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Salem. Un coven. Sept sorcières. Une dreamcatcher. Enora est une sorcière appartenant au coven de Danann. Son don est d'être une dreamcatcher. Elle est celle qui peut passer du monde réel au monde onirique. Grace à elle, le coven de Danann peut accéder au portail menant entre les deux mondes et protéger les innocents qui deviennent la proie des démons à travers leurs cauchemars. Seulement le jour du sabbat de Samhain tout va basculer. Les certitudes et les croyances d'Enora sur ce qu'elle est, sur ses dons et sur le coven lui-même seront remises en cause. Guidée par le clan de Lycaon, un groupe de chaman porteur du totem du loup, elle découvrira la véritable étendue de ses pouvoirs. Une menace plane sur elle et sur l'ensemble des êtres magiques. Un chasseur de sorcières prisonnier du monde onirique cherche par tous les moyens à se libérer de sa prison pour terminer son travail de purification. Enora parviendra-t-elle à découvrir la vérité sur sa magie? Sera-t-elle à la hauteur pour empêcher le chaos et la mort de se répandre à Salem et au-delà ?
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Seitenzahl: 256
Veröffentlichungsjahr: 2022
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À mes enfants, mes plus beaux trésors
À Nathan, mon âme-soeur
L’intrigue de ce roman se déroule à Salem village, situé non loin de Salem, célèbre ville du Massachusetts près de Boston, que l’on connaît pour ses procès de sorcières en 1692. Pour les besoins de l’histoire, j’ai repris ce lieu historique emblématique des sorcières, néanmoins tout parallèle avec la réalité s’arrête là. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite.
Prologue
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XII
Chapitre XIII
Chapitre XIV
Chapitre XV
Épilogue
Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il se passerait si vous veniez à mourir dans l'un de vos rêves ? Avez-vous déjà fait cette expérience de mort imminente ? Ce moment où la barrière entre votre conscient et votre inconscient est si fine que vous réalisez que vous êtes dans un rêve et que si vous ne vous réveillez pas là, tout de suite, il en sera terminé de vous ? Oui ? C’est normal. C’est exactement ce qu’il pourrait se passer. Mais n’ayez aucune crainte, je suis là pour éviter que vous ne sombriez dans un sommeil duquel vous ne pourriez pas ressortir. On me donne bien des noms : sorcière, fille du diable, magicienne, enchanteresse, mais nous utilisons plutôt le terme de dreamcatcher. Je suis celle qui marche sur le fil invisible entre le monde réel et le monde onirique. Grâce à ce don, je peux empêcher les êtres maléfiques qui hantent vos rêves de vous attirer dans leur monde pour faire de vous leur prisonnier laissant votre enveloppe humaine aussi vide qu’une coquille. Je ne suis pas seule à oeuvrer ainsi dans le plus grand secret. Je suis l’une des sept membres que compte le coven de Danann. Ariane, notre matriarche, nous a réunies autour d’elle après plusieurs décennies de recherche. Je ne saurais lui donner un âge précis, à vrai dire cela n’a pas d’importance, ce qui compte c’est qu’elle est la sorcière la plus puissante de notre clan. Chacune d’entre nous est issue d’une lignée de sorcière différente et lorsque nos dons se sont éveillés nous avons rejoint le coven correspondant à nos caractéristiques. Par exemple, il existe un coven spécialisé dans la guérison ou encore un autre composé de sorciers maîtrisant les éléments. Notre coven lui, est tourné vers les rêves et la protection des innocents. Nous possédons chacune un don unique, mais notre union au sein du coven nous permet de tisser des liens permettant à chacune d’entre nous d’utiliser le don des autres. C’est ainsi que je peux intervenir dans vos rêves pour vous protéger. Ariane maîtrise la télékinésie, elle est la plus puissante de notre clan grâce à ce pouvoir offensif, mais également du fait de son savoir inépuisable. Ensuite vient Eléonor, notre oracle, qui nous indique la personne à aider, puis Eowyn notre faiseuse de potions, Elissa l’empathe complète le coven ainsi qu’Eirin qui maîtrise la projection astrale et enfin Eilin la télépathe. Ensemble, nous sommes puissantes, seules nous sommes démunies. C'est ainsi que notre matriarche a voulu créer notre assemblée. En tant que dreamcatcher, je suis sans doute la plus faible étant donné que mon don n’est pas offensif. J’ai parfois l’impression d’être un poids pour le clan n’étant là que pour servir de portail à mes soeurs pour qu’elles puissent ensuite oeuvrer dans le monde onirique. Seule Eilin connaît le fondement de ma pensée. En tant que télépathe, elle partageait avec moi la frustration de ne pouvoir agir seule sans le coven pour décupler nos dons. Néanmoins, elle a passé ces dernières années à tout mettre en oeuvre pour accroître son pouvoir et ainsi devancer nos ennemis, nous faisant gagner un temps précieux et prenant également davantage d'assurance Nous vivions en paix avec les autres covens. Mis à part nos excursions dans le monde onirique nous n’avions aucun ennemi et cohabitions pacifiquement avec les autres espèces magiques ou non de Salem.
Et puis tout a basculé…
Salem, octobre 1691
— Enora ! C’est l’heure, dépêche-toi nous allons être en retard ! lança Eirin en bas de l’escalier.
— J’arrive ! Pas la peine de crier comme une banshee ! rétorquai-je en attrapant ma cape tout en me laissant glisser sur la rambarde.
— Quand cesseras-tu de te comporter comme une enfant ? soupira ma soeur aînée en m'observant avec lassitude.
— Quand tu arrêteras de te prendre pour ma mère ? répliquai-je sur les nerfs.
— Les filles, ça suffit ! Arrêtez vos enfantillages et allonsy ! Nous avons un sabbat à préparer ! intervint Eowyn. J’ai besoin de ces plantes pour préparer le rituel de Samhain, notre mère compte sur nous alors arrêtons de perdre du temps !
Après une dernière oeillade réprobatrice d’Eirin à laquelle je répondis de façon très mature en lui tirant la langue, nous nous mîmes en route sous l'injonction de la voix de la raison personnifiée par Eowyn.
Je refermai la porte derrière nous, puis rejoignis mes soeurs sur le chemin pavé menant au marché du village. J’observai les silhouettes fines de mes deux soeurs, si proches et pourtant si différentes. Eowyn était la plus fine et la plus gracieuse, toujours le sourire aux lèvres. Avec sa peau blanche, ses taches de rousseur qui parsemaient son visage laiteux et ses beaux yeux verts elle ressemblait à une poupée de porcelaine. Ses cheveux roux flamboyaient dans la lumière du soleil et descendaient le long de son dos. Eirin était légèrement plus grande avec une silhouette plus féminine du fait de ses formes généreuses. Sa chevelure d’un noir de jais se mariait à la perfection avec ses yeux bleu azur. À côté d’elles, je faisais pâle figure. Plutôt ordinaire, les cheveux châtains ondulés, des yeux marrons, une corpulence normale. Là où l’on disait de mes soeurs qu’elles étaient « belles » sans rien ajouter, l’on me donnait du « jolie » modestement. Si je ne me préoccupais pas réellement de ce que pouvaient penser les gens de mon apparence, j’enviais parfois l’assurance d’Eirin et le naturel d’Eowyn.
Toutes deux me précédaient de deux ans. Âgées de vingt-huit ans, elles étaient en pleine force de l’âge, femmes et sorcières accomplies. Eirin et moi avions toujours eu une relation en dent de scie et pourtant si quelqu’un s’avisait de me faire du mal il en était quitte pour une bonne frayeur face à la projection astrale de ma soeur. Si nous n’avions pas de lien de sang, notre sororité au sein du coven était sans conteste plus puissante et plus légitime que tout autre lien génétique. Nous avions quitté nos familles lors de l’éveil de nos dons pour rejoindre notre matriarche sauf dans le cas particulier d’Eléonor, notre oracle. Ariane l’avait recueillie à l’orphelinat du village en percevant son pouvoir. Elle lui avait appris à maîtriser sa magie en même temps qu’elle lui apprenait à marcher et à devenir autonome. Eowyn et Eirin étaient arrivées plus tard à l’âge de quatorze ans tandis qu’Eilin et moi les avions rejointes clôturant le cercle pour nos seize ans. En dépit des apparences, notre famille n’avait rien d’atypique. Nous vivions à Salem village dans le Massachusetts, lieu où cohabitaient les hommes, les sorciers et toutes sortes de créatures magiques allant des korrigans aux fées en passant par les chamans. Ces derniers avaient la particularité de prendre l’apparence de leur animal totem comme le loup, l’aigle, le cerf ou le puma. Les humains étaient au courant de notre existence, nos relations étaient pacifiques et cordiales, chacun respectant le mode de vie de l’autre. La dernière catégorie contre laquelle nous luttions étant celle des démons. Des êtres sans conscience, dépourvus de raison, se nourrissant des cauchemars des humains. Ils les traquaient sans répit plusieurs nuits d’affilée, les torturant et perturbant leur phase d’éveil jusqu’à ce qu’ils les achèvent dans un ultime cauchemar en aspirant leur corps éthéré. C’est à ce moment-là que nous intervenions. Par le biais de nos liens, j’ouvrais le portail conduisant au monde onirique à mes soeurs qui pouvaient ainsi détruire les démons et permettre à l’humain de retrouver des nuits sereines. Ariane dirigeait les opérations depuis le monde réel en maintenant le lien entre nous sept au sein de notre cercle. Sans elle, mes soeurs seraient perdues dans le monde onirique sans espoir de revenir dans le monde réel. J’étais la seule à pouvoir naviguer entre les deux univers sans m’y perdre en tant que dreamcatcher. Mais c’était là mon seul atout puisque j’étais incapable d’activer mes dons sans l’intervention du coven.
Soupirant, je revins à l’instant présent juste à temps pour ne pas trébucher contre Eowyn qui s’était arrêtée devant un étal de plantes diverses. En herboriste confirmée, elle observa soigneusement les herbes séchées puis en sélectionna trois sortes : de la camomille, de la valériane et du romarin que le marchand lui glissa dans trois petits sacs en jute reconnaissables par des liens de couleur différente qui les refermaient. Nous poursuivîmes notre route, d’étal en étal. Le marché était l’un des plus riches du pays. On y trouvait des armes, de la nourriture, des plantes, des pierres aux propriétés particulières, des bijoux, des tissus… Nous progressions lentement, mes soeurs s’arrêtant à chaque nouvel étal, si bien que je me lassai rapidement et décidai de laisser Eowyn et Eirin à leurs achats pour flâner plus avant dans le village. Du plus loin que je me souvienne, j’avais toujours connu Salem. Le manoir du coven était situé à la lisière de la forêt à l’extérieur du bourg. Nous nous y rendions lors des grandes célébrations ou plus simplement pour aller au marché où se côtoyaient victuailles et objets magiques en tout genre, des amulettes aux grimoires en passant par les herbes pour les potions et les artefacts magiques. Les humains achetaient parfois des philtres d’amour ou s’essayaient à la divination pour connaître leur avenir. Ils connaissaient notre rôle de protection vis-à-vis d’eux et en échange ils nous respectaient et nous laissaient vivre comme nous l’entendions. Je tournai au coin de la rue m’éloignant ainsi de la foule pour me diriger vers une impasse que je connaissais bien.
Au bout de celle-ci se trouvait une librairie dans laquelle j’aimais me réfugier dès que je le pouvais. La cloche tintinnabula lorsque je poussai la porte pour entrer dans l’antre d’Enya. La librairie était de taille modeste, tous les murs étaient envahis de livres de toutes les tailles, sur tous les sujets. Les lumières étaient tamisées rendant l’atmosphère douce et familière. Une échelle permettait d’atteindre les plus hauts rayonnages de la boutique en se déplaçant d’un bout à l’autre en coulissant selon le livre souhaité. Un comptoir en forme de demi-lune trônait dans l’entrée masquant la séparation entre la librairie et l’arrière-boutique.
— Tiens, tu es en retard, je m’étonnai de ne pas te voir arriver ! m’apostropha la vielle femme en posant les yeux sur moi.
— Tu connais mes soeurs, il est impossible de les faire avancer lorsqu’elles sont au marché devant leurs plantes et leurs bijoux ! répondis-je en souriant.
— Tout comme toi devant tes livres ! rétorqua-t-elle avec bienveillance.
Amusée, je refermai la porte derrière moi, pour me diriger vers Enya. Bien qu’aveugle, elle connaissait chacun de ses livres. Je ne savais pas quel était précisément son âge, mais depuis que j’avais rejoint le coven je me rendais dans sa librairie pour fuir un peu de mon quotidien. Non pas que je sois malheureuse au sein du cercle, mais j’avais besoin d’exister indépendamment de mes soeurs et de mon don. Seule Eilin me comprenait. Son don de télépathe y était sûrement pour quelque chose, mais jamais elle ne s’était montrée intrusive. Au contraire, elle savait écouter sans juger et je pouvais m’épancher auprès d’elle si j’en ressentais le besoin et inversement. Je n’avais jamais osé confier mon mal-être à Ariane de peur de paraître ingrate. Elle, qui nous avait formées à la magie, qui nous protégeait, nous logeait et nous nourrissait. Nous ne manquions de rien et profitions d’une certaine liberté même si nous ne pouvions quitter le coven du fait de notre lien de dépendance.
— Encore en train de rêvasser ? me surprit Enya.
— Pardonne-moi j’ai la tête ailleurs depuis ce matin, répondis-je confuse.
— Je suppose que c’est lié à la cérémonie de ce soir… Allons viens par là j’ai quelque chose à te montrer, je viens de le recevoir en héritage d’une vielle amie qui nous a quittée à la dernière lune, je suis certaine qu’il va t’intéresser !
Intriguée, je la suivis derrière le comptoir où elle ouvrit la porte donnant sur l’arrière-boutique. Elle alluma sa lampe à huile davantage pour moi que pour elle, puis elle contourna son bureau pour attraper un paquet en toile de jute fermé par des liens de cuir. Par sa forme, je devinai qu’il s’agissait d’un livre. Elle sortit son coupe-papier qui lui servait également de pic à cheveux de son chignon gris pour défaire les liens de cuir puis sortit l’ouvrage de la toile. Silencieuse elle me le tendit. Surprise par tant de solennité, j’eus un instant d’hésitation puis je me saisis du présent. Il ne s’agissait pas d’un livre comme je l'avais cru, mais plutôt d’un grimoire. Sur sa couverture en cuir rouge, était dessiné à l’encre noire un symbole que je ne connaissais que trop bien : un attrapeur de rêves. Je laissai glisser mon doigt sur sa couverture finement ciselée et je ressentis une sensation étrange en passant sur le symbole. Je relevai la tête vers Enya qui attendait silencieusement. Un instant, j’eus l’impression qu’elle pouvait me voir, mais ses yeux restaient désespérément blancs et vides.
— Il est magnifique Enya.
— Je te le confie, je suis certaine qu’il te sera plus utile qu’à moi.
— Non je ne peux pas accepter, tu m’as dit qu’il s’agissait d’un présent d’une amie que tu as perdue !
— Allons, pas de ça entre nous, je tiens à ce que tu le conserves et surtout ce n’est pas totalement désintéressé de ma part… révéla la vielle dame en me contournant pour vérifier que nous étions bien seules dans sa boutique.
Perplexe, je me retournai pour la suivre, tenant toujours le grimoire contre moi.
— Comment ça ?
— J’aimerais que tu protèges ce grimoire. Il pourra t’apporter les réponses que tu cherches depuis longtemps, mais il est également très convoité. Si une personne malintentionnée détenait ses secrets, notre équilibre serait menacé, voire pire encore.
— Je ne comprends rien à ce que tu me dis Enya. Quels secrets ce grimoire peut-il renfermer ? Et qui voudrait détruire notre équilibre ?
— Il y a bien des créatures qui existent au-delà de Salem, le moment venu il te faudra reconnaître tes alliés de tes ennemis, poursuivit-elle perdue dans ses pensées.
— Enya, pourquoi tu me dis tout ça aujourd'hui ? Est-ce que tu as des ennuis ? m'inquiétai-je.
La vielle femme plongea ses yeux vides dans les miens, elle leva sa main et effleura ma joue de ses doigts fins. Un frisson glacé me parcourut à son contact. Un mauvais pressentiment se logea en moi mais elle ne me laissa pas le temps de l'interroger davantage.
— Tout ce que je peux te dire c’est que ce grimoire t’en apprendra davantage sur toi-même et sur tes dons que toutes ces années passées auprès du Coven.
— Je suis une dreamcatcher, il n’y a rien de secret et surtout rien de dangereux dans ce fait ! soupirai-je sceptique.
Bien qu’humaine, Enya était tellement active que l’on pouvait parfois en oublier son âge avancé. En cet instant elle semblait porter le poids du monde sur ses épaules affaissées.
— Tu te trompes Enora, être une dreamcatcher représente bien plus que ce que l’on t’a fait croire ces dernières années. En fait, très peu de personnes connaissent le véritable pouvoir de ceux de ton espèce.
— Mais que…
— Enora ! Décidément tu mets tout en oeuvre pour nous empêcher de préparer le rituel de ce soir !
Sursautant je me retournai et me retrouvai face à mes soeurs qui avançaient vers moi les bras chargés de paquets pour la préparation du rituel.
— Je ne vous ai pas entendu arriver, bredouillai-je.
— Écoute, je sais que je n’ai pas été très sympa tout à l’heure et que tu n’es jamais bien avant un rituel, mais tout va bien se passer comme toujours, nous sommes là, tu ne seras pas seule, déclara Eirin en s’approchant de moi.
— Je sais ne t’en fais pas, c’est à moi de m’excuser de ne pas être à la hauteur, répondis-je confuse en serrant le grimoire contre moi.
— Mais non, allez, petite soeur, Ariane et les autres vont nous attendre ! À bientôt Enya ! reprit Eirin en se dirigeant vers la sortie.
Eowyn nous adressa un signe de main avant de la suivre.
Interdite, je me retournai vers la libraire :
— Je suis désolée Enya, tu étais en train de me parler de ce grimoire ?
— Cela peut attendre. Va maintenant, Samhain ne va pas se préparer tout seul, un innocent aura besoin de vous en cette nuit spéciale ! Garde ce livre, nous en reparlerons une autre fois, je ne voudrai pas avoir affaire à Ariane si vous arrivez en retard pour le sabbat ! gloussa la vieille femme.
Hochant la tête je l’embrassai avant de rejoindre mes soeurs. Celles-ci ne posèrent aucune question sur le livre que je tenais sous ma cape. Connaissant ma passion pour la lecture elles ne s’inquiétaient aucunement de son contenu ce qui me soulageait étant donné que j'aurai été incapable de répondre à leurs questions. Alors que nous rebroussions chemin, je ne vis pas Enya qui nous observait quitter l’impasse.
La vielle femme referma sa porte, baissa le rideau et retourna dans l’arrière-boutique. Elle n’avait pas eu le temps de mener sa mission à son terme. Malgré tout, elle espérait que la jeune fille comprendrait l’importance du grimoire et qu’elle le protégerait à son tour. Elle retira son châle et se massa l’épaule. La marque encrée dans sa chair la faisait souffrir lui rappelant que sa mission touchait à son terme. Elle avait dû lui mentir en inventant cette histoire de vieille amie, mais elle n’avait pas pu se résoudre à lui confier son secret. La peur de la décevoir, de perdre sa confiance l’avait fait hésiter. Peu importe, il fallait qu’elle soit prête pour le rituel. La vieille femme soupira puis prépara son autel composé de bougies, d’encens, d’un chaudron en étain duquel s’élevait une délicate odeur de lavande. Elle entreposa un athamé symbole de l’élément feu, un bol d’eau pour l’élément liquide, un éventail pour l’air et un peu de terre pour le dernier élément. Elle se plongea dans la méditation pour se préparer au rituel qui allait suivre une fois que la lune atteindrait son zénith. Il lui restait une dernière mission à achever avant de passer de l’autre côté. Toutes ces années de lutte, de recherches, tous ses sacrifices... Le moment était venu d’agir. Cette nuit serait la dernière pour Enya. Mais elle serait aussi la première pour Enora.
De retour au manoir, Eowyn se dirigea dans son laboratoire pour préparer les potions qui nous seraient nécessaires pour le rituel de Samhain. Cette célébration me mettait mal à l’aise, car cette nuit à minuit, le voile entre les mondes des vivants et des morts se lèverait permettant aux défunts de revoir leurs proches, mais aussi aux démons de passer du plan onirique au plan réel pour se nourrir à la fois des âmes des défunts et de celles des vivants. . En tant que dreamcatcher je suis la seule à pouvoir ouvrir le passage en temps normal, mais cette nuit, je ne serais qu’une spectatrice lorsque le voile se lèverait. Un témoin impuissant du passage incessant de ses entités maléfiques qui trompaient leurs victimes en se faisant passer pour les esprits de leurs proches. Notre mission consistait à repérer la potentielle victime des démons pour ensuite intervenir et les détruire avant qu’ils n’atteignent leur but. C’était le rôle d’Eléonor, notre oracle. Grâce à ses dons de divination, elle pouvait connaître la cible des démons nous permettant ainsi d’avoir un temps d’avance pour ensuite intervenir. Depuis que notre coven s’était formé, il n’y avait quasiment plus de victime des démons sur le continent. Nous pouvions être fières du travail accompli, notre méthode était désormais bien rodée. Chacune d’entre nous savait ce qu’elle avait à faire lors du rituel. Plongée dans mes réflexions, je montai mécaniquement me changer dans ma chambre tandis qu’Eirin rejoignait Ariane dans la salle de rituel.
Le manoir était construit sur deux étages au-dessus du rez-de-chaussée. Le deuxième était réservé à Ariane. Elle y avait sa chambre et sa salle d'eau. Elle avait également réservé une pièce pour ériger une bibliothèque où nous nous réunissions lors de nos soirées lectures ou pour étudier sur un sujet spécifique. Le premier étage nous était dédié. Elissa et Eléonor partageaient la même chambre, Eirin et Eowyn occupaient la deuxième suite et Eilin et moi la dernière au fond du couloir. Nous disposions chacune de nos salles de bain et d’un espace bureau nous permettant de nous isoler si l’on en ressentait le besoin. Cette proximité ne nous dérangeait pas, chacune respectait l’espace de l’autre et nous pouvions nous entraider si l’on se retrouvait en mauvaise posture. Enfin ça c’était la pensée d’Ariane lorsqu’elle nous avait expliqué l’organisation de la maison. Pour nous, cela nous avait surtout permis de faire les quatre cents coups à l’insu de notre mère adoptive. Ou tout du moins elle n’en avait jamais rien dit si elle était au courant, nous laissant ainsi tisser des liens de complicité. Le rez-de-chaussée était l’espace commun avec la cuisine, la salle à manger, mais aussi le laboratoire d’Eowyn, une salle où nous pouvions nous entraîner lors de nos apprentissages magiques et la salle de rituel.
En passant devant la chambre d’Elissa et d’Eléonor, je constatai qu’Elissa était seule. Assise devant sa coiffeuse, l’air absent, elle se brossait les cheveux. Inquiète, j’entrai doucement après avoir donné un léger coup sur sa porte ouverte.
— Je peux entrer ?
Sans se retourner, ses yeux gris se posèrent sur mon reflet dans le miroir. Elle me sourit avec bienveillance et me fit signe d’approcher. Je la rejoignis et avec sa permission silencieuse je finis de lui brosser sa chevelure blonde et soyeuse avant de la relever en un chignon en vue du rituel. Elle portait déjà sa robe de cérémonie couleur grenat, la couleur de notre coven.
— Comment te sens-tu ? me demanda-t-elle enfin, rompant le silence mélancolique qui régnait dans la pièce.
— Tu es bien la seule avec Eilin à pouvoir répondre à cette question sans mon aide ! plaisantai-je en faisant référence à son pouvoir.
— Enora, tu sais bien que nous n’utilisons nos dons les unes sur les autres qu’en cas d’extrême urgence. Et puis je préférerais que tu aies suffisamment confiance en moi pour te confier, finit-elle tristement.
Touchée, je me tus un instant. Je me sentais coupable de lui faire de la peine. A cause de son don d’empathie, Elissa vivait recluse au manoir, ne sortant que pour s’échapper dans la forêt. Le contact avec les autres personnes la faisait trop souffrir et malgré des années à tenter de maîtriser ses pouvoirs, la souffrance des autres était trop douloureuse pour son âme généreuse. Lorsqu’elle était arrivée au manoir, elle était torturée, tiraillée par des émotions qui ne lui appartenaient pas et par son don incontrôlable. Ariane avait su l’apaiser par sa patience et son savoir, et puis il y avait Eléonor. Elissa, alors âgée de dix ans avait rencontré la petite oracle, qui n’en avait que huit. Elle avait trouvé en elle tellement de paix et d’amour qu’elle avait réussi à reprendre le dessus sur ses pouvoirs. Nous étions toutes des soeurs, mais chacune de nous avait trouvé son alter ego formant ainsi trois binômes autour de notre matriarche. Reprenant mes esprits, je terminai de fixer avec douceur les épingles dans les cheveux d’Elissa puis je lui répondis enfin :
— Je suis désolée Elissa, tu sais que je te fais entièrement confiance, mais j’ai l’impression de toujours me plaindre, d’être le mouton noir de la famille aussi je préfère me taire et garder ce que je ressens pour moi. Tu me trouves égoïste ?
— Bien sûr que non voyons ! Nous te connaissons et tu as toujours eu du mal à trouver ta place. Tu penses être un poids pour nous, mais c’est faux, nous avons besoin les unes des autres et j’espère que tu trouveras ce que tu cherches un jour.
— Tu es la bonté incarnée, murmurai-je. Et toi comment te sens-tu ? Tes pouvoirs ne t’épuisent pas trop ?
— Non ne t’inquiète pas je vais bien, sourit-elle. Va te préparer à présent je vais rejoindre Ariane et les autres, Eowyn doit avoir terminé ses potions.
Hochant la tête, je me dirigeai vers la sortie, je lançai un dernier regard vers ma soeur. Sa silhouette si fragile donnait l’impression qu’elle allait s’effondrer à la moindre bourrasque. Son don était puissant, mais de nous sept, elle était celle qui en souffrait le plus. Contrairement à nous, sa magie épuisait son âme et malgré son apparente confiance, nous n’étions pas dupes. Elissa s'affaiblissait, sa magie lui coûtait beaucoup d’énergie vitale. Malgré ses recherches, Ariane n’avait pas encore trouvé de solution pour la soulager durablement. Seul son lien avec Eléonor lui permettait de souffler et de se reposer.
Refermant la porte silencieusement je me dirigeai enfin vers ma chambre. Eilin n’était pas là, elle devait sûrement être en bas. Comme d’habitude je serai la dernière à descendre. Soupirant, je me dépêchai de me dévêtir, déposai le grimoire remis par Enya dans le tiroir de mon bureau puis passai dans la salle d’eau faire mes ablutions, avant d’enfiler ma robe de cérémonie. J’aimais beaucoup cette robe grenat d’une coupe simple descendant jusqu’à nos pieds. Le tissu était retenu par une chaînette dorée à la taille, les manches évasées nous laissaient libres de nos mouvements et une capuche s'étendait sur nos épaules pour nos rituels. Ainsi vêtues nous étions indissociables. Je remontai à la hâte mes cheveux en chignon pour parfaire ma tenue, attrapai mes sandales plates noires et me précipitai en bas des escaliers tandis que le soleil déclinait enfin laissant place à la lune.
Salem, octobre 1691
La salle de rituel était plongée dans une atmosphère apaisante. La lumière des bougies disséminées dans toute la pièce renforçait cette sensation de sérénité. Je notais la présence des cristaux protecteurs dans les angles de la pièce préservant notre cercle de toute intrusion extérieure. Mes soeurs étaient là, s’affairant avec enthousiasme dans la préparation du rituel. Ariane finissait de tracer notre symbole : la triquetra, au sol. Je ne pus m’empêcher d’admirer notre mère. Ses cheveux blancs noués en chignon étaient le seul indice de son âge, pour le reste elle avait un beau visage lisse et des yeux verts dans lesquels brillait toute sa vivacité. Aussi grande qu’Eirin, elle en imposait par son élégance et son charisme. Nous la respections toutes. Elle était à la fois notre mentor, notre professeure, notre mère et notre amie. J’ignorai si tous les covens fonctionnaient comme le nôtre, mais Ariane avait bâti le sien sur la confiance et la solidarité. Elle était la sorcière blanche la plus puissante de Salem et probablement même de tout le continent.
— Tiens, te voilà enfin !
La remarque cinglante d’Eirin me sortit de ma torpeur.
— Laisse-là tranquille ! intervint Eilin en se dirigeant vers moi pour m’entraîner vers nos places respectives autour du cercle.
Plus petite que nous, Eilin n’en était pas moins puissante. En tant que télépathe, elle s’était longtemps sentie inutile avec son pouvoir passif puis elle avait appris à en faire une force pour transmettre des intentions aux personnes autour d’elle afin qu’elles se plient à sa volonté. Bien entendu, elle n’utilisait jamais son don avec de mauvaises pensées. C’était contraire au premier principe Wicca concernant la règle de trois « Ce que tu fais de bien ou de mal te sera rendu par trois fois ». Aussi nous respections à la lettre ce commandement. Nous nous ressemblions beaucoup, elle avait également des cheveux châtains, mais ses yeux étaient bleus et envoûtaient quiconque plongeait dedans.
Ariane esquissa un sourire bienveillant, puis invita mes autres soeurs à nous rejoindre. Elle se plaça au sommet de la première pointe de la rune protectrice dessinée au sol, Eléonor à sa droite, Elissa à sa gauche puis vinrent respectivement Eirin du côté d’Eléonor et Eowyn du côté d’Elissa. Eilin quant à elle se mit face à Ariane à l'extrémité du cercle et je me plaçai enfin au centre de la triquetra. Nous connaissions notre travail, nous n’avions plus besoin de mots. Nous fonctionnions en deux trinités : Ariane, Eléonor et Elissa puis Eirin, Eilin et Eowyn. Quant à moi, vous comprenez peut-être mieux à présent pourquoi je peinais à trouver ma place. Je fonctionnais seule, tant par mon statut de dreamcatcher que par mon rang au sein du cercle.
— Tu es prête ? m’interrogea doucement Ariane.
— Je le suis, répondis-je chassant mes pensées négatives pour me concentrer sur ma tâche.
Je ne laisserai jamais mes émotions nuire à notre mission et à la vie d’un innocent.
Hochant la tête, Ariane donna le signal de départ. Nous relevâmes en un même geste nos capuches devenant ainsi anonymes aux yeux des esprits puis Ariane entonna une mélopée bientôt reprise par mes autres soeurs. Je restai silencieuse fermant les yeux pour mieux me concentrer et appeler ma magie. Puisant au fond de moi je sentis l’étincelle répondre à mon appel. Progressivement, elle enfla et enfin je sentis son contact. La magie irradiait dans tout mon corps, je me sentais enfin complète, en harmonie avec moi-même. Ouvrant les yeux j’écartai les bras et la rune au sol s’illumina puis s’effaça pour laisser le portail vers le monde onirique s’ouvrir. Mes soeurs se turent, il était temps pour elles de passer à l’action. Ariane tissa une toile entre nous, permettant ainsi à chacune d’accéder à la magie de l’autre. Eirin et Eowyn se déplaceraient dans le monde onirique pour chasser les démons tandis qu’Eilin s’occuperait de guider l’innocent désigné par l'oracle en lieu sûr. Elissa, Ariane et Eléonor restaient dans le plan
