Fables - Jean de La Fontaine - E-Book

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Jean de La Fontaine

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Les Fables de Jean de La Fontaine sont un recueil de Fables écrites en vers, publiées entre 1668 et 1694. Ce livre est considéré comme l'une des œuvres les plus importantes de la littérature française. Il est composé de plus de 200 Fables, qui sont des histoires courtes qui enseignent une morale à travers l'utilisation d'animaux comme personnages. Les Fables de La Fontaine sont encore lues et étudiées aujourd'hui pour leur style poétique et leur sagesse. Ce livre est un incontournable pour tous les amoureux de la littérature française.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Jean de La Fontaine est un écrivain français célèbre pour ses Fables, un genre littéraire qui utilise des histoires de la vie animale pour enseigner des leçons morales. Il a écrit plus de 250 Fables, dont " Le Corbeau et le Renard", " La Cigale et la Fourmi" et "Le Lièvre et la Tortue". Il est né en 1621 dans une famille modeste dans la région de Champagne, mais a réussi à poursuivre des études à Paris et à se faire un nom dans les cercles littéraires de la ville. Il a écrit des Fables pour tous les âges et tous les niveaux de compréhension, en utilisant des histoires simples et amusantes pour enseigner des leçons importantes sur la vie et l'humanité. Il est considéré comme l'un des plus grands auteurs de Fables de tous les temps et son œuvre est encore lue et appréciée aujourd'hui pour sa sagesse et son humour.

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Fables

Jean de La Fontaine

– 1874 –

LIVRE PREMIER

ILA CIGALE ET LA FOURMI

La cigale, ayant chanté Tout l’été,Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue :Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau.

Elle alla crier famine Chez la fourmi, sa voisine,La priant de lui prêter Quelque grain pour subsisterJusqu’à la saison nouvelle. Je vous paierai, lui dit-elle,Avant l’oût[1], foi d’animal,Intérêt et principal. La fourmi n’est pas prêteuse :C’est là son moindre défaut.Que faisiez-vous au temps chaud ?Dit-elle à cette emprunteuse. — Nuit et jour à tout venant Je chantais, ne vous déplaise. — Vous chantiez, j’en suis fort aise !Eh bien ! dansez maintenant.

↑ Vieux mot français qui signifie moisson.

IILE CORBEAU ET LE RENARD

Maître corbeau, sur un arbre perché,Tenait en son bec un fromage. Maître renard, par l’odeur alléché,Lui tint à peu près ce langage :Hé ! bonjour, monsieur du corbeau. Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage,Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. À ces mots le corbeau ne se sent pas de joie ;

La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf.

Et, pour montrer sa belle voix,Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Le renard s’en saisit, et dit : Mon bon Monsieur,Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l’écoute : Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. Le corbeau, honteux et confus,Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.

IIILA GRENOUILLE QUI VEUT SE FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BŒUF

Une grenouille vit un bœuf Qui lui sembla de belle taille. Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un œuf,Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille

Pour égaler l’animal en grosseur ;Disant : Regardez bien, ma sœur ;Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ? — Nenni. — M’y voici donc ? — Point du tout. — M’y voilà ? — Vous n’en approchez point. La chétive pécore S’enfla si bien qu’elle creva. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,Tout petit prince a des ambassadeurs,Tout marquis veut avoir des pages.

IVLES DEUX MULETS

Deux mulets cheminaient, l’un d’avoine chargé,L’autre portant l’argent de la gabelle[1]. Celui-ci, glorieux d’une charge si belle,N’eût voulu pour beaucoup en être soulagé. Il marchait d’un pas relevé Et faisait sonner sa sonnette ;Quand l’ennemi se présentant,Comme il en voulait à l’argent,Sur le mulet du fisc une troupe se jette,Le saisit au frein, et l’arrête. Le mulet, en se défendant,Se sent percer de coups ; il gémit, il soupire. Est-ce donc là, dit-il, ce qu’on m’avait promis ?Ce mulet qui me suit du danger se retire,Et moi j’y tombe et je péris !

Ami, lui dit son camarade,Il n’est pas toujours bon d’avoir un haut emploi :Si tu n’avais servi qu’un meunier comme moi,Tu ne serais pas si malade.

↑ Nom donné anciennement à un impôt prélevé sur le sel.

VLE LOUP ET LE CHIEN

Un loup n’avait que les os et la peau,Tant les chiens faisaient bonne garde. Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,Gras, poli[1], qui s’était fourvoyé par mégarde.

L’attaquer, le mettre en quartiers,Sire loup l’eût fait volontiers :Mais il fallait livrer bataille ;Et le mâtin était de taille À se défendre hardiment. Le loup donc l’aborde humblement,Entre en propos, et lui fait compliment Sur son embonpoint, qu’il admire. Il ne tiendra qu’à vous, beau sire,D’être aussi gras que moi, lui repartit le chien. Quittez les bois, vous ferez bien :Vos pareils y sont misérables,Cancres, hères et pauvres diables,Dont la condition est de mourir de faim. Car, quoi ! rien d’assuré ! point de franche lippée !Tout à la pointe de l’épée !Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin. Le loup reprit : Que me faudra-t-il faire ? Presque rien, dit le chien : donner la chasse aux gens Portants bâtons, et mendiants ;Flatter ceux du logis, à son maître complaire ;Moyennant quoi votre salaire Sera force reliefs[2] de toutes les façons,Os de poulets, os de pigeons ;Sans parler de mainte caresse. Le loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse. Chemin faisant il vit le cou du chien pelé. Qu’est-ce là ? lui dit-il. — Rien. — Quoi ! rien ! — Peu de chose. — Mais encor ? — Le collier dont je suis attaché

De ce que vous voyez est peut-être la cause.Attaché ! dit le loup : vous ne courez donc pas Où vous voulez ? — Pas toujours ; mais qu’importe ?Il importe si bien, que de tous vos repas Je ne veux en aucune sorte,Et ne voudrais pas même à ce prix d’un trésor. Cela dit, maître loup s’enfuit, et court encor.

↑ Ici ce mot signifie luisant de graisse.

↑ Débris de viandes provenant d’un repas.

VILA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS, EN SOCIÉTÉ

AVEC LE LION

La génisse, la chèvre et leur sœur la brebis,Avec un fier lion, seigneur du voisinage,Firent société, dit-on, au temps jadis,Et mirent en commun le gain et le dommage. Dans les lacs de la chèvre un cerf se trouva pris.Vers ses associés aussitôt elle envoie. Eux venus, le lion par ses ongles compta ;Et dit : Nous sommes quatre à partager la proie. Puis en autant de parts le cerf il dépeça ;Prit pour lui la première en qualité de sire. Elle doit être à moi, dit-il ; et la raison,C’est que je m’appelle lion :À cela l’on n’a rien à dire. La seconde par droit me doit échoir encor :Ce droit, vous le savez, c’est le droit du plus fort. Comme le plus vaillant, je prétends la troisième. Si quelqu’une de vous touche à la quatrièmeJe l’étranglerai tout d’abord.

VIILA BESACE[1]

Jupiter dit un jour : Que tout ce qui respire S’en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur : Si dans son composé quelqu’un trouve à redire,Il peut le déclarer sans peur ;Je mettrai remède à la chose. Venez, singe ; parlez le premier, et pour cause : Voyez ces animaux, faites comparaison De leurs beautés avec les vôtres. Êtes-vous satisfait ? — Moi, dit-il ; pourquoi non ?N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché :Mais pour mon frère l’ours, on ne l’a qu’ébauché ;Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre. L’ours venant là-dessus, on crut qu’il s’allait plaindre. Tant s’en faut : de sa forme il se loua très-fort ;Glosa sur l’éléphant, dit qu’on pourrait encor Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;Que c’était une masse informe et sans beauté. L’éléphant étant écouté,Tout sage qu’il était, dit des choses pareilles :Il jugea qu’à son appétit Dame baleine était trop grosse. Dame fourmi trouva le ciron trop petit,Se croyant, pour elle, un colosse. Jupin les renvoya s’étant censurés tous,Du reste, contents d’eux. Mais, parmi les plus fous,Notre espèce excella ; car, tout ce que nous sommes,

Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes :On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain. Le fabricateur souverain Nous créa besaciers[2] tous de même manière,Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui : Il fit pour nos défauts la poche de derrière,Et celle de devant pour les défauts d’autrui.

↑ Sac à deux poches, ouvert par le milieu.

↑ Nom donné autrefois aux mendiants parce qu’ils étaient porteurs de besaces.

VIIIL’HIRONDELLE ET LES PETITS OISEAUX

Une hirondelle en ses voyages Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu

Peut avoir beaucoup retenu. Celle-ci prévoyait jusqu’aux moindres orages,Et devant qu’ils fussent éclos,Les annonçait aux matelots. Il arriva qu’au temps que la chanvre[1] se sème,Elle vit un manant en couvrir maints sillons. Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons :Je vous plains ; car, pour moi, dans ce péril extrême,Je saurai m’éloigner, ou vivre en quelque coin. Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?Un jour viendra, qui n’est pas loin,Que ce qu’elle répand sera votre ruine. De là naîtront engins à vous envelopper,Et lacets pour vous attraper,Enfin mainte et mainte machine Qui causera dans la saison Votre mort ou votre prison :Gare la cage ou le chaudron !C’est pourquoi, leur dit l’hirondelle,Mangez ce grain ; et croyez-moi. Les oiseaux se moquèrent d’elle :Ils trouvaient aux champs trop de quoi. Quand la chènevière fut verte,L’hirondelle leur dit : Arrachez brin à brin Ce qu’a produit ce maudit grain,Ou soyez sûrs de votre perte. Prophète de malheur ! babillarde ! dit-on,Le bel emploi que tu nous donnes !Il nous faudrait mille personnes Pour éplucher tout ce canton. La chanvre étant tout à fait crue,

L’hirondelle ajouta : Ceci ne va pas bien ;Mauvaise graine est tôt venue. Mais, puisque jusqu’ici l’on ne m’a crue en rien,Dès que vous verrez que la terre Sera couverte, et qu’à leurs blés Les gens n’étant plus occupés Feront aux oisillons la guerre ;Quand reginglettes[2] et réseaux Attraperont petits oiseaux,Ne volez plus de place en place,Demeurez au logis, ou changez de climat : Imitez le canard, la grue et la bécasse. Mais vous n’êtes pas en état De passer, comme nous, les déserts et les ondes,Ni d’aller chercher d’autres mondes :C’est pourquoi vous n’avez qu’un parti qui soit sûr ;C’est de vous renfermer au trou de quelque mur. Les oisillons, las de l’entendre,Se mirent à jaser aussi confusément Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre Ouvrait la bouche seulement. Il en prit aux uns comme aux autres :Maint oisillon se vit esclave retenu. Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les nôtres,Et ne croyons le mal que quand il est venu.

↑ Ce mot s’employait autrefois au féminin comme au masculin.

↑ Piège portatif formé d’un bois flexible courbé en arc à l’aide d’une ficelle.

IXLE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS

Autrefois le rat de ville Invita le rat des champs, D’une façon fort civile, À des reliefs d’ortolans. Sur un tapis de Turquie Le couvert se trouva mis.Je laisse à penser la vie Que firent ces deux amis. Le régal fut fort honnête ;Rien ne manquait au festin :Mais quelqu’un troubla la fête Pendant qu’ils étaient en train.

À la porte de la salle Ils entendirent du bruit :Le rat de ville détale ;Son camarade le suit. Le bruit cesse, on se retire :Rats en campagne aussitôt ;Et le citadin de dire :Achevons tout notre rôt. C’est assez, dit le rustique :Demain vous viendrez chez moi. Ce n’est pas que je me pique De tous vos festins de roi :Mais rien ne vient m’interrompre ;Je mange tout à loisir. Adieu donc. Fi du plaisir Que la crainte peut corrompre !

XLE LOUP ET L’AGNEAU

La raison du plus fort est toujours la meilleure[1] :Nous l’allons montrer tout à l’heure. Un agneau se désaltérait Dans le courant d’une onde pure. Un loup survint à jeun, qui cherchait aventure,Et que la faim en ces lieux attirait. Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?

Dit cet animal plein de rage :Tu seras châtié de ta témérité. Sire, répond l’agneau, que Votre Majesté Ne se mette pas en colère ;Mais plutôt qu’elle considère Que je me vas désaltérant Dans le courant,Plus de vingt pas au-dessous d’elle ;Et que, par conséquent, en aucune façon Je ne puis troubler sa boisson.Tu la troubles ! reprit cette bête cruelle ;Et je sais que de moi tu médis l’an passé.Comment l’aurais-je fait, si je n’étais pas né ?Reprit l’agneau : je tette encore ma mère. — Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. — Je n’en ai point. — C’est donc quelqu’un des tiens ;

Car vous ne m’épargnez guère,Vous, vos bergers et vos chiens.On me l’a dit : il faut que je me venge. Là-dessus, au fond des forêts Le loup l’emporte, et puis le mange,Sans autre forme de procès.

↑ Cette phrase est prise dans un sens ironique.

XIL’HOMME ET SON IMAGE

POUR M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD[1]

Un homme qui s’aimait sans avoir de rivaux Passait dans son esprit pour le plus beau du monde : Il accusait toujours les miroirs d’être faux,Vivant plus que content dans son erreur profonde. Afin de le guérir, le sort officieux Présentait partout à ses yeux Les conseillers muets dont se servent nos dames :Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,Miroirs aux poches des galants,Miroirs aux ceintures des femmes. Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner Aux lieux les plus cachés qu’il peut s’imaginer,N’osant plus des miroirs éprouver l’aventure. Mais un canal formé par une source pure Se trouve en ces lieux écartés :Il se voit, il se fâche, et ses yeux irrités Pensent apercevoir une chimère vaine.

Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau : Mais quoi ! le canal est si beau Qu’il ne le quitte qu’avec peine.On voit bien où je veux venir. Je parle à tous ; et cette erreur extrême Est un mal que chacun se plaît d’entretenir. Notre âme, c’est cet homme amoureux de lui-même ;Tant de miroirs, ce sont les sottises d’autrui,Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes ;Et quant au canal, c’est celui Que chacun sait, le livre des Maximes.

↑ François, duc de la Rochefoucauld, né en 1613, et mort en 1680. Il est célèbre par son ouvrage des Réflexions et maximes morales.

XIILE DRAGON À PLUSIEURS TÊTES, ET LE DRAGON À PLUSIEURS

QUEUES

Un envoyé du Grand Seigneur Préférait, dit l’histoire, un jour chez l’empereur,Les forces de son maître à celles de l’empire. Un Allemand se mit à dire :Notre prince a des dépendantsQui, de leur chef, sont si puissantsQue chacun d’eux pourrait soudoyer une armée. Le chiaoux[1], homme de sens,Lui dit : Je sais par renommée Ce que chaque électeur peut de monde fournir ;Et cela me fait souvenir D’une aventure étrange, et qui pourtant est vraie. J’étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer

Les cent têtes d’une hydre au travers d’une haie. Mon sang commence à se glacer ;Et je crois qu’à moins on s’effraie. Je n’en eus toutefois que la peur sans le mal :Jamais le corps de l’animal Ne put venir vers moi ni trouver d’ouverture. Je rêvais à cette aventure,Quand un autre dragon, qui n’avait qu’un seul chef, Et bien plus d’une queue à passer se présente. Me voilà saisi derechef D’étonnement et d’épouvante. Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi : Rien ne les empêcha ; l’un fit chemin à l’autre. Je soutiens qu’il en est ainsi De votre empereur et du nôtre.

↑ Fonctionnaire turc chargé de porter les ordres du sultan.

XIIILES VOLEURS ET L’ÂNE

Pour un âne enlevé deux voleurs se battaient :L’un voulait le garder, l’autre le voulait vendre. Tandis que coups de poing trottaient,Et que nos champions songeaient à se défendre,Arrive un troisième larron,Qui saisit maître aliboron.L’âne, c’est quelquefois une pauvre province :Les voleurs sont tel et tel prince,Comme le Transylvain, le Turc et le Hongrois. Au lieu de deux, j’en ai rencontré trois :Il est assez de cette marchandise. De nul d’eux n’est souvent la province conquise :

Un quart voleur survient, qui les accorde net En se saisissant du baudet.

XIVSIMONIDE[1]PRÉSERVÉ PAR LES DIEUX

On ne peut trop louer trois sortes de personnes : Les dieux, sa maîtresse et son roi. Malherbe le disait : j’y souscris, quant à moi : Ce sont maximes toujours bonnes. La louange chatouille et gagne les esprits :Les faveurs d’une belle en sont souvent le prix.Voyons comme les dieux l’ont quelquefois payée. Simonide avait entrepris L’éloge d’un athlète ; et, la chose essayée,

Il trouva son sujet plein de récits tout nus. Les parents de l’athlète étaient gens inconnus ;Son père, un bon bourgeois ; lui, sans autre mérite :Matière infertile et petite. Le poëte d’abord parla de son héros. Après en avoir dit ce qu’il en pouvait dire,Il se jette à côté, se met sur le propos De Castor et Pollux ; ne manque pas d’écrireQue leur exemple était aux lutteurs glorieux,Élève leurs combats, spécifiant les lieux Où ces frères s’étaient signalés davantage :Enfin l’éloge de ces dieux Faisait les deux tiers de l’ouvrage. L’athlète avait promis d’en payer un talent :Mais, quand il le vit, le galant N’en donna que le tiers, et dit fort franchement Que Castor et Pollux acquittassent le reste. Faites-vous contenter par ce couple céleste. Je vous veux traiter cependant :Venez souper chez moi ; nous ferons bonne vie : Les conviés sont gens choisis,Mes parents, mes meilleurs amis ;Soyez donc de la compagnie. Simonide promit. Peut-être qu’il eut peur De perdre, outre son dû, le gré de sa louange. Il vient : l’on festine, l’on mange. Chacun étant en belle humeur,Un domestique accourt l’avertir qu’à la porte Deux hommes demandaient à le voir promptement. Il sort de table ; et la cohorte N’en perd pas un seul coup de dent. Ces deux hommes étaient les gémeaux de l’éloge,

Tous deux lui rendent grâces ; et, pour prix de ses vers,Ils l’avertissent qu’il déloge,Et que cette maison va tomber à l’envers. La prédiction en fut vraie. Un pilier manque ; et le plafond,Ne trouvant plus rien qui l’étaie,Tombe sur le festin, brise plats et flacons,N’en fait pas moins aux échansons. Ce ne fut pas le pis : car, pour rendre complète La vengeance due au poëte,Une poutre cassa les jambes à l’athlète,Et renvoya les conviés Pour la plupart estropiés. La renommée eut soin de publier l’affaire :Chacun cria : Miracle ! On doubla le salaire Que méritaient les vers d’un homme aimé des dieux. Il n’était fils de bonne mère Qui, les payant à qui mieux mieux,Pour ses ancêtres n’en fît faire. Je reviens à mon texte : et dis premièrement Qu’on ne saurait manquer de louer largement Les dieux et leurs pareils ; de plus, que Melpomène Souvent, sans déroger, trafique de sa peine ;Enfin qu’on doit tenir notre art en quelque prix. Les grands se font honneur dès lors qu’ils nous font grâce : Jadis l’Olympe et le Parnasse Étaient frères et bons amis.

↑ Poète grec qui vivait au sixième siècle avant J.-C.

XVLA MORT ET LE MALHEUREUX

Un malheureux appelait tous les jours La mort à son secours. Ô Mort ! lui disait-il, que tu me sembles belle !Viens vite, viens finir ma fortune cruelle !La Mort crut, en venant, l’obliger en effet. Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre. Que vois-je ? cria-t-il ; ôtez-moi cet objet !Qu’il est hideux ! que sa rencontre Me cause d’horreur et d’effroi !N’approche pas, ô Mort ! ô Mort, retire-toi !Mécénas fut un galant homme ;Il a dit quelque part : Qu’on me rende impotent,Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en somme Je vive, c’est assez, je suis plus que content. Ne viens jamais, ô Mort ! on t’en dit tout autant.

Ce sujet a été traité d’une autre façon par Ésope, comme la fable suivante le fera voir. Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignait de rendre la chose ainsi générale. Mais quelqu’un me fit connaître que j’eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et que je laissais passer un des plus beaux traits qui fût dans Ésope. Cela m’obligea d’y avoir recours. Nous ne saurions aller plus avant que les anciens : ils ne nous ont laissé pour notre part que la gloire de les bien suivre. Je joins toutefois ma fable à celle d’Ésope, non que la mienne le mérite, mais à cause du mot de Mécénas que j’y fais entrer, et qui est si beau et si à propos que je n’ai pas cru le devoir omettre.

XVILA MORT ET LE BÛCHERON

Un pauvre bucheron, tout couvert de ramée,Sous le faix du fagot aussi bien que des ans,Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée. Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur,Il met bas son fagot, il songe à son malheur. Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?Point de pain quelquefois, et jamais de repos :Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,Le créancier, et la corvée,Lui font d’un malheureux la peinture achevée. Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,Lui demande ce qu’il faut faire.

C’est, dit-il, afin de m’aider À recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. Le trépas vient tout guérir ;Mais ne bougeons d’où nous sommes :Plutôt souffrir que mourir,C’est la devise des hommes.

XVIIL’HOMME ENTRE DEUX ÂGES, ET SES DEUX MAÎTRESSES

Un homme de moyen âge, Et tirant sur le grison, Jugea qu’il était saison De songer au mariage. Il avait du comptant, Et partant De quoi choisir ; toutes voulaient lui plaire : En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant ; Bien adresser[1] n’est pas petite affaire. Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part : L’une encor verte ; et l’autre un peu bien mûre, Mais qui réparait par son art Ce qu’avait détruit la nature. Ces deux veuves, en badinant, En riant, en lui faisant fête, L’allaient quelquefois têtonnant,C’est-à-dire ajustant sa tête. La vieille, à tout moment, de sa part emportait Un peu du poil noir qui restait,

Afin que son amant en fût plus à sa guise. La jeune saccageait les poils blancs à son tour. Toutes deux firent tant, que notre tête grise Demeura sans cheveux, et se douta du tour. Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les belles,Qui m’avez si bien tondu :J’ai plus gagné que perdu ;Car d’hymen point de nouvelles. Celle que je prendrais voudrait qu’à sa façon Je vécusse, et non à la mienne. Il n’est tête chauve qui tienne :Je vous suis obligé, belles, de la façon.

↑ Pour s’adresser, choisir.

XVIIILE RENARD ET LA CIGOGNE

Compère le renard se mit un jour en frais,Et retint à dîner commère la cigogne. Le régal fut petit et sans beaucoup d’apprêts : Le galant, pour toute besogne,Avait un brouet clair ; il vivait chichement.Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :La cigogne au long bec n’en put attraper miette ;Et le drôle eut lapé le tout en un moment. Pour se venger de cette tromperie,À quelque temps de là la cigogne le prie. Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis Je ne fais point cérémonie. À l’heure dite, il courut au logis De la cigogne son hôtesse ;Loua très-fort sa politesse ;Trouva le dîner cuit à point :

Bon appétit surtout ; renards n’en manquent point.Il se réjouissait à l’odeur de la viandeMise en menus morceaux, et qu’il croyait friande. On servit, pour l’embarrasser,En un vase à long col et d’étroite embouchure. Le bec de la cigogne y pouvait bien passer ;Mais le museau du sire était d’autre mesure. Il lui fallut à jeun retourner au logis,Honteux comme un renard qu’une poule aurait pris,Serrant la queue, et portant bas l’oreille. Trompeurs, c’est pour vous que j’écris :Attendez-vous à la pareille.

XIXL’ENFANT ET LE MAÎTRE D’ÉCOLE

Dans ce récit je prétends faire voir D’un certain sot la remontrance vaine. Un jeune enfant dans l’eau se laissa choir En badinant sur les bords de la Seine. Le ciel permit qu’un saule se trouva,Dont le branchage, après Dieu, le sauva. S’étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,Par cet endroit passe un maître d’école ;L’enfant lui crie : Au secours ! je péris !Le magister se tournant à ses cris,D’un ton fort grave à contre-temps s’avise De le tancer : Ah ! le petit babouin,Voyez, dit-il, où l’a mis sa sottise !

Et puis prenez de tels fripons le soin !Que les parents sont malheureux, qu’il faille Toujours veiller à semblable canaille !Qu’ils ont de maux ! et que je plains leur sort !Ayant tout dit, il mit l’enfant à bord. Je blâme ici plus de gens qu’on ne pense. Tout babillard, tout censeur, tout pédant Se peut connaître au discours que j’avance. Chacun des trois fait un peuple fort grand :Le Créateur en a béni l’engeance. En toute affaire, ils ne font que songer Au moyen d’exercer leur langue. Eh ! mon ami, tire-moi de danger,Tu feras, après, ta harangue.

XXLE COQ ET LA PERLE

Un jour un coq détourna Une perle, qu’il donna Au beau premier lapidaire. Je la crois fine, dit-il ;Mais le moindre grain de mil Serait bien mieux mon affaire. Un ignorant hérita D’un manuscrit qu’il portaChez son voisin le libraire.Je crois, dit-il, qu’il est bon ;Mais le moindre ducatonSerait bien mieux mon affaire.

XXILES FRELONS ET LES MOUCHES À MIEL

À l’œuvre on connaît l’artisan. Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrentDes frelons les réclamèrent ; Des abeilles s’opposant,Devant certaine guêpe on traduisit la cause. Il était malaisé de décider la chose :Les témoins déposaient qu’autour de ces rayons Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,Avaient longtemps paru. Mais quoi ! dans les frelons Ces enseignes étaient pareilles.La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,Fit enquête nouvelle, et, pour plus de lumière,

Entendit une fourmilière. Le point n’en put être éclairci. De grâce, à quoi bon tout ceci ?Dit une abeille fort prudente. Depuis tantôt six mois que l’affaire est pendante,Nous voici comme aux premiers jours. Pendant cela le miel se gâte. Il est temps désormais que le juge se hâte :N’a-t-il point assez léché l’ours[1] ?Sans tant de contredits, et d’interlocutoires,Et de fatras, et de grimoires,Travaillons, les frelons et nous :On verra qui sait faire, avec un suc si doux,Des cellules si bien bâties. Le refus des frelons fit voir Que cet art passait leur savoir ; Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties. Plût à Dieu qu’on réglât ainsi tous les procès !Que des Turcs en cela l’on suivît la méthode !Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code. Il ne faudrait point tant de frais :Au lieu qu’on nous mange, on nous gruge ;On nous mine par des longueurs :On fait tant, à la fin, que l’huître est pour le juge,Les écailles pour les plaideurs.

↑ Expression proverbiale, fondée sur un préjugé populaire qui attribuait à l’ours l’habitude de lécher ses petits pour perfectionner leurs formes extérieures.

XXIILE CHÊNE ET LE ROSEAU

Le chêne un jour dit au roseau :Vous avez bien sujet d’accuser la nature ;Un roitelet pour vous est un pesant fardeau :Le moindre vent qui d’aventure Fait rider la face de l’eau,Vous oblige à baisser la tête ;Cependant que mon front, au Caucase pareil,Non content d’arrêter les rayons du soleil,Brave l’effort de la tempête. Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr. Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage Dont je couvre le voisinage,Vous n’auriez pas tant à souffrir,Je vous défendrais de l’orage :

Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste. Votre compassion, lui répondit l’arbuste,Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci :Les vents me sont moins qu’à vous redoutables ;Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici Contre leurs coups épouvantables Résisté sans courber le dos ;Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,Du bout de l’horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.L’arbre tient bon ; le roseau plie. Le vent redouble ses efforts,Et fait si bien qu’il déracine Celui de qui la tête au ciel était voisine,Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.

LIVRE SECOND

ICONTRE CEUX QUI ONT LE GOÛT DIFFICILE

Quand j’aurais en naissant reçu de Calliope Les dons qu’à ses amants cette muse a promis,Je les consacrerais aux mensonges d’Ésope :Le mensonge et les vers de tout temps sont amis. Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse Que de savoir orner toutes ces fictions. On peut donner du lustre à leurs inventions :On le peut ; je l’essaie ; un plus savant le fasse. Cependant jusqu’ici d’un langage nouveau J’ai fait parler le loup et répondre l’agneau :J’ai passé plus avant ; les arbres et les plantes Sont devenus chez moi créatures parlantes. Qui ne prendrait ceci pour un enchantement ?Vraiment, me diront nos critiques,Vous parlez magnifiquement De cinq ou six contes d’enfant. Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques Et d’un style plus haut ? En voici. Les Troyens,

Après dix ans de guerre autour de leurs murailles,Avaient lassé les Grecs, qui, par mille moyens,Par mille assauts, par cent batailles,N’avaient pu mettre à bout cette fière cité ;Quand un cheval de bois, par Minerve inventé,D’un rare et nouvel artifice,Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse,Le vaillant Diomède, Ajax l’impétueux,Que ce colosse monstrueux Avec leurs escadrons devait porter dans Troie,Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie :Stratagème inouï, qui des fabricateurs Paya la constance et la peine… C’est assez, me dira quelqu’un de nos auteurs :La période est longue, il faut reprendre haleine ;Et puis, votre cheval de bois,Vos héros avec leurs phalanges,Ce sont des contes plus étranges Qu’un renard qui cajole un corbeau sur sa voix :De plus, il vous sied mal d’écrire en si haut style. Eh bien ! baissons d’un ton. La jalouse Amarylle Songeait à son Alcippe, et croyait de ses soins N’avoir que ses moutons et son chien pour témoins. Tircis, qui l’aperçut, se glisse entre des saules ;Il entend la bergère adressant ces paroles Au doux zéphyr, et le priant De les porter à son amant… Je vous arrête à cette rime,Dira mon censeur à l’instant ;Je ne la tiens pas légitime,Ni d’une assez grande vertu :Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte.

Maudit censeur ! te tairas-tu ?Ne saurais-je achever mon conte ?C’est un dessein très dangereux Que d’entreprendre de te plaire. Les délicats sont malheureux :Rien ne saurait les satisfaire.

IICONSEIL TENU PAR LES RATS

Un chat, nommé Rodilardus[1],Faisait de rats telle déconfiture Que l’on n’en voyait presque plus ;Tant il en avait mis dedans la sépulture. Le peu qu’il en restait, n’osant quitter son trou,Ne trouvait à manger que le quart de son soûl ;Et Rodilard passait, chez la gent misérable,Non pour un chat, mais pour un diable. Or, un jour qu’au haut et au loin Le galant alla chercher femme,Pendant tout le sabbat qu’il fit avec sa dame,Le demeurant des rats tint chapitre en un coin Sur la nécessité présente. Dès l’abord, leur doyen, personne fort prudente,Opina qu’il fallait, et plus tôt que plus tard,Attacher un grelot au cou de Rodilard ;Qu’ainsi, quand il irait en guerre,De sa marche avertis ils s’enfuiraient sous terre ;Qu’il n’y savait que ce moyen.

Chacun fut de l’avis de monsieur le doyen :Chose ne leur parut à tous plus salutaire. La difficulté fut d’attacher le grelot. L’un dit : Je n’y vas point, je ne suis pas si sot ;L’autre : Je ne saurais. Si bien que sans rien faire On se quitta. J’ai maints chapitres vus,Qui pour néant se sont ainsi tenus ;Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines,Voire chapitres de chanoines. Ne faut-il que délibérer ?La cour en conseillers foisonne :Est-il besoin d’exécuter ?L’on ne rencontre plus personne.

↑Rodilardus, nom latin forgé par Rabelais, signifiant Ronge-lard.

IIILE LOUP PLAIDANT CONTRE LE RENARD PAR-DEVANT LE SINGE

Un loup disait que l’on l’avait volé :Un renard, son voisin, d’assez mauvaise vie,Pour ce prétendu vol par lui fut appelé. Devant le singe il fut plaidé,Non point par avocats, mais par chaque partie. Thémis n’avait point travaillé,De mémoire de singe, à fait plus embrouillé. Le magistrat suait en son lit de justice. Après qu’on eut bien contesté,Répliqué, crié, tempesté,Le juge, instruit de leur malice,Leur dit : Je vous connais de longtemps, mes amis ;Et tous deux vous paierez l’amende :Car toi, loup, tu te plains, quoiqu’on ne t’ait rien pris ;

Et toi, renard, as pris ce que l’on te demande. Le juge prétendait qu’à tort et à travers, On ne saurait manquer, condamnant un pervers.

Quelques personnes de bon sens ont cru que l’impossibilité et la contradiction qui est dans le jugement de ce singe était une chose à censurer : mais je ne m’en suis servi qu’après Phèdre ; et c’est en cela que consiste le bon mot, selon mon avis.

IVLES DEUX TAUREAUX ET LA GRENOUILLE

Deux taureaux combattaient à qui posséderait Une génisse avec l’empire. Une grenouille en soupirait. Qu’avez-vous ? se mit à lui dire Quelqu’un du peuple coassant. Eh ! ne voyez-vous pas, dit-elle,

Que la fin de cette querelle Sera l’exil de l’un ; que l’autre, le chassant,Le fera renoncer aux campagnes fleuries ?Il ne régnera plus sur l’herbe des prairies,Viendra dans nos marais régner sur les roseaux ;Et, nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,Tantôt l’une, et puis l’autre, il faudra qu’on pâtisse Du combat qu’a causé madame la génisse. Cette crainte était de bon sens. L’un des taureaux en leur demeure S’alla cacher, à leurs dépens :Il en écrasait vingt par heure. Hélas ! on voit que de tout temps Les petits ont pâti des sottises des grands.

VLA CHAUVE-SOURIS ET LES DEUX BELETTES

Une chauve-souris donna tête baissée Dans un nid de belette ; et, sitôt qu’elle y fut,L’autre, envers la souris de longtemps courroucée,Pour la dévorer accourut. Quoi ! vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire Après que votre race a tâché de me nuire !N’êtes-vous pas souris ? Parlez sans fiction. Oui, vous l’êtes ; ou bien je ne suis pas belette. Pardonnez-moi, dit la pauvrette,Ce n’est pas ma profession. Moi, souris, des méchants vous ont dit ces nouvelles. Grâce à l’auteur de l’univers,Je suis oiseau ; voyez mes ailes :

Vive la gent qui fend les airs !Sa raison plut, et sembla bonne. Elle fait si bien qu’on lui donne Liberté de se retirer. Deux jours après, notre étourdie Aveuglément se va fourrer Chez une autre belette aux oiseaux ennemie. La voilà derechef en danger de sa vie. La dame du logis avec son long museau S’en allait la croquer en qualité d’oiseau,Quand elle protesta qu’on lui faisait outrage :Moi, pour telle passer ! Vous n’y regardez pas. Qui fait l’oiseau ? c’est le plumage. Je suis souris ; vive les rats !Jupiter confonde les chats !Par cette adroite repartie

Elle sauva deux fois sa vie. Plusieurs se sont trouvés qui, d’écharpes changeants,Aux dangers, ainsi qu’elle, ont souvent fait la figue[1]. Le sage dit, selon les gens :Vive le roi ! vive la ligue !

↑ S’en sont moqués.

VIL’OISEAU BLESSÉ D’UNE FLÈCHE

Mortellement atteint d’une flèche empennée[1],Un oiseau déplorait sa triste destinée,Et disait, en souffrant un surcroît de douleur :Faut-il contribuer à son propre malheur !Cruels humains ! vous tirez de nos ailes De quoi faire voler ces machines mortelles !Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié ;Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre. Des enfants de Japet toujours une moitié Fournira des armes à l’autre.

↑ Garnie de plumes.

VIILA LICE ET SA COMPAGNE

Une lice étant sur son terme,Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant,Fait si bien qu’à la fin sa compagne consent De lui prêter sa hutte, où la lice s’enferme. Au bout de quelque temps sa compagne revient. La lice lui demande encore une quinzaine ;

Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu’à peine. Pour faire court, elle l’obtient. Ce second terme échu, l’autre lui redemande Sa maison, sa chambre, son lit. La lice cette fois montre les dents, et dit :Je suis prête à sortir avec toute ma bande Si vous pouvez nous mettre hors. Ses enfants étaient déjà forts. Ce qu’on donne aux méchants, toujours on le regrette :Pour tirer d’eux ce qu’on leur prête,Il faut que l’on en vienne aux coups ;Il faut plaider ; il faut combattre. Laissez leur prendre un pied chez vous :Ils en auront bientôt pris quatre.

VIIIL’AIGLE ET L’ESCARBOT[1]

L’aigle donnait la chasse à maître Jean lapin,Qui droit à son terrier s’enfuyait au plus vite. Le trou de l’escarbot se rencontre en chemin. Je laisse à penser si ce gîte Était sûr : mais où mieux ? Jean lapin s’y blottit. L’aigle fondant sur lui nonobstant cet asile,L’escarbot intercède et dit : Princesse des oiseaux, il vous est fort facile D’enlever malgré moi ce pauvre malheureux :Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie ;Et puisque Jean lapin vous demande la vie,Donnez-la-lui, de grâce, ou l’ôtez à tous deux :

C’est mon voisin, c’est mon compère. L’oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,Choque de l’aile l’escarbot,L’étourdit, l’oblige à se taire,Enlève Jean lapin. L’escarbot indigné,Vole au nid de l’oiseau, fracasse, en son absence,Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance :Pas un seul ne fut épargné. L’aigle étant de retour, et voyant ce manège,Remplit le ciel de cris ; et, pour comble de rage,Ne sait sur qui venger le tort qu’elle a souffert. Elle gémit en vain ; sa plainte au vent se perd. Il fallut pour cet an vivre en mère affligée. L’an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut. L’escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut :La mort de Jean lapin derechef est vengée. Ce second deuil fut tel, que l’écho de ces bois N’en dormit de plus de six mois. L’oiseau qui porte Ganymède Du monarque des dieux enfin implore l’aide,Dépose en son giron ses œufs, et croit qu’en paix Ils seront dans ce lieu ; que, pour ses intérêts,Jupiter se verra contraint de les défendre :Hardi qui les irait là prendre. Aussi ne les y prit-on pas. Leur ennemi changea de note,Sur la robe du dieu fit tomber une crotte :Le dieu la secouant jeta les œufs à bas. Quand l’aigle sut l’inadvertance,Elle menaça Jupiter D’abandonner sa cour, d’aller vivre au désert,De quitter toute dépendance,

Avec mainte autre extravagance. Le pauvre Jupiter se tut :Devant son tribunal l’escarbot comparut,Fit sa plainte, et conta l’affaire. On fit entendre à l’aigle, enfin, qu’elle avait tort. Mais, les deux ennemis ne voulant point d’accord,Le monarque des dieux s’avisa, pour bien faire,De transporter le temps où l’aigle fait l’amour,En une autre saison, quand la race escarbote Est en quartier d’hiver, et, comme la marmotte,Se cache et ne voit point le jour.

↑ Coléoptère ayant quelque analogie avec le hanneton.

IXLE LION ET LE MOUCHERON

Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre !C’est en ces mots que le lion Parlait un jour au moucheron. L’autre lui déclara la guerre :Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi Me fasse peur ni me soucie[1] ?Un bœuf est plus puissant que toi ;Je le mène à ma fantaisie. À peine il achevait ces mots Que lui-même il sonna la charge,Fut le trompette et le héros. Dans l’abord il se met au large ;Puis prend son temps, fond sur le cou Du lion, qu’il rend presque fou. Le quadrupède écume, et son œil étincelle ;

Il rugit. On se cache, on tremble à l’environ ;Et cette alarme universelle Est l’ouvrage d’un moucheron. Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle ;Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,Tantôt entre au fond du naseau. La rage alors se trouve à son faîte montée. L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir. Le malheureux lion se déchire lui-même,Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,Bat l’air, qui n’en peut mais ; et sa fureur extrême Le fatigue, l’abat : le voilà sur les dents. L’insecte, du combat, se retire avec gloire :Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,

Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin L’embuscade d’une araignée ;Il y rencontre aussi sa fin. Quelle chose par là nous peut être enseignée ?J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;L’autre qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,Qui périt pour la moindre affaire.

↑ Me cause du souci.

XL’ÂNE CHARGÉ D’ÉPONGES, ET L’ÂNE CHARGÉ DE SEL

Un ânier, son sceptre à la main,Menait, en empereur romain,Deux coursiers à longues oreilles. L’un, d’épongés chargé, marchait comme un courrier ;Et l’autre, se faisant prier,Portait, comme on dit, les bouteilles[1] :Sa charge était de sel. Nos gaillards pèlerins,Par monts, par vaux, et par chemins,Au gué d’une rivière à la fin arrivèrent,Et fort empêchés se trouvèrent. L’ânier, qui tous les jours traversait ce gué-là,Sur l’âne à l’éponge monta,Chassant devant lui l’autre bête,Qui, voulant en faire à sa tête,Dans un trou se précipita,Revint sur l’eau puis échappa :Car au bout de quelques nagées,Tout son sel se fondit si bien

Que le baudet ne sentit rien Sur ses épaules soulagées. Camarade épongier prit exemple sur lui,Comme un mouton qui va dessus la foi d’autrui. Voilà mon âne à l’eau ; jusqu’au col il se plonge,Lui, le conducteur, et l’éponge. Tous trois burent d’autant : l’ânier et le grison Firent à l’éponge raison. Celle-ci devint si pesante,Et de tant d’eau s’emplit d’abord,Que l’âne succombant ne put gagner le bord. L’ânier l’embrassait, dans l’attente D’une prompte et certaine mort. Quelqu’un vint au secours : qui ce fut, il n’importe ;C’est assez qu’on ait vu par là qu’il ne faut point Agir chacun de même sorte. J’en voulais venir à ce point.

↑ Marchait lentement.

XILE LION ET LE RAT

Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde :On a souvent besoin d’un plus petit que soi. De cette vérité deux fables feront foi ;Tant la chose en preuves abonde. Entre les pattes d’un lion Un rat sortit de terre assez à l’étourdie. Le roi des animaux, en cette occasion,Montra ce qu’il était, et lui donna la vie. Ce bienfait ne fut pas perdu. Quelqu’un aurait-il jamais cru Qu’un lion d’un rat eût affaire ?

Cependant il advint qu’au sortir des forêts Ce lion fut pris dans des rets,Dont ses rugissements ne le purent défaire. Sire rat accourut, et fit tant par ses dents Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage. Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage.

XIILA COLOMBE ET LA FOURMI

L’autre exemple est tiré d’animaux plus petits. Le long d’un clair ruisseau buvait une colombe,Quand sur l’eau se penchant une fourmis[1] y tombe ;

Et dans cet océan on eût vu la fourmis S’efforcer, mais en vain, de regagner la rive. La colombe aussitôt usa de charité :Un brin d’herbe dans l’eau par elle étant jeté,Ce fut un promontoire où la fourmis arrive. Elle se sauve. Et là-dessus Passe un certain croquant[2] qui marchait les pieds nus :Ce croquant, par hasard, avait une arbalète. Dès qu’il voit l’oiseau de Vénus,Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête. Tandis qu’à le tuer mon villageois s’apprête,La fourmi le pique au talon. Le vilain retourne la tête :La colombe l’entend, part, et tire de long. Le souper du croquant avec elle s’envole :Point de pigeon pour une obole.

↑ La Fontaine a ajouté une s au mot fourmi pour éviter l’hiatus.

↑ Un inconnu, un aventurier.

XIIIL’ASTROLOGUE QUI SE LAISSE TOMBER DANS UN PUITS

Un astrologue un jour se laissa choir Au fond d’un puits. On lui dit : Pauvre bête,Tandis qu’à peine à tes pieds tu peux voir,Penses-tu lire au-dessus de ta tête ?Cette aventure en soi, sans aller plus avant,Peut servir de leçon à la plupart des hommes. Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,Il en est peu qui fort souvent Ne se plaisent d’entendre dire Qu’au livre du Destin les mortels peuvent lire.

L’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits.

Mais ce livre, qu’Homère et les siens ont chanté,Qu’est-ce, que le hasard parmi l’antiquité,Et parmi nous, la Providence ?Or, du hasard il n’est point de science :S’il en était, on aurait tort De l’appeler hasard, ni fortune, ni sort ;Toutes choses très incertaines. Quant aux volontés souveraines De celui qui fait tout, et rien qu’avec dessein,Qui les sait, que lui seul ? Comment lire en son sein ?Aurait-il imprimé sur le front des étoiles Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ?À quelle utilité ? Pour exercer l’esprit De ceux qui de la sphère et du globe ont écrit ?Pour nous faire éviter des maux inévitables ?Nous rendre, dans les biens, de plaisirs incapables ?Et, causant du dégoût pour ces biens prévenus,Les convertir en maux devant qu’ils soient venus ?C’est erreur, ou plutôt c’est crime de le croire. Le firmament se meut, les astres font leurs cours,Le soleil nous luit tous les jours,Tous les jours sa clarté succède à l’ombre noire,Sans que nous en puissions autre chose inférer Que la nécessité de luire et d’éclairer,D’amener les saisons, de mûrir les semences,