Dreamcatcher T3 - Aurélie Swan - E-Book

Dreamcatcher T3 E-Book

Aurélie Swan

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Beschreibung

Salem. 1692-1693. Enora est désormais la matriarche du coven de Danann. Alors qu'elle pensait en avoir terminé avec Alistair, le chasseur est parvenu à déjouer les lois naturelles pour contrecarrer la Mort. A l'aube de l'affrontement final, la dreamcatcher devra consolider son assemblée en identifiant ceux qui seront ses alliés et ceux qui resteront ses ennemis. Les augures sont énigmatiques, les secrets des Tuatha de Danann tendent à se révéler et à rebattre les cartes du destin. Entre le monde onirique et la réalité, Enora devra faire preuve de clairvoyance pour mener les siens à la victoire. Le coven de Danann réussira-t-il à mettre un terme définitif aux exactions d'Alistair ou sombrera-t-il dans le chaos et la mort? Découvrez la fin des aventures d'Enora et de Kaelan dans le dernier tome de la trilogie Dreamcatcher.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Couverture réalisée par Caroline Mertz

Note de l’autrice

L’intrigue de ce roman se déroule à Salem village, situé non loin de Salem, célèbre ville du Massachusetts près de Boston, que l’on connaît pour ses procès de sorcières en 1692. Pour les besoins de l’histoire, j’ai repris ce lieu historique emblématique des sorcières, néanmoins tout parallèle avec la réalité s’arrête là. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite.

Sommaire

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

Épilogue

Annexe 1 : Guide des personnages

Annexe 2 : Calendrier des sabbats de la Wicca

Chapitre I

Juillet 1692, Enora, Salem

— Enora, derrière toi !

Je me retournai vivement et fis apparaître un bouclier pour me protéger de l’arc de feu qui se dirigeait droit sur moi. À peine remise du choc de l’attaque, je projetai, d’un revers de main, le démon contre un arbre puis retournai le poignard qu’il me lançait dans sa direction. Il disparut dans un nuage de fumée me laissant encore sous le coup de l’adrénaline. J’embrassai la scène du regard. Kaelan essuya la sueur sur son front puis me rejoignit. Nous venions d’affronter une dizaine de démons alors que nous nous rendions à la clairière. Ces derniers ne pouvant plus accéder au village de Salem, protégé par la magie des pierres, multipliaient leurs attaques à l’extérieur du bourg. Le manoir étant également sous la protection des cristaux, nos ennemis se rabattaient sur la forêt des chamans.

Depuis la mort d’Alistair qui avait entraîné la libération de son esprit dans le Sidhe, les démons s’évertuaient à briser la frontière entre le monde des esprits et le monde réel. Nous savions désormais que le monde onirique représentait davantage que ce que nous pensions quelques mois plus tôt. Il était en réalité le Sidhe, créé par la déesse Danann pour protéger l’équilibre entre les univers. En son sein coexistaient le niveau des anges, les limbes, le monde onirique et le royaume des démons. Alistair s’y était établi avec son coven démoniaque et m’avait retenue prisonnière dans son château pendant plusieurs semaines. Durant ma captivité, il m’avait torturée afin que je lui révèle quel était mon nouveau pouvoir. J’avais réussi à le lui dissimuler suffisamment longtemps pour permettre à la meute de Lycaon et à mes sœurs d’échafauder un plan et de me libérer. Eirin s’était alors retournée contre Alistair à la suite de sa transformation en banshee. Elle s’était enfuie avec Fergus, un ancien druide ayant rejoint le coven d’Alistair plusieurs décennies auparavant, pensant œuvrer pour la création d’un Nouveau Monde. Lorsqu’il s’était rendu compte de son erreur, il avait saisi l’occasion de fuir avec Eirin. À la suite de ma libération, nous avions reformé notre coven en associant la meute de Lycaon et Aldric à notre assemblée. Le métamorphe nous avait rejoints plusieurs mois en arrière et m’avait permis d’acquérir une nouvelle capacité : celle de me transformer en chat noir et de bénéficier de neuf vies.

Le jour de Litha, alors que nous pensions avoir vaincu Alistair lors de l’attaque de Salem orchestrée par le chasseur et ses sbires, Eirin était venue nous prévenir qu’Alistair n’était pas mort. Son esprit était parvenu à renaître dans le Sidhe et il avait atteint un niveau lui permettant de causer la destruction de la frontière entre nos mondes. Celle qui fut jadis ma sœur ne s’était pas repentie au point de revenir vers nous, mais elle partageait désormais notre souhait d’arrêter Alistair qui nous menait tous à notre perte. Elle nous avait confié la garde de Sybille, une petite fille devenue orpheline à la suite de l’attaque de Salem. D’après Eirin, l’enfant était la clé et il fallait la protéger d’Alistair par tous les moyens. Kaelan s’était alors installé au manoir et, ensemble, nous veillions sur l’enfant comme une vraie famille.

Notre relation s’était renforcée au fil des épreuves. Nous avions connu des moments de doutes liés au passé de Kaelan. Le chaman m’avait dévoilé ses secrets et sa culpabilité due au fait de ne pas être parvenu à sauver sa première fiancée des dangers de la magie. Il avait alors renié la part animale en lui en se coupant de l’esprit du loup noir. Il lui avait fallu regagner le droit de partager son âme avec celle de l’animal et acquérir à nouveau le statut de chaman et d’alpha. Ce voyage astral guidé par Adam, le sage de la meute assassiné par Eirin des mois auparavant, puis par Jennah, celle qu’il avait aimée et qui était aussi la sœur d’Aldric, lui avait permis de se retrouver et d’être enfin serein avec son passé. Il était alors prêt à officialiser notre relation et à faire la paix avec le métamorphe lorsqu’Alistair et ses sbires nous avaient attaqués.

Lors de leur assaut, Eirin avait grièvement blessé Elissa, alors que celle-ci était enceinte. Choquée par son geste et aveuglée par ma peur pour ma sœur j’avais affronté mon aînée. Après sa trahison, ses mensonges, la mort d’Ariane et son alliance avec Alistair, je ne pouvais plus rester passive. Je l’avais donc changé en banshee afin qu’elle éprouve la souffrance de ceux qui étaient victimes de ses propres alliés. Elle s’était sauvée avant l’arrivée d’Alistair si bien que ce dernier ignorait tout de mon sortilège. Tandis que les démons se retiraient, j’avais eu la sensation que quelque chose se produisait au manoir et après m’être assurée qu’Elissa était entre de bonnes mains je m’étais précipitée vers notre demeure. Le manoir était ravagé par les flammes et j’eus à peine le temps de tenter d’éteindre l’incendie qu’Alistair m’avait assommé et capturé. Le temps passé au sein de son château ne fut que souffrance et chagrin. L’accalmie qu’il m’avait octroyée en laissant Greta panser mes blessures m’avait permis d’apprendre que le monde onirique était bien davantage encore puisqu’il n’était que l’un des niveaux composant le Sidhe soit le monde des esprits. Puis, j’avais à nouveau subi les privations et les coups. Alistair m’avait marquée dans ma chair en détruisant, à l’aide d’un tisonnier brûlant, ma marque de dreamcatcher. Lorsque Kaelan et les miens étaient parvenus à me secourir, j’eus du mal à réaliser que j’étais enfin libre et je ne parvenais pas à me servir de ma magie. Grâce aux soins de mes sœurs et d’Eowyn, mes plaies ont fini par cicatriser. À force de patience et d’amour et aidées par Aldric et la meute de Lycaon, elles parvinrent à me redonner confiance en ma magie et nous avons pu reformer le coven annihilant l’influence du chasseur sur moi.

Les défections d’Eirin et de Fergus des rangs d’Alistair achevèrent de retourner la situation au point que celui-ci déclencha le siège de Salem. Nous l’affrontâmes et malgré les nombreuses pertes humaines, nous réussîmes à le vaincre. J’avais dû mourir pour l’atteindre et nous pensions nous être enfin débarrassés de lui. Néanmoins, les révélations d’Eirin le jour de mon mariage avec Kaelan, avaient tout remis en question. Nous étions toujours en danger et nous nous retrouvions chargés de protéger Sybille dont la mère avait péri lors de l’attaque du village. Eirin nous avait révélé que l’enfant était une sorcière et qu’il fallait à tout prix la préserver.

Nous avions ensuite enchaîné les attaques de la part des sbires d’Alistair. Les démons ne nous laissaient aucun répit tant sur le plan réel qu’astral si bien que nous n’avancions pas dans nos recherches. Le temps qui passait était notre principal ennemi, car il permettait à Alistair de reprendre des forces et de peaufiner son plan. La voix de Kaelan me ramena à l’instant présent et me tira de mes sombres pensées.

— Enora, tu m’écoutes ? s’enquit mon compagnon.

— Hum ? Oui… euh… non, pas vraiment. Excuse-moi, j’étais ailleurs.

— Je le vois bien, répondit avec bienveillance celui qui fut mon mentor. Nous devrions rentrer au manoir, Sybille va s’inquiéter.

— Elle est avec Eléonor, Elissa et Enaël. Elle est en sécurité, répondis-je en esquissant un sourire à l’évocation de la petite fille.

— Tu ne veux pas rentrer ?

— Si, bien sûr, mais avant je veux terminer de protéger l’accès à la clairière. Il est hors de question de laisser la meute ainsi exposée. Nous aurions dû le faire bien avant.

— Enora, cela fait trois semaines que nous luttons sans répit contre les démons. Grâce à nous, Salem est en sécurité, de même que le manoir.

— Mais votre sanctuaire compte aussi. Vous êtes membres du coven et à ce titre je dois vous protéger, déclarai-je d’un ton sans appel.

Kaelan soupira et se résigna à me laisser avancer. Il se passa une main dans les cheveux. Il savait très bien que rien ne me ferait changer d’avis. Il s’empressa de me rejoindre alors que j’entrai dans la forêt. Il ne nous fallut que quelques instants pour atteindre la cascade où se dissimulait l’entrée vers leur sanctuaire. Autrefois, les démons s’éclipsaient directement à l’intérieur de celle-ci, mais depuis que nous avions installé des cristaux ils n’y avaient plus accès. Seule l’entrée était restée sans protection. Je m’agenouillai devant la rivière où plongeait la cascade puis sortis de ma besace les cristaux en quartz rose que je disposai devant moi à même l’humus. Je fermai les yeux puis ralentis ma respiration. Kaelan surveillait la zone le temps que je puisse effectuer le rituel en toute sécurité. Il ne me fallut que quelques minutes pour atteindre le calme nécessaire à la réalisation du sortilège de protection. Les séances d’entraînement auprès d’Aldric m’avaient permis de développer la méditation afin de canaliser pleinement ma magie en toute situation et dans un laps de temps plus court que pour une autre sorcière. J’ouvris enfin les yeux puis enfonçai une main dans la terre et apposai l’autre au-dessus des cristaux :

— J’en appelle à vous Esprits de la terre, de la mer, de l’air et du feu. Bénissez ces cristaux et accordez-leur le pouvoir de protéger ce lieu sacré, afin qu’aucun être maléfique ne puisse le fouler. Entendez la voix de votre humble servante et accordez-nous votre bienveillante protection. Qu’il en soit ainsi.

Je me tus tandis que le vent s’élevait et tournoyait autour de moi. La magie s’infiltra dans mes veines, courut jusqu’à mes bras et un halo de lumière enveloppa les cristaux. Lorsque la lumière s’éteignit, je sortis peu à peu de mon état de transe puis je me relevai afin de disperser les cristaux autour de la rivière et au creux même des rochers formant l’arche d’entrée de la clairière à l’aide de mon don de télékinésie. Ma tâche accomplie, je me relevai et époussetai ma robe rouge tout en me tournant vers Kaelan. Le regard de celui-ci m’enveloppa d’amour et de chaleur et je ne pus m’empêcher de sourire.

— Pourquoi me regardes-tu ainsi ?

— C’est que tu as fait tellement de chemin depuis notre première rencontre. La chenille s’est transformée en un magnifique papillon, répondit-il en s’avançant vers moi et en me prenant dans ses bras.

— Espérons que je ne serai pas aussi éphémère que ces petits êtres ailés, plaisantai-je.

— Oh, je ne m’inquiète pas. Tu as neuf vies je te rappelle !

— Plus que huit, en fait, mais c’est déjà sept de plus que la majorité des gens !

— J’espère bien que tu n’auras plus besoin d’en sacrifier une seule, reprit Kaelan avec sérieux, laissant le loup affleurer dans ses prunelles.

— Doucement, grand loup ! Je plaisantai ! Je compte bien vivre longuement auprès de toi. Tu n’as pas fini de me supporter, le taquinai-je.

— C’est une menace ?

— Non, une promesse, murmurai-je avec sérieux.

Il me serra plus fort puis m’embrassa tendrement. Ce baiser acheva de dissiper mes dernières tensions. Nous avions effectué notre mission et j’avais enfin protégé les trois endroits stratégiques où nous vivions. Désormais, les démons ne pourraient que nous attaquer à découvert s’il le faisait dans la réalité. Nous rebroussâmes chemin pour nous rendre au manoir afin de retrouver mes sœurs et les enfants.

Lorsque nous arrivâmes au manoir, nous fûmes accueillis par les rires de Sybille. Elle se tenait dans le salon avec Elissa, Enaël et Eléonor. Cette dernière avait enchanté des jouets en bois qu’elle faisait virevolter autour des enfants. Le fils d’Elissa à peine âgé d’un mois regardait le spectacle de ses grands yeux bleus, déjà bien éveillés, tandis que Sybille riait aux éclats. La petite fille aux boucles rousses ne cessait de m’impressionner. Si les premiers jours avaient été difficiles pour elle, nous l’avions peu à peu apprivoisée. Bien qu’Eirin lui manque cruellement, elle lui faisait confiance et avait la certitude qu’elle reviendrait la chercher. Kaelan se dirigea vers elle et déposa un baiser sur son front. Mon cœur se serra à la pensée que le chaman ferait un merveilleux père. De mon côté, j’étais bien loin d’être prête à l’idée de devenir mère un jour que ce soit en adoptant ou en concevant un enfant. J’admirai Elissa puis Eirin de s’être lancées dans une telle aventure. La première s’était unie à l’homme de sa vie et de leur union était né Enaël moitié sorcier et moitié chaman. Je percevais déjà le louveteau grandir en lui. La seconde n’avait pas réellement choisi d’adopter. Alistair avait assassiné Grace Warren, la mère biologique de Sybille lors de l’attaque de Salem. La petite fille, cachée dans une charrette de foin, avait attendu la fin des combats pour se réfugier auprès d’Eirin. Sans que personne ne sache pourquoi, l’enfant avait choisi la sorcière bannie comme protectrice. Eirin, bien que se trouvant désormais sur une voie indéterminée, ni celle du bien ni celle du mal, avait pourtant aimé inconditionnellement cette enfant au point de nous la confier pour assurer sa protection. Kaelan m’interpella et me sortit de ma torpeur. Je les rejoignis afin de profiter de chacun d’eux puis mes sœurs nous quittèrent quelque temps après. Après un repas frugal, Kaelan s’occupa de raconter une histoire à Sybille avant qu’elle ne s’endorme.

La journée touchait à sa fin et avait été mouvementée, si bien que je profitai du calme pour me prélasser dans un bon bain chaud. Mes muscles se dénouèrent et je laissai mes yeux se fermer. Mon esprit vagabonda. Tout en remontant le fil des derniers évènements, je ne pouvais m’ôter de l’esprit ce sentiment d’urgence qui me tiraillait. La menace grandissait dans l’ombre et j’étais incapable de l’identifier. Nous n’avions eu aucune nouvelle d’Eirin depuis Litha. Seules les attaques incessantes des démons nous rappelaient que notre victoire sur Alistair n’avait été qu’illusoire.

Le souvenir de Greta, la mère du chasseur, me revint et avec elle le souvenir des sévices infligés par Alistair. Je frémis malgré moi. Même si mes cicatrices avaient disparu à la suite de ma renaissance, celles ancrées dans mon âme se rappelaient régulièrement à moi. J’avais été incapable de me défendre face à lui. Privée de ma magie, je n’avais pu que garder le silence pour m’opposer à mon bourreau. Ce sentiment d’impuissance m’avait tant effrayée que je passai désormais mes journées à développer mes dons. Quand je n’étais pas avec Kaelan, Aldric s’occupait de m’entraîner. Lui ne retenait pas ses coups contrairement à mon compagnon qui culpabilisait encore de ce qu’Alistair m’avait fait endurer. Le métamorphe avait bien compris que j’avais besoin de devenir plus forte. J’étais leur matriarche, je devais me montrer à la hauteur de mes responsabilités. Et surtout, je voulais tout mettre en œuvre pour que plus personne ne subisse le fouet d’Alistair. Eléonor prenait soin de Sybille qu’elle voyait comme sa nièce. Depuis le revirement d’Eirin, ma jeune sœur gardait l’espoir de renouer un lien avec elle. Elle était la plus jeune d’entre nous et avait eu plus de difficulté à accepter la trahison de notre aînée et la mort de notre mère, Ariane. Notre nouvelle famille et l’officialisation de notre assemblée l’avaient rassérénée en lui offrant un cadre sûr.

Mes autres sœurs, de leur côté, continuaient de construire leur vie tout en répondant présentes dès que je lançai l’appel. Lors de la cérémonie de création du coven, je nous avais toutes reliées par une marque qu’il me suffisait d’activer pour lancer l’appel et réunir l’ensemble de notre assemblée. Cette solution nous permettait de vivre librement nos vies sans être constamment les unes sur les autres. Eowyn s’épanouissait dans sa chaumière au cœur de la forêt, Elissa filait le parfait amour avec Lyam et leur fils, Eilin qui vivait toujours au manoir, faisait la navette entre celui-ci et la librairie reprise par Aldric. Les deux tourtereaux prenaient leur temps, mais je sentais leurs sentiments croître avec vigueur chaque jour un peu plus. Eléonor vivait toujours avec Elissa pour l’aider au quotidien, mais elle passait de plus en plus temps au manoir depuis l’arrivée de Sybille. L’enfant l’avait apaisée et avait fait d’elle autre chose que la plus jeune sorcière de notre clan.

L’eau du bain qui se rafraîchissait me tira de ma torpeur. Je sortis prudemment puis m’entourai dans une longue serviette pour m’éponger avant de revêtir ma robe de nuit et de me tresser les cheveux. Je m’apprêtai à rejoindre Kaelan quand des cris étouffés m’arrêtèrent. Ils provenaient de la chambre de Sybille qui jouxtait la nôtre. Je n’étais pas surprise. Depuis son arrivée, elle faisait constamment des cauchemars. Elle n’en montrait rien la journée, mais je savais que le traumatisme des derniers évènements lui était difficile à surmonter. Sans attendre, je me précipitai à son chevet. La petite fille dormait, mais son sommeil était agité. Je m’installai à côté d’elle, puis posai la main sur son front pour entrer dans son esprit. Fermant les yeux, je remontai les fils de ses rêves. Plusieurs images se succédaient.

Elle revivait la mort de sa mère, puis le départ d’Eirin. J’entrepris de démêler ses souvenirs pour ne laisser émerger que les bons moments. Je la sentis s’apaiser et elle cessa de gigoter dans son sommeil. Je revins à moi et l’observai encore un peu puis je remontai sa couverture et déposai un baiser sur son front. Alors que je me relevai, je remarquai que sa poupée était tombée au sol. Je me penchai pour la ramasser et la lui poser près d’elle, quand une main s’agrippa à mon bras. Interdite, je relevai les yeux sur Sybille qui semblait me fixer sans me voir. Ses yeux habituellement mordorés étaient entièrement noirs. Elle ouvrit la bouche et parla d’une voix étrange :

— Le vol des corbeaux annonce le retour du démon. Détruisez celui qui corrompt où il détruira votre monde. La Dreamcatcher devra unir les communautés ou périr. Le jugement des morts est inaltérable.

Elle se tut puis ses yeux se fermèrent et sa main retomba mollement sur le matelas. Toujours surprise, je déposai la poupée puis sortis discrètement de la chambre. Je lançai un regard vers Kaelan toujours profondément endormi et je renonçai à le réveiller. Je me dirigeai alors vers mon bureau ou j’entrepris de consigner à l’encre les mots de Sybille. Ma tâche accomplie, je m’adossai contre le dossier de mon fauteuil. Nous savions que la jeune fille était une sorcière. Mais jusqu’à présent jamais son pouvoir ne s’était manifesté. La phrase d’Eirin me revint et prit enfin tout son sens dans mon esprit. L’enfant était la clé, il ne fallait pas qu’Alistair s’empare d’elle. Était-il seulement au courant de son existence ? Savait-il seulement ce qu’il avait déclenché en détruisant l’équilibre du Sidhe et en s’attaquant à présent à notre monde ? J’inspirai profondément. Il fallait que j’effectue des recherches afin d’être certaine de ne pas faire fausse route. Le don de Sybille ressemblait beaucoup à celui d’Eléonor. Pourtant elle n’était pas un oracle, sinon ma sœur l’aurait perçu. Il s’agissait d’une magie plus ancienne, plus rare et plus dangereuse si elle tombait entre de mauvaises mains. Eirin le savait-elle ? Était-ce pour cela qu’elle me l’avait confiée ? Les paroles de l’enfant faisaient référence aux corbeaux. Il était évident que cela avait un lien avec notre ancienne sœur. Si seulement j’en savais plus sur son passé… Si elle s’était confiée à nous... Mais l’heure n’était pas aux regrets. Nous avions enfin un point de départ pour reprendre nos recherches. Je me saisis du grimoire des Dreamcatcher au sein duquel j’avais ajouté deux pages sur le don de métamorphoses que j’avais pu acquérir via mon don de projection. Je tournai les feuilles jusqu’à trouver la section qui m’intéressait : les chamans.

Je passai rapidement les passages concernant la définition des chamans et le fait qu’ils étaient des humains partageant leur âme avec un animal en particulier qui leur conférait une longévité et un savoir hors du commun. Puis je lus rapidement les lignes décrivant les porteurs du totem du loup, du cerf et de l’aigle, pour arriver à ceux ayant pour emblème le corbeau. Chaque clan de chamans possédait une fonction particulière : les loups étaient les gardiens de la frontière entre le Sidhe et le monde réel, les cerfs veillaient sur les créatures magiques des forêts et les aigles sur les créatures ailées et marines. Quant aux corbeaux, leur statut était plus obscur. Ils avaient mauvaise réputation en raison de leur fonction de messager de la mort. Certains les considéraient comme étant les exécuteurs de la faucheuse elle-même là ou d’autres les voyaient, au contraire, comme les annonciateurs de sa venue. Leur faculté de se transformer en corbeau faisait d’eux les rares créatures capables de communiquer avec les esprits dans le monde réel. Ils vivaient en communauté à l’instar des autres clans, mais étaient craints par les humains. Eirin était la seule descendante de ce clan décimé par des sorciers. Fille d’une sorcière et d’un chaman, elle était métisse et portait en elle l’héritage de sa lignée. Il était évident qu’elle avait encore son rôle à jouer, notamment en raison de la relation qu’elle avait entretenue avec Alistair. J’étais certaine qu’elle ne m’avait pas tout dit. Le chasseur était-il au courant de la véritable identité d’Eirin ?

Le doute me frappa soudain. Je me détournai du grimoire pour me diriger vers les carnets d’Ariane. Il y avait forcément des informations sur les commanditaires du massacre de ce clan. Les autres chamans n’avaient pas été touchés. C’était spécifiquement ce clan qui fut visé. Par qui et pourquoi ? Si nous trouvions ces réponses, cela nous donnerait probablement un nouveau point de vue sur notre situation actuelle. Alistair était de la même génération qu’Ariane, soit bien avant la nôtre. Il était humain au moment des faits, mais le massacre de tout un peuple n’avait pas dû passer inaperçu même aux yeux des mortels. Je feuilletai tous les carnets tout en prenant des notes sur les éléments qui me semblaient essentiels. Épuisée, je sentis mes yeux papillonner et ma vue se brouiller. N’ayant pas le courage de me lever pour me rendre dans notre lit, je laissai ma magie prendre le dessus et pris ma forme de chatte pour me rouler en boule sur le fauteuil et sombrer dans le sommeil.

Chapitre II

Juillet 1692, Enora

Le lendemain matin, toujours sous ma forme féline, j’ouvris les yeux et observai mon environnement avec avidité. Les sens du chat étant nettement plus aiguisés que ceux de l’humain, j’en profitai pour m’imprégner des odeurs qui me parvenaient et des sensations que j’éprouvais. Au bout de quelques minutes, je me redressai et m’étirai paresseusement avant de sauter sur le sol pour rejoindre Kaelan dans notre lit. Joueuse, je bondis sur les draps et m’assis tranquillement sur l’oreiller. Le chaman, se sentant observé, ouvrit un œil puis le referma en esquissant un sourire.

— N’as-tu pas peur de te faire dévorer par le loup, petit chat ? murmura-t-il en ouvrant ensuite les deux yeux.

Je l’observai un moment puis je fis appel à ma magie pour recouvrir ma forme humaine. Je me penchai sur lui pour déposer un baiser sur ses lèvres, mais avant que je ne puisse me relever il me retint et me fit basculer sur le dos avant de m’embrasser fiévreusement. Oubliant momentanément ce qui s’était passé cette nuit ainsi que mes recherches, je lâchai prise et profitai de cet instant de tendresse dans les bras de mon compagnon. Rassasiés l’un de l’autre, nous nous levâmes ensuite pour nous laver et nous habiller avant de descendre. Kaelan se chargeait de préparer le petit-déjeuner tandis que je m’occupais de réveiller Sybille et de la préparer.

La petite fille m’attendait avec un sourire aux lèvres. Elle me tendit les bras et je lui rendis sans hésiter sa marque d’affection.

— Tu as bien dormi ? soufflai-je en me redressant.

— Non, j’ai fait un cauchemar avec le méchant sorcier qui a tué maman. Mais grâce à toi après, j’ai fait un beau rêve avec mes deux mamans, répondit l’enfant avec innocence.

— Comment sais-tu que je suis intervenue ? m’étonnaije.

— J’ai senti ta présence dans mes rêves, répondit simplement Sybille.

— Tu ne te souviens de rien d’autre ? demandai-je après quelques minutes d’hésitation.

Sybille fronça les sourcils et un pli de concentration barra son front tandis qu’elle réfléchissait.

— Non c’est tout, déclara-t-elle finalement en attrapant sa poupée.

— Bien, allons te préparer, Kaelan nous attend pour le petit-déjeuner.

— Enora, m’arrêta l’enfant soudain mal à l’aise.

— Oui ?

— Est-ce que maman Eirin reviendra bientôt ? Je suis bien avec vous, mais elle me manque…

— Je sais ma puce, c’est tout à fait normal. Je suis certaine que nous la verrons bientôt, répondis-je en la serrant contre moi.

Nous nous levâmes puis je l’aidai à se déshabiller et à passer ses bas avant de revêtir une tunique surmontée d’une chemise blanche et d’une jupe verte. Elle attrapa ses souliers tandis que je préparais sa brosse à cheveux. Elle s’installa à la coiffeuse et me laissa brosser ses boucles soyeuses avant de lui nettoyer délicatement le visage avec de l’eau tiède. Ces petits moments de complicité nous appartenaient. Nous n’avions pas besoin de meubler le silence. Malgré son jeune âge, Sybille avait un regard avisé sur son environnement. Elle nous faisait confiance et je devais bien admettre que je m’étais attachée à elle. Une fois prêtes, nous descendîmes à la cuisine où Kaelan nous attendait avec des brioches encore chaudes et des tisanes fruitées. Nous profitâmes de ce petit-déjeuner dans l’intimité comme si nous étions une famille normale et non les cibles du plus grand chasseur de créatures magiques du continent.

Après avoir savouré ces instants de paix, je confiai Sybille aux bons soins de Kaelan pour me rendre auprès d’Aldric pour ma séance d’entraînement matinale. J’avais besoin de l’avis du métamorphe concernant mes recherches et découvertes nocturnes. Lorsque j’aurai rassemblé toutes les informations nécessaires, je prévoyais de convoquer le coven pour une assemblée afin de partager, avec chacun des membres, mes découvertes. Aldric m’attendait comme toujours, au sein du cromlech de Danann devenu notre lieu d’entraînement privilégié grâce à sa position éloignée du village et à la protection qu’il offrait. Le métamorphe était déjà installé en tailleur sur un tapis circulaire. Il me salua d’un signe de tête tandis que je m’installai face à lui après avoir déroulé le tapis posé à mon intention. Nous restâmes un moment silencieux, plongés dans un état de méditation visant à rééquilibrer nos auras. Lorsque notre objectif fut atteint, Aldric étira sa nuque pour dénouer ses muscles avant de s’adresser enfin à moi.

— Alors, quelles sont les nouvelles ?

— Pourquoi dis-tu ça ? m’étonnai-je.

— Malgré tes efforts pour aligner ton aura, elle scintille de mille feux, signe que tu as fait une découverte qui te préoccupe, expliqua-t-il en souriant.

— Oui, je crois que j’ai enfin une piste, soupirai-je en lui rendant son sourire.

— Je t’écoute, répondit le métamorphe en allongeant ses jambes pour se mettre à l’aise.

— D’abord, le pouvoir de Sybille s’est enfin manifesté, mais avant que je ne te dévoile de quel don il s’agit, je veux partager avec toi la découverte que cela m’a amenée à faire.

— C’est un peu confus, remarqua Aldric en fronçant les sourcils.

— Laisse-moi finir, protestai-je. Bon, nous savons qu’Eirin est une métisse, moitié sorcière et moitié chamane. Ses parents étaient issus du clan de chamans porteur du totem du corbeau.

— Quel est le rapport avec Sybille ? s’impatienta le lynx.

— Je vais y venir, le tempérai-je. Nous savons que ce clan était mal vu à cause de son animal totem. Le corbeau est considéré comme source de malheur et porteur de mauvais présage. Pourtant, en approfondissant mes recherches, j’ai découvert que leur pouvoir résidait dans le fait d’être capable de communiquer avec les esprits des défunts. Ils étaient les seuls à être en mesure d’apaiser un esprit mort de façon brutale, par exemple.

— En effet, certains métamorphes ont demandé l’aide des chamans du corbeau pour permettre à l’esprit de leurs proches d’accéder à la paix, réfléchit Aldric. Tu veux dire qu’ils ont été assassinés à cause de leur don ?

— Je n’en suis pas sûre, mais si l’on regarde ce qui se passe aujourd’hui : Alistair, le monde des esprits. Qui aurait eu intérêt à faire disparaître les seuls êtres possédant la capacité de communiquer avec les esprits et de les faire passer dans l’autre monde ? Après tout, Alistair souhaite détruire la frontière entre le Sidhe et notre réalité. En empêchant les esprits de passer de l’autre côté, il crée un déséquilibre pouvant causer la destruction du voile.

— Il y a deux failles dans ton raisonnement, poursuivit Aldric. D’abord, Alistair était humain au moment de la destruction du clan des corbeaux et, ensuite, nous n’avons jamais su qui en était responsable.

— D’après ses carnets, Ariane soupçonnait le coven noir d’être l’auteur du massacre des chamans, révélai-je enfin. On sait ce qu’il est advenu de cette assemblée lors de la vengeance d’Alistair. Et si, en les tuant, il avait non seulement acquis leur pouvoir, mais aussi leur savoir ? Il cherchait un moyen de faire revenir ses parents à la vie. En découvrant le secret du meurtre du clan d’Eirin, cela a dû être le déclencheur de son plan.

— Alors son rapprochement avec Eirin… reprit le métamorphe.

— Était tout sauf désintéressé, complétai-je. Eirin est l’héritière de son clan disparu, et elle est une sorcière. Il devait compter sur elle pour dominer les esprits et les convaincre d’agir sous ses ordres.

— Crois-tu qu’elle soit au courant ?

— Je n’en suis pas certaine. Je compte bien essayer de la contacter, mais avant il faut réunir le coven pour les informer de mes découvertes.

— En quoi cela va-t-il nous aider ?

— N’est-ce pas évident ? Si nos soupçons sont justes, cela signifie qu’Eirin est la seule à pouvoir faire passer les esprits dans le Sidhe et donc réparer le déséquilibre avant qu’il ne soit trop tard.

— Tu oublies les frontières entre les niveaux à l’intérieur même du Sidhe, reprit Aldric.

— Non, j’y pense. Mais si Eirin accepte de prendre le rôle qui est le sien alors nous gagnerons un peu de temps pour nous occuper du Sidhe tout en protégeant notre monde.

— C’est une bonne idée, approuva enfin le métamorphe. Mais quel est le rapport avec Sybille ?

— C’est son don qui m’a mis sur la piste du clan des corbeaux.

— De quelle manière ?

— Je vous dirais tout lors de l’assemblée du coven. Je voulais d’abord éclaircir mes recherches avec toi pour être certaine d’aller dans la bonne direction.

— Pourquoi ne pas en avoir parlé avec Kaelan ?