Drusilla - Jean-Luc Marchand - E-Book

Drusilla E-Book

Jean-Luc Marchand

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Beschreibung

Le destin de Drusilla, soeur de Bérénice et fille d’Agrippa Ier, provisoirement oubliée par l’Histoire.

Il y a près de 350 ans paraissait la tragédie historique de Jean Racine, Bérénice. Œuvre classique par excellence du théâtre français, c’est à partir de cette trame que Jean‑Luc Marchand a décidé de dévoiler le destin de Drusilla, soeur de Bérénice et fille d’Agrippa Ier, provisoirement oubliée par l’Histoire. Au prix d’un investissement sans failles et de nombreuses recherches sur les événements et protagonistes de l’époque, l’auteur est parvenu à transposer en alexandrins les péripéties de la jeune Drusilla. En ce temps-là, au royaume de Chalcis, la princesse Drusilla va rencontrer le jeune Épiphane, fils du roi de Commagène, auquel elle a été promise lorsqu’ils étaient enfants. Elle en tombe immédiatement amoureuse, mais le complot des hommes en a décidé autrement. En parallèle, bien des intrigues se trament au palais. Avec talent, Jean-Luc Marchand parvient ainsi à nous transporter en l’an 49, « là où l’ancien royaume d’Alexandre et le nouvel Empire romain se chevauchent ». Au cœur d’une fiction historique peu commune, alliant forme traditionnelle et pensée d’aujourd’hui, il remet au goût du jour l’art classique de la tragédie antique.

Grâce à la plume habile de Jean-Luc Marchand, voyagez jusqu'en l'an 49 et plongez au cœur d’une fiction historique peu commune, alliant forme traditionnelle et pensée d’aujourd’hui, il remet au goût du jour l’art classique de la tragédie antique.

EXTRAIT

            Oui, je ne suis venu rencontrer Agrippa
            Seulement en effet pour en arriver là.
            Je savais en venant qu’avec la Palestine
            Je pourrais contenir la puissance latine.
            Mais c’est insuffisant à suivre mes menées.
            Car sans l’appui gagné des souverainetés
            De la Babylonie à la mer Hyrcanienne87
            Je ne puis retrouver la royauté ancienne.
            C’est plutôt la Parthie qui désormais m’agite,
            Me laissant indécis sur la bonne conduite
            Qui pourrait aboutir à notre réussite.
            En effet si le sort entre deux rois88 hésite
            Aucun des prétendants ne saurait renoncer
            Au sortir des combats, à son autorité.
            Et bien que notre sang offre tous les mérites
            Je sais l’avidité que le pouvoir suscite.
            Si malgré mes efforts pour éviter la guerre,
            En mariant Épiphane avec une héritière,
            Princesse de Parthie, je ne puis contrôler
            Ce bout de Séleucie, je doute d’un succès ;
            Car même les Romains respectent leurs armées
            Qui surent se couvrir d’honneur dans le passé.
            Je songe à Surena89 et ses cataphractaires
            Qui combattant Crassus90 à Carrhes91 dévastèrent
            Des armées aguerries en nombre supérieur,
            Tuant le triumvir dans un moment trompeur92.

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Jean-Luc MarchandDrusilla

La Compagnie Littéraire

Catégorie : théâtre

www.compagnie-litteraire.com

PRÉFACE

Titus renvoya Bérénice en Judée juste après la mort de Vespasien. Le nouveau maître n’était pas ainsi compromis par un amour que les Romains auraient blâmé. Racine en a fait un chef-d’œuvre, mettant alors en scène Antiochus le roi de Commagène en rival sans espoir du nouvel empereur.

Par quelques allusions, le poète a offert de furtifs aperçus des événements qui avaient précédé, plusieurs années auparavant, ce cruel dénouement pour les protagonistes.

Bérénice n’était plus une jeune fille lorsque Titus la prit pour maîtresse. Elle avait déjà été mariée trois fois, et des rumeurs circulaient sur les relations incestueuses qu’elle aurait entretenues avec son frère, le roi Agrippa II.

L’Antiochus de Racine était en fait le fils du roi Antiochos IV de Commagène. Il avait été le compagnon d’armes de Titus pour mater la rébellion des zélotes juifs, qui aboutit à la destruction en l’an 70 du second temple de Jérusalem.

Le roi de Commagène Antiochos IV, avait jadis promis son fils (nommé Antiochus1 par Racine) à Drusilla, la fille de son ami et complice Agrippa Ier, le roi de Judée, père également d’Agrippa II, de Bérénice et d’une troisième sœur, Mariamne. Drusilla ne l’épousa pas ; lui tomba amoureux de Bérénice. Le refus de la circoncision servit de prétexte pour éviter cette union imaginée par des pères alors décédés. Drusilla, dont la beauté était saluée par tout l’Orient, fuit quelque temps après avec le procurateur romain de la Judée, Félix. Ce fut un scandale à l’époque.

Ces événements se sont déroulés dans un Orient et dans un monde en cours de transformation profonde. La Judée ou la Palestine étaient à plusieurs croisées de l’espace et du temps : entre les empires Romains et Parthes contemporains des personnages, mais aussi au carrefour des empires passés Séleucide et Lagide. Depuis que l’histoire en est connue, Israël, par sa géographie, a toujours été à l’intersection de puissances de l’Est et de l’Ouest, aux volontés régulièrement hégémoniques.

Mais ces personnages se trouvaient également au carrefour du temps et des idées : la religion juive, prépondérante dans la vie quotidienne, se trouvait isolée au milieu du Zoroastrisme des Perses, des croyances polythéistes gréco-romaines, ou de croyances moins connues telle le culte de Baal. Par ailleurs, les sectes et les prédicateurs annonçant la fin du monde ou l’arrivée du messie étaient très nombreux, créant un climat de prosélytisme intense qui allait déboucher sur la révolte des zélotes en 66 et la destruction du second temple de Jérusalem. Dans cette même période, Saint Paul concevait pour le monde non juif un nouveau monothéisme.

Mais tout cela n’est qu’un contexte.L’histoire de Drusilla et de son frère et de ses sœurs mérite qu’on la rappelle, avec fidélité aux faits historiques connus et en cohérence avec la pièce de Jean Racine.

Je ne pouvais imaginer de faire parler Bérénice en prose.

Frise historique :

Empereurs romains

14-37 Tibère

37-41 Caligula

41-54 Claude

54-68 Néron

68-69 Galba, Othon, Vitellius, Vespasien

79-82 Titus

Gouvernement de la Judée

37 av. J.-C. à 4 av. J.-C. Hérode le Grand (roi)

41-44 Agrippa 1 (roi)

44-48 Cupus Fadus (procurateur)

48-52 Ventitius Cumanaus (procurateur)

52-60 Antonius Félix (procurateur)

61-63 Porcius Festus (procurateur)

64 Lucceius Albinus (procurateur)

Événements famille de Bérénice (Judée-Palestine)

11 : Naissance d’Agrippa Ier

26 : Mariage d’Agrippa Ier avec Cypros (Nabatéenne)

28 : Naissance d’Agrippa II

29 : Naissance de Bérénice

33 : Naissance de Mariamne

38 : Naissance de Drusilla

41 : Agrippa Ier nommé roi de Judée

41 : Hérode, frère d’Agrippa Ier est nommé roi de Chalcis

Mariage de Bérénice avec Marcus Alexander

43 : Fiançailles de Drusilla et Épiphane

44 : Mort d’Agrippa Ier

46 : Mariage de Bérénice avec son oncle Hérode, roi de Chalcis

48 : Mort d’Hérode, roi de Chalcis

Agrippa II devient roi de Chalcis

53 : Rupture des fiançailles de Drusilla-Épiphane

53 : Redistribution des territoires par Néron

Agrippa perd Chalcis

54 : Bérénice épouse puis quitte Marcus Antonius Polemo II

(roi de Cilicie)

Mariamne quitte son mari Archelaüs, pour Démétrius,

Alabarque d’Alexandrie.

Drusilla fuit avec le procurateur Félix

66 : Révolte des zélotes

70 : Destruction du temple de Jérusalem

74 : Bérénice rejoint Titus à Rome

79 : Renvoi de Bérénice

Éruption du Vésuve

Introduction

Le vaste empire d’Alexandre III de Macédoine dit « le Grand » s’étendait jusqu’à l’Inde. Après sa mort2, ses généraux se sont affrontés pour se partager cet empire immense : ce furent les guerres des diadoques. Les territoires conquis par le Macédonien ont alors été divisés, morcelés, déchirés. Plusieurs rois ont dominé cette partie du monde. Les généraux d’Alexandre se nommaient Lysimaque, Antigone, Séleucos ou Ptolémée ; tous fondèrent leur dynastie : les Attalides, les Antigonides, les Séleucides, les Lagides. Les descendants de Ptolémée en l’Égypte récupérèrent même le titre prestigieux de Pharaon.

Trois siècles et demi plus tard, toute cette grandeur, tous ces combats, n’étaient plus qu’un vague souvenir pour les peuples et leurs souverains. Les guerres, les alliances, les trahisons, les invasions avaient bien sûr continué dans cet Orient qui devenait complexe. Du vaste empire d’Alexandre, il ne restait que des fragments, multitude de provinces et de petits royaumes, que se disputaient de lointains héritiers, des ambitieux ou des belliqueux.

Rome entre temps avait grandi et conquis une partie du monde. La Pax Romana tentait de maintenir de vastes provinces sous le contrôle de l’empire. C’était désormais Rome qui décidait de destituer ceux qui ne lui convenaient pas et de confier le pouvoir à des rois locaux, à des préfets ou à des procurateurs qui gouvernaient en son nom. Claude, empereur des Romains, avait succédé à Caligula. Évaporé et inconséquent, il n’en était pas moins le maître. Avec parfois peu de discernement, il éliminait amis ou ennemis supposés ou véritables. Il venait même d’accepter l’assassinat de sa scandaleuse épouse Messaline3.

Là où l’ancien royaume d’Alexandre et le nouvel empire de Rome se chevauchaient, les agitations et les complots ne s’étaient pas arrêtés. Mais désormais, tous savaient qu’il fallait se soumettre à la fin aux volontés de l’empereur romain, sous peine d’en répondre par les armes.

La Commagène était l’un de ces nombreux petits royaumes d’Orient, débris de l’empire d’Alexandre et désormais sous la coupe du nouvel ordre romain. Par la grâce de Caligula, elle fut en l’an 38 remise aux mains d’Antiochos le IVe du nom en Commagène. Antiochos avait été élevé à Rome. Il y avait fréquenté la cour et était devenu un proche du futur empereur Caligula, puis de Claude. Au carrefour de la Grèce, de l’Arménie, de la Parthie et de la Syrie, les souverains de Commagène avaient naturellement conclu au fil des années de nombreuses alliances par mariage. Les rois de Commagène avaient des aïeux royaux dans toutes les dynasties de l’Orient. Aussi Antiochos IV de Commagène se revendiquait-il légitimement comme un héritier de toutes ces lignées4.

La Judée, quant à elle, n’était aussi plus qu’un fragment de l’empire d’Alexandre. Alternativement sous la domination des Séleucides ou du royaume Ptolémaïque après la mort du conquérant. À la mort d’Hérode, dit le Grand5, roi de la grande Palestine nommé par Octave (l’empereur Auguste), Rome dut reprendre le contrôle. Préfets et procurateurs se succédèrent jusqu’à ce qu’Agrippa Ier récupérât en très peu de temps ce royaume de Judée. Son ami Caligula lui donna ensuite le titre de roi. Puis Claude étendit encore ses territoires. Mais son règne ne dura que trois ans. Il décéda6, probablement empoisonné, et n’eut pas le temps de laisser son royaume à son fils, Agrippa le second, trop jeune pour une province aussi rebelle. Pourtant après quelques années, le jeune Agrippa fut désigné par l’empereur Claude comme roi de Chalcis, petite province de Palestine, à la suite du décès de son oncle (nommé aussi Hérode) qui régnait sur ce tout petit territoire. Sa sœur Bérénice, épouse de cet oncle, devenait veuve pour la seconde fois.

Restée aux côtés de son frère, elle semblait continuer à régner avec lui. Agrippa et Bérénice avaient deux sœurs, Mariamne et Drusilla. Cette dernière fut jadis promise par son père à Épiphane, fils d’Antiochos de Commagène.

LIVRE I : La visite du roi de Commagène

Chalcis Sub Lebanum7, année 49 

« Si dans ce haut degré de gloire et de puissance,

Il vous souvient des lieux où vous prîtes naissance

Madame il vous souvient que mon cœur en ces lieux

Reçut le premier trait qui partit de vos yeux. »

Bérénice, Jean Racine, vers 187-190 »

Personnages :

Agrippa II, roi de Chalcis

Bérénice, reine de Chalcis, sœur d’Agrippa II

Mariamne, princesse de Judée, sœur d’Agrippa et de Bérénice

Drusilla, princesse de Judée, sœur d’Agrippa, de Bérénice et

de Mariamne

Antiochos, roi de Commagène

Iotapa, reine de Commagène, sœur et épouse d’Antiochos

Épiphane, fils aîné d’Antiochos et d’Iotapa

Thalia, servante de Drusilla

Hanania, grand prêtre du temple de Jérusalem

I. Dans les appartements de Drusilla

1.1 Drusilla, Thalia

Elle s’était levée tôt, n’ayant pu de la nuit trouver le repos. Elle alla chercher Thalia, sa fidèle servante, qui s’était vite redressée dans sa couche en entendant les pas feutrés de sa maîtresse. Thalia avait elle aussi mal dormi, comme si les impatiences de Drusilla étaient aussi devenues les siennes. Promptement habillée, elle alla aussitôt recueillir les instructions de Drusilla, visiblement agitée. La princesse n’était plus une enfant, Thalia le voyait : elle était devenue une femme ; c’était maintenant évident.

Drusilla voulait veiller à tous les détails pour réussir cette rencontre qu’elle s’était jouée mille fois. Elle espérait en ce jour devenir l’objet de tous les regards et de l’admiration. Il était enfin temps de montrer qu’elle était prête à tenir le rang qu’on lui annonçait depuis si longtemps. La princesse, consciente de sa trop grande excitation, s’efforça de paraître calme :

Drusilla

Prépare-moi un bain et des sels parfumés !

Apprête mon chiton8, qu’il faudra embaumer

Avec ce nard subtil qui nous vient d’Arménie ;

Effaçons sur mes traits les tourments de la nuit ;

… Je ne sais pas comment arranger ma coiffure ;

… Il me faudra aussi choisir une parure…

Thalia

Madame, je vous prie, soyez moins agitée.

Nous avons plein de temps pour vous bien préparer.

Domptez l’impatience et la fébrilité.

Tout semble présager que c’est votre journée.

L’Orient en ce jour va enfin découvrir

Que votre dynastie prépare l’avenir.

Tous les Hasmonéens9 retrouveront en vous

La grandeur d’autrefois. Ils seront à genoux.

Drusilla

Suspens là ce discours ; ces propos m’indiffèrent ;

Leurs espoirs n’aident pas à mener mes affaires.

Mon sort va basculer durant cette journée ;

C’est vrai, j’en ai rêvé ; aussi j’en ai pleuré.

Je ne sais pas vraiment s’il faut me désoler

Ou bien me réjouir…

... Quand tu auras tout fait

Va prêter attention à ce que dit la suite

Du roi Antiochos : je veux connaître vite

Quelle disposition on montre à mon égard.

Je ne peux seulement dépendre du hasard.

Nos hôtes venus hier ont pu se reposer ;

Je sais qu’il ne faut pas me montrer empressée,

Mais je ne l’ai pas vu depuis bien trop longtemps,

Lorsqu’enfants nous avions des jeux très innocents.

Cependant aujourd’hui, plus aucun souvenir

De ces moments passés ne peut me revenir.

Tente de m’obtenir un entretien céans

Avant que ne soient pris quelques engagements.

Je voudrais découvrir si nos cœurs incertains

D’un amour qui peut naître en deviendront l’écrin.

Je chercherai à voir dans son port et sa voix

Si je puis sans trembler lui confier ma foi.

En ce jour, Antiochos, le roi de Commagène, rend visite à Julius Marcus Agrippa, le jeune roi de Chalcis, épimélète10 du temple de Jérusalem et frère aîné de Drusilla. Elle allait revoir ce Seigneur, le père d’Archelaus Antiochius Épiphane11 qui serait bientôt son époux, comme il fût décidé six ans plutôt par un père, hélas depuis décédé. Son frère Agrippa lui avait confirmé qu’il accomplirait le vœu paternel pour sceller l’amitié entre la grande Palestine et la Commagène. Drusilla avait grandi avec cette certitude ; il fallait maintenant confirmer son destin de reine, semblablement à sa sœur aînée Bérénice qui venait de perdre son second mari, Hérode.

Mais Drusilla craignait que son promis, qu’elle n’avait pas revu depuis des années, ne lui convînt pas. Si tel était le cas, elle se sentait prête à renoncer à cette couronne qui ne saurait lui offrir aussi l’amour. Enfin, après trop longtemps, la servante revint.

Drusilla

Eh alors Thalia ? Dans les appartements

Des hôtes d’Agrippa, dis-moi ce qu’on entend !

As-tu vu Épiphane ? Est-ce encore un enfant ?

Et qu’espère son père ? Que dit-on dans ses rangs ?

Quels mots as-tu captés ? Quelles sont les allusions ?

Au mariage, à mon nom ; parle-t-on d’une union ?

As-tu pu m’obtenir un entretien discret ?

Le crois-tu disposé à venir me parler ?

Thalia

Madame, vous savez qu’Épiphane a votre âge.

Il est homme déjà ; et parmi les hommages

Qu’on lui rend très souvent, la noblesse et l’honneur

Sont toujours évoqués pour témoin d’un grand cœur.

Ni le prince ou le roi, je n’ai pu entrevoir

Mais n’ai rien entendu qui pût vous décevoir.

J’ai appris qu’Agrippa dans un prochain instant

Reçoit Antiochos en son appartement.

Certes vont-ils parler du futur hyménée

Et régler les détails de ces festivités.

Il n’en faut plus douter, bientôt Samosata12

Connaîtra votre nom et vous acclamera.

Drusilla

C’est le vœu de mon père. C’est donc aussi le mien.

Thalia

Mais que dites-vous là ? Auriez-vous du chagrin ?

J’entends dans vos propos percer l’hésitation.

Vous avez mérité cette éclatante union

Qui sert les intérêts de notre Palestine

À laquelle le roi Agrippa se destine.

Drusilla

Et pourquoi mon union va-t-elle servir mon frère ?

Du Séleucide roi que faut-il que j’espère ?

Sans doute Antiochos est un homme puissant

Qui sait faire avancer auprès des courtisans

Ses propres intérêts, pour ainsi conquérir

Les faveurs de César. Cependant, pour tout dire,

Pourquoi sacrifier son pouvoir d’influence

À la Judée qu’il voit avec indifférence.

Que va-t-il y gagner ? Quel sera son succès ?

Thalia

Son unique paiement est que vous entriez

Dans le lit de son fils et ainsi assuriez

Madame, que son sang pourra toujours régner.

Drusilla

De ces ambitions, qu’adviendra-t-il de moi ?

Pour son bonheur faut-il se marier à un roi ?

Sans répondre Thalia se remit aux préparatifs. Les sentiments confus et contradictoires de sa jeune maîtresse ne la surprenaient plus. Elle la savait pressée d’être couronnée pour sortir définitivement de l’enfance. Même si elle avait grandi baignée dans la certitude de ce mariage, elle ressentait que ce titre de reine pût ne pas lui convenir. Drusilla avait très tôt perçu que les apparences des choses ne lui suffiraient pas. La jeune fille se débattait entre son appréhension qu’Épiphane lui déplût et la perspective de devenir reine. Parfois elle éprouvait des envies de revoir Rome et d’y vivre fastueusement en princesse à la cour, mais ses songeries de jeune fille lui faisaient espérer d’autres émotions.

Drusilla

Tu ne me réponds pas ? Approuves-tu ce choix ?

Mais toi qui as connu un époux autrefois,

Peut-on aimer celui que l’on n’a pas choisi ?

Je voudrais m’assurer que me plaît mon mari.

Je ne conteste pas ce qu’a voulu mon père,

Mais je crains d’affronter une union trop austère.

Très chère Thalia, aide-moi à passer

Ces instants incertains où va se révéler

Si je puis espérer de vivre en amoureuse

Ou si pour moi s’annonce une existence affreuse.

Thalia

On ne se marie pas, Madame, pour l’amour.

Même si quelquefois, il se trouve au détour.

Une coalition, l’intérêt d’un pays,

Préparer l’avenir pour une dynastie

Pour les princesses sont les uniques raisons

Qui doivent les conduire à conclure une union.

Ne vous alarmez pas. Par bien d’autres façons

Vous pourrez de l’amour connaître les frissons.

Votre gloire qui vient, fera très vite naître

Une cour d’où l’amour pourrait bien apparaître.

Tous voudront contenter votre moindre désir,

Ils rivaliseront à vous faire plaisir,

Pour gagner votre cœur et bientôt votre lit.

Vous choisirez celui dont vous aurez envie.

Et si avec le temps vous avez d’autres vœux

Cédez selon vos choix à d’autres amoureux.

Drusilla

Dieu, quel triste avenir auquel tu me destines !

Faut-il me préparer aux intrigues badines,

Aux artifices vains, l’art de la séduction,

À pratiquer les jeux de la domination ?

Ne puis-je seulement espérer être aimée

Pour mes seules vertus ?

Thalia

Mais oui, vous le serez.

Drusilla

Mais quel incertain sort aurai-je à éprouver ?

L’intérêt des états néglige les amours,

Pressant les souverains à changer sans détour

L’épouse dédaignée au profit d’alliances,

Méprisant les transports avec de l’inconstance.

J’ambitionne d’aimer aussi celui qui m’aime

Sans devoir devenir une autre que moi-même.

Coiffée du diadème, me faudra-t-il trahir

Ou serai-je trahie, ce qui me serait pire ?

Thalia

Sans doute autour de vous, les exemples sont rares

D’un hyménée heureux qui ne meurt tôt ou tard

Sous les coups assassins, soit de la jalousie,

Soit de l’ambition encore inassouvie

De l’un des deux amants. Patientez encore

Avant que de pleurer pour voir ce que le sort

Vous aura préparé avec ce fiancé,

Qui attend d’être aimé et de vous vénérer.

Drusilla

Puisses-tu présager que je n’aurai à vivre

Nul tourment d’une ardeur à laquelle on me livre.

Car si tous mes espoirs se changent en regrets

Le chagrin pourrait bien pour longtemps m’accabler.

1.2 Drusilla, Mariamne, Thalia

À ce moment une servante empressée vint annoncer la venue de Mariamne qui désirait la voir avant l’audience officielle qui allait rassembler toute la cour en l’honneur des invités venus de Commagène. En voyant sa sœur arriver, Drusilla vint se blottir dans ses bras. Les deux sœurs étaient proches. Mariamne, de cinq années plus âgée, avait depuis toujours été la compagne de ses jeux d’enfants. La complicité et la tendresse de sa sœur aînée étaient une source de réconfort permanent dans ce monde qui lui apparaissait hostile. Elle comptait sur son soutien pour faire face à ces prochaines heures qui l’inquiétaient et la réjouissaient tout autant.

Mariamne

Eh bien ma chère sœur, t’es-tu bien préparée

Pour que cette journée couronne ton succès ?

Car aujourd’hui enfin doit être décidé

Si les deux rois d’accord confirment leur souhait.

Tous vont chercher à voir dans le fond de tes yeux

Si pour toi Épiphane est un futur heureux.

Ta destinée, ma sœur, se résout aujourd’hui

Avec la réception de ton futur mari.

Drusilla

Mariamne, ta visite apaise mes frayeurs.

Je crains de découvrir dans les prochaines heures

Combien ma destinée ne sera si heureuse

Qu’en mes seuls songes qui la firent généreuse.

Je redoute bien sûr de ne pas être aimée

Et sans doute encor plus de ne pouvoir aimer.

Il me faut ton soutien pour apaiser mon cœur

Car seuls peuvent tes mots atténuer mes pleurs.

Mariamne

Tes craintes, je le vois, perturbent tes esprits

Et ton âme est plongée dans la mélancolie.

Ne sois point agitée. Si tu vas rencontrer,

Celui auquel on t’a de longtemps destinée,

Ce futur souverain auquel on t’a promise,

Qui donc t’a demandé d’en devenir soumise ?

Le roi Antiochos est venu jusqu’à nous

Pour discuter du sort des deux futurs époux.

Durant cette journée devrait se décider

Quand ces noces seront, s’ils les ont confirmées.

Mais ma bien-aimée sœur, je reste auprès de toi

Pour affronter leur choix. Tu peux compter sur moi.

Sans blesser l’allié, ni troubler notre frère,

Malgré l’engagement qu’avait pris notre père

Toutes les deux unies, nous nous opposerons

À ce que se contracte une odieuse union.

Et si pour préserver l’intérêt d’Agrippa

Nous devons proposer de nouveaux candidats

Pour mélanger nos sangs, il sera bien quelqu’une

En nos rangs qui fera une épouse opportune.

Aussi profite donc de ce moment de gloire

Et vis cette journée comme un moment d’espoir.

Drusilla

Comme toujours tu sais prononcer ces paroles

Qui apaisent mon âme et sitôt me consolent.

Mais qui donc pourrait bien venir me remplacer ?

Aucune de mes sœurs ne devra pallier

Ma faiblesse coupable ; aussi autant mourir

Plutôt qu’envisager vous la faire subir.

Et je ne vois personne assez proche du roi

Qui put pour l’alliance offrir un autre choix.

Je ferai mon devoir. J’y suis bien décidée.

Car c’est mon avenir qu’il me faut affronter

Si tu restes avec moi, je saurai faire face

À un destin hostile si naît cette menace.

Mais si c’est le bonheur que je puis entrevoir

Avec toi je voudrais partager mes espoirs.

Pourras-tu m’enseigner comment je puis lui plaire,

Comment me comporter pour que je le conquière ?

Demeure à mes côtés que je puise en tes yeux

La force de pouvoir me tenir à ces vœux.

Craignant d’être troublée par le bruit de la foule

Il me faut assurer que mes larmes ne coulent.

Si je veux en effet éviter de pleurer

C’est son cœur avant tout que je veux questionner.

Fais-le venir à moi, avant que ne s’assemble

L’envieuse cour qui doit ignorer que je tremble.

Mariamne

En sortant j’irai voir Iotapa et son fils

Proposer qu’un moment enfin vous réunisse.

Thalia qui était sortie quelques instants durant la conversation pour chercher quelque objet nécessaire à la préparation de sa maîtresse, revint et interrompit les deux jeunes femmes.

Thalia

Madame, votre sœur vient vous rendre visite.

Elle vient s’assurer que par votre conduite

Vous servirez la gloire attachée à son sang

En apparaissant digne en ces prochains instants.

Mariamne

Si Bérénice vient si vite s’enquérir

De tes dispositions, faut-il s’en réjouir ?

Vient-elle découvrir à quel point tes désirs

Peuvent lui profiter ou bien la desservir ?

Drusilla

Ne sois pas aussi dure. C’est notre sœur aînée

Tu devrais lui montrer et amour et respect.

Mariamne

Elle les revendique et les tient pour sincères

Mais ses seuls intérêts sont ceux de notre frère.

Je ne veux pas ici troubler cette affection

Qui vous lie. Quant à moi ce n’est qu’ambition.

Tout ce qu’elle entreprend, tout ce qu’elle combine

Ne sert que des projets qu’elle seule imagine.

Vois comment sans débat elle prétend rester

La reine de Chalcis, osant même offenser

La femme d’Agrippa13 qui s’est vue écartée

De tout rôle officiel aussi bien que privé.

Drusilla

J’ai besoin aujourd’hui que les miens me soutiennent.

Je demande humblement ici que tu t’abstiennes

D’émettre ces reproches. Que trois sœurs réunies

Avancent à la cour en accordé parti.

Chacune nous pouvons espérer un destin

Dont la prospérité viendra de nos liens.

Mariamne

Je promets que je vais éviter d’énoncer

D’acrimonieux propos qui pourraient te blesser.

Mais voici que j’entends arriver Bérénice

Drusilla

Soyez auprès du roi mes deux ambassadrices.

1.3 Drusilla, Mariamne, Bérénice

En arrivant au pouvoir, l’empereur Claude avait dû prendre des décisions apaisantes. Caligula avait semé la colère parmi la diaspora juive, notamment en voulant imposer sa statue dans les temples qui bannissent toute iconographie ; il avait égalementpris parti en faveur des Grecs d’Alexandrie contre les Juifs. Claude, le nouvel empereur, rappela fort heureusement que l’égalité avec les Grecs s’appliquait, ainsi qu’Alexandre le Grand lui-même l’avait décidé en accordant aux Juifs le droit de vivre selon leurs lois.

Il extirpa aussi Alexandre Lysimaque de la prison où l’avait jeté Caligula. Lysimaque était très riche. Il avait su se montrer très généreux, rendant de nombreux services à Claude lui-même et à sa mère Antonia Minor. Il fut d’ailleurs l’un des rares Juifs d’Alexandrie à devenir citoyen romain. Ses amitiés le liaient aussi à Agrippa Ier, le père de Bérénice, auquel il avait apporté son concours financier dans sa tentative de récupérer la couronne palestinienne. Devenu roi de Judée, première brique de cette reconquête, Agrippa Ier, avec l’approbation de Claude, promit ainsi sa fille Bérénice à l’un des fils de Lysimaque, Marcus Alexander.

Bérénice, encore très jeune, l’avait donc épousé14. Mais ce premier mari mourut très tôt. Elle revint d’Alexandrie pour être remariée à son Oncle Hérode15 alors roi de Chalcis. Hérode de Chalcis mourut moins de trois ans après ce mariage, laissant Bérénice avec deux enfants, Bérénicien et Hyrcan. Veuve à nouveau, elle était restée en Chalcis, puisque c’était son frère Agrippa II qui venait de récupérer le titre. À quelle future union fallait-elle qu’elle se préparât ?

Bérénice entra d’un pas décidé. Elle vint embrasser Drusilla sans un regard pour Mariamne. Thalia sortit sans que la reine n’eût besoin de lui demander. Bérénice comprenait bien comment un rapprochement avec la Commagène pourrait servir les intérêts de sa famille. Si des guerres avaient autrefois émaillé ses relations avec la grande Palestine, aujourd’hui cet État voisin était un allié qu’il fallait s’assurer. Nul ne voulait revivre les invasions passées qui avaient conduit jusqu’au pillage du temple16 de Jérusalem. L’espoir de reformer la Palestine telle que celle gouvernée par le roi Agrippa Ier, réclamait des alliances habiles. Et quelle meilleure alliance que l’ami de leur père, le roi Antiochos de Commagène, qui avait toujours su influencer Rome. Elle venait s’assurer que Drusilla s’apprêtait à déployer tous ses charmes pour séduire son fils Épiphane et ne pas déplaire au père.

Bérénice

Ma chère Drusilla, je constate avec joie

Que tu t’es préparée pour honorer le roi.

Use de tes attraits pour séduire Épiphane ;

Par tes charmes prévaux contre les courtisanes ;

Ce trône qui t’attend prépare un avenir

Dont le prestige doit vraiment te réjouir.

Drusilla

Bérénice, je crains de tous vous décevoir.