Facéties d'une vie de gamin - Jean-Yves Duchemin - E-Book

Facéties d'une vie de gamin E-Book

Jean-Yves Duchemin

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Beschreibung

Quand les rêves de l’enfance confrontent les illusions des adultes…

Le style onirique de Jean-Yves Duchemin, amoureux fidèle de la Lozère, attire le lecteur dans une jonglerie de métaphores. Ici, les rêves acidulés de l’enfance viennent se mêler aux affres et fantasmes de l’homme. L’auteur ne se résout jamais ; indomptable, il parcourt ses rêves à grandes enjambées avec autant d’ardeur que les berges de l’Allier, son territoire adoré.

Un roman initiatique où chaque lecteur se retrouvera

EXTRAIT

« Gamin, je m’amusais à enterrer mes jouets dans l’espoir de les retrouver plus tard, quand l’âge d’être adulte viendrait plomber ma joie de vivre. C’était ma façon de les préserver de l’insécurité ambiante. Surtout depuis que des chats du quartier s’immisçaient chez les gens dans le but de dévorer leurs cochons d’Inde, leurs hamsters... Madame Buttin avait retrouvé son furet égorgé dans son lit. Elle avait senti un liquide chaud couler le long de ses cuisses et avait cru être redevenue, à cinquante-cinq ans, fécondable. J’avais surpris une conversation entre elle et maman, et c’est le mot qu’elle avait prononcé. Je croyais qu’il était réservé aux animaux. En fait, j’ai longtemps ignoré sa signification, et cette carence n’avait jamais pesé bien lourd sur mon curriculum vitae d’enfant. Je me devais d’être vigilant et de mettre à l’abri tout ce que j’avais de plus cher au monde, avec mes parents et Super-Batman, mon vieux chien tout pelé. »

A PROPOS DE L’AUTEUR

Jean-Yves Duchemin, grossiste en librairie, chroniqueur et journaliste, est né le 15 avril 1956 à Marseille.

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SOMMAIRE

La révolte des joujoux

Les murs ont des oreilles

Effet papillon

Je me rappelle demain

Quarante

Mauvais signes

À mon grand-père, que je n’ai pas assez connu,et qui aurait lu dans mes yeux l’envie d’écrire.

La révolte des joujoux

Gamin, je m’amusais à enterrer mes jouets dans l’espoir de les retrouver plus tard, quand l’âge d’être adulte viendrait plomber ma joie de vivre. C’était ma façon de les préserver de l’insécurité ambiante. Surtout depuis que des chats du quartier s’immisçaient chez les gens dans le but de dévorer leurs cochons d’Inde, leurs hamsters… Madame Buttin avait retrouvé son furet égorgé dans son lit. Elle avait senti un liquide chaud couler le long de ses cuisses et avait cru être redevenue, à cinquante-cinq ans, fécondable. J’avais surpris une conversation entre elle et maman, et c’est le mot qu’elle avait prononcé. Je croyais qu’il était réservé aux animaux. En fait, j’ai longtemps ignoré sa signification, et cette carence n’avait jamais pesé bien lourd sur mon curriculum vitae d’enfant. Je me devais d’être vigilant et de mettre à l’abri tout ce que j’avais de plus cher au monde, avec mes parents et Super-Batman, mon vieux chien tout pelé. J’aurais voulu ligoter Patte-folle, mon nounours boiteux, à une branche, au sommet de l’antique figuier du jardin, mais avec les intempéries et l’incertitude que ce dernier fût déraciné ou tronçonné, je préférais zapper cette idée. J’oubliais toutefois un petit détail, à l’époque : j’ignorais si j’allais être encore là après un séjour d’une vingtaine d’années au cœur d’un arrondissement en perdition. Et tant de calendriers mis au feu, tant de saints immortels dont l’auréole fume encore. Et puis, il y avait les chiens errants, qui, si le jardin tombait en friche, viendraient creuser quelques trous afin de dénicher un os — il n’y avait pas de truffes dans le coin.

 

Mes parents étaient locataires, je ne risquais donc pas d’hériter du domicile familial. Aurais-je les moyens et l’envie de racheter cette villa à son propriétaire, si lui-même était encore de ce monde ? Et quand bien même aurais-je continué de vieillir ici, quelle date choisir ? Quel créneau temporel ? À quel âge devrais-je déterrer les joujoux ? Et dans quel état ? Car je n’avais pas prévu de les protéger au moyen d’un écrin isolant. Et les vers de terre risquaient de se charger de l’érosion profonde des lieux. Ils ont un bel appétit lorsqu’il s’agit de défendre leur terroir, leur patrimoine « agriculturel ». Je ne songeais même pas à un séisme, un tsunami. Pourtant l’esprit du mal hantait déjà mes pensées…

Pourquoi, si jeune, cette lubie de l’ensevelissement ? Avais-je des talents de pilleur de tombes ? De croquemort ? Collectionnais-je les fantasmes macabres ? Comme celui consistant à emprisonner dans une malle un coq vivant en attendant que le futur soit fidèle au rendez-vous. Chanterait-il à l’aube de son premier jour d’enfermement ? Je ne récolterais que de la cendre et des plumes, ma foi. Tout sauf un poulet rôti.

J’imaginais peut-être que c’était là le seul moyen de conserver les jouets en question. Avec le temps ils se seraient sans doute égarés au fil des déménagements. Je m’en serais peut-être lassé, les jetant à la poubelle un jour de caprice et de tempête sous un jeune crâne. Le vol étant une éventualité à exclure, car, pour des loubards, ils n’avaient aucune valeur, sinon sentimentale. Je n’allais tout de même pas emprisonner dans un même carton soldats de plomb et santons de la crèche. Je craignais un clash entre les violents et les pacifiques, entre Vercingétorix et l’enfant Jésus, entre Napoléon et le Ravi.

 

J’avais également enterré mes billes. J’en rêvais la nuit, les imaginant en train d’éclore comme des œufs de tortues. Mais que pouvait-il advenir de cette étrange portée ? Des lombrics oseraient-ils les gober sans en faire, au préalable, une omelette ? Ils se nourrissaient de terre, de feuilles mortes émiettées, rien dont la consistance pût ressembler de près ou de loin à un minuscule galet parfaitement rond. Je n’allais jamais au bout de mon cauchemar, me réveillant les larmes aux yeux après que les coquilles s’étaient fendillées, laissant apparaître des mèches allumées. L’explosion ne se faisait guère attendre. Et c’était un véritable feu d’artifice, la distribution gratuite de pétards allumés, de fusées sur le point de se mettre en orbite autour du quartier. Cela évoquait un dessin animé de Tex Avery, mais je n’avais pas vraiment envie de rigoler. Les mirages m’entraînaient au bord d’un gouffre et je battais des bras au-dessus du vide en imitant le cri d’une mouette. Je me réveillais tandis que maman s’apprêtait à me délivrer de mes visions nocturnes pour m’inviter à me rendre à l’école dans le bon tempo.

 

Et puis l’adolescence m’avait éloigné de ces fantasmes de gosse qui ne me concernaient plus. Les années n’oublieraient pas de passer, et je quitterais cette maison où j’étais né et où je n’avais pas prévu de mourir. Je ne me posais même pas la question de savoir si j’avais bien fait de me débarrasser de mes jouets. Mes parents ne s’occupaient pas du service après-vente de mes cadeaux, et les billes que je gagnais ne représentaient qu’une sorte de salaire, un gain au jeu. Je ne m’étais jamais demandé si j’avais bien agi en les ensevelissant avec mes soldats de plomb. Les santons étaient précieusement gardés au grenier, dans une boîte bleue piquetée d’étoiles dorées. Ils hibernaient, raison pour laquelle on les croyait morts et fossilisés hors de la crèche. Quand Noël arrivait, marchant sur la neige à grands pas précipités, si l’on avait une bonne oreille, on les entendait s’agiter dans la nuit. Ils faisaient des mouvements de gymnastique pour huiler leurs articulations rouillées, et la vierge Marie berçait l’enfant Jésus afin qu’il ne soit pas angoissé par tout ce chambardement.

Patte-folle, je l’avais jeté à la poubelle ; il avait un œil en moins, et je n’aimais pas les cyclopes. Peut-être qu’une belle sépulture l’aurait aidé à recouvrer l’usage de sa jambe, ainsi que la vue, et je l’aurais déterré dans un état proche de celui qui m’avait donné envie de le posséder tandis qu’il trônait dans la vitrine aux côtés de poupées pas sexys pour un sou. J’aurais pu l’enterrer dans une boîte à chaussures, avec des fleurs, et une croix pour couronner le tout ; il serait monté au ciel, au paradis des nounours.

Mais le jardin n’était pas une succursale du pays des Bisounours.

Mes parents avaient décidé de déménager alors que je venais d’avoir vingt ans. Ils vieillissaient à vue d’œil et ne semblaient guère gênés par ma présence, pas plus que je ne l’étais par la leur. Nous étions très unis et ne parlions jamais d’argent. Je faisais des études de médecine. À force de me shooter avec la série américaine Urgences, j’avais attrapé le virus de l’altruisme par la médication. J’avais toujours une interprétation très personnelle des choses de la vie.

On habitait désormais à Roquevaire, à une vingtaine de kilomètres de Marseille, au-delà d’Aubagne. Mes parents en avaient eu marre du bruit, de la pollution, de l’insécurité. On avait été cambriolé trois fois en moins d’un mois. Super-Batman y avait perdu la vie, d’un méchant coup de couteau. Il avait été un bon chien de garde… et un bon chien, tout court. Il avait été d’une incroyable longévité pour un bon gros toutou de son espèce. J’avais même cru qu’il était immortel, à la suite d’un reportage animalier suivi à la télé au cours duquel j’avais appris que plus un chien était grand moins il faisait de vieux os. Il aurait pu entrer dans le Livre Guinness des records, avec ses dix-neuf années de vie de gardien fidèle à sa niche. Il avait sans doute avalé une bille magique. Mais je n’avais jamais repéré la moindre empreinte de patte dans le carré de jardin réservé au cimetière de jouets. Et il n’y avait aucune fée, dans le coin, capable de transformer une banale agate en goutte puisée à la source de jouvence.

Je m’étais très vite habitué à ma nouvelle vie, et le bord de mer ne me manquait pas. Je détestais la pêche. Ici, ce n’était guère mieux de ce côté, puisqu’il arrivait que l’on entende, au loin, pétarader les fusils de chasse. Et comme ils ne sortaient jamais seuls… Les animaux m’étaient aussi nécessaires que l’air que je respirais. Je ne pensais même plus à mon enfance, que je me gardais bien de renier, toutefois. La nostalgie viendrait en temps utile, et il ne fallait pas l’invoquer trop tôt. Car elle n’attendait qu’un geste de ma part pour se radiner sur ses pattes de velours, telle une chatte mise en appétit par l’envol de quelques pigeons. Je n’avais pas honte d’avoir été un morveux, car j’avais eu tout le temps pour me moucher. Je ne faisais plus de mauvais rêves, qui avaient été remplacés par des trucs d’adulte dont on garde le secret dès la couette désertée. Maintenant j’aimais bien me coucher, le soir, car je savais que j’avais rendez-vous avec de belles étoiles qu’une main bienveillante avait décrochées du ciel pour les glisser dans mon lit.

Et puis dix années avaient encore mordu dans la chair vive de ma vie, emportant mes parents au passage. Des larmes avaient coulé, inondant l’hémorragie, comme deux ruisseaux destinés à grossir une rivière. Une cicatrice s’était formée, ineffaçable. Dix années au cours desquelles j’avais obtenu le droit d’exercer la médecine générale. Mon cabinet se trouvait à Marseille, du côté d’Endoume, dans le septième arrondissement. Pas très loin de l’endroit où nous habitions quand j’étais gamin. J’étais toujours à Roquevaire. Je faisais la navette tous les jours. Personne ne m’attendait à la maison le soir, ni ne m’aidait à me préparer le matin. Les femmes, je ne les appréciais que de loin, de façon mécanique. Quelque chose, au niveau de mon cœur, m’interdisait de laisser battre celui-ci pour autre chose que pour survivre au stress et à la malbouffe. Mes parents s’étaient décidés un peu tard à acheter « la cabane » — c’est ainsi que j’avais surnommé notre nouvelle demeure — au bord de l’Huveaune, avec son magnifique balcon fleuri et sa façade où la nature avait tricoté un lierre grimpant du plus bel effet. Une fois par mois, il fallait tailler à grands coups de sécateur, pour se désengluer en partie du maillage serré. L’opération achevée on passait les bras par la fenêtre, en se penchant au maximum, puis on tirait d’un coup sec. Il y avait deux fenêtres, comme un regard. Cette étrange mue se décrochait avant de dégringoler sur la terrasse. Le soir, on achevait le travail en organisant un autodafé. Les flammes crépitaient tels des cafards sur lesquels on marche à l’aveuglette, et l’odeur tutoyait de façon charmeuse les narines des amoureux du feu. Ce pull d’un autre monde était étouffant et le mur, à son contact, devenait lépreux.

 

Papa et maman avaient travaillé pendant quarante ans, ou presque, pour ne s’être enfin senti véritablement chez eux qu’une vingtaine de mois. Et j’en avais profité, sans la moindre honte, alors que mon enfance commençait à remonter à la surface, sans doute aspiré par le départ des responsables de ma présence sur cette pauvre planète déjà condamnée. Je me revoyais en culottes courtes comme au cinéma, et l’écran me paraissait vraiment très grand. Je m’y voyais en noir et blanc et les traits tirés, avec quelque chose d’angoissant dans le regard. Comme si j’avais commis un larcin dont le contrecoup était à craindre dans l’immédiat.

Je rêvais régulièrement de Patte-folle. J’avais toujours eu du mal à me souvenir comment il se déplaçait lorsque sa patte n’était pas encore folle. Mon grand-père me l’avait offert alors que je marchais à peine, moi-même, et je l’avais toujours connu handicapé. J’avais dû négliger son éducation très tôt, et il en avait profité pour jouer au foot avec des copains nounours, des mauvaises fréquentations contre lesquelles je l’avais pourtant si souvent mis en garde. Et il avait pris un mauvais coup au niveau du genou. Un soir il était rentré boiteux, mais je l’aimais tellement que je n’avais pas remarqué la différence.

 

À l’intérieur des terres il faisait plus chaud d’au moins cinq degrés que sur le littoral. Les nuits étaient vraiment pénibles, et il m’était arrivé de m’endormir alors que le soleil se levait à peine, salué par un coq, dans le lointain, ou par des coups de fusil, au-delà des collines de Pagnol. Je rattrapais mon retard à l’occasion de siestes régénératrices. Les tourterelles squattaient les toits, avec leur drôle de roucoulement, que l’on eût dit émanant du bec d’une chouette ou d’un hibou.

 

La femme qui allait bouleverser mon avenir, sinon ma vie, je l’ai rencontrée dans la salle d’attente de mon cabinet. Elle était grande, rousse, et ses yeux verts semblaient deux balles traçantes. Ses cheveux mettaient le feu à mon regard. Et ses taches de rousseur ainsi que sa peau laiteuse attestaient d’une allergie criante au père de Phaéton. Ses soucis de santé l’avaient en l’occurrence amenée ici par le plus grand des hasards, son propre médecin traitant ayant pris des vacances pour cause de deuil. Elle prétendait ne pas avoir éprouvé le besoin d’engorger un peu plus les urgences. Le mot « urgences » m’avait fait tilter. Elle disait avoir été mordue par un rat. Son doigt, l’index de la main gauche, était enflé et l’ongle menaçait de sauter. Un ongle qui avait dû être, avant l’attaque, joliment verni.

Ce matin-là j’étais de fort méchante humeur, et, par sa seule présence, elle avait remis les pendules à l’heure. J’avais encore fait ce cauchemar imbécile au cours duquel j’étais terrorisé par un grizzly surgi de la vieille armoire normande trônant dans ma chambre. Les deux battants s’entrebâillant au ralenti, deux yeux rouges paraissaient me fixer, tandis que je commençais à soulever les draps lentement afin de prendre la fuite par la porte qui se trouvait sur ma droite, à cinq bons mètres. L’animal aurait pu me couper la route s’il avait eu vent de ma manœuvre. Mais je le sentais tétanisé par l’ouverture des portes, et il avait sans doute aussi peur que moi. La scène se figeait et je devais me lever pour aller vérifier si mon inconscient ne m’avait pas menti en me soufflant que j’étais menacé par un ours au pays des cigales. Et puis les yeux étaient perchés à une hauteur telle que le doute n’était pas permis. Lorsque j’arrivais devant l’antique armoire la bête monstrueuse s’effondrait sur la moquette. J’eus le réflexe inattendu de la recevoir dans les bras, afin de lui épargner une chute, pourquoi pas, mortelle ; elle était étrangement légère, inerte. J’aurais pu en faire une descente de lit, une carpette ; je l’aurais piétinée avec plaisir, pour me venger d’avoir eu si peur pour des prunes. C’était Patte-folle, mais un Patte-folle grandeur nature. Est-ce que cela expliquait mon geste protecteur ? Je n’avais point eu l’occasion de vérifier s’il boitait dans mon rêve. Ce qui était certain, en revanche, c’est qu’il y était empaillé. Ses yeux avaient été confectionnés avec deux billes, de celles que j’avais jadis enterrées dans le jardin de la villa du bord de mer.

 

Depuis peu j’accumulais les songes ridicules. L’autre jour, au grenier, des piétinements m’avaient éjecté d’un sommeil gluant. Les draps habillaient mon corps suant d’un suaire de gisant. J’avais tout de suite pensé à des souris. Mais lorsque j’étais monté, avec derrière la tête l’idée d’adopter un chat, j’avais remarqué que quelque chose n’était pas normal dans l’escalier. De la neige artificielle, de celle que l’on saupoudre sur les crèches, maculait les dernières marches. La boîte à chaussures où étaient remisés les santons était ouverte. Et l’enfant Jésus avait visiblement disparu. Pressé de partir travailler je n’avais pas approfondi l’incident.

Plus tard, je rêvais que Patte-folle berçait l’enfant Jésus après j’avais râlé parce qu’il pleurait trop fort et m’avait réveillé. Il faisait déjà bien assez chaud, sans avoir besoin d’être expulsé des bras de Morphée par un petit braillard d’opérette !

Mes songes noirs (noirs mais ridicules) n’étaient jamais violents mais ils pouvaient le devenir un soir. Et mon métier m’interdisait de mal dormir. Car il fallait avoir toute sa tête pour lutter contre les méchants virus et recoudre les vilaines plaies.

La jolie rousse est revenue dans ma vie par la même porte. Son index allait mieux. Mais cette fois elle avait été mordue au gros orteil…

De fil en aiguille, la confiance s’instaurant au rythme d’un train sur le point d’entrer en gare, Maeva m’avait invité chez elle. Mais la première fois, ce fut PARCE QU’ELLE AVAIT QUELQUE CHOSE À ME MONTRER !

Chez elle.

J’avais évidemment fait le rapprochement dès le début, à l’occasion de sa première visite au cabinet. Un sacré rapprochement. Sans même avoir lu l’adresse exacte. Le nom de la rue m’avait illico aiguillé sur la piste du passé. J’avais surtout été surpris par mon manque de réaction. Comme si je m’attendais à une pareille coïncidence. Comme si c’était écrit dans mon karma. Comme si j’avais été alerté par un message télépathique émanant de l’au-delà, et qui m’interdisait de la moindre marque d’étonnement sous peine d’annulation d’un avenir meilleur. Cette histoire prenait des allures de film de Lelouch. Et j’en écrivais le synopsis sans qu’un désir de gloire me projetât sur l’écran du fantasme. Fallait-il passer par l’épreuve du retour sur les lieux du crime pour me plonger à nouveau au creux de nuits sereines ?

J’étais dans un état second lorsqu’apparut sur mon écran d’ordinateur l’adresse complète de Maeva : celle de mes parents, à deux pas de la mer, avec le figuier monté sur racines périscopiques. Je me maîtrisais avec difficulté, serrant les dents. La jeune femme y vivait depuis trois ans. Elle avait succédé à un couple de jeunes mariés qui avaient déserté la place à cause de bruits suspects provenant du jardin, et qui les empêchaient de dormir. L’homme, un jeune écrivain en mal d’inspiration, avait déclaré :