Gargantua - François Rabelais - E-Book

Gargantua E-Book

François Rabelais

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Beschreibung

Le second roman de Rabelais, toujours publié sous le nom d'Alcofribas Nasier, pose des problèmes de datation, la critique actuelle hésitant entre 1533-1534 et 1535. En raison de la répression royale de 1534, cette question importe pour évaluer la hardiesse du propos. Gargantua, longtemps jugé mieux construit que Pantagruel, s'en démarque moins par une supériorité stylistique que par son didactisme plus prononcé. Dans le célèbre prologue, le narrateur avertit ses lecteurs de ne point s'arrêter au sens littéral mais d'interpréter le texte au-delà de son apparence frivole, et de chercher la « substantifique moelle » de ses écrits. L'auteur multiplie en effet les allusions aux événements ou interrogations de son époque. Le récit commence par annoncer la généalogie du héros mais ne donne à lire qu'un poème illisible, Les Fanfreluches antidotées.

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François Rabelais

Gargantua

PROLOGE DE L'AUTEUR

BEUVEURS tres illustres, et vous, Verolez tres precieux, - car à vous, non à aultres, sont dediez mes escriptz, - Alcibiades, ou dialoge de Platon intitulé Le Bancquet, louant son precepteur Socrates, sans controverse prince des philosophes, entre aultres parolles le dict estre semblable es Silenes. Silenes estoient jadis petites boites, telles que voyons de present es bouticques des apothecaires, pinctes au dessus de figures joyeuses et frivoles, comme de harpies, satyres, oysons bridez, lievres cornuz, canes bastées, boucqs volans, cerfz limonniers et aultres telles pinctures contrefaictes à plaisir pour exciter le monde à rire (quel fut Silene, maistre du bon Bacchus); mais au dedans l'on reservoit les fines drogues comme baulme, ambre gris, amomon , musc, zivette, pierreries et aultres choses precieuses. Tel disoit estre Socrates, parce que, le voyans au dehors et l'estimans par l'exteriore apparence, n'en eussiez donné un coupeau d'oignon, tant laid il estoit de corps et ridicule en son maintien, le nez pointu, le reguard d'un taureau, le visaige d'un fol, simple en meurs, rustiq en vestimens, pauvre de fortune, infortuné en femmes, inepte à tous offices de la republique, tousjours riant, toujours beuvant d'autant à un chascun, tousjours se guabelant, tousjours dissimulant son divin sçavoir; mais, ouvrans ceste boyte, eussiez au dedans trouvé une celeste et impreciable drogue: entendement plus que humain, vertus merveilleuse, couraige invincible, sobresse non pareille, contentement certain, asseurance parfaicte, deprisement incroyable de tout ce pourquoy les humains tant veiglent , courent, travaillent, navigent et bataillent. A quel propos, en voustre advis, tend ce prelude et coup d'essay? Par autant que vous, mes bons disciples, et quelques aultres foulz de sejour , lisans les joyeulx tiltres d'aulcuns livres de nostre invention, comme Gargantua, Pantagruel, Fessepinte, La Dignité des Braguettes, Des Poys au lard cum commento, etc., jugez trop facillement ne estre au dedans traicté que mocqueries, folateries et menteries joyeuses, veu que l'ensigne exteriore (c'est le tiltre) sans plus avant enquerir est communement receu à derision et gaudisserie. Mais par telle legiereté ne convient estimer les oeuvres des humains. Car vous mesmes dictes que l'habit ne faict poinct le moyne, et tel est vestu d'habit monachal, qui au dedans n'est rien moins que moyne, et tel est vestu de cappe Hespanole, qui en son couraige nullement affiert à Hespane. C'est pourquoy fault ouvrir le livre et soigneusement peser ce que y est deduict. Lors congnoistrez que la drogue dedans contenue est bien d'aultre valeur que ne promettoit la boite, c'est-à-dire que les matieres icy traictées ne sont tant folastres comme le titre au-dessus pretendoit. Et, posé le cas qu'au sens literal vous trouvez matieres assez joyeuses et bien correspondentes au nom, toutes fois pas demourer là ne fault, comme au chant de Sirenes, ains à plus hault sens interpreter ce que par adventure cuidiez dict en gayeté de cueur. Crochetastes vous oncques bouteilles? Caisgne! Reduisez à memoire la contenence qu'aviez. Mais veistes vous oncques chien rencontrant quelque os medulare ? C'est, comme dict Platon, lib. ij de Rep., la beste du monde plus philosophe. Si veu l'avez, vous avez peu noter de quelle devotion il le guette, de quel soing il le guarde, de quel ferveur il le tient, de quelle prudence il l'entomme , de quelle affection il le brise, et de quelle diligence il le sugce. Qui le induict à ce faire? Quel est l'espoir de son estude? Quel bien pretend il? Rien plus qu'un peu de mouelle. Vray est que ce peu plus est delicieux que le beaucoup de toutes aultres, pour ce que la mouelle est aliment elabouré à perfection de nature, comme dict Galen., iij Facu. natural., et xj De usu parti. A l'exemple d'icelluy vous convient estre saiges, pour fleurer, sentir et estimer ces beaulx livres de haulte gresse , legiers au prochaz et hardiz à la rencontre; puis, par curieuse leçon et meditation frequente, rompre l'os et sugcer la sustantificque mouelle - c'est à dire ce que j'entends par ces symboles Pythagoricques - avecques espoir certain d'être faictz escors et preux à ladicte lecture; car en icelle bien aultre goust trouverez et doctrine plus absconce, laquelle vous revelera de très haultz sacremens et mysteres horrificques, tant en ce que concerne nostre religion que aussi l'estat politicq et vie oeconomicque. Croiez vous en vostre foy qu'oncques Homere, escrivent l'Iliade et Odyssée, pensast es allegories lesquelles de luy ont calfreté Plutarche, Heraclides Ponticq, Eustatie, Phornute, et ce que d'iceulx Politian a desrobé? Si le croiez, vous n'approchez ne de pieds ne de mains à mon opinion, qui decrete icelles aussi peu avoir esté songées d'Homere que d'Ovide en ses Metamorphoses les sacremens de l'Evangile, lesquelz un Frere Lubin, vray croque lardon , s'est efforcé demonstrer, si d'adventure il rencontroit gens aussi folz que luy, et (comme dict le proverbe) couvercle digne du chaudron. Si ne le croiez, quelle cause est pourquoy autant n'en ferez de ces joyeuses et nouvelles chronicques, combien que , les dictans, n'y pensasse en plus que vous, qui par adventure beviez comme moy? Car, à la composition de ce livre seigneurial, je ne perdiz ne emploiay oncques plus, ny aultre temps que celluy qui estoit estably à prendre ma refection corporelle, sçavoir est beuvant et mangeant. Aussi est ce la juste heure d'escrire ces haultes matieres et sciences profundes, comme bien faire sçavoit Homere, paragon de tous philologes, et Ennie, pere des poetes latins, ainsi que tesmoigne Horace, quoy qu'un malautru ait dict que ses carmes sentoyent plus le vin que l'huille. Autant en dict un tirelupin de mes livres; mais bren pour luy! L'odeur du vin, ô combien plus est friant, riant, priant, plus celeste et delicieux que d'huille! Et prendray autant à gloire qu'on die de moy que plus en vin aye despendu que en huyle, que fist Demosthenes, quand de luy on disoit que plus en huyle que en vin despendoit. A moy n'est que honneur et gloire d'estre dict et reputé bon gaultier et bon compaignon, et en ce nom suis bien venu en toutes bonnes compaignies de Pantagruelistes. A Demosthenes, fut reproché par un chagrin que ses Oraisons sentoient comme la serpilliere d'un ord et sale huillier. Pour tant, interpretez tous mes faictz et mes dictz en la perfectissime partie; ayez en reverence le cerveau caseiforme qui vous paist de ces belles billes vezées, et, à vostre povoir, tenez moy tousjours joyeux. Or esbaudissez vous, mes amours, et guayement lisez le reste, tout à l'aise du corps, et au profit des reins! Mais escoutez, vietz d'azes, - que le maulubec vous trousque! - vous soubvienne de boyre à my pour la pareille, et je vous plegeray tout ares metys.

De la genealogie et antiquité de Gargantua

CHAPITRE PREMIER

Je vous remectz à la grande chronicque Pantagrueline recongnoistre la genealogie et antiquité dont nous est venu Gargantua. En icelle vous entendrez plus au long comment les geands nasquirent en ce monde, et comment d'iceulx, par lignes directes, yssit Gargantua, pere de Pantagruel, et ne vous faschera si pour le present je m'en deporte , combien que la chose soit telle que, tant plus seroit remembrée , tant plus elle plairoit à vos Seigneuries; comme vous avez l'autorité de Platon, in Philebo et Gorgias, et de Flacce , qui dict estre aulcuns propos, telz que ceulx cy sans doubte, qui plus sont delectables quand plus souvent sont redictz.

Pleust à Dieu qu'un chascun sceust aussi certainement sa geneallogie, depuis l'arche de Noë jusques à cest eage! Je pense que plusieurs sont aujourd'huy empereurs, roys, ducz, princes et papes en la terre, lesquels sont descenduz de quelques porteurs de rogatons et de coustretz, comme, au rebours, plusieurs sont gueux de l'hostiaire, souffreteux et miserables, lesquelz sont descenduz de sang et ligne de grandz roys et empereurs, attendu l'admirable transport des regnes et empires :

des Assyriens es Medes,

des Medes es Perses,

des Perses es Macedones,

des Macedones es Romains,

des Romains es Grecz,

des Grecz es Françoys .

Et, pour vous donner à entendre de moy qui parle, je cuyde que soye descendu de quelque riche roy ou prince au temps jadis; car oncques ne veistes homme qui eust plus grande affection d'estre roy et riche que moy, affin de faire grand chere, pas ne travailler, poinct ne me soucier, et bien enrichir mes amys et tous gens de bien et de sçavoir. Mais en ce je me reconforte que en l'aultre monde je le seray, voyre plus grand que de present ne l'auseroye soubhaitter. Vous en telle ou meilleure pensée reconfortez vostre malheur, et beuvez fraiz, si faire se peut.

Retournant à noz moutons , je vous dictz que par don souverain des cieulx nous a esté reservée l'antiquité et geneallogie de Gargantua plus entiere que nulle aultre, exceptez celle du Messias, dont je ne parle, car il ne me appartient, aussi les diables (ce sont les calumniateurs et caffars) se y opposent. Et fut trouvée par Jean Audeau en un pré qu'il avoit près l'arceau Gualeau, au dessoubz de l'Olive, tirant à Narsay , duquel faisant lever les fossez, toucherent les piocheurs de leurs marres un grand tombeau de bronze, long sans mesure, car oncques n'en trouverent le bout par ce qu'il entroit trop avant les excluses de Vienne. Icelluy ouvrans en certain lieu, signé, au dessus, d'un goubelet à l'entour duquel estoit escript en lettres Ethrusques : HIC BIBITUR, trouverent neuf flaccons en tel ordre qu'on assiet les quilles en Guascoigne, desquelz celluy qui au mylieu estoit couvroit un gros, gras, grand, gris, joly, petit, moisy livret, plus, mais non mieulx sentent que roses.

En icelluy fut ladicte geneallogie trouvée, escripte au long de lettres cancelleresques , non en papier, non en parchemin, non en cere, mais en escorce d'ulmeau, tant toutesfoys usées par vetusté qu'à poine en povoit on troys recognoistre de ranc.

Je (combien que indigne) y fuz appelé, et, à grand renfort de bezicles, practicant l'art dont on peut lire lettres non apparentes, comme enseigne Aristoteles , la translatay, ainsi que veoir pourrez en Pantagruelisant, c'est-à-dire beuvans à gré et lisans les gestes horrificques de Pantagruel

A la fin du livre estoit un petit traicté intitulé : Les Fanfreluches antidotées. Les ratz et blattes, ou (affin que je ne mente) aultres malignes bestes, avoient brousté le commencement; le reste j'ay cy dessoubz adjouté, par reverence de l'antiquaille.

Les Fanfreluches antidotées, trouvées en un monument antique.

CHAPITRE II

ai? enu le grand dompteur des Cimbres,

V sant par l'aer, de peur de la rousée.

'sa venue on a remply les timbres

' beurre fraiz, tombant par une housée.

auquel quand fut la grand mere arrousée,

Cria tout hault : «Hers, par grace, pesche le;

Car sa barbe est presque toute embousée

Ou pour le moins tenez luy une eschelle.»

Aulcuns disoient que leicher sa pantoufle

Estoit meilleur que guaigner les pardons;

Mais il survint un affecté marroufle,

Sorti du creux ou l'on pesche aux gardons,

Qui dict : «Messieurs, pour Dieu nous en gardons;

L'anguille y est et en cest estau musse;

Là trouverez (si de près regardons)

Une grande tare au fond de son aumusse.»

Quand fut au poinct de lire le chapitre,

On n'y trouva que les cornes d'un veau :

«Je (disoit il) sens le fond de ma mitre

Si froid que autour me morfond le cerveau.»

On l'eschaufa d'un parfunct de naveau,

Et fut content de soy tenir es atres,

Pourveu qu'on feist un limonnier noveau

A tant de gens qui sont acariatres,

Leur propos fut du trou de sainct Patrice,

De Gilbathar, et de mille aultres trous :

S'on les pourroit réduire à cicatrice

Par tel moien que plus n'eussent la tous,

Veu qu'il sembloit impertinent à tous

Les veoir ainsi à chascun vent baisler;

Si d'adventure ilz estoient à poinct clous,

On les pourroit pour houstage bailler

En cest arrest le courbeau fut pelé

Par Hercules, qui venoit de Libye.

«Quoy! dist Minos, que n'y suis-je appellé?

Excepté moy, tout le monde on convie,

Et puis l'on veult que passe mon envie

A les fournir d'huytres et de grenoilles;

Je donne au diable en quas que de ma vie

Preigne à mercy leur vente de quenoilles.»

Pour les matter survint Q. B. qui clope,

Au sauconduit des mistes sansonnetz.

Le tamiseur, cousin du grand Cyclope,

Les massacra. Chascun mousche son nez;

En ce gueret peu de bougrins sont nez,

Qu'on n'ait berné sus le moulin à tan.

Courrez y tous et à l'arme sonnez :

Plus y aurez que n'y eustes antan.

Bien peu après, l'oyseau de Jupiter

Delibera pariser pour le pire,

Mais, les voyant tant fort se despiter,

Craignit qu'on mist ras, jus, bas, mat l'empire,

Et mieulx ayma le feu du ciel empire

Au tronc ravir où l'on vend les soretz,

Que aer serain, contre qui l'on conspire,

Assubjectir es dictz des Massoretz.

Le tout conclud fut à poincte affilée,

Maulgré Até, la cuisse heronniere,

Que là s'assist, voyant Pentasilée,

Sur ses vieux ans prinse pour cressonniere.

Chascun crioit : «Vilaine charbonniere,

T'appartient-il toy trouver par chemin?

Tu la tolluz, la Romaine baniere

Qu'on avoit faict au traict du parchemin!»

Ne fust Juno, que dessoubz l'arc celeste

Avec son duc tendoit à la pipée,

On luy eust faict un tour si très moleste

Que de tous poincts elle eust esté frippée.

L'accord fut tel que d'icelle lippée

Elle en auroit deux oeufz de Proserpine,

Et, si jamais elle y estoit grippée,

On la lieroit au mont de l'albespine.

Sept moys après - houstez en vingt et deux -

Cil qui jadis anihila Carthage

Courtoysement se mist en mylieu d'eux,

Les requerent d'avoir son heritage,

Ou bien qu'on feist justement le partage

Selon la loy que l'on tire au rivet,

Distribuent un tatin du potage

A ses facquins qui firent le brevet.

Mais l'an viendra, signé d'un arc turquoys,

De v. fuseaulx et troys culz de marmite,

Onquel le dos d'un roy trop peu courtoys

Poyvré sera soubz un habit d'hermite.

O la pitié! Pour une chattemite

Laisserez vous engouffrer tant d'arpens?

Cessez, cessez; ce masque nul n'imite;

Retirez vous au frere des serpens .

Cest an passé, cil qui est regnera

Paisiblement avec ses bons amis.

Ny brusq ny smach lors ne dominera;

Tout bon vouloir aura son compromis,

Et le solas, qui jadis fut promis

Es gens du ciel, viendra en son befroy;

Lors les haratz, qui estoient estommis,

Triumpheront en royal palefroy.

Et durera ce temps de passe passe

Jusques à tant que Mars ayt les empas.

Puis en viendra un qui tous aultres passe,

Delitieux, plaisant, beau sans compas.

Levez vos cueurs, tendez à ce repas,

Tous mes feaulx, car tel est trespassé

Qui pour tout bien ne retourneroit pas,

Tant sera lors clamé le temps passé.

Finablement, celluy qui fut de cire

Sera logé au gond du Jacquemart.

Plus ne sera reclamé : «Cyre, Cyre»,

Le brimbaleur qui tient le cocquemart.

Heu, qui pourroit saisir son braquemart,

Toust seroient netz les tintouins cabus,

Et pourroit on, à fil de poulemart,

Tout baffouer le maguazin d'abus.

Comment Gargantua fut unze moys porté ou ventre de sa mere.

CHAPITRE III

Grandgousier estoit bon raillard en son temps, aymant à boyre net autant que homme qui pour lors fust au monde, et mangeoit voluntiers salé. A ceste fin, avoit ordinairement bonne munition de jambons de Magence et de Baionne, force langues de beuf fumées, abondance de andouilles en la saison et beuf sallé à la moustarde, renfort de boutargues , provision de saulcisses, non de Bouloigne (car il craignoit ly boucon de Lombard), mais de Bigorre, de Lonquaulnay, de la Brene et de Rouargue .

En son eage virile, espousa Gargamelle, fille du roy des Parpaillos, belle gouge et de bonne troigne, et faisoient eux deux souvent ensemble la beste à deux doz, joyeusement se frotans leur lard, tant qu'elle engroissa d'un beau filz et le porta jusques à l'unziesme moys.

Car autant, voire dadvantage, peuvent les femmes ventre porter, mesmement quand c'est quelque chef d'oeuvre et personnage que doibve en son temps faire grandes prouesses, comme dict Homere que l'enfant duquel Neptune engroissa la nymphe nasquit l'an après revolu : ce fut le douziesme moys. Car (comme dit A. Gelle, lib iij), ce long temps convenoit à la majesté de Neptune, affin qu'en icelluy l'enfant feust formé à perfection. A pareille raison, Jupiter feist durer xlviij heures la nuyct qu'il coucha avecques Alcmene, car en moins de temps n'eust il peu forger Hercules qui nettoia le monde de monstres et tyrans.

Messieurs les anciens Pantagruelistes ont conformé ce que je dis et ont declairé non seulement possible, mais aussi legitime, l'enfant né de femme l'unziesme moys après la mort de son mary:

Hippocrates, lib De alimento,

Pline, li. vij, cap. v,

Plaute, in Cistellaria,

Marcus Varro, en la satyre inscripte Le Testament,

allegant l'autorité d'Aristoteles à ce propos,

Censorinus, li. De die natali,

Aristoteles, libr. vij, capi. iij et iiij, De nat.

animalium,

Gellius, li. iij, ca. xvj.

Servius, in Egl., exposant ce metre de Virgile :

Matri longa decem, etc. ,

et mille aultres folz; le nombre desquelz a esté par les legistes acreu, ff. De suis et legit., l. Intestato, §fi., et, in Autent., De restitut. et ea que parit in xj mense. D'abondant en ont chaffourré leur rodibilardicque loy Gallus, ff. De lib et posthu., et l. septimo ff. De stat. homi, et quelques aultres, que pour le present dire n'ause. Moiennans lesquelles loys, les femmes vefves peuvent franchement jouer du serrecropiere à tous enviz et toutes restes , deux moys après le trespas de leurs mariz.

Je vous prie par grace, vous aultres mes bons averlans, si d'icelles en trouvez que vaillent le desbraguetter, montez dessus et me les amenez.

Car, si au troisiesme moys elles engroissent, leur fruict sera heritier du deffunct; et, la groisse congneue, poussent hardiment oultre, et vogue la gualée puis que la panse est pleine! - comme Julie, fille de l'empereur Octavian, ne se abandonnoit à ses taboureurs sinon quand elle se sentoit grosse, à la forme que la navire ne reçoit son pilot que premierement ne soit callafatée et chargée. Et, si personne les blasme de soy faire rataconniculer ainsi suz leur groisse, veu que les bestes suz leur ventrées n'endurent jamais le masle masculant, elles responderont que ce sont bestes, mais elles sont femmes, bien entendentes les beaulx et joyeux menuz droictz de superfection, comme jadis respondit Populie, selon le raport de Macrobe, li. ij Saturnal.

Si le diavol ne veult qu'elles engroissent, il fauldra tortre le douzil, et bouche clouse.

Comment Gargamelle, estant grosse de Gargantua, mangea grand planté de tripes.

CHAPITRE IV

L'occasion et maniere comment Gargamelle enfanta fut telle, et, si ne le croyez, le fondement vous escappe!

Le fondement luy escappoit une après dinée, le iije jour de febvrier, par trop avoir mangé de gaudebillaux. Gaudebilleaux sont grasses tripes de coiraux. Coiraux sont beufz engressez à la creche et prez guimaulx. Prez guimaulx sont qui portent herbe deux fois l'an. D'iceulx graz beufz avoient faict tuer troys cens soixante sept mille et quatorze, pour estre à mardy gras sallez, affin qu'en la prime vere ilz eussent beuf de saison à tas pour, au commencement des repastz, faire commemorations de saleures et mieulx entrer en vin.

Les tripes furent copieuses, comme entendez, et tant friandes estoient que chascun en leichoit ses doigtz. Mais la grande diablerie à quatre personnaiges estoit bien en ce que possible n'estoit longuement les reserver, car elles feussent pourries. Ce que sembloit indecent. Dont fut conclud qu'ils les bauffreroient sans rien y perdre. A ce faire convierent tous les citadins de Sainnais, de Suillé, de la Roche Clermaud, de Vaugaudray, sans laisser arrieres le Coudray Montpensier, le Gué de Vede et aultres voisins, tous bons beveurs, bons compaignons, et beaulx joueurs de quille là.

Le bon homme Grandgousier y prenoit plaisir bien grand et commendoit que tout allast par escuelles. Disoit toutesfoys à sa femme qu'elle en mangeast le moins, veu qu'elle aprochoit de son terme et que ceste tripaille n'estoit viande moult louable : «Celluy (disoit il) a grande envie de mascher merde, qui d'icelle le sac mangeue.» Non obstant ces remonstrances, elle en mangea seze muiz, deux bussars et six tupins. O belle matiere fecale que doivoit boursouffler en elle!

Après disner, tous allerent pelle melle à la Saulsaie , et là, sus l'herbe drue, dancerent au son des joyeux flageolletz et doulces cornemuzes tant baudement que c'estoit passetemps celeste les veoir ainsi soy rigouller.

Les propos des bien yvres.

CHAPITRE V

Puis entrerent en propos de resieuner on propre lieu. Lors flaccons d'aller, jambons de troter, goubeletz de voler, breusses de tinter :

- Tire!

-Baille!

-Tourne!

-Brouille!

-Boutte à moy sans eau; ainsi, mon amy.

-Fouette moy ce verre gualentement;

-Produiz moy du clairet, verre pleurant.

-Treves de soif!

-Ha, faulse fievre, ne t'en iras tu pas ?

-Par ma fy, me commere, je ne peuz entrer en bette.

-Vous estez morfondue, m'amie?

-Voire.

-Ventre sainct Quenet! parlons de boire.

-Je ne boy que à mes heures, comme la mulle du pape.

-Je ne boy que en mon breviaire, comme un beau pere guardian.

-Qui feut premier, soif ou beuverye?

-Soif, car qui eust beu sans soif durant le temps de innocence?

-Beuverye, car privatio presupponit habitum . Je suis clerc.

Foecundi calices quem non fecere disertum ?

-Nous aultres innocens ne beuvons que trop sans soif.

-Non moy, pecheur, sans soif, et, si non presente, pour le moins future, la prevenent comme entendez. Je boy pour la soif advenir. Je boy eternellement. Ce m'est eternité de beuverye, et beuverye de eternité.

-Chantons, beuvons, un motet entonnons! Où est mon entonnoir?

-Quoy! Je ne boy que par procuration!

-Mouillez vous pour seicher, ou vous seichez pour mouiller?

-Je n'entens poinct la theoricque; de la praticque je me ayde quelque peu.

-Haste!

-Je mouille, je humecte, je boy, et tout de peur de mourir.

-Beuvez tousjours, vous ne mourrez jamais.