche, ton pére, si y donne toute! réplique Ferdinand d’un ton sarcastique.

Zélia comprend vite que l’argent aussi risque d’être un sujet délicat et se promet de faire très attention et de ne pas demander grand-chose.

Une fois le cortège parti, elle se tourne vers sa belle-mère, assise derrière Ferdinand, et lui dit avec son plus beau sourire :

— Je pense bien que vous serez contente, madame Bernier, quand vous verrez tout ce que j’ai préparé dans mon coffre de cèdre. Aussi, j’ai bien hâte de faire à manger pour vous autres. Vous allez pouvoir vous reposer un peu quand vous aurez goûté le bon manger que j’sais faire.

— Veux-tu ben arrêter de m’appeler madame, bonyieu! J’chu pas la femme du notére, quand même! Tu m’appelleras Mémére. Comme ça, quand t’auras des enfants, tu vas être habituée!

— Ça va me faire grand plaisir, Mémère Bernier.

Le visage tourné vers l’avant, Zélia se dit que sa belle-mère semble un peu aigrie. Peut-être est-elle un peu mécontente de partager son cher Ferdinand… Aussi, elle est probablement déjà très fatiguée. Après tout, la journée est longue, pour quelqu’un de son âge, et elle n’a pas pu faire de roupillon après le dîner. « Au moins, dans la chambre, elle n’aura pas à le partager », pense-t-elle en souriant.

Dans le chemin de traverse appelé Chemin Ste-Marie, en direction du cinquième rang, le paysage forestier d’épinettes et de sapins, de chaque côté de la route, se déroule devant ses yeux. Après avoir descendu la grande côte, ils traversent un pont étroit fait de madriers de bois pâlis par le temps, bordés de gardes en vieux bois de cèdre gris foncé, qui couvre une belle petite rivière à l’eau très claire.

Zélia dit à Ferdinand à voix basse :

— Il y a des belles truites, ici. J’suis déjà venue pêcher avec Pôpa. On pourrait venir pêcher, un beau dimanche après-midi, et p’t’être bien se baigner, toi pis moi, un peu plus loin, tous les deux à l’abri des curieux? En plus, on aurait des bonnes truites pour souper…

— Ben voyons toé! Qué c’é q’tu penses que j’fa, moé, le dimanche après-midi? J’dors un peu pour r’fére mes forces. Pis là, tu vas être avec moé. Faque pense pas que j’va me priver de m’gâter avec ma belle créature pour aller pêcher! Compte pas su’moé pour la pêche!

Zélia tourne la tête de l’autre côté pour cacher les larmes qui viennent, très émue de se faire rabrouer aussi sèchement. L’émotion accumulée depuis son réveil fait surface bien malgré elle. Le cheval tourne vers la gauche, empruntant le cinquième rang, alors qu’elle commence à prier pour son propre bonheur. Ce sont sûrement la fatigue et l’émotion qui la virent autant à l’envers. Il faut peu de temps pour arriver à sa nouvelle demeure. Grosse bâtisse grise à deux étages, elle ressemble un peu à la maison de son enfance, à la seule différence que la galerie fait juste la façade et n’a pas de rampe, parce qu’elle est trop près de la terre.

 

CINQUIÈME RANG

 

Ferdinand aide sa mère à descendre et se tourne ensuite vers sa femme qu’il prend fermement par la taille, soulève dans les airs et dépose à côté de la calèche. Elle en ressent vite un léger vertige. Il lui semble terriblement grand, pour la première fois! Il lui prend le visage et l’embrasse à pleine bouche, la laissant ensuite le souffle coupé, complètement ébahie, pour l’arrivée de ses parents qui suivaient derrière avec un petit peu de délai. Les calèches et les voitures entrent sur le terrain devant la grange et l’étable, afin de permettre aux chevaux de se reposer un peu à l’ombre de la grange et ainsi libérer la route de gravier qui sépare le cinquième rang.

Les hommes vont directement au puits remplir des seaux de métal qui sont attachés dans leur voiture, afin d’abreuver leurs bêtes assoiffées par la chaleur et l’effort de la route. Le foin est le bienvenu également, lorsque Caouette sort de la grange avec une poche bien remplie dans une main et une sorte de ballot attaché avec de la grosse corde à balles dans l’autre. Ferdinand se rend à la grange pour s’assurer que Caouette a bien compris ses ordres du matin et rejoint les hommes qui se dégourdissent les jambes en longeant la clôture de bois de cèdre qui sépare la terre de Ferdinand et celle des Caouette.

Quant aux femmes, elles jasent tranquillement en se désaltérant avec de l’eau fraîche que la jeune Saint-Hilaire a puisée dans le puits et transportée dans deux grosses bouilloires de fonte. Servie dans des tasses en émail blanc, l’eau très froide ravigote leur bonne humeur.

Caouette a préparé, en secret, deux flasques de bagosse que chacun des hommes s’empresse d’honorer. Bientôt, les voix se font plus fortes et la politique est au cœur des conversations. Même Ferdinand s’est laissé tenter par ce liquide qui est très froid, mais qui se révèle très chaud lorsqu’il coule dans sa gorge. Peu habitué, rapidement, il a la tête qui tourne quand Caouette lui donne une grande tape dans le dos pour féliciter le nouveau marié.

Lorsque le carillon de la grosse horloge grand-père sonne cinq coups, tout le monde se dirige vers la maison pour profiter du deuxième repas de noces. Ainsi le veut la coutume, le midi, chez les parents de la mariée et le soir, chez les parents du marié.

Zélia et Ferdinand entrent les derniers dans la maison, sous les applaudissements des invités pendant que Mémère Bernier met ses mains sur ses oreilles pour assourdir le bruit. Cette femme, aigrie par le décès de son mari aussi jeune est dans la cinquantaine avancée, mais elle en paraît dix ans de plus, brisée par la peine, l’inquiétude et les années de dur labeur sur la ferme.

***

 

Une seule fenêtre apporte de la luminosité du côté ouest. Zélia se fait la réflexion qu’elle va installer des rideaux beaucoup plus pâles et plus minces qui laisseront passer la lumière du jour et celle des belles pleines lunes. Sa nouvelle maison est beaucoup plus sombre que celle de ses parents, mais elle est bien décidée à changer cela avec les rideaux usagés, mais encore beaux, que sa mère lui a donnés.

Un vin rouge de piètre qualité, déjà versé dans des verres sur la table, incite les invités à lever leurs verres à la santé des nouveaux mariés. Ferdinand a déjà enlevé son veston. Sa chemise blanche un peu jaunie offre la vue de larges bretelles noires et grises qui retiennent ses pantalons. Il a enlevé sa cravate, déboutonné son col et remonté un peu ses manches, car la chaleur l’incommode beaucoup. La bagosse lui a donné encore plus de chaleurs. Ses pommettes saillantes affichent un rouge vin inhabituel. Ses larges épaules semblent plus impressionnantes que d’habitude à Zélia qui l’admire ouvertement. Peu habitué à prendre un verre, il se sent déjà le cerveau dans la brume et rêve d’aller faire une bonne sieste au plus sacrant.

Les voisines, venues aider les sœurs de Ferdinand pour le service, apportent un bol de soupe au chou à chaque invité accompagné d’une belle tranche de pain de ménage déjà beurrée. Vient ensuite le plat principal composé de dinde et de ragoût de boulettes. Des tranches de carottes ainsi que des betteraves marinées complètent le tout. Un gros morceau de gâteau au chocolat est servi ensuite à chaque invité avec des confitures de fraises des champs cueillies l’été d’avant. Des pots de crème sont répartis sur toutes les tables. Des tisanes de tilleul sont servies aux femmes et des thés bien noirs sont apportés aux hommes.

Très vite, les hommes se dépêchent à sortir dehors pour fumer la pipe à côté de la maison, pendant que les femmes débarrassent les tables, plient les nappes et lavent la vaisselle.

En peu de temps, les chaises sont tassées, laissant toute la place disponible pour la danse. Il y a bien un salon pour les grandes occasions, mais ses dimensions ne permettent pas à un aussi grand nombre de personnes de danser. Seules quelques personnes voulant jaser loin du bruit, l’occupent. Une fois la vaisselle lavée et bien rangée, les femmes s’entendent pour aller prendre une courte marche afin de se rafraîchir un peu. Quelques hommes sont allés flatter leurs chevaux et s’assurer qu’ils sont bien tranquilles, alors que d’autres semblent en grande discussion sur l’entretien des chemins et les projets de construction d’une plus grosse église.

Cloutier arrive à la brunante avec son harmonica, Caouette sort sa guitare et Anne en profite pour aller chercher ses cuillères dans la voiture dehors. Quelques lampes et chandelles sont alors déposées partout où c’est possible, afin d’éclairer la maison. La soirée va bientôt commencer par la danse des mariés. Caouette, qui avait demandé à Éva quelle était la musique préférée de Zélia, joue « Le temps des cerises » à la guitare, accompagnant tante Clairette qui chante de sa belle voix de soprano.

Ferdinand se lève et prend la main de sa belle épouse pour débuter la danse qu’il a exigée beaucoup plus lente qu’une valse, parce qu’il ne sait pas danser. Il la tient solidement par la taille avec ses grandes mains, et la regarde avec des yeux langoureux. Il a les genoux bien raides, mais elle est tellement heureuse qu’elle ne le remarque même pas. Un peu étourdie par l’émotion et le vin, elle appuie sa tête sur son épaule et les couples se lèvent pour les accompagner et danser eux aussi, après les avoir chaudement applaudis.

Une lampe à l’huile trône en maître sur le vieux buffet. L’atmosphère est propice aux rapprochements. Les mères surveillent bien leurs filles présentes, ainsi que les hommes célibataires et les veufs qui ne se gênent pas pour leur faire les yeux doux. De son côté, Mémère Bernier regarde les mariés danser et se dit que son grand garçon a l’air bien heureux. Son homme à elle lui manque terriblement! Il aurait été si fier de son fils!

Après un set carré joué par Saint-Hilaire à l’accordéon, tous les danseurs sortent prendre l’air pendant que la lune se lève, ronde comme une belle balle de laine. Elle semble aussi avoir beaucoup d’influence et exacerber le désir des hommes envers leurs épouses. C’est probablement dû en grande partie à l’alcool ingurgité plus qu’à la luneseule! Une légère brise se lève, apportant ainsi un peu de fraîcheur en cette soirée chaude du début de l’été.

La mère de Zélia s’approche d’elle en l’amenant un peu à l’écart et lui demande :

— Ça va, ma belle grande fille?

— J’ai tellement chaud, môman! Une longue journée, hein?

— Une très belle journée. Ton père a débarqué ton coffre, avec ton oncle, et ta belle-mère leur a fait mettre dans la chambre. Si tu as besoin de quelque chose, écris-moi, on viendra te le porter.

— Je suis nerveuse, Môman, juste à penser ce qui s’en vient pour la nuit…

— Ça va bien aller, calme-toi surtout et respire un bon coup. N’oublie pas de te rafraîchir un peu avant de mettre ta jaquette neuve et garde tes sous-vêtements. Comme ça, un peu de temps va s’écouler avant que… Ah et puis, je suis certaine que tout ira bien! Sois gentille avec sa vieille mère, je pense qu’elle n’est pas habituée d’avoir une jeune femme auprès d’elle à journée longue. Je te conseille d’être bien patiente et surtout très aimante.

— Oui, Môman. Vous me connaissez, je suis très douce, y’a pas d’inquiétude à y avoir.

— J’le sais bien q’trop! Tu vas voir, elle ne pourra plus se passer de toi. Bon ben, viens dire bonsoir à ton père, on va repartir, nous autres, avec tes sœurs. J’ai bien vu que Caouette a un œil sur ta sœur Anne, mais elle est bien trop jeune pour lui! Vaut mieux le surveiller de proche, celui-là. J’vais avertir ton père de ne pas accepter de visite de lui chez nous. Je ne lui fais pas confiance du tout. Il a un regard inquiétant.

Zélia sort sur la galerie pour embrasser son père et saluer ses sœurs qui ont un sourire moqueur, en songeant à la pauvre jeune femme couchée à côté du grand Ferdinand!

— On t’souhaite une bien belle nuit avec ton homme, la sœur! la taquine Anne en riant.

— Sois heureuse, ma sœur. Surtout, n’oublie jamais que tu es une Caron dans ton cœur. On a notre fierté! s’empresse d’ajouter Éva.

— Embrassez bien les jeunes pour moi. Vous tous, vous allez beaucoup me manquer! leur réplique-t-elle.

— Pas nous autres, on va juste avoir plus de place dans notre lit! ne peut s’empêcher de dire Anne en riant.

— Bonne nuite, ma Zélia. Tu sais que j’t’aime et que je veux que tu sois heureuse. Profite bien de ta nuit de noces! C’est un merveilleux souvenir que tu vas garder dans ton cœur toute ta vie, ajoute Philias tout souriant.

— Vous viendrez faire un tour, dimanche prochain, vous pis Môman. On va être ben content d’vous recevoir et on jouera une partie de cartes dans la balançoire, s’il fait beau.

— Ça c’t’une ben bonne idée qu’t’as là. À r’voyure, ma belle.

Une fois tout le monde parti, Mémère se dépêche d’aller mettre sa longue jaquette et son châle de laine pour enfin boire sa tisane de camomille qui l’aide à dormir chaque soir. Très fatiguée de la longue journée, elle se plaint que ses jambes la font souffrir et se berce tranquillement dans sa vieille chaise, qui émet des plaintes chaque fois qu’elle revient vers l’avant. Les yeux lui ferment bien malgré elle. Zélia s’offre aussitôt pour lui frotter les jambes, mais Mémère refuse carrément.

Zélia se prépare à monter au deuxième étage, lorsque Mémère lui dit :

— Où c’é qu’tu vas, là?

— Ben… j’monte à notre chambre, Mémère… J’imagine que c’est en haut?

Ferdinand, qui vient d’éteindre le fanal sur la galerie, s’empresse d’éteindre les chandelles dans la maison pour éviter le gaspillage et dit :

— La mére nous donne la sienne et pis à va prendre la p’tite chambre à côté. Comme ça, je s’rai proche, si elle a l’a d’besoin d’moé.

— Aie pas peûr, la jeune, les draps sont nets. Pis mon défunt mari est mort dans c’te lite-là. Il va veiller su vous autres. Tu peux plier la catalogne pis la mettre su’a chaise… sinon vous aurez ben q’trop chaud, avec votre brassage de nouveaux mariés!

Un peu gênée du franc-parler de Mémère Bernier, Zélia lui répond :

— Parlant de chaleur, je voudrais bien me rafraîchir un peu et mettre ma jaquette, j’ai ma robe sur le dos depuis de bonne heure à matin et y’a fait tellement chaud!

— Ben là, y’aura follu q’tu y penses avant, ma belle! Mon gars, va y chercher une bombe (bouilloire) su’l poêle. Il reste un peu d’eau d’dans et donnes-y n’guenille propre. Pis toé, prends ton mal en patience, en attendant, pis couche-toé, mon grand!

— C’est correct, la mére. Couchez-vous, j’ma va y aider, répond Ferdinand avec un petit sourire malicieux.

De retour avec une guenille et l’eau dans un bassin émaillé blanc, plutôt usé et ébréché à plusieurs endroits, Ferdinand dit :

— Fa c’que t’as à fére, moé, j’va aller pisser déhors.

— Mémère, ma jaquette est dans mon coffre, je peux-tu l’avoir, s’il vous plaît? demande tout de suite Zélia, dès que son mari est sorti de sa chambre.

Elle frappe à la porte de la chambre et Mémère lui remet sa jaquette, très bien pliée, dans laquelle sont également bien cachées sa camisole et ses culottes neuves réservées pour leur nuit de noces.

— Bonne nuite, ma belle enfant!

« Enfin une parole douce », se dit Zélia.

Zélia entend Ferdinand qui revient déjà dans la chambre et se demande s’il a pris le temps de se rafraîchir. Elle se dépêche de passer la guenille sur son visage, son cou et ses aisselles, et nettoie bien ses parties intimes. Elle revêt rapidement sa jaquette sous le regard intéressé de Ferdinand qui « déclippe » ses bretelles, enlève son pantalon et sa chemise qu’il dépose sur le dossier de la chaise près de la porte. Il referme la porte pour préserver leur intimité de nouveaux mariés, malgré la chaleur suffocante. Lorsqu’il la voit enfiler sa culotte, il lui dit :

— Laisse fére ça, la p’tite, j’va te l’enlever tu suite.

— Mais Môman m’a conseillé de la mettre et de bien prendre not’ temps!

— Ta mére, c’t’une créature à l’ancienne! À connaît pas ça, le gros besoin d’un homme de mon âge, un vrai mâle! Viens-t’en t’coucher, moryieu. Ça fa assez longtemps que j’attends ça!

Malgré l’avertissement, Zélia se dépêche d’enfiler sa culotte à grand manches qu’elle avait si hâte d’étrenner. Elle rêvait, depuis quelques semaines déjà, que son beau Ferdinand l’admirait dans ses beaux vêtements de nuit tout neufs et qu’il l’embrassait en lui disant qu’elle était la plus belle. Elle s’approche doucement et se glisse entre les draps qui sentent le savon de castille. Son corps mince, enrobé de superbes rondeurs là où les hommes les aiment le plus, prend très peu de place dans le lit. Doucement, elle se tourne vers lui et passe une main très douce sur la joue de Ferdinand en lui donnant un baiser chaste de ses lèvres très douces. Il n’en faut pas plus pour qu’il prenne ses lèvres vigoureusement et aussitôt, sa langue s’insère profondément dans la bouche de Zélia, qui est tellement surprise, encore une fois, qu’elle en a le souffle coupé! Jamais auparavant il ne s’était montré aussi envahissant et entreprenant. « Aujourd’hui, c’est la deuxième fois. C’est probablement parce qu’on est mariés, maintenant », se dit-elle. En continuant de l’embrasser aussi intensément, il relève le bas de sa jaquette de sa main droite, pendant que sa main gauche la tient rivée au lit, l’empêchant de le ralentir ou de l’arrêter. Il plaque sa main droite bien chaude sur son sexe, par-dessus le tissu, et sa respiration est déjà saccadée. De son index, il caresse sa fleur d’amour qu’il sent durcir sous son doigt. Puis il couvre le sexe de sa grande bouche, par-dessus la bande de coton mince du sous-vêtement. Il souffle longuement sur le tissu qui camoufle son sexe recouvert d’une toison rousse frisée. Mais quand il promène sa langue chaude et mouillée sur la bande étroite de coton, le sexe de Zélia devient très chaud et la culotte, rapidement mouillée. Il tire alors dessus, l’enlève complètement et la fait voler dans les airs au bout du lit.