Ecchymoses - Alice De Vleeschouwer - E-Book

Ecchymoses E-Book

Alice De Vleeschouwer

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Beschreibung

L'amour n'est pas toujours rose et c'est malheureusement Nina qui en fait les frais...

Nina est belle, comme tout le monde. Comme tout le monde, Nina ment, s’embellit, se ment. Elle pourrait être ta voisine, ta collègue, ta sœur ou ta meilleure amie. Immisçons-nous dans ses plus sombres secrets et ses plus belles amours. Farfouillons dans ses tiroirs, sa correspondance, ses journaux intimes, ses albums photos. Nina ne verrouille même pas son téléphone, quelle aubaine ! Mais peut-on tout savoir de quelqu’un et l’aimer encore ?
Un roman cinématographique, pictural, gracieux, ode aux féminités et à l’ivresse, sur fond de promenade nocturne dans un parc urbain, d’un studio désert ou de l’habitacle d’une voiture perdue sur un parking. De jeunes adultes qui se rencontrent, s’entrechoquent, s’apprivoisent, disparaissent parfois.Mêlant journal intime, enquêtes et souvenir, ce roman poignant aborde le difficile sujet de la violence conjugale

 Suivez la vie et les pensées d'une jeune femme victime de la face la plus sombre des relations de couple.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Alice De Vleeschouwer
 est lauréate du Prix Laure Nobels Brabant wallon - 6e édition. Elle a finalisé l'écriture de ce roman à l'âge de 24 ans. Avec grande écoute et subtilité, l'auteure a parachevé son texte initial sur la base des conseils judicieux du jury adulte de la Fondation Laure Nobels, d'Isabelle Blockmans, Claude Nobels et Xavier Vanvaerenbergh. Nous les en remercions chaleureusement.

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Avant-propos

Alice De Vleeschouwer est lauréate du Prix Laure Nobels Brabant wallon1 – 6e édition.

Elle a finalisé l’écriture de ce roman à l’âge de 24 ans.

Avec grande écoute et subtilité, l’auteure a parachevé son texte initial sur la base des conseils judicieux du jury adulte de la Fondation Laure Nobels, d’Isabelle Blockmans, Claude Nobels et Xavier Vanvaerenbergh. Nous les en remercions chaleureusement.

Nous renvoyons également lectrices et lecteurs à la postface de ce livre.

Nous adressons nos plus vives félicitations à Alice.

Le Conseil d’Administration de la Fondation Laure Nobels

1 La Fondation Laure Nobels finance la publication et la promotion d’œuvres littéraires en français, écrites par de jeunes auteurs belges. Pour déterminer les bénéficiaires, la Fondation soumet les manuscrits présentés par les jeunes à la lecture critique d’un jury indépendant. Composé d’experts en littérature, celui-ci évalue l’originalité et la qualité des textes proposés. Chaque année, un lauréat est récompensé par le Prix Laure Nobels. Les années impaires, celui issu du groupe des 15-19 ans, et les années paires, celui issu du groupe des 20-24 ans. Chaque année, un deuxième lau­réat est récompensé par le Prix Laure Nobels Brabant wallon, créé en partenariat avec le Brabant wallon qui souhaite ainsi susciter l’écriture et promouvoir la lecture, notamment auprès des jeunes. Chaque prix consiste à introduire l’œuvre sur le marché de la littéra­ture, selon toutes les normes professionnelles en vigueur dans le monde du livre. Plus d’infos : www.fondationlaurenobels.be

à Dominique et Gérard, qui m’ont appris à observer, et à mon grand-père, qui m’a motivée à présenter ce texte au concours.

Extrait du petit carnet vert

D’abord, je ne te connais pas et puis, je te rencontre. Pour la première fois, j’entends les inflexions de ta voix. Tu te présentes. Tu cries un peu pour couvrir le brouhaha de la soirée et aussi parce que l’alcool te monte déjà à la tête. D’autres jours, tu n’as pas besoin de hausser le ton parce qu’on est à la terrasse d’un bar, à la machine à café du bureau ou à la salle de sport. C’est à mon tour de te dire comment je m’appelle. À chaque fois, qu’importe l’espace, le moment, qui tu es, qu’importe ton apparence, ton humeur ou la mienne, qu’importe même ton prénom à toi, le mien reste identique. Je ne trouve aucune logique à enfiler le même tous les matins et parfois, je me dis qu’il m’en faudrait un par heure. N’est-il pas absurde d’imposer à chaque nouvelle relation un prénom déjà usé par d’autres timbres ?

C’est pourtant ce prénom galvaudé que je te présente et tu le trouves joli. Que fais-tu dans la vie ? Quel âge as-tu ? Quels sont tes passe-temps et, plus important encore, quelles sont tes passions ? On se trouve des points communs, même si certaines fois, il faut bien les chercher. Tu me souris de loin et les coïncidences se multiplient. On se croise une fois, deux fois, trois fois. On s’apprivoise.

En réalité, je ne te connais toujours pas. Je te fais juste la bise quand je te croise dans la rue. Contact de nos joues. Claquement des lèvres qui n’atteignent pourtant que le vide. Si tu es tactile, quand on discute, tu me touches le bras. Contact de tes doigts. Froissement discret du tissu. Je ne te connais pas. Je t’observe, furtivement, en coin, parfois. Contact de mes yeux silencieux. Tu ne les entends pas. Tu as les cheveux blonds, bruns, roux, ou noirs. Ils sont longs ou courts, lisses ou bouclés. Tu as des grains de beauté sur la joue ou une cicatrice sur le nez, un teint lisse de bébé ou un peu d’acné. Tu as des taches de rousseur, la peau sombre ou laiteuse, une petite cicatrice là, aussi. Tu fronces les sourcils souvent et tu as un très joli sourire. Tu parles aussi fort que doucement, aussi lentement que rapidement. Tu fuis mon regard ou tu essaies de le capter.

Je te connais un peu mieux, j’ai envie de te connaître plus.

Alors, on discute plus. Paroles qui transpercent le silence. Rires qui le réchauffent. Il y a toujours un peu plus de tes mains qui attrapent mon poignet, qui m’agrippent vers toi. Tressaillements. Chuchotements. Contact de tes bras autour de mon cou, de mes mains sur ta taille. Bruissement de ton t-shirt qui se serre sous mes phalanges. Mes lèvres trouvent les tiennes, fines ou épaisses, douces ou sèches. Elles embrassent bien ou pas tant que ça. Contact de ta langue, de tes dents, parfois. On discute encore, plus profondément, plus loin. J’aime ta voix.

D’abord, je ne te connais pas et puis, je te rencontre.

Contact de ta peau qui m’attire à toi. Ou peut-être que c’est moi qui t’attire, je ne sais plus. Je ne sais jamais. Mes mains passent sous tes vêtements. Tu as la peau douce, toujours. On dialogue, ou on se tait. Peut-être que mon âme a envie d’atteindre la tienne. Peut-être qu’elle s’en fout. Peut-être qu’on ne discutera plus jamais, peut-être que ça durera encore des mois. Mes mains frôlent tes tétons, ton dos, tes jambes. Parle-moi encore, de tout ton corps. Fais danser le bout de tes doigts sur mon épiderme qui vrille. Mon âme est au moins en accord avec ça, le grésillement de tes doigts. Murmure de ton souffle dans mon cou. Apprends chaque détail de moi, apprends-moi chaque détail de toi. Je veux tout savoir de ta chair. Quel absurde manège. On ne se connaît pas, pas tant que ça, et on s’immisce à l’intérieur de l’autre, de son âme, de son être. Je veux explorer chaque parcelle de toi.

Est-ce qu’on se connaît, maintenant ?

Je me niche dans ton cou. Contact de mon oreille avec ton torse. Je sens, j’entends, j’écoute ton cœur battre. Il va vite ou lentement, mais fort, toujours. Mon regard navigue sur chaque millimètre de ta peau. Est-ce que tu me sens te parcourir, te découvrir ? Tu as un grain de beauté près de la clavicule ou une tache de naissance près du nombril. Beaucoup de poils, quelques-uns épars, une épilation parfaite. Tintement discret de tes soupirs. Ma bouche s’humidifie sur ta peau un peu chaude qui l’appelle. Peut-être qu’on épilogue, peut-être qu’on profite du silence. Je ne sais jamais à quoi tu penses.

Je me souviens des moments où j’ai voulu te connaître. De ces fois où je t’ai fait quitter mon lit pour t’inviter dans ma vie. Des déceptions et des bonnes surprises, des cafés, des bières en début de soirée, des cinémas, des films que j’associerai à jamais à toi, des restaurants, des nuits à danser et des retours chez moi aux petites heures, des baisers alcoolisés et des baisers sobres, avec cette unique sensation de tête qui tourne. Je me souviens de la rencontre avec tes parents, des premières soirées avec tes proches. Le bourdonnement constant et apaisant d’une nouvelle présence. Je veux discuter, connaître ton avis sur tout et aussi ta couleur préférée. Je veux t’entendre rire et me joindre à toi, te cuisiner mille plats, lire tout ce que tu pourras me conseiller, sentir le poids de ton corps sur le mien, me blottir avec toi sous la couette et entendre la pluie contre la fenêtre. Dès le moment où l’on échange nos prénoms, quels qu’ils soient, des milliers d’autres mots s’alignent. Des milliards de voyelles et consonnes aux inflexions colorées s’assemblent différemment à chaque histoire pour finir sempiternellement par tirer vers le gris.

D’abord, je ne te connais pas et puis, je te rencontre. En réalité, je ne te connais toujours pas. On est ensemble et on cesse de l’être. Les cœurs palpitent, se suivent, se distinguent et se confondent. J’entends le tien qui bat et tout semble immuable. La seconde d’après, ce n’est déjà plus que la clameur suave de notre rencontre qui retourne au silence. Tout est tellement absurde.

Nina

Pour la quatrième fois, Lucie décline son identité, puis celle de Nina. En face d’elle se tient un homme d’une cinquantaine d’années. Il appuie son menton sur ses mains croisées et n’essaie pas réellement de prendre un air compatissant. Il pense à sa garde qui s’achève, à sa petite-fille d’à peine trois mois qui passe la soirée à la maison. Il espère qu’elle n’empêche pas son épouse de dormir, tout en sachant pertinemment que cette dernière doit être prostrée devant le berceau, à surveiller la respiration de l’enfant. Il soupire en entendant le mot « anormal ». S’il devait croire toutes les personnes en détresse qui se présentent devant lui, rien ne serait jamais « normal ». Il prend une gorgée de café en rêvant d’une bière. Une femme adulte qui ne donne pas de nouvelles à sa famille pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours, ça n’a rien d’inhabituel, donc rien de suspect. Il ne fait pas bien la différence entre la normalité et la banalité.

Avant lui, Lucie a eu affaire à un jeune homme à l’accueil, à qui elle ne donne pas plus de vingt ans, à un policier d’environ son âge et à un très petit homme qui flottait dans son uniforme et devait avoir la quarantaine. Si chaque interlocuteur a dix ans de plus que le précédent, leurs compétences ne suivent pas, au grand dam de Lucie qui peine à retenir ses larmes en comprenant que, cette fois encore, elle raconte l’histoire pour rien.

Quelqu’un a imprimé la photo de sa sœur. Nina y est très reconnaissable et pourtant, à voir le regard désinvolte que jette l’agent sur le papier glacé, Lucie se dit qu’il y manque les dimensions les plus essentielles. Comment pourrait-il correctement visualiser Nina, la longueur de ses cheveux, la forme de ses yeux, la couleur de sa peau, surtout la chaleur de sa peau ? Comment pourrait-il cerner l’urgence, comment pourrait-il lui dire autre chose que :

– Si votre sœur n’est pas revenue demain soir, nous lancerons un avis de recherche. N’en faites pas une insomnie, Mademoiselle, je suis persuadé qu’elle a juste besoin de paix.

En annonçant cela, il lâche sa tasse et saisit la photographie entre ses longs doigts fins aux bouts calleux. Lucie a un sursaut d’espoir qui se brise lorsque l’agent plie l’image pour la glisser dans un classeur. Il n’y a personne de plus gradé ou de plus âgé à rencontrer. Nina n’a disparu que depuis douze heures, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Lucie sort du commissariat. Elle se refuse à appeler son père, pas tout de suite, pas encore, comme s’il s’agissait de la dernière étape avant de rendre la situation réelle. L’inquiétude d’un parent, c’est plus concret que la photo du CV de sa sœur imprimée sur une page A4 et confiée à un agent de police. Elle tremble de tout son corps en composant le numéro de Maxence pour l’avertir de l’échec de sa démarche. Lui est en contact avec d’autres proches de Nina, qui font le tour des bars, des parcs, tentent de trouver une trace, ont peut-être une piste. Il conseille à Lucie de rentrer chez elle et de faire la même chose que lui : attendre. Il faut que Nina puisse trouver de l’aide dans les endroits où elle pourrait la chercher.

Quelques heures plus tôt

La dernière fois que la population de la ville a été recensée, 97 853 personnes ont été enregistrées, soit environ 570 habitants au kilomètre carré. Les chiffres n’ont pas dû sensiblement changer depuis. La ville non plus n’a pas bougé. C’est souvent le cas avec les villes : elles évoluent plus lentement que les humains qui l’animent, sans jamais s’attarder assez pour contempler le fruit de leur occupation. C’est une jolie bourgade, qui attire quelques touristes en été et ferait fuir n’importe qui en hiver. Il y a un hôpital, un grand parc, un bowling, un centre commercial, plusieurs écoles et un circuit de bus qui permet à la périphérie de rejoindre tous ces lieux. Évidemment, chaque adolescent du bus s’imagine vivre ailleurs et les longs trajets sont peuplés de rêves de leur brillant avenir, sur une plage au soleil ou dans une métropole. La vérité, c’est que leurs parents avaient les mêmes espoirs, mais que le chauffeur ne va jamais plus loin que le cinéma.

Nina, Louis et Maxence ont fait partie de ces jeunes qui ont rêvé d’ailleurs et ont regardé le temps passer sans s’éloigner. Déjà à l’époque, Nina n’était pas connue pour sa ponctualité. Max serait incapable de compter les fois où il est arrivé en retard à l’école pour l’avoir trop attendue. Louis, qui se rendait dans un autre établissement, avait pris le pli de lui donner rendez-vous à la sortie de ses cours à elle, pour être sûr de ne pas l’attendre indéfiniment. Des années plus tard, par un après-midi d’hiver ensoleillé, aucun des deux n’est donc surpris de ne pas la voir descendre du premier bus, ni du second, ni même du troisième. Leur amie les a probablement oubliés : la météo, sa mémoire, les imprévus, la passion ou même l’ennui, tout lui sert d’excuse.

Connaître Nina depuis sa plus tendre enfance n’empêche pas Louis de s’agacer. La séance va démarrer d’une minute à l’autre et il a envie de voir ce film depuis plusieurs semaines. C’est pour cette raison que la jeune femme lui avait proposé de se joindre à Max et elle. Les deux hommes se mettent d’accord : ils essayent de l’appeler encore une fois, tombent à nouveau sur sa messagerie et entrent s’acheter des pop-corn.

Le soir tombe doucement lorsqu’ils sortent de la salle. Toujours aucune nouvelle. Tout en discutant de leur déception par rapport à la séance, ils multiplient les suppositions sur l’absence de Nina. Par acquit de conscience, Maxence décide de passer vérifier chez elle. En enfourchant son vélo, Louis approuve et demande à être tenu au courant.

Maxence connaît Nina depuis des années. Leurs appartements respectifs sont à proximité l’un de l’autre et il possède l’unique double des clés. Lorsqu’il arrive, les lieux sont déserts. Pourtant, la jeune femme les occupe, elle les occupait même il y a encore peu de temps. Les draps sont froissés, une assiette sale traîne à côté de l’évier, un téléphone est posé sur la table. Maxence s’inquiète en le voyant, des hypothèses plus sombres que celles évoquées avec Louis lui traversent la tête tandis que sa conscience le somme de ne pas paniquer. Nina ne lui a pas paru en forme lors de leur dernière rencontre. Il regrette d’avoir arrêté de fumer. Comme lui, ses pensées se dispersent, se cognent dans tous les sens dans son cerveau plus étroit encore que l’appartement et, à l’instar de ses pas qui le ramènent à chaque fois près de l’entrée, se fixent sur la certitude du gramme restant dans la commode de son salon. Mauvaise idée.

C’était Nina qui l’avait persuadé d’arrêter, arguant qu’un esprit vif l’aiderait à trouver un travail ou, au moins, à se réveiller à l’heure pour se rendre à ses entretiens d’embauche. Il a un job désormais, alimentaire, certes, mais c’est mieux que rien. Il prend une inspiration. Un raisonnement clair est utile dans plein de situations. Il appelle Louis, qui lui dit de ne pas encore s’inquiéter. Il lui conseille de faire le tour de l’immeuble et d’attendre un peu.

Toujours debout à côté de la porte, les bras ballants, Maxence constate pour la première fois à quel point avoir les clés de quelqu’un est une preuve de confiance. Pendant tout ce temps, il aurait l’occasion de s’immiscer dans les plus sombres secrets et les plus belles amours de Nina, de farfouiller dans ses tiroirs, sa correspondance, son journal intime, ses albums photos. Nina ne verrouille même pas son portable, mais il n’est pas prêt à l’ouvrir, car sa présence dans les lieux est une anomalie. Aucune femme de son temps ne se balade sans moyen de communication. Pourtant, ce téléphone, comme le reste des affaires intimes de Nina, contient un tas de réponses, pour qui sait poser les bonnes questions. Maxence n’ose pas encore fouiller, mais il sait qu’il le fera. Il veut faire taire l’angoisse déraisonnable qui gonfle dans ses poumons. Il veut savoir où se trouve Nina et a peur de découvrir qui elle est. Il se dit que tout cela tient presque de l’expérience sociologique. Peut-on tout connaître de quelqu’un et l’aimer encore ?

Cette question anime énormément de gens, en paralyse certains, et Nina ne fait pas exception. Comme beaucoup, elle ment, aux autres et à elle-même. Elle s’embellit. Elle se cache tout au fond de ses entrailles, se plie en sept pour être la plus discrète possible et ne surtout pas être découverte. Tout cela, Maxence s’en doute. Il sait aussi qu’il ne faut jamais se jeter sur une vérité sans son contexte : il n’y comprendrait rien et la transformerait en mensonge, elle aussi. Alors, il ne prend pas tout de suite le téléphone. Il reste dans le corridor. Il y a attrapé un stylo qu’il porte machinalement à sa bouche, sans savoir par où commencer. La cuisine est à gauche et la salle de bains à droite, ou peut-être que c’est l’inverse, il confond toujours. Au bout du couloir, il y a une grande pièce qui sert de salon, de salle à manger, de bureau et de chambre. Un rideau dissimule le lit double aux regards indiscrets. Au fond, se situent une baie vitrée et une petite terrasse sur laquelle meurent quelques plantes. Maxence, comme tant d’autres de leur âge, a le même appartement, où les murs sont blancs, parce qu’il n’est pas propriétaire et qu’il n’a pas envie de repeindre en partant.

Quelques affiches de festival sont accrochées aux murs, avec des photos entre amis. Il y a aussi une armoire dans un coin, une table, quatre chaises, un canapé un peu vieillot, récupéré par Nina lorsque sa grand-mère est partie en maison de retraite, plusieurs étagères et un bureau qui croule sous les papiers et les bibelots. Dans la salle de bains, une douche, un évier, une toilette. Ce n’est pas très bien nettoyé, Nina n’est pas portée sur le ménage. Il y a peu d’objets, Nina n’est pas non plus désordonnée. Deux brosses à dents reposent dans un gobelet en plastique. Le dentifrice est presque vide, mais il y en a probablement un de rechange dans l’armoire. Après vérification, c’est le cas. Nina est prévoyante. Près du tube de secours, il y a une pharmacie d’urgence, qui ne contient que trois pansements ainsi que des médicaments contre la douleur et les nausées. Nina est avisée, certes, mais elle n’aime pas prévoir la maladie. De toute façon, elle ne souffre jamais de rien de pire que d’une gueule de bois. Les salles de bains sont des pièces suscitant la curiosité car privées par essence. Elles suscitent aussi souvent la déception, c’est le cas de celle de Nina.

Maxence s’empare d’un cachet effervescent et part chercher un verre d’eau dans la cuisine, qui offre un constat similaire. Ici aussi, une plante rend l’âme. Dans les placards, il n’y a que des épices, des couverts, deux casseroles et un paquet de pâtes. Dans le premier tiroir à côté de l’évier, Nina range de la paperasse et les factures, qu’elle paie toujours à temps. Maxence n’y prête pas attention. Aucun double fond qui cacherait des liasses de billets ou un revolver chargé. Nina n’est pas une personne palpitante : l’intérêt de sa vie ne réside pas dans d’abracadabrantes aventures qui auraient pu la mener à une rencontre houleuse avec le chef de la mafia locale. Des péripéties abracadabrantes et houleuses, Nina n’en vit que des amoureuses. Ces histoires, elle ne les cache pas dans des doubles fonds de tiroirs de cuisine, ni dans une salle de bains qui aurait besoin d’un bon décrassage. Elles sont dans l’agenda noir toujours fourré dans le sac à main près du radiateur, sous forme de RDV Alex, 19 h, café du Nord ou RDV Charlie, 20 h 30, ciné du centre. On peut également les lire dans ce téléphone sans code, posé sur la table basse. En dernier recours, on les trouve aussi dans le petit carnet vert qui traîne près du lit. Nina tient un journal intime. Elle gribouille des pensées et rage sur le papier, parfois, tard le soir ou tôt le matin. Rares sont celles et ceux qui tiennent assidûment un journal intime. On ne peut pas se contenter de le vouloir, il faut le pouvoir. Nina en a le temps, les capacités, le matériel et surtout le besoin.

Maxence tient le carnet dans ses mains. Il l’ouvre, observe l’écriture irrégulière de son amie, le referme aussi sec. Il tremble, fait tomber le journal sur le lit. Il y reviendra plus tard. Il veut savoir, il veut comprendre, mais pour l’heure, il se rapproche des photos accrochées au mur. Son cœur se serre lorsqu’il croise le regard de son amie et son instinct refuse d’arrêter de lui crier que quelque chose ne va pas. Il s’imagine son amie en train de pleurer, installée seule à la terrasse d’un bar. Nina sort beaucoup et part de temps en temps en vacances. Elle a une grande famille, des parents divorcés. Elle a l’air de s’amuser, mais après tout, qu’en sait-on ? Jamais quelqu’un n’a affiché des portraits de soi en train de pleurer. Loin des amours tumultueuses que Maxence connaît à Nina, ne se trouvent ici que des amitiés, peut-être aussi superficielles que l’instantané.

Le jeune homme pianote nerveusement sur son clavier, répond à un appel, les minutes ne passent pas. Distraitement, il observe la bibliothèque. Elle lit beaucoup, Nina. Certains semblent avoir été régulièrement dévorés. La Plage d’Ostende, L’Écume des jours, Orlando, King Kong Théorie, L’Événement,entre autres. Plusieurs bandes dessinées. Sur l’étagère du bas, une bonne dizaine d’ouvrages n’ont pas été ouverts, leur apparence impeccable ne fait pas illusion à côté des autres. Majoritairement des romans décrétés classiques, dont deux Victor Hugo, qu’on lira « quand on aura le temps », celui qu’on ne prend jamais.