Gargantua - François Rabelais - E-Book

Gargantua E-Book

François Rabelais

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"Gargantua" est un livre écrit par François Rabelais au XVIe siècle et publié en 1534. Il s'agit du premier volet de la célèbre série "Gargantua et Pantagruel". L'histoire est centrée sur les aventures du géant Gargantua, depuis sa naissance jusqu'à sa vie à l'université. Ce roman est un mélange de satire sociale et de comédie, avec un style d'écriture caractéristique de Rabelais qui inclut des calembours et des jeux de mots. Le livre offre une critique acerbe de la société de l'époque, en utilisant l'humour pour dénoncer les excès et les vices de la noblesse et du clergé. Mais il n'est pas seulement un pamphlet social : il traite également de la formation intellectuelle et morale de Gargantua, de ses expériences en tant que soldat et de ses aventures amoureuses.


À PROPOS DE L'AUTEUR


François Rabelais (1494-1553) est un écrivain et médecin français célèbre pour son œuvre "Gargantua et Pantagruel". Ses romans, qui ont été publiés au XVIe siècle, sont remplis d'humour, de satire et d'une critique sociale audacieuse. Rabelais est considéré comme l'un des plus grands écrivains français de tous les temps.

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Gargantua

François Rabelais

– 1534 –

 

 

GARGANTUA ET PANTAGRUEL

 

LIVRE PREMIER

 

La vie très horrifique du grand Gargantua,

père de Pantagruel, jadis composée par

M. Alcofribas, abstracteur de quinte essence.

Livre plein de pantagruélisme.

COMMENT GARGANTUA FUT ONZE MOIS PORTÉ ON1 VENTRE DE SA MÈRE.

Grangousier était bon raillard2 en son temps, aimant à boire net autant qu’homme qui pour lors fût au monde, et mangeait volontiers salé. À cette fin, avait ordinairement bonne munition de jambons de Mayence et de Bayonne, force langues de bœuf fumées, abondance d’andouilles en la saison et bœuf salé à la moutarde, renfort de boutargues3, provision de saucisses, non de Bologne, car il craignait li boucon4 de Lombard, mais de Bigorre, de Longaunay, de la Brenne et de Rouergue. En son âge virile, épousa Gargamelle, fille du roi des Parpaillos, belle gouge5 et de bonne trogne, et faisaient eux deux souvent ensemble la bête à deux dos, joyeusement se frottants leur lard, tant qu’elle engrossa d’un beau fils, et le porta jusques à l’onzième mois.

Car autant, voire davantage, peuvent les femmes ventre porter, mêmement quand c’est quelque chef-d’œuvre et personnage que doive en son temps faire grandes prouesses, comme dit Homère que l’enfant duquel Neptune engrossa la nymphe, naquit l’an après révolu : ce fut le douzième mois. Car (comme dit A. Gelle, lib. III) ce long temps convenait à la majesté de Neptune, afin qu’en icelui l’enfant fût formé à perfection. À pareille raison, Jupiter fit durer xlviii heures la nuit qu’il coucha avec Alcmène, car en moins de temps n’eût-il pu forger Hercules, qui nettoya le monde de monstres et tyrans.

Messieurs les anciens Pantagruélistes ont conformé6 ce que je dis, et ont déclaré non seulement possible, mais aussi légitime, l’enfant né de femme l’onzième mois après la mort de son mari.

Hippocrates, lib. de Alimento, Pline, lib. VII, cap. v, Plaute, in Cistellaria, Marcus Varro en la satire inscrite le Testament, alléguant l’autorité d’Aristotèles à ce propos, Censorinus, lib. de Die natali, Aristotèles, lib. VII, cap. iii et ivde Nat. animalium, Gellius, lib. III, cap. xvi, Servius, in Egl. exposant ce mètre7 de Virgile : « Matri longa decem, etc. », et mille autres fols, le nombre desquels a été par les légistes accru : ff. de suis et legit. l. intestato § fi., et in Autent. de Restitut. et ea quæ parit inximense. D’abondant8 en ont chaffouré9 leur robidilardiques10 loi Gallus, ff. de lib. et posthu., et l. septimo ff. de Stat. homi. et quelques autres que pour le présent dire n’ose. Moyennant lesquelles lois, les femmes veuves peuvent franchement jouer du serre-croupière à tous envis et toutes restes11, deux mois après le trépas de leurs maris.

Je vous prie par grâce, vous autres mes bons averlans12, si d’icelles en trouvez que vaillent le débraguetter, montez dessus et me les amenez. Car si au troisième mois elles engrossent, leur fruit sera héritier du défunt, et la grosse13 connue poussent hardiment outre, et vogue la galée14 puisque la panse est pleine ! Comme Julie, fille de l’empereur Octavian, ne s’abandonnait à ses taboureurs15 sinon quand elle se sentait grosse, à la forme que la navire ne reçoit son pilote que premièrement ne soit calfatée et chargée.

Et si personne les blâme de soi faire rataconniculer16 ainsi sur leur grosse, vu que les bêtes sur leurs ventrées n’endurent jamais le mâle masculant, elles répondront que ce sont bêtes, mais elles sont femmes, bien entendantes les beaux et joyeux menus droits de superfétation, comme jadis répondit Populie, selon le rapport de Macrobe, lib. II, Saturnal.

Si le diavol17 ne veut qu’elles engrossent, il faudra tordre, le douzil18, et bouche close.

 

1Au.

2Plaisant compère.

3Œufs de mulet séchés.

4Le poison.

5Fille.

6Parlé conformément à.

7Vers.

8Au surplus.

9Barbouillé.

10(Adjectif forgé par Rabelais avec le nom du rat Rodilardus : Ronge-lard).

11À tous défis et en risquant tout (termes de jeu).

12Garnements.

13Grossesse.

14Galère.

15Tambourineurs.

16Rapetasser.

17Diable.

18Fausset.

COMMENT GARGAMELLE, ÉTANT GROSSE DE GARGANTUA, MANGEA GRAND PLANTÉ19 DE TRIPES.

 

L’occasion et manière comment Gargamelle enfanta fut telle, et si ne le croyez, le fondement vous escappe20. Le fondement lui escappait une après-dînée, le iiie jour de février, par trop avoir mangé de gaudebillaux. Gaudebillaux sont grasses tripes de coiraux. Coiraux sont bœufs engraissés à la crèche et prés guimaux. Prés guimaux sont qui portent herbe deux fois l’an. D’iceux gras bœufs avaient fait tuer trois cent soixante-sept mille et quatorze pour être à mardi-gras salés, afin qu’en la prime vère21, ils eussent bœuf de saison à tas, pour, au commencement des repas, faire commémoration de salures et mieux entrer en vin.

Les tripes furent copieuses, comme entendez, et tant friandes étaient que chacun en léchait ses doigts. Mais la grande diablerie à quatre personnages était bien en ce que possible n’était longuement les réserver, car elles fussent pourries, ce qui semblait indécent. Dont22 fut conclu qu’ils les bâfreraient sans rien y perdre. À ce faire convièrent tous les citadins de Sinais, de Seillé, de la Roche-Clermaud, de Vaugaudray, sans laisser arrière le Coudray, Montpensier, le Gué de Vède, et autres voisins, tous bons buveurs, bons compagnons et beaux joueurs de quille là. Le bonhomme Grandgousier y prenait plaisir bien grand et commandait que tout allât par écuelles. Disait toutefois à sa femme qu’elle en mangeât le moins, vu qu’elle approchait de son terme et que cette tripaille n’était viande moult louable : « Celui, disait-il, a grande envie de mâcher merde, qui d’icelle le sac mange. » Nonobstant ces remontrances, elle en mangea seize muids, deux bussarts23 et six tupins24. Ô belle matière fécale qui devait boursoufler en elle !

Après dîner, tous allèrent pêle-mêle à la Saulsaie, et là, sur l’herbe drue, dansèrent au son des joyeux flageolets et douces cornemuses, tant baudement25 que c’était passe-temps céleste les voir ainsi soi rigoler.

 

19Abondance.

20Échappe.

21Au printemps.

22D’où.

23Tonneaux.

24Pots.

25Joyeusement.

LES PROPOS DES BIEN-IVRES.

 

Puis entrèrent en propos de réciner26 on27 propre lieu.

Lors flacons d’aller, jambons de trotter, gobelets de voler, breusses28 de tinter.

« Tire.

— Baille.

— Tourne.

— Brouille29.

— Boute30 à moi sans eau ; ainsi, mon ami.

— Fouette-moi ce verre galantement.

— Produis-moi du clairet, verre pleurant.

— Trêves de soif.

— Ha ! fausse fièvre, ne t’en iras-tu pas ?

— Par ma fi ! ma commère, je ne peux entrer en bette31.

— Vous êtes morfondue, m’amie ?

— Voire.

— Ventre Saint-Quenet, parlons de boire.

— Je ne bois qu’à mes heures, comme la mule du pape.

— Je ne bois qu’en mon bréviaire, comme un beau père gardien.

— Qui fut premier, soif ou beuverie ?

— Soif, car qui eût bu sans soif durant le temps d’innocence ?

— Beuverie, car privatio præsupponit habitum. Je suis clerc : Fæcundi calices quem non fecere disertum ?

— Nous autres innocents ne buvons que trop sans soif.

— Non moi, pêcheur, sans soif, et sinon présente, pour le moins future, la prévenant comme entendez. Je bois pour la soif à venir.

— Je bois éternellement. Ce m’est éternité de beuverie et beuverie d’éternité.

— Chantons, buvons ; un motet entonnons.

— Où est mon entonnoir ?

— Quoi ? je ne bois que par procuration !

— Mouillez-vous pour sécher, ou vous séchez pour mouiller ?

— Je n’entends point la théorique ; de la pratique je m’aide quelque peu.

— Hâte !

— Je mouille, j’humecte, je bois, et tout de peur de mourir.

— Buvez toujours, vous ne mourrez jamais.

— Si je ne bois, je suis à sec, me voilà mort. Mon âme s’enfuira en quelque grenouillère. En sec jamais l’âme n’habite.

— Sommeliers, ô créateurs de nouvelles formes, rendez-moi de non buvant buvant.

— Pérennité d’arrosement par ces nerveux et secs boyaux.

— Pour néant boit qui ne s’en sent.

— Cetui entre dedans les veines, la pissotière n’y aura rien.

— Je laverais volontiers les tripes de ce veau que j’ai ce matin habillé.

— J’ai bien saburré32 mon estomac.

— Si le papier de mes cédules buvait aussi bien que je fais, mes créditeurs auraient bien leur vin quand on viendrait à la formule d’exhiber.

— Cette main vous gâte le nez.

— Ô quants33 autres y entreront, avant que cetui-ci en sorte !

— Boire à si petit gué, c’est pour rompre son poitrail.

— Ceci s’appelle pipée à flacons.

— Quelle différence est entre bouteille et flacon ?

— Grande, car bouteille est fermée à bouchon et flacon à vis.

— De belles ! Nos pères burent bien et vidèrent les pots.

— C’est bien chié, chanté, buvons !

— Voulez-vous rien mander à la rivière ?

— Cetui-ci va laver les tripes.

— Je ne bois en plus qu’une éponge.

— Je bois comme un templier.

— Et je tanquam sponsus.

— Et moi sicut terra sine aqua.

— Un synonyme de jambon ?

— C’est un compulsoire de buvettes.

— C’est un poulain. Par le poulain, on descend le vin en cave, par le jambon en l’estomac.

— Or çà, à boire, boire çà !

— Il n’y a point charge. Respice personam, pone pro duos ; bus non est in usu.

— Si je montais aussi bien comme j’avale34, je fusse piéça35 haut en l’air.

— Ainsi se fit Jacques Cœur riche.

— Ainsi profitent bois en friche.

— Ainsi conquêta Bacchus l’Inde.

— Ainsi philosophie Mélinde.

— Petite pluie abat grand vent.

— Longues buvettes rompent le tonnerre.

— Mais si ma couille pissait telle urine, la voudriez-vous bien sucer ?

— Je retiens après.

— Page, baille ; je t’insinue ma nomination en mon tour.

— Hume, Guillot ! Encores y en a il un pot.

— Je me porte pour appelant de soif comme d’abus. Page, relève mon appel en forme.

— Cette rognure ! Je soulais jadis boire tout ; maintenant, je n’y laisse rien.

— Ne nous hâtons pas et amassons bien tout.

— Voici tripes de jeu et gaudebillaux d’envi36.

— De ce fauveau37 à la raie noire.

— Ô, pour Dieu ! étrillons-le à profit de ménage.

— Buvez, ou je vous…

— Non, non !

— Buvez, je vous en prie.

— Les passereaux ne mangent sinon qu’on leur tape les queues. Je ne bois sinon qu’on me flatte.

— Lagona edatera38 !

— Il n’y a rabouillère39 en tout mon corps où cetui vin ne furette la soif.

— Cetui-ci me la fouette bien.

— Cetui-ci me la bannira du tout.

— Cornons ici, à son de flacons et bouteilles, que quiconque aura perdu la soif n’ait à la chercher céans.

— Longs clystères de beuverie l’ont fait vider hors le logis.

— Le grand Dieu fit les planètes, et nous faisons les plats nets.

— J’ai la parole de Dieu en bouche : Sitio !

— La pierre dite ἂσβεστος40 n’est plus inextinguible que la soif de ma paternité.

— L’appétit vient en mangeant, disait Angest on41 Mans ; la soif s’en va en buvant.

— Remède contre la soif ?

— Il est contraire à celui qui est contre morsure de chien : courez toujours après le chien, jamais ne vous mordra ; buvez toujours avant la soif, et jamais ne vous adviendra.

— Je vous y prends, je vous réveille.

— Sommelier éternel, garde-nous de somme. Argus avait cent yeux pour voir ; cent mains faut à un sommelier, comme avait Briareus, pour infatigablement verser.

— Mouillons, hé ! il fait beau sécher.

— Du blanc. Verse tout, verse, de par le diable ! verse deçà, tout plein. La langue me pèle.

— Lans, tringue42 !

— À toi, compain43, de hait, de hait44 !

— Là, là, là ! c’est morfiaillé45, cela.

— O lacryma Christi ! C’est de la Devinière, c’est vin pineau.

— Ô le gentil vin blanc ! et, par mon âme, ce n’est que vin de taffetas.

— Hen, hen, il est à une oreille, bien drapé et de bonne laine

— Mon compagnon, courage !

— Pour ce jeu, nous ne volerons46 pas, car j’ai fait un levé47.

— Ex hoc, in hoc. Il n’y a point d’enchantement ; chacun de vous l’a vu. J’y suis maître passé.

— À brum, à brum, je suis prêtre Macé.

— Ô les buveurs !

— Ô les altérés !

— Page, mon ami, emplis ici et couronne le vin, je te prie. À la cardinale. Natura abhorret vacuum. Diriez-vous qu’une mouche y eût bu ?

— À la mode de Bretagne !

— Net, net, à ce piot.

— Avalez, ce sont herbes. »

 

26Faire collation.

27Au.

28Brocs.

29Mélange.

30Mets.

31Boisson.

32Lesté.

33Combien de.

34Je descends (jeu de mots).

35Depuis longtemps.

36De relance (au jeu).

37Bœuf à poil fauve.

38Compagnon, à boire ! (en basque)

39Terrier.

40Incombustible (trémolite des minéralogistes)

41Au.

42Camarade, trinque ! (en bas allemand).

43Compagnon.

44De bon cœur !

45Bairé.

46Nous ne ferons pas la vole.

47Une levée de cartes (et de coude).

COMMENT GARGANTUA NAQUIT EN FAÇON BIEN ÉTRANGE.

Eux tenants ces menus propos de beuverie, Gargamelle commença se porter mal du bas ; dont Grandgousier se leva dessus l’herbe et la réconfortait honnêtement, pensant que ce fût mal d’enfant, et lui disant qu’elle s’était là herbée sous la Saulsaie, et qu’en bref elle ferait pieds neufs. Par ce, lui convenait prendre courage nouveau, au nouvel avènement de son poupon, et, encore que la douleur lui fût quelque peu en fâcherie, toutefois que icelle serait brève, et la joie, qui tôt succéderait, lui tollirait48 tout cet ennui, en sorte que seulement ne lui en resterait la souvenance :

« Je le prouve, disait-il. Notre Sauveur dit en l’Évangile Joannis XVI : « La femme qu’est à l’heure de son enfantement a tristesse, mais lorsqu’elle a enfanté, elle n’a souvenir aucun de son angoisse.

— Ha ! dit-elle, vous dites bien et aime beaucoup mieux ouïr tels propos de l’Évangile, et mieux m’en trouve que de ouïr la vie de sainte Marguerite ou quelque autre cafarderie.

— Courage de brebis, disait-il. Dépêchez-vous de cetui-ci et bientôt en faisons un autre.

— Ha ! dit-elle, tant vous parlez à votre aise, vous autres hommes ! Bien, de par Dieu, je me parforcerai49, puisqu’il vous plaît. Mais plût à Dieu que vous l’eussiez coupé !

— Quoi ? dit Grandgousier.

— Ha ! dit-elle, que vous êtes bon homme ! Vous l’entendez bien.

— Mon membre ? dit-il. Sang de les cabres50 ! si bon vous semble, faites apporter un couteau.

— Ha ! dit-elle, à Dieu ne plaise ! Dieu me le pardonne, je ne le dis de bon cœur, et, pour ma parole, n’en faites ne plus ne moins. Mais j’aurai prou51 d’affaires aujourd’hui, si Dieu ne m’aide, et tout par votre membre, que vous fussiez bien aise !

— Courage, courage ! dit-il. Ne vous souciez au reste, et laissez faire aux quatre bœufs de devant. Je m’en vais boire encore quelque veguade52. Si cependant vous survenait quelque mal, je me tiendrai près : huchant en paume53, je me rendrai à vous. »

Peu de temps après, elle commença à soupirer, lamenter et crier. Soudain vinrent à tas sages-femmes de tous côtés, et, la tatant par le bas, trouvèrent quelques pellauderies54 assez de mauvais goût, et pensaient que ce fut l’enfant ; mais c’était le fondement qui lui escappait, à la mollification55 du droit intestin, lequel vous appelez le boyau culier, par trop avoir mangé des tripes, comme nous avons déclaré ci-dessus.

Dont une orde vieille de la compagnie, laquelle avait réputation d’être grande médecine, et là était venue de Brisepaille d’auprès Saint-Genou, devant soixante ans, lui fit un restrinctif si horrible que tous ses larrys56 tant furent oppilés57 et resserrés qu’à grande peine avec les dents vous les eussiez élargis, qui est chose bien horrible à penser, mêmement que le diable, à la messe de saint Martin, écrivant le caquet de deux galoises58, à belles dents allongea son parchemin.

Par cet inconvénient furent au dessus relâchés les cotylédons de la matrice, par lesquels sursauta l’enfant, et entra en la veine creuse, et gravant59 par le diaphragme jusques au-dessus des épaules, où la dite veine se part60 en deux, prit son chemin à gauche et sortit par l’oreille senestre. Soudain qu’il fut né, ne cria comme les autres enfants : « Mies ! mies ! » ; mais, à haute voix, s’écriait : « À boire, à boire, à boire ! » comme invitant tout le monde à boire, si bien qu’il fut ouï de tout le pays de Beusse et de Bibarois.

Je me doute que ne croyez assurément cette étrange nativité. Si ne le croyez, je ne m’en soucie, mais un homme de bien, un homme de bon sens, croit toujours ce qu’on lui dit, et qu’il trouve par écrit. Ne dit pas Salomon, Proverbium XIV : Innocens credit omni verbo, etc… ? Et saint Paul, prime Corinthio. XIII : Charitas omnia credit ? Pourquoi ne le croiriez-vous ? Pour ce, dites vous, qu’il n’y a nulle apparence. Je vous dis que, pour cette seule cause, vous le devez croire en foi parfaite, car les sorbonistes disent que foi est argument des choses de nulle apparence.

Est-ce contre notre loi, notre foi, contre raison, contre la Sainte Écriture ? De ma part je ne trouve rien écrit ès bibles saintes qui soit contre cela. Mais si le vouloir de Dieu tel eût été, diriez-vous qu’il ne l’eût pu faire ? Ha ! pour grâce, n’emburelucoquez61 jamais vos esprits de ces vaines pensées, car je vous dis qu’à Dieu rien n’est impossible, et, s’il voulait, les femmes auraient dorénavant ainsi leurs enfants par l’oreille.

Bacchus ne fut-il pas engendré par la cuisse de Jupiter ? Roquetaillade naquit-il pas du talon de sa mère ? Croquemouche, de la pantoufle de sa nourrice ? Minerve naquit-elle pas du cerveau par l’oreille de Jupiter ? Adonis, par l’écorce d’un arbre de myrrhe ? Castor et Pollux, de la coque d’un œuf pont62 et éclos par Léda ?

Mais vous seriez bien davantage ébahis et étonnés si je vous exposais présentement tout le chapitre de Pline, auquel parle des enfantements étranges et contre nature, et toutefois je ne suis point menteur tant assuré comme il a été. Lisez le septième de sa Naturelle Histoire, capi. III, et ne m’en tabustez63 plus l’entendement.

48Oterait.

49M’efforcerai.

50Sang des chèvres ! (en gascon).

51Beaucoup.

52Coup (en gascon).

53En faisant un porte-voix de vos mains.

54Morceaux de peau.

55Au rattachement.

56Sphincters.

57Obstrués.

58Galantes.

59Gravissant.

60Se sépare.

61N’embrouillez.

62Pondu.

63Tarabustez.

COMMENT LE NOM FUT IMPOSÉ À GARGANTUA, ET COMMENT IL HUMAIT LE PIOT.

 

Le bonhomme Grandgousier, buvant et se rigolant avec les autres, entendit le cri horrible que son fils avait fait entrant en lumière de ce monde, quand il bramait demandant : « À boire, à boire, à boire ! », dont il dit : « Que grand tu as (supple le gosier). » Ce que oyants, les assistants dirent que vraiment il devait avoir par ce le nom Gargantua, puisque telle avait été la première parole de son père à sa naissance, à l’imitation et exemple des anciens Hébreux. À quoi fut condescendu par icelui et plut très bien à sa mère. Et pour l’apaiser, lui donnèrent à boire à tire larigot, et fut porté sur les fonts, et là baptisé, comme est la coutume des bons christiens.

Et lui furent ordonnées dix et sept mille neuf cents treize vaches de Pautille et de Bréhémond, pour l’allaiter ordinairement. Car de trouver nourrice suffisante n’était possible en tout le pays, considéré la grande quantité de lait requis pour icelui alimenter, combien qu’aucuns docteurs scotistes64 aient affirmé que sa mère l’allaita, et qu’elle pouvait traire de ses mamelles quatorze cents deux pipes neuf potées de lait pour chacune fois, ce que n’est vraisemblable, et a été la proposition déclarée par Sorbonne mammallement65 scandaleuse, des pitoyables66 oreilles offensive, et sentant de loin hérésie.

En cet état passa jusques à un an et dix mois, onquel67 temps, par le conseil des médecins, on commença le porter, et fut faite une belle charrette à bœufs par l’invention de Jean Deniau. Dedans icelle on le promenait par ci par là, joyeusement, et le faisait bon voir, car il portait bonne trogne et avait presque dix et huit mentons, et ne criait que bien peu ; mais il se conchiait à toutes heures, car il était merveilleusement flegmatique des fesses, tant de sa complexion naturelle que de la disposition accidentale qui lui était advenue par trop humer de purée septembrale. Et n’en humait goutte sans cause, car s’il advenait qu’il fût dépit, courroucé, fâché ou marri, s’il trépignait, s’il pleurait, s’il criait, lui apportant à boire l’on le remettait en nature, et soudain demeurait coi et joyeux.

Une de ses gouvernantes m’a dit, jurant sa fi68, que de ce faire il était tant coutumier, qu’au seul son des pintes et flacons, il entrait en extase, comme s’il goûtait les joies de paradis. En sorte qu’elles, considérants cette complexion divine, pour le réjouir au matin, faisaient devant lui sonner des verres avec un couteau, ou des flacons avec leur toupon69, ou des pintes avec leur couvercle, auquel son il s’égayait, il tressaillait, et lui même se bressait70 en dodelinant de la tête, monocordisant71 des doigts et barytonnant du cul.

 

64Disciple de Duns Scot.

65Par rapport aux mamelles (adverbe forgé par Rabelais.)

66Pieuses.

67Auquel.

68Sa foi.

69Bouchon.

70Berçait.

71Pinçant du monocorde.

DE L’ADOLESCENCE DE GARGANTUA.

 

Gargantua, depuis les trois jusques à cinq ans, fut nourri et institué en toute discipline convenante, par le commandement de son père, et celui temps passa comme les petits enfants du pays : c’est à savoir à boire, manger et dormir ; à manger, dormir et boire ; à dormir, boire et manger.

Toujours se vautrait par les fanges, se mascarait72 le nez, se chaffourait73 le visage, aculait74 ses souliers, bâillait souvent aux mouches et courait volontiers après les parpaillons75, desquels son père tenait l’empire. Il pissait sur ses souliers, il chiait en sa chemise, il se mouchait à ses manches, il morvait dedans sa soupe, et patrouillait par tous lieux, et buvait en sa pantoufle, et se frottait ordinairement le ventre d’un panier. Ses dents aiguisait d’un sabot, ses mains lavait de potage, se peignait d’un gobelet, s’asseyait entre deux selles le cul à terre, se cou- vrait d’un sac mouillé, buvait en mangeant sa soupe, mangeait sa fouace sans pain, mordait en riant, riait en mordant, souvent crachait on76