Pantagruel - François Rabelais - E-Book

Pantagruel E-Book

François Rabelais

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Beschreibung

"Pantagruel" est un livre écrit par François Rabelais au XVIe siècle et publié en 1532. L'histoire suit les aventures du géant Pantagruel, fils de Gargantua, alors qu'il voyage avec ses amis à la recherche de la vérité et de la sagesse. Le roman est un mélange de satire sociale, de comédie et de réflexion philosophique, avec un style d'écriture caractéristique de Rabelais qui inclut des calembours et des jeux de mots. Le livre est considéré comme un chef-d'œuvre de la Renaissance française et a eu une grande influence sur la littérature française. Il est apprécié des lecteurs qui aiment l'humour, la satire et les réflexions philosophiques. "Pantagruel" est une lecture essentielle pour ceux qui s'intéressent à l'histoire de la littérature française et à la Renaissance en général.


À PROPOS DE L'AUTEUR


François Rabelais (1494-1553) est un écrivain et médecin français célèbre pour son œuvre "Gargantua et Pantagruel". Ses romans, qui ont été publiés au XVIe siècle, sont remplis d'humour, de satire et d'une critique sociale audacieuse. Rabelais est considéré comme l'un des plus grands écrivains français de tous les temps.

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Pantagruel

François Rabelais

– 1532 –

 

 

GARGANTUA ET PANTAGRUEL

 

LIVRE DEUXIÈME

Pantagruel, roi des Dipsodes, restitué à

son naturel, avec ses faits et prouesses

épouvantables, composés par feu M. Alcofribas,

abstracteur de quinte essence.

DE LA NATIVITÉ DU TRÈS REDOUTÉ PANTAGRUEL.

Gargantua, en son âge de quatre cents quatre-vingts quarante et quatre ans, engendra son fils Pantagruel de sa femme nommée Badebec, fille du roi des Amaurotes, en Utopie, laquelle mourut du mal d’enfant, car il était si merveilleusement grand et si lourd qu’il ne put venir à lumière sans ainsi suffoquer sa mère. Mais pour entendre pleinement la cause et raison de son nom, qui lui fut baillé en baptême, vous noterez qu’en icelle année fut sécheresse tant grande en tout le pays d’Afrique que passèrent xxxvj mois, trois semaines, quatre jours, treize heures et quelque peu davantage sans pluie, avec chaleur de soleil si véhémente que toute la terre en était aride.

Et ne fut au temps d’Hélie plus échauffée que pour lors, car il n’était arbre sur terre qui eût ni feuille ni fleur. Les herbes étaient sans verdure, les rivières taries, les fontaines à sec, les pauvres poissons délaissés de leurs propres éléments, vaguants et criants par la terre horriblement, les oiseaux tombants de l’air par faute de rosée, les loups, les renards, cerfs, sangliers, daims, lièvres, connils1, belettes, fouines, blaireaux et autres bêtes, l’on trouvait par les champs mortes, la gueule bée.

Au regard des hommes, c’était la grande pitié. Vous les eussiez vus tirants la langue comme lévriers qui ont couru six heures. Plusieurs se jetaient dedans les puits : autres se mettaient au ventre d’une vache pour être à l’ombre, et les appelle Homère Alibantes.

Toute la contrée était à l’ancre. C’était pitoyable cas de voir le travail des humains pour se garantir de cette horrifique altération, car il avait prou2 affaire de sauver l’eau bénite par les églises, à ce que ne fût déconfite ; mais l’on y donna tel ordre, par le conseil de messieurs les cardinaux et du saint Père, que nul n’en osait prendre qu’une venue. Encore, quand quelqu’un entrait en l’église, vous en eussiez vu à3 vingtaines de pauvres altérés qui venaient au derrière de celui qui la distribuait à quelqu’un, la gueule ouverte pour en avoir quelque gouttelette, comme le mauvais riche, afin que rien ne se perdit. Ô que bienheureux fut en icelle année celui qui eut cave fraîche et bien garnie !

Le philosophe raconte, en mouvant la question par quoi c’est que l’eau de la mer est salée, qu’au temps que Phébus bailla le gouvernement de son chariot lucifique4 à son fils Phaéton, ledit Phaéton, mal appris en l’art et ne sachant ensuivre la ligne écliptique5 entre les deux tropiques de la sphère du soleil, varia de son chemin, et tant approcha de terre qu’il mit à sec toutes les contrées subjacentes, brûlant une grande partie du ciel que les philosophes appellent via lactea, et les lifrelofres6 nomment le chemin saint Jacques, combien que les plus huppés poètes disent être la part où tomba le lait de Junon, lorsqu’elle allaita Hercule. Adonc la terre fut tant échauffée qu’il lui vint une sueur énorme, dont elle sua toute la mer, qui par ce est salée, car toute sueur est salée, ce que vous direz être vrai, si vous voulez tâter7 de la vôtre propre, ou bien de celle des vérolés quand on les fait suer, ce m’est tout un.

Quasi pareil cas arriva en cette dite année, car un jour de vendredi, que tout le monde s’était mis en dévotion, et faisait une belle procession, avec force litanies et beaux préchants8, suppliants à Dieu omnipotent les vouloir regarder de son œil de clémence en tel déconfort, visiblement furent vues de terre sortir grosses gouttes d’eau, comme quand quelque personne sue copieusement, et le pauvre peuple commença à s’éjouir comme si c’eût été chose à eux profitable, car les aucuns disaient que d’humeur il n’y en avait goutte en l’air dont on espérât avoir pluie, et que la terre suppléait au défaut. Les autres gens savants disaient que c’était pluie des antipodes, comme Sénèque narre au quart livre Questionum naturalium, parlant de l’origine et source du Nil. Mais ils y furent trompés, car, la procession finie, alors que chacun voulait recueillir de cette rosée et en boire à plein godet, trouvèrent que ce n’était que saumure, pire et plus salée que n’était l’eau de la mer.

Et parce qu’en ce propre jour naquit Pantagruel, son père lui imposa tel nom, car Panta, en grec, vaut autant à dire comme tout, et Gruel en langue agarène9, vaut autant comme altéré, voulant inférer qu’à l’heure de sa nativité le monde était tout altéré, et voyant, en esprit de prophétie, qu’il serait quelque jour dominateur des altérés. Ce que lui fut montré à celle heure même par autre signe plus évident, car, alors que sa mère Badebec l’enfantait, et que les sages-femmes attendaient pour le recevoir, issirent10 premier de son ventre soixante et huit tregeniers11, chacun tirant par le licol un mulet tout chargé de sel, après lesquels sortirent neuf dromadaires chargés de jambons et langues de bœuf fumées, sept chameaux chargés d’anguillettes, puis vingt-cinq charretées de poireaux, d’aulx, d’oignons et de cibots12, ce qui épouvanta bien lesdites sages-femmes. Mais les aucunes d’entre elles disaient : « Voici bonne provision ; aussi bien ne buvions-nous que lâchement, non en lancement13. Ceci n’est que bon signe : ce sont aiguillons de vin. » Et comme elles caquetaient de ces menus propos entre elles, voici sorti Pantagruel, tout velu comme un ours, dont dit une d’elles en esprit prophétique : « Il est né à tout le poil, il fera choses merveilleuses, et s’il vit, il aura de l’âge. »

 

1Lapins.

2Fort.

3Par.

4Qui produit de la lumière.

5L’orbite.

6Bons buveurs.

7Goûter.

8Préludes.

9Mauresque.

10Sortirent.

11Muletiers.

12Ciboules.

13Landsman (lansquenet)

DU DEUIL QUE MENA GARGANTUA DE LA MORT DE SA FEMME BADEBEC.

Quand Pantagruel fut né, qui fut bien ébahi et perplexe ? Ce fut Gargantua son père, car, voyant d’un côté sa femme Badebec morte, et de l’autre son fils Pantagruel né, tant beau et tant grand, ne savait que dire ni que faire, et le doute qui troublait son entendement était à savoir s’il devait pleurer pour le deuil de sa femme, ou rire pour la joie de son fils. D’un côté et d’autre, il avait arguments sophistiques qui le suffoquaient, car il les faisait très bien in modo et figura, mais il ne les pouvait souldre14, et par ce moyen, demeurait empêtré comme la souris empeigée15, ou un milan pris au lacet.

« Pleurerai-je ? disait-il. Oui, car pourquoi ? Ma tant bonne femme est morte, qui était la plus ceci, la plus cela qui fût au monde. Jamais je ne la verrai, jamais je n’en recouvrerai une telle : ce m’est une perte inestimable. Ô mon Dieu ! que t’avais-je fait pour ainsi me punir ? Que n’envoyas-tu la mort à moi premier qu’à elle ? car vivre sans elle ne m’est que languir. Ha ! Badebec, ma mignonne, m’amie, mon petit con (toutefois elle en avait bien trois arpents et deux sexterées)16, ma tendrette, ma braguette, ma savate, ma pantoufle, jamais je ne te verrai. Ha ! pauvre Pantagruel, tu as perdu ta bonne mère, ta douce nourrice, ta dame très aimée. Ha ! fausse17 mort, tant tu m’es malévole, tant tu m’es outrageuse, de me tollir18 celle à laquelle immortalité appartenait de droit. »

Et, ce disant, pleurait comme une vache, mais tout soudain riait comme un veau, quand Pantagruel lui venait en mémoire. « Ho ! mon petit fils, disait-il, mon couillon, mon peton, que tu es joli ! et tant je suis tenu à Dieu de ce qu’il m’a donné un si beau fils, tant joyeux, tant riant, tant joli. Ho, ho, ho, ho ! que je suis aise ! buvons. Ho ! laissons toute mélancolie ; apporte du meilleur, rince les verres, boute19 la nappe, chasse ces chiens, souffle ce feu, allume la chandelle, ferme cette porte, taille ces soupes, envoie ces pauvres, baille-leur ce qu’ils demandent, tiens ma robe que je me mette en pourpoint pour mieux festoyer les commères. »

Ce disant, ouït la litanie et les mémentos des prêtres qui portaient sa femme en terre, dont laissa son bon propos et tout soudain fut ravi ailleurs, disant : « Seigneur Dieu, faut-il que je me contriste encore ? Cela me fâche, je ne suis plus jeune, je deviens vieux, le temps est dangereux, je pourrai prendre quelque fièvre : me voilà affolé. Foi de gentilhomme, il vaut mieux pleurer moins et boire davantage. Ma femme est morte, et bien, par Dieu (da jurandi), je ne la ressusciterai pas par mes pleurs. Elle est bien ; elle est en paradis pour le moins, si mieux n’est. Elle prie Dieu pour nous ; elle est bien heureuse ; elle ne se soucie plus de nos misères et calamités. Autant nous en pend à l’œil. Dieu gard’ le demeurant ! Il me faut penser d’en trouver une autre.

« Mais voici ce que vous ferez, dit-il aux sages-femmes (où sont-elles ? Bonnes gens, je ne vous peux voir). Allez à l’enterrement d’elle, et cependant je bercerai ici mon fils, car je me sens bien fort altéré et serais en danger de tomber malade. Mais buvez quelque bon trait devant, car vous vous en trouverez bien, et m’en croyez sur mon honneur. » À quoi obtempérants, allèrent à l’enterrement et funérailles, et le pauvre Gargantua demeura à l’hôtel, et cependant fit l’épitaphe pour être engravé20 en la manière que s’ensuit :

Elle en mourut, la noble Badebec,Du mal d’enfant, que21 tant me semblait nice22 :Car elle avait visage de rebec,Corps d’Espagnole, et ventre de Suisse. Priez à Dieu qu’à elle soit propice,Lui pardonnant, s’en rien outrepassa23. Ci-gît son corps, lequel vécut sans vice,Et mourut l’an et jour que trépassa.

14Résoudre.

15Engluée

16Setiers.

17Trompeuse.

18Enlever.

19Mets.

20Gravé.

21Elle qui.

22Jolie.

23Si en rien commit une faute.

DE L’ENFANCE DE PANTAGRUEL.

Je trouve par les anciens historiographes et poètes, que plusieurs sont nés en ce monde en façons bien étranges, qui seraient trop longues à raconter : lisez le vij livre de Pline, si avez loisir. Mais vous n’en ouïtes jamais d’une si merveilleuse comme fut celle de Pantagruel, car c’était chose difficile à croire comment il crût en corps et en force en peu de temps. Et n’était rien Hercules, qui étant au berceau tua les deux serpents, car lesdits serpents étaient bien petits et fragiles, mais Pantagruel, étant encore au berceau, fit cas bien épouvantables. Je laisse ici à dire comment, à chacun de ses repas, il humait24 le lait de quatre mille six cents vaches, et comment, pour lui faire un poêlon à cuire sa bouillie, furent occupés tous les poêliers de Saumur en Anjou, de Villedieu en Normandie, de Bramont en Lorraine, et lui baillait-on ladite bouillie en un grand timbre25 qui est encore de présent à Bourges, près du palais. Mais les dents lui étaient déjà tant crues et fortifiées qu’il en rompit dudit timbre un grand morceau, comme très bien apparaît.

Certains jours, vers le matin, qu’on le voulait faire téter une de ses vaches (car de nourrices il n’en eut jamais autrement, comme dit l’histoire), il se défit des liens qui le tenaient au berceau un des bras, et vous prend ladite vache par-dessous le jarret, et lui mangea les deux tétins et la moitié du ventre, avec le foie et les rognons, et l’eût toute dévorée n’eût été qu’elle criait horriblement, comme si les loups la tenaient aux jambes, auquel cri le monde arriva, et ôtèrent ladite vache à Pantagruel. Mais ils ne surent si bien faire que le jarret ne lui en demeurât comme il le tenait, et le mangeait très bien, comme vous feriez d’une saucisse, et quand on lui voulut ôter l’os, il l’avala bientôt, comme un cormoran ferait d’un petit poisson, et après commença à dire : « Bon, bon, bon, » car il ne savait encore bien parler, voulant donner à entendre qu’il l’avait trouvé fort bon, et qu’il n’en fallait plus qu’autant. Ce que voyants, ceux qui le servaient le lièrent à gros câbles, comme sont ceux que l’on fait à Tain pour le voyage du sel à Lyon, ou comme sont ceux de la grand nauf26Françoise qui est au port de Grâce en Normandie.

Mais quelquefois27 qu’un grand ours que nourrissait son père échappa, et lui venait lécher le visage (car les nourrices ne lui avaient bien à point torché les babines), il se défit des dits câbles aussi facilement comme Samson d’entre les Philistins, et vous prit monsieur de l’ours et le mit en pièces comme un poulet, et vous en fit une bonne gorge chaude pour ce repas. Par quoi, craignant Gargantua qu’il se gâtât, fit faire quatre grosses chaînes de fer pour le lier, et fit faire des arcs-boutants à son berceau bien affûtés28. Et de ces chaînes en avez une à La Rochelle, que l’on lève au soir entre les deux grosses tours du havre ; l’autre est à Lyon, l’autre à Angers, et la quarte fut emportée des diables pour lier Lucifer, qui se déchaînait en ce temps-là, à cause d’une colique qui le tourmentait extraordinairement, pour avoir mangé l’âme d’un sergent en fricassée à son déjeuner. Dont pouvez bien croire ce que dit Nicolas de Lyra sur le passage du psautier où il est écrit : Et Og regem Basan, que le dit Og, étant encore petit, était tant fort et robuste qu’il le fallait lier de chaînes de fer en son berceau. Et ainsi demeura coi et pacifique, car il ne pouvait rompre tant facilement lesdites chaînes, mêmement qu’il n’avait pas espace au berceau de donner la secousse des bras.

Mais voici qu’arriva un jour d’une grande fête que son père Gargantua faisait un beau banquet à tous les princes de sa cour. Je crois bien que tous les officiers de sa cour étaient tant occupés au service du festin que l’on ne se souciait du pauvre Pantagruel, et demeurait ainsi a reculorum. Que fit-il ? Qu’il fit, mes bonnes gens, écoutez. Il essaya de rompre les chaînes du berceau avec les bras, mais il ne put, car elles étaient trop fortes. Adonc il trépigna tant des pieds qu’il rompit le bout de son berceau, qui toutefois était d’une grosse poste29 de sept empans en carré, et ainsi qu’il eut mis les pieds dehors. il s’avala30 le mieux qu’il put, en sorte qu’il touchait les pieds en terre. Et alors, avec grande puissance, se leva, emportant son berceau sur l’échiné ainsi lié, comme une tortue qui monte contre une muraille, et à le voir semblait que ce fût une grande caraque de cinq cents tonneaux qui fût debout.

En ce point, entra en la salle où l’on banquetait, et hardiment qu’il épouvanta bien l’assistance ; mais par autant qu’il31 avait les bras liés dedans, il ne pouvait rien prendre à manger, mais en grande peine s’inclinait pour prendre à tout32 la langue quelque lippée. Quoi voyant, son père entendit bien que l’on l’avait laissé sans lui bailler à repaître, et commanda qu’il fût délié desdites chaînes par le conseil des princes et seigneurs assistants, ensemble aussi que les médecins de Gargantua disaient que, si l’on le tenait ainsi au berceau, qu’il serait toute sa vie sujet à la gravelle. Lorsqu’il fut déchaîné, l’on le fit asseoir et reput fort bien, et mit son dit berceau en plus de cinq cents mille pièces d’un coup de poing qu’il frappa au milieu par dépit, avec protestation de jamais n’y retourner.

 

24Buvait.

25Auge de pierre.

26Navire.

27Une fois.

28Ajustés.

29Poutre.

30Se descendit.

31Parce qu’il.

32Avec.

DES FAITS DU NOBLE PANTAGRUEL EN SON JEUNE ÂGE.