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"Écologie, le tout ou le rien" interroge les conséquences d’un développement humain sans frein, né de l’ingéniosité et de la volonté de puissance, mais dépourvu des régulations qui gouvernent le vivant. L’auteur y pose une question centrale : comment réduire notre dépendance énergétique sans renier les valeurs humanistes ? À travers une remise en cause profonde des dogmes de la croissance, il plaide pour une nouvelle sagesse : celle des limites librement choisies, éclairées par la raison et le respect du vivant. Mais cette prise de conscience suffira-t-elle à enrayer la fuite en avant d’un progrès devenu illusion ? L’urgence se fait sentir à chaque page, nourrie par une tension palpable : aurons-nous le courage d’agir avant qu’il ne soit trop tard ? L’ouvrage se conclut sur un appel poignant à la jeunesse : comprendre les périls, renouer avec la nature, et bâtir un avenir qui ne sacrifie ni la planète ni l’humanité.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Michel Joli, fort de son expérience altermondialiste, s’est tourné vers l’écologie après avoir pris conscience de l’irréversibilité des phénomènes climatiques destructeurs. Pour lui, cette menace globale appelle un changement de paradigme civilisationnel afin de sauvegarder la diversité biologique du vivant et celle des cultures humaines.
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Seitenzahl: 285
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Michel Joli
Écologie, le tout ou le rien
Croissance et intelligence des limites
Essai
© Lys Bleu Éditions – Michel Joli
ISBN : 979-10-422-7935-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
– Climat : de l’irréversible et du réparable, L’harmattan édit. p 185 ;
– Climat et civilisation (préface) ouvrage de Hervé Le Treut (GIEC), éditions Érès, 2022 ;
– Fraternité globale, 2021, Éditions Érès, Toulouse, p 170 ;
– L’éthique du civilisé, entretien avec Patrick Tort, dans P. Tort, Capitalisme ou civilisation, Éditions Gruppen, 2020, p 140 ;
– Laïcité et fraternité. Un nouvel art de vivre, entretien avec Vincent Séguéla, Éditions Léo Lagrange, 2016, p 125 ;
– Esprits libres et engagés, Éditions Léo Lagrange, 2015 ;
– Le goût des autres. Notre vision de l’engagement, collectif, Éditions Léo Lagrange éd ;
– Esprit libre :Pour un partage festif des savoirs, collectif, préface Edgar Morin, éditions Bruno Leprince, 2013.
À Federico Mayor Saragosse1
Au cours de ma carrière de physicien largement consacrée au climat, j’ai traité des sujets en rapport avec la modélisation mathématique de phénomènes complexes sans jamais perdre de vue l’interdisciplinarité nécessaire avec les sciences humaines, ce qui est de plus en plus le cas aujourd’hui.
Le présent ouvrage de Michel Joli, s’ouvre sur un constat : la crise climatique est un mode d’entrée, visible et sensible, dans un processus global qui risque d’amener à la destruction du vivant. Il ne s’agit pas seulement de s’y adapter et de s’en protéger, mais d’en traiter les causes sous peine d’un risque d’effondrement civilisationnel.
Il est nécessaire pour chacun de participer à l’effort mondial d’atténuation des changements climatiques, bien que les gaz qui continuent de s’accumuler au-dessus de nos têtes, de manière toujours plus rapide, soient bien plus largement d’origine chinoise ou américaine que française ou européenne. D’où qu’ils viennent, il faut contribuer à leur réduction.
Le stockage atmosphérique de quantités énormes de gaz à effet de serre crée une vulnérabilité nouvelle, celle des « territoires », c’est-à-dire celle des lieux de vie proches des citoyens et des lieux de travail. Anticiper les risques qui s’y présentent devient une obligation qui répond au principe de précaution de notre Constitution. Il faut tirer parti de ce que sont déjà ces territoires, c’est-à-dire des lieux où les problèmes posés s’appellent urbanisme, infrastructures de transport, défense des zones naturelles et des zones vulnérables, développement de filières énergétiques ou agricoles, qualité de l’air, de l’eau et des sols, accès à la mer… Plus qu’une adaptation – le mot a une consonance un peu passive –, c’est un changement actif, un changement majeur en termes de prise de conscience, mais aussi de développement scientifique et socio-économique, qui devient nécessaire.
Le projet AcclimaTerra2, créé dans une initiative conjointe avec la région Nouvelle-Aquitaine, peut servir de référence pionnière pour déterminer les actions qui sont associées à ces préoccupations nouvelles. Définir ce qui reste possible, en prenant en compte les besoins de la biodiversité comme ceux de la société, devient aujourd’hui une tâche de plus en plus contrainte, demandant des arbitrages toujours plus difficiles. Il est nécessaire aujourd’hui de poursuivre dans cette voie de la protection et de la prévention au plus près des territoires.
Les humains, dans une forme d’hubris, semblent parfois convaincus qu’une forme d’immunité serait une caractéristique irréversible de leur espèce. Cependant, c’est la première fois que l’humanité se trouve exposée à un tel risque de disparition ; c’est aussi la première fois qu’elle s’en trouve responsable.
Que peut-on faire dans ce contexte mondial nouveau ? Nos contemporains doivent relever un défi sans précédent face à la complexité inextricable des menaces, telles que :
– le spectaculaire effondrement de la biodiversité ;
– la croissance de toutes les formes de pollution, de l’eau, de l’atmosphère et du sous-sol, en lien avec la surconsommation énergétique fossile et l’extractivisme tellurique ;
– l’émergence de nouvelles pathologies épidémiques, le retour d’anciens virus et la multiplication des transports et des contacts interhumains ;
– l’accroissement de toutes les migrations imposées par la nécessité d’adaptation au déséquilibre global du vivant, aussi bien pour les humains, que pour l’ensemble des espèces végétales et animales, à la recherche de nouveaux biotopes, etc.
J’ai rencontré Michel Joli il y a trois ans à l’occasion d’une réunion de scientifiques plus ou moins apparentés et surtout amoureux des Pyrénées. Chaque année, en juillet, ils organisent un colloque « privé » en prise directe sur l’actualité scientifique. Cette année-là, mes camarades, cousins-cousines, chercheurs et enseignants m’avaient donné la parole sur le thème de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques exceptionnels et son rapport avec le réchauffement de l’atmosphère. Michel était venu avec Gilbert Mitterrand, Président de la Fondation France-libertés,3 pour une première prise de contact à l’issue de laquelle je lui ai proposé d’écrire la préface de mon livre Climat et civilisation, un défi incontournable dans une collection de la Fondation chez Eres Toulouse. Ce fut une première réflexion commune.
Trois ans plus tard, récidivant à front renversé, nous nous retrouvons pour la publication du présent ouvrage qui est porteur d’une ambition politique à propos de :
– l’irréversibilité de la dérive climatique « en l’état », la nécessité d’une approche stratégique globale, l’analyse des causes et des conséquences du désordre climatique, et les moyens d’y mettre un terme ;
– la formulation d’un socle (provisoire ?) d’hypothèses anthropologiques concernant le mécanisme de croissance sans limite que propose Patrick Tort, le plus connu des exégètes de Charles Darwin. J’ai été heureux de le retrouver dans cet ouvrage où il nous parle de l’hypertélie de croissance ;
– l’utilité d’introduire au titre de précaution l’acquisition d’une intelligence des limites, plus apte à capitaliser et à rationaliser les connaissances acquises au profit d’une meilleure compréhension du monde ;
– la défense et l’encouragement des scientifiques de toutes les disciplines en relation avec la complexité du vivant et de son écologie globale. Pour analyser la complexité du monde actuel, une parole interdisciplinaire des scientifiques et de leurs compagnons des sciences naturelles et humaines est nécessaire au fondement d’une éthique nouvelle, étroitement associée à la connaissance commune, à son usage et à sa transmission. Il leur revient également de s’impliquer dans l’éducation de nos enfants afin d’en développer « l’intelligence des limites » pour éviter une croissance destructrice de la nature, et pour préserver les fondements de nos valeurs humanistes.
Hervé Le Treut,
Climatologue GIEC
Le jour où la terre hurla
… il n’y avait personne pour l’entendre
Le 2 août 2024, c’était le jour du dépassement, « le jour où la terre hurla », pour reprendre le titre étrange d’une nouvelle de Conan Doyle4. Vous savez que ce n’était pas un jour férié, ni un jour de fête en dépit des Jeux olympiques en cours à Paris, mais un jour de constat, un rendez-vous annuel avec notre terre nourricière. Le jour où la terre demande à l’humanité avec un peu plus d’impatience chaque année de cesser de prélever sans compter le double de ses besoins au détriment des autres espèces et de s’acharner à détruire par le feu ce qui reste du monde vivant. Ses cris n’ont pas couvert les clameurs olympiques ni les bruits de bottes proche-orientales. Mais, si nous n’avons rien entendu, c’est avant tout parce que nous sommes indifférents aux souffrances de la terre.
De la médecine option psy à l’administration centrale du ministère de la Défense et à celui de la Prévention des risques majeurs (1981-1987), de la politique municipale locale à celle des Nations Unies et de l’action humanitaire internationale institutionnelle à associative, j’ai fini par poser mon sac à la Fondation Danielle-Mitterrand. Pendant 15 ans j’ai aussi occupé un poste d’administrateur de la Fédération d’éducation populaire Léo Lagrange. Les compétences de ces deux institutions ont permis d’établir un partenariat « éducatif », notamment au Kurdistan et en Afrique subsaharienne, en rapprochant avec un certain succès l’éducation populaire et l’alter mondialisme. Ce partenariat fut compromis par des événements géopolitiques qui mirent un terme à tous les projets de codéveloppement. C’est à l’âge de la retraite que je me suis rapproché du mouvement écologique, quand j’ai compris l’irréversibilité de certains phénomènes destructeurs du vivant, notamment climatiques. J’étais alors, comme beaucoup de mes camarades « humanitaires », plus orienté vers l’atténuation des conséquences de ces phénomènes que sur leurs causes qui me semblaient être du domaine exclusif des scientifiques et des politiques. Sans abandonner l’action historique de la Fondation Danielle Mitterrand en faveur du libre accès à l’eau, bien commun universel, je me suis engagé dans la lutte contre le changement du climat, qui constitue en soi la mère de toutes les batailles écologiques… et les conséquences géopolitiques d’un retour à la division du monde sous une forme nouvelle : ici, l’Occident et ses valeurs productivistes, en croissance infinie sur le modèle américain ; là, le reste du monde, dont les nouveaux leaders favorisent l’exaspération criminelle des extrémismes religieux. Tous manifestent par des expressions différentes un profond dédain à l’égard de l’humanisme et de ses valeurs de coexistence (fraternité, diversité, solidarité, identité des droits, respect des différences culturelles et des variétés ethniques…). Ce qui se passe actuellement aux États-Unis en est la tragique démonstration.
Je vous parlerai des mesures que nous pourrions prendre pour transformer la crise en aubaine civilisationnelle par une modification majeure des rapports de l’humanité avec le monde du vivant. Chemin faisant je dénoncerai le climato-scepticisme comme une plaie additionnelle dont l’humanité pourrait utilement faire l’économie.
Résultant d’interactions complexes entre la chimie et la minéralogie, le vivant possède une origine et une organisation qui échappent pour beaucoup à l’entendement humain. Cette ignorance relative explique la grande diversité des interprétations, des croyances et des cultures qui fragmentent l’humanité. Chaque communauté est porteuse d’une représentation et d’une explication spécifique du monde.
Le créationnisme contemporain est une forme dérivée du christianisme. Ses adeptes n’acceptent pas une évolution spontanée « de l’intérieur » du vivant dans un temps long nécessaire à une transformation progressive par essais multiples de la sélection naturelle. Ils refusent de ce fait l’intervention du hasard, des événements contingents et surtout de la constante pression de milieux opérateur des variations évolutives darwiniennes et de la complexité qui caractérisent le développement naturellement lent de la vie et de sa diversité.
L’opposition entre le créationnisme historique sous toutes ses formes et la compréhension rationnelle des phénomènes évolutifs, rend compte d’une des plus importantes divisions de la société humaine. Cependant, nombreux sont ceux qui, de part et d’autre, reconnaissent que leur divergence sur l’origine de la vie ne doit pas remettre en cause leur communauté de destin.
La croissance
Certains voyaient dans les alarmes climatiques des écologistes au début des années 1980, une manœuvre tactique pour exiger de « changer le monde » dont ils dénonçaient la culture productiviste, sans pour autant remettre fondamentalement en cause la croissance des activités humaines. Il est vrai qu’alors la seule évocation d’une décroissance était incompatible avec la magie et les séductions de la créativité libérale, de la consommation à tout-va, des loisirs et du temps libre. Ainsi fut anesthésié dans les pays riches, le désir d’un changement existentiel qui s’était développé çà et là dans les années 1970 dans sa version libertaire new-âge et contestataire post 68. Émergeaient bien, çà et là des revendications fugaces portant sur l’injustice du partage des ressources vitales dans le monde, la condamnation du colonialisme, celle d’une croissance effrénée d’équipements domestiques par une nouvelle bourgeoisie obsédée par le mieux vivre et la mobilité. Des revendications qui mettaient en concurrence permanente le paradigme de la liberté et celui de l’égalité. Ce challenge qui a occupé bien des esprits et fait couler beaucoup d’encre apporta avec les trente glorieuses l’illusion d’une synthèse humaniste possible entre les trois domaines essentiels au maintien de la vie : celui des ressources, celui de la diversité anthropologique et culturelle, et celui d’une irréversible croissance.
Cependant nul (ou si peu) ne s’est avisé que cette dernière était impossible dans « Le temps d’un monde fini qui commence » annoncé par Paul Valéry en 1918. Un monde exposé à l’affirmation dominatrice de plusieurs groupes humains avides, hostiles ou complices, dont le seul objet consistait à instaurer un pouvoir sans partage sur le monde grâce à la domination et l’exploitation économique des faibles et au saccage de la nature ; ce qui, en terme courant, s’appelle la dictature.
Dans un même mouvement d’inspiration coloniale, les dominants, souvent devenus héréditaires, augmentèrent, à chaque génération, leurs droits et parts de marché sur les ressources de la Nature, notamment celles du sous-sol et de la biodiversité. Le plaisir et le confort de cette vie « offerte » par la Nature aux humains devinrent la justification universelle de leur activisme dédié, disaient-ils, au bonheur pour tous. Ils sont parvenus à un point extrême d’hypocrisie en laissant croire aux victimes de la croissance, victimes sociales par absence de justice, victimes de pénurie par absence d’équité, victimes des destructeurs de vie par absence de précautions… que seule la croissance économique pouvait réparer dans l’avenir les destructions dont elle était elle-même responsable dans leur présent.
Cette naïveté entretenue permit de confondre espérance et progrès sous un terme générique : la croissance, en évitant de dire cependant qu’il s’applique également à l’épuisement de la planète et à l’inefficacité des régulations du vivant, sélectionnées bien avant l’émergence des hominidés dans le temps long de l’évolution. Les hommes modernes comprennent ces phénomènes de dérégulation, mais ils sont incapables de se substituer à la nature pour en réparer les effets en raison du temps court de leur vie et de leur méconnaissance de la complexité du vivant… leur incapacité à neutraliser et/ou remplacer les énergies carbonées et à recycler jusqu’à leur stade ultime leurs propres déchets de vie, en est la meilleure démonstration. Ces évidences forment un risque global dont la transformation climatique fut la principale expression. La constance de la température de l’atmosphère résulte en effet d’un équilibre fragile et précieux, l’homéostasie, dont le rétablissement dépend aujourd’hui de la seule volonté et capacité de changement existentielle des humains dont ils semblent à ce jour dépourvus.
Menaces de divisions de l’espèce humaine
L’humanité est sans cesse confrontée à des menaces de divisions en raison de la diversité des origines, géographiques et historiques de ses représentations du monde et de ses rapports avec la nature. Cependant elle est aussi dotée d’une conscience aiguë de son indivisibilité anthropologique. C’est elle qui la protège de toute sécession fatale par la mise en commun de ce qui concourt à sa croissance adaptative, à la connaissance de son environnement et à une représentation commune du monde, actualisée en permanence par la connaissance scientifique. C’est cette indivisibilité par le savoir qui est à l’origine de la conscience d’une communauté de destin.
Mais la fragilité de cette référence à la connaissance du monde qui devrait unir les humains ne leur permet pas de résister au pouvoir totalitaire des dominants fondé sur des restrictions de la connaissance et des libertés de conscience et d’expression. Celles-ci exercent en effet une menace permanente sur l’uniformité obéissante indispensable à la prospérité des dictatures qui s’emploient à saturer, distraire et anesthésier une curiosité légitime jamais satisfaite par les mensonges officiels des dominants.
C’est au 19e siècle que se sont effondrées les justifications religieuses et morales des pratiques coloniales et se sont affirmé et structuré les valeurs de l’antiracisme, liées à celle de la laïcité républicaine. Le rejet et la dénonciation de toute forme de discrimination raciale ou religieuse a permis d’affirmer la permanence du droit à la vie et les valeurs égalitaires de la démocratie, l’expression libre et sans pudeur des opinions, affects, goûts, jugement et représentations artistiques du vivant et de mettre un terme aux fausses logiques séparatistes qui légitiment une domination coutumière et contrarie le « processus fraternel d’identification à l’autre comme un autre soi-même. Une traduction laïque de l’injonction chrétienne d’aimer son prochain comme soi-même, sans avoir à se référer à son origine, son rang, sa race, son sang et sa religion.
Cela s’est traduit concrètement par la sanction pénale de toutes formes d’intolérances raciales et de leur traduction avec l’abolition de l’esclavage, puis les révolutions sociétales révélatrices de nouveaux droits concernant l’identité de genre, les nouvelles conjugalités et le droit à l’assistance en fin de vie.
L’ensemble de ces transformations des droits et devoirs devait permettre de renforcer les solidarités et l’indivisibilité de l’espèce humaine et lui apporter la capacité de faire face aux intentions isolationnistes des puissants de ce monde que traduisent les professions de foi trumpistes d’outre atlantique5.
Le mode de vie actuel de l’humanité s’inspire, pour sa quasi-totalité, du modèle occidental. Or, celui-ci ne peut prétendre à une promotion universelle alors que ses modes d’action consistent à piller, restreindre et paupériser le vivant à son seul profit. Une réforme civilisationnelle doit nécessairement permettre de réduire la part des prélèvements de l’humanité dans un rapport de proportionnalité compatible avec les besoins du vivant dans sa globalité.
Cette règle de justice devrait permettre de restaurer les sols et les biotopes, de leur rendre leur vocation vitale, indispensable au sauvetage de la biodiversité. Elle permettra de définir des références philosophiques nouvelles essentielles au respect de la vie comme une « maison commune » impliquant une adaptation de notre intelligence et de nos instincts protecteurs des faibles et des « différents ». Cette nouvelle approche du développement de notre espèce, en lieu et place d’une croissance économique sans foi ni loi, permettra d’en finir avec une civilisation de l’illimité qui conduira inévitablement à un brutal effondrement du vivant épuisée par les excès des humains.
Ce projet conduit nécessairement au rapprochement de deux courants civilisationnels encore trop largement indépendants, voire parfois hostiles : celui de la protection de la nature et de ses ressources et celui de la protection de l’homme contre lui-même. Une synthèse difficile dont la logique ne peut écarter la nécessité de mettre en compétition le présent et le futur par une impossible articulation entre l’action immédiate et celle du plus long terme.
C’est cette difficulté qui nécessite dans le présent une adaptation aux conséquences du dérèglement du climat, mais aussi la suppression de ses causes qui menacent la survie de nos successeurs. Opposer la fin du mois et la fin du monde, c’est choisir de sacrifier les uns pour la survie des autres, de faire un choix simpliste entre l’écologique et le social, alors qu’il s’agit de deux attitudes militantes qui rendent compte de la même folie néolibérale responsable d’une dérégulation globale de l’économie.
À ce jour rien ne nous permet de croire à une inversion de la courbe du réchauffement et des modifications climatiques catastrophiques. La globalité et l’urgence absolue d’un changement radical de notre mode de vie doivent nous faire abandonner certaines postures que nous devons au progrès social, matériel et techno-scientifique. Ces abandons sont nécessaires pour réduire notre empreinte carbone et l’injuste fracture entre les riches extrêmes et les pauvres extrêmes. Le partage des richesses est sans doute une menace pour le confort de vie, mais l’intolérance de la nature à l’égard des excès de la civilisation humaine est bien plus redoutable.
Il est urgent de prendre conscience que notre communauté de destin implique une attitude de solidarité fraternelle qui surplombe les divisions sociales, économiques, idéologiques et religieuses. Une attitude qui devrait nous permettre de modifier nos rapports avec le vivant et de poser le respect de la nature comme le prolongement de celui que nous devons à nos semblables.
Pour cela il faut concevoir un nouveauparadigme civilisationnel dont l’empreinte serait clairement compatible avec celles du vivant, de la nature, de la planète…
On ne peut pas décider de changer la civilisation grâce à une planification approximative qui ferait plus de place à la fiction qu’à l’usage rationnel du savoir et à une limitation volontaire des appétits de l’humanité.
Dès à présent il nous faut définir des conduites à tenir conservatoires qui auraient un effet préventif sur les conséquences d’une croissance inspirée uniquement par la recherche du profit ; définir une transformation paisible et irréversible des relations de l’humanité avec le reste du vivant. Pour cela il est nécessaire que « nous les peuples »6 soyons convaincus de la nécessité d’une révolution globale et cessions nos atermoiements entretenus par l’espérance d’une réparation spontanée des fracturations du vivant ou l’intervention providentielle d’un secours immanent ou extraterrestre qui n’arrivera jamais.
Même si, sous certaines latitudes, la température reste supportable, même si on considère qu’il relève de la responsabilité universaliste des Nations Unies d’organiser une offensive globale de réduction de l’effet de serre par une séquestration des énergies fossiles dans le sous-sol terrestre en raison de la dangerosité de leur utilisation en surface.
Même si nous croyons que l’exploitation des biens communs du vivant doit être strictement réglementée par une organisation supra nationale pour ne satisfaire que des besoins essentiels définis collégialement.
Même si nous savons qu’un tel projet se heurtera immédiatement au veto des puissants qui préfèrent poursuivre une exploitation « open-bar » jusqu’au dernier baril…
… une offensive globale ne peut plus attendre et nécessite une conviction solidaire et une mobilisation de tous les pays.
Éthique d’une transition
À cette fin, il nous faut proposer, sous la forme d’une urgente transition, une nouvelle éthique de vie et montrer qu’une mobilisation progressive est l’affaire de tous avec ou sans reconnaissance gouvernementale. Ce sera la nouvelle aventure culturelle de toute l’humanité, une culture respectueuse des différences et protectrice de l’unité de l’espèce.
Dans l’immédiat, ce qui compte c’est d’exposer aux yeux de tous les conséquences positives de ces initiatives individuelles ou collectives qui traduiront une volonté de partage et d’actions communes au profit des populations et des pays les plus exposés, qu’ils soient ici ou là-bas, sédentaires ou migrants, intégrés ou non dans une culture différente. La première étape consiste à organiser pour tous l’autosuffisance biologique et la protection de leur dignité, de leur identité et des spécificités culturelles en échange d’une pacifique participation à un changement civilisationnel globale. Afin que ces convictions ne soient pas des vœux pieux, il deviendra indispensable de convaincre les décideurs politiques de s’emparer de ces exigences éthiques afin de transformer le cadre économique propre à cette transition majeure et de :
– mettre un terme de l’extension de l’urbanisation, de la maltraitance des surfaces agricoles, des spéculations marchandes contre nature sur les productions alimentaires, mais aussi la fin de leur gaspillage et du recours aux polluants toxiques, industriels et agricoles.
– réduire les déplacements en raison des restrictions énergétiques et des choix de vie qui profiteront des activités de proximité et d’une épargne énergétique au profit d’une réorganisation territoriale des activités culturelles et sportives. Leur croissance sera une nécessité absolue pour développer de nouvelles formes de bien-être individuel ou convivial, une meilleure connaissance des autres et de soi-même et une relation renforcée avec la nature grâce à de nouvelles affectations conviviales du temps libre et des territoires vacants.
Cette période de transition devrait permettre de généraliser peu à peu le projet d’une civilisation équilibrée, généreuse et protectrice du vivant.
L’écolo-humanisme
Lorsque fut établi de façon incontestable que le réchauffement climatique était bel et bien d’origine humaine, on comprit que ses effets devaient appeler une réaction globale et urgente. C’est ainsi que les écologistes, déjà très engagés dans la promotion du respect de la nature, furent les premiers à se mobiliser sur le thème de la restauration du climat.
Ce fut comme une aubaine pour tous les opposants à un développement prédateur des activités humaines, de pouvoir se réunir autour d’une certitude commune, et montrer du doigt l’unique origine d’un risque global extrême et l’absurdité de l’emballement des activités productrices à seule fin de satisfaire une croissance économique sans discernement quant à ses menaces.
Jusqu’à ce jour le combat pour le respect écologique de la nature avait pour ligne directrice principale la « valeur bio », la promotion d’un nouvel art de vivre, le refus de toutes formes de pollution, toxiques ou déchets, la lutte contre l’épuisement de la biodiversité, la connaissance et le respect de l’harmonie entre le vivant et le non-vivant, la saisonnalité de la vie et la beauté du ciel nocturne.
Cependant les écologistes dans la diversité de leurs origines idéologiques, de leur mode d’action, de leurs engagements d’opportunité, de leurs autopromotions de leaderships et de leur ambition personnelle n’ont pas su investir avec suffisamment de détermination, de conviction et de sincérité le champ des nouvelles orientations civilisationnelles. Ils n’ont pu s’entendre ni sur une stratégie de communication commune clairement soutenue par des élus convaincus et courageux, par les chercheurs des sciences humaines et naturelles, les praticiens de l’agriculture, les universitaires et les institutions éducatives… enfin, par tout(e)s celles et ceux de nos concitoyens concerné(e)s par un décloisonnement de leurs savoirs naturalistes, contigus et complémentaires.
Les écologistes n’ont pas su intervenir au bon niveau de l’alarme climatique et se sont laissé bousculer par le climato scepticisme politique. Même encore, alors que les événements se précipitent, les écologistes ne parviennent pas à expliciter ce que doivent être les paradigmes d’une future civilisation sous la forme d’une prospective concrète concernant l’avenir des conditions de vie. Ils ont incontestablement apporté à la politique les ressources de leur imagination, mais aussi celle d’un séparatisme de conviction vite interprété comme une offensive idéologique par tous ceux qui ne voulaient pas prendre au sérieux leurs alarmes et leurs démonstrations. De ce fait, après bientôt 50 ans de méfiance écologique, ils ne sont toujours pas préparés à la confrontation brutale qui se prépare entre des représentations narcissiques de jardiniers du vivant et la réalité du monde sans cesse plus violent dont sont exclues toutes les valeurs de fraternité et de solidarité.
Il y a plusieurs degrés dans les objectifs écologiques, dont beaucoup ne sont que des reformulations concernant l’amélioration des conditions de vie de l’homme, celui du respect de la nature, celui de la réparation des prédations humaines, celui de la connaissance scientifique de la complexité biologique du vivant, celui de l’affirmation d’un absolu principe de précaution protecteur du vivant.
C’est beaucoup, mais toujours limité à des perspectives d’amélioration, de réparation et de modernisation sectorielle sans remise en cause des effets pervers d’une croissance qui contribuent à une dégradation constante des manifestations de la vie.
Qui peut expliquer l’ampleur des changements existentiels, la nécessité de nouvelles ambitions intellectuelles et surtout le nouveau rapport « philosophique » au vivant ? Qui pour inciter nos semblables à une mobilisation partisane, dont la plupart, à ce jour, ne comprennent pas l’intérêt ?
L’écologie n’est pas en mesure de proposer des représentations claires et rationnelles d’un futur compatibles avec l’évolution des situations géopolitiques.
Que dire sur les effets réciproques de la détérioration du climat et d’un possible développement des risques de guerre ? Comment l’écologie peut-elle faire la guerre à la guerre ?
Qui chez les écologistes nous explique clairement quelles seront à long terme les principales valeurs organisatrices d’une civilisation humaine respectueuse du monde vivant dans sa globalité ?
Que dire de la fausse impuissance des pays à maîtriser leur démographie, dont on sait bien qu’elle est essentiellement le symbole de la domination et de la respectabilité géopolitique d’un pays, mais aussi son point de faiblesse essentiel en cas de crise climatique majeure ? Un point faible qui ne sert ni l’expérience de prévention, ni la mobilisation solidaire, tout juste un peu de compassion et de satisfaction égoïste de ne pas être soi-même victime.
Que dire de la principale préoccupation écologique mondiale qui concerne la raréfaction de l’eau douce et potable ? Indispensable au vivant dans toutes ses expressions ; sa distribution dépend pour beaucoup de l’activité atmosphérique, de la géographie et surtout du savoir-faire technologique des humains.
La lutte pour l’accès à l’eau pour tous repose sur l’affirmation que l’eau n’est pas une marchandise, mais, bien plus, le symbole de la vie. Elle apporte aux humains une autre lecture du progrès dont la croissance doit être de l’ordre de la mise à disposition de valeurs naturelles et non d’en faire commerce. C’est l’écologie qui porte la revendication pour la satisfaction d’un besoin essentiel mais elle doit aussi exprimer cette alarme en termes civilisationnels.
Ces exemples illustrent bien la nécessité de faire de l’écologie humaniste et naturaliste un objectif global qui doit s’imposer au plus tôt comme un paradigme civilisationnel.
Depuis 50 ans les écologistes se sont égarés dans les dédales politiciens à la recherche des bulletins qui leur manquent à chaque élection. Ils ont compris trop tard qu’ils avaient oublié leurs tâches essentielles : expliquer comment et pourquoi l’émergence à brève échéance d’une civilisation écologiste et humaniste est nécessaire. Non seulement pour poursuivre une indispensable conversion humaniste, mais aussi pour échapper aux orientations totalitaires d’une civilisation techno-scientifique déshumanisante dont les projets portés par des séductions mensongères sont mieux compris que les arguments rationnels de l’écologie.
Scandaleusement, mais en rapport avec les pratiques capitalistiques, cette tâche « éducative » est aujourd’hui accomplie par des sociétés privées spécialisées dans une multitude d’activités de service « vertes » devenues un art de vivre bio. Encouragées par les politiques désireux de se verdir et de se mettre à l’abri des mouvements sociaux qui pourraient vite se transformer en révolte ou révolutions. Elles ne préparent pas une conversion civilisationnelle coordonnée, mais donnent aux élus le sentiment de « faire quelque chose pour la planète » sans mouiller leur chemise ni se salir les mains. Il suffit de financer des bureaux d’études et des entreprises nouvellement spécialisées en sciences écologiques et dont le rôle consiste à se substituer implicitement à la puissance publique. L’État pourrait faire l’économie de ces investissements non productifs si la sacro-sainte et pléthorique fonction publique assurait ses responsabilités avec sérieux et compétence dans une relation loyale et convergente avec les initiatives associatives et militantes de la société civile. C’est ainsi que l’écologie « pragmatique » tombe dans l’escarcelle des productivistes comme une extension de leur activité précédente ou comme des créations d’adaptation, de protections et de mode.
À l’échelle de leurs ambitions entrepreneuriales, les magnats et leurs affidés trouveront vite le chemin de la domination politique absolue par des propositions hypocrites de changement de mode de vie en usant de leur grande pratique de la domination par le mensonge, pour occuper le « marché » du bien-être, de l’augmentation de soi, et de l’artificialisation des ressources de la nature… Une orientation du « progrès » qui n’a rien à voir avec l’écologie, mais qui séduit beaucoup d’insatisfaits qui rêvent de « changer la vie » sans avoir toutefois le désir de se changer eux-mêmes à cette fin. C’est ainsi que s’explique l’éclipse actuelle de l’écologie et de ses valeurs civilisatrices… Les produits écologiques sont partout, les références àl’écologie aussi, comme une religion, une morale, un don de soi…. Mais l’écologie de civilisation est nulle part.
L’hypothèse révolutionnaire
Rien n’exclut cependant le recours à la révolution le jour où il faudra choisir entre vivre pour faire la révolution ou faire la révolution pour vivre. Les hommes et les femmes qui souhaitent recourir à la violence avec lucidité et conviction pour sauver la vie seront nombreux, mais bien d’autres le refuseront pour faire le choix d’une passivité et totale soumission à la croissance irréversible de solutions substitutives par le numérique et les technosciences. Cette orientation nécessitera d’écarter de leur chemin tous ceux qui défendent les valeurs humanistes et anthropologiques issues d’une longue évolution et qui refusent une domination accrue du capitalisme sur les valeurs humanistes. On voit bien que les régimes totalitaires s’organisent pour passer à l’acte partout dans le monde avec détermination et sans ambiguïté politique. C’est la stratégie du radicalisme totalitaire qui compte plus sur le rapport de force que sur une régulation raisonnée et démocratique de la société telle que l’appelaient de leurs vœux des démocrates respectueux des droits de l’Homme.
Mais, peut-être faudra-t-il rendre cette mobilisation effective avant que les souffrances dues au changement climatique ne soient devenues insupportables partout sur la planète. La crise climatique n’a pas encore de conséquences suffisantes dans la vie quotidienne des gens, et sa gravité n’est pas encore comprise par tous.
Une opportunité économique en forme d’aubaine
Cependant, l’espérance révolutionnaire de plus en plus vive n’échappe pas aux classes dominantes qui gardent en mémoire les multiples rébellions et mouvements sociaux que les « dominés historiques » leur font régulièrement subir sous des formes variées, dont certaines, rares et efficaces, ont bouleversé les souverainismes d’autrefois et les références productivistes du capital. Seules des guerres opportunes ont protégé ces classes dirigeantes qui, depuis, utilisent dans leur communication avec une hypocrite habileté le vocabulaire de la liberté, de la démocratie et même parfois de la fraternité pour ajouter de la confusion au débat politique qui occupe tant nos compatriotes.
Il y a urgence de politiser le débat. Avec la puissance que nous lui connaissons, le capitalisme néolibéral n’a pas dit son dernier mot, bien au contraire, car les puissants dominants sont toujours animés par les mêmes obsessions de croissance.
Contrairement à une opinion répandue, les décideurs, les leaders d’opinion, les hommes d’affaires, les banquiers et les entrepreneurs, les riches et les puissants ne sont pas aveugles et conscients de la mise en cause mondiale de la civilisation modelée depuis 1945 à leur seul profit. Leur projet d’avenir consiste à maintenir leur domination ; ce n’est pas le nôtre. Ils n’appartiennent pas à la même communauté de destin que le peuple. Mais ils ont déjà intégré le risque climatique comme une opportunité économique : le marché de l’adaptation. Simultanément ils œuvrent à la conception d’une société déshumanisée et uniformément divisée entre producteurs et consommateurs, dédiée essentiellement à la circulation des monnaies et des biens.
Mais viendra le jour d’une remise en cause leurs privilèges, de s’adapter à une société qui cessera d’évoluer à leur seul profit. Bien sûr il serait facile de leur faire porter le poids de leurs comportements prédateurs, séparatistes et dominateurs, tantôt au ban d’infamie, tantôt autour d’une machine à couper les têtes. Cette réplique de la grande Révolution française pourrait être tentante si les dominants modernes ne possédaient pas toutes les « cartes en main », comme dirait D. Trump, laissant aux plus faibles le seul joker de la violence de rue.