Etude structurale des coiffes bretonnes - Jérôme Rocaboy - E-Book

Etude structurale des coiffes bretonnes E-Book

Jérôme Rocaboy

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Beschreibung

Une étude des coiffes bretonnes basée sur une analyse ethnologique.

Qu’est-ce qu’une représentation religieuse ? L’auteur chemine sur les traces des coiffes bretonnes pour contribuer à résoudre ce problème. Il prend ses exemples dans un art dont l’originalité a retenu l’attention de photographes, d’ethnographes et d’écrivains, et qui s’est déployé dans une région du territoire européen à une époque où régnait la tradition religieuse catholique. Et, en faisant remarquer les formes des coiffes au sein d’un ensemble de variétés, il démontre que leurs différences typologiques tiennent moins aux formes abstraites particulières que chaque coiffe, considérée en elle-même, a pour fonction de figurer, qu’à la façon dont les différents sous-éléments qui les constituent, s’opposent, se complètent et se combinent entre eux. Le tissu de dentelles et de broderies, les différents sous-éléments de la coiffe répliquent à un motif sur une surface plane et à des figures de l’espace. Il s’y rattache une structure cognitive, prenant l’aspect d’un modèle géométrique, qui a pour objet d’expliquer leur origine historique et de fonder leur rôle dans les coutumes religieuses, les fonctions économiques et sociales. Cette étude sur un art régional aborde donc, avec la rigueur des sciences exactes, des questions fondamentales de cosmologie religieuse et de connaissance abstraite de la cognition.

Découvrez, au travers de cet ouvrage pointu, les origines et le sens des coiffes bretonnes, entre art régional et tradition religieuse.

EXTRAIT

L’hypothèse d’une coiffe originelle à partir de laquelle toutes les transformations pourraient s’opérer nous incite à rechercher la logique qui explique les variations observées dans le domaine des coiffes bretonnes. Le choix du voile de la religieuse ou de la capeline comme étant la coiffe originelle permet de distinguer deux propriétés de ces couvre-chefs. En premier lieu, la figure de l’espace incluse dans la forme de ces coiffes se superpose à une surface paraboloïde dont le foyer est orienté vers le ciel sur l’espace terrestre. En second lieu, les sous-éléments de la coiffe rassemblent dans un système le fond au-dessus, en haut et au centre, avec en dessous, en bas et en périphérie, d’une part, les ailes ou les barbes latéralement, la visagière ou le bandeau en avant, le bavolet en arrière, et d’autre part, les accessoires de la coiffe autour du cou.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Docteur en médecine, Jérôme Rocaboy a élargi sa connaissance de l’homme par des études sur sa Bretagne natale. En suivant la méthode ethnologique, cet ouvrage est une recherche de l’identité de cette région et de son rapport à d’autres cultures dans le monde.

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Jérôme Rocaboy

Etude structurale des coiffes bretonnes

INTRODUCTION

Au cours de mon existence, alors que je parcourais le territoire de la Bretagne, j’ai eu l’occasion d’observer des femmes vêtues d’un costume et d’une coiffe. Enfant, j’accompagnais ma mère sur le marché aux poissons de Lorient où la déambulation de femmes habillées en noir et portant une coiffe blanche sur la tête m’apparaissait comme des anomalies dans le décor architectural et les modes vestimentaires des années 1970. Ignorant tout de l’histoire de mes aînés, parents et grands-parents, je regardais ces personnages imposants comme des énigmes terrestres. Plus tard, au détour d’une rue dans la ville de Saint-Brieuc en cette fin du xxe siècle, j’en ai vu assises, tricotant sur le parvis d’une église, ou encore, dans un de ces bourgs sur le territoire de la région, marchant sur le trottoir des rues principalement réservées aux automobiles. La seconde génération parentale, comme la première de mes parents, avait déjà abandonné ce type de tenue vestimentaire pour la vie quotidienne. Pourtant, sur une photographie de la cérémonie du mariage de mes grands-parents, ma grand-mère portait une coiffe de son pays. Je garde le souvenir du jour où une amie de ma mère avait sorti d’un tiroir une coiffe bigoudenne pour la montrer à ses enfants et à leurs amis. Elle nous invitait avec tendresse et avec un sourire à la tenir entre nos mains. J’ai alors perçu par le toucher, l’épaisseur, la texture et la raideur du tissu ; j’ai aussi senti mes yeux perforés par ces trous qui remplissaient la dentelle d’un vide lumineux, parfois foncés par le contraste avec la couleur blanche du tissu, ou encore traversés par un rayon de soleil éblouissant qui donnait à la matière du textile une couleur dorée. L’amie de ma mère n’avait pas de mot pour décrire cet objet mystérieux ; la seule impression que je ressentis se résumait à l’affirmation de sa majesté.

Curieuses impressions sensorielles, conservées par mon cerveau dans ma mémoire en dépit des décennies, et désormais mobilisées par l’attention que ce travail porte à ces couvre-chefs. Mon intérêt pour ces objets vient en écho à des recherches entreprises par les générations qui m’ont précédé. Sans leurs travaux déposés comme une trace continue au fil des générations depuis 150 ans, mon attention ne parviendrait pas à englober et à circonscrire un tel ensemble de coiffes. M. Bigot publia en 1928 aux éditions de la Bretagne touristique un recueil de cent photographies de femmes portant la coiffe car il était « urgent de fixer l’état présent du costume breton et d’assigner une place précise à chacune de ses nombreuses variantes,...»(1). C’est le témoignage le plus puissant dans ce domaine : sa démarche est spontanée sans arrière-pensée théorique ; l’authenticité des personnages, la sélection des coiffes à la fois suffisamment exhaustive et précise en font un témoignage inestimable ; la continuité des commentaires écrits, succincts mais explicites, rassemble la discontinuité de la série des clichés photographiques, tout en mettant en relief des traits esthétiques. R.-Y. Creston approfondit les investigations en inscrivant son travail dans une démarche ethnographique à partir d’informations recueillies sur le terrain. Ses commentaires sur les différents types de costumes et de coiffes selon leurs situations géographiques sur le territoire breton se complètent de documents graphiques avec cartes, dessins et photographies, qu’il publia entre 1953 et 1961. Il distingue ainsi des modes regroupées et classées selon la géographie des territoires et leurs transformations diachroniques. Rassemblés, les travaux complémentaires de ces deux auteurs forment une base d’informations nécessaire à notre entreprise.

Un des objectifs de la présente recherche est d’apporter une solution à un problème posé par A. Dupouy à propos de ces couvre-chefs : « (..) nous pourrons admettre qu’ils eurent à l’origine un sens religieux, sans nous flatter cependant d’en avoir la clef. »(2). Dès lors la tâche que nous proposons d’exécuter à propos de ces coiffes est de mener à bien une étude en conformité avec les exigences de l’anthropologie structurale. Afin de dégager une signification à ces productions artistiques, nous utiliserons des outils théoriques inventés par C. Lévi-Strauss en linguistique structurale, par exemple la définition qui met en rapport un symbole et une chose symbolisée(3). Quand il s’agira de mettre en évidence des systèmes sémantiques, nous ferons appel à la formule canonique éminemment illustrée dans son livre La potière jalouse, et notre contribution montrera comment ces derniers peuvent s’articuler avec une géométrie de l’espace, des figures de l’espace et des configurations de sous-éléments d’un élément dans l’espace. Le modèle géométrique utilisé se réduit à un cylindre orienté par un vecteur, dans lequel sont incluses trois figures de l’espace (un cône, un cylindre et une surface paraboloïde) et un nombre variable de sous-éléments d’un élément qui le configurent (Fig. 1). Pour démontrer que le domaine des coiffes bretonnes est habité par une logique sous-jacente, nous introduirons la notion de structure en logique mathématique dans laquelle une structure est un ensemble muni de fonctions et de relations définies sur cet ensemble.

Pour parvenir à ce but, nous essaierons de mettre en lumière, tant au niveau des figures de l’espace proposées par les différents sous-éléments du couvre-chef que des configurations de l’espace incluses dans le tissu de dentelles et de broderies, des rapports entre des coiffes provenant de différents territoires bretons dont l’ethnographie a déjà été précisément établie. L’ensemble des spécimens se présente comme des variations autour de figures géométriques dont chacune s’inscrit dans un espace structuré invariant : il en résultera une typologie des coiffes bretonnes. Ces considérations abstraites ne nous empêcheront pas de rappeler ce que l’on connaît sur leurs caractères esthétiques, leur technique de fabrication, l’usage auquel elles sont destinées et les résultats qu’on en attend.Enfin on s’attardera sur la structure cognitive qui rend compte de leur origine, de leur apparence et de leurs conditions d’emploi(4).

Le second problème, auquel mène le précédent et dont un premier développement a été exposé dans un travail antérieur (5), concerne les rapports qu’entretiennent la représentation d’un espace structuré, la matière culturelle et la temporalité. En empruntant des notions faisant appel à la modélisation des connaissances en informatique, nous proposerons une ontologie du domaine des coiffes bretonnes. Et, en élargissant la perspective à une sélection de sites archéologiques et de contextes ethnologiques, nous vérifierons la pertinence de cette ontologie dans le domaine de la connaissance de l’esprit humain ou de la cognition dans sa composante abstraite.

Signifier n’est jamais qu’établir une relation entre des termes.

–C. Lévi-Strauss La potière jalouse Plon 1985, p268

CHAPITRE I DES COUVRE-CHEFS EN BRETAGNE CATHOLIQUE

Localisée dans le nord géographique, la Bretagne inaugure la partie continentale émergée sur le territoire de la France à l’extrême ouest du continent européen. Avec une longitude moyenne de 2°56’ et une latitude à 48°, la physionomie du territoire s’affirme à la manière d’une composition. En son centre, un fond terrien sur un socle rocheux s’élève à une altitude comprise entre 100 et 400 mètres. Sur son aile nord, une surface s’étend jusqu’au littoral de la manche ; sur son aile sud, une autre surface s’étale sur le littoral du golfe de Gascogne. En arrière du promontoire sur son volet ouest, la terre glisse vers la mer d’Iroise. Le territoire de ces trois surfaces donnant sur le littoral se distingue de la partie orientale de la péninsule, qui offre un autre visage en venant se confondre avec le versant continental et non plus maritime de la région, à une altitude oscillant principalement entre 30 et 60 m. Le décor de la façade maritime de 1200 km voire 2800 km, si on considère les 797 îles et îlots qui la jalonnent, fait valoir ses plus beaux atours.

L’aspect des côtes bretonnes est découpé ; il y alterne des rias avec des vallées encaissées et boisées, des falaises, des marais littoraux, des dunes, des flèches et des cordons de sables et de galets. L’intérieur du pays bénéficiant d’un climat océanique tempéré est parsemé de bocages, de forêts, de landes et de marais. En tout lieu, la lumière du jour donne son éclat à la matière.

La description succincte de ce milieu physique instaure un rapport logique avec le milieu humain sous un aspect symbolique. Le centre de la région avec son relief situé à une altitude élevée s’oppose à sa périphérie de basse altitude. Quatre surfaces orientent les versants de ce relief central vers les quatre points cardinaux. Les trois surfaces qui possèdent un bord continu avec le littoral maritime s’opposent à une quatrième surface sans bord, qui se termine par une frontière ouverte sur le continent. La position de la surface avec une frontière continentale à l’est de la région s’oppose donc aux trois autres surfaces qui possèdent un bord maritime à l’ouest du continent. Il en résulte que les systèmes symboliques binaires (haut ; bas) et (centre ; périphérie) observés sur le territoire breton sous le rapport de l’altitude, se complètent par un système symbolique ternaire (ouest ; haut ; est) sous le rapport des notions de bord et de frontière appliquées aux caractères maritimes et continentaux de ce territoire (Fig. 2).

En transformant des aspects du milieu physique en ces considérations culturelles, un système sémantique ordonne alors la perception du territoire breton. La fonction « altitude » est au terme « le relief » ce que la fonction « périphérie » est au terme « les quatre surfaces » comme la fonction « altitude » est au terme « les quatre surfaces » ce que la fonction « le relief inversé », c’est-à-dire un bord ou une frontière de la région, est au terme « la périphérie » (6).

Pour qu’on puisse mettre en rapport le relief et les quatre surfaces d’une part, l’altitude et la périphérie d’autre part, il faut : 1) qu’une congruence apparaisse entre le relief et les quatre surfaces sous le rapport de l’altitude. Cette congruence s’établit car le relief au centre de la région se situe à une altitude plus élevée que les quatre surfaces situées en périphérie de ce dernier : 2) que le registre du relief comporte un terme congru à la périphérie. Les termes de bord et de frontière qui délimitent la région appartiennent à ce registre car ils définissent la limite périphérique du territoire breton avec en leur centre une région qui est alors entourée dans sa périphérie par la mer et le continent.

Les systèmes symboliques figurés par le relief et les quatre surfaces de cette région, et incarnés dans les quatre orientations cardinales et la notion d’altitude, sont suspendus à un ordre plus abstrait qui les subsume et les inclut. Il se représente par une modélisation géométrique de l’espace, qui réunit un cylindre dans lequel se situe, en parallèle, une droite fléchée ou un vecteur. Cet espace structuré est alors orienté du bas vers le haut sur l’espace terrestre, avec un point localisé à l’extrémité de la droite fléchée et au centre du cercle qui l’entoure (Fig. 3). Quelques sous-éléments de la région suffisent à figurer ce modèle à la condition de sélectionner certains aspects du territoire breton : le bord maritime, la frontière terrestre, un relief en haute altitude au centre du territoire et les quatre surfaces cardinales en basse altitude à sa périphérie. Les oppositions entre le relief et les quatre surfaces, entre le territoire breton et le bord maritime ou la frontière terrestre, figurent le modèle sous le rapport du point et du disque qui l’entoure : il s’agit d’un dualisme concentrique. La notion d’altitude inscrite dans ce dualisme concentrique inclut la droite fléchée dans le paysage. Les quatre surfaces cardinales permettent de figurer des dualismes diamétraux :

l’un symétrique dans l’axe est/ouest opposant les surfaces nord et sud toutes deux à bord maritime ; l’autre asymétrique dans l’axe nord/sud opposant les surfaces ouest et est, dont la première possède une limite à bord maritime et l’autre comme limite une frontière terrestre. Il en résulte un triadisme comprenant le bord maritime, le relief central et la frontière terrestre, médiateur entre les deux dualismes cités. Dans ce système sémantique qui réunit le relief, les quatre surfaces et la frontière maritime ou terrestre, le bord maritime possède les attributs « cardinalités nord, sud et ouest ; périphérie ; basse altitude », la frontière continentale possède les attributs « cardinalité est ; périphérie ; basse altitude », le relief possède les attributs « centre ; haute altitude » qui s’opposent aux attributs « périphérie ; basse altitude » des quatre surfaces.

L’observation de cette région avec ses limites géographiques prendrait une autre figure sous l’aspect de sa géologie ou de ses zones climatiques. De plus, la frontière terrestre qui délimite la Bretagne sur son versant continental correspond à une frontière culturelle établie par une population à une certaine époque et sous le règne de la culture catholique. Finalement, cette description de ce territoire à partir de laquelle s’infèrent des systèmes symboliques rend compte de la grille de lecture qui prévaut dans l’esprit de l’auteur, qui fait coïncider des observations de la géographie physique et humaine avec une modélisation abstraite. Rechercher et ordonner une logique symbolique dans un domaine spécifique de connaissances culturelles sont le propre de l’anthropologie structurale ; cette démarche s’appliquera aux objets que nous nous proposons d’étudier.

*

* *

M. Bigot et R.-Y. Creston proposent un inventaire des coiffes bretonnes en suivant un parcours géographique quasiment identique. Le départ des investigations de M. Bigot se situe dans le Finistère, tout d’abord en Cornouaille (photographies n°1-29), puis dans le Léon (n°30-45). Il poursuit son exposé dans le département du Morbihan (n°46-74) puis dans le département des côtes du Nord (ou côtes d’Armor) en Trégor (n°75-77), en Penthiève et dans le pays de Dinan (n°78-93). Son parcours se termine dans le département de l’Ille-et-Vilaine (n°94-97) puis dans le pays de la ville de Nantes (n°98-100) (Fig. 4). R.-Y. Creston étudie successivement la Basse-Bretagne dans les pays de Cornouaille, du Léon, du Trégor, du Goëlo nord, la Bretagne médiane nord en Penthièvre, la Bretagne médiane sud, le Pays de Vannes, de Guérande, et la Haute-Bretagne (Fig. 5).

Le départ des deux recherches se situe en Pays de Cornouaille et la fin de leurs investigations se termine en pays Nantais. M. Bigot écrit : « Toutes les coiffes de loire-inférieure sont de même type, mais il y a des différences de forme et d’ornementation entre elles ».« Certes, on conserve la coiffe, mais il n’y a plus le souci de variété que nous voyons dans nos trois beaux départements de basse bretagne : finistère, morbihan, côtes du nord »(7)