Pantagruel - François Rabelais - E-Book

Pantagruel E-Book

François Rabelais

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Beschreibung

Pantagruel est le fils de Badebec, morte en couche, et de Gargantua, roi d'Utopie, qui décida de s'occuper soigneusement de l'éducation de son fils. Pantagruel a très tôt un énorme appétit, très vite incontrôlable. Une fois adulte, il décide d'aller dans plusieurs universités de France.

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Sommaire

CHAPITRE Ier

CHAPITRE II

CHAPITRE III

CHAPITRE IV

CHAPITRE V

CHAPITRE VI

CHAPITRE VII

CHAPITRE VIII

CHAPITRE IX

CHAPITRE X

CHAPITRE XI

CHAPITRE XII

CHAPITRE XIII

CHAPITRE XIV

CHAPITRE XV

CHAPITRE XVI

CHAPITRE XVII

CHAPITRE XVIII

CHAPITRE XIX

CHAPITRE XX

CHAPITRE XXI

CHAPITRE XXII

CHAPITRE XXIII

CHAPITRE XXIV

CHAPITRE XXV

CHAPITRE XXVI

CHAPITRE XXVII

CHAPITRE XXVIII

CHAPITRE XXIX

CHAPITRE XXX

CHAPITRE XXXI

CHAPITRE XXXII

CHAPITRE XXXIII

CHAPITRE XXXIV

CHAPITRE XXXV

CHAPITRE XXXVI

CHAPITRE XXXVII

CHAPITRE XXXVIII

CHAPITRE XXXIX

CHAPITRE XL

CHAPITRE XLI

CHAPITRE XLII

CHAPITRE XLIII

CHAPITRE XLIV

CHAPITRE XLV

CHAPITRE XLVI

CHAPITRE XLVII

CHAPITRE XLVIII

CHAPITRE Ier

De l’origine en antiquité du grand Pantagruel

Ce ne sera pas une chose inutile ni oisive que de vous raconter, pendant que nous nous reposons, la première source et origine d’où nous est né le bon Pantagruel. Car je vois que tous les bons historiographes ont traité ainsi leurs chroniques, non seulement les Arabes barbares, les Latins ethniques, les Grecs gentils qui furent buveurs éternels, mais aussi les auteurs de la sainte Écriture, comme monseigneur saint Luc mêmement, et saint Matthieu. Il vous convient donc de noter qu’au commencement du monde (je parle de loin, il y a plus de quarante quarantaines de nuits, pour compter à la manière des anciens Druides), peu après qu’Abel fut occis par Caïn, son frère, la terre imbue du sang du juste fut si fertile, pendant une certaine année, en toutes espèces de fruits qui sont produits de ses flancs et particulièrement en mêles, qu’on l’appela de toute mémoire l’année des grosses mêles : car les trois suffisaient pour parfaire le boisseau. En cette année les calendes furent trouvées dans les bréviaires des Grecs : le mois de mars tomba en carême et la mi-août fut en mai. Au mois d’octobre, ce me semble, ou bien de septembre (afin que je ne me trompe, car de cela je me veux curieusement garder), fut la semaine tant renommée dans les annales, qu’on nomme la semaine des Trois-Jeudis : car il y en eut trois à cause des irrégularités bissextiles, que le soleil broncha quelque peu comme debitoribus à gauche, et la lune varia de son cours de plus de cinq toises, et le mouvement de trépidation au firmament dit Aplane fut manifestement vu : tellement que la Pléiade moyenne, laissant ses compagnes, déclina vers l’équinoxial : et l’étoile nommée l’Épi laissa la Vierge, se retirant vers la Balance : qui sont des cas épouvantables et matières tellement dures et difficiles que les astrologues n’y peuvent mordre. Aussi auraient-ils les dents bien longues, s’ils pouvaient toucher jusque-là.

Faites votre compte que le monde mangeait volontiers desdites mêles ; car elles étaient belles à l’œil et délicieuses au goût. Mais, de même que Noé, le saint homme (auquel nous sommes tant obligés et tenus de ce qu’il a planté la vigne d’où nous vient cette nectarique, délicieuse, précieuse, céleste, joyeuse, déifique liqueur, qu’on nomme le piot), fut trompé en le buvant, car il ignorait sa grande vertu et puissance ; de même, dis-je, les hommes et les femmes de ce temps mangeaient avec grand plaisir de ce beau et gros fruit. Mais des accidents bien divers leur advinrent : car à tous leur survint une enflure bien horrible ; mais pas à tous dans le même endroit. Car quelques-uns enflaient par le ventre, et le ventre leur devenait bossu comme une grosse tonne ; desquels est écrit : Ventrem omnipotentem : lesquels furent tous gens de bien et bons raillards. Et de cette race naquit Saint-Pansart et Mardi-gras. Les autres enflaient par les épaules et étaient tellement bossus qu’on les appelait Montifères, comme porte-montagnes, dont vous en voyez encore par le monde en divers sexes et dignités. Et de cette race sortit Ésope, duquel vous avez les beaux faits et dits par écrit. D’autres croissaient en longueur par les jambes, et vous eussiez dit que c’étaient des grues, des flamants ou des gens marchant sur des échasses. Et les petits grimauds les appellent en grammaire Iambus.

Aux autres le nez croissait tellement qu’il ressemblait à la flûte d’un alambic, tout diapré, tout étincelé de bubelettes, pullulant, pourpré, tout émaillé de pompettes, tout boutonné et brodé de gueules. Tels vous avez vu le chanoine Panzoult, et Piedebois, médecin d’Angers : de cette race peu aimèrent la tisane, mais tous furent amateurs de la purée septembrale. Nason et Ovide en prirent leur origine. Desquels est écrit Ne reminiscaris. Autres croissaient par les oreilles, qu’ils avaient si grandes, que de l’une ils faisaient le pourpoint, les chausses et le sayon : de l’autre ils se couvraient comme d’une cape à l’espagnole. Et l’on dit qu’en Bourbonnais la race dure encore, qui sont appelées oreilles de Bourbonnais. Les autres croissaient en longueur du corps : et de là sont venus les géants, et par eux Pantagruel.

Et le premier fut Chalbroth,

Qui fut père de Farybroth,

Qui fut père de Hurtaly, qui fut beau mangeur de soupes et régna au temps du déluge,

Qui fut père de Nembroth,

Qui fut père d’Atlas, qui avec ses épaules garda le ciel de tomber,

Qui fut père de Goliath,

Qui fut père d’Erix, qui inventa le jeu de gobelets,

Qui fut père de Titye,

Qui fut père d’Eryon,

Qui fut père de Polyphème,

Qui fut père de Cace,

Qui fut père d’Etion, qui le premier fut malade pour n’avoir pas bu frais en été, ainsi que le témoigne Bartachin,

Qui fut père d’Encelade,

Qui fut père de Cée,

Qui fut père de Typhoé,

Qui fut père d’Aloé,

Qui fut père d’Othe,

Qui fut père d’Ægeon,

Qui fut père de Briarée qui avait cent mains,

Qui fut père de Porphyrio,

Qui fut père d’Adamastor,

Qui fut père d’Anthée,

Qui fut père d’Agatho,

Qui fut père de Porrhus, contre lequel batailla Alexandre le Grand,

Qui fut père d’Aranthas,

Qui fut père de Gabbara, qui le premier inventa de boire d’autant,

Qui fut père de Goliath de Secundille,

Qui fut père d’Offot, lequel eut terriblement beau nez à boire au baril,

Qui fut père d’Artachées,

Qui fut père d’Oromédon,

Qui fut père de Gemmagog, qui fut inventeur des souliers à poulaine,

Qui fut père de Sisyphe,

Qui fut père des Titans, dont naquit Hercules,

Qui fut père d’Enay, qui fut très expert en matière d’ôter les cirons des mains,

Qui fut père de Fier-à-bras, qui fut vaincu par Olivier, pair de France, compagnon de Roland,

Qui fut père de Morgan, qui, le premier de ce monde, joua aux dés avec des besicles,

Qui fut père de Fracassus, sur lequel a écrit Merlin Coccaie,

Dont naquit Ferragus,

Qui fut père de Happemouches, qui, le premier, inventa de fumer les langues de bœuf à la cheminée, car auparavant on les salait comme on fait pour les jambons,

Qui fut père de Bolivorax,

Qui fut père de Longis,

Qui fut père de Gayoffe,

Qui fut père de Machefaim,

Qui fut père de Brulefer,

Qui fut père d’Engoulevent,

Qui fut père de Galehaut, qui fut l’inventeur des flacons,

Qui fut père de Mirelangaut,

Qui fut père de Galafre,

Qui fut père de Falourdin,

Qui fut père de Roboastre,

Qui fut père de Sortibrant de Conimbres,

Qui fut père de Bruyer, qui fut vaincu par Ogier le Danois, pair de France,

Qui fut père de Mabrun,

Qui fut père de Flancanon,

Qui fut père de Hacquelebac,

Qui fut père de Videgrain,

Qui fut père de Grandgousier,

Qui fut père de Gargantua,

Qui fut père de Pantagruel mon maître.

J’entends bien qu’en lisant ces passages vous émettez un doute raisonnable, et demandez comme il est possible qu’il en soit ainsi, puisqu’au temps du déluge tout le mon périt, excepté Noé et sept personnes avec lui dans l’arche, au nombre desquels n’est pas mentionné ledit Hurtaly ? La demande est bien faite, sans doute, et bien apparente, mais la réponse vous contentera ou j’ai le sens mal galefreté. Et parce que je n’existais pas en ce temps-là pour vous en parler à mon plaisir, je vous alléguerai l’autorité des écrivains hébraïques, qui affirment que véritablement ledit Hurtaly n’était pas dans l’arche de Noé : aussi n’y eût-il pu entrer, car il était trop grand : mais il était dessus à cheval, jambe de çà, jambe de là, comme sont les petits enfants sur les chevaux de bois, et comme le gros taureau de Berne qui fut tué à Marignan, chevauchait pour sa monture un gros canon pierrier : c’est une bête de beau et joyeux amble, sans aucun défaut. De cette façon, après Dieu ce fut lui qui sauva ladite arche de péril ; car il lui donnait le branle avec les jambes, et du pied la tournait où il voulait, comme on fait du gouvernail d’un navire. Ceux qui étaient à l’intérieur lui envoyaient des vivres par une cheminée, en quantité suffisante, comme gens reconnaissant le bien qu’il leur faisait. Et quelquefois ils parlementaient ensemble comme faisait Icaromenippe avec Jupiter, ainsi que le rapporte Lucien. Avez-vous bien tout compris ? buvez donc un bon coup sans eau. Car si vous ne le croyez, je n’en fais pas autant.

CHAPITRE II

De la nativité du très redouté Pantagruel

Gargantua à l’âge de quatre cent quatre-vingt quarante et quatre ans eut son fils Pantagruel de sa femme Badebec, fille du roi des Amaurotes en Utopie qui mourut en lui donnant le jour, car il était si merveilleusement grand qu’il ne put naître sans suffoquer sa mère. Mais pour comprendre parfaitement la cause et la raison de son nom, qui lui fut donné en baptême, vous noterez qu’en cette année il fit une sécheresse tellement grande dans tout le pays d’Afrique, que les habitants passèrent trente-six mois trois semaines quatre jours seize heures et quelque peu davantage, sans pluie, avec une chaleur de soleil si véhémente que toute la terre en était aride.

Elle ne fut, au temps d’Hélie, plus échauffée qu’alors. Car il n’y avait arbre sur terre qui eût feuille ou fleur : les herbes étaient sans verdure, les rivières taries, les fontaines à sec, les pauvres poissons délaissés de leur élément, voguant et criant par la terre horriblement, les oiseaux tombant de l’air faute de rosée : l’on trouvait par les champs les loups, les renards, cerfs, sangliers, daims, lièvres, lapins, belettes, fouines, blaireaux et autres bêtes, mortes la gueule béante.

À l’égard des hommes, c’était une grande pitié : vous les eussiez vus tirant la langue comme lévriers ayant couru six heures, plusieurs se jetaient dans les puits.

Toute la contrée était à l’ancre ; c’était pitoyable de voir le travail des humains, pour se garantir de cette horrifique altération. Car il y avait prou à faire de sauver l’eau bénite des églises pour qu’elle ne fût pas volée. Oh ! combien fut heureux, cette année, celui qui avait une cave fraîche et bien garnie ! Le philosophe raconte, en mouvant la question pourquoi l’eau de mer est salée, qu’au temps où Phébus donna le gouvernement de son chariot lucifique à Phaéton, le dit Phaéton, mal appris en l’art, et ne sachant suivre la ligne écliptique entre les deux tropiques de la sphère du soleil, varia de son chemin, et approcha tellement de la terre, qu’il mit à sec toutes les contrées subjacentes, brûlant une grande partie du ciel, que les philosophes appellent via lactea ; quoique les plus huppés poètes disent que c’est la partie du ciel où tomba le lait de Junon, lorsqu’elle allaita Hercules. Alors la terre fut tellement échauffée, qu’il lui vint une sueur énorme, dont elle sua toute la mer qui, pour cette raison, est salée, car toute sueur est salée. Ce que vous reconnaîtrez être vrai si vous voulez tâter de la vôtre propre ou bien de celle de votre voisin, ce qui m’est parfaitement égal.

Quasi pareil cas arriva en cette dite année : car un jour de vendredi, que tout le monde s’était mis en dévotion et faisait une belle procession avec force litanies, suppliant le Dieu tout puissant de les vouloir bien regarder de son œil de clémence dans un tel malheur, l’on vit parfaitement sortir de terre de grosses gouttes d’eau, comme quand quel que personne sue copieusement. Et le pauvre peuple commença à se réjouir comme si c’eût été une chose à lui profitable : car quelques-uns disaient qu’il n’y avait aucune goutte de vapeur dans l’air, dont on espérât avoir pluie et que la terre y suppléait. Les autres gens savants disaient que c’était une pluie des antipodes : comme Sénèque narre au quatrième livre Quæstionum naturalium, parlant de l’origine et source du Nil. Mais ils y furent trompés ; car, la procession finie, alors que chacun voulait recueillir de cette rosée et en boire à plein godet, ils trouvèrent que ce n’était que saumure pire et plus salée que n’était l’eau de la mer. Et parce qu’en propre jour naquit Pantagruel, son père lui imposa un tel nom ; car Panta, en grec, vaut autant à dire comme tout, et Gruel, en langue arabe, vaut autant comme altéré. Voulant inférer qu’à l’heure de sa nativité le monde était tout altéré, et voyant en esprit de prophétie qu’il serait quelque jour le dominateur des altérés : il vint au monde velu comme un ours, dont une des matrones dit en matière de prédiction : « Il est né velu, il fera des choses merveilleuses, et s’il vit il aura de l’âge. »

CHAPITRE III

Du deuil que mena Gargantua de sa femme Badebec

Quand Pantagruel fut né, qui fut ébahi et bien perplexe, ce fut Gargantua son père ; car voyant d’un côté sa femme Badebec morte, et de l’autre son fils Pantagruel né, si beau et si grand, il ne savait que faire. Et le doute qui troublait son entendement était, à savoir s’il devait pleurer pour le deuil de sa femme, ou rire pour la joie de son fils. D’un côté et d’autre il avait des arguments philosophiques qui le suffoquaient ; car il les faisait très bien in modo et figurá, mais il ne les pouvait résoudre, Et par ce moyen il demeurait empêtré comme la souris dans la poix ou un milan pris au lacet.

« Pleurerai-je ? disait-il, oui : car, pourquoi ? Ma tant bonne femme est morte, qui était la plus ceci, la plus cela qui fut au monde. Jamais je ne la verrai, jamais je n’en retrouverai une pareille, ce m’est une perte inestimable ? Ô mon Dieu, que t’avais-je fait pour me punir ainsi ? Que ne m’envoyais-tu la mort à moi plutôt qu’à elle ? Car vivre sans elle ne m’est que languir. Ha, Badebec, ma mie, ma mignonne, ma tendrette, jamais je ne te verrai. Ha, pauvre Pantagruel, tu as perdu ta bonne mère, ta douce nourrice, ta dame très aimée. Ha, fausse mort, tant tu m’es malivole, tant tu m’es outrageuse de m’enlever celle à qui l’immortalité revenait de droit. » Et ce disant, il pleurait comme une vache, mais tout soudain il riait comme un veau, quand Pantagruel lui revenait en mémoire. « Ha, mon petit fils, disait-il, mon peton, que tu es joli, que tu es gentil ! Que je suis reconnaissant à Dieu qui m’a donné un si beau fils, tant joyeux, tant grand, tant joli. Ho, ho, ho, que je suis aise ! Buvons, ho, laissons toute mélancolie ; apporte du meilleur, rince les verres, boute la nappe, chasse ces chiens, souffle le feu, allume cette chandelle, ferme cette porte, taille ces soupes, envoie ces pauvres, donne-leur ce qu’ils demandent, ôte-moi ma robe que je me mette en pourpoint pour mieux festoyer. »

Ce disant, il ouït les litanies des prêtres qui portaient sa femme en terre ; il laissa son bon propos et tout soudain fut ravi ailleurs, disant : « Seigneur Dieu, faut-il que je me contriste encore ? Cela me fâche : je ne suis plus jeune, je deviens vieux, le temps est dangereux, je pourrai prendre quelque fièvre, me voilà affolé. Foi de gentilhomme, il vaut mieux pleurer moins et boire davantage. Ma femme est morte, eh bien ! je ne la ressusciterai pas par mes pleurs ; elle est bien, elle est en Paradis pour le moins, si mieux elle n’est : elle prie Dieu pour nous, elle est bien heureuse, elle ne se soucie plus de nos misères et calamités. Autant nous en pend à l’œil. Mais voici ce que vous ferez, dit-il aux sages-femmes (où sont-elles ? bonnes gens, je ne vous peux voir), allez à son enterrement et pendant ce temps-là je bercerai mon fils ici, car je me sens bien fort altéré et je serais en danger de tomber malade. Mais buvez quelque bon trait avant ; car vous vous en trouverez bien, croyez-m’en sur mon honneur. »

À quoi obtempérant, elles allèrent à l’enterrement et funérailles, et le pauvre Gargantua demeura à l’hôtel.

CHAPITRE IV

De l’enfance de Pantagruel

Je trouve chez les anciens historiographes et poètes, que plusieurs personnes sont nées en ce monde de façons bien étranges qui seraient trop longues à raconter : lisez le septième livre de Pline, si vous avez le temps. Mais vous n’en ouïtes jamais d’une si merveilleuse comme fut celle de Pantagruel : car c’était chose difficile à croire, comment il crût en corps et en force en peu de temps. Et Hercules n’était rien lorsque étant au berceau il tua les deux serpents : car lesdits serpents étaient bien petits et bien fragiles. Mais Pantagruel étant au berceau fit des choses bien épouvantables. Je laisse ici à dire comment à chacun de ses repas il humait le lait de quatre mille six cents vaches. Et comment pour faire un poêlon à cuire sa bouillie, furent occupés tous les poêliers de Saumur en Anjou, de Villedieu en Normandie, de Bramont en Lorraine ; et on lui donnait ladite bouillie dans un grand timbre qui à présent est encore à Bourges, près du palais ; mais ses dents étaient tellement grandes qu’il rompit un grand morceau dudit timbre, comme cela apparaît très bien.

Certain jour, vers le matin, qu’on voulait le faire téter une de ses vaches (car il n’eut jamais d’autres nourrices à ce que dit l’histoire), il défit un de ses bras des liens qui le retenaient au berceau et prit ladite vache par-dessous le jarret, et lui mangea les deux tétins et la moitié du ventre, avec le foie et les rognons ; et l’eût toute dévorée, n’eût été qu’elle criait horriblement comme si les loups la tenaient aux jambes, auquel cri tout le monde arriva et on enleva ladite vache à Pantagruel. Mais ils ne surent si bien faire que le jarret ne lui demeurât comme il le tenait, et le mangeait très bien, comme vous feriez d’une saucisse, et quand on voulut lui ôter l’os, il l’avala bientôt comme un cormoran un petit poisson, et après il commença à dire « Bon, bon, bon, » car il ne savait encore bien parler : voulant donner à entendre qu’il l’avait trouvé fort bon ; et qu’il n’en fallait plus qu’autant. Ce que voyant ceux qui le servaient le lièrent avec de gros câbles comme sont ceux que l’on fait à Tain pour le voyage du sel à Lyon ; ou comme sont ceux du grand navire français qui est au port de Grâce, en Normandie. Mais une fois que s’échappa un grand ours que son père nourrissait, et lui venait lécher le visage, car les nourrices ne lui avaient bien à point torché les babines, il se défit desdits câbles aussi facilement que Samson d’entre les mains des Philistins, et vous prit Monsieur de l’Ours, et le mit en pièces comme un poulet, et vous en fit une bonne gorge chaude pour ce repas. Gargantua craignant qu’il ne se fit mal, fit faire quatre grosses chaînes de fer pour le lier, et placer des arcs-boutants à son berceau. Et de ces deux chaînes vous en avez une à la Rochelle, que l’on lève au soir entre les deux grosses tours du havre. L’autre est à Lyon. L’autre à Angers. Et la quatrième fut emportée par les diables pour lier Lucifer qui se déchaînait en ce temps-là, à cause d’une colique qui le tourmentait extraordinairement, pour avoir mangé en fricassée, à son déjeuner, l’âme d’un sergent. Et il demeura ainsi coi et pacifique : car il ne pouvait rompre facilement lesdites chaînes ; mêmement qu’il n’avait pas d’espace dans son berceau pour donner la secousse des bras. Mais voici ce qu’il arriva un jour de grande fête que son père donnait à tous les princes de sa cour. Tous les officiers étaient tellement occupés du festin, que l’on ne se souciait nullement du pauvre Pantagruel, et demeurait ainsi à reculorum.