Deux et deux font cinq - Alphonse Allais - E-Book

Deux et deux font cinq E-Book

Alphonse Allais

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Beschreibung

Recueil de contes humoristiques. Extrait : Le lendemain, je m'amusai beaucoup au récit du docteur. Dès le matin, elle l'avait fait mander, et, folle de terreur, lui avait raconté son étrange indisposition. --- Ça moussait~! ça moussait~! Et ça faisait pschi, pschi, pschi, pschi. --- N'auriez-vous pas bu des boissons gazeuses, hier ? demanda-t-il. --- Si, du champagne. --- C'est bien cela. Vous ne pouvez pas digérer l'acide carbonique. Ne buvez plus ni champagne, ni soda, ni rien de gazeux. Minnie trouva la farce à son goût. Elle me récompensa en m'embrassant le mieux qu'elle put. Et quand les Américaines vous embrassent du mieux qu'elles peuvent, je vous prie de croire qu'on ne s'embête pas. Et encore j'emploie le mot embrasser pour rester dans la limite des strictes convenances.

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Alphonse Allais

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table des matières

Chapitre 1 Polytypie

Chapitre 2 Et Daudet ?

Chapitre 3 Antibureaucratie

Chapitre 4 Correspondance et correspondances

Chapitre 5 Le mystère de la Sainte-Trinité

Chapitre 6 La vapeur

Chapitre 7 La vapeur

Chapitre 8 L’acide carbonique

Chapitre 9 The perfect drink

Chapitre 10 Conte de Noël

Chapitre 11 Un remède anodin

Chapitre 12 Philologie

Chapitre 13 Fragment de lettre de M. Franc-Nohain

Chapitre 14 Un excellent homme distrait

Chapitre 15 Contrôle de l’État

Chapitre 16 Un honnête homme

Chapitre 17 Des gens polis

Chapitre 18 Tribunal correctionnel du Havre

Chapitre 19 Le Captain Cap devant l’état civil d’un orang-outang

Chapitre 20 Véritable révolution dans la mousqueterie française

Chapitre 21 Trois records

Chapitre 22 La vengeance de Magnum

Chapitre 23 Le petit loup et le gros canard

Chapitre 24 Une des beautés de l’administration française

Chapitre 25 La vraie maîtresse légitime

Chapitre 26 Ohé ! ohé !

Chapitre 27 Dressage

Chapitre 28 Le clou de l’exposition de 1900

Chapitre 29 Commentaires inacrimonieux

Chapitre 30 Essai sur mon ami George Auriol

Chapitre 31 Une industrie intéressante

Chapitre 32 Larmes

Chapitre 33 Les végétaux baladeurs

Chapitre 34 L’auto-ballon

Chapitre 35 Une pincée d’aventures récentes

Chapitre 36 Une vraie poire

Chapitre 37 Un peu de mécanique

Chapitre 38 Pauvre garçon !

Chapitre 39 Hommage à un général français

Chapitre 40 L’antifiltre du Captain Cap ou Un nouveau moyen de traiter les microbes comme ils le méritent

Chapitre 41 Patriotisme économique

Chapitre 42 Proposition ingénieuse

Chapitre 43 Six histoires dans le même cornet ou Toujours le sourire sur les lèvres

Chapitre 44 Le ferrage des chevaux

Chapitre 45 À monsieur Ousquémont-Hyatt, à Gand

Chapitre 46 Les arbres qui ont peur des moutons

Chapitre 47 Phénomène naturel des plus curieux

Chapitre 48 À bord de la « Touraine »

Chapitre 49 Gosseries

Chapitre 50 L’oiseuse correspondance

Chapitre 51 L’interview fallacieuse

Chapitre 52 Mauvais vernis

Chapitre 53 La question des ours blancs

Chapitre 54 Nouveau système de pédagogie

Chapitre 55 Proposition d’un malin polonais

Chapitre 56 Un bien brave homme

Chapitre 57 Une sale blague

Chapitre 58 Artistes

Chapitre 59 Simple croquis d’après nature

Chapitre 60 Maldonne

Chapitre 61 Contre nature ou La mésaventure du docteur P…

Chapitre 62 Une drôle de lettre

Chapitre 63 Fragment d’entretien

Chapitre 64 Thérapeutique décorative et peinture sanitaire

Chapitre 65 Les beaux-arts

Chapitre 66 La sculpture

Chapitre 67 La peinture

Chapitre 68 À monsieur Roudil

Chapitre 69 Notes sur la Côte d’Azur

À Alfred Capus.

Chapitre 1 Polytypie

Chapitre 1Polytypie

Je le connus dans une vague brasserie du Quartier Latin. Il s’installa près de la table où je me trouvais, et commanda six tasses de café.

— Tiens, pensai-je, voilà un monsieur qui attend cinq personnes.

Erronée déduction, car ce fut lui seul qui dégusta les six moka, l’un après l’autre, bien entendu, car aurait-il pu les boire tous ensemble, ou même simultanément ?

S’apercevant de ma légère stupeur, il se tourna vers moi, et d’une voix nonchalante, qui laissait traîner les mots comme des savates, il me dit :

— Moi… je suis un type dans le genre de Balzac… je bois énormément de café.

Un tel début n’était point fait pour me déplaire. Je me rapprochai.

Il demanda de quoiécrire.

Les premières phrases qu’il écrivit, il en froissa le papier et le déjeta sous la table.

Ainsi fut de pas mal de suivantes. Les brouillons de lettres jonchaient le sol.

De la même voix nonchalante, il me dit :

— Moi… je suis un type dans le genre de Flaubert… je suis excessivement difficile pour mon style.

Et nous nous connûmes davantage.

Comme une confidence en vaut une autre, je lui avouai que j’étais né à Honfleur. Une moue lui vint :

— Moi… je suis un type dans le genre de Charlemagne… je n’aime pas beaucoup les Normands.

Le malentendu s’éclaircit, et je sus d’où il était :

— Moi… je suis un type dans le genre de Puvis de Chavannes… je suis né à Lyon.

Son père, un boucher des Brotteaux, avait tenu à ce qu’il débutât dans la partie :

— Moi… je suis un type dans le genre de Shakespeare… j’ai été garçon boucher.

De la bonne amie qu’il détenait, voici comment j’appris le nom :

— Moi… je suis un type dans le genre de Napoléon I er… ma femme s’appelle Joséphine.

La susdite le trompa avec un Anglais. Il n’en ressentit qu’une dérisoire angoisse.

— Moi… je suis un type dans le genre de Molière… je suis cocu.

Joséphine et lui, d’ailleurs, n’étaient point faits pour s’entendre. Joséphine avait la folie des jeunes hommes à peau très blanche. Et il ajoutait :

— Moi… je suis un type dans le genre de Taupin…

(Le reste de la phrase se perdit dans la rafale.)

Nous résolûmes, un jour, de déjeuner ensemble… Rendez-vous à midi précis, j’arrivai à midi et une minute.

Il tira froidement sa montre :

— Moi… je suis un type dans le genre de Louis XIV… j’ai failli attendre.

De la sérieuse ophtalmie qu’il avait eue, il se voyait presque guéri, et s’en félicitait de la sorte, variant sa formule, un peu :

— Moi… je ne voudrais pas être un type dans le genre d’Homère ou de Milton.

Et puis, tout à fait éteint en son cœur le souvenir de Joséphine, il en aima une autre.

Laquelle ne voulut rien savoir.

Alors, il la tua.

Et ce fut l’arrestation.

Pressé de questions par le juge d’instruction, il se contenta de répondre :

— Moi… je suis un type dans le genre d’Avinain… je n’avoue jamais.

Et ce fut la cour d’assises.

Là, il voulut bien parler.

— Moi… je suis un type dans le genre d’Antony… Elle me résistait, je l’ai assassinée !…

Le jury n’admit aucune circonstance atténuante. La mort !

Mal conseillé, Félix Faure ne sut point le gracier.

Pauvre gars ! Je le vois encore, Pierrot blême, les mains liées sur le dos, les pattes entravées, sa malheureuse chemise à grands coups de ciseaux échancrée.

Au tout petit jour, les portes de la Roquette s’ouvrirent.

Il m’aperçut dans l’assistance, se tourna vers moi, et d’une voix nonchalante qui laissait traîner les mots comme des savates, il me dit :

— Moi… je suis un type dans le genre de Jésus-Christ… je meurs à trente-trois ans.

Chapitre 2 Et Daudet ?

Chapitre 2Et Daudet ?

— Et Daudet ? me demanda le capitaine Flambeur.

— Daudet ? m’interloquai-je. Quel Daudet ?

— Eh bien ! Daudet, parbleu, l’auteur, Alphonse Daudet !

— À propos de quoi me parlez-vous de Daudet ?

— Pour savoir s’il est un peu recalé.

— Recalé ?… Daudet ?…

Alors, subitement, une flambée de ressouvenance m’éclaira.

— Ah ! oui, Daudet !… Eh bien ! oui, il est tout à fait recalé maintenant !

— Tant mieux ! Tant mieux ! Pauvre gars !

Pour la clarté de ce récit, comme dit Georges Ohnet, il nous faut revenir de quelques années en arrière.

Le père Flambeur, un vieux capitaine au long cours de mon pays, le meilleur homme de la terre, extrêmement rigolo (ce qui ne gâte rien), débarqua un jour à Paris, pour voir l’Exposition de 1889.

(Le but de ce voyage m’évite la peine de vous indiquer la date.)

Tout de suite, il arriva au Chat Noir où je tenais mes grandes et petites assises et me promut son cicerone.

J’acceptai avec joie, le père Flambeur étant un joyeux et dépensier drille, moi pas très riche, à l’époque (et pas davantage, d’ailleurs, maintenant) 1.

Ce vieux loup de mer avait une manie étrange : connaître des grands hommes.

Je lui en servis autant qu’il voulut.

À vrai dire, ce n’étaient point des grands hommes absolument authentiques, mais les camarades se prêtaient de bonne grâce à cette innocente supercherie, qui n’était point sans leur rapporter des choucroutes garnies et des bocks bien tirés.

— Mon cher Zola, permettez-moi de vous présenter un de mes bons amis, le capitaine Flambeur.

— Enchanté, monsieur.

Ou bien :

— Tiens, Bourget ! Comment ça va ?… M. Paul Bourget… Le capitaine Flambeur.

— Très honoré, monsieur.

Émile Zola, autant que je puis me le rappeler, était représenté par mon ami Georges Moynet, avec lequel il a une vague analogie.

Quant à Bourget, son pâle sosie se trouvait être une manière de peintre hollandais dont j’ai oublié le nom et qui n’a pas dégrisé pendant les deux ou trois ans qu’il passa à Paris.

Et le reste à l’avenant.

Le malheur, c’est que le capitaine Flambeur avait meilleure mémoire que moi et me mettait parfois dans un cruel embarras.

— Tiens, s’écria-t-il tout haut, voilà Pasteur qui entre !… Hé ! Pasteur, un vermout avec nous, hein !

Régulièrement, Pasteur acceptait le vermout, à condition que ce fût une absinthe.

Pardon, Zola ! Pardon, Bourget ! Pardon, Pasteur ! Et pardon tous les autres, littérateurs, poètes, peintres, savants, membres de l’Institut ou pas !

Un jour, au tout petit matin…

(Étions-nous déjà levés, ou si nous n’étions pas encore couchés ? Cruelle énigme !)

Un jour, au tout petit matin, nous passions place Clichy, sur laquelle se dresse la statue du général Moncey (et non pas Monselet, comme prononce à tort ma femme de ménage).

Le piédestal de cette statue est garni d’un banc circulaire en granit, sur lequel des vagabonds s’étalent volontiers pour reposer leurs pauvres membres las.

Un nécessiteux dormait là, accablé de fatigue.

Son chapeau avait roulé à terre, un ancien chapeau chic, de chez Barjeau, mais devenu tout un poème de poussière de crasse.

Et, au fond du chapeau, luisaient encore, un peu éteintes, deux initiales : A. D.

— Tenez, capitaine Flambeur, regardez bien ce bonhomme-là. Je vous dirai tout à l’heure qui c’est.

— Qui est-ce ?

— Alphonse Daudet.

— Alphonse Daudet !… Celui qui a fait Tartarin deTarascon?

–Lui-même !

— C’est vrai, pourtant. Voilà son chapeau avec ses initiales… Ah ! le pauvre bougre !… Mais il ne gagne donc pas d’argent ?

— Si, il gagne beaucoup d’argent, mais, malheureusement, c’est un homme qui boit!

–C’est égal, c’est bien triste de voir un homme de cette valeur-là dans cette purée !

— Ah ! oui, bien triste ! Mais, pour moi, un homme qui boit n’est pas un homme intéressant.

— Je ne vous dis pas, mais… si on le réveillait pour lui payer à déjeuner ?

— Gardez-vous-en bien ! Daudet est malheureux, mais très fier.

Alors, très discrètement, le bon papa Flambeur tira une pièce de cent sous de son porte-monnaie et l’inséra dans la poche de l’auteur des Kamtchatka.

J’avais oublié cette histoire : il a fallu, pour me la rappeler, que le capitaine Flambeur me demandât, l’autre jour :

— Et Daudet ?

Chapitre 3 Antibureaucratie

Chapitre 3Antibureaucratie

Ma jument baie cerise était atteinte de coqueluche, et mon alezan hors de service à la suite de chagrins d’amour. Quant à mes robustes percherons, impossible de compter sur eux, totalement abrutis qu’ils sont par la lecture à haute voix, devant eux, de la chronique d’un penseur bien personnel et profond.

D’autre part, je me trouvais dénué des deux francs nécessaires à la mobilisation d’un fiacre !

Alors, quoi ?

Aller à pied, dites-vous ?

J’aurais bien voulu vous y voir.

C’était loin, où j’allais, très loin, dans un endroit situé à une portée de fusil environ et deux encâblures du tonnerre de Dieu ! je résolus donc de prendre l’omnibus.

Je grimpai sur l’impériale et versai quinze centimes ès-mains du conducteur.

Voilà donc une situation claire et nettement établie :

Je suis sur l’impériale, j’ai versé les quinze centimes de ma place. Je puis donc passer, la tête haute, devant l’Administration de la Compagnie des Omnibus. Bon.

Tout à coup, le temps changea et des gouttes d’eau se mirent à choir.

Or, j’avais mis, la veill’, mon parapluie en gage.

(J’ai élidé l’ e de veille pour que la phrase constituât un alexandrin joli et coquet.)

Je descendis dans l’intérieur du véhicule et remis ès-mains du conducteur un supplément, ou plutôt, pour employer le mot propre, un complément de quinze centimes.

Voici donc une nouvelle situation claire et nettement établie :

Je suis dans l’intérieur d’un omnibus, j’ai versé les trente centimes de ma place, je puis donc… (Voir la suite plus haut.)

L’omnibus s’arrêta : on était devant un bureau.

Une tête de brute avinée apparut, et cette tête clama sans urbanité :

— Voyageur descendu de l’impériale ?

C’est à moi, s’il vous plaît, que ce discours s’adressait.

Devant cette tête de brute, cette voix éraillée et ce ton goujateux, je résolus soudain de garder un silence de sépulcre.

— Voyageur descendu de l’impériale ? rogomma de nouveau le bas fonctionnaire.

Même mutisme.

Alors la discourtoisie du contrôleur s’exhala en propos blasphématoires, où le saint nom de Notre-Seigneur se trouvait fâcheusement mêlé.

Ce sacrilège n’eut point le don de m’émouvoir.

— Mais, sacré mille tonnerres de bon D… de nom de D… ! Il y a ici un voyageur descendu de l’impériale ! Ous qu’il est ?

— C’est monsieur, intervint le conducteur en me désignant.

— C’est vous qui êtes descendu de l’impériale ?

— Hein ? me décidai-je à faire.

— C’est vous qui êtes descendu de l’impériale ?

— Qu’est-ce que ça peut bien vous f… à vous ?

— Comment, qu’est-ce que ça peut bien me f… ?

— Oui, que je sois descendu de l’impériale ou de la lune.

— C’est pour le contrôle.

— Le contrôle ? Quel contrôle ? Est-ce que je suis chargé de faire le contrôle de votre sale guimbarde ?

Nouveaux blasphèmes véhéments du contrôleur.

— Pardon ! m’écriai-je, de combien est la place que j’occupe en ce moment ?

— De trente centimes.

— Conducteur, combien vous ai-je versé ?

— Trente centimes.

— Eh bien ! alors, je ne vous dois rien, ni un sou, ni une explication. Si votre Compagnie tient tant que ça au contrôle, elle n’a qu’à mettre un contrôleur à l’impériale, un contrôleur à l’intérieur et un contrôleur sur les marches. Mais, sous aucun prétexte, je n’entends être mêlé à cette ridicule et odieuse bureaucratie.

— Enfin, voulez-vous, oui ou non, dire si c’est vous qui êtes descendu de l’impériale ?

— M… !

Je dois déclarer que tout le monde dans l’omnibus me donnait tort, cohue lâche et servile d’Européens, indignes de la liberté.

Seule, une petite jeune fille, qui tenait le Journal à la main, semblait plongée dans une joie profonde par toute cette scène. (Si ces lignes viennent à lui tomber sous les yeux, un petit mot d’elle me fera plaisir.)

— Et puis, repris-je d’un air furibard, voilà cinq minutes que vous me faites perdre ; je me plaindrai au Conseil municipal. Je suis l’ami intime de M. Pierre Baudin.

Est-ce cette menace ? Est-ce le désir légitime de mettre fin à cette pénible histoire ? Ne sais, mais l’omnibus se décida à partir.

Mes covoyageurs me contemplaient avec des regards de basse-cour en courroux.

Ce fut surtout le lendemain que je m’amusai beaucoup. Passant devant le bureau d’omnibus où s’était perpétré ce conflit, j’interpellai la brute avinée :

— J’ai beaucoup réfléchi depuis hier. J’aime mieux tout avouer.

— Hein ?

— Le voyageur descendu de l’impériale, eh bien ! c’était moi !

Chapitre 4 Correspondance et correspondances

Chapitre 4Correspondance et correspondances

Ma foi, tant pis ! On dira ce qu’on voudra, je l’imprime toute vive cette petite lettre, sûrement pas écrite par M. Jose-Maria de Heredia, mais si rigolo ! Et puis c’est toujours ça de moins à faire, n’est-ce pas ?

« Cher monsieur Alphonse Allais,

» Vous permettez, dites, que nous vous appelions cher monsieurAlphonse Allais, bien que nous n’ayons pas l’avantage de vous connaître ; mais nous vous gobons toutes beaucoup à l’atelier et ça excuse notre familiarité.

» Chaque matin, quand on ouvre le Journal, tout de suite on regarde s’il y a une Vie drôle, et quand il y en a une, ce n’est qu’un cri :

» – Quelle histoire à dormir debout va-t-il encore nous raconter aujourd’hui, cet imbécile-là ?

» Rassurez-vous, le mot imbécile est pris ici en bonne part, un peu comme les petites mamans qui appellent leur bébé horreur.

» Votre histoire d’omnibus, surtout, nous a beaucoup gondolées ( sic), car nous les connaissons, les omnibus, et surtout le personnel des omnibus, qui se venge bêtement sur les voyageurs et les pauvres petites voyageuses des tracasseries et de l’exploitation des grosses légumes capitalistes. 1

» Depuis le jour où votre article sur les omnibus a paru, nous n’avons plus qu’une idée : c’est d’affoler les contrôleurs, et nous y arrivons souvent.

» Témoin, hier :

» Nous avions passé la soirée à la fête de Montmartre. Des jeunes gens très gentils, mais que nous avons tout de même plaqués brusquement, nous avaient offert un saladier chez un troquet du boulevard Rochechouart.

» (Peut-être ne savez-vous pas ce que c’est qu’un saladier 2. On vous expliquera ça une autre fois.) Et ça nous avait mises en gaieté.

» Mais l’heure est l’heure, n’est-ce pas ? et comme on n’a pas de landaus bouton d’or, nous grimpâmes sur le tramway Place del’Étoile-La Villette, en demandant une correspondance.

» (En attendant qu’un riche Bolivien nous offre un petit hôtel rue Fortuny, nous demeurons chez nos parents, boulevard de Charonne.)

» Sur le trajet, mon amie Lucienne ne disait rien. Évidemment, elle ruminait quelque chose, mais je me demandais quoi.

» Je fus bientôt fixée.

» Nous descendîmes à La Villette, et je me disposais à me diriger vers le bureau de La Villette-Placedu Trône, quand Lucienne m’arrêta.

» Avec un culot d’enfer, elle s’avança vers le contrôleur et lui demanda, en montrant nos deux correspondances :

» – Qu’est-ce que c’est que ces petits cartons-là ?

» – Mais, mademoiselle, ce sont des correspondances.

» – Très bien !… Et ces correspondances nous donnent le droit de monter, sans rien payer, sur un omnibus qui correspond avec celui que nous quittons ?

» – Parfaitement !

» – Mais, dites-moi ! Ma correspondance n’est valable qu’à la condition qu’on ne quitte pas le bureau auquel on est descendu ?

» – Parfaitement !

» – Parfaitement, vous-même ! Nous n’allons pas quitter le bureau pour ne pas perdre notre correspondance. Nous allons attendre ici le tramway de la Place du Trône.

» – Mais il ne passe pas ici, mademoiselle. Il faut que vous alliez le prendre au bureau là-bas.

» – Non, non, nous ne voulons pas quitter le bureau où nous sommes descendues. Notre correspondance ne vaudrait plus rien. Et puis, nous n’avons pas pris le tramway pour faire le trajet à pied.

» (Il faut vous dire, au cas où vous l’ignoreriez, que le bureau de La Villette-Placedu Trône est situé à plus de 100 mètres de celui de l’Étoile-La Villette auquel il correspond soi-disant.)

» Je vous fais grâce du reste du dialogue. Le malheureux contrôleur devenait fou furieux devant l’aplomb et la logique de Lucienne. Moi, j’étais malade de rire.

» À la fin, comme il fallait bien rentrer, nous prîmes notre tramway, après cette terrible menace :

» – Nous reviendrons demain avec un huissier, et si la voiture ne vient pas nous prendre ici même, nous la ferons marcher, votre sale Compagnie.

» Je ne sais pas si notre petite histoire va vous intéresser, mais, dans tous les cas, nous avons joliment rigolé, nous.

» Tâchez d’arranger ça, vous ferez plaisir à des petites jeunes filles de la rue de la Paix, qui font des chapeaux pour les belles dames et qui vous aiment bien sans vous connaître.

» Et puis, si vous étiez chic et qu’il n’y ait pas derrière vous une terrible madame Alphonse Allais, vous nous feriez signe et vous viendriez un de ces jours nous chercher pour déjeuner, en bons camarades, dans un petit endroit de la rue Saint-Honoré que nous connaissons et où on n’est pas trop mal.

» N’ayez crainte, on ne vous cramponnera pas, car il faut que nous soyons rentrées à une heure.

» N. B. – On n’est pas laides.

» À bientôt ?

» Lucienne et Moi. »

Eh bien ! c’est entendu, Lucienne et vous ! Dites-moi le jour et l’endroit. On déjeunera dans le fameux petit endroit, en bonscamarades, comme vous dites, car mon cœur, mon pauvre cœur, est devenu la propriété exclusive et définitive d’une jeune princesse toute d’ambre clair, laquelle n’aimerait pas beaucoup, je crois, que je la trompasse déjà.

Chapitre 5 Le mystère de la Sainte-Trinité

Chapitre 5Le mystère de la Sainte-Trinité

devant la jeunesse contemporaine

Il y a deux ou trois jours, pas plus, j’ai rencontré mon jeune ami Pierre, dont j’eus l’heur de faire la connaissance à Nice, cet hiver. Aux Champs-Élysées, mon jeune ami Pierre accompagnait, sans enthousiasme, le baby, sa sœur, qui jonchait, inerte, la copieuse poitrine de sa percheronne nounou.

Étendu sur deux chaises tangentes, Pierre affectait des attitudes plutôt asiatiques et ne semblait point s’amuser autrement.

Il m’aperçut, se décliqua, tel le ressort A. Boudin ( voyez ceressort) et vint vers moi, l’œil plein d’une rare désinvolture et, toute large ouverte, sa main loyale :

— Tiens, te v’là, toi !… j’suis pas fâché de te voir. Faudra venir nous dire bonjour… Tu sais que nous sommes revenus de Nice ?

— Je m’en doute un peu, à ta seule rencontre.

— C’est vrai !… je suis bête… Viens nous dire bonjour… Maman te gobe beaucoup… Elle dit que rien que de voir ta bobine, ça la fait rigoler.

— Je remercierai Madame ta mère de la bonne opinion…

— Fais pas ça !… Tu seras bien avancé quand tu m’auras fait engueuler comme un pied !

— Et puis, je lui dirai aussi que tu te sers de la détestable expression engueuler, laquelle est l’apanage exclusif de gens de basse culture mondaine.

— Oh ! la la ! ousqu’est mon monok!... Et puis, tu sais, j’m’en fiche, tu peux lui dire tout ce que tu voudras, à maman. Quand elle est un peu fâchée, je n’ai qu’à lui passer mes bras autour du cou, je l’appelle p’tite mère chérie… je l’embrasse sur les yeux… Et elle ne me dit plus rien.

— Tu as de la chance d’avoir une mère comme ça.

— Eh ben ! il ne manquerait plus que ça… C’est vrai, tout de même, j’ai pas trop à me plaindre… Elle est très chouette, maman !

— Dis donc, mon vieux Pierre !…

— Mon vieux Alphonse !…

— Surtout, ne va pas t’offusquer de ce que je te dirai.

— Marche toujours !

— Il me semble que tu ne me tutoyais pas à Nice ?

— Ah ! oui… tu ne sais pas ?

— Non, je ne sais pas.

— Eh ben ! mon vieux, maintenant je tutoie tout le monde !

— Tout le monde ?

— Tout le monde !… Tiens, le pape arriverait, là, tout de suite, le pape lui-même, en bicyclette, et me demanderait de lui indiquer le boulevard Malesherbes, je lui dirais : « Prends la rue Royale, monte tout droit, et puis, au bout, à gauche, tu trouveras le boulevard Malesherbes. » Et, s’il n’était pas content, le Saint-Père, ça serait le même prix !

— À la suite de quelle évolution ce parti pris t’est-il venu ?

— Une nuit que je ne pouvais pas dormir… J’avais pris du café chez des gens qu’on avait dîné… Maman s’était pas aperçu… Et moi, avec tout ça, j’pouvais pas m’endormir… Alors, je pensais à des tas de trucs… Tout d’un coup, je me suis dit que c’était idiot d’employer le pluriel quand on n’avait affaire qu’à un seul type… Tu comprends ?

— À merveille.

— Vois-tu, comme c’est bête, quand on n’a qu’un bonhomme ou qu’une bonne femme devant soi, de lui dire : Comment allez-vous? Comme s’ils étaient trente-quatre mille. Alors, je me suis juré, dans ce cas-là, de lui dire, au bonhomme, ou à la bonne femme : Comment vas-tu? Ceux que ça épate, je leur dis : Vous vous croyez donc des tas ?

— Bravo, mon vieux Pierre, tu te rapproches de la nature, et de la raison.

— Et puis, tu sais, on m’en fait pas démordre !… Ainsi, l’autre jour, en plein catéchisme, j’ai tutoyé le ratichon.

— Le… ?

— Le ratichon… le curé, quoi ! Si t’avais vu sa bobine !…

— Tu vas donc au catéchisme ?

— Oh ! m’en parler pas ! C’est assez rasoir !… Je comprends pas que des parents, qui se vantent d’être des gens sérieux, peuvent abrutir des pauv’gosses comme nous à toutes ces… Tiens, j’allais encore employer un mot de basse culture mondaine, comme tu dis.

— Ne te gêne pas avec moi.

— Ce matin, c’était le mystère de la Sainte-Trinité. Te souviens-tu du mystère de la Sainte-Trinité ?

— Brumeusement.

— C’est crevant !… Le Père, le Saint-Esprit, le Fils !… Le Père a engendré le Saint-Esprit en se contemplant lui-même… Toi, qui commences à être un vieux type, tu comprends pas grand’chose à ça, déjà ? Alors, quoi, nous, les mômes !… Et après, le Père a contemplé le Saint-Esprit, et ils ont engendré le Fils !… C’est dommage, dis donc, qu’on n’ait pas organisé des trains de plaisir pour assister à ça, hein ?… Ils sont trois et ils ne sont qu’un… Ils ne sont qu’un et ils sont trois !… Arrange ça… Moi, encore, je ne suis pas trop bête, j’en prends et j’en laisse ; mais, autour de moi, au catéchisme, il y a un tas de petites gourdes qui en deviennent gaga. Tiens, veux-tu que je te dise ?… Seulement, tu le répéteras pas à p’tite mère, qui coupe un peu dans ces godants-là ?

— Tu parles dans l’oreille d’un sépulcre.

— Eh ben ! le mystère de la Sainte-Trinité…

— Dis…

— Ça manque de femmes !

Chapitre 6 La vapeur

Chapitre 6La vapeur

Il n’y a qu’à moi que ces veines arrivent. J’ai rencontré, hier, Valentine, dans des conditions exceptionnellement avantageuses qu’on va pouvoir apprécier plus bas. Valentine est une jeune personne de Montmartre qui se destine au théâtre.

Son physique est attrayant, ses manières sont accortes, son intelligence pétille, mais son impudicité est notoire dans tout le neuvième arrondissement et une partie du dix-huitième (sans préjudice, d’ailleurs, pour quelques autres quartiers de Paris).

— Que fais-tu par là ? m’informai-je après l’avoir baisée sur le front.

— Devine.

— Je ne suis pas somnambule.

— Je sors de chez l’oncle.

(C’est ainsi que la jeune Valentine désigne familièrement le vigoureux cénobite de la rue de Douai.)

— Tu es restée longtemps chez cet esthète ?

— Dans les une heure, une heure et demie.

— Mâtin !

— Ah ! dame ! il n’a plus vingt ans, le pauvr’bonhomme !

— Et il t’a fait répéter le Songe d’ Athalie?

–Non, ça n’est plus le Songe qui marche maintenant, c’est lesImprécations de Camille... Une idée à lui.

Et Valentine prit, en disant ces paroles, un air extraordinairement malin, dont je ne sus point percer le sens. Je feignis de comprendre.

Et elle ajouta :

— Ce qui m’embête le plus, c’est que je lui ai dit que je rentrais chez moi, rue Rochechouart. Alors, il m’a priée de remettre au PetitJournal sa chronique de demain.

— Montre.

— Ah ! non, par exemple ! Tu lui ferais encore des blagues, et il m’attraperait, lors de mes débuts, à la Comédie-Française.

— Poseuse, va !

Toutefois, à la suite d’habiles manœuvres, cinq minutes après ce dialogue, je détenais le manuscrit de M. Francisque Sarcey et j’en copiais le passage suivant, qu’on a pu lire, le même jour, et dans mon journal, et dans le Petit Journal.

M. Marinoni manifesta un vif mécontentement, mais j’ai autre chose à faire dans la vie que de me préoccuper des allégresses ou des déboires de M. Marinoni.

Et puis si M. Marinoni n’est pas content, il sait où me trouver.

Chapitre 7 La vapeur

Chapitre 7La vapeur

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« Ah ! c’est bien vrai, mes amis, il n’y a encore que les voyages pour apprendre quelque chose ! Si on restait chez soi, tous les jours, du matin au soir, je vous demande un petit peu ce qu’on saurait de la vie.

» On n’en saurait rien du tout. Voilà ce qu’on en saurait.

» Ainsi, voilà la vapeur. Tout le monde parle de la vapeur : la vapeur par-ci, la vapeur par-là.

» Mais qui de nous sait exactement ce que c’est que la vapeur ?

» J’en excepte, bien entendu, les personnes qui s’occupent spécialement de cette question, ingénieurs, mécaniciens, etc.

» Moi, il y a huit jours, j’étais comme tout le monde : je parlais de la vapeur, mais j’aurais été pendu s’il m’avait fallu dire en quoi consistait ce phénomène.

» La semaine dernière, je suis allé, au Havre, assister à la réouverture du Grand-Théâtre.

» Ah ! mes amis, vous n’avez pas idée de ce que je suis populaire au Havre.

» C’est que le Havre est une ville de bon sens qui ne se laisse pas emballer par les idées nouvelles, ou soi-disant nouvelles.

» Au Havre, c’est moi qui vous le dis, le symbole ne ferait pas un sou.

» Ibsen et Wagner sont appréciés à leur juste place, et on leur préfère une bonne représentation du Verre d’eau ou de la Favorite.

»Mais, me voilà parti sur le théâtre, alors que je m’étais proposé d’aborder dans cette causerie la question de la vapeur.

» Quelques Havrais, dont un fort aimable, ma foi, M. Jules Heuzey, m’ont mené voir un transatlantique.

» Les transatlantiques sont ces énormes bâtiments qui font le trajet, chaque semaine, entre le Havre et New-York. C’est même de là que leur vient leur nom de transatlantiques (des mots latins : trans, au delà, et atlanticum, atlantique).

» J’ai pris un vif plaisir à visiter la Touraine, le plus bel échantillon de la Compagnie.

» À Paris, on ne saurait s’imaginer tout le confortable et tout le luxe que l’on peut entasser dans ces maisons flottantes. (Le mot est de M. Jules Heuzey et il est fort juste.)

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» Mais c’est surtout la machine, ou plutôt les machines, dont je fus émerveillé.

» Quelle puissance, mes chers amis, et quelle régularité !

» Comment ne point admirer ces monstres de force qui se laissent mener avec la docilité du mouton et l’exactitude du chronomètre ?