Fin de vie - Attilio Stajano - E-Book

Fin de vie E-Book

Attilio Stajano

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Beschreibung

Cet ouvrage se veut une contribution au débat sur la législation italienne relative à la Fin de vie, compte tenu de la demande de légiférer qui a été faite à deux reprises par la Cour constitutionnelle italienne. Cette question concerne évidemment la médecine, la souffrance et la spiritualité des malades et de leurs familles, mais aussi l’ensemble de la société civile, en Italie et à l’étranger.
Cette réflexion est particulièrement urgente en Italie, pays aujourd’hui de plus en plus laïque et multiculturel, mais elle est également nécessaire en France, où la légalisation de l’euthanasie fait l’objet d’un débat animé et où la question fait partie des enjeux de la campagne présidentielle de 2022. Et au Portugal également, où le président de la République a suspendu la promulgation du décret règlementant les circonstances et les conditions dans lesquelles la mort médicalement assistée n’est pas punissable.
Ce livre est aussi le témoignage d’un bénévole dans l’unité de soins palliatifs d’un hôpital bruxellois qui, après treize ans d’activité, souhaite partager avec le lecteur un douloureux constat : la loi belge de 2002 dépénalisant l’euthanasie a créé les conditions d’une déshumanisation de l’accompagnement de la Fin de vie et une transformation du corps médical et de l’ensemble de la société civile en Belgique. Aujourd’hui, l’euthanasie est communément acceptée en Belgique, par une application arbitrairement extensive de la loi, comme étant l’un des choix thérapeutiques pour la Fin de vie : une maladie incurable avec un mauvais pronostic à court terme et des douleurs intolérables n’ est plus une condition préalable nécessaire.
Une dangereuse pente glissante conduit à des extensions arbitraires des critères d’applicabilité de la loi par rapport aux intentions annoncées par le législateur. De nombreuses transgressions ne sont pas sanctionnées. Comme la Suisse pour le suicide, la Belgique alimente le tourisme de la mort pour les citoyens européens qui vivent dans des pays où l’euthanasie est punie par le Code pénal. 


À PROPOS DE L'AUTEUR


Attilio Stajano est italien. Il a été gestionnaire de programmes de recherches à la Commission européenne et professeur d’université à Atlanta (Georgia Tech) et à Bologne. Il travaille auprès de personnes atteintes de maladies graves.
Titulaire d’un diplôme en physique, il a travaillé en tant que chercheur industriel en technologies de l’information, puis comme fonctionnaire à la Commission européenne en recherche industrielle et professeur chargé de cours à la faculté d’ingénierie de l’Université de Bologne ainsi qu’au Georgia Tech d’Atlanta aux États-Unis, où il a enseigné la politique de recherche dans l’Union européenne. Il est l’auteur, entre autres, d’un livre publié en cinq langues et huit éditions sur son expérience d’accompagnement des malades en Fin de vie, Prends mes mains dans les tiennes (Mols, 2020).

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FIN DE VIE

Attilio Stajano

FIN DE VIE

Le choix de chacun

Réflexions et propositions pour une loi sur les soins de fin de vie dans le respect de la demande d’autodétermination et la mise en œuvre des bonnes pratiques de soins palliatifs

Préfaces de Luciano Orsi

Médecin en soins palliatifs Directeur scientifique de la Rivista Italiana di Cure Palliative

et de Mario Riccio

Anesthésiste et réanimateur Membre du Conseil général de l’Association Luca Coscioni

éditions mols

collection autres regards

L’auteur tient à remercier son épouse Kathleen et ses amis Andrea, Ruth et Tillo qui l’ont aidé à réfléchir aux thèmes de ce livre, lui ont suggéré des ajouts et lui ont fait part de leurs commentaires. Il désire également remercier le docteur Pascale Favre qui lui a donné accès en septembre 2021 à sa thèse de recherche Euthanasie : de l’autre côté du miroir, avant sa publication.

Titre original : FINE VITA

Un problema di tutti

Riflessioni e proposte per una legge italiana condivisa sul suicidioassistito e l’eutanasia

Première édition en italien:

© 2021 Lindau s.r.l.

corso Re Umberto 37 – 10128 Torino

Torino avril 2021 ISBN 978-2-87402-287-6

© Éditions Mols, 2022, pour la traduction française

Collection Autres Regards

www.editions-mols.eu

Préambule à la traduction française ≠1

J’ai commencé à écrire ce livre en italien en 2018, suite au premier arrêt de la Cour constitutionnelle italienne sur la question de l’assistance médicale au suicide, pour proposer au Parlement italien un parcours pour la formulation d’une nouvelle loi sur les soins de fin de vie qui tienne compte de la demande de la Cour de légiférer sur l’assistance au suicide. Mon livre est sorti en Italie au printemps 2021 (le manuscrit a été déposé à la fin du mois de janvier 2021), après que la Cour s’est prononcée une seconde fois en 2019, déclarant l’inconstitutionnalité – sous certaines conditions très précises – d’une partie de l’article 580 du Code pénal qui sanctionne l’aide au suicide, dans la mesure où il n’exclut pas la punition de qui facilite l’exécution de la volonté de suicide d’une personne qui survit par un traitement de maintien en vie et est atteinte d’une pathologie irréversible, source de souffrances physiques ou psychologiques qu’elle juge intolérables. La personne en question doit être pleinement capable de prendre des décisions libres et éclairées, et sa décision de se suicider doit avoir été formulée de manière indépendante et libre, en présence de conditions spécifiques et certaines, exposées en détail dans l’arrêt. Au printemps 2021 l’Association Luca Coscioni2 envisageait la possibilité d’une collecte de signatures pour convoquer un référendum d’abrogation d’une partie de l’article 579 du Code pénal concernant l’homicide du consentant, en vue de légaliser l’euthanasie et l’aide médicale au suicide.

Au cours de l’été 2021, plus du double du demi-million de signatures requises a été recueilli. Si la Cour de cassation prend une décision favorable, on peut s’attendre à un référendum au printemps 2022. Le Parlement devrait être incité à légiférer rapidement sur le sujet, pour éviter qu’une question aussi délicate ne soit résolue par la hache abrogative du référendum au lieu du bistouri du législateur et de l’expertise des praticiens des soins palliatifs, qui peuvent compter sur quarante ans de bonnes pratiques.

En France, en 2021, la légalisation de l’euthanasie fait l’objet d’un débat animé et cette question fait partie des enjeux de la campagne présidentielle de 2022. Le sujet y est donc également brûlant, et malgré la présence de lois exemplaires sur la médecine de fin de vie, une forte pression pour légaliser l’euthanasie en révisant la législation existante et en s’ouvrant à l’euthanasie et à l’aide médicale au suicide y est exercée dans la société civile et au Parlement.

Cet ouvrage contribue donc également au débat français. C’est pourquoi j’ai décidé de publier aussi ce livre en français, avec quelques mises à jour et changements mineurs par rapport à l’édition italienne d’avril 2021. Je propose un parcours similaire à celui qui, en 2003, a abouti en France à la loi Leonetti promulguée en 2005 : une mission exploratoire du Parlement pour étudier l’état actuel des conditions de fin de vie et évaluer la situation de l’accompagnement des patients en fin de vie sur le territoire. Le rapport Sicard3 de 2012 est toujours d’actualité. L’expérience de la mission de l’Assemblée nationale en 2003-2004 a prouvé qu’il est possible de mener une enquête consensuelle capable d’accomplir une tâche qui aurait pu sembler impossible : concilier des points de vue opposés pour arriver à une position partagée, dépasser et laisser de côté les préjugés, les convictions, les croyances et les expériences personnelles, faire coexister la valeur de la vie humaine et l’autonomie de la personne ; ne pas chercher à convaincre les autres de ses propres idées, mais construire ensemble des solutions en intégrant la mort dans un parcours de vie, parler de la mort pour s’approprier le droit de refuser l’obstination déraisonnable à prolonger une vie dans un état végétatif, et enfin respecter les avis faisant autorité de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Association européenne des soins palliatifs (EAPC). Après près de vingt ans, il faut aussi tenir compte des résultats des recherches sociologiques et anthropologiques et de l’évaluation dans la littérature internationale de la dérive constatée dans les pays du Benelux suite à la législation qui a ouvert la porte à l’euthanasie, comme d’ailleurs le rapport Sicard l’avait prévu et anticipé [Sicard 2012].

Cet ouvrage est aussi adressé aux lecteurs belges. L’opposition à l’euthanasie et à sa normalisation n’est soutenue en Belgique que par une petite minorité qui, avec un témoignage faisant autorité, nous enseigne que certains secteurs de la société belge sont en profond désaccord avec la direction prise par le pays sur le thème de l’euthanasie.

Ce livre a l’ambition d’offrir les éléments permettant de lancer un débat sur cette question.

Proposer une solution de dépénalisation en Italie ou ailleurs doit nécessairement passer par une évaluation de la dérive inéluctable et imparable une fois que la moindre brèche est ouverte à l’euthanasie. Telle est la situation qui s’est créée en Belgique. Le véritable défi, à mon avis, est de garantir le droit aux soins palliatifs pour tous les citoyens ainsi que la formation et le financement de leur accessibilité sur l’ensemble du territoire. Avant de penser à rédiger une nouvelle loi, il faudrait d’abord voir si la législation actuelle (en Italie comme dans d’autres pays) est comprise et appliquée et si les praticiens de la santé sont suffisamment formés et les structures adéquates pour la mettre en œuvre partout dans le pays.

Attilio Stajano

Novembre 2021

Préface par Luciano Orsi*

Un texte portant sur un sujet aussi délicat et émotionnel que l’aide médicale à mourir (AMM, terme qui recouvre à la fois le suicide médicalement assisté et l’euthanasie1) ne peut être que discutable et contestable. En fait, le livre va précisément dans ce sens, ayant été écrit pour offrir des éléments de réflexion pour une discussion publique (avec d’autres) et privée (avec soimême) basée sur des données, des expériences et des opinions.

L’orientation de l’auteur apparaît de façon évidente en plusieurs endroits du texte : il est contre l’AMM et sa dépénalisation telle qu’elle a été mise en œuvre au Benelux ; une orientation qui a mûri sur la base de ses propres convictions et de ses nombreuses années d’expérience en tant que volontaire dans le domaine des soins palliatifs.

Mais l’honnêteté intellectuelle et la passion civique poussent l’auteur à aller au-delà de cette orientation. Et c’est là que réside la valeur de ce livre : dans l’effort pour offrir au public et au législateur une voie vers une solution, un moyen d’en trouver une qui satisfasse la demande légitime d’autodétermination des citoyens qui, dans des situations bien circonscrites, demandent une aide médicale pour leur vie. Cette voie doit permettre l’exercice, la valorisation et le renforcement des soins palliatifs, qui en Italie peuvent compter sur quarante ans de bonnes pratiques.

Partant du constat de la « nécessité de légiférer en réponse aux déclarations de la Cour constitutionnelle », selon Stajano, l’objectif devrait être de « permettre l’harmonisation de la coexistence de solutions inspirées par des orientations philosophiques et éthiques différentes ».

L’auteur propose un objectif très élevé, inspiré par la conception d’« une société ouverte et libre où il est possible de réfléchir collectivement à des questions éthiques, en dépassant les préjugés et les factions jusqu’à trouver un consensus sur une question délicate et difficile comme les soins de fin de vie, tout en respectant les opinions et les croyances opposées ».

Ainsi formulé, cet objectif paraîtra trop utopique à de nombreux lecteurs, mais celui proposé par Stajano est une voie de réflexion et de discussion à prendre au sérieux, surtout en Italie, où les polarisations éthiques et juridiques sont toujours trop prononcées ; elles sont déséquilibrées du côté idéologique par rapport à l’analyse des données empiriques sur le processus réel du mourir et à la tendance sociologique sur le sujet.

Un autre mérite du livre est qu’il établit une distinction claire et décisive entre les soins palliatifs (y compris la sédation palliative) et les procédures d’AMM, une distinction qui souvent n’est pas faite dans le débat public et médiatique en raison d’un manque de connaissances sur le sujet ou de basses polémiques idéologiques.

Enfin, il convient de mentionner la riche bibliographie qui permet au lecteur le plus consciencieux d’accéder aux sources et d’entrer dans la complexité du sujet, qui est toutefois présenté dans le livre de manière linéaire et dans un langage facilement compréhensible par tous.

Préface par Mario Riccio*

Tout d’abord, je tiens à remercier Attilio Stajano pour l’honneur qu’il m’a fait de pouvoir apporter ma modeste contribution à son dernier essai.

Je voudrais dire d’emblée que je suis favorable à une législation réglementant l’aide médicale à mourir (AMM) et que je considère le modèle néerlandais comme l’exemple le plus valable. Je n’ai cependant pas une connaissance particulièrement approfondie de la législation belge, à laquelle l’auteur adresse certaines de ses critiques.

Mais après avoir lu son livre, tous ceux qui s’occupent de la question de la fin de vie à différents niveaux devraient également remercier Attilio Stajano. Tout d’abord parce qu’il nous emmène – je dirais même qu’il nous immerge – dans le monde réel et concret des soins aux malades en phase terminale. Souvent, beaucoup de ceux qui discutent du sujet ne les fréquentent pas vraiment, mais ils en parlent. Dans ce cas-ci, les réflexions de l’auteur découlent immédiatement et directement de ses expériences quotidiennes, dans lesquelles il est personnellement impliqué en tant que volontaire au service des soins palliatifs d’un hôpital de Bruxelles. Parler d’une personne dont on s’occupait la veille et qui n’est plus aujourd’hui n’est pas la même chose que de penser à un cas abstrait.

La dignité de la personne au seuil final de sa vie est-elle un concept objectif ou subjectif ? Le choix de l’AMM – euthanasie ou assistance au suicide – exclut-il automatiquement les proches du demandeur ? Ne pas vivre pleinement la dernière étape de son existence signifie-t-il que l’on n’accepte pas toute sa vie passée ? Ce sont les premières questions que l’auteur pose et se pose. Et bien que sa position transparaisse clairement, il ne veut pas nous imposer sa propre conviction, mais laisse au lecteur la tâche – difficile – d’assumer la sienne.

L’auteur soulève ensuite le doute qu’il nourrit quant au fait qu’une dérive vers l’AMM puisse conduire à une réduction de l’attention portée aux soins palliatifs. Je ne pense pas qu’il y ait danger à cet égard, étant donné la demande prépondérante de l’option palliative. La question est de savoir comment concilier les deux options – palliative et AMM, qui présentent certainement des caractéristiques incompatibles – dans une société, notamment occidentale, technologiquement avancée et de plus en plus sécularisée et multiculturelle. L’auteur en est bien conscient et aborde également cet aspect.

Peut-on émettre l’hypothèse d’une dérive opportuniste à des fins économiques vers l’AMM plutôt que vers un parcours de soins palliatifs, pour les personnes les plus fragiles ? En vérité, il serait également possible d’imaginer des motivations identiques en faveur de la direction opposée, étant donné la charge des niveaux d’emploi et des intérêts économiques – et pas seulement de la santé – que les soins aux personnes âgées, seules ou malades, génèrent désormais.

L’auteur n’élude pas non plus le thème central de la fin de vie : la disponibilité de la vie est-elle absolue ou existe-t-il un quota plus ou moins imperceptible d’indisponibilité qui nous oblige à limiter notre autodétermination ? Et il élargit sa réflexion en incluant les non-croyants dans ses considérations. Pour l’auteur, les non-croyants doivent eux aussi reconnaître à juste titre que leur vie a été vécue et partagée avec d’autres et qu’ils ne peuvent donc pas penser à exclure toute confrontation à la fin de leur vie ou à demander – voire à exiger – une coopération pour pouvoir mourir quand ils le souhaitent. La question se pose donc – même si l’auteur est ouvert à l’AMM – de savoir quelles doivent être les limites de l’implication de ces autres personnes.

Enfin, il y a la question délicate du risque d’abuser délibérément et de dépasser les limites d’une loi réglementant l’AMM. Je crois cependant qu’il est difficile pour un médecin – du moins en Italie, où la crainte des litiges médicolégaux est déjà fortement ancrée – de violer les règles sur une question aussi délicate, ce qui pourrait également l’amener à répondre d’un délit qui, dans notre pays, prévoit actuellement jusqu’à quinze ans de prison, sans compter les compensations financières et la radiation de l’Ordre.

Notre pays est-il prêt pour une loi réglementant l’AMM ? L’auteur pense que le moment est venu, mais il estime qu’une sorte de réconciliation entre les points de vue opposés est d’abord nécessaire. Je ne pense pas que ce soit possible, du moins pas dans un avenir immédiat. Selon moi, que lorsqu’elles font irruption dans le débat social et qu’elles sont prêtes à être approuvées par le législateur, les grandes questions éthiquement sensibles restent longtemps conflictuelles et source de profondes divisions. Les batailles politiques historiquement violentes sur l’avortement et le divorce dans notre pays – qui ne se sont terminées que par des référendums – en témoignent. Et aujourd’hui encore, le pays est divisé – bien que de manière très inégale – entre ceux qui considèrent l’avortement comme un droit personnel et ceux qui le considèrent comme le meurtre d’une personne innocente.

Tout dépendra donc de la majorité politique qui soutiendra le gouvernement en exercice quand (et si) il y aura un débat parlementaire sur une loi réglementant l’AMM, un débat qui semble pour l’instant bien lointain. Par exemple, la loi sur les directives anticipées en Italie – le dernier pays d’Europe à les adopter – a été approuvée fin 2017, mais seulement après un débat parlementaire épuisant qui a duré toute la législature – et qui a commencé dans le pays au moins dix ans plus tôt avec l’affaire Welby – et juste à la fin de celle-ci. Et seulement grâce à une accélération inattendue, peut-être plus le résultat d’un simple calcul politique en vue des imminentes élections que d’une réelle et profonde conviction de la majorité gouvernementale de l’époque.

L’auteur propose également une vaste bibliographie qui comprend les documents les plus récents et des références réglementaires internationales, utile sinon indispensable à ceux qui souhaitent approfondir le sujet.

En conclusion, il s’agit d’un texte important qui propose certainement des solutions, mais qui donne surtout matière à une réflexion sérieuse sur le sujet.

Introduction

Un fait me donne à réfléchir : au cours du premier mois de la pandémie de Covid-19, en hiver 2020, plus de deux mille personnes sont mortes en Belgique suite à la contagion. L’ensemble de la société civile s’est mobilisée et transformée pour faire face à ce massacre. L’année précédente, deux mille six cent cinquante-cinq personnes étaient décédées en Belgique, dans l’indifférence générale, des suites d’une euthanasie déclarée et légale, sans compter les personnes décédées des suites d’une euthanasie non déclarée ou clandestine. Dans ce dernier cas, la mort de milliers de personnes semble n’avoir eu aucun effet sur les citoyens belges ; pourtant, les répercussions de la dépénalisation de l’euthanasie sur la société civile belge sont graves et évidentes : elles bouleversent les soins palliatifs, modifient la profession du médecin et sa relation de confiance avec les patients, subvertissant des valeurs profondément ancrées dans une partie de la population.

Ce livre aborde les questions suivantes :

-Dans une société moderne, laïque, désacralisée et multiculturelle, la coexistence des soins palliatifs et du droit de demander l’euthanasie ou l’assistance médicale au suicide est-elle possible ?

-Est-il possible de trouver des solutions qui respectent, d’une part, la demande légitime d’autodétermination et de liberté de choix des uns et, d’autre part, les opinions philosophiques ou religieuses des autres sur le caractère sacré de la vie ?

-Est-il possible d’enfreindre le précepte « Tu ne tueras point » ?

-L’engagement d’un médecin à soigner et à accompagner ses patients est-il compatible avec un acte qui, dans certaines conditions, provoque leur mort ?

-Est-il possible de proposer une loi qui respecte la légitime demande d’autodétermination de la fin de vie et en même temps permet la poursuite de la mise en œuvre, dans les meilleures conditions, des bonnes pratiques de soins palliatifs ?

La réponse la plus simple et la plus rapide est sans doute « non » à chacune de ces questions. Cependant, dans le respect du pluralisme et dans la connaissance de l’existence d’opinions opposées faisant autorité [Veronesi 2011 ; Flores d’Arcais 2019], cela ne me semble pas satisfaisant et je choisis d’aller au cœur du sujet, en évaluant les positions alternatives faisant autorité, les expériences dans d’autres pays, les rappels répétés de la Cour constitutionnelle italienne et les opinions de la société civile, pour arriver à la fin à un « oui » conditionnel. Après un parcours long et douloureux, après des années d’expérience dans les hôpitaux en tant que bénévole, après une étude attentive de la législation de différents pays et des arrêts de la Cour constitutionnelle italienne, je suis arrivé à la conclusion qu’en Italie, une dépénalisation de l’acte d’un médecin qui, à la demande de son patient, en entraîne la mort doit être ouvertement discutée conformément aux indications de la Cour. Les mesures législatives proposées en conséquence devraient offrir des garanties permettant de poursuivre sereinement la pratique des soins palliatifs, sans les perturber, et éviter la dérive que l’on constate en Belgique vingt ans après la dépénalisation. À la lumière des preuves dégagées sur le terrain et documentées dans des textes scientifiques faisant autorité [Jones 2018 ; Devos 2019], cette dépénalisation est en manque de cohérence dans la méthode de sa conception et en manque d’efficacité dans la substance des dispositions de vérification et de contrôle adoptées. Personnellement, je suis d’accord avec les arguments avancés dans le pamphlet susmentionné de Paolo Flores d’Arcais, lorsqu’il écrit : « [P]our être logiquement et moralement honnête, la question de la fin de vie ne devrait pas être un problème car personne ne peut imposer sa propre volonté à la fin de vie d’un autre. » Cependant, je pense qu’il se trompe lorsqu’il affirme que « toutes les législations qui établissent le droit à l’euthanasie le font en imposant des contraintes et des contrôles stricts ». Dans la suite du livre, je montrerai que, en ce qui concerne la loi de dépénalisation de l’euthanasie en Belgique, la situation est contraire à ce que Flores d’Arcais prétend.

Dans ce pays, le problème n’est pas tant l’introduction de la dépénalisation de l’euthanasie sous certaines conditions que l’insuffisance des garanties et des contrôles, avec la manifestation conséquente d’une « pente glissante », une dérive irrépressible qui a conduit à des conditions d’application de la loi très éloignées de celles annoncées par le législateur et qui perturbe l’exercice des soins palliatifs, déjà pratiqués de manière efficace dans les vingt dernières années du XXe siècle.

J’ai l’intention de proposer au législateur italien un moyen de trouver une solution qui satisfasse la demande légitime d’autodétermination des citoyens qui, dans des situations exceptionnelles bien circonscrites, demandent une aide médicale pour mettre fin à leur vie. Cette voie doit permettre l’exercice, la valorisation et le renforcement des soins palliatifs, qui en Italie ont vu se développer de bonnes pratiques depuis quarante ans. L’opportunité, voire la nécessité de légiférer en réponse aux déclarations de la Cour constitutionnelle n’est pas remise en question. Il s’agit plutôt de permettre l’harmonisation de la coexistence de solutions inspirées par des orientations philosophiques et éthiques différentes, voire opposées. La nécessité d’une telle approche a été bien exprimée par les présidents de la Société italienne de soins palliatifs et de la Fédération des soins palliatifs, qui demandent, comme expliqué ci-dessous, que soient fournies aux citoyens des solutions cohérentes avec leur projet de vie, leurs préférences, leurs souhaits, leurs volontés et leurs conceptions de l’identité [SICP-FCP 2019].

Cet ouvrage se veut donc une contribution au débat sur la législation relative à la fin de vie, compte tenu de la demande à deux reprises, par la Cour constitutionnelle italienne, de légiférer. Cette réflexion est particulièrement urgente en Italie, mais elle est également nécessaire en France, où des débats parlementaires sont en cours autour d’un projet de loi sur la dépénalisation de l’euthanasie [Assemblée nationale 2021], et au Portugal. Ici, au Portugal, le président de la République a suspendu la promulgation du décret réglementant les circonstances et les conditions dans lesquelles la mort médicalement assistée n’est pas punissable en demandant l’avis de la Cour constitutionnelle sur la violation des principes de légalité en matière pénale consacrés par la Constitution, concernant la liberté de restreindre le droit à la vie interprété selon le principe de la dignité de la personne humaine [Del Vecchio 2020 ; Repubblica 2021 ; Coscioni 2021] ≠.

Ce livre est aussi mon témoignage de volontaire (très âgé) dans une unité de soins palliatifs d’un hôpital bruxellois qui, après treize ans d’activité, souhaite partager avec le lecteur un douloureux constat : la loi belge de 2002 [Loi EUT 2002] dépénalisant l’euthanasie a créé les conditions d’une déshumanisation de l’accompagnement de la fin de vie et une transformation du corps médical et de l’ensemble de la société civile en Belgique. Aujourd’hui, l’euthanasie est communément acceptée comme étant l’un des choix thérapeutiques en fin de vie : une application arbitrairement extensive de la loi fait que une maladie incurable avec un mauvais pronostic à court terme et des douleurs intolérables n’est plus une condition préalable nécessaire. Une dangereuse pente glissante conduit à des extensions arbitraires des critères d’applicabilité de la loi par rapport aux intentions annoncées par le législateur. De nombreuses transgressions ne sont pas sanctionnées.

Des chercheurs de différents pays estiment qu’en Belgique, le précepte millénaire « Tu ne tueras point » a été trop facilement violé. Des recherches internationales indépendantes montrent que les restrictions à l’applicabilité de la loi tombent les unes après les autres et que les groupes les plus vulnérables, tels que les nourrissons, les enfants, les déments, les autres patients psychiatriques, les handicapés, les prisonniers et les personnes âgées, risquent de subir la solution finale.

L’euthanasie, écrit Maurice Abriven [Abriven 2000], est comme le monstre du Loch Ness : il apparaît de temps en temps et pendant un certain temps, on ne parle plus que de lui. Chaque cas d’euthanasie ou de suicide assisté rendu public dans un pays où ces actes sont un crime, amplifié par les médias, donne à l’homme politique du jour l’occasion de prétendre que, ayant dépassé l’esprit rétrograde de la culture judéo-chrétienne, la société civile peut enfin débattre des mérites de la dépénalisation de l’euthanasie et de la promotion de sa pratique. Mais qui en parle ? Ce sont souvent des jeunes en bonne santé qui sont prêts à rédiger une déclaration anticipée en vue d’une euthanasie, pour ensuite, dans leur extrême vieillesse, lorsque la mort est en vue, changer d’avis et accepter des thérapies douloureuses qui n’offrent qu’une chance minime et incertaine de survie. La demande d’euthanasie, formulée lorsque le sujet est encore en bonne santé, devient souvent une demande de guérison à l’approche de la mort ou une demande d’aide lorsque la souffrance et l’angoisse étreignent le patient.

La récente référence, dans deux arrêts de la Cour constitutionnelle italienne [CC-IT 207/2018 ; CC-IT 242/2019], à la question du suicide assisté (étroitement liée à la question de l’euthanasie) ravive un débat animé, déjà vivant avant que le Parlement italien ne se penche sur la demande de la Cour de légiférer en la matière. Toutefois, la question de l’euthanasie et du suicide assisté ne doit pas être examinée au cas par cas ; la législation doit aborder ces questions sensibles en termes généraux, car une loi ne pourra jamais couvrir tous les cas complexes auxquels la pratique quotidienne des médecins et la société dans son ensemble sont confrontées.

La fin de vie ne concerne pas seulement la médecine, l’organisation des services de santé, la souffrance et la spiritualité des malades et de leurs familles. Dans chaque pays, elle concerne l’ensemble de la société civile, qui est confrontée au défi de concilier les valeurs fondatrices de la communauté avec les droits des patients, la protection du personnel de santé et la réponse aux demandes légitimes d’autodétermination des femmes et des hommes dans une société désacralisée en mutation. Ce défi crée de grandes tensions chaque fois que des questions éthiques liées à la fin de vie sont débattues au Parlement et est exacerbé aujourd’hui, dans la société postmoderne, par le processus d’individualisation et la crise de la représentation des citoyens par les institutions intermédiaires entre la population et le Parlement. Autrefois, les partis politiques, les syndicats, les églises et les associations constituaient un forum de réflexion, de rencontres, de médiation et de formulation d’opinions raisonnées ; aujourd’hui, ils sont remplacés par l’échange dans les médias de déclarations brèves et péremptoires, à la fois vagues et apodictiques.

Une relecture de la loi belge dépénalisant l’euthanasie à la lumière des effets de son application fait apparaître un grand nombre de faiblesses, de contradictions et d’incohérences, qui sont présentées en détail dans l’un des chapitres suivants. Cette loi conduit à une dérive imparable dans laquelle l’ensemble de la société se transforme avec une révolution anthropologique qui la dégénère, reniant, pas à pas, les principes sur lesquels elle a été fondée.

Je souhaite partager mon expérience selon laquelle il est possible d’accompagner le patient mourant dans le respect de sa dignité, dans un contexte de soins palliatifs qui soulagent la douleur, assurent la meilleure qualité de vie et permettent la communication et l’expression de l’affection, de l’amitié et de la solidarité, jusqu’à la fin paisible de la vie. Je dénonce donc l’incompatibilité intrinsèque entre les soins palliatifs et l’euthanasie telle qu’elle est pratiquée en Belgique, et j’appelle à une pause urgente de réflexion et à une modification de la loi dans ce pays. Ailleurs, après des débats profonds et animés, des solutions ont été adoptées, dans lesquelles c’est l’équipe médicale dans son ensemble, avec le soutien de directives et de comités d’éthique, qui prend collectivement de bonnes décisions pour chaque cas, sans provoquer volontairement la mort du patient.

Je suis surpris que dans la société civile belge, il n’y ait pas de mouvements actifs de médecins et de citoyens résistants qui refusent cette dérive. Même l’Église chrétienne locale n’élève pas la voix pour dénoncer l’émergence d’une nouvelle barbarie, qui renie les racines culturelles et les fondements sur lesquels la société a été construite. L’opposition à l’euthanasie et à sa normalisation n’est soutenue que par une petite minorité [Dijon 2016]. S’il est peu probable que cette petite frange parvienne à faire modifier la loi de 2002, sa voix pourrait servir, au moins, de témoignage faisant autorité que certains secteurs de la société belge sont en profond désaccord avec la direction prise par le pays.