Du sang sur les crocs - Marie Le Vaillant - E-Book

Du sang sur les crocs E-Book

Marie Le Vaillant

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Beschreibung

La vérité sur l'existence des vampires éclate au grand jour.

Washington, 2016
Depuis des siècles, les vampires vivent cachés de tous. Mais leur secret est mis en péril lorsque l'un d’eux assassine des humains au grand jour. Surnommé le Buveur, il semble choisir ses victimes totalement au hasard.
Isabelle Taylor, à la tête de l'équipe du FBI chargée d'arrêter le Buveur, est contrainte d'accepter l'aide de William Peterson, un ancien agent du FBI. Elle ignore que Peterson, envoyé par les vampires, a pour réelle mission de détourner les humains de la vérité. Entre mensonges, secrets, rancœurs et trahisons, rien n'est jamais joué d'avance…

Plongez-vous sans plus attendre dans le premier tome d'une série fantastique où vampires et humain se font face dans une lutte sans merci.

EXTRAIT

Sous le choc, Isabelle ne dit rien. Sa vision se brouilla et un flot de larmes s’abattit sur ses joues.
Indécis, Kinger semblait hésiter entre s’enfuir en courant et lui toucher le bras pour la réconforter. Il n’en fit rien, impuissant.
Tous deux sursautèrent lorsque la porte s’ouvrit subitement. Jeremy Sullivan entra et se posta derrière Isabelle, posant une main sur le dossier de sa chaise.
— Que se passe-t-il ?
Taylor tourna machinalement la tête, apercevant au passage le reste de l’équipe, agglutiné à l’entrée. Malgré sa tristesse, cela lui fit chaud au cœur. Magaly et Cole, l’air aussi inquiet que Jeremy, lui adressèrent un sourire qui se voulait réconfortant. Sourire qui disparut dès lors qu’ils apprirent la nouvelle.
Cole lâcha une bordée de jurons avant de sortir au pas de charge en claquant la porte si violemment que toute la pièce trembla. Magaly le suivit lentement, en vacillant, sous le choc, tandis que Jeremy, les yeux dans le vague, semblait complètement absent. Il ferma les yeux, le visage sans expression, comme s’il voulait empêcher ses émotions de s’en échapper.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Marie Le Vaillant est une jeune étudiante angevine. Très grande lectrice, elle prend rapidement conscience de sa passion pour l’écriture. La découverte de la plateforme Wattpad l’amène à y publier ses écrits. À seize ans, elle termine le premier tome de sa série fantastique Du sang sur les crocs. Un an plus tard, elle voit son rêve de se faire éditer se réaliser.

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Du sang

 sur

les crocs

Tome 1

01 ~ Isabelle Taylor

Isabelle Taylor se réveilla en sursaut, le front trempé de sueur. Son cœur battait la chamade et elle se redressa tant bien que mal. Le jour commençait à peine à poindre et la pénombre régnait dans la chambre, faisant ressortir les ombres déformées de la pièce, aggravant son angoisse.

— Tu as rêvé, murmura Tommy Curt, allongé près d’elle. Encore.

Malgré son état, Isabelle saisit parfaitement le sous-entendu dans la voix de son fiancé. Il n’était pas rare qu’elle fasse des cauchemars à cause de son travail au sein du FBI mais, depuis quelque temps, ça avait empiré. Depuis qu’elle était sur cette nouvelle affaire de tueur en série, précisément. Depuis que Rolls, le chef de leur unité, avait accepté cette enquête.

Pourtant, pour rien au monde elle n’aurait arrêté. Isabelle adorait son travail. Tommy aurait dû la comprendre. Après tout, lui aussi travaillait pour le FBI. Certes, il était analyste et non pas agent comme elle, mais combien de nuits blanches avait-il passées à plancher sur une affaire qu’on lui avait confiée ? Beaucoup. Ces nuits-là, elle s’endormait bercée par la musique des touches qu’il martelait sur son ordinateur portable. Et lorsqu’elle se réveillait, il était toujours là, figé dans la même position, les yeux plissés par la concentration.

— Ça va ? questionna Tommy en se relevant sur un coude pour la regarder.

Elle hocha la tête sans répondre, le cœur battant encore trop vite. La terreur provoquée par le cauchemar s’attardait en elle. Elle se força à respirer calmement. Ce n’était qu’un rêve.

— Tu devrais souffler un peu, lâcha-t-il, prendre des vacances. Te reposer.

Agacée, Isabelle roula sur le côté pour se retrouver face à lui. Les cheveux châtains bouclés un peu trop longs de son fiancé lui chatouillèrent le cou. C’était l’hôpital qui se foutait de la charité !

— Comme toi ? le provoqua-t-elle.

Il soupira et se laissa retomber sur l’oreiller. Lui aussi travaillait énormément. Aucun d’eux n’avait pris de vacances, ou bien ne serait-ce qu’un week-end complet, depuis un bout de temps. Soudain nostalgique, Isabelle se rappela leurs premiers temps ensemble, où ils enchaînaient les surprises et les petits bonheurs à deux. Hélas, ce temps semblait révolu...

— On pourrait peut-être en prendre tous les deux, souffla-t-il d’une voix grave qui la fit frissonner.

Elle sourit, tout agacement oublié. Ce serait génial, oui. Depuis quelque temps, elle avait l’impression qu’ils s’éloignaient. Ils se croisaient le matin et le soir, avant et après le travail. Mangeaient rarement ensemble, parlaient peu. Seulement... L’affaire en cours était bien trop importante pour qu’elle se permette de faire une pause. Elle accaparait son esprit, jour et nuit.

— Pourquoi pas ? Dès que mon affaire sera résolue ?

Tommy ne répondit pas et elle sentit son cœur se serrer. Dans son regard, elle vit tout ce qu’il ne lui disait pas. Qu’il n’y croyait pas. Que, affaire terminée ou pas, elle ne prendrait pas de vacances. Et le pire, c’est qu’elle craignait qu’il n’ait raison. Son travail passait avant tout le reste...

Isabelle lui tourna le dos, tentant de se rendormir. Peine perdue. Ses pensées la ramenaient sans cesse à l’affaire en cours. Trois meurtres en une semaine. Neuf en moins d’un mois. Et, malgré tous leurs efforts, ils avaient été incapables de les empêcher. Les dernières semaines avaient été éprouvantes. Le meurtrier semblait absolument insaisissable. Toutes les victimes avaient été retrouvées partiellement vidées de leur sang. C’était là le plus dingue : le tueur ne se contentait pas d’assassiner ses victimes, non. Il leur prélevait du sang. Sans doute était-ce une sorte de trophée aussi tordu que monstrueux... Ils avaient fini par lui donner un surnom : le Buveur. C’était lugubre, certes, mais au moins, on savait immédiatement de qui on parlait.

Le mode opératoire ne variait jamais. Mort par strangulation. Le médecin légiste en avait conclu, d’après les marques sur la gorge des victimes, qu’il s’agissait certainement d’un homme. Le meurtrier avait de grandes mains et une force herculéenne. Allez donc trouver une personne précise avec cette description à Washington... Autant chercher un morceau d’aiguille microscopique dans un champ de bottes de foin. Ils avaient affaire à un professionnel, quelqu’un de sûr de lui, de suffisamment malin et doué pour ne laisser aucune preuve. Un maniaque de la propreté, compte tenu de la scène de crime toujours impeccable, prudent et calculateur. Un tueur en série. Mais pourtant, alors qu’il faisait preuve de tant de minutie, toutes ses victimes semblaient être choisies au hasard. Il y avait un professeur des écoles, une jeune célibataire, un milliardaire égocentrique, un policier, une petite fille, un instructeur de jiu-jitsu, un serveur d’à peine vingt ans, un gardien d’immeuble.

Quant à la dernière victime, elle n’avait pas encore été identifiée : un homme dans la cinquantaine, les cheveux grisonnants, pourtant parfaitement en forme – enfin, plus maintenant, bien entendu. Ses empreintes n’avaient rien donné, aucun de ses proches ne s’était manifesté. Impossible de lui donner un nom.

Isabelle sentait le découragement l’assaillir. Et s’ils ne parvenaient pas à l’arrêter ? Tant que le Buveur était dans la nature, tout le monde était en danger. Il fallait qu’ils lui mettent le grappin dessus, et le plus vite possible. C’était une question de vie ou de mort.

***

— Isabelle, dans mon bureau, lança sèchement Derek Kinger en jetant à peine un regard à l’agente.

Isabelle fronça les sourcils, surprise. Derek était d’un naturel affable et toujours de bonne humeur. Il ne l’avait encore jamais convoquée de la sorte.

Ça faisait un bout de temps qu’Isabelle travaillait pour le FBI. Depuis plus de quatre ans, elle faisait partie d’une des divisions chargées de résoudre les affaires de meurtres. L’équipe était soudée, leur chef compréhensif et compétent. Pourtant, aujourd’hui, quelque chose n’allait pas. Elle le sentait. Elle l’observa se diriger vers son bureau. Elle avait toujours été douée pour cerner les gens, décrypter leurs émotions. Kinger s’efforçait de paraître naturel et se comportait comme à son habitude, mais elle sentait que quelque chose clochait. Il marchait rapidement, les épaules affaissées. Il se laissa tomber dans son fauteuil avec lassitude et se passa une main sur la figure. Son visage était complètement fermé, figé dans un masque de dureté qui ne lui ressemblait pas. Inquiète, Isabelle le rejoignit.

— Asseyez-vous, ordonna-t-il.

Sa voix était étrange, comme si chaque mot lui coûtait. Il fixait le mur en face d’elle, refusant de la regarder dans les yeux. Isabelle sentit sa gorge se serrer. Son estomac se tordit. Que se passait-il ?

— Isabelle, je... commença-t-il.

Il soupira, le regard dans le vague. Hésita, avant de lâcher d’un trait, comme si les mots lui brûlaient les lèvres :

— L’agent Rolls a été assassiné. Je suis navré.

Taylor ne réagit pas. Il lui sembla soudain que le temps s’arrêtait. C’était impossible. La vue brouillée de larmes contenues, elle secoua mécaniquement la tête. Non. Derek allait se mettre à rire et lui avouer qu’il s’agissait d’une plaisanterie. C’était évident.

Mais son patron restait sérieux, dissimulant sa douleur sous son habituel masque d’indifférence. Isabelle sentit son cœur accélérer sous l’effet de la tristesse. Doug Rolls, le dirigeant de l’équipe, ne pouvait pas être mort... C’était absolument impossible...

Une larme roula sur sa joue. Elle ferma les yeux, sans se soucier de la retenir.

— Non... souffla-t-elle.

Doug était l’un des meilleurs agents. Il avait survécu à nombre de fusillades, de situations extrêmement dangereuses. Il était sans aucun doute le meilleur de l’équipe. Il ne pouvait pas être mort !

Doug était sans conteste le meilleur supérieur qu’Isabelle n’ait jamais eu. Et elle savait que le reste de l’équipe était d’accord avec elle. Rolls savait toujours quelles étaient les décisions à prendre. Rien ne lui échappait. Il se préoccupait de son équipe, se montrait toujours juste. Son sens de l’humour laissait certes à désirer, pourtant il parvenait à se faire apprécier et respecter de tous. Et maintenant, quoi ? Il était mort ? Comment était-ce possible ?

— Comment...

Le reste de sa question resta en suspens, cependant Derek avait parfaitement compris.

— Le Buveur, répondit-il d’une voix blanche. Tout porte à croire qu’il a été assassiné par le Buveur.

Sous le choc, Isabelle ne dit rien. Sa vision se brouilla et un flot de larmes s’abattit sur ses joues.

Indécis, Kinger semblait hésiter entre s’enfuir en courant et lui toucher le bras pour la réconforter. Il n’en fit rien, impuissant.

Tous deux sursautèrent lorsque la porte s’ouvrit subitement. Jeremy Sullivan entra et se posta derrière Isabelle, posant une main sur le dossier de sa chaise.

— Que se passe-t-il ?

Taylor tourna machinalement la tête, apercevant au passage le reste de l’équipe, agglutiné à l’entrée. Malgré sa tristesse, cela lui fit chaud au cœur. Magaly et Cole, l’air aussi inquiet que Jeremy, lui adressèrent un sourire qui se voulait réconfortant. Sourire qui disparut dès lors qu’ils apprirent la nouvelle.

Cole lâcha une bordée de jurons avant de sortir au pas de charge en claquant la porte si violemment que toute la pièce trembla. Magaly le suivit lentement, en vacillant, sous le choc, tandis que Jeremy, les yeux dans le vague, semblait complètement absent. Il ferma les yeux, le visage sans expression, comme s’il voulait empêcher ses émotions de s’en échapper.

***

2 semaines plus tard.

Isabelle était assise à son bureau, le regard perdu dans le vague. Elle entendit Magaly sermonner Cole et pester avec agacement. La benjamine de l’équipe tentait de tenir le coup, comme eux tous, chacun à leur manière. Déjà froide et distante avant, elle ne s’était pas arrangée. Depuis la mort – l’assassinat, se corrigea aussitôt Isabelle en sentant son estomac se tordre – de Doug, résoudre l’affaire était devenu une véritable obsession pour elle. Bien sûr, tous voulaient arrêter le coupable, pour faire cesser les meurtres et, surtout, pour venger Rolls. Mais Magaly y travaillait en permanence. Elle dormait à peine, ne prenait aucune pause, passant son temps libre à retravailler, encore et encore, sur l’affaire. Ils avaient bien sûr essayé de la convaincre de se reposer, inquiets à la vision des cernes qui s’accumulaient sous ses yeux, mais elle leur avait clairement fait comprendre qu’il n’en était pas question.

Cole s’était mis à boire. Tous les soirs, l’Écossais faisait la tournée des bars de la ville jusqu’à finir ivre mort. Il ne s’en était bien sûr pas vanté, mais toute l’équipe l’avait vite compris. Il sentait l’alcool à des kilomètres à la ronde. Aucun d’eux n’avait rien dit, espérant que ça finirait par lui passer. Parce que ce serait forcément le cas, n’est-ce pas ?

Quant à Jeremy, elle ignorait complètement comment il tenait le coup. Entre tous, il était le plus proche de Doug, bien qu’étant arrivé le dernier dans l’équipe. Sa mort l’avait forcément affecté, mais il n’en laissait rien paraître. Il prenait soin de toute l’équipe, comme il l’avait toujours fait. Isabelle ne pouvait s’empêcher d’être stupéfaite. Elle-même avait un mal fou à s’en remettre. Sans Tommy, elle aurait sans doute fini par faire comme Magaly, se perdre dans le travail pour essayer de ne pas y penser. Mais son compagnon, dès qu’elle rentrait, éteignait les ordinateurs. Ils passaient la soirée ensemble, à regarder des films qu’elle ne suivait pas vraiment, perdue dans ses pensées. Aussi horrible que ça puisse paraître, il lui semblait que le décès de son chef les avait rapprochés, Tommy et elle.

Elle aurait préféré être capable de mieux contrôler ses émotions, de se comporter comme une adulte responsable. Quand on est enfant, on s’imagine qu’on grandira en devenant adolescent. Une fois ado, on pense que ce sera le cas lorsque l’on sera tout à fait adulte. Et puis, l’âge adulte atteint, on se rend compte que ça ne fonctionne pas comme ça. Rien ne se gagne uniquement avec l’âge, tout s’apprend. Pour le meilleur et pour le pire...

Isabelle avait été nommée nouveau chef de l’équipe. Elle ignorait pourquoi : elle n’avait absolument pas les qualités requises, lui semblait-il. D’abord, elle était trop sensible et incapable de dissimuler ses émotions. Et puis elle n’était pas faite pour diriger qui que ce soit. Mais les autres membres de l’équipe semblaient trouver ça tout à fait normal. Prendre ainsi la place de Doug lui faisait horriblement mal. Pourtant, il fallait bien que quelqu’un s’en charge...

Elle observa Jeremy, se demandant s’il ne faisait pas comme elle : s’effondrer chez lui et tenter de faire bonne figure au boulot. Elle en doutait. Avec son calme à toute épreuve, il aurait été bien mieux qualifié qu’elle pour prendre la tête de l’équipe. Mais il avait intégré leur unité en dernier, alors qu’elle était, après Doug, la plus ancienne de l’équipe. Cependant, il lui semblait qu’il travaillait au FBI depuis plus longtemps qu’elle.

Il tourna la tête et croisa son regard. Il avait des yeux incroyables, d’un bleu si intense qu’elle avait presque du mal à soutenir son regard. Elle ne l’avait que rarement vu en colère mais, lorsque c’était le cas, ses yeux passaient à un bleu foncé pratiquement noir.

Isabelle secoua la tête comme pour s’extirper de ses pensées. L’enquête piétinait. Chaque semaine continuait à apporter son lot de cadavres, sans qu’ils avancent pour autant. Ce qui rendait les choses encore plus difficiles à supporter. Non seulement le meurtrier de Doug courait toujours, mais il continuait à tuer, causant toujours plus de souffrances. Dehors, les gens commençaient à avoir peur. Ils craignaient de sortir de chez eux, s’inquiétaient pour leurs proches. Comme elle les comprenait...

02 ~ William Peterson

L’espace d’un instant, il crut qu’il n’en serait pas capable. Il faillit faire demi-tour, le visage figé dans un masque insondable. Quelqu’un le frôla et son estomac se tordit. Mais ce n’était pas la faim, ou plutôt la soif, cette soif de sang qui le taraudait inlassablement lorsqu’il ne s’était pas nourri depuis trop longtemps. Non. Pas cette fois. Il aurait préféré, pourtant. La faim était bien plus contrôlable que la peur. Cette peur dévorante qui lui retournait l’estomac, qui le mettait aux aguets et augmentait chacun de ses sens. Il entendait son propre cœur battre à ses oreilles et pulser dans ses tempes. Mais, surtout, il sentait chaque pulsation que le sang émettait dans les veines de ceux qui passaient près de lui. Leur cœur qui battait bien plus lentement que le sien. Il inspira profondément. Mauvaise idée. L’odeur du sang qui courait dans chaque veine s’imprima dans ses narines et il tituba. Tenir bon. Ne pas céder. Si contrôler la faim était parfois difficile, maîtriser la peur s’avérait encore plus ardu. Chaque être devenait un ennemi potentiel.

Le seul danger ici, c’est toi, se morigéna-t-il. Pourtant, il savait que c’était faux. Dès qu’il mettrait les pieds dans le bâtiment, tout basculerait. Ses anciens collègues, ses anciens amis, le reconnaîtraient-ils ? Sans doute... Il avait peu changé. Une courte barbe de deux jours ornait son menton et ses cheveux avaient légèrement grisé, mais il était toujours le même. Grand et mince, les pommettes saillantes et les yeux gris-noirs, comme un ciel d’orage. Plus distant, sans doute, beaucoup plus méfiant, évidemment. Il devait rester sur ses gardes.

Aujourd’hui, il n’était plus le meilleur agent de sa promo, il n’était plus non plus le chef de son unité, ni un exemple pour toutes les autres recrues du FBI. À présent, il était considéré comme un traître. Et il serait traité comme tel, inutile de se bercer d’illusions. Warren, son supérieur au sein du clan de vampires, l’avait prévenu. Le chef – qui était aussi son père adoptif – s’était inquiété pour William, lui laissant clairement le choix. Il aurait pu lui imposer cette mission, mais il ne l’avait pas fait. Il était tellement différent de Miller, l’ancien dirigeant du Clan, mort peu de temps avant. Lui ne lui aurait pas laissé le choix. Il ordonnait, on obéissait. Point. William ne l’avait jamais vraiment apprécié.

William avait accepté la mission. Pourquoi ? Était-ce une ultime tentative de prouver qu’il n’avait pas trahi son pays ? Pourtant, il savait bien que c’était impossible. Ou bien avait-il simplement la nostalgie de son ancienne vie ? Avait-il voulu prouver sa valeur à Ralph Warren ? Ou bien était-ce autre chose ? Il l’ignorait. Il avait pris sa décision sur un coup de tête et, à présent paralysé par les doutes, hésitait à continuer. L’appréhension le figeait sur place. Il pouvait toujours rentrer et avouer à Warren qu’il n’en avait pas été capable. Warren trouverait une solution. Quelqu’un d’autre que lui se chargerait de détourner le FBI de la vérité sur les étranges meurtres qui avaient eu lieu récemment. La fuite était parfois ô combien plus facile que le combat... Depuis quelque temps, il ne cessait de fuir. Cela faisait-il de lui un lâche ? Peut-être. Sans doute, même. Il soupira, tentant d’imaginer, non pas la réaction de Warren, mais ce qu’il penserait alors de lui. Lui en voudrait-il ? Le mépriserait-il ? Sans doute pas. Et, en un sens, c’était sans doute cela, le pire. Warren ne serait pas en colère, il ne lui en voudrait pas, non. Il ne prêterait pas attention aux chuchotements méprisants des autres vampires. Il serait seulement déçu, bien qu’il le cacherait sans doute.

William serra les poings, le cœur au bord des lèvres. Était-il donc ainsi condamné à décevoir tout le monde ? D’abord ses parents, il y avait des années de cela. Puis le FBI. Ses amis. Son meilleur ami, qui avait été le frère qu’il n’avait jamais eu. Son pays. La liste était longue. Il avait déçu tant de gens... Peut-être finirait-il par s’habituer, après tout. Il hésita. Jeta un regard indécis derrière lui. Se retourna de nouveau, fixant l’entrée des locaux du FBI, quelques dizaines de mètres devant lui. Que fallait-il faire ?

Ce jour-là, comme tant d’autres jours, il n’eut pas le loisir de choisir. William hoqueta puis tomba à genoux, tandis que le grésillement d’un taser résonnait à ses oreilles. La douleur manqua lui faire perdre le contrôle. Gémissant, il s’effondra sur le bitume froid, laissant l’obscurité s’emparer de lui.

William cligna des yeux en reprenant lentement conscience. Il grimaça en sentant les bracelets métalliques le retenant à la chaise, maintenant solidement ses chevilles et poignets. Par pur réflexe, il faillit tenter de se libérer, sachant que les entraves ne résisteraient probablement pas à sa force vampirique. Il se retint in extremis. Il était parvenu à dissimuler sa véritable nature au FBI pendant tout le temps où il y avait travaillé, et il fallait qu’il continue de garder le secret. Si jamais les humains venaient à apprendre qu’ils côtoyaient des vampires, ce serait une catastrophe. La peur pousse toujours les gens à faire des choses horribles. Une guerre serait tout aussi dévastatrice pour les humains que pour les vampires, il en était conscient.

Il sentit la peur l’étreindre à nouveau. C’était une sensation étrange, bien que terriblement familière. Il aurait sans doute dû s’inquiéter de ce qui risquait de lui arriver. Leur plan était parfaitement peaufiné, mais il savait que les imprévus étaient inévitables. Et si le FBI refusait de l’écouter ? Il finirait sans doute en prison pour le restant de ses jours, ou, pire, aurait droit à la peine capitale. N’était-ce pas ce que l’on réservait aux traîtres ? Et pourtant, ce n’était pas ce qui le terrifiait, à présent. D’autant plus que Warren avait certainement des contacts au FBI, qui joueraient en sa faveur.

Mais il était trop tard pour faire marche arrière. Maintenant qu’il était de retour au FBI, il n’allait pas pouvoir les éviter. Et rien qu’à l’idée de la colère, du dégoût qu’il allait certainement lire dans les yeux de ses anciens collègues, il avait le cœur au bord des lèvres. Ils avaient été si proches, réunis par les difficultés de leur métier et les aléas de la vie... Mais ils croyaient qu’il les avait trahis. Il eut un sourire amer. Il avait toujours pensé plonger à cause de ce qu’il était. Un vampire. Mais il avait sombré à cause d’un crime dont il était innocent. Plutôt ironique, non ?

Avec un soupir, il fit le point sur sa situation. Il était dans le noir complet, enchaîné à une chaise. Il grimaça. Pas brillant.

Son ouïe surdéveloppée l’avertit que quelqu’un arrivait. Des pas rapides, claquant bruyamment sur le sol, tout près. La porte s’ouvrit, laissant enfin à William le loisir d’observer la pièce et le nouvel arrivant.

La salle n’était pas meublée. Rien qui aurait pu servir d’arme. Une seule sortie, une porte blindée que même sa force surhumaine ne parviendrait pas à vaincre. Il frissonna. Cet endroit était loin de lui être inconnu. Par les Lois Sanglantes, qu’il aurait aimé se trouver loin d’ici !

La chaise à laquelle il était enchaîné était fixée au sol, au milieu de la pièce, loin des murs. Seule une table, à un bon mètre de lui, meublait le reste de la salle. De toute évidence, ses anciens collègues le considéraient comme extrêmement dangereux. Et ils avaient raison, sur ce point : dangereux, il l’était. Et ils n’imaginaient même pas à quel point.

— William Peterson, n’est-ce pas ? Ça faisait un sacré bout de temps, dites-moi, commenta l’homme en s’approchant. Un de vos anciens collègues devrait arriver sous peu pour vous identifier officiellement. Une simple formalité, puisque vos empreintes correspondent.

William lutta pour ne pas réagir. Il n’y avait pas si longtemps, c’était lui qui interrogeait les suspects, dans cette même pièce.

Il se demanda lequel de ses anciens collègues allait venir. Sans doute Jemma, celle dont il avait été le moins proche. Ou bien Harold, qui s’était toujours montré plus distant. Mais il ne voulait pas avoir à leur faire face. Il les avait trahis et abandonnés ! Et même s’il savait qu’il avait fait le bon choix, ou plutôt qu’il n’avait pas eu le choix, il ne pouvait s’empêcher de regretter. Qu’allait-il bien pouvoir leur dire ?

— ...droit de garder le silence, continua son interlocuteur. Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous lors de votre procès.

William retint un sourire amusé. Oh oui, ce qu’il allait dire allait les intéresser, il n’y avait aucun doute.

Il dévisagea l’homme qui lui faisait face. Il était grand et mince, le visage à moitié dissimulé par une casquette bleue. Il leva un sourcil. La casquette faisait-elle partie d’un nouvel uniforme pour les agents ? Ridicule, songea-t-il.

— Dites, votre nom, c’est quoi déjà ? lança soudain William, interrompant net le monologue de l’homme, qui commençait à l’exaspérer.

— Je suis l’agent Fisher.

L’homme le dévisagea avec un intérêt mal-dissimulé. William frissonna, ayant soudain la très désagréable impression d’être une nouvelle espèce inconnue à ce jour sur le point de se faire disséquer.

— Agent Fisher, répéta machinalement William. Inutile de continuer la lecture de mes droits, je les connais parfaitement. Si vous me disiez plutôt quand arrivera le directeur – l’agent Bloom, c’est bien ça ?

— L’agent Bloom n’exerce plus, rétorqua Fisher. L’agent Kinger va arriver. Oh, tant que j’y pense : on m’a aussi chargé de vous remettre ceci.

Tout en parlant, Fisher avait tiré de sa poche un petit boîtier noir que William fixa avec stupeur. Les vampires se servaient du boîtier, un brouilleur, pour interrompre momentanément le signal d’un micro ou d’une caméra.

L’agent sourit et ses canines s’allongèrent soudain. Un vampire. Ce qui expliquait sans doute la casquette ridicule. Le vampire rétracta ses crocs puis tendit une poche de sang au prisonnier, la lui approchant suffisamment pour lui permettre d’y boire.

Le liquide rouge s’écoula doucement dans sa gorge, lui tirant un frisson. Il se rendit compte qu’il mourrait de faim. Combien de temps était-il resté inconscient ?

— Il faut que j’aille rendre son badge au véritable agent Fisher, lança le vampire, dès qu’il eut fini. Bonne chance.

L’homme cria quelque chose, la porte s’ouvrit et il sortit tranquillement.

Le soulagement l’envahit. Il se sentait mieux. Ralph couvrait ses arrières, comme d’habitude.

William sourit. Il n’était pas seul.

03 ~ William Peterson

Le nouveau directeur, Derek Kinger comme il s’était présenté, avait l’air d’excellente humeur. William se demanda si c’était sa capture qui le rendait si heureux ou si ce n’était qu’une façade. Les gens étaient rarement sincères. Mais son enthousiasme exagéré le rendait nerveux. Ce type était anormal.

Des yeux pétillants, un léger double menton, plutôt petit, vêtu d’un costume gris clair, il souriait et parlait avec affabilité. Mais la lecture des charges d’accusations sur un ton habituellement employé pour des poèmes de Noël paraissait extrêmement décalée. Il en était rendu à « délit de fuite » lorsque la porte s’ouvrit de nouveau. Trop occupé à écouter Kinger avec un intérêt stupéfait, William ne le reconnut pas tout de suite.

— C’est bien lui, lâcha le nouvel arrivant.

Sa voix causa un choc au prisonnier. Il savait qu’un de ces anciens collègues allait venir l’identifier, mais il s’était persuadé qu’il s’agirait de l’un de ceux dont il avait été le moins proche. Et pourtant, son meilleur ami, son complice de toujours, se tenait là, le visage figé dans un masque insondable. William l’observa en silence, le cœur martelant sa poitrine. Il ne voulait pas être là. Il aurait préféré se trouver n’importe où, avec n’importe qui. Mais pas là.

Son ancien équipier avait changé. Ces deux ans et demi avaient laissé leurs marques sur son visage. Jeremy Sullivan avait l’air terriblement plus vieux qu’avant. Ses cheveux noirs avaient viré au poivre et sel, le bleu incroyable de ses yeux avait gagné en intensité, rendant son regard encore plus difficile à soutenir. À moins que ce ne soit ses propres remords... Il avait maigri, aussi, et ses pommettes étaient encore plus saillantes que dans son souvenir. Sullivan avait l’air plus musclé. Son costume noir tombait impeccablement sur ses épaules et le mettait en valeur.

Jeremy avait toujours été très doué pour dissimuler ses émotions. De tous les membres de leur équipe, William avait été le seul à parvenir à décrypter les micro-signes presque invisibles, le seul à savoir comment il allait réellement. Mais à présent, tandis que son ancien ami le regardait froidement, le regard indéchiffrable, il était incapable de dire ce qu’il ressentait. Tristesse ? Colère ? Amertume ? Il tenta vainement de déterminer ce que Jeremy lui cachait, sans y parvenir. Il frissonna. Par les Lois Sanglantes, qu’est-ce qu’il avait changé !

Son ancien coéquipier s’assit derrière la table, à côté de Kinger. Son chef parut surpris mais le laissa faire. William jura intérieurement. Il ne voulait pas que Jeremy reste, qu’il le voie marchander avec des informations susceptibles de sauver la vie de dizaines de personnes pour sauver ses propres intérêts.

— Vous êtes dans un sacré pétrin, Peterson, commenta Derek d’une voix toujours aussi joyeuse. Accusé de trahison, fuite, et j’en passe. Autant dire que vous allez prendre gros. La trahison est passible de mort...

Il était prévu qu’il ne nie rien, se contente de rester silencieux jusqu’à faire cette offre que le FBI ne pourrait pas se permettre de refuser. Mais il sentait le regard de Jeremy peser sur ses épaules, lourd, si lourd... Il savait que l’apparence impassible de son ex-coéquipier n’était sans doute qu’une façade. Et la culpabilité qu’il éprouvait n’en était que plus difficile à supporter. Il ne supportait pas l’idée que son meilleur ami le haïsse pour un crime qu’il n’avait pas commis...

Les mots jaillirent d’eux-mêmes sans qu’il puisse les retenir.

— Je suis innocent.

Il avait parlé doucement, mais les deux agents l’avaient parfaitement entendu. Et Derek ne le croyait pas, il le lisait sur son visage.

— Les innocents ne s’enfuient pas avant de disparaître pendant plus de deux ans, rétorqua le directeur.

William serra les dents et ne répondit pas. Il savait que c’était peine perdue, Kinger ne le croirait jamais. Personne ne le croirait. Il s’en était lui-même assuré en partant. Et à présent, il en payait le prix.

— Quand bien même vous parviendriez à échapper à la peine capitale, vous finiriez en tôle pour le restant de vos jours, commenta le directeur. C’est fini, William. Le mieux que vous puissiez faire, c’est coopérer.

William soupira et s’adossa plus profondément au dossier de sa chaise. Les menottes grincèrent lorsqu’il bougea. Bien, il était temps de passer à la phase deux. L’espace d’un instant, il eut l’impression d’être revenu quelques années plus tôt, alors qu’il s’infiltrait ici et là pour le compte du FBI. Mentir en ayant l’air sincère. Il était doué pour ça, très doué, même.

— Je vois, fit-il, avec une petite moue. J’ai un marché à vous proposer.

Kinger secoua la tête.

— Il est trop tard pour ça, Peterson. Sauver votre peau, il fallait y penser avant.

— Je pense au contraire que ça pourrait vous intéresser.

Le directeur s’apprêtait à rétorquer, mais Jeremy lui fit signe de laisser le prisonnier parler. William lui lança un regard surpris.

— Le Buveur de Sang, souffla-t-il. Je peux vous aider à l’arrêter...

Derek se figea. Il tourna la tête vers Jeremy, dont le regard s’assombrissait de seconde en seconde. Les deux hommes semblaient sous le choc. Quelques années plus tôt, William aurait été ravi de parvenir à surprendre autant son coéquipier, lui qui semblait parfois si désabusé. Là, il comprit simplement qu’il avait touché juste. Et il n’y prenait aucun plaisir.

Jeremy sembla être le premier à se reprendre. Il plongea ses yeux si bleus dans ceux de William avant de lâcher, d’une voix glaciale :

— S’agit-il simplement de remuer le couteau dans la plaie, William ?

Le vampire le fixa sans comprendre, surpris. Son ancien ami ne cillait pas et William ne put s’empêcher de détourner le regard.

— Non, bien sûr que non, répondit-il enfin, la voix rauque. C’est la vérité. J’ignore encore qui il est, mais j’ai des informations...

— Nous vous écoutons. Le temps presse, dit Kinger.

William secoua lentement la tête.

— Je veux l’immunité, rétorqua-t-il. Et participer à l’enquête.

— Comment peux-tu demander cela ?

La remarque de Jeremy lui serra le cœur. Il détourna ostensiblement la tête. Il ne voulait pas que son ancien équipier croie qu’il marchandait avec la vie de tous ses innocents par pur égoïsme. Mais il le fallait. Il devait à tout prix gagner du temps, et détourner l’attention du FBI de ces meurtres. Le reste importait peu.

— Tu crois vraiment que l’on puisse t’accorder l’immunité après ce que tu as fait ? William. Tu te souviens du serment que l’on a prêté en entrant au FBI, n’est-ce pas ? Celui-là même que tu as rompu. Honore-le une dernière fois et aide-nous à arrêter le Buveur. Sans rien d’autre en retour.

Le visage de Jeremy était impassible, sa voix était calme. William inspira longuement, tentant vainement de repousser remords et tristesse, avant de plonger son regard dans celui de son ancien ami.

— Je ne peux pas. Accordez-moi l’immunité et je vous aiderai. Ou laissez les meurtres se produire et continuez de courir après un fantôme sur lequel vous ne mettrez peut-être jamais la main.

Je suis désolé, songea-t-il. Il aurait tellement aimé le lui dire. Mais il ne le pouvait pas, évidemment.

Les yeux de Jeremy flamboyèrent. Derek Kinger se leva et lui fit signe de sortir. La porte se referma derrière eux avec un claquement sec et William se retrouva seul.

Le vampire se concentra. La porte ne suffisait pas à arrêter son ouïe surdéveloppée.

— Il faut qu’on arrête le Buveur, lâcha Jeremy.

William haussa un sourcil surpris. Il aurait plutôt pensé que Jeremy s’opposerait à cet accord. Après tout, il devait tellement lui en vouloir...

— Mais à quel prix ? soupira Derek.

— Que préférez-vous ? Rendre justice aux morts ou bien sauver les vivants ? rétorqua-t-il.

— Honnêtement, j’aimerais pouvoir faire les deux...

— On ne peut pas.

— Je sais.

Le vampire sourit. Il avait vu juste. Bien sûr qu’ils allaient accepter. Les médias ne parlaient plus que de cette affaire, la peur se répandait dans toute la ville. L’inefficacité des forces de l’ordre était critiquée. Il fallait qu’ils arrêtent ce type.

— Je peux faire en sorte que vous ne soyez pas sur l’enquête, proposa Kinger.

— Il n’en est pas question, rétorqua Jeremy.

— Je m’en doutais. En revanche, je ne suis pas certain de pouvoir lui obtenir l’immunité. Je reviens.

Évidemment, Derek devait sans doute s’en remettre à ses supérieurs. L’espace d’un instant, William craignit qu’ils ne refusent. Avant de se rappeler que Ralph avait sans aucun doute tout prévu.

Lorsque les deux hommes réapparurent, William fit mine de les regarder avec inquiétude.

— Alors ? questionna-t-il.

— Que demandez-vous ?

— Je veux l’immunité et participer à l’enquête, je vous l’ai déjà dit, s’agaça-t-il.

— Je ne peux pas vous avoir l’immunité, rétorqua Kinger. En revanche, je peux vous obtenir une réduction de peine. Vous serez placé en résidence surveillée et porterez un bracelet électronique. Vous participerez à l’enquête mais ne serez évidemment pas armé. Deux gardes veilleront sur vous la journée, seront placés devant votre résidence la nuit, résidence que vous ne pourrez quitter qu’au matin, pour vous rendre directement au FBI. Et si jamais vous nous mentez, eh bien nous aurons encore plus de charges à ajouter à votre dossier, et vous serez alors certain de ne pas vous en sortir. C’est à prendre ou à laisser.

William sourit. Il avait gagné. Et, pourtant, il avait le cœur plus lourd que jamais.

— Je prends.

04 ~ Isabelle Taylor

Isabelle parcourut machinalement la salle du regard. Ce que venaient de leur apprendre Kinger et Jeremy était tout simplement dingue. L’agent William Peterson, tous en avaient déjà plus ou moins entendu parler. L’histoire du meilleur élément du FBI, directeur de l’une des unités les plus prometteuses, qui avait trahi son pays avant de fuir, tous la connaissaient. Et maintenant, Peterson réapparaissait après plus de deux ans de cavale, prétendant pouvoir les aider.

Cole et Magaly avaient l’air aussi stupéfaits qu’elle. McAllister se tourna vers Jeremy.

— C’est quoi, le rapport avec toi ?

Isabelle se posait la même question. Un peu plus tôt, un autre agent était venu chercher Jeremy. Celui-ci l’avait suivi silencieusement, ignorant les questions de son équipe. Puis il était revenu accompagné de Derek, le regard sombre.

Sullivan soupira et se passa une main dans les cheveux.

— J’étais le seul à pouvoir l’identifier. Des membres de son équipe, je suis le dernier à travailler encore ici.

Un silence estomaqué suivit sa déclaration. Aucun d’entre eux ne savait qu’il avait fait partie de l’unité de Peterson. Il fallait dire que, si le nom de William Peterson avait été sur toutes les lèvres, il en avait aussi éclipsé tous les autres. Les autres membres de son équipe étaient restés dans l’ombre.

Isabelle fixa son collègue avec des yeux ronds. Elle se rendit compte qu’elle savait peu de choses de son passé. Il n’en parlait jamais, esquivant toute question trop personnelle. Mais comment avait-il pu leur cacher une chose si importante ? Elle détestait les mensonges, par omission ou non.

— L’important, fit remarquer Derek, c’est d’arrêter le Buveur. Et pour la première fois, il se peut que nous ayons quelque chose. Bien sûr, vous pouvez refuser de travailler avec Peterson, agent Taylor, cependant...

— C’est d’accord, le coupa-t-elle aussitôt.

Elle voulait arrêter le Buveur. Il le fallait. Pour Doug. Peu importait le prix. La colère et la tristesse brûlaient en elle, brouillant peut-être un peu son jugement. Mais quelle importance ? Seule la justice comptait.

Derek hocha la tête avant de retourner dans son bureau.

— Tu ne nous avais jamais parlé de ça, fit doucement Isabelle en se tournant vers Jeremy, espérant le pousser à la confidence.

— L’occasion ne s’était jamais présentée, répondit-il avant de retourner s’asseoir à son bureau.

L’unité avait sa propre salle, aux murs transparents, excepté le symbole du FBI peint sur chacun d’entre eux. Le plafond d’un gris pâle accentuait la luminosité, donnant une salle claire et agréable. Chaque membre de l’équipe disposait de son propre bureau. Tous identiques, d’un gris sombre, plus ou moins encombrés. Plusieurs salles du même acabit se trouvaient dans le bâtiment, attribuées aux autres unités. Le directeur, quant à lui, disposait d’une grande pièce lui servant de bureau personnel, au centre des locaux.

Isabelle jeta un regard à Cole et Magaly, qui haussèrent les épaules presque simultanément. Elle soupira. Elle n’était à la tête de l’équipe que depuis deux semaines, et il lui semblait déjà que tout allait de travers. Jeremy leur cachait des choses, Magaly était épuisée mais refusait obstinément de prendre du repos et Cole arrivait tous les matins en sentant l’alcool à plein nez. Isabelle se mordit les lèvres. Qu’est-ce qu’elle était censée faire, au juste ? Doug était tellement meilleur chef qu’elle ! Il aurait su quoi faire pour aider Magaly, et peut-être pour Cole, aussi. Et il était sans doute au courant d’à peu près tout ce que cachait Jeremy. Mais il n’était pas là, et en voyant ses trois équipiers retourner à leur bureau comme s’il ne s’était rien passé, Isabelle se sentit soudain très seule. À croire qu’elle était la seule à se rendre compte que les choses n’allaient pas.

Oppressée, l’agente sortit prendre l’air. Une vieille habitude qu’avait Doug, lorsqu’une enquête s’avérait particulièrement complexe. Il sortait, fumait une cigarette, entraînant généralement les autres avec lui à l’extérieur. Pendant quelques minutes, ils parlaient d’autre chose, pensaient à autre chose que l’enquête. Ça faisait toujours un bien fou à Isa. Elle soupira longuement. Doug n’était plus là pour entraîner tout le monde dans son sillage, et elle-même ne s’en sentait pas la force.

Le froid la saisit et elle frissonna. Elle inspira profondément. Bon Dieu, mais qu’est-ce qu’elle pouvait bien faire de travers, pour que tout aille si mal ?

Elle sortit son portable et composa le numéro de Tommy. Elle avait besoin de lui parler. Lui saurait lui remonter le moral. Il pourrait la réconforter.

Elle compta les sonneries, attendant qu’il décroche. La voix de Tommy retentit, l’enjoignant de laisser un message après le bip sonore. Isabelle laissa retomber son bras, le cœur serré. Il lui semblait ne jamais avoir été aussi seule.

La porte s’ouvrit derrière elle, et Jeremy lui lança, sans prendre la peine de sortir complètement :

— Isa, il arrive. Tu viens ?

Elle le suivit sans rien dire.

Ils arrivèrent dans la salle en même temps que Peterson et ses deux gardiens. On lui avait menotté les mains devant lui, et il portait un bracelet électronique à la cheville. Il était vêtu d’un simple T-shirt sur un jeans délavé. Il avait les cheveux en bataille et l’air épuisé. Il balaya tous les membres de l’équipe du regard, s’arrêtant une fraction de seconde de plus sur Jeremy. Peterson eut l’air surpris. Il se tourna vers son ancien ami, perplexe.

— Tu as changé d’équipe ? (Il secoua la tête, ironique.) À croire que je ne suis pas le seul à avoir laissé tomber mes coéquipiers...

Jeremy haussa les sourcils avant de lâcher durement :

— Voyons voir... Denis est en tôle, Harold est porté disparu, Jemma est décédée après s’être pris une balle et Greg s’est suicidé peu de temps après ta disparition.

William tressaillit, soudain très pâle.

— Je l’ignorais, souffla-t-il.

Son ancien ami lui jeta un regard glacial. Son visage n’exprimait rien.

Isabelle avait observé toute la scène. Elle s’avança, détournant l’attention de William et désamorçant du même coup la situation. L’ambiance risquait d’être tendue, entre eux deux. Et pourquoi Jeremy n’avait-il jamais parlé de tout cela ? Ne leur faisait-il pas confiance ? Cette pensée l’agaça. Il travaillait avec eux depuis pratiquement deux ans ! Elle grinça des dents et reporta son attention sur Peterson.

— Je suis Isabelle Taylor, c’est moi qui dirige l’équipe. Je suppose que l’agent Kinger a été clair : au moindre écart...

— Je sais, l’interrompit-il, une pointe d’agacement dans la voix. Au moindre écart, je suis mort.

— Parfait, on peut s’y mettre, alors ? lança Magaly.

Isabelle retint un soupir inquiet. William haussa les épaules.

— Maintenant ? fit-il. Grands dieux, il est pratiquement dix-neuf heures ! J’entends bien ne plus jamais finir aussi tard.

— Pardon ? s’insurgea Isabelle en fronçant les sourcils.

Il lui adressa un sourire innocent qui l’exaspéra. Elle ignorait à quoi il jouait, mais ça ne l’amusait absolument pas.

— Voyons, Isabelle – je peux vous appeler Isabelle ? - il se fait tard et j’ai eu une grosse journée. Se faire assommer à coup de taser ne fait pas partie de mes expériences les plus plaisantes, voyez-vous. Si vous aimez travailler jusqu’à tomber de sommeil, c’est votre problème, pas le mien. J’ai promis de vous aider, pas de bosser à en mourir d’épuisement.

Isabelle, stupéfaite, resta muette quelques secondes. Elle croisa le regard de Jeremy. Impassible, il observait William avec attention. Ce fut Cole qui, le premier, finit par réagir.

— Écoute, ton unité avait peut-être l’habitude de finir à la même heure que les gosses de primaires et de faire la java en permanence, mais ici c’est pas le cas.

William plissa les yeux, tandis que la colère se lisait sur son visage. Il avait l’air d’être du genre à démarrer au quart de tour.

— Mon équipe était parfaite, gronda-t-il. On a résolu plus d’affaires que tu n’en résoudras jamais, Scott, alors tu la boucles. Je t’interdis de parler d’eux, tu m’entends ?

— Et regarde où ça vous a mené, rétorqua McAllister.

— Ça suffit, s’interposa Isabelle. On est du même côté, vous vous souvenez ? À partir de maintenant, on bosse tous ensemble, que ça vous plaise ou non.

Cole lui lança un regard agacé, mais ne répliqua pas. Isabelle les observa, nerveuse. William allait devoir faire partie de l’équipe. Et si elle était incapable de les faire travailler ensemble ? Si elle n’était pas à la hauteur ? Assaillie par les doutes, elle entendit à peine Cole lancer :

— Tu m’appelles pas Scott, compris ?

— Très bien, Scott, s’amusa William, un sourire ironique sur les lèvres.

Isabelle leva les yeux au ciel. Malgré ses origines écossaises, Cole n’avait absolument pas une tête à s’appeler Scott. Celui-ci plissa les yeux mais, croisant le regard menaçant d’Isabelle, quitta la pièce au pas de charge. Elle soupira intérieurement. L’ambiance au sein de l’équipe risquait d’en prendre un coup. Et elle n’était pas sûre d’être capable d’y remédier... Doug aurait su le faire. Mais elle n’était pas Doug...

— Bon, on s’y met, oui ou non ? râla Magaly.

— Demain, maintint William. Il est trop tard, ce soir.

Isabelle craignit un instant que Magaly ne lui saute dessus, mais Jeremy la retint.

— Si nous faisions plutôt connaissance ? proposa William, une lueur moqueuse dans le regard.

— Commence donc, le défia aussitôt Jeremy, le visage indéchiffrable.

William sourit, l’air amusé. Néanmoins, Isabelle eut l’impression que ce n’était qu’une façade. Une lueur de tristesse brillait dans ses yeux sombres. Jouait-il la comédie ?

— Comme tu voudras. William Peterson, ex-agent du FBI injustement accusé de trahison, fan de cuisine, ceinture noire de jiu-jitsu, j’adore les tartes aux pommes et les groseilles. À vous, chef, lança-t-il en se tournant vers Isabelle.

Celle-ci haussa les sourcils puis décida de se prêter au jeu. Puéril, certes, mais si ça pouvait permettre de détendre l’atmosphère, pourquoi pas. Non sans se demander si le « injustement » était vrai ou non...

— Isabelle Taylor, agent du FBI, chef de son unité...

Elle s’interrompit, la voix tremblante. Inspira profondément avant de reprendre, tout en cherchant machinalement le regard de Jeremy. Il lui lança un petit sourire encourageant. La confiance qu’elle crut lire dans ses yeux bleus la rasséréna. Il croyait en elle.

— Chef de cette unité depuis deux semaines, reprit-elle, j’aime le chocolat et je déteste les coccinelles.

— Deux semaines ? releva William.

— Ça ne vous regarde pas, siffla Magaly.

— Comme vous voudrez, s’inclina-t-il. Bien, je crois que je vais y aller. Il se fait décidément tard.

Il se dirigea vers la sortie, aussitôt suivi par son escorte, qui lui barra le passage en lançant un regard interrogateur à Isabelle. Elle hésita, puis soupira. Il était clair qu’ils ne tireraient rien de lui ce soir. L’agente hocha la tête, avec l’impression désagréable d’avoir échoué ; elle ignorait à quoi. Et si elle n’était pas capable de diriger cette équipe ?

William fit soudain demi-tour pour s’approcher de Jeremy. Isabelle l’observa avec attention. C’était la première fois qu’il se départait de cette moue moqueuse qu’il semblait particulièrement affectionner. Son regard était devenu grave et il paraissait à présent extrêmement sérieux.

— Je suis désolé, pour le reste de l’équipe. J’ignorais que les choses avaient si mal tourné...

Il plongea son regard dans celui de son ancien meilleur ami, qui ne réagit pas.

— Tout a tellement changé... Je n’ai jamais rien voulu de tout cela.

Jeremy se passa une main dans les cheveux, l’air las mais la voix glaciale.

— Moi non plus, William. Moi non plus...

William. Autrefois, il l’appelait Will.

05 ~ William Peterson

William sourit en apercevant la dizaine de bouteilles de lait dans le frigidaire. Le Clan ne l’avait pas laissé tomber. Il s’en sentit réconforté. La journée avait été dure. L’impression de solitude qui l’avait assailli tout du long se dissipa doucement. Il n’était pas seul.

Il en ouvrit une. Remplie de sang, comme convenu. Puisqu’il vivait au milieu des humains, il ne pouvait décemment pas se faire livrer des poches de sang. Si quelqu’un avait ouvert son frigidaire, il aurait trouvé cela pour le moins… étrange. William avait opté pour les bouteilles de lait pendant qu’il était à Quantico, l’académie du FBI. C’était là-bas qu’il avait rencontré Jeremy. Tous deux s’étaient rapprochés et, lorsqu’ils avaient pris l’habitude de débarquer l’un chez l’autre et de faire comme chez eux, William avait compris qu’il devait mieux dissimuler ce dont il se nourrissait. Jeremy étant intolérant au lait de vache, il était ainsi certain qu’il ne découvrirait rien.

William pouvait boire du lait, bien sûr, mais il avait besoin de sang pour vivre. Il s’en servit un verre et le but avec un frisson de délice.

La résidence surveillée tenait plus de l’appartement miteux que d’une résidence. Cuisine, chambre, salle de bain, toilettes. C’était tout. Franchement, il avait vu mieux. Enfin, au moins n’était-il pas enfermé dans une cellule.

On lui avait retiré ses menottes dès qu’ils étaient arrivés à la « résidence ». Il entendait les gardes discuter dehors. Entre eux et le bracelet, il aurait vraiment eu du mal à s’enfuir, s’il l’avait désiré. Du moins, sans aide extérieure.

William se laissa tomber sur le lit en soupirant. La journée avait été rude. Revenir au FBI et revoir Jeremy après ces deux longues années... cela avait été difficile. Il n’en avait évidemment rien laissé paraître. Il devait avoir l’air sûr de lui, s’il voulait réussir sa mission. Demain, il leur présenterait sa « théorie », les aiguillerait dans le « bon sens ». Mais pour l’heure, il pouvait enfin se reposer. Et les souvenirs affluaient. Maintenant qu’il était seul, il pouvait s’autoriser à laisser libre cours à la douleur, à la tristesse, à la culpabilité. Car si son équipe avait ainsi été décimée, c’était parce qu’ils pensaient que leur chef les avait trahis. Parce que William les avait abandonnés. Quant à Jeremy, il savait que son air impassible n’était qu’une façade. Il était passé maître dans l’art de dissimuler ses émotions. Il l’avait toujours été. William avait bien plus de mal. Il mentait parfaitement bien, en revanche, il avait parfois du mal à gérer ce qu’il ressentait. Mais il ne pouvait pas se permettre de montrer la moindre faiblesse. Le FBI n’attendait sans doute que cela, que leur prisonnier leur donne l’occasion de le traduire en justice.

Incapable de dormir, William se leva pour jeter un œil dans le frigidaire. Mises à part les bouteilles de sang aperçues précédemment, il n’y avait que du beurre, du jambon et un steak haché. Il aperçut aussi un paquet de pâtes dans le placard ainsi qu’un morceau de pain qui ne devait pas dater d’hier. Levant les yeux au ciel, William farfouilla dans l’appartement jusqu’à dénicher un crayon et un morceau de papier, puis s’assit à la table de la cuisine.

***

— C’est une blague ?

Isabelle le toisait avec exaspération et il retint un sourire. La chef de leur équipe était mince et athlétique, plutôt petite. Elle portait ses cheveux bruns mi-longs attachés en une sévère queue-de-cheval et ses yeux verts brillaient d’une lueur indéchiffrable. Elle était plutôt jolie.

Plusieurs années auparavant, il aurait entrepris de la séduire, pour s’amuser. Puis elle aurait fini par rompre, puisqu’ils n’auraient en réalité eu aucun sentiment l’un pour l’autre, et il serait allé se lamenter chez Jeremy. Celui-ci l’aurait écouté avec l’air mi-amusé mi-compatissant qu’il prenait à chaque fois, avant de le coller devant un film pour avoir la paix. En réalité, les déboires amoureux de William faisaient toujours rire Jeremy. Mais ce temps était révolu, et William n’avait plus aucune envie de jouer les Don Juan. À quoi bon ? Aux yeux de tous, il était un meurtrier sans scrupule. L’amertume lui serra le cœur. Son ancienne vie lui manquait. Mais il n’y pouvait plus rien...

— Vous nous prenez pour quoi, au juste ? Le service de vente en ligne apporté à domicile du supermarché ?

— Grands dieux, loin de moi cette idée, s’amusa-t-il, en en oubliant son amertume. Seulement, j’apprécierais d’avoir quelques petites provisions.

— Du caviar ? Et du foie gras ? Une dinde ? Vous prévoyez de fêter Noël en février avec le président ? Tant que vous y êtes, vous devriez demander la rénovation de la cuisine !

William lui adressa un sourire charmeur tout en décidant que cette femme lui plaisait. Hier, il avait craint qu’elle ne soit du genre à tout laisser passer, à reculer devant la moindre difficulté. Aujourd’hui, il comprenait que ce n’était pas le cas.

En voyant son air furieux, il pensa qu’il avait peut-être légèrement abusé. Il n’aimait même pas le caviar, en plus. Et il préférait de loin le chapon à la dinde. Mais la tête d’Isabelle lorsqu’elle avait lu la liste, par les Lois Sanglantes, en valait largement la peine !

— Pourquoi pas ? s’amusa-t-il.

Isabelle roula des yeux, exaspérée.

— Tout va bien ?

William se renfrogna en voyant arriver Jeremy. Voir son ancien ami le mettait mal à l’aise. Il ignorait comment se comporter avec lui. Jeremy le détestait sans doute. Et être détesté par son meilleur ami pour un crime qu’il n’avait pas commis était tellement douloureux ! Si seulement il pouvait arranger les choses...

— Regarde-moi ça, fit Isa en lui tendant la liste de William.

Une ébauche de sourire se dessina sur le visage de Jeremy. Leurs regards se croisèrent et, l’espace d’un instant, ce fut comme si rien n’avait changé. Son ami allait sourire et le taquiner, comme il le faisait d’ordinaire lorsqu’il débarquait au boulot avec sa liste de courses pour la soirée. Puis, comme s’il se rappelait soudain la réalité, Jeremy secoua la tête.

— À ce rythme-là, le FBI finira ruiné la semaine prochaine, commenta-t-il simplement à l’attention de sa chef.

Sa remarque fit sourire Isa. Elle avait vraiment un joli sourire, qui se répercutait dans ses yeux verts.

— Parfait, vous êtes là, lança Magaly, en émergeant de derrière son bureau. On s’y met ? Enfin, s’il n’est pas trop tôt pour vous, ajouta-t-elle en lançant un regard noir à William.

L’arrivée de l’Écossais le dispensa de répondre. C’est quoi son nom, déjà ? Il fronça les sourcils et se pencha vers Jeremy. Peut-être que s’il faisait le premier pas, son ancien équipier saisirait la perche ?

— Scott pue l’alcool à plein nez, chuchota-t-il, incapable de se souvenir de son vrai nom.

De toute façon, Scott lui allait plutôt bien. Jeremy lui lança un regard glacial en lui faisant signe de se taire. De toute évidence, comprit William avec tristesse, il n’avait aucunement l’intention de se rapprocher de lui.

— On vous écoute, ordonna Isabelle d’une voix ne souffrant aucune réplique.

— D’abord, si vous pouviez...

Il ne finit pas sa phrase, se contentant de désigner du menton les menottes qui lui ceignaient les poignets. Isabelle hésita avant d’acquiescer et de le détacher. Le vampire haussa un sourcil. Elle ne le considérait donc pas comme une menace ?

— Récapitulons, commença-t-il. Nous avons des victimes diverses et variées. Un mode opératoire : mort par étranglement puis prélèvement de sang. Des scènes de crimes impeccables. Réfléchissez deux minutes. Des prélèvements de sang. Qui nous dit que le but est d’en faire un trophée ? Et si tout cela avait un autre but, encore plus macabre ?

C’était parti. Phase une, les convaincre que sa théorie était possible. Les meilleurs mensonges étant ceux les plus proches de la vérité, ce ne serait pas si difficile. Du moins, il l’espérait. Il ne pouvait pas se permettre d’échouer.

— C’est ça, votre info ? s’agaça Scott. Donc notre meurtrier serait une bête sauvage qui se nourrit de sang ? À moitié humaine et avec des mains d’hommes ?

— Un vampire, souffla Jeremy, comprenant aussitôt où voulait en venir William.

— Évidemment, railla Scott. Bella a été tuée et Edward Cullen laisse libre cours à sa passion vengeresse. Tous aux abris, les buveurs de sang nous envahissent !

William lui jeta un regard perdu. De qui parlait-il ? L’air railleur de l’Écossais ne lui disait rien qui vaille. Et s’il n’arrivait pas à le convaincre ? s’inquiéta-t-il, soudain nerveux.

— C’est un film de vampire, expliqua vaguement Jeremy, l’air soudain très las.

— Oh. Non. Ce n’est pas ça.

Scott se fichait donc de lui. William décida aussitôt qu’il détestait ce type. Mais il fallait qu’il gobe ses mensonges.

— Sans blague, soupira Magaly. Si l’un de vous deux daignait nous expliquer...

William inspira profondément avant de se lancer, d’une voix aussi assurée que possible.

— Imaginez que vous soyez persuadés de l’existence des vampires. Que vous tentiez depuis des années d’en parler aux autres, sans que qui que ce soit ne vous prenne au sérieux. Il ne vous reste qu’un seul moyen pour vous faire entendre : créer un vampire.

— Vous pensez qu’un illuminé qui croit aux vampires commet ces meurtres pour prouver qu’ils existent ? C’est un peu tiré par les cheveux, non ? douta Isabelle.

— Absolument pas ! Réfléchissez. Pourquoi garder du sang, sinon ? Quel intérêt d’avoir du sang en bouteille comme trophée ? Aucun ! En revanche, quelqu’un émettra bientôt l’hypothèse qu’il s’agisse d’un vampire. Et alors notre homme aura ce qu’il veut ! Il crée sa propre version de la réalité ! Fascinant, n’est-ce pas ?

— C’est absurde, rétorqua Scott. Complètement absurde. Bordel, Jeremy, ne me dis pas que tu crois ce type !

Par les Lois Sanglantes, qu’est-ce qu’il peut être pénible, celui-là ! râla intérieurement William. Le vampire entreprit de faire une liste mentale de ses défauts : emmerdeur, chiant, vulgaire, désagréable, alcoolique, incrédule. Reste concentré, s’ordonna-t-il. Tu peux les convaincre.

Jeremy se passa une main dans les cheveux. William se rappela qu’il avait toujours eu ce tic.

— Je n’en sais rien, soupira-t-il. J’imagine que ce n’est pas impossible. Après tout, des tas de gens croient à des tas de trucs, que ce soit les extraterrestres, la mythologie grecque ou bien les vampires. Il ne serait pas le premier à tenter de prouver leur existence.

— On parle d’assassinats, fit remarquer Isa. Pas de communications bidon avec un soi-disant au-delà. De véritables meurtres, de sang-froid.

— Justement. Ces morts sont précisément le meilleur moyen de convaincre les gens de l’existence des vampires, argumenta William.

C’est ce qui s’appelait prêcher le vrai pour dire le faux, s’amusa le vampire. Isabelle faisait une tête à se tordre de rire. Scott avait l’air aussi furieux que d’ordinaire et Magaly le prenait clairement pour un fou. Mais Jeremy envisageait sérieusement cette possibilité. Le regard absent, son ancien ami réfléchissait. Peut-être, au fond de lui, lui faisait-il encore ne serait-ce qu’un tout petit peu confiance ?

— Personne n’est à l’abri, souffla Jeremy. Ce serait le message qu’il veut transmettre en tuant des gens si différents les uns des autres.

— Génial. Donc, d’après toi, Doug a été assassiné par un illuminé pour prouver que les vampires existent, lâcha amèrement Magaly.

— Qui ça ? releva William.

— Disons que ce n’est pas totalement impossible, admit Jeremy à l’adresse de sa collègue.

— Personne, lança Scott, en réponse à la question de William.

Celui-ci se renfrogna, agacé, en se promettant de découvrir qui était ce Doug. Satisfaire sa curiosité allait devenir une de ses priorités. Il détestait avoir l’impression d’être tenu à l’écart ou d’être mis sur la touche. Impression qu’il avait continuellement, dès qu’il mettait les pieds ici.

— Et l’idée vous est venue toute seule, bien entendu. Quel génie ! ironisa l’Écossais, méprisant.

William lança un regard énervé à Scott, ou quel que soit son nom.

— Non. Ce ne serait tout simplement pas la première fois. Il y a environ sept ans, trois corps brûlés ont été retrouvés au pied d’un gigantesque bûcher. Le type qui avait fait ça avait décidé de prouver l’existence d’Héphaïstos, le dieu du feu grec. Après avoir imploré le dieu d’épargner les pauvres bougres, il a allumé le bûcher, persuadé qu’ils ne risquaient plus rien. Évidemment, ça n’a pas tout à fait fonctionné.

Scott et Magaly le regardaient d’un air stupéfait.

— Le type avait tout filmé sur son téléphone portable, se rappela Jeremy. Il était tellement convaincu que son plan fonctionnerait...

À cet instant, William le loua intérieurement. Sans le savoir, son ancien équipier l’aidait beaucoup. Le vampire était en train de parvenir à les convaincre.

— Bon. On peut toujours jeter un œil à cette piste, décida Isabelle, bien que dubitative.

William jubila intérieurement. Le soulagement l’envahit. Il avait réussi. Il n’y avait plus qu’à espérer que le Clan fasse son travail – ce dont il ne doutait absolument pas. Cette affaire serait alors très vite bouclée. Mais une part de lui se demandait ce qu’il se passerait ensuite. Pourrait-il rester au FBI ?

06 ~ Isabelle Taylor

Isabelle blêmit lorsque l’agent débarqua dans leur salle pour leur annoncer la nouvelle. Le Buveur avait fait une nouvelle victime.

L’équipe échangea un coup d’œil grave. Depuis qu’il avait assassiné Doug, chaque nouvelle victime leur rappelait cruellement leur chef. L’image de son ami, étranglé et à moitié vidé de son sang, vint à l’esprit d’Isabelle et elle serra les dents. La tristesse et la colère l’assaillirent de nouveau, et elle les repoussa tant bien que mal. Ce n’était pas le moment, il fallait qu’elle tienne bon.

Seul William ne parut pas affecté par la nouvelle. Stupéfaite, elle vit le prisonnier sourire en déclarant :

— Parfait ! Allons-y, alors !

Jeremy lui lança un regard désapprobateur et William haussa les sourcils.

— Quoi ?

— Quelqu’un est mort. Ça n’a rien de drôle, rétorqua sèchement son ancien ami.

Isabelle, surprise, vit William détourner le regard. Elle soupira et leur fit signe de se mettre en route.

La victime, une femme d’âge mûr, légèrement enrobée, portait un tablier. De petite taille, les cheveux bruns, de la farine sur les mains, ses lunettes gisaient près d’elle, en miettes. Comme pour chacun des autres meurtres, elle était allongée sur le sol, des marques de strangulation autour de la gorge. Son visage était figé en une grimace remplie d’un tel effroi qu’Isabelle frissonna. Elle cligna des yeux, tentant de chasser l’image du corps sans vie de Doug. Les mêmes marques se trouvaient autour de son cou. Le cœur serré par la douleur, elle s’obligea à se concentrer. Il était trop tard pour Doug. En revanche, ils pouvaient encore sauver des vies et arrêter son meurtrier. Obtenir justice.

La scène de crime était située au fond d’une minuscule ruelle isolée. Tout était impeccable, pas une goutte de sang, rien. William lâcha un petit sifflement impressionné. Pas de doute, celui qui avait fait ça était vraiment doué.

Isabelle s’approcha du médecin légiste, accroupi au-dessus du corps.

— Même mode opératoire, annonça l’homme. La victime était âgée d’une cinquantaine d’années, elle travaillait à la boulangerie près d’ici. Décédée par étranglement. Et on lui a prélevé du sang. Elle a une marque de piqûre dans le bras. À part ça, je n’ai rien. Pas la moindre trace d’ADN. Notre homme porte sans doute des gants. Peut-être que j’en saurais plus après l’autopsie, mais j’en doute...