Et je suis morte le 24 septembre... - Angèle Belliard - E-Book

Et je suis morte le 24 septembre... E-Book

Angèle Belliard

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Beschreibung

La vie ne va pas de soi.
Virginie en a fait l'amère expérience depuis sa naissance.
Son enfance tourmentée en "institution" lui aurait donné toutes les raisons de se perdre dans le désespoir.
Comment et où a-t-elle trouvé les ressources de poursuivre sa trajectoire de vie sur le fil de sa destinée ?
Voici le journal "en épi" des six derniers mois de la vie de Virginie parmi ses proches, en temps de pandémie Covid19 : Peter, l'époux dévoué; Angela, l'étudiante épanouie; Cindy, la sœur de cœur; Tante Anna, recluse dans sa maison de retraite, et tous les autres ...
Avec la ferme conviction que, décidément, la vie a un sens.
Gravité et humour oscillent tout le long du récit qui revisite, sous des abords légers, les thèmes de la vie et de la mort de façon insolite.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Angèle Belliard,
Née en 1961,
Etudes universitaires de littérature et de communication,
A été, entre autres activités, professeure de langues à Zurich,
Epouse, maman et grand-maman,
Vit désormais près du lac de Neuchâtel.

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Angèle Belliard

Et je suis morte le 24 septembre…

Récit

© 2021, Angèle Belliard.

Reproduction et traduction, même partielles, interdites.Tous droits réservés pour tous les pays.

ISBN 9782940723058

An meinem lieben Mann,

À mon fils chéri,

To my darling grandson.

Mercredi 17 juin

Peter vient de partir tenir sa permanence à son bureau de la Grand Rue en ville. Pour lui c’est certain, la visière sera à l’ordre du jour ; le masque et le désinfectant pour ses clients.

Quant à moi, je m’attelle à mes traductions.

Pour l’heure, l’œuvre qui m’attend est un livre pour enfants : « Max et les petits pois », avec les ravissantes illustrations de Mélodie Kunz. Max a six mois et il s’émerveille lorsque, pour la première fois, sous son nez, neuf petits pois le défient sur son assiette. Certes, il avait déjà expérimenté des petits bâtonnets orange qu’il avait illico recrachés de détestation avec force grimaces (les carottes, ce n’est pas son truc !). Mais ces billes vertes ? Doit-il les mettre dans sa bouche ? La curiosité de Max est attisée par cette forme et cette couleur. Essayons prudemment d’y goûter. Mmmm ! c’est délicieux ! et ainsi de suite…

Le premier livre pour enfants que j’eus à traduire s’intitulait « Der Fuchs und Mich » Était-ce un signe du hasard ou un clin d’œil du destin ? Il s’appelait comme moi FUCHS, le renard !

Même si la traduction de cette littérature enfantine peut paraître tâche plus aisée, ma responsabilité demeure engagée car, même ici, je suis le « passeur » des mots d’un autre. Mon premier « jet » n’est jamais définitif ; je pose le crayon, et je « ressasse » les mots pendant des jours. Je relis l’original, puis ma traduction à haute voix afin d’entendre comment elle « sonne ». L’importance de la « mélodie » du texte est inversement proportionnelle au nombre de mots qu’il contient. Dans le cadre d’un ouvrage pour les petits, cette « musique » est essentielle…

À table ce midi, Peter me raconte l’anecdote de sa matinée. Il faut dire que mon cher mari adore raconter de croustillantes histoires ; il se délecte des petits travers humains et aime davantage encore les resservir – à sa façon – devant un auditoire qu’il sait acquis d’avance. Donc, ce matin, Monsieur Duruz, un client de septante-et-un ans, est passé au bureau pour le renouvellement de sa police de RC responsabilité civile.

– « Monsieur Vogt, il faut que je vous dise, il y a du nouveau chez moi…/… ma femme a déménagé la semaine dernière pour habiter ailleurs…/… dois-je inscrire sur le nouveau formulaire le nom de ma copine qui vit avec moi maintenant ? ».

– « Le moins qu’on puisse en dire, c’est que Monsieur Duruz n’a pas perdu de temps ! Tu ne trouves pas, Virginie ? »

Mon bien-aimé et son humour quelque peu décalé…

Rue Célestine, je croise Marie, du deuxième étage, qui revient, vidée, de sa journée de déclarations d’impôts pour les nécessiteux. Elle aussi devait porter une visière et ses clients un masque, en plus de la désinfection obligatoire des mains pour chacun. « Avec tous ces cas de détresse, j’ai à nouveau vu défiler toutes les misères du monde ! ». Elle a parfaitement conscience que beaucoup d’entre eux sont perçus dans la société comme des profiteurs, des fainéants, des bons-à-rien, parfois impolis, agressifs, revendicatifs. « Mais au bout du compte, Virginie, sont-ils plus heureux que nous ? » Au fil du temps, elle a appris à prendre de la distance et à être moins dans l’émotion ou dans le jugement. Elle sait que le bien qu’elle fait lui est compté. N’est-ce pas l’obligation du chrétien qui doit servir… même ses ennemis ?

Répétition de mon chœur « A Bien Plaire » à dix-neuf heures. Force est d’admettre que notre cheffe, Muriel, a une bonne dose de mérite, derrière sa visière, à nous faire répéter dans de telles conditions. Quant à nous, les choristes, s’époumoner avec un masque sur le nez tient du supplice. Disons que c’est plutôt la joie de nous retrouver ensemble qui nous motive. Ma voisine soprane de droite, Claudie, me semble en pleine forme. Elle a pris hier son dernier bain bi-hebdomadaire dans le lac qui lui paraît désormais « trop chaud et trop encombré », ce sont ses mots. Elle m’exhorte régulièrement à l’imiter : « Tu sais, Virginie, au début, j’emportais une bouillotte dans mes vêtements douillets, mais le corps s’habitue. Une température de l’eau à 10 °C, c’est l’idéal ». Rien qu’à l’évocation, j’en ai froid dans le dos et la chair de poule ! Non merci ! très peu pour moi… Qu’il semble loin le temps où je côtoyais une Claudie effondrée de désespoir après la désertion de son mari la délaissant pour les charmes de sa jolie secrétaire de trente-deux ans (a-t-on assez mesuré, dans un rayon de dix mètres, l’impact désastreux des jeunes et jolis agents administratifs sur l’équilibre hormonal de leurs supérieurs ?) Après une trentaine d’années de mariage plan-plan, j’ai vu, en quelques mois, une Claudie devenir adepte des sensations fortes, boulimique de loisirs et d’activités dans les domaines les plus divers. Sa personnalité m’amuse et m’intrigue tout à la fois.

Une nouvelle étude scientifique confirme que les moins de vingt ans ont deux fois moins de risque d’attraper la maladie du COVID que les plus de vingt ans.

L’Inde déplore 2 000 morts ces dernières 24 heures.

Aujourd’hui, les USA enregistrent davantage de morts liés au Covid19 que le nombre de soldats étasuniens tombés pendant la première guerre mondiale.

Au téléphone, ce soir, Angela nous annonce fièrement que John a terminé l’assemblage de son œuvre d’art en Lego, et que la merveille trône désormais sur le bureau de sa chambre à Gockhausen. « Mine de rien, ça lui a pris plus d’une dizaine d’heures ! » nous informe-t-elle, « Mais c’était un tel plaisir que je le soupçonne d’avoir pris tout son temps ! »

Dimanche 8 mars

Le monde compte à ce jour plus de 106 000 contaminations confirmées au Covid19 et près de 4 000 morts. L’Italie, qui enregistre près de 6 000 cas, a pris des mesures de confinement drastiques ; fermeture de tous les lieux publics, écoles, universités, spectacles, piscines, stations de ski. Chaque Européen doit se laver les mains avec soin (ou les désinfecter) trente fois par jour, ne serrer la main en aucun cas, encore moins faire la bise, et ne rester près d’un congénère qu’à une distance d’au moins un mètre, et pendant moins de quinze minutes. C’est une atmosphère très bizarre ici en ville car les Vaudois ont des pratiques sociales intenses. Ils ont mis un temps fou à réaliser ce qu’il se passait, et aujourd’hui encore, les restaurants et bars étaient remplis de clients, et des VIEUX ! (les personnes âgées de plus de 65 ans représentent, paraît-il, la grande majorité des décès dus au Covid19). Pourtant, le virus circule dans notre pays qui comptabilise 250 contaminations. Et le premier décès de l’épidémie en Suisse vendredi était vaudois. Réflexe bien humain, les gens commencent à constituer des réserves alimentaires. Et je dois bien avouer que moi aussi, j’y ai cédé : conserves, pâtes, riz, sucre, fruits et légumes secs ont trouvé lentement le chemin de la cave depuis deux semaines – au cas où on devrait tenir un siège. Peter ne me prend pas au sérieux et me raille quand il remonte de la cave et remarque le stock gonfler. « Heureusement que toi, contrairement aux hamsters, tu ne mets pas tes réserves dans tes abajoues, mais en sous-sol ! » Sa malice me laisse de glace ; je me dis que c’est mon instinct nourricier de mère qui s’est mis automatiquement en mode « survie » pour nourrir sa nichée en toute circonstance. Légitime, non ?

En revanche, je râle très fort sur ma moitié qui n’est pas encore disposée à restreindre ses activités extérieures ni protéger ses contacts. Hier encore, Peter est allé nager une heure à la piscine qui était noire de monde ! Même si je suis en bonne santé et que je ne crois pas être la cible idéale de cette méchante bêbête, je n’ai pas du tout envie d’être diagnostiquée « positive » et de me voir, par le fait, assignée à domicile.

À Zurich, la naissance du bébé de Martina est imminente, et j’ai bien l’intention de continuer à aller voir tout mon petit monde à droite et à gauche… selon les consignes du moment et les restrictions en vigueur.

Je voulais assister à la conférence d’Alexandre Jollien en ville demain soir, mais elle a été annulée. Zut alors !

J’ai décidé de ne pas aller à la messe ce matin.

Jeudi 18 juin

Lorsque j’évoque l’année 1997, je sais que, pour moi, c’est l’année de ma rencontre avec Peter. Je venais juste de fêter mes seize ans. Avec Cindy, mon inséparable aînée de quatre mois, en tant que membres de la pastorale des jeunes de Fribourg, notre participation aux JMJ de Paris en août allait de soi. Je garde de cet événement un souvenir inaltérable. Malgré les prévisions pessimistes des organisateurs dans cette France laïque où le fait religieux se cachait sous le manteau, le succès fut retentissant et la logistique mise en place pour une telle organisation juste phénoménale. Beaucoup de jeunes Français participèrent, ravis de recevoir cette injection de confiance. L’enthousiasme général était palpable et communicatif. Le métro parisien résonnait de « Alléluias » ; tous les squares et places de la ville étaient envahis de garçons et de filles pacifiques, priant et chantant avec la guitare, ou cassant la croûte sur les berges de la Seine. Contrairement aux spectacles récurrents auxquels les Parisiens résignés assistaient, nous, nous n’étions pas là pour contester où réclamer avec hargne, mais pour proclamer que la vie a un sens. Aucun débordement s’est ensuivi pour la simple raison qu’un chrétien se doit de regarder l’autre comme un frère.

C’est lors de ce pèlerinage que j’ai pris conscience de la dimension universelle de la foi. Et c’est ce samedi 23 août qui a décidé de mon destin. Le groupe de jeunes de notre diocèse se dirigeait alors à pied sous un soleil de plomb vers l’hippodrome de Longchamp pour assister à la veillée. Je revois le film : nous descendions l’avenue Foch vers la Porte Dauphine lorsque j’entends parler Schwitzerdütsch auprès de moi. Je vois alors une brigade de scouts de Zurich menée par un chef d’une vingtaine d’années, grand, mince, brun, à qui je demande, étonnée de les trouver là, d’où ils viennent, ce qu’ils font, et tout et tout… Le chef m’explique qu’ils viennent de manger. Un repas avait été organisé pour leur section sous les platanes de l’esplanade de l’avenue – un chili con carne préparé dans d’immenses marmites – et que maintenant, ils cheminent vers le point 412 qui leur a été assigné.

Y parvenir nous a pris deux heures, deux heures pendant lesquelles je suis tout simplement tombée amoureuse.

J’ai lu ça quelque part. En écologie pratiquer la règle des 3R : réduire – réutiliser – recycler et commencer par refuser : dire NON au superflu.

Rapporté par Peter ce matin : « tu sais, Virginie, le plat du jour, c’était : cheval mijoté auxpruneaux ! On dirait un slogan de pub pour la Ligue Végétarienne, tu trouves pas ? »

Les autorités sanitaires américaines retirent l’autorisation d’utiliser en urgence de traitement contre le Covid19 la chloroquine et la hydroxychloroquine.

Volvo, le constructeur suédois, va supprimer 4 100 postes de cadres et employés de bureau dans le monde.

Le Cambodge exige 3 000 dollars de caution pour entrer sur son territoire.

À ce jour, la pandémie a causé plus de 450 000 morts (déclarées) dans le monde.

La Suisse recense dix-sept nouveaux cas de contamination ces dernières 24 heures. Aucun décès. Le canton de Berne va officiellement mettre fin à la situation extraordinaire liée à la pandémie Covid19.

À dix-sept heures, rendez-vous apéro, notre rituel « anti-pandémie », chez Marie-Claude, notre voisine de palier, pour qui cette période est un « désert de vaches maigres » (expression suggérée par Peter, évidemment !). Depuis trois années, Marie-Claude est bénévole à l’hôpital. C’est elle, ou un de ses collègues, qui, deux fois par semaine, accueille les patients « programmés » pour une intervention chirurgicale afin de les guider dans le dédale des couloirs hospitaliers jusqu’à leur chambre. Oui mais, tout est tombé à l’eau fin février quand l’urgence de la situation a obligé l’établissement à se recentrer sur les soins, les malades et rien d’autre. Qu’à cela ne tienne ! Marie-Claude n’est jamais désœuvrée et elle reçoit ses hôtes avec bonheur. Ce soir, Jackie et Jacques sont de la partie, de même que Marie. Il fait beau, et nous nous installons sur le balcon, chacun dans son coin, virus oblige…

Je me réjouis du week-end à venir : Angela arrive vendredi et nous aurons la visite de Cindy et ses filles dimanche.

Lundi 9 mars

J’ai eu Angela au téléphone ; elle n’a pas l’air de s’inquiéter outre-mesure. Non, elle n’a pas fait de réserves alimentaires et son frigo est vide. Cela veut-il dire que les jeunes ne se sentent pas trop concernés par cette histoire ?

Nous avions l’intention d’aller à Zurich en voiture cette semaine pour rendre visite à Tante Anna dans son EMS, mais depuis samedi, les visiteurs de l’extérieur y sont interdits suivant ainsi les directives cantonales de Zurich !

Peter n’est pas retourné nager à la piscine. Il désinfecte la poignée de porte de l’appartement à chaque passage, appuie sur les boutons de l’ascenseur avec sa clé, ne sort jamais sans son Stérilium (gel « anti-tout ») dans sa poche, et ne s’approche pas à moins d’un mètre de ses congénères, et je l’en remercie.

Nous devions partir aujourd’hui pour un voyage d’une semaine par le train à Bergame. Tout était réservé de longue date. Hormis que c’est exactement de cet endroit qu’a démarré l’épidémie en Europe, et toute cette région d’Italie du Nord est aujourd’hui en stricte quarantaine. Heureusement pour nous, nous avons pu tout annuler il y a une dizaine de jours. Même le billet de train qui n’était « pas remboursable » a été remboursé !

Décidément, l’Italie semble se refuser à nous ! Il y a exactement dix ans, nous avions réservé une semaine de vacances en Sicile lorsque ce désormais célèbre volcan islandais au nom imprononçable est entré en éruption. Alors que nous étions dans le train, bardés de nos bagages, presque arrivés à l’aéroport de Genève, nous avons appris que notre vol venait d’être annulé à cause du risque encouru par les avions face à cette masse de cendres se déplaçant au gré des vents dans le ciel européen. Nous ne connaissons toujours pas la Sicile…

À propos d’Italie, quinze millions d’habitants entre Milan et Venise sont confinés avec interdiction de sortir ou d’entrer dans cette région. Les 60 000 frontaliers qui pénètrent chaque jour en Suisse par le Tessin sont épargnés par cette mesure s’ils sont munis d’un document prouvant la raison de leur déplacement.

Lors de la tempête et des gros orages du 28 et 29 janvier, nous avons déploré un dégât des eaux dans l’appartement en raison d’un joint défectueux dans la fenêtre de toit. Par chance, la régie a sans délai donné son accord pour le changement de l’étanchéité en toiture ; les travaux ont été exécutés début février, à notre grand soulagement rétrospectif. Il était convenu que nous recontactions le chef de l’entreprise de peinture aujourd’hui afin de convenir d’une date en vue de la réfection complète du mur endommagé du séjour. À huit heures trente, Monsieur Rutelli nous informe qu’il est coincé chez lui, en quarantaine. Nous comprenons qu’il a eu la bonne idée de passer un week-end fin février à Verbier. Oui, la station valaisanne qui s’est avérée un des premiers foyers de propagation du virus en Suisse. Il nous raconte qu’il s’est trouvé en contact proche avec des personnes qui ont développé la maladie, et que par conséquent lui, sa femme et ses enfants sont consignés à domicile à titre de prévention. Il nous promet que ses ouvriers viendront le 18 mars.

Vendredi 19 juin

L’OMS affirme que la pandémie s’accélère et appelle les états à faire preuve d’une extrême vigilance. Selon l’Institut Supérieur de la Santé italien, le nouveau coronavirus était déjà présent dans les eaux usées de Milan et de Turin dès décembre 2019, c’est-à-dire deux mois avant le premier malade officiellement recensé.

Le gouvernement US américain estime que Pékin a dissimulé l’ampleur de la gravité initiale de l’épidémie.

Le Chili a porté à cinq ans de prison la peine maximale infligée en cas de non-respect du confinement.

Martina, « petite-cousine », comme la surnomme affectueusement Peter, appelle de Pontresina. La route vers l’Engadine, mardi, s’est parcourue sans encombre et Felix a été très sage pour sa première grande sortie puisqu’il a dormi pendant les deux heures trente de voiture ! Ils ont quitté Glattpark à six heures : bébé était déjà en « pleine forme » depuis cinq heures (« tu vois ce que je veux dire, Virginie ? ») Oui, la location est confortable et leur rituel incontournable du matin est la descente du pittoresque Rosegtal, Felix bien installé dans sa poussette, fasciné par les énormes chevaux qui tractent les calèches et le dépassent de leur imposante stature dans un fier tintamarre. Pour demain, Lukas est un peu déçu car une grande excursion était programmée : le Muottas Muralg en Standseilbahn (funiculaire), mais Martina estime que, le sommet culminant à presque 2500 mètres, pareille altitude n’est pas recommandée pour un bébé de trois mois. Aussi lui propose-t-elle en alternative de se rendre à Davos à pied par les sentiers aménagés et de se régaler de Kapuns et de Pizokel sur une terrasse au bord du lac « sans oublier la Nusstorte ! » et Lukas reconnaît, bon joueur, qu’il ne va pas perdre au change !

Chouette alors ! Angela arrive par le train de dix-neuf heures. C’est Peter qui va la chercher à la gare pendant que je prépare le souper. Notre dernière rencontre chez elle, la semaine passée était très brève et nous ne la reverrons pas avant son retour de voyage en Bretagne, autant dire une éternité…

À table, Angela évoque avec exaltation le souvenir de la bamboula de ses dix-huit ans le 22 février dans la cabane du Lorvet. Le cercle de ses plus proches amis était arrivé le vendredi soir pour préparer les réjouissances du lendemain. Ce week-end-là avait été glacial et le dortoir difficile à réchauffer. Ben, son petit ami de l’époque s’était dévoué pour se lever à trois heures afin de réalimenter le fourneau à bois. Bien évidemment, les « vieux » que nous sommes n’avaient été conviés qu’au brunch du dimanche matin, chargés du ravitaillement tout frais : tresses maison, croissants, confiture, sans oublier le précieux café (qu’ils avaient épuisé la veille !). « Pour toi maman, ce sera plus facile ; en août, il fera assurément beau et chaud ! » Je sais et je sens qu’autour de moi se trame une conspiration pour l’organisation de “quelque chose” à l’occasion de mes quarante ans le 17 août l’année prochaine, mais rien ne sourd…

En revanche, je me remémore avec vivacité l’anniversaire des quarante ans de mon amie Marianne de Bienne le 18 janvier dernier. On s’était amusés comme des gamins. Je retiens une idée que j’avais trouvée géniale ; chacun des invités avait dû, dans le plus grand secret, envoyer une photo de la lettre de l’alphabet qui lui avait été assignée par Jean, son compagnon. Le drolatique de l’histoire, c’est qu’il fallait former la lettre avec son corps. Peter et moi avions dû nous contorsionner comme des lombrics sur le sol du palier du deuxième étage afin de former la lettre « S », et, entre deux crises de rire, c’est Jacques qui avait pris la photo depuis le troisième étage. À notre arrivée à la fête, nous avions découvert, amusés et ravis, placardé sur le mur, un immense rébus composé de toutes les lettres ainsi assemblées. Tout en bas, Peter et moi étions le S de « 40 ans », la dernière lettre de l’œuvre.

Puis j’évoque le moment de délire total à l’heure du karaoké. « Oui ma chérie, ton interprétation de la chanson de Blondie, “Maria” est certainement gravée dans la mémoire de toute l’assemblée ! » me lance un Peter décidément un brin caustique ces temps…

Mardi 10 mars

L’Italie tout entière a été mise en quarantaine. Cela veut dire que plus de soixante millions d’Italiens doivent rester confinés à la maison, n’étant autorisés à se déplacer qu’en cas de stricte nécessité.

L’Europe a passé le cap des cinq cents décès.

Les bourses mondiales ont dévissé hier : Milan de 11 %, Londres 7,6 % et Zurich 5,5 %.

Les médecins à Bergame doivent « choisir » qui ils vont soigner. Ils décident en fonction de l’âge et de l’état de santé. Comme en période de guerre !

Aux USA, les autorités sanitaires conseillent aux personnes les plus vulnérables face au virus de faire des stocks de nourriture et à se préparer à devoir rester chez elles. J’aimerais qu’on me dise : en quoi les moins vieilles (âgées d’environ quarante ans, par exemple, hum !) sont-elles censées être mieux armées contre la pénurie ?

Voici une anecdote qui pourrait être drôle si elle n’était si tragique : en Iran, une rumeur disait qu’une boisson alcoolisée serait efficace contre le coronavirus. Vingt-sept personnes sont mortes pour avoir absorbé de l’alcool frelaté et plus de deux cents personnes ont été hospitalisées.

Je sens que la période à venir va être féconde en petites hystéries personnelles et collectives…

Samedi 20 juin

Au petit-déjeuner, Angela se régale de mes yaourts « maison » que je fais depuis son enfance dans la yaourtière antique NON électrique, cadeau de Tante Anna lors du départ de Peter. Ma fille connaît la méthode par cœur : un litre de lait dans une casserole, ajouter un yaourt nature bio Naturaplan de Coop, remuer, allumer la plaque, plonger le thermomètre alimentaire ; la masse doit atteindre 45 °C (pas un de plus ! ), verser aussitôt dans les vénérables pots octogonaux en verre, refermer le couvercle de la yaourtière à double paroi en aluminium, déposer le tout dans un endroit chaud et bien isolé – le four par exemple – et au petit matin, les yaourts sont prêts. C’est elle qui en fera une « tournée » ce soir. C’est son dada depuis ses dix ans !

En sortant pour faire le marché, en passant devant la place de jeux, j’entends : « Eh ! Raillane, viens ici ! ». Je trouvais que la petite fille portait un curieux prénom… mais pas vilain à bien y réfléchir. Je me retourne, c’est un garçon ! Angela voit mon air ahuri et s’esclaffe : « Bah oui maman, c’est un garçon qui s’appelle “Ryan” ! » Ah bon ! je suis déçue. Je trouvais Raillane plus joli !

Ce midi, ce sera grillades sur le balcon. Halloumi mariné – courgette grillée – pommes de terre en robe d’alu avec une sauce Hüttenkäse à l’ail – salade verte. Puis l’incontournable dessert préféré d’Angela : les bananes grillées au chocolat. Fine experte dans le domaine, elle a choisi à cette fin sur le stand du marchand africain trois belles bananes mûres à point qu’elle enveloppe – entières – d’aluminium et dispose dix minutes de chaque côté sur le gril sans les brûler. Dans l’assiette, nous déshabillons le fruit de sa papillote, incisons la peau dans sa longueur, glissons trois morceaux de chocolat noir, et dégustons à la petite cuillère. « Une tuerie ! » ne cesse de se pâmer Angela, son inénarrable mimique accrochée au visage qui fait pouffer les parents attendris que nous sommes restés, exactement comme lorsqu’elle avait trois ans…

Chez les Vogt, il y a un dogme non négociable : les repas sont des moments sacrés, pas seulement des pauses de ravitaillement entre trois tranches de huit heures. Instants de plaisir des sens, mais aussi de convivialité. Ils sont une célébration de la vie, du « moi » en relation avec les dons de la nature et les autres convives.

La promenade digestive se fait d’un commun accord à vélo dans les chemins de plaine jusqu’à Draillens où nous attend une halte bienvenue pour voir en coup de vent Camille (l’amie de collège d’Angela) dans son institut de beauté qu’elle a pu rouvrir, après moultes péripéties, le 27 avril. Entre deux clientes, elle nous offre un opportun verre de thé froid devant la porte de son salon où table et chaises de jardin font désormais office de salle d’attente, pandémie oblige.

Les prévisions météo pour demain sont optimistes et, de retour à la maison, nous nous mettons tous les trois à préparer le pique-nique dominical. Je prépare ma super mousse de truite fumée que Cindy idolâtre et dont le secret de la réussite est élémentaire : mixer une truite fumée, un pot de fromage frais, trois cuillères à soupe de crème de raifort et un oignon, laisser reposer une nuit au frigo. C’est tout ! Peter entreprend une salade exotique aux lentilles avec carottes, lardons, orange, oignon, raisins secs, épices à curry dont il tient la recette de la dernière édition du Sonntagsblatt. Je n’ai jamais douté une seconde du fait qu’il tenait ses talents de cuisinier du sang italien de sa maman qui était, jusqu’à l’accident, un fin cordon bleu, si j’en crois les récits parvenus à mes oreilles.

Angela nous expose le plan de ses vacances toutes proches en Bretagne avec John et la Trollie. « C’est très simple : on n’a rien prévu en détail ! On verra bien ce qui nous attend sur place, c’est l’aventure, youppie ! »

Et je me souviens, lorsque notre fille était petite et que nous habitions encore à Wallisellen, nous partions dès que l’occasion se présentait dans notre bus VW Sven Hedin Camperédition 1985. Angela avait six ans lors de notre grand voyage sur le littoral breton sous un soleil radieux de bout en bout (n’en déplaise aux mauvaises langues !). C’est à cette époque que nous avons découvert Belcourt-le-Plan et que l’idée a germé de nous y installer un jour… Notre bus Westfalia LT que nous avions surnommé « Schnägg » (pour « Schnecke » l’escargot en français, tout un programme !) traînait de plus en plus péniblement le poids de ses années alors que notre Angela, elle, grandissait en vitalité.

Bien évidemment, nous avons tous les trois versé une petite larme lorsque, après avoir posté une petite annonce sur Ricardo, un étudiant barbu et chevelu s’est mis au volant de notre fidèle « Schnägg » pour en prendre possession vers d’autres horizons. Sniff !

Mercredi 11 mars

Sur le front du virus, rien de nouveau, si ce n’est qu’il continue sa macabre progression : cinq cents cas en Suisse. Et la plupart des gens restent cloîtrés chez eux ce qui, vu l’affreuse météo des derniers jours, paraît supportable.

Peter, afin de détourner son sentiment de claustration j’imagine, a décidé de se lancer dans la grande pâtisserie : le Taillé de Goumoëns dont il a trouvé la recette sur internet. En fait, il y a repéré foule de différentes recettes en français et en allemand. Il a choisi celle où la photo mettait l’eau à la bouche. À huit heures, mon homme s’est lancé ; un kilo de farine, 200 grammes de beurre, sucre, crème, œufs, levure, lait, etc… À laisser reposer au chaud pendant au moins deux heures et à faire cuire sur la grande plaque du four. C’était certainement la première fois de sa vie qu’il se lançait dans une telle entreprise. À onze heures, la cuisine avait tout, visuellement parlant, d’un champ de bataille. À midi, la bête était au four, et la cuisine offrait un paysage d’après-tsunami. À treize heures, le Taillé était magnifique, mais la cuisine toujours pas. Alors, magnanime, je lui ai donné un coup de main à nettoyer la farine qui avait volé partout du sol au plafond. Et la farine, ce n’est pas ce qu’il y a de plus joyeux à nettoyer ; à sec, il reste toujours une fine pellicule de poudre blanchâtre et avec un linge humide, ça colle comme de la glue !

Clic-clac, à peine sorti du four que Peter envoyait les photos de son exploit en lançant un défi sur internet : le plus beau Taillé de Goumoëns. Angela, Martina & Lukas, Cindy et les filles vont-ils le relever ?

Comme il y avait de quoi nourrir une armée, Peter a invité Marie-Claude, en lui promettant de l’installer hors de portée, au bout de la table, à venir prendre le café + dessert à quatorze heures chez nous et à participer au concours. Plus on est de fous…

Et j’ai déposé une part devant la porte de Sepp le tombeur, au rez-de-chaussée.

À Rome, la basilique et la place Saint-Pierre ont été fermées aux touristes et aux visites guidées jusqu’au 3 avril. Seuls les fidèles désirant prier y sont admis.

En France, toutes les visites dans les maisons de retraite sont interdites.

À Lausanne, au CHUV, les visites aux patients sont restreintes à deux personnes en même temps et elles doivent être de la proche parenté.

Dans le domaine sportif, de nombreux événements sont interdits, annulés ou reportés, ou joués à huis clos.

À dix-neuf heures, lors de la répétition hebdomadaire avec mon chœur « A Bien Plaire », le mot « virus » est sur toutes les lèvres et l’inquiétude se lit sur nombre de choristes. Je suis presque la seule à avoir apporté du gel désinfectant que je propose à mes voisines, avant et après avoir touché les partitions. Claudie se désole « j’ai bien l’impression que mon voyage en juin en Thaïlande sent le roussi ! ».

Dimanche 21 juin

Les « Cindy » débarquent en fanfare rue Célestine à neuf heures avec, à la main, un sachet de croissants de chez Maximilien. Après la joie des retrouvailles et des embrassades, juste le temps d’avaler, qui son café, qui son thé, qui son chocolat avant de nous rendre à l’église pour la célébration eucharistique.

MA Cindy, la sœur de cœur de mon enfance au foyer d’éducation « Bonne-Famille » où elle et son frère Martin de deux ans son aîné, avaient été placés…

Le Service de la Protection de l’Enfance les avait en effet retirés de leur famille pour cause de violences domestiques. À l’époque, son père effectuait à répétition des « séjours » en prison et sa mère, « toxique », exécrait ses enfants. Avec tant de maltraitance, la petite Cindy avait perdu toute confiance en elle et elle faisait pipi au lit (souffrait d’énurésie comme je sais que ça s’appelle maintenant). À six ans, elle mentait déjà comme un arracheur de dents et elle vivait dans le monde imaginaire de contes de fées qu’elle s’était inventé. Martin et elle retournaient parfois dans leur famille pour le week-end mais ils détestaient cela. Je sentais combien ces allers-retours entre ses parents et le foyer la chamboulaient. Elle faisait davantage de cauchemars et se réveillait en nage. Je la rejoignais alors dans son lit et lui caressais longuement le visage jusqu’à ce que, apaisée, elle se rendorme. Rétrospectivement, je crois que les centaines de rendez-vous avec Madame Dreyer, la psychologue, lui ont appris à se blinder, à forger une carapace pour se protéger afin de ne pas ressentir les attaques, à se construire. Elle a fini par apprendre à se connaître et, comme la plupart d’entre nous, à voir ses parents d’un point de vue « clinique ». Ils sont malades ! Et ça, c’est le premier pas vers le chemin du pardon. Je me souviens qu’à la mort de sa mère, elle avait alors douze ans, contre toute attente, Cindy s’est effondrée…

La première lecture du jour est tirée du Livre du Prophète Jérémie : « Il a délivré le malheureux de la main des méchants ». Oui, Il est notre Sauveur.

À notre retour, nous chargeons le bus de tout le fatras nécessaire (et c’est une montagne !) et prenons la direction de notre coin préféré au bord du lac. Les trois cents derniers mètres s’effectuent à pied, et les trois plus jeunes ne rechignent pas pour effectuer deux trajets et transborder glacière, matelas gonflable, boissons, chaises, parasol, ballon, raquettes de badminton sur la berge. Les filles ne résistent pas à l’appel du lac avant le picotin. L’eau est encore passablement frisquette à cette saison, mais rien ne les arrête, nos intrépides gazelles. Le pique-nique est un grand succès. Angela sort la miche de pain de campagne qu’elle a personnellement choisie au stand de « La Vraie Mie » sur le marché hier pour faire valoir la mousse de truite fumée. Accompagnée d’un petit verre du vin blanc de Vully bien frais apporté par Cindy et de thé glacé maison pour les filles, c’est le bonheur total.

La salade exotique aux lentilles fait l’unanimité et Flore veut absolument la recette avec l’idée de l’essayer chez Pope et Môme. Pour le dessert, Cindy nous tend un petit panier de cerises, cadeau d’Éric qui est venu la voir à sa boutique hier. Quant à Flore et Louise, elles nous offrent les brownies qu’elles ont préparés avec toute l’affection dont elles sont capables chez leurs grands-parents paternels hier. Quand les filles retournent à l’eau, accompagnées de Peter cette fois, Cindy me parle de sa relation avec Éric « Je n’ose y croire, Vigie, mais avec lui, je me sens bien ».

Ouf ! ça me paraît un bon préambule !

Jeudi 12 mars

Peter a pris le train de sept heures à destination de Zurich ce matin pour aller rendre visite à Tante Anna. Il n’est pas autorisé à entrer dans l’EMS, mais Dieu merci, elle est encore autorisée à en sortir. Le directeur, que Peter a joint hier au téléphone, estime qu’une interdiction totale pourrait être mise en vigueur à partir de demain sur ordre du Médecin Cantonal. C’est pourquoi mon cher époux a décidé d’aller à tout prix aujourd’hui car cela risque bien d’être la dernière visite avant longtemps. Ils vont pouvoir se rencontrer ce matin à la cafétéria de l’église catholique où Tante Anna va chaque jour prier. Je ne suis pas tranquille. C’est un voyage risqué pour Peter ; la contamination se fait par gouttelettes (toux, éternuement) qui migrent directement vers les muqueuses – yeux nez bouche – du voisin, ou bien se déposent sur les poignées de porte, boutons d’ascenseur, accoudoirs, pour ensuite contaminer les mains. C’est pourquoi on ne doit pas se toucher le visage, et se désinfecter les mains x fois par jour. Oui mais dans un train bondé ? Si le voisin éternue ? J’ai fait promettre à mon homme de ne pas aller au restaurant ce midi mais de s’acheter une salade à l’emporter et d’aller la manger à l’extérieur puisqu’il ne fait pas froid aujourd’hui. Mais, connaissant l’appel irrésistible de son ventre, j’ai des doutes quant à la réalisation de mon vœu…

Angela Merkel a annoncé publiquement hier qu’à terme, 60 % à 70 % de la population allemande risquait d’être contaminée. Ça a le mérite d’être clair ! Même si la mortalité n’est que de 2 % à 3 %, cela représente des centaines de milliers d’hospitalisations pour insuffisance respiratoire. Et le calcul arithmétique est simple : les hôpitaux ne disposent pas de lits ni de matériel ni de respirateurs en nombre suffisant pour un tel afflux. Nul n’est censé ignorer ces données désormais ! Or je suis effarée ; au retour de notre longue promenade au bord du lac hier après-midi, Peter et moi sommes passés devant un salon de thé-café-restaurant. Par la fenêtre, on pouvait apercevoir des tables noires de monde. Et des vieux, à cinquante centimètres les uns des autres. On croit rêver !

Le concours du Taillé de Goumoëns a tourné à la grande aventure chez les Cindy. La pâte mise dans un saladier pour gonfler a débordé sur le pourtour et nous recevons la photo d’un volcan en éruption. Pendant la cuisson, pour parer à toute nouvelle catastrophe, Flore a « campé » devant le four pendant chaque minute. « Tu aurais vu le suspense, et même pu lire l’angoisse sur les traits de ma fille, Vigie ! » Malgré les aléas de la confection, le résultat était magnifique, la seconde photo le prouve. Elles ont donné une bonne part à Môme et Pope qui, en retour, les ont invitées à recommencer… « quand vous voulez, les filles, demain si le cœur vous en dit ! »

Le canton de Genève a interdit les rassemblements de plus de cent personnes, ce qui fait que les discothèques vont devoir fermer.

Le Tessin a décrété l’état d’urgence : à minuit, tous les cinémas, théâtres, piscines, boites de nuit, centres de sport ont fermé leur porte, et les plus de soixante-cinq ans sont interdits de transports publics !

Swiss a suspendu ses nonante vols hebdomadaires vers l’Italie.

Une quatrième victime du Covid19 est décédée en Suisse hier.

Lundi 22 juin

Adolescente, j’avais lu le célèbre « Lord of the Flies » (Sa majesté des mouches, traduit en plus de trente langues) et émergé de cette lecture complètement sonnée. Ce récit d’un groupe d’enfants qui, après un accident d’avion, doit survivre sur une île déserte se termine dans une violence dramatique. William Golding décrit, avec délectation dirait-t-on, les aspects les plus noirs des tréfonds humains : dans toute œuvre transparaît l’idée que l’instinct violent de la bête domine là où l’autorité de la loi est absente. Écrit en 1954, dix années à peine après les atrocités de la seconde guerre mondiale, on peut comprendre que l’Homme et sa conscience étaient sujets à caution. Cette vision désillusionnée et déprimante de l’humanité tout entière me révulsait : non ! C’est de la fiction, la vie, ça n’est pas comme ça en vrai ! J’étais déjà plutôt du genre Jean-Jacques (LE Rousseau) : l’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt. Mon optimisme n’était pas béat mais raisonné ; il avait été longuement forgé chaque jour au feu de mon enfance incandescente.

Puis un jour, je suis tombée sur le témoignage de ces six adolescents âgés de quinze à dix-sept ans originaires d’une île des Tonga et dont l’embarcation s’était échouée en juin 1965 sur un îlot non habité après avoir dérivé de 320 kilomètres pendant huit jours. Ils avaient survécu en mangeant des bananes, des poules sauvages, du poisson et en récupérant l’eau de pluie. Les six adolescents s’étaient partagé les tâches, les deux aînés servant, l’un de chef spirituel, et l’autre dirigeant le domaine pratique. Ils avaient instauré des tours de rôle pour la cuisine, le jardin, le guet. Ils priaient en chantant au lever et au coucher du soleil. Certes, il y avait eu des querelles, mais pas de conflits majeurs. Le 11 septembre 1966, soit quinze mois plus tard, un bateau de pêche australien avait découvert les naufragés en parfaite santé physique et mentale. Cette histoire, véridique celle-ci, d’amitié loyale m’avait sur-le-champ mis du baume au cœur : ne jamais désespérer de la nature humaine. Je n’aime pas les histoires tristes, qu’on se le dise !

Le Brésil passe le cap des 50 000 morts.

Parmi les 1 956 victimes à ce jour du Covid19 en Suisse, plus de la moitié sont décédées dans des EMS.

L’ancien président de la BNS (Banque Nationale Suisse), Philipp Hildebrand, estime que la crise économique liée au nouveau coronavirus sera moins importante que celle de 2008 « à condition d’éviter une deuxième vague de propagation du virus… »

Donald Trump a déclaré avoir recommandé à ses responsables sanitaires de ralentir le rythme du dépistage car « en faisant plus de tests, on trouve plus de cas ». Superbe lapalissade trumpienne…

La photo du jour du président US américain dans la presse me fait sourire ; superbement, il pose en semblant jauger le monde entier du haut de sa lippe impériale.

L’Allemagne réintroduit pour la première fois un confinement local pour 360 000 habitants en Rhénanie Nord-Westphalie après l’apparition d’un foyer de contaminations dans un grand abattoir ou plus de 1 500 cas d’infections ont été détectés.

Je repense aux confidences de Cindy hier. Il paraît oublié le temps pas si lointain où mon amie vivait une terrible rechute du destin, une parenthèse de dix-huit mois avec Marco, son « amant pervers narcissique » comme je l’appelais. Cet homme qui ne cessait de la dénigrer, qui l’assommait de reproches, qui contrôlait ses comptes et son téléphone et la culpabilisait pour tout. L’emprise était totale et ma Cindy avait perdu toute estime de soi. Comme la mouche attirée par l’odeur du vinaigre, il avait senti, j’en suis certaine, son côté Saint-Bernard et, en véritable Dracula, avait « pompé » toute sa générosité, sa vitalité et sa joie de vivre. Je ne la reconnaissais plus : il avait fait d’elle une marionnette.

Dieu merci, le déclic s’est produit lorsqu’il avait levé la main sur Flore qui avait osé le critiquer pour une broutille. Ses yeux se sont brusquement décillés ; elle a voulu le mettre à la porte. C’est alors qu’il est devenu violent avec elle. Harcèlement et menaces ont suivi. Quand je pense qu’elle se sentait alors fautive et responsable de l’échec de la relation…

C’était il y a trois ans et ma Cindy était à ramasser à la petite cuillère. Elle a fini par comprendre que c’était elle la victime… Depuis lors, elle était « sobre » et s’était appliquée à mettre toute sa concentration sur le bonheur de ses filles en tirant un trait sur ses relations amoureuses.

Jusqu’au jour où elle rencontra Éric…

Vendredi 13 mars

Peter est donc allé à Zurich par le train hier. Contrairement aux habitudes, celui-ci n’était pas bondé, et chaque passager n’était pas contraint de se coller contre son voisin. Personne ne portait un masque.

Tante Anna était toute jolie dans son beau manteau lie-de-vin mais Peter l’a trouvée dans un état psychique très préoccupant. Sa volonté a cessé de lutter. Il y eut le virus de la grippe en janvier, puis celui de la gastro-entérite qui l’a clouée au lit et mise à plat (on a même vraiment cru qu’elle allait mourir !) pendant deux bonnes semaines en février. Celui-ci est le virus de trop !

Malgré l’isolement, elle lit les journaux et reçoit les consignes en vigueur dans sa résidence, et la voilà complètement déprimée ; elle a appris que les visites sont désormais interdites, et que bientôt elle ne sera plus autorisée à sortir dès qu’un cas positif se déclarera. Sachant que sa chambre a une superficie de neuf mètres carrés, cela signifie pour elle un quasi-arrêt de mort…

Pendant leur entrevue d’hier, Peter a fait signer à Tante Anna une procuration générale en trois exemplaires à son bénéfice, ce qui devrait faciliter l’aspect administratif. C’est lui qui remplit, depuis longtemps déjà ses déclarations d’impôts. Il recevra désormais sa correspondance intégrale (sauf la privée, bien entendu ! ). Il aura accès à son compte bancaire et effectuera tous ses paiements par e-Banking. Le coût de la pension mensuelle est de 4 300 francs suisses, au palier de dépendance le plus bas, mais elle va augmenter et Peter effectue dès aujourd’hui une demande auprès du service social de la ville pour une augmentation des prestations complémentaires à l’AVS et envoie l’original d’une procuration au fisc. Même si l’année prochaine, la loi sur la révision des prestations complémentaires entre en vigueur, il n’y aura pas de changement pour elle.

C’est mon époux qui s’occupera désormais des décomptes de la caisse maladie, des médecins, de la pharmacie. Les factures du podologue – dont Tante Anna est une bonne et assidue cliente – ne sont pas remboursées !

Angela était prise avec une conférence « online » jusqu’à midi mais elle a pu rejoindre son père pour le café et rien n’a transpiré de leur conciliabule. « Elle est en pleine forme » fut presque le seul commentaire à mes oreilles et je n’ai pas joué l’inquisitrice ; n’ont-ils pas droit eux-aussi à leur jardin secret ?

Peter n’est pas allé voir sa nièce Martina par mesure de prudence ; l’accouchement est imminent et il serait malvenu de risquer une contamination maintenant.

Le président français a annoncé hier soir la fermeture de toutes les écoles, crèches et universités à compter de lundi et dans le canton de Vaud, la panique gagne certains parents d’élèves qui réclament la fermeture des établissements. À l’EPFL, dès lundi, les cours ne seront plus dispensés qu’en ligne.

Les groupes européens de transport aérien font grise mine ; ils ont plongé en bourse hier. Beaucoup de compagnies dans le monde annoncent devoir mettre une partie de leur personnel au chômage technique.

Mardi 23 juin

Quel curieux voyage onirique j’ai effectué cette nuit ! Je cheminais tranquillement sur un sentier tout blanc flanqué de prairies parsemées de fleurs multicolores qui se tournaient vers moi à mon passage. Le soleil resplendissait et je humais l’air à pleins poumons en gravissant la pente.

Soudain, à l’horizon, apparaît une forme qui grossit à mesure de mon approche. Je distingue petit à petit une sorte de trône puis, plus près encore, la silhouette d’une femme d’une vingtaine d’années assise qui me sourit et qui m’appelle : « Virginie, Virginie… ». D’apparence, elle est presque mon sosie, je n’en crois pas mes yeux. Mon saisissement est tel que je me réveille brusquement, ne sachant plus discerner le rêve de la réalité.

Était-ce ma mère ?

En octobre de l’année passée, Angela nous avait réservé une surprise. Nous avions pris le tram n° 4 et elle nous avait fait l’honneur d’une visite guidée de la ToniAreal, l’édifice qui abrite la ZHdK, son école d’arts. L’endroit était carrément immense ! Même si je n’oublie pas que l’ancienne laiterie Toni était, à la fin des années septante, la plus grande de sa catégorie en Europe (traitant un million de litres de lait par jour !)… À l’extérieur, les rampes pour la livraison du lait sont toujours en place. Je me souviens combien elles m’avaient impressionnée lorsque j’étais arrivée la première fois à Zurich en train.

C’est en 2014 que la Haute École d’art y avait installé ses quartiers après une spectaculaire et coûteuse rénovation. Tout le bâtiment est à présent desservi par des volées d’escalier majestueuses. Nous avions pris un café à la cafétéria du rez-de-chaussée, mais mon coup de cœur, c’était la mensa au dernier étage avec la vaste terrasse en jardin offrant une vue imprenable sur la ville. La multitude des salles pour les cours théoriques mais aussi pour la danse, la musique, les ateliers pour la peinture, la photographie, le théâtre, le design, le cinéma m’avait donné le tournis. J’avais remarqué avec amusement qu’il y avait des toilettes tous les cinquante mètres. Quel luxe ! Après la visite du Museum für Gestaltung dans le même lieu – incontournable pour quiconque s’intéresse au design – mon bien-aimé m’avait offert un stylo de poche Kaweco à la boutique du musée, fétiche qui accompagne chacune de mes journées depuis lors et avec lequel j’écris sur mon petit carnet rouge qui ne me quitte jamais…

Samedi 14 mars

En rentrant de notre grande promenade en forêt cet après-midi, nous sommes passés devant la piscine chauffée qui est fermée pour une durée indéterminée, et ensuite aux alentours de l’hôpital. Là, devant l’entrée, une grande tente a été installée et fait office de salle d’attente par mauvais temps. Un conteneur a de surcroît été posé pour établir les diagnostics. En vis-à-vis, dans la cour et sur des bancs, une dizaine d’individus portant un masque sont assis à une distance réglementaire les uns des autres. Ils toussent et ont l’air mal en point. Personne ne fume ; c’est pourtant l’endroit de rencontre habituel, toujours abondamment fréquenté, du personnel et des patients fumeurs.

Martina et Lukas ont confectionné leur Taillé de Goumoëns hier. Ils ont pris de la farine bise et du sucre complet biologique ce qui, si l’on en croit la photo que nous recevons, a donné un autre aspect, un peu couleur pain d’épices, à l’œuvre d’art. Chez eux, les losanges traditionnels se sont transformés en carrés qu’ils ont découpés par la suite ; devant la quantité, ils ont décidé d’en congeler une grande partie pour les déguster au petit-déjeuner dans les semaines à venir. C’est vrai qu’avec un Taillé de Goumoëns, on peut tenir un siège, à deux personnes pendant quelques semaines !

Un texte biblique, c’est une « voix » qui tente de parvenir jusqu’à nous. La parole se fait intelligible à celui qui y est attentif. Elle doit me traverser au moment où je la lis car elle me parle. Elle devient un pont qui se fait passage entre Dieu et moi.

Le Conseil Fédéral a annoncé hier l’interdiction pour les bars et restaurants de recevoir plus de cinquante clients à la fois, et la distance obligatoire doit pouvoir être garantie. Toutes les écoles, universités, cinémas, théâtres, discothèques et piscines sont fermés. Les églises et autres lieux de culte doivent imposer une distance de deux mètres entre les fidèles. Tout ceci dans l’espoir de pouvoir ralentir la vitesse de propagation afin de ne pas engorger les hôpitaux. La Suisse compte déjà plus de 11 400 personnes contaminées à ce jour et quatorze morts au total.

De nombreux rayons de supermarché étaient vides ce matin alors que les autorités ne prévoient pas de pénurie de nourriture.

Mon Peter est une véritable chaudière ambulante… et moi une congère !

Mercredi 24 juin

Les multiples enquêtes qui ont été effectuées sur le bonheur tendent toutes à lier celui-ci avec la nature. Son contact est un des facteurs primordiaux et avéré du sentiment de bien-être. Elle est un élément vital, indispensable. Sans elle, les chercheurs constatent un appauvrissement mental et spirituel. Or je constate, et je ne suis pas la seule, que les humains ont de plus en plus tendance à vivre la nature de façon exclusivement virtuelle : carte de vœux avec des oiseaux qui chantent, ski où vélo en salle avec des lunettes 3D, les marmottes qui fabriquent le chocolat, les vaches violettes. Les exemples sont légion. Alors que : la neige est froide et humide, les marmottes sont curieuses et drôles lorsqu’elles sifflent en se dressant sur leurs pattes arrière, les oiseaux chantent dans les arbres en effectuant toutes sortes de contorsions et le lait sort du pis de la vache à 38 °C et non de la boîte dans le frigo !

Le trublion français spécialiste des maladies infectieuses, le professeur Raoult fustige pour l’heure l’organisation archaïque des tests de dépistage du Covid19 dans l’Hexagone. Cet émérite scientifique, à l’origine de moultes querelles picrocholines dans son pays en particulier à propos du rôle de l’hydroxychloroquine dans le traitement de la maladie, provoque depuis quelques mois une ébouriffante polémique qui dépasse allègrement les frontières de la France.

À partir de demain en Suisse, les tests de dépistage du Covid19 seront gratuits. Le Conseil Fédéral a déclaré prendre en charge tous les coûts.

Pour la seconde fois de son histoire, le marathon de New York, initialement prévu le 1er novembre 2020 est annulé. En 2012, le passage de l’ouragan Sandy avait empêché son organisation.

Au foyer Bonne-Famille, « Bonef », comme nous le surnommions affectueusement, il existait une différence notable entre Cindy et moi, différence qui subsiste au moment où j’écris ces lignes. Cindy, elle, connaissait son père. Même s’il était tout sauf un père idéal, elle en avait une représentation exacte. Moi, j’avais un vide, un trou, un néant avec un gros point d’interrogation. Je comprends les enfants qui cherchent par tous les moyens à retrouver leurs origines, leurs géniteurs. J’ai conscience qu’en enquêtant avec un peu de motivation j’aurais certainement pu retrouver les membres de la bande de l’époque estudiantine de ma mère et, en remontant le fil, arriver à mon père. Mais je ne l’ai jamais voulu. Vous voulez savoir pourquoi ? Par peur ! Les images diffuses que je conservais de ma mère, le milieu glauque dans lequel elle évoluait m’en ont dissuadée. Mon père, à coup sûr, devait être quelqu’un de peu recommandable, dont je n’aurais pu être fière et je n’étais pas assez solide émotionnellement pour affronter cela…

J’ajoute que je n’y suis toujours pas prête !

Dimanche 15 mars

Notre rituel du petit-déjeuner des samedis et dimanches est bien réglé et il faudrait un cataclysme pour y déroger : un grand verre de jus de pomme bio, un litre et demi de thé Earl Grey et chacun se prépare son müesli préféré avec un fruit de la saison et un yaourt avant d’ajouter les flocons. Et là, nous passons tranquillement au moins une heure à siroter, mâchonner et papoter. C’était le moment favori d’Angela quand elle était petite et je crois bien qu’aujourd’hui pour elle encore, le rite est indéboulonnable.

EasyJet a suspendu tous ses vols vers l’Espagne.

L’Allemagne a fermé ses frontières avec la Suisse.

Plus aucun train ni avion ne circuleront entre l’Autriche et la Suisse dès demain à minuit.

Je ne vais pas à la messe mais je regarde la célébration de carême que le pape François a effectuée à la maison Sainte Marthe fondée par Saint Ignace de Loyola en 1543 à Rome pour accueillir les prostituées. La célébration est donnée en soutien aux malades, au personnel soignant et tous ceux qui travaillent pour que notre vie sociale puisse continuer : policiers, pharmaciens, caissières en supermarché. Le pape est seul devant la caméra qui diffuse la retransmission. Atmosphère tout à fait spéciale, je dois bien le reconnaître.

Le temps de carême est un temps spirituel très particulier pour le chrétien. Il est une période qui doit l’amener à appréhender le monde, depuis sa propre vie, d’une manière différente. Il est une invitation pour nous tous à affronter nos déserts intérieurs, nos peurs, nos côtés obscurs et tous les démons tapis au fond de nous. Avec l’objectif de trouver dans notre quotidien l’occasion de les dépasser, de nous recentrer sur les valeurs cruciales de notre existence en plaçant notre confiance dans l’amour de Dieu.

Cette crise pandémique n’est-elle pas un peu semblable à un « long carême », l’occasion singulière d’un questionnement, d’un retour sur soi ? Le désert est une expérience humaine qui peut transformer l’existence de chacun. Car c’est du vide que jaillit l’essentiel. Quand il n’y a plus rien, alors le silence parle et naît l’expérience d’un « autrement ». Le « face à soi » ne trompe pas ; là est tapie la Vérité.

Jeudi 25 juin

Aujourd’hui, c’est le lancement officiel de l’application SwissCovid.

C’est un grand jour pour le monument payant le plus visité au monde : la Tour Eiffel rouvre ses portes au public (mais au fait, a-t-elle des portes ?).

C’était l’anniversaire des neveux de Cindy hier. Elle me fait suivre ce matin les photos de Léo et Max soufflant leur première bougie. Ils sont magnifiques. Je suis tellement heureuse pour Martin ; la vie ne lui avait pas réservé beaucoup de cadeaux depuis sa naissance… et pendant longtemps, force est de reconnaître.

La carence affective de son enfance avait plombé ses relations interpersonnelles de manière durable même si le cadre stable du foyer Bonne-Famille l’avait aidé à se poser, à se structurer et à contrer son instabilité émotionnelle. On peut dire que Tino – c’est ainsi que tout le monde l’appelait au foyer – était du genre taciturne mais tous les gamins le respectaient. Martin, qui avait deux ans de plus que nous avait fait un apprentissage de forestier-bûcheron à Fribourg avec un maître formidable, ersatz rêvé de figure paternelle.

Las ! Au grand désespoir de sa sœur, dès la fin de son apprentissage Tino est parti « sur la route » pendant de longues années. Cindy n’avait pas beaucoup de nouvelles. Elle savait juste qu’il vivait de petits boulots. Ainsi est-il resté deux années chez Emmaüs à Strasbourg puis a trouvé un travail dans une petite entreprise de bûcheronnage en Forêt Noire. C’est dans l’auberge du village qu’il a croisé le fruit de l’artisan de son destin : Sybille, la fille de la patronne. Ce fut un coup de foudre instantané et réciproque ! À tel point qu’il n’est jamais reparti de Hofstetten. Et la jolie Sybille qui faisait chavirer les cœurs de tout le village, le jour de ses trente ans l’année passée, a accouché de Léo et Max, deux bouts de chou intégralement identiques !

Cindy, accompagnée de ses deux filles qui mouraient d’impatience de découvrir leurs cousins, était allée passer quelques jours chez eux après Noël. Martin œuvrait déjà à la rénovation de la maison de « Ommi », la grand-mère. L’idée étant de garder le petit logement du rez-de-chaussée pour la mamie et les deux étages pour la petite famille. Les travaux seront en phase terminale à la fin de cet été. Leur emménagement est déjà projeté fin septembre et il est prévu que nous allions (deux Vogt + trois Cindy) passer Noël à Hofstetten cette année. Curieuse comme une belette, il me tarde d’y être…

La logistique est pour le moment la suivante : Angela viendra passer Noël avec John chez nous à Belcourt-le-Plan et ils retourneront à Zurich le lendemain, puisque John doit partir à Londres pour rendre visite à sa famille. Cindy et ses filles réveillonneront comme chaque année depuis leur naissance chez Pope et Môme, leurs grands-parents paternels. Et le 26 décembre, le point de ralliement sera chez Cindy à neuf heures pour filer, nous cinq, en Allemagne dans notre vieille mais fidèle Opel Vectra. Quatre cent cinquante kilomètres d’une traite ! Je suis tellement désireuse de découvrir la nouvelle vie de Tino à Hofstetten !

Même les yeux fermés, mon nez me le ferait savoir sans délai ; Peter a confectionné hier une salade de radis noir (selon la précieuse recette de Tante Anna) qui, bien qu’enfermée avec soin dans une boîte hermétique, dégage une odeur « destroy pestilentielle » dès qu’on ouvre la porte du réfrigérateur. Mon espiègle de mari pouffe : « c’est un peu comme si une bande de six copains farceurs s’étaient enfermés dans le frigo pour un concours de pets ». Et il rajoute, décidément très spirituel ce matin : « ou bien dix camemberts au lait cru de Normandie, … hors d’âge ! »

À faire tomber les mouches d’inanition, je vous dis !

Lundi 16 mars

Sur le front du virus, la situation se dégrade d’heure en heure. L’Italie compte ses morts : 1 809, dont 368 dans les dernières 24 heures.

En France, le nombre des contaminés double tous les trois jours.

Le Conseil Fédéral qui prend désormais les commandes de la crise a décrété l’état d’urgence dans toute la Suisse. Seuls les commerces de première nécessité pourront rester ouverts. Toutes les manifestations publiques ou privées sont interdites à partir de minuit. L’entrée sur le sol helvétique ne sera plus autorisée que pour les Suisses ou les personnes au bénéfice d’un permis de séjour ou un contrat de travail.

On recense 2 200 personnes contaminées en Suisse (800 en plus dans la seule journée d’hier). Par million d’habitants, c’est le pays le plus touché au monde après l’Italie. Le canton de Vaud détient la palme ce qui n’est pas pour étonner vu le comportement totalement irresponsable de nombre de ses habitants.