La prophétie de la lune - Aurélie Swan - E-Book

La prophétie de la lune E-Book

Aurélie Swan

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Beschreibung

Dix-sept années se sont écoulées depuis la chute de l'archimage Arthus. Alors que Sélène et Elyas pensaient pouvoir profiter de l'instauration d'une ère nouvelle, une malédiction s'abat sur Opale privant les enfants à naître de leur magie. Seule Maïwen, la fille du couple élu, possède des pouvoirs à la hauteur de ceux de ses parents. La jeune fille aux cheveux blancs se retrouve au coeur d'une prophétie émise avant même sa naissance qui la confrontera aux ténèbres. Entre destin et libre-arbitre, elle devra se montrer digne de son héritage pour déjouer la malédiction. Maïwen sera-t-elle à la hauteur de son destin ? Sélène et Elyas reprendront-ils les armes pour sauver à nouveau Opale et ses habitants ? A quel prix ? Guidés par la Déesse lunaire, ils devront faire face aux fantômes du passé pour tenter de sauver la nouvelle génération et avec elle le continent tout entier.

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Veröffentlichungsjahr: 2021

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À mon mari et mes enfants sans qui rien n'aurait de sens

Sommaire

Précédemment dans Le Médaillon de Sélène…

Prologue

Chapitre I : Différente

Chapitre II : Secrets de famille

Chapitre III : Rancœurs

Chapitre IV : Conseil du village

Chapitre V : Première leçon

Chapitre VI : Retrouvailles

Chapitre VII : Premier combat

Chapitre VIII : Décisions

Chapitre IX : Retrouvailles

Chapitre X : Reconnaissance

Chapitre XI : Confrontation

Chapitre XII : Manipulations

Chapitre XIII : Le conseil d'Opale

Chapitre XIV : Les secrets des pierres

Chapitre XV : Un acte désespéré

Chapitre XVI : Espoir

Chapitre XVII : Le jugement

Chapitre XVIII : Affrontement

Chapitre XIX : Trinité

Épilogue

Carte Opale

Précédemment dans Le Médaillon de Sélène…

Pour son vingtième anniversaire, Sélène s’apprête à célébrer sa confirmation. Magicienne et élue, elle a grandi au sein de l'Académie des mages de la ville d'Azurite, dirigée alors par l'archimage Arthus. Le jour de la cérémonie, elle reçoit son artefact : un puissant médaillon composé des sept pierres représentant les sept villes d'Opale : Agate, Grenat, Jade, Ambre, Azurite, Œil de tigre. En son centre se trouvait la plus rare d’entre toutes : la pierre de lune. Avec cet artefact, ses dons se débrident et elle se révèle être plus puissante que son entourage ne le soupçonnait. Elle découvre également qu'elle est issue d'une union mixte entre l'ancien archimage banni, nommé Aedan et Eilin, une humaine. Or les unions mixtes ne pouvaient engendrer que des garçons nommés hybrides, possédant la particularité de se transformer en loup sans avoir accès à la magie. Sélène était donc une exception, la seule femme à être née hybride, du moins le croyait-elle.

Alors qu'elle doit faire face à ces révélations qui remettent en cause son existence, elle découvre également qu'elle est la cible d'un mouvement extrémiste prônant la supériorité et la pureté de la race des mages sur les hybrides et les humains. Ce groupe se nomme l'orbe rouge et il est dirigé par l'archimage Arthus en personne. Traquée, Sélène n'a d'autres choix que de remonter le fil de ses origines pour retrouver son père, Aedan. Durant sa quête, elle rencontre Elyas, un hybride mercenaire qui possède la particularité de ne pouvoir se changer en loup. Torturé pendant de longues années, il voue une haine viscérale à l'archimage et à l'orbe rouge. Ensemble, ils vont traverser Opale en direction des monts d'Obsidienne où ils retrouveront Aedan bel et bien vivant. Avec lui, ils découvriront les secrets d’Arthus. Lui qui prône un sang pur et dénué de métissage, est en réalité un hybride. Aedan leur dévoilera également le secret de la pierre de l'obsidienne qui peut éveiller les dons des hybrides à l'instar de la pierre de lune dont les gisements ont été détruits par Arthus. Grâce à Sélène et Aedan, Elyas verra son âme réunifiée et pourra ainsi accéder à sa part lupine. Les deux jeunes gens se rapprocheront et vivront une histoire d'amour passionnée sans certitude d'avoir un lendemain à l'issue de la confrontation finale avec Arthus. Ils quitteront les monts d'Obsidienne avec Aedan et après une halte à Grenat où ils découvriront le réseau de résistants orchestré par Aedan, Eilin, Alana, Lyam et Elwyn, ils retourneront à Azurite pour la bataille finale.

Seulement, rien ne se passera comme prévu. En arrivant à Azurite, Arthus qui les attendait assassine sous leurs yeux impuissants, Alana, la sœur d'Eilin. Le refuge des résistants de la capitale a été incendié et Eilin fut enlevée par l'archimage. Ce dernier se révèle être amoureux d'elle et surtout viscéralement jaloux d'Aedan. Sélène, Elyas et Aedan se rendront alors où tout a commencé : à l'Académie. Là, ils découvriront des victimes hybrides d'Arthus enchaîné le long des murs de la salle de cérémonie et constateront que l'archimage se sert de la souffrance de ses victimes pour augmenter sa magie.

Eilin quant à elle, se trouve sur un bûcher et Arthus fera des révélations surprenantes. Il pense qu'il est le père de Sélène à la suite du viol qu’il a commis sur Eilin vingt ans auparavant. Il prend le contrôle de l'esprit d'Elyas pour lui ordonner de mettre le feu au bûcher d’Eilin. Aedan défie l'archimage qui lui apprend être en réalité son demifrère, mais il est en passe d'échouer à son tour. Seule face à ce chaos, Sélène se dévoile enfin et se précipite sur le bûcher pour libérer sa mère. Le choc du sacrifice de la jeune femme permet à Elyas de reprendre le contrôle de lui-même. Il brise le sceau de l'alpha d'Arthus et prend le contrôle de l'ensemble des meutes éveillées par Aedan. Lyam se dévoile alors qu'il était dissimulé parmi les disciples d'Arthus et se retourne contre ces derniers venant ainsi en aide au groupe de Sélène, auparavant en infériorité numérique. Cette dernière parvient à sauver sa mère et ensemble, elles libèrent les prisonniers d'Arthus et les éloignent de la grande salle de l'Académie à moitié détruite.

Alors que la situation semble enfin devenir équitable entre les deux camps. Arthus révèle son ultime secret, caché même à ses disciples. Il se transforme en un être mi-homme, mi-loup. À la suite des nombreuses expériences menées sur ses victimes, il a réussi à atteindre un stade de métamorphose liant les deux natures. Là où les hybrides se changent en loup, lui devient un loup-garou. Sélène se lance dans la bataille finale et affronte enfin Arthus. Elle déploie toute sa puissance et se révèle être l'incarnation de la déesse lunaire, protectrice d'Opale. En associant sa forme humaine, sa magie et sa forme astrale de louve elle triomphe de l'archimage et ramène la paix à Opale.

Avec la mort d'Arthus vient le temps de la justice vis-à-vis des disciples de l'orbe rouge et l'identification des victimes de l'ancien archimage. Elyas découvre la vérité sur sa naissance. Contrairement à ce qu'il pensait, il n'a pas été abandonné par ses parents. Sa mère était la première hybride femme à l'instar de Sélène. Arthus les avait capturés, elle et son compagnon nommé Albion, pour effectuer des tests sur eux. Ce dernier a survécu et faisait partie des victimes présentes à l'Académie lors du combat final. Père et fils se retrouvent avec émotions et apprennent à se connaître malgré des années de séparation.

Le temps de panser leurs blessures est venu, l'Académie est détruite et la Nature reprend ses droits recouvrant peu à peu les derniers vestiges d'un lieu perverti. La vérité à propos d'Arthus et de ses sbires est révélée à l'ensemble des villes d'Opale. Le gouvernement change et un Conseil composé à parts égales de trois humains, trois hybrides et trois mages, siège désormais au sein de la capitale. Azurite est renommée Lunarite pour symboliser la volonté d'ouvrir une nouvelle ère et Sélène est reconnue comme étant la personnification de la déesse. Elle conserve un statut privilégié dans les affaires du continent. Parmi les décombres de l'Académie, elle a découvert les carnets de l'archimage relatant ses expériences et également des écrits plus intimes expliquant comment il en était arrivé à commettre ses crimes. Guidée par ces témoignages, elle fera construire une école ouverte à chacun, peu importe qu'il soit humain, mage, ou hybride dans chaque ville du continent. Puis elle mettra de côté son statut de protectrice le temps de célébrer son union avec Elyas. Union bénie par la déesse lunaire et symbolisée par leur enfant à naître. Un enfant qui promettait d'être exceptionnel...

Prologue

Une légère brise entra dans la pièce et fit voleter les voilages blancs du baldaquin surmontant le lit trônant au centre de la petite pièce. La lune pleine et scintillante déversait ses rayons protecteurs dans la petite chambre et regardait avec bienveillance ses deux enfants endormis, enlacés dans les bras l'un de l'autre. Peu à peu, tandis que l'astre relâchait son attention sur le couple serein, la brise devint froide et la femme frémit. Une ombre se détacha alors du mur et se dirigea vers le lit. Une main spectrale jusqu'alors dissimulée sous une cape sombre apparue, révélant une dague à la lame ondulée. La silhouette se plaça au-dessus de la jeune femme et abaissa son arme vers le ventre arrondi de celle qui enfanterait bientôt. La mère ouvrit les yeux sous le coup de la douleur et découvrit avec frayeur le sang parsemant les draps autrefois immaculés. Sous le choc combiné à la souffrance qu'elle éprouvait, elle hurla, réveillant son compagnon qui se mit en alerte et observa les alentours à la recherche d’un potentiel ennemi. Ne voyant personne et s'inquiétant de l'état de sa femme qui avait perdu connaissance, il sortit précipitamment de la pièce pour aller chercher du secours. Il revint quelques minutes après, accompagné de la guérisseuse la plus reconnue du continent.

Dans son malheur, le couple avait la chance de vivre près des deux héros ayant contribué à sauver leur génération. Sélène s'approcha de la jeune femme qui avait perdu connaissance. Inquiète, elle fronça les sourcils et s'agenouilla près de la victime non sans interpeller l'homme qui était venu quérir son aide afin qu'il lui amène des draps et une robe propre pour sa compagne ainsi que des langes pour leur enfant à naître. Seule avec la jeune femme toujours inconsciente, elle inspira profondément et utilisa sa double vision pour observer de nouveau les blessures. Elle frémit en observant le poignard planté dans le ventre de la future mère. Une arme astrale. Avec prudence, elle se saisit du manche éthéré et fit appel à sa magie pour le détruire sans causer plus de dommages qu'il n'en avait déjà infligés. Elle s'occupa ensuite de refermer la blessure afin de stopper l’hémorragie et d'envoyer des ondes apaisantes à la jeune mère qui, peu à peu, reprenait connaissance. Celle-ci eut un mouvement de surprise en voyant Sélène puis ses yeux s'emplirent de larmes.

— Mon bébé… murmura-t-elle effrayée, est-ce qu'il est…

— Non, l'arrêta Sélène d'une voix douce, mais ferme. Je sens son cœur, mais nous allons devoir le faire sortir de son abri dès à présent, vous avez perdu beaucoup de sang et la poche des eaux s'est rompue.

Dans l’entrefaite, l'homme était revenu et il changea rapidement les draps sur les consignes de Sélène tandis que cette dernière aidait la future mère à passer une autre robe avant de l'installer de nouveau dans le lit. Elle sentit la panique gagner le jeune couple. Compatissante, elle prit le temps de leur demander :

— Comment vous appelez-vous ?

— Ma femme s'appelle Aloïse et je me nomme Cal, nous venons d'emménager dans le village d'obsidienne. Nous nous sommes mariés l'année dernière et nous attendons notre premier enfant. Nous étions endormis quand j'ai senti ma femme s'agiter puis crier, je suis tout de suite venu vous chercher et…

— Cal, l'interrompit Sélène. Je sais que ce qu'il vient de se produire est choquant et incompréhensible, seulement votre enfant est sur le point de nous rejoindre et pour le moment j'ai besoin que vous souteniez votre femme. Je vous promets que nous chercherons ensuite des réponses à tous ces évènements, mais pour l'instant votre femme et votre enfant ont besoin de vous.

Le dénommé Cal hocha la tête et se plaça derrière sa femme qui s'appuya sur son torse en position assise. Aloïse plongea son regard dans celui confiant et rassurant de Sélène. Il émanait tellement de douceur et de bienveillance de la prêtresse qu'elle lui accorda sa confiance et à son signal elle puisa dans tout son être pour pousser. Le temps se figea et dans un dernier râle de douleur que Sélène effaça bien vite à l'aide de sa magie, la jeune mère donna naissance à un très beau garçon. Épuisée, Aloïse s'adossa à son mari qui lui murmurait des paroles rassurantes pendant que Sélène s'occupait du nouveau-né. Elle le baigna dans la vasque présente sur la coiffeuse de la modeste chambre puis vérifia que tout allait bien pour le nourrisson avant de l'emmailloter et de le ramener à ses parents. Tandis qu'ils faisaient connaissance avec leur enfant, Sélène termina les soins d'Aloïse afin de s'assurer qu'elle ne fasse pas d'autre hémorragie puis elle retira le drap souillé afin de replacer les couvertures correctement sur la jeune mère. Cal se détacha de sa femme pour descendre du lit et voulut interroger Sélène, mais celle-ci l'arrêta avec un sourire.

— Pas maintenant Cal, vous venez d'être père. Votre fils et votre femme vont avoir besoin de repos, mais ils sont en très bonne santé. Demain matin dès les premières lueurs du jour nous organiserons un conseil extraordinaire pour rassembler nos informations et essayer de comprendre ce qu'il s'est passé. Pour l'heure, profitez de votre famille.

Hochant la tête, il raccompagna Sélène jusqu'à la porte de sa modeste demeure puis avant qu'elle ne parte il posa tout de même la question qui le tenaillait :

— C'est la malédiction n'est-ce pas ? C'est parce que ma femme est mage et moi hybride ?

— Je n'en suis pas certaine… éluda Sélène en évitant son regard.

— Prêtresse, dîtes-moi, notre fils, a-t-il la marque des hybrides ? insista le jeune homme en retenant Sélène par le bras.

Bouleversée par son désespoir, elle ne put lui mentir. Elle plongea ses yeux gris dans ceux éperdus de l'homme qui la suppliait silencieusement avant de lui révéler la triste vérité.

— Non je suis navrée, votre fils est humain. Il a été dépossédé de sa magie.

Effondré, l'homme relâcha Sélène et la remercia malgré tout pour son aide avant de retourner s'occuper de sa famille.

Seule, Sélène soupira profondément et essuya rageusement ses larmes. Elle courut en direction de sa demeure à la lisière du bois et s'engouffra chez elle brusquement, surprenant son mari qui venait à sa rencontre.

— Ne me dis pas que… commença Elyas, une ombre voilant son regard.

— Si ! Cela s'est reproduit ! Encore une mère poignardée par une lame astrale visant à ôter la magie de son enfant !

— Est-ce que l'enfant et la mère... s'enquit Elyas en fronçant les sourcils.

— Non, j'ai pu les sauver, mais je ne comprends pas ! Pourquoi cette malédiction ? Pourquoi les enfants à naître d'une union hybride subissent-ils le même sort ? Qui est derrière tout ça ? Est-il seulement possible de leur rendre leur magie si l’on trouve le moyen de renverser la malédiction ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à stopper ce fléau ?

Elyas s'approcha de sa compagne et la serra dans ses bras. Trois années s'étaient écoulées depuis la mort d'Arthus et la refondation de Lunarite en lieu et place de l'ancienne Azurite. La paix s'était enfin installée sur le continent, ils s'étaient mariés et s'étaient établis dans les Monts d'Obsidienne où ils vivaient heureux. Un petit bruit se fit entendre derrière eux. Elyas desserra son étreinte et son regard se remplit d'amour lorsqu'il se posa sur la responsable de ce bruit. Sélène ne put résister non plus à ce minois qui lui souriait et tendit ses bras à l'enfant qui marchait dans sa direction.

— Maman !

La petite fille se précipita maladroitement dans les bras de Sélène qui l'attrapa au moment où elle allait tomber. Elle se releva en serrant fort leur fille dans ses bras.

— Maïwen, tu devrais être au lit !

— Mais j'ai senti le froid maman ! Il est revenu ! protesta l'enfant en fronçant les sourcils.

Elyas et Sélène se regardèrent, puis d'un accord silencieux, Sélène reconduisit leur fille dans son lit tandis qu'Elyas vérifiait les alentours de la maison avant de refermer la porte, la mine assombrie. Cela faisait deux ans que leur fille était née. Une enfant magnifique, bénie de la lune. À l'instar de sa mère, elle était élue par la déesse. Ses yeux bleus et ses cheveux blancs accentuant sa différence.

Depuis sa naissance, tout avait changé. Si le couple était heureux, ils ne pouvaient ignorer le fait que depuis la venue de Maïwen, chaque enfant à naître issu d'une union hybride subissait le même sort. La mère était poignardée par une arme astrale quelques jours avant le terme et l'enfant était alors dépossédé de toute forme de magie. Si bien qu'en deux ans, la population magique qu'elle soit mage ou hybride disparaissait progressivement. Et le phénomène ne cesserait de s'accroître s'ils ne trouvaient pas rapidement qui était à l'origine de ce fléau et surtout comment renverser les choses.

Chapitre I Différente

Monts d’Obsidienne

Au cœur de la forêt, près d’une rivière, une louve blanche se désaltérait. Une légère brise faisait onduler sa fourrure et elle soupira de contentement. Le soleil brillait au-dessus d’elle, mais la canopée la protégeait de la chaleur estivale. Elle savourait sa solitude troublée çà et là par quelques chants d’oiseaux. Soudain, elle ressentit une présence approchant de son havre de paix. Elle se mit à l’affût et huma l’air pour identifier le trouble-fête. Reconnaissant l’odeur de l’arrivant, elle se détendit et se tourna en direction des fourrés d’où le visiteur émergea quelques secondes plus tard. Un grand loup noir marcha dans sa direction. Son attitude n’était pas menaçante, il avançait au pas et lorsqu’il fut assez proche d’elle il s’arrêta pour plonger son regard vairon dans les yeux bleus de la louve. Les reproches fusèrent alors par télépathie :

— Maïwen ! Que fais-tu ici ? Ta mère et moi étions inquiets ! Tu sais que tu n’as pas le droit de t’éloigner du village et encore moins d’utiliser tes pouvoirs !

— Mais papa à quoi ça sert d’avoir des pouvoirs si je ne peux pas les utiliser ? se renfrogna la jeune louve.

— C’est dangereux et tu le sais. Tu es la seule de ta génération à en posséder, cela fait de toi une cible potentielle. Ta mère…

— Oui, je sais, ma mère est contre l’usage de la magie, elle refuse de l’utiliser et du coup elle en prive les autres, c’est injuste !

— Maïwen, il y a encore tellement de choses que tu ignores… soupira mentalement le loup.

Il ferma les yeux puis s’évapora dans un nuage de fumée, laissant place à un homme brun, ténébreux d’une quarantaine d’années. Elyas épousseta ses vêtements puis reporta son attention sur sa fille. La louve grogna puis se changea à son tour révélant une belle jeune fille aux cheveux blancs, à la peau hâlée mettant en valeur ses lèvres carmin. Toujours contrariée, elle défiait son père du regard. Amusé, l’ancien mercenaire ne put réprimer un sourire ce qui augmenta le niveau de contrariété de la jeune fille.

— Allez princesse, rentrons à la maison avant que ta mère ne vienne à notre recherche et ne nous ramène par la peau du cou !

— Je ne suis pas une princesse ! répliqua Maïwen en contournant son père et en se précipitant dans la forêt en direction de leur village.

Attendri par cette furie, Elyas se passa une main dans les cheveux et repensa avec nostalgie à sa rencontre avec Sélène. Leur fille ressemblait tellement à son épouse… Si seulement elle savait tout ce qu’ils avaient affronté, ce qu’ils avaient vécu pour obtenir un semblant de paix, elle ne serait sûrement pas aussi rebelle. Mais il avait accepté le choix de Sélène de lui cacher leur passé et leur rôle dans la libération d’Azurite. Il soupira une nouvelle fois puis rejoignit sa fille sur le chemin de leur maison.

Pendant ce temps à la chaumière, Sélène s’activait rageusement à nettoyer les draps dans le lavoir attenant à la maison. Une fois de plus, Maïwen avait désobéi ! Elle ne se rendait pas compte des risques inconsidérés qu’elle prenait ! Se mordant la lèvre, Sélène s’arrêta un instant de frotter le drap pour reprendre son souffle. Elle regarda autour d’elle avec amertume. Ses parents lui manquaient. Ils ne se voyaient que très peu depuis qu’elle avait pris la décision de dissimuler à Maïwen leur véritable identité. Aedan et Eilin avaient respecté son choix et vivaient toujours à Lunarite où ils participaient activement à la vie politique de la capitale. Seul Albion était resté près d’eux. Malgré tout, les sévices infligés par Arthus avaient fini par avoir raison de lui et il s’était éteint alors que Maïwen n’avait que dix ans. Ce fut très dur pour l’enfant de perdre son grand-père. Il était à la fois son ami et son confident. Sélène avait toujours apprécié le vieil homme qui, malgré son passé, n’était que douceur et bienveillance. Elyas avait pu apaiser ses blessures d’enfant en apprenant à connaître ce père qui lui avait tant manqué. Si sa mort l’avait touché, il n’était plus autant écorché comme il avait pu l’être lorsqu’ils s’étaient connus. La naissance de Maïwen puis ses liens avec Albion lui avaient apporté une forme de paix et de sérénité qu’elle admirait. Sélène ne put s’empêcher de sourire tendrement à la pensée de son mari.

Cela faisait presque vingt ans qu’ils s’étaient trouvés et malgré leurs caractères opposés ils avaient réussi à composer l’un avec l’autre pour se bâtir cette vie qu’elle chérissait tant. Elle entreprit de rincer ses draps puis de les basculer dans sa panière en osier avant de se diriger vers la corde à linge où elle suspendit l’ensemble de sa besogne. Elle laissa ses pensées divaguer tandis que son corps s’occupait d’effectuer les tâches ménagères de manière automatique. L’arrivée de leur fille avait bouleversé leur vie et leur avait apporté beaucoup de bonheur. Seulement, dans le même temps une cruelle malédiction s’était abattue sur Opale retirant leur magie à tous les potentiels hybrides ou élus qui devaient venir au monde. Malgré des recherches acharnées, ils n’avaient jamais réussi à découvrir qui était responsable de ces actions. Le mode opératoire restait inchangé.

À quelques jours du terme, les futures mères étaient poignardées dans leur sommeil par une lame astrale. Le but n’était pas de tuer l’enfant ou la mère, malgré la douleur occasionnée, mais de déchirer l’âme de l’enfant à naître afin de le priver de sa magie. Un sort tout aussi cruel puisque les enfants nés à la suite de ces attaques se révélaient être plus fragiles que la génération précédente et surtout, éteints. Avec douleur Sélène pensa au petit Calan, fils de Cal et Aloïse qui vivait au village près de chez eux. Il avait quinze ans désormais, mais il était ailleurs, dans son monde intérieur. Seule Maïwen semblait lui insuffler une étincelle de vie et de joie dans sa morne existence lorsqu’ils jouaient ensemble.

Maïwen… Sa magnifique petite fille devenue une belle jeune femme. En raison de son ascendance, elle était promise à un destin exceptionnel. Seulement, Sélène était loin d’avoir imaginé que sa fille serait la seule de sa génération à posséder des dons magiques ! Et comme si une différence ne suffisait pas, elle était née avec des cheveux blancs la distinguant définitivement de ses congénères. Les habitants d’Obsidienne n’étaient pas hostiles à leur égard, même les parents de Calan ne semblaient pas leur en vouloir. Cependant Sélène culpabilisait. De voir sa fille pleine de vie et couvant une grande magie sans même le savoir, elle s’en voulait d’avoir eu plus de chance que les autres parents. C’était en partie pour cela qu’elle avait toujours refusé d’avoir un deuxième enfant. Elle se sentait responsable du sort des citoyens d’Opale et tant qu’elle n’aurait pas trouvé comment mettre fin à ces crimes elle refuserait de s’accorder le bonheur. Elyas comprenait son choix bien qu’elle sache qu’il le regrettait. Il ne voyait pas les choses comme elle. Pour lui, ils auraient dû tout révéler à Maïwen dès qu’elle avait été en âge d’apprendre la vérité plutôt que de la tenir éloignée du monde par-delà le village d’obsidienne. Et surtout, il regrettait que leurs secrets creusent un fossé entre la mère et la fille qui s’éloignaient l’une de l’autre au fil du temps.

Alors qu’elle se dirigeait vers la maison, elle sentit avec soulagement son mari et leur fille se rapprocher d’elle. Elle se retourna et les vit émerger de la forêt. Sans un regard pour sa mère, Maïwen entra dans la chaumière et alla se réfugier dans sa chambre. Rassurée Sélène se tourna vers Elyas :

— Merci d’être allé la chercher.

— Je t’en prie, je sais que tu n’aimes pas quand elle s’éloigne, mais elle a besoin de liberté tu devrais lui faire davantage confiance, répondit Elyas avec douceur.

— Je dois surtout la protéger des dangers qui la menacent et s’il le faut je la protégerai d’elle-même ! riposta Sélène à fleur de peau.

— Tout doux princesse ! capitula Elyas en levant les mains en signe d’apaisement. J’aimerais juste qu’elle te voie comme je te vois et que vos relations s’améliorent.

— Je préfère qu’elle me déteste, mais qu’elle reste en vie, déclara fermement Sélène, et ne m’appelle pas princesse !

Furibonde, elle entra à son tour dans la chaumière. Elyas se retrouva dehors, face à la porte claquée par sa femme.

Il esquissa de nouveau un sourire en se disant que les deux femmes de sa vie se ressemblaient bien plus qu’elles ne voulaient le reconnaître, puis il entra à son tour.

La journée touchait à sa fin lorsque Maïwen se décida à sortir de sa caverne pour aller voir son meilleur ami avant le dîner. Pour éviter tous conflits, elle se força à prévenir sa mère qui accepta de bon cœur. La jeune fille attrapa ses bottes noires qu’elle mit par-dessus son fuseau lui-même surmonté d’une chemise blanche et passa sa cape couleur grenat sur ses épaules. Elle s’arrêta un instant avant de quitter la demeure familiale pour observer sa mère. Celle-ci, le dos tourné s’affairait à préparer le repas. Maïwen trouvait sa mère réellement belle avec sa chevelure ébène, ses yeux gris et sa marque sur son front. Malgré le passage des années, elle ne semblait pas vieillir et gardait une silhouette tonique et féminine. En l’observant dans ce décor modeste, elle se fit la réflexion que sa mère n’était pas vraiment à sa place ici. Elle savait que Sélène était née magicienne et qu’elle avait épousé son père qui était un hybride à la suite de la chute de l’ancien archimage Arthus, qui avait été à l’origine d’une guerre civile opposant mages et hybrides dans le but de les asservir. À l’époque de ses parents, il y avait de cela une vingtaine d’années en arrière, il y avait beaucoup plus d’êtres magiques, mais aujourd’hui elle était la seule de sa génération sans savoir pourquoi.

Pour Maïwen, posséder des dons était une chance et il fallait mettre au service des plus démunis cette magie. Mais sa mère s’évertuait à vouloir vivre une vie normale en refusant d’utiliser ses pouvoirs. C’était à se demander si elle savait seulement comment faire. Même Elyas par respect pour sa femme ne se métamorphosait que très peu sous sa forme lupine. Soupirant une nouvelle fois, Maïwen referma silencieusement la porte. Le jour déclinait lentement aussi la jeune fille savoura la chaleur décroissante sur sa peau et se dirigea d’un pas léger vers le cœur du village pour retrouver son ami, oubliant momentanément ses parents et leurs divergences d’opinions.

Calan l’attendait comme toujours auprès de la fontaine trônant au centre du village. Absorbé par l’eau et ses mouvements, il ne sentit pas la jeune fille approcher dans son dos et celle-ci en profita pour l’observer davantage. Plus grand qu’elle d’une tête, il était fin et longiligne. Ses cheveux bruns en bataille tombaient sur son visage pâle aux traits délicats. Ses yeux verts étaient éteints, mais Maïwen était la seule à savoir qu’ils pouvaient s’illuminer par moment. Avec lui, elle se sentait normale malgré sa magie. Même ses cheveux blancs ne le choquaient pas. En réalité, les habitants du village, environ une centaine, étaient habitués à sa chevelure qui lui conférait un air féerique si bien qu’avec le temps cette non-couleur était entrée dans la normalité. Après tout, peut-être que par-delà les montagnes qui protégeaient leur village d’autres personnes avaient les cheveux blancs comme elle ? Elle stoppa ses réflexions et décida de rejoindre son ami.

— Toujours autant passionné par l’eau à ce que je vois ! l’interpella la jeune fille dans un sourire.

— Maïwen ! Tu es venue finalement ! répondit Calan en se détournant de la fontaine pour regarder son amie.

— Bien sûr, une promesse est une promesse ! répliqua-telle en croisant les doigts devant son visage pour lui rappeler leur signe de reconnaissance.

Le jeune homme sourit et ils se dirigèrent ensemble vers la sortie du village pour rejoindre leur lieu favori : la clairière des loups où autrefois les hybrides se rassemblaient pour rendre hommage à la lune. Désormais plus personne ne s’y rendait, les adultes semblaient s’être habitués à vivre sans magie au grand dam de la jeune fille. Ils escaladèrent le promontoire rocheux pour s’y installer confortablement et observer le coucher du soleil. Après quelques instants, Calan rompit finalement le silence :

— Alors, tu t’es encore disputé avec ta mère ?

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? fit Maïwen surprise.

— Tu es plongée dans tes pensées alors que d’habitude tu n’arrêtes pas de parler ! la taquina le jeune homme.

— Pourquoi, ça t’ennuie que je sois bavarde ?

— Non au contraire, tu es bien la seule à être toujours enjouée avec moi ! Ma mère a toujours un air peiné quand elle me regarde !

— Bah au moins la tienne ne te déteste pas ! se renfrogna Maïwen.

— Non je suis juste sa plus grande déception, répondit posément Calan.

Choquée par sa répartie, Maïwen resta un instant hébétée observant son ami. Il semblait calme, comme résigné. Il exprimait ce qu’il ressentait sans plus s’en émouvoir.

— Pourquoi dis-tu une chose pareille ? Tu sais bien que ta mère t’aime ! reprit Maïwen.

— Bien sûr, mais ça n’empêche que je vois bien que le fait que je ne sois qu’humain la déçoit.

— Je suis certaine que tu te trompes, tu en as parlé avec elle ?

— Non, je ne veux pas lui faire plus de peine. Tu sais j’ai beaucoup lu à la bibliothèque ces derniers temps et le monde d’avant semblait tellement différent. Je veux dire, nos parents ont grandi dans un univers où la magie faisait partie intégrante de leur quotidien, même les humains qui ne possédaient pas de dons utilisaient tout de même certains artefacts comme les pierres pour se protéger.

— Tu prêches une convaincue, soupira Maïwen en détournant le regard vers le soleil déclinant.

— Je t’envie, souffla soudain Calan.

Bien qu’habituée à sa franchise et à son absence de tact, Maïwen fut tout de même abasourdie par la révélation de son ami.

— Calan… Je suis désolée, murmura-t-elle ne sachant que dire d’autre.

— Tu n’as pas à l’être, nous ne sommes pas responsables de nos naissances et de nos natures.

— Que veux-tu dire ?

— Maïwen, autrefois les enfants issus d’unions mixtes ou de mages étaient comme toi. C’est nous qui sommes différents, pas toi !

La jeune fille ne sut que répondre tant cette affirmation la perturbait. Devant son air interdit, Calan dont les yeux s’étaient soudainement illuminés insista :

— La vraie normalité c’est toi, Maïwen ! Il a dû se produire quelque chose de grave à la suite de la chute de l’archimage maudit pour que deux ans après ta naissance il n’y ait plus eu d’enfants magiques.

— Tu veux dire que c’est ma faute ! s’exclama effarée la jeune fille.

— Non pas du tout, mais si l’on remonte dans les registres cela a commencé après toi. Peut-être que tu n’es pas la seule à posséder des dons ?

— Tu veux dire que dans les villes d’Opale, il y a peut-être des enfants possédant des pouvoirs ?

— C'est une possibilité. Nous ne sommes jamais partis d’ici, mais peut-être qu’il y a eu d’autres enfants comme toi avant nous acheva Calan en retrouvant son flegme habituel.

Secouée par les propos de son meilleur ami, Maïwen se renferma sur elle-même tandis que le soleil déclinait tout à fait à l’horizon. Ils restèrent encore quelques instants puis ils redescendirent et regagnèrent le village avant de se séparer devant la maison de Calan où la mère de celui-ci les attendait. Elle remercia Maïwen d’avoir raccompagné son fils et lui offrit un panier garni de brioches pour elle et ses parents. Après l’avoir chaleureusement remercié, la jeune fille les salua et remonta le sentier jusqu’à chez elle.

Elle entra dans la maison, se défit de ses bottes et de sa cape puis alla poser son panier dans la cuisine en expliquant d’où il provenait à sa mère. Sélène lui indiqua qu’il était temps de passer à table et la jeune fille s’exécuta en silence en s’installant à sa place habituelle dos à la cheminée. La soirée était douce aussi son père n’avait pas allumé l’âtre. Tandis que celui-ci s’installait à côté d’elle, sa mère finissait de disposer les plats et l’eau à table avant de s’asseoir à son tour. Ils commencèrent à manger dans le silence puis, inquiète devant la mine assombrie de sa fille, Sélène tenta d’ouvrir le dialogue.

— Tout s’est bien passé avec Calan ?

— Oui oui, répondit laconiquement Maïwen.

Sélène et Elyas échangèrent un regard perplexe puis Sélène insista :

— Vous avez été à la clairière pour observer le coucher de soleil ?

— Oui.

— Quelque chose ne va pas princesse ? glissa doucement Elyas.

— Non, je réfléchissais c’est tout.

— Peut-on savoir quel est l’objet de tes réflexions ? se risqua sa mère.

— En fait, c’est ce que Calan m’a dit tout à l’heure qui me perturbe. Il semblait survolté lui qui est toujours… enfin, vous savez bien comment il est. Il m’a dit qu’il avait lu des livres, effectué des recherches… Je ne savais même pas qu’il faisait des recherches en plus ! s’exclama la jeune fille augmentant le désarroi et l’incompréhension de ses parents.

— Maïwen… l’interpella Elyas.

— Il m’a dit qu’il m’enviait, qu’il était une déception pour sa mère et que la normalité c’était moi et pas eux, les enfants sans magie ! explosa soudain la jeune fille surprenant ses parents. Il dit que les enfants sans magie ont commencé à naître deux ans après ma naissance, qu’il existe peut-être d’autres personnes comme moi à Opale et que c’est à cause de la mort d’Arthus que la magie s’efface !

Abasourdis, Sélène et Elyas ne surent quoi répondre devant le désarroi de leur fille. N’y tenant plus, Maïwen se leva et quitta brusquement la table, ne laissant pas le temps à ses parents de réagir. Elle referma la porte sur elle et s’effondra sur son lit où elle se laissa enfin aller à déverser ses sanglots de colère et de frustration. Pourquoi son ami avait-il dit ça ? Qu’est-ce qui avait changé ? Oui, elle était différente, ou lui l’était, mais pourquoi cherchait-il à comprendre ça maintenant ? Au fond d’elle, une petite voix lui murmurait qu’elle aussi s’était toujours posé des questions et que c’était plutôt rassurant de voir qu’elle n’était pas la seule pour une fois à s’interroger. Elle se calma progressivement puis se dirigea vers sa commode surmontée d'une vasque dans laquelle elle versa de l'eau avant de s’asperger le visage pour se rafraîchir. Elle se déshabilla pour revêtir une robe de nuit longue et blanche puis tressa ses cheveux avant de regagner son lit où elle se blottit. Seul le sommeil lui apportait du réconfort. Dans ses rêves, elle n’était pas différente et elle n’était plus seule, car Elle veillait sur elle.

Chapitre II Secrets de famille

Monts d’Obsidienne

Sélène, effarée, regarda sa fille disparaître dans sa chambre en claquant la porte. Interdite, elle ne pouvait détourner ses yeux de cette maudite porte qui s’était refermée sur elle un nombre incalculable de fois. Que devait-elle faire ? Se précipiter à la suite de sa fille en détresse ? Ou la laisser se reposer et se calmer seule ? Elle fut interrompue dans sa réflexion par Elyas qui rompit le silence.

— Sélène, je crois qu’il est temps de lui dire la vérité.

Elle détacha son regard de la porte pour plonger dans les yeux vairons de son mari. Elle remit de l’ordre dans ses pensées avant de lui répondre.

— Non. Nous avons pris une décision, nous devons nous y tenir. La semaine prochaine, elle fêtera ses dix-sept ans.

Nous saurons alors si la prophétie disait vrai. Si tel est le cas alors il sera toujours temps de lui parler.

Elyas fronça les sourcils. Il savait que sa compagne ne changerait pas d’avis, mais pour la première fois il n’était pas d’accord avec elle.

— Je t’ai toujours soutenu Sélène, parce que je sais que tu agis dans l’intérêt de notre fille, mais à présent, je ne suis plus certain que notre choix soit le bon.

— Pourquoi dis-tu ça ? Qu’est-ce qui a changé ? rétorqua Sélène blessée.

— Notre fille souffre ! Elle s’éloigne de nous, de toi en particulier, tu ne le vois donc pas ? Une fille a besoin de sa mère, elle a besoin de toi, de ton affection, de ton soutien !

Bouleversée, Sélène se leva de table et débarrassa l’assiette intacte de Maïwen et la sienne tournant ainsi le dos au regard accusateur de son mari. Elyas ne comptait pas la laisser se dérober une fois de plus. Il était temps qu’ils aient cette discussion à cœur ouvert.

— Sélène, ta fille pense que tu ne l’aimes pas ! Elle pense que tu la rejettes à cause de ses dons ! Calan à raison, ce n’est pas elle qui est différente, ce sont eux ! Et Maïwen n’est pas responsable de leur état !

Sélène referma ses mains sur le rebord en granit de l’évier pour retenir ses larmes de colère. Elle inspira puis sans un regard pour Elyas, elle attrapa ses bottes et quitta la chaumière sans se retourner. Amer, Elyas frappa du poing sur la table. Il ne comprenait plus sa femme. Ces dernières années après de longues recherches qui les avaient menés à la prophétie, elle s’était renfermée sur elle-même. Peu à peu, elle s’était éloignée de lui et surtout de leur fille. Il ne comprenait pas son attitude. Parfois même il pensait que Maïwen avait raison, que Sélène croyait que tout cela était de la faute de leur unique enfant. Puis il se ravisait, se rappelant le sacrifice fait par son épouse pour protéger la jeune fille. Las, il termina de ranger la vaisselle et se dirigea vers la chambre de sa fille. Elle s’était endormie, blottie dans son lit. Il l’observa un instant et réalisa qu’elle avait bien grandi. Sa chambre autrefois parsemée de jouets en bois fait par Albion, son grand-père qu’elle aimait tant, avait laissé place à une chambre plus adulte avec son lit d’une place dans le coin de la pièce surmontée d’un baldaquin aux voilages blancs. Sur le mur était peinte une fresque réalisée par Sélène elle-même, représentant trois loups chantant sous une lune pleine. De l’autre côté de la pièce se trouvaient une bibliothèque ainsi qu’une commode et une psyché. Derrière la porte, à l'abri des regards se trouvait un coffre à jouets qui contenait tous les trésors de la jeune fille. Elyas se dirigea vers elle et déposa un léger baiser sur son front puis quitta enfin la chambre aussi silencieusement qu’il y était entré.

Pendant ce temps, Sélène remonta le sentier vers la sortie du village. La nuit était tombée et les villageois dormaient à poings fermés. Elle savait qu’elle ne croiserait personne à cette heure tardive ce qui lui convenait très bien. Elle quitta enfin le village et se dirigea vers le sanctuaire où Aedan avait permis à Elyas d’éveiller ses dons. Cette époque lui parut soudain bien lointaine et elle retint ses larmes en pensant à ses parents qu’elle n’avait pas vus depuis longtemps. Pour protéger Maïwen, ils avaient respecté son choix de ne plus leur rendre visite. La petite famille restait cantonnée aux monts d’Obsidienne comme si le monde s’arrêtait ici. Sélène arriva devant l’entrée et dessina les runes attendues pour délier le sceau qui protégeait l’entrée du lieu sacré. Même si plus personne n’y venait aujourd’hui, ce lieu recelait bien des secrets qu’ils valaient mieux protéger. Elle entra enfin dans le temple et ne se relâcha que lorsqu’elle sentit l’entrée se refermer dans son dos. Là, elle se laissa tomber au sol et hurla son désespoir, sa colère et sa frustration. Elle ne sut combien de temps, elle resta ainsi à déverser ses émotions trop longtemps contenues et lorsqu’elle commença à s’engourdir et à ressentir le froid, elle réalisa qu’elle n’avait même pas pris sa cape pour sortir.

Ce détail anodin suffit à lui rappeler pourquoi elle était venue ici. Elle prit une profonde inspiration pour chasser ses derniers sanglots puis elle se dirigea vers le centre du sanctuaire. Un bassin rempli d’eau cristalline, alimenté par les sources chaudes sinuant sous les montagnes, trônait en dessous de l’ouverture permettant d’observer la progression de la lune dans le ciel. Sélène se déshabilla et s’immergea dans le bassin. Au contact, de l’eau bienfaisante, l'élue se sentit apaisée. La chaleur de l’élément liquide dénoua ses muscles tendus, effaça ses tourments et purifia son âme.

Après quelques minutes, elle sortit du bassin, observant le parcours de la lune depuis l’interstice créé à même la roche à l’instar de ce temple. Elle serait bientôt à son zénith. Sélène se dirigea vers un coffre contenant des vêtements de cérémonie pour les mages. Elle choisit une robe bleue qu’elle fit glisser au-dessus d’elle. Le tissu épousa parfaitement sa silhouette et retomba jusqu’à ses pieds nus. Enfin, elle se dirigea vers l’autel où elle apposa sa main sur le symbole de la triquetra. Un tintement retentit et une cache au pied de la colonne s’ouvrit révélant un petit coffret en argent finement ciselé. Elle hésita une fraction de seconde puis s’en saisit. Elle resta un instant, agenouillée, immobile avant d'ouvrir enfin le coffret et une vague d’émotion lui comprima la poitrine.