Deux contes cambodgiens - Adhémard Leclère - E-Book

Deux contes cambodgiens E-Book

Adhémard Leclère

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Beschreibung

Adhémard Leclère a recueilli durant ses trente années de résidence au Cambodge à la fin du XIXe siècle de nombreux récits populaires et traditionnels.

Voici deux contes qui proviennent des minorités cham et pnong (phnong) :
La sandale d’or ou le conte de Cendrillon chez les Cham est l’histoire d’un roi qui épouse celle qui chausse la sandale d’or… Cet écrit n’est pas sans rappeler celui bien connu de Charles Perrault.
Prâng et Iyâng est un conte pnong (phnong). Dans les temps anciens, les rois du Cambodge envoyaient tous les ans un lot d’objets à deux chefs, le roi du feu et le roi de l’eau, gardiens d’une arme depuis plusieurs siècles, mais celle-ci disparait.

Découvrez sans tarder ces deux contes issus de la culture populaire au Cambodge !

EXTRAIT

En ce temps-là il y avait deux jeunes filles nommées Hulek et Kjong ; elles étaient, l’une la propre fille, l’autre la fille adoptive d’une vieille femme. On savait qu’elles étaient nées toutes les deux dans l’année du Cheval, mais comme elles étaient tout à fait semblables, pareilles à deux chevaux du même âge, bien appareillés, on ne pouvait dire quelle était l’aînée, quelle était la cadette.
Or, il arriva que leur mère désira leur donner un rang dans sa maison. Elle les fit venir devant elle et s’adressant à demoiselle Hulek, sa propre fille, elle lui dit :
— À partir de maintenant, Hulek, vous traiterez demoiselle Kjong comme votre aînée.
Demoiselle Hulek répondit :
— Vous êtes ma propre mère et vous m’ordonnez de considérer Kjong, qui est du même âge que moi, comme mon aînée. Je ne le veux pas. Mère, si vous me punissez à tort, j’accepterai la punition, mais rien ne pourra m’obliger à me reconnaître l’inférieure de Kjong, votre fille adoptive.

À PROPOS DE L'AUTEUR

L’auteur Adhémard Leclère (1853 – 1917), originaire d’Alençon, adhère au parti socialiste et participe à la fondation du journal ouvrier le Prolétaire dont il devient chef de rédaction. Il fonde le Typographe, la Typographie française (devenu le journal officiel de toutes les chambres syndicales françaises du livre), la Justice du Var. Il collabore à la Justice, la Revue scientifique, ainsi qu'à d’autres journaux étrangers.
En 1886, il est nommé résident de France au Cambodge, à Kampot jusqu’en 1890, puis à Kratié-Sambor de 1890 à 1894, ensuite à Kratié jusqu’en 1898 et enfin à Phnom Penh où il est résident-maire de 1899 à 1903. En 1908, il est nommé inspecteur et conseiller à la résidence supérieure, poste qu'il occupe jusqu’en 1911.
Fondateur et vice-président de la Société d’ethnologie de Paris, il a rédigé de nombreux ouvrages sur la langue, les mœurs, le droit, la religion et la culture du Cambodge. Il a collecté environ sept cents objets de la vie quotidienne cambodgienne complétés par des photos documentaires dont le musée des Beaux Arts d’Alençon expose une partie du fond.

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Adhémard LECLÈRE

Deux contes cambodgiens

La sandale d’or

et

Prâng et Yiâng

CLAAE

2014

© CLAAE, 2014

Tous droits réservés. Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

EAN e-book 9782379110092

CLAAE

France

L’auteur Adhémard Leclère (1853 – 1917), originaire d’Alençon, adhère au parti socialiste et participe à la fondation du journal ouvrier le Prolétaire dont il devient chef de rédaction. Il fonde le Typographe, la Typographie française (devenu le journal officiel de toutes les chambres syndicales françaises du livre), la Justice du Var. Il collabore à la Justice, la Revue scientifique, ainsi qu’à d’autres journaux étrangers.

En 1886, il est nommé résident de France au Cambodge, à Kampot jusqu’en 1890, puis à Kratié-Sambor de 1890 à 1894, ensuite à Kratié jusqu’en 1898 et enfin à Phnom Penh où il est résident-maire de 1899 à 1903. En 1908, il est nommé inspecteur et conseiller à la résidence supérieure, poste qu’il occupe jusqu’en 1911.

Fondateur et vice-président de la Société d’ethnologie de Paris, il a rédigé de nombreux ouvrages sur la langue, les mœurs, le droit, la religion et la culture du Cambodge. Il a collecté environ sept cents objets de la vie quotidienne cambodgienne complétés par des photos documentaires dont le musée des Beaux Arts d’Alençon expose une partie du fond.

Premier conte

La sandale d’or.

Préambule

Le conte de Cendrillon chez les Chams.

J’ai déjà donné, en 1894, dans mon Cambodge, contes et légendes, le conte de Cendrillon que j’ai découvert au Cambodge sous le nom de Néang Kantok. Je l’ai fait suivre de la version annamite que M. Landes a trouvée en Cochinchine et qu’il a publiée dans les Excursions et reconnaissances de Saïgon (mars-avril 1885). J’avais rapproché ces deux versions afin qu’on pût les comparer et juger le génie littéraire de deux peuples voisins et cependant si dissemblables. Ce rapprochement a été très apprécié et plusieurs critiques ont pensé qu’il y avait un grand intérêt littéraire à mettre ainsi en présence les contes populaires de différents peuples, surtout lorsque la donnée est la même, et quand on a la bonne fortune de les découvrir.

Depuis lors, j’ai eu la bonne fortune, pour employer l’expression de deux des critiques dont je viens de parler, de mettre la main sur la version chame de notre conte de Cendrillon. M. Human, commissaire du gouvernement au Laos, et qui vient d’y mourir, en passant à Krâchés, en 1894, m’a remis la version du même conte qu’il s’était procurée chez les Chams du Binh-Thuan. Cette version chame du conte de Cendrillon était écrite en langue chame et en caractères arabes ; M. Human en avait commencé la traduction, mais ce qu’il avait traduit ne comprenait que la première partie et ne me conduisait que jusqu’à l’endroit où le roi déclare qu’il épousera Cendrillon qui vient de chausser la sandale d’or. En outre, cette version, très exacte d’ailleurs, était écrite au crayon, de premier jet, très fin, mais pourtant lisible. Je cherchai un Cham originaire du Binh-Thuan qui connut très bien la langue et les caractères chams et assez bien le cambodgien pour pouvoir, avec moi, continuer la traduction commencée et revoir ce qui avait été fait. Je découvris cet homme ; c’était un descendant de la famille royale chame qui a tant de représentants au Cambodge ; il se mit entièrement à ma disposition. Je lui remis la copie chame de M. Human ; il la trouva correcte quant au texte, mais incorrecte quant à la copie, quant à l’orthographe. Il en chercha une autre copie et parvint à en découvrir une dans la province de Lovœk ; il en fit une copie soigneuse, la traduisit en cambodgien avec l’aide du gouverneur de Kanchor qui est d’origine chame, puis m’apporta la copie de M. Human que je lui avais confiée, mn texte cham et la traduction cambodgienne. C’est cette dernière traduction qui m’a servi. Ma traduction en français faite, je l’ai remise à un Cham qui connaît le français ; il l’a traduite en assez mauvais cham et sa traduction a été collationnée, avec le texte cham que j’avais pu me procurer par le descendant des rois chams. Il a trouvé ma traduction aussi exacte que possible, sauf en trois passages que j’ai modifiés sur ses indications.

C’est ce qui est sorti de ce travail que j’offre au lecteur sous le titre de la Sandale d’or. Je dois ajouter pour être complet qu’on donne aussi à ce conte le titre de Conte des demoiselles Hulek et Kjong, et qu’il est connu des Chams, tant au Binh-Thuan qu’au Cambodge, aussi bien sous ce titre que sous l’autre.

J’ai pensé que les lecteurs de la Revue des traditions populaires, qui certainement connaissent tous notre charmant conte de Perrault, seraient heureux de le retrouver à l’autre bout de la terre, chez ce peuple cham qui fut autrefois un grand peuple et qui ne compte plus aujourd’hui que quelques tribus dispersées au sud de l’Annam, au Cambodge et au Siam.

La sandale d’or.

En ce temps-là il y avait deux jeunes filles nommées Hulek et Kjong ; elles étaient, l’une la propre fille, l’autre la fille adoptive d’une vieille femme. On savait qu’elles étaient nées toutes les deux dans l’année du Cheval, mais comme elles étaient tout à fait semblables, pareilles à deux chevaux du même âge, bien appareillés, on ne pouvait dire quelle était l’aînée, quelle était la cadette.

Or, il arriva que leur mère désira leur donner un rang dans sa maison. Elle les fit venir devant elle et s’adressant à demoiselle Hulek, sa propre fille, elle lui dit :

— À partir de maintenant, Hulek, vous traiterez demoiselle Kjong comme votre aînée.

Demoiselle Hulek répondit :

— Vous êtes ma propre mère et vous m’ordonnez de considérer Kjong, qui est du même âge que moi, comme mon aînée. Je ne le veux pas. Mère, si vous me punissez à tort, j’accepterai la punition, mais rien ne pourra m’obliger à me reconnaître l’inférieure de Kjong, votre fille adoptive.

Entendant ces paroles, madame la mère, s’adressant à demoiselle Kjong, lui dit :

— Puisqu’il en est ainsi, Kjong, vous qui êtes ma fille adoptive, vous considérerez Hulek, ma propre fille, comme votre aînée.

Or, il arriva que Kjong, par malice en parlant à son aînée, lui disait tantôt ma sœur et tantôt ma petite. Demoiselle Hulek, mécontente d’elle, alla trouver sa mère et lui dit :

— C’est une honte pour moi, ô mère ; un jour petite Kjong m’appelle ma sœur, puis le jour suivant elle m’appelle petite. Je suis honteuse devant nos camarades qui nous connaissent l’une et l’autre. Si elle tient tant à m’appeler petite, qu’elle continue, mais si elle m’appelle ma sœur une fois, qu’elle dise toujours ma sœur. Si elle doit continuer de m’appeler tantôt ma sœur tantôt petite, je ne veux plus rester dans ce pays, et je suis résolue à le quitter pour m’en aller dans un autre pays, très loin.

La mère entendant cela prit deux corbeilles, les donna aux deux filles et les envoya pêcher du poisson.

— Celle qui aura pris le plus de poissons, dit-elle, sera considérée comme l’aînée ; celle qui en aura pris le moins sera considérée comme la plus jeune.

Les deux demoiselles, ayant chacune leur corbeille, sortirent alors de la maison et s’en allèrent à une grande mare qui contenait toutes sortes de poissons. Dès qu’elles y furent arrivées, demoiselle Kjong descendit dans l’eau avec sa corbeille et commença à pêcher. Quant à Hulek, plus paresseuse, elle resta au bord de la mare sans rien faire. Kjong voyant cela lui dit :

— Tu regardes l’eau, mais tu ne descends pas pêcher du poisson. Pourquoi restes-tu au sec ?

Demoiselle Hulek, à ces paroles, descendit dans la mare et commença à pêcher. Elle avait pris quatre poissons et demoiselle Kjong en avait dix dans sa corbeille, lorsque cette dernière fut prise d’un frisson et dit qu’elle avait froid.

— Si tu as froid, dit demoiselle Hulek, il faut aller au sec et attendre que la chaleur soit revenue à ton corps.

Kjong suivit le conseil que sa sœur lui donnait et monta au sec ; puis elle prit son écharpe qui était à terre et elle s’en enveloppa afin de perdre le froid. Or, elle avait laissé sa corbeille de poissons tout au bord de la mare et demoiselle Hulek, tout en allant et venant, passait près de cette corbeille et pêchait. Voyant la corbeille et les dix poissons qu’elle contenait, elle se dit en elle-même : Petite Kjong a pris beaucoup plus de poissons que moi ; dans un instant elle va prendre sa corbeille pour la porter à notre mère, et notre mère va de nouveau me donner l’ordre de l’appeler ma sœur. Alors je serai honteuse, moi la propre fille, près d’elle qui n’est qu’une fille adoptive. Il me faudra l’appeler ma sœur ; cela n’est pas possible. Quand, l’autre jour, mère m’a donné l’ordre de la nommer ma sœur, j’ai répondu que j’étais semblable à elle et j’ai dit que je ne voulais pas la nommer ma sœur. Maintenant, parce qu’elle a pris plus de poissons que moi, mère va m’ordonner de la traiter comme mon aînée. Quelle figure ferai-je alors pour cacher ma honte ? Je vais lui voler ses poissons et je vais aller à la maison les présenter à ma mère. Alors, mère voyant que j’ai plus de poissons que petite Kjong décidera que je suis l’ainée. Elle prit dans la corbeille de sa sœur les poissons qui s’y trouvaient et les mit dans la sienne.

Cependant demoiselle Kjong, n’ayant plus froid, descend à la mare pour prendre sa corbeille et voit de suite qu’elle est vide, qu’il ne s’y trouve plus aucun poisson. S’adressant alors à sa sœur, elle lui dit :

— Tu as donc pris les poissons que j’ai pêchés ; je les ai laissés dans ma corbeille, là, sur le bord de la mare, près de toi. Je ne l’ai pas emportée et il n’y a plus un seul poisson dans ma corbeille.

Demoiselle Hulek répondit :

— Je n’ai rien vu dans ta corbeille depuis ce matin jusqu’à maintenant. Je n’ai même pas remarqué que tu laissais ta corbeille en cet endroit, mais j’ai entendu, il y a un instant, les corbeaux kààkker tout près d’ici. Ils ont peut-être emporté tes poissons. Pourquoi me demandes-tu si je les ai pris ? Ai-je besoin de tes poissons, n’en ai-je pas quatorze dans ma corbeille ?

Hulek mentait certainement, car c’était elle qui avait volé les poissons dans la corbeille de Kjong. Celle-ci le savait bien, mais elle ne dit rien ; elle demeura silencieuse, car elle craignait d’être battue par Hulek. Alors, toute attristée, elle se mit à réfléchir ainsi : Je suis toute seule, orpheline, abandonnée, je n’ai pas de père, pas de mère. C’est inutilement que je réclamerais mes poissons à celle qui les a volés ; elle me les refusera et me battra ; dans cette campagne où nous sommes seules qui viendra me défendre ? Des larmes coulent de ses yeux ; elle voudrait bien rentrer à la maison, mais elle n’ose, car n’ayant point de poisson à rapporter à sa mère, elle a peur d’être battue. Alors, elle se met à pêcher dans l’espoir de prendre quelques poissons et d’en avoir un ou deux à rapporter à sa mère. Elle prit trois tjulek et un tjerok. Mais, pendant qu’elle pêchait, Hulek s’en était allée. Kjong, se voyant seule, prit sa corbeille et s’en alla ; elle offrit à sa mère les trois tjulek, mais elle conserva le petit poisson tjerok et le dissimula afin que sa mère adoptive et Hulek ne le vissent point ; puis elle alla le mettre dans une citerne voisine avec l’intention de le nourrir et d’en faire son ami. Sa mère, en recevant les trois poissons, lui dit :

— Puisque tu as pris moins de poissons que ta sœur, tu seras considérée comme étant sa cadette.

C’est ainsi que Hulek devint l’aînée.

Kjong ne répondit rien à sa mère ; elle ne lui dit pas que Hulek lui avait volé ses poissons. Elle cacha sa tristesse et sa mère ne sut point la vérité par elle. Sa mère lui dit encore :

— À partir de maintenant, Kjong, tu considéreras Hulek comme ton aînée et tu la nommeras sœur.

Kjong se soumit sans rien dire aux ordres de sa mère. À quelque temps de là, sa mère lui dit :

— Vas-tu donc rester ainsi oisive à ne rien faire ? j’ai acheté un troupeau de chèvres ; dorénavant c’est toi qui mèneras paître mes chèvres, c’est entendu.

Kjong, voyant que sa mère lui parlait ainsi, prit un bout de rotin, s’en fut à l’étable, fit sortir les chèvres et les mena paître. L’heure de manger étant venue, elle conduisit ses chèvres auprès de la citerne dans laquelle elle élevait son ami le poisson. Elle alla chercher son riz pour le manger, et, s’installant au bord de la citerne, elle appela le poisson :

— Eh ! tjerok, viens ici, ton aînée t’apporte des miettes de riz, viens manger avec ton aînée qui déjeune ; elle mangera la grosse part et te donnera les miettes.