H-15 - Fausta Philippoussis - E-Book

H-15 E-Book

Fausta Philippoussis

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Beschreibung

Ce témoignage d'amour d'une soeur pour son frère, est une histoire vécue. Il nous plonge dans un univers inquiétant.

Suite au décès étrange de son frère, Fausta va mener une enquête à travers les réseaux sociaux pour chercher à comprendre et retracer les dernières heures de la vie de Marius.
Un jeu de piste qui va la mener sur de multiples profils, ou entre curieux messages et e-mails inattendus, toutes ces informations finissent par s'assembler pour lui révéler l'impensable vérité. Qu'as-tu fait de mon frère ?...
Dangers des réseaux sociaux, déviances des personnalités, mensonges et manipulations mortelles... H-15 vous éclaire sur ces maux des temps modernes et rétablit la vérité sur la vie d'un homme.


À PROPOS DE L'AUTEURE 

Après des études et une licence en droit à l'université d'Aix-en-Provence, Fausta Philippoussis décide de quitter la France par amour. Après de nombreuses pérégrinations entre Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Zélande. C'est à Las Vegas qu'elle pose enfin ses valises. Dans cette ville qui ne dort jamais, elle va écrire ce témoignage poignant: H-15.

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« H-15»

By Fausta P.

Cette histoire est inspirée de faits réels.

Les personnages de ce roman étant authentiques, toute ressemblance avec des individus imaginaires, serait fortuite.

Cependant dans un souci de protection de la vie privée de chacun, tous les noms, prénoms et lieux ont été changés de manière à respecter l'anonymat des protagonistes.

A Mon frère,

« J’ai reçu la vie comme une blessure et Je veux que le Créateur en contemple, à chaque heure de son éternité, la crevasse béante. C'est le châtiment que je lui inflige. »

Isidore Ducasse Lautréamont

(Extrait :Les chants de Maldoror)

Préface

« Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu'il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison ; car, à moins qu'il n'apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d'esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l'eau le sucre. Il n'est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre : quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger.

Par conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant. » (Lautréamont)

Ce livre n’est rien d’autre que l’histoire d’une vengeance : la mienne. Je n’ai pas vu de meilleur moyen d’honorer la mémoire de mon frère.

Par ce livre je restitue la vraie histoire, par ce livre je rectifie le mensonge. Nous vivons dans une société de plus en plus laide où nos plus sombres défauts se dissimulent derrière la beauté de certains termes : nous ne sommes plus égoïstes mais indépendants, nous ne sommes plus menteurs mais diplomates et j’en passe. Une société où les gens sont de plus en plus « tièdes », courbent l’échine, acceptent l’inacceptable, où le maître mot est « laisse tomber, laisse courir, ça va passer »…  Pour tout cela j’ai décidé de réagir !

Surtout de nos jours, à l’heure de Facebook et autres Twitter, où les agressions sont légion, la violence des mots pullule, de façon anonyme, impunément. On ne peut plus ignorer que lorsqu'ils sont utilisés par des êtres malveillants et manipulateurs, les moyens de communication dont nous disposons aujourd'hui peuvent se transformer en armes redoutables.

La tranche de vie (pour moi), le fait divers (pour vous) que je vais vous raconter dans les pages qui suivent, en est la dramatique illustration.

Parce que c’est lui, parce que c’est elle, parce que «  la seule chose nécessaire au triomphe du mal est l’inaction des gens de bien », parce que parfois il faut que justice soit faite, parce que si les rôles étaient inversés mon frère n’aurait eu de cesse de me venger… Pour toutes ces raisons et pour bien d’autres encore je vais vous raconter son histoire … Mon histoire.

On m’a dit un jour : « Dans la vie le plus important n’est pas d’attendre que l’orage passe, mais c’est d’apprendre à danser sous la pluie ! ». Avec ce livre je viens d’essuyer mon plus gros orage et si vous lisez ces lignes, à l’heure qu’il est, vous pouvez être assurés que j’entre dans la danse.  

Partie I :

Sa mort

1

 

___________________________________________________De : GéraldineDe Crossenberg Objet : AvertissementDate : 1 mai 2011A : Fausta P

Juste pour te dire que ton frère est au bord du suicide, me menace..... Et ça me fait doucement rigoler.... et pour ton information (et tu seras contente), sachez que "la fille qui était prévenue" porte effectivement sa putain de croix.....

Autre chose : si ton frère décide (effectivement) de mettre fin à ses putains de jours, sache que je ne me sens absolument pas responsable, et que je n'entendrais rien venant de TA famille.   

Autre chose : tu disais que tu allais ramasser ton frère à la petite cuillère : prends donc une louche parce que c'est vraiment un tas de merde.                                                                             GdC.__________________________________________

H- 15mn avant que mon frère décide de mettre un terme à ses souffrances. A Las Vegas, dimanche 1er Mai 2011, par un beau matin de ciel bleu, sans nuage, comme seul le désert peut en offrir, ce fut par ce message que mon Iphone me réveilla.

Un coup d’œil rapide sur la teneur du texte et ma journée s’assombrit aussitôt.

Attendue chez de très bons amis pour une crémaillère prévue depuis un bon bout de temps, mon humeur n’y était plus. Ce n’était pas la première fois que cette femme, devenue depuis peu ma belle-sœur officielle, m’adressait un mot cruel, constamment prête à réagir par la négative aux moindres faits et gestes de mon frère Marius.

Toujours tentée d’apaiser la situation pour faciliter les choses à ce dernier, cette fois pourtant, la violence du propos m’inspira instantanément une colère noire.

Comment ose-t-elle proférer un tel présage? Comment peut-elle aller aussi loin ? Pour qui se prend-elle ? Autant de questions que je ressassais en boucle pendant que je me préparais, mon pouls s’accélérant au rythme d’une rage qui montait en moi, incontrôlable… Je sentais la migraine arriver, impossible de l’endiguer.

Ma journée, ratée pour ratée, je décidais d’enfoncer un peu plus le clou et avant de partir je me connectais rapidement sur Skype, pour me décharger :

- « Allô Maman ? Marius est là ? »

Même en essayant de donner le change, je sais que mon agacement est palpable dans les intonations de ma voix.

- « Eh bien écoute non ! C’est étrange d’ailleurs, je suis partie toute la journée à Marseille chez ma copine et je viens de rentrer… Non seulement il n’est pas là, mais en plus il est parti en laissant la maison toute grande ouverte… »

Bien sûr, sous la pression, j’en avais oublié le décalage horaire. Chez elle c’est déjà le soir, mon frère a dû sortir.

Cela m’arrange qu’il n’entende pas ce que j’ai à dire de tou-te façon. Je ne supporte pas l’idée de le blesser et encore moins de le décevoir ou de le savoir en peine.   

- « Tant mieux, ça tombe très bien qu’il ne soit pas là ! Ecoute Maman il y a encore cette connasse de Géraldine qui m’a envoyé un message sur Facebook… Sérieux Maman, elle va trop loin ! Là elle a vraiment dépassé les limites! Je viens en France le 22 mai pour le boulot, écoute moi attentivement, je vais exprès m’arrêter à Pau pour lui casser les dents ! Je ne rigole pas… Pour le coup je suis très sérieusement remontée !»

Alors que je pensais qu’en partageant ma colère, je la désamorcerai, c’est totalement l’inverse qui se produisait ! Il faut souligner que je suis une fille de quartier, même si aujourd’hui j’évolue dans un milieu disons plus «sophistiqué», au moindre coup de sang, je retrouve les bonnes vieilles habitudes linguistiques et les actions volcaniques. Je suis en mode « frappe préventive », je suis perchée, déchaînée et hors de contrôle contre cette nana, et je l’illustre à l’ancienne !   

 

- « Déjà je vais lui envoyer une réponse bien sentie, où je vais lui dire que j’arrive en France le 22 , et que si j’étais elle, je partirais, loin, très loiiiin ! Parce qu’elle va se prendre une rouste dont elle se souviendra pour le restant de sa vie !             Je te le jure ! Mais elle croit quoi, elle?                                      Ecoute Maman je ne la connais pas, je ne l’ai jamais vue sauf une fois en cam ; ils se sont mariés y a 6 mois, depuis elle lui fait du chantage au divorce ... Je vais la crever !                          Je te lis ce qu’elle m’a écrit cette salope ».            

Je lis le message, en prenant bien soin d’y mettre le ton : la voix haute, le ton cinglant.

Comme à son habitude je sens la panique gagner ma mère. Je savais d’avance qu’elle ne me laisserait pas m’aventurer plus loin sur ce terrain, qu’elle tenterait de me raisonner, mais j’avais espéré que pour une fois, elle se montre aussi révoltée que moi.

Que cette femme, que nous connaissons depuis huit malheureux mois, se permette de me tenir de tels propos, qui plus est, sur Marius devrait la heurter!                                                     Mais c’était sans compter sur la peur omniprésente qui habite ma mère aussi loin que je me souvienne. Peur de trop en faire, de trop en dire, peur de mal faire… Femme d’église je me dis que ça va de pair avec cette « morale de sacristie ».

- « Non, non ! Fausta arrête, calme toi ! Sois raisonnable ne lui réponds pas sur le coup de la colère et certainement pas avec cette violence ! Tu sais cette fille est fragile, et surtout elle est tragiquement seule! Je t’en prie ma fille n’envenime pas la situation ! C’est déjà compliqué avec Marius… Ne fais rien que l’on puisse regretter… Attends d’être moins furieuse s’il te plait…»

Elle m’implore presque. Je sais avant même de prendre congé d’elle, qu’elle a gagné, que je n’enverrai pas la missive féroce que j’avais pourtant dans ma tête. La mort dans l’âme je conclus cependant la conversation par un « Promis maman ».       Néanmoins, ce que Géraldine dit, ce qu’elle fait, ce qu’elle in-sinue est d’une telle violence que je ne peux pas laisser passer ça.                                                                                           De plus, impossible pour moi de me trahir, parce qu’il en va aussi de ma fierté de fille du Sud.

A peine Skype déconnecté, j’adresse à Géraldine un message bref, que je veux lourd de sous-entendus, ou l’on peut sentir une menace sourde destinée à la faire redescendre très rapidement de ses tourelles et à calmer sa déplorable comédie.           

Cela tombe très bien, avec ce voyage professionnel prévu en France, je suis bien décidée à en profiter pour régler le cas Géraldine «in vivo ».

En guise d’un petit avertissement je lui envoie donc:               « Je serai en France le 22 mai, nous en reparlerons alors.»         Juste histoire de lui faire comprendre qu’elle ne doit pas se croire trop en confiance, que les quelques 9 300 km qui nous séparent, allaient disparaître d’ici quelques jours et que si j’étais elle, je m’y reprendrais à deux fois avant de faire sa maligne.

Surtout qu’elle le sait, je le lui ai déjà assez souvent répété : on ne fait plus aucun mal à mon frère. Une fois mon texto expédié, je suis enfin partie chez mes amis faire la fête, bien loin de me douter que le corps de mon frère gisait en bas d’un pont.

 

 

2

 

Lui, c’est mon frère, Marius, 45 ans, mais il en paraissait dix de moins.

Surfeur, drôle, érudit, cultivé, on le surnommait : l’Africain. Après 14 ans passés en Afrique, il la connaissait par cœur ! On peut même dire que ce fut son premier grand amour.

Il aimait ce continent, il le vivait, il le transpirait. Il s’est même battu pour cette Afrique sauvage et merveilleuse, il s’est compromis avec les gouvernements, il a même risqué sa vie lors de combats sanglants, pour ce qu’il croyait être le meilleur pour elle : une belle Afrique libre … Malheureusement la vie nous apprend à tous, que ce n’est pas parce que nos actions sont les plus justes qu’elles sont nécessairement récompensées.

On peut dire sans se tromper que son chagrin est né quand il n’a pas eu d’autre choix que de quitter ce continent bien aimé. Il ne s’est jamais remis de s’en être éloigné, sans grand espoir de retour… Il ne s’est jamais réadapté à cette France, qui après tant d’années, lui était devenue totalement inconnue …  

Ici, dans le pays de l’homme blanc, il passait pour l’homme toujours en retard, pour un « je m’en foutiste » notoire. J’en soupçonne même certains d’avoir pensé qu’il était menteur et que ses aventures africaines n’étaient que de sombres élucubrations. Il faut comprendre que quand Marius est revenu du Congo, il y a clairement laissé une partie de lui-même.                     L’effondrement du Franc CFA, les guerres ethniques, la prison et tout un tas d’autres choses (qu’il a préféré nous passer sous silence), avait fait de lui un être tourmenté, torturé, supplicié. Vide de ce continent qu’il avait perdu, corps et âme puisqu’à cause de sa « compromission gouvernementale », l’entrée sur le territoire lui était interdite, c’est dans certains « vices » et autres addictions qu’il a d’abord trouvé refuge.    

Ce fut loin d’être évident pour nous, sa famille : il a d’abord fallu passer par une longue et pénible période d’adaptation. Quatorze ans sans se voir, à une époque où internet n’existait pas, où les courriers mettaient six mois à nous parvenir, quand ils arrivaient, on était finalement tous devenus des étrangers les uns pour les autres. Lui avait en plus oublié, que le Français lambda juge, condamne, avec son esprit étriqué et minimaliste à en vomir, imbu de sa supériorité et de son « bon droit », avec cette arrogance « so Frenchy » qui ne fait plus de doute pour personne, par-delà les mers et les océans. Nature et rêveur, fondamentalement gentil et sensible derrière ses airs de gros durs, il se pensait entouré d’amis, de compréhension, d’in-dulgence ….Ce fut, là encore, une grosse erreur.

Autant d’éléments qui l’avaient sensiblement fragilisé : il pensait que sa vie n’était plus qu’un tissu d’emmerdements.

En définitive, tous les éléments étaient réunis pour que les choses ne se déroulent pas de la plus merveilleuse des façons, mais de là, à vivre ce véritable cauchemar, nous n’aurions jamais pu prévoir !!!! Ni même oser imaginer … Beaucoup de galères, beaucoup de malchance, beaucoup de coups du sort à répétition sont venus se greffer à des retrouvailles déjà bien bancales et n’ont pas rendu la tâche facile pour chacun d’entre nous. Mais la dérision qu’il pratiquait en toutes circonstances et cet humour imparable dont il faisait preuve, quels que soient les événements, semblaient lui permettre de passer à travers toutes les gouttes de cette foutue merde. Il se protégeait à coups d’ironie.

Mais les vieux démons ont la dent dure et ils attendent tapis dans l’ombre, le jour où, l’occasion de…Et lui si fort, si fier n’a pas dérogé à la règle...

Et nous si faibles, si inquiets, si peureux, nous avons fait des erreurs d’impuissants. Nous avons voulu régler ça comme si c’était un simple problème alors qu’il s’agissait de tellement plus !

Dans ces moments-là, je ne savais plus quoi faire pour lui…Parce que je pense qu’il avait raison et qu’à sa place plus d’un, moi y compris, aurions déjà tout lâché.

Quel intérêt sa vie avait-elle maintenant ?

Il avait fini par se convaincre qu’il avait commencé à la rater très tôt. A faire toujours les mauvais choix. A se laisser influ-encer par les uns, par les autres, ou par des coups de cœur et de colère.

Est-ce sous notre impulsion que lui aussi a voulu « rentrer dans le rang », oser une dernière tentative, en pensant que, peut-être, si tout était abominablement consensuel, ça lui rendrait le goût des choses ?…                                                         Et ce que c’est devant notre insistance qu’ il s’est convaincu que peut être un mariage, une femme… métro, boulot, dodo ?   Le doute persiste.

Aujourd’hui encore, je m’en veux, cela me tient éveillée la nuit. Quand cette idée, aussi aiguisée qu’un couteau me traverse l’âme, me gonfle le cœur, remplit mes yeux de larmes, et que la culpabilité m’étouffe dans une douleur jusque-là inconnue, je ne peux pas m’empêcher de penser que tout vient de mon erreur …Une erreur qui, comble de l’ironie, me semblait être une idée de génie !

Je suis de cette nouvelle génération de « réseaux sociaux » où comme toutes expériences, elles ne servent qu’à une masse crédule, finalement simples cobayes d’un progrès qui repousse sans cesse les limites de la dignité. On y évolue entre individualisme exacerbé et exposition de soi, peu importe si c’est au détriment des autres.

Et pourtant, sans même y réfléchir, je me suis dit que la meilleure chose pour guérir quelqu’un d’un trop plein de nostalgie, d’un désir de passé, et d’une solitude empoisonnante, naturellement, c’était FACEBOOK.                                            Pour qu’il puisse rencontrer des gens d’ailleurs et autrement…

Ma logique était si niaise que je me vomis encore.                 

3

 

   Pour moi, tout commence le jour où je lui ai proposé de créer son profil Face-book :                                                - « C’est quoi cette merde ? » me dit-il dans un éclat de rire- « C’est trop bien, sans déconner, j’ai retrouvé des amies d’enfance, rencontré de nouvelles personnes, crée une page pour ma boite d’import !! Vraiment tu devrais essayer ! Qu’est-ce que ça te coûte ? Tu peux même retrouver des amours de jeunesse… Des femmes qui ne t’ont jamais oublié, et Dieu sait qu’il doit y en avoir une palanquée ! Ou carrément de nouvelles ! Ça t’ouvrira tout un champ de possibles et surtout ça ne te limitera plus à Port De Bouc et ses environs ! Au pire on communiquera tous les deux ! Allez mon frère, génération 2.0 ou biiien !? »  

Voilà spontanément, bêtement, comment moi, sa petite sœur, j’ai précipité mon Marius dans un engrenage nauséabond.

Ce jour-là, après il faut bien l’avouer de longues, très lon-gues minutes à argumenter, je lui ai enfin créé un profil.   

Jolie photo de profil, suggestion de toutes mes copines célibataires et pas farouches, j’ai tout checké, tout vérifié, tout validé. Au départ ça lui a fait du bien.

Comme une espèce de porte ouverte sur des possibilités de retrouvailles intemporelles, de nouvelles rencontres, de contacts avec des points communs, éventuellement professionnels, tout un tas de nouveaux possibles qui lui redonnait de l’oxygène…

C’est vrai que Facebook semble être un support intarissable d’opportunités en tout genre. Un « média » tout à fait incontournable de nos jours. Du coup on a tendance à oublier que derrière ce fonctionnement haut de gamme, qui nous donne à chacun l’illusion d’être le héros de sa propre existence, il y a la nature humaine …

Malheureusement dans la majorité des cas la nature humaine est loin d’être belle !!

Quand on y pense, c’est depuis ses origines que la race humaine est condamnée à se mouvoir dans l’éternelle division entre ces deux opposés que sont le Bien et le Mal… La vraie difficulté pour que la lumière triomphe, c’est ce déséquilibre du temps ! Un démon n’a pas besoin de beaucoup de temps pour faire des ravages, telles ces tempêtes, tornades, et autres avalanches qui détruisent en quelques secondes des arbres plantés il y a de cela deux cent ans!                                                                C’est donc ainsi qu’un beau jour, quelque temps à peine après la validation de son profil FB, comme je l’appelais sur Skype, il m’invite prestement à me connecter pour me montrer quelque chose de très important sur son profil.

Je m’exécute et me retrouve devant un visage inconnu, au regard bleu acier, un demi-sourire qui n’atteint pas vraiment les yeux, des cheveux « broussailles » comme on dit vers Marseil-le et un teint olivâtre…

- « Regarde le profil de Géraldine de Crossenberg»

Une excitation difficilement contenue perce dans sa voix, ce qui me remplit de bonheur. Il faut dire qu’il y avait bien longtemps que quelque chose n’avait suscité un élan de joie chez lui.- « Oui ? J’y suis …je suis devant sa photo là, enfin je crois... Donc ? »

- « Tu la trouves comment ? »

D’emblée je comprends bien que cette femme l’intéresse. Sinon pourquoi me la montrerait-il ?

Et surtout pourquoi me poserait il cette question avec une pointe d’appréhension perceptible dans son ton ?                       Je fixe à nouveau la photo de son profil, photo que l’on met généralement à cet emplacement précis car on est au top de son avantage : c’est sensé être la présentation primordiale, le détail fondamental de sa page et, quoi qu’il en soit, si on la choisi, c’est que dessus on se plait !

Elle a des cheveux châtain clair, déteints, comme délavés, lisses, ramenés en une coiffure insipide qui la fait ressembler à une écolière d’un autre temps, de celle que l’on retrouvait esseulée dans la cours de récréation, avec sa pauvre queue basse, d'où s'échappent quelques mèches, des sourcils peu soignés d'une mode d'après-guerre, un style vestimentaire neutre, jean large et mal coupé, pull noir. Bref : mal fagotée.                   Elle a l'air petite et replète, un visage rond et froid, où se perd une bouche aux lèvres fines, qui, malgré un sourire découvrant les dents du bonheur, semblent pincées. Une figure inexpressive, médiocrement rehaussée par de petits yeux, certes bleus, mais pâles, ternes, sans lumière.

Aucun charme ne rayonnait de cette femme.                            Il faut savoir qu’à une époque, pas aussi lointaine, mon frère collectionnait des femmes plus belles les unes que les autres ! Grand, 1m 92, toujours élégant et tendance, brun de peau comme de cheveux, un côté « bad boy » incontestable, avec des yeux couleur chocolat, vifs, observant le monde, toujours rieurs et moqueurs, même si ces dernières années on ne pouvait plus ignorer cette détresse dans ce regard finalement insondable. Il n’avait eu aucun mal à faire fondre toutes celles sur qui il avait jeté son dévolu…

Il y a cependant dans le théâtre d’Eschyle une citation très pertinente qui s’applique parfaitement ici : "On n'a pas la vie que l’on mérite mais celle qui nous ressemble" et finalement, c’est sans grande surprise que dans les dernières années de son existence il n’attirait plus que des femmes très semblables, représentatives de son « vague à l’âme ». Des femmes un peu paumées, un peu fragiles, avec des chemins de vie sinueux et pour la plupart comme marquées au fer rouge. Je m’appliquais d’ailleurs à ne jamais dire qu’une telle ou une telle n’était ni assez ceci ni trop cela, car je savais bien que quelque part il en était parfaitement lucide.

Clairement, il ne m’avait jamais demandé si Noémie, sublime métisse de 23 ans, ou encore Coco, ravissante quarteronne de 30, était belle, ou avait l’air de quelqu’un de bien... Sa question, en soi, était déjà une preuve que lui-même était pleinement conscient de ce à quoi, par la force des choses et de sa condition financière, sociale et psychologique, il aurait dorénavant droit. Je regarde longuement le visage qui me fixe derrière l’écran de mon PC.

Je me concentre et décide, non pas de mentir, mais plutôt de me focaliser sur ce qui me semble le plus positif chez cette fil-le: - « Elle a des yeux bleus magnifiques ! », dis-je l’air faussement réjouie.                                                                                 - « Tu sais que cette nana je l’ai rencontrée il y a 20 ans en arrière, à Pointe Noire ? On a même eu une brève aventure lors d’une folle soirée à la Pointe Indienne … »

Je pouvais distinguer derrière ma webcam et dans la semi-obscurité du soir qui tombait de son côté du globe, les étoiles qu’il avait dans les yeux à ce moment précis, et cela m’inonda d’un contentement qui me soulageait légèrement de ce fardeau d’inquiétude quotidienne. Je m’en félicitais intérieurement.       

Je reste donc convaincue que mon attitude est la bonne, que nous sommes sur la bonne voie et qu’enfin mon frère va aller mieux. De mieux en mieux.                                                                                                           - « Géniiiiial ! Et elle fait quoi maintenant ? Elle est toujours en Afrique ? »                                                                               - « Non, pas du tout, elle est maman d’une petite fille de 10 ans et travaille comme correctrice indépendante dans une maison d’édition … »                                                                                                                                       Tout de suite, je me dis « super » , « au top », « le gros lot » !   

Lui qui est passionné de littérature ! Quelle merveilleuse coïn-cidence !!

Je fais un rapide calcul comparatif de ces ex-« compagnes », et j’ai vite fait de me dire que, l’un dans l’autre, celle-ci n’est pour ainsi dire, pas la pire de ces dernières années.

Et après tout, s’arrêter sur un physique n’est pas la meilleure preuve de tolérance qui soit !

Je pars dans des lieux communs insipides : « il faut de tout pour faire un monde », « y en pour tous les goûts » ! Je résous par l’absurde, car en vérité, si je n’étais pas rentrée dans des considérations limites abjectes, tellement elles étaient complaisantes, voilà ce que j’aurais dû réellement dire : 

- « Heuuuu… mouais… Elle a de beaux yeux autour de ses 30 kilos superflus ! Tu l’as rencontré il y a 20 ans ? Mais elle avait déjà quel âge ?                                                                              Parce que là on croirait qu’elle a 55 ans passés et dépassés, non pas 40. Tu es sûr qu’elle n’est pas portée sur la bouteille ?         Je ne sais pas mais elle m’a l’air bouffie. Correctrice indépendante ?                                                                                           Pourquoi ? Elle n’est pas suffisamment bonne pour qu’on l’embauche officiellement... ? Tu mérites tellement mieux mon frère ! »                                                                                        C’est clairement ce que j’aurais dû lui avouer au lieu de laisser transpirer cette espèce de condescendance haïssable …              J’ai tout simplement menti. Bêtement !                                       En oubliant la seule donnée vraiment importante : lui, et ce à quoi il avait réellement droit par rapport à ce qu’il était, par rapport à qui il était, foncièrement !                                    Je me suis laissée aveugler par des « diktats sociétaires » qui veulent qu’aujourd’hui pour se penser « méritant » et avoir droit au bonheur, il faut absolument entrer dans d’insignifiantes et ridicules petites cases !

Cases édictées par une élite d'escrocs, qui autour du mensonge sociétal crée une illusion de protection et de confort et qui au final ne fait que maintenir le peuple dans une léthargie coercitive et étouffante.

Surtout suivre le troupeau, ne pas dépareiller de la masse!         J’ai tout simplement été trop conne !                                      Et c’est comme ça que leur histoire d’amour a débuté, avec pour toile de fond les souvenirs.                                                 Elle habite à Pau, lui à Port-de-Bouc, mais rien ne le retient là-bas. Je dirai même mieux, on prie chaque jour que Dieu fasse, que quelque chose l’incite à partir de cette ville perdue où toute perspective d’avenir semble impossible.                                    Port-de-Bouc généralement on y naît, on y meurt.  

C’est une ville sinistrée où sa mauvaise réputation imprègne ses habitants et leur coupe les ailes. Pourtant c’est un joli patelin en bord de mer dans le Sud de la France.                        Un maire communiste avec de pauvres idées archaïques, a laissé ce coin devenir une ville de bars et de règlements de comp-tes…

Un petit Marseille, avec toute sa violence et sa haine sans son esprit de « fierté ».

Je suis partie dès que j’ai pu et après quelques pérégrinations je me suis retrouvée aux Etats-Unis, où je vis cette histoire à distance, mais de près (merci M. Bill Gates).

Tour à tour par le biais de ma mère, ou bien directement avec lui, par ses confidences, ses statuts Facebook, tous les jours autant que je le peux, je participe.

De toute façon, même bien avant Géraldine, je ne laissais pas passer une journée sans téléphoner à ma famille. Je tentais d’épauler ma mère au mieux de mes possibilités et de mes disponibilités dans la lente descente aux enfers que mon Marius subissait ces dernières années.                                                     On avait la sensation que ce n’était pas sa vie ni le temps qui passait, mais lui qui passait dans le temps, dans la vie, et que ça devenait de plus en plus pénible, à chaque instant de plus en plus pesant, comme dépourvu de signification. Comme s’il savait déjà ne rien avoir à y faire. Nulle part où aller…              Avec cette nouvelle histoire je ne cache pas que l’air nous était devenu à tous plus respirable. Au fil des jours cette fille finit par me plaire.

Je constatais qu’en plus de lui faire apparemment du bien, elle le mettait en relation avec des personnes tellement plus intéressantes que ceux qu’il avait été contraint de fréquenter ces dernières années ! En soi, ceci m’apparaissait déjà comme un gage de stabilité et de sécurité. En plus, il semble heureux … En tout cas il s’évade ! Cette douleur dans son regard le quitte enfin de temps en temps.

On est tellement soulagés d’avoir ne serait-ce que la sensation qu’il peut remonter la pente, qu’on se raccroche à n’importe quoi. Et le problème est bien là justement ! C’est du grand n’importe quoi !   

Pourtant il y a des anecdotes qui auraient dû me mettre la puce à l’oreille, des signes que je n’aurais pas dû ignorer ! Comme ce jour où je suis connectée avec lui. Il est détendu, rasé de près, bouche rieuse (mais il en faut quand même plus pour que ses yeux ne s’éclairent comme dans le temps), il entre directement dans le vif du sujet :

- « Tu sais avec Géraldine c’est top, ça se passe doucement mais sûrement, on apprend à se redécouvrir, j’apprends sa vie ! Tiens j’ai même sympathisé avec sa meilleure amie ! Une belle fille qui bosse dans le mannequinat pour une prestigieuse agence. Je te l’ai suggérée comme amie ! Tu peux déjà regarder ses photos, son compte n’est pas bien paramétré, tu peux y accéder tu vas voir elle est sublime ! » 

Curieuse de nature et encore plus intriguée par l’intérêt qu’il lui porte, je m’empresse de regarder les fameuses photographies.

Je scrute photos de profil, photos de couverture, albums, absolument tout ce que je peux voir est passé au crible : noir et blanc, photo saturée de couleurs, montage, je compulse TOUT!        Il s’agit d’une splendide blonde aux jambes interminables et à la chute de reins vertigineuse... Pas un seul cliché où elle a une tête de « laide »!                                                                         Par contre je me rends compte très vite qu’il y a quelques incohérences, voire quelques «contradictions » :  

- « Mais Marius ce n’est pas elle sur les photos ! Enfin je veux dire : Premièrement ce sont des nanas différentes d’une photo à l’autre, mais en plus ce ne sont que des photos professionnel-les. Il n’y a absolument aucun cliché perso dans ce profil. »

Perplexe je renchéris de plus belle :

- « Attends il y a en a une, c’est carrément Doutzen Kroes, l’autre, je pense que c’est juste Angelina Jolie à ses débuts et il y a Heidi Klum ainsi que la meuf qui a joué dans Beverly Hills et l’autre de Gossip Girl !!! ? C’est bizarre quand même, c’est quoi son délire à cette meuf ? Tu sais au moins laquelle elle est vraiment dans tout ce ramassis de photos fake ? Tu l’as déjà rencontrée en vrai ? »

Je me moque gentiment.

Confiant il inspecte cependant certains portraits que je lui désigne, hésite, mais finit par balayer ce qui, en somme ne sont que des taquineries, par un simple :

- « Mouais! Elle a peut-être simplement mélangé ses photos avec d’autres! En plus toi-même tu sais qu’avec Photoshop, le make-up etc… On devient rapidement méconnaissable. Bon, c’est vrai je ne l’ai jamais rencontrée personnellement mais on se parle via Facebook et je la vois aussi communiquer avec Géraldine. Ce ne peut donc pas être une malade ou encore un homme, derrière ce profil… »

Pas faux … Je range cette suspicion dans ma poche et me réjouis de savoir qu’il partage un bon feeling avec cette fille.

Puis si Géraldine la connaît c’est qu’effectivement cette nana existe bel et bien, et que mes remarques sont issues de mon esprit retors.

De suspicieuse, je passe instantanément à joyeuse, je m’égaye même de toutes ces rencontres via Géraldine : après Charlotte il me parlera de Mordechai, de Samuel, et de Rachel, ses lointains oncles et tantes.

Tous de confession juive, leurs parcours sont un chemin de vie qui force le respect. Je sens mon frère touché par ces gens, concerné par tout ce qu’ils semblent lui apporter. Il est même apparu un matin derrière son écran, avec une petite étoile de David autour du cou. Peu à peu je le vois souhaiter un bon shabbat dans ses statuts FB, tous les vendredis, sans jamais oublier.

Appartenir à cette « famille », entretenir ces correspondances, semblent l’ouvrir à nouveau sur un monde qu’il avait depuis un moment décidé de déserter.

Nous, nous sommes contents… Je sens notre mère terriblement soulagée.

Dieu sait qu’elle mérite un peu de répit !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4

 

Bien que notre mère, Adèle, soit la femme la plus forte qu’il m’ait été donné de rencontrer, c’était maintenant une dame de soixante-quinze ans qui en avait suffisamment bavé dans sa vie.Issue d’une famille franco-italienne, elle avait démarré une existence qui avait flirté très tôt avec la tragédie.                   Alors âgée d’à peine 18 ans, elle avait perdu son plus jeune frè-re, dans un tragique accident de mobylette, la veille de son départ pour Hollywood, où il allait tenter sa chance comme acteur.Une première épreuve dont elle eut déjà beaucoup de mal à se remettre.Très croyante, elle avait poursuivi toute sa scolarité dans un couvent de religieuses. Mais ce drame marquera un premier grand virage dans sa destinée, puisqu’elle se détournera de Dieu.

Cela durera 20 ans.

Dès lors, elle se retrouvera avec des parents rongés de chagrin. Ils sont propriétaires d’hôtels-bars-restaurants qui marchent plutôt bien et qui leur assurent des revenus plus que décents. Bien que l’on soit dans une période d’après-guerre où il fait bon vivre, ce deuil va profondément changer la donne. Il est de ces douleurs dont jamais l’on ne se remet, la perte d’un enfant est sans l’ombre d’un doute la plus immuable.                    Ce jour-là, plus que son frère, c’est une famille qu’Adèle a perdue. Seule, effondrée, fragile, profondément crédule car élevée dans un pensionnat religieux, elle se retourne alors vers la seule personne qui, dans ce moment de souffrance intense, peut le mieux la comprendre : le meilleur ami de son frère, Diego. Diego va être pour elle, ce petit « coup de pute » que nous réserve parfois (souvent) la vie ! On pense que ça ne peut pas être pire, que ça ne peut qu’aller mieux… Et bien encore une fois voilà une idée reçue totalement fausse !!!           On peut souvent tomber plus bas…                                    Diego sera le premier et le seul homme de sa vie.                       Pourtant, du haut de son mètre soixante-quatorze, cette brunette, qui en plus d’être belle était une grande amoureuse des livres et d’un candide romantisme, n’avait absolument rien à voir avec lui !                                                                               Pas de quoi s’attarder sur ce petit Grec, d’un statut social clairement en dessous du sien, à une époque où cela était quasiment inconcevable. Sans culture ni manières, sans même une once de ce qui pourrait ressembler à du respect, sans aucune valeur morale, jaloux, violent, macho, pauvre, et pour parfaire le tableau, des antécédents familiaux macabres. Il était son extrême opposé !                                                                             Il deviendra pourtant le père, enfin, le géniteur, de deux de ses trois enfants. En effet, homme sans cœur, il ira jusqu'à refuser d’adopter Ondine, la fille d’Adèle, en fait la filleule qu’elle avait choisi d’élever à la place d’un autre frère irresponsable et absent. Pour ma part, j’ai coutume de dire que, s’il y a bien quelque chose de pire que de ne pas avoir de père, c’est d’avoir le mien ….                                                                                Sociopathe flamboyant, entouré d’une aura de bagout et d’humour, il donne parfaitement le change, mais il est incapable d’aimer, pire, il est dépourvu de toute humanité.             Dans le langage psychologique on les appelle aujourd’hui : des pervers narcissiques.                                                                    A l’époque, c’était l’HOMME, elle l’épouse. Même si financièrement c’est elle qui gérait et assumait la famille, elle n’en restait pas moins qu’une femme, au sens le plus réducteur que cela pouvait avoir il fut un temps…                                        Il la trompera, l’humiliera, la ruinera, l’abandonnera et détruira ses enfants ! Drôle de famille, drôles de parents ! Que du raté ! Du tragique, de l’insupportable !                                                Cet homme a le secret du malheur et qu’on se le dise, il y avait deux personnes derrière mon frère le jour où il a décidé de plonger de ce pont : notre père et cette femme.                          Ma chance à moi, à l’instar de Marius, ce fut d’avoir très vite compris que les liens du sang ne font pas tout, que la reconnaissance familiale est autre que biologique.

D’ailleurs si on remonte dans l'histoire, la filiation se faisait par la mère, la seule personne qui pouvait être “légitime” par rapport à l’enfant. Le droit paternel est survenu “grâce” ou à cause d’une certaine division des tâches qui s’apparente à une prise de pouvoir. Ce n'est pas parce que la plupart d'entre nous a pour besoin psychologique de baliser sa vie et de s’apparenter à une famille, à un groupe, un clan, une tribu, que cela rend l'a-mour d'un père pour son enfant ou d'un enfant pour son père, invariable, inéluctable.                                                                 Ce n’est que ce que la société bien-pensante essaie de nous faire croire, mais ce n’est qu’un mensonge !! Cette condition de parent, d’enfant, ne reste finalement qu’une histoire de titre, qu’un système de hiérarchisation familiale! Du rapetissé, de l’étroit, du carton-pâte !                                                       C’est d’ailleurs ce conditionnement de masse qui a induit la plus grosse erreur de ma mère. Habitée qu’elle était par ce rôle incroyablement difficile de mère, elle ne s’est jamais résolue à nous dire assez tôt que non, effectivement, ce type ne nous aimait pas, qu’il en était d’ailleurs incapable et que nous devions très vite faire le deuil d’un père.                                 Si seulement elle avait été sincère, avec elle-même d’abord, et par extension, avec ses enfants bien sûr...

Une seule fois. Par hasard ou par inadvertance. Un élan… A la place, elle s’est perdue dans des considérations tarabiscotées, agrémentées de-ci delà d’arguments pseudo- psychanalytiques, piochées au gré de ses innombrables bouquins.

Elle avait justement tendance à vivre ses lectures plutôt que sa vie.

On est passé par tous les argumentaires possibles et imaginables : de la thèse de l’historique familial bien lourd, en passant par sa qualité d’enfant d’immigrés, où il fallait bien admettre, qu’il n’était pas évident d’être de cette vague de primo arrivants dans une France raciste. Le fait d’aller à l’école avec des sous-vêtements troués et des souliers qui avait fait le tour d’une famille de huit enfants, et tout un tas d’excuses plus ou moins valables…Enfin si on admet que c’est uniquement notre environnement qui est la cause essentielle de notre comportement… Personnellement, je n’adhère absolument pas à cette théorie qui n’existe que pour rassurer les faibles.

Plutôt que de nous enfermer dans la dépression ou, dans l'automystification, le déni des souffrances ou encore, plus fréquemment de reproduire à l’identique des schémas qui nous ont été infligés durant notre enfance, sachant combien ils nous ont ruinés, il nous appartient de chercher à nous en sortir en comprenant quels sont nos vrais besoins.

Accepter de se confier à un témoin empathique, apprendre à aimer l'enfant que l'on fût, lever le refoulement et vivre ses émotions comme la peur, l’indignation, la colère, faire preuve d’une volonté à toute épreuve devant ce que l’on condamne farouchement, intimement, car nous avons eu à en baver, apprendre de la vie, tel est le chemin par lequel passe la véritable liberté spirituelle.                                                                        L'adulte que nous sommes devenu peut se pencher vers son enfant intérieur et lui dire : « je suis là pour toi».                     C'est extrêmement bénéfique !                                               L'enfant que nous avons été se sent enfin compris et protégé. On ne peut pas priver un enfant de sa vérité.

« Il n'est jamais trop tard pour avoir une enfance heureuse »…  

Peut-être que dans mon cas, la situation m’est apparue plus rapidement et clairement qu’à mon frère, bien qu’il m’ait quand même fallu essuyer quelques déceptions et beaucoup de peine, car tout bonnement j’étais une fille.

En plus d’être très indifférent, souvent absent, menteur, colérique, et mégalomane, Diego avait un coté misogyne indiscutable. Particulièrement hostile et froid avec moi, j’eus vite fait de remarquer combien il méprisait les femmes de manière générale.

Elles n’étaient pour lui que des objets de désir, mais uniquement dans la perversion, toujours avilissant, toujours sale, clairement obsédé sexuel. Le percer à jour devenait plus simple pour moi que ce ne l’était pour Marius.   

Quoi qu’il en soit, Adèle a cru qu’au contraire il était de son devoir de maintenir l’illusion.                                              Elle a essayé avec toute sa bonne foi de nous expliquer :

-« Bien sûr que votre père vous aime !!! Mais enfin ! Vous ne devez jamais douter !… »

Conséquence largement prévisible de ce discours : longtemps mes rapports avec les hommes ont été faussés. Forcément !        Si comme base de départ on arrive à vous convaincre que c’est « ça » l’amour, par la suite, même les miettes données par de sombres connards, vous apparaîtront des preuves irréfutables d’une passion digne des plus beaux contes de fées...

Heureusement, j’ai eu, ce qu’avec le recul je considère être aujourd’hui une véritable planche de salut, la chance de voir clair dans la vraie nature de cet homme, sans valeur ni respect, intéressé par sa seule unique, petite, ridicule, et mon Dieu inintéressante personne.

Encore une fois que du vulgaire, du mesquin.

Parallèlement, et ça je ne me l’explique toujours pas, mon frère a toujours guetté des marques d’attention, des témoignages d’affection, le fameux : « je suis fier de toi mon fils... », à la manière de Don Corleone dans Le Parrain.                            Voilà encore, sans nul doute, un poids supplémentaire qui a encore alourdi, son déjà bien pénible fardeau.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5

 

Des sept années qui ont suivi son retour de Pointe Noire, les quatre dernières ont été les plus douloureuses. Seule notre mère, indéfectible supportrice, est restée, résiliente et inusable face aux abominations que s’est infligé Marius.  

Sa souffrance était devenue tellement insoutenable que par trois fois il avait déjà jeté l’éponge : quand son ex-copine l’a-vait quitté, quand son commerce avait périclité, et quand ses soucis d’argent étaient devenus insupportables.                       Chaque fois il fût sauvé in extremis par cette robuste grande dame !                                                                                           Mais il ne supportait plus d’avoir la sensation d’être un poids pour les autres, lui qui accordait une importance toute particulière à sa « Figure », comme on dit dans le Sud de la France.      L’un des piliers de sa définition personnelle cette fierté, à la fois bénéfique et néfaste, profitable et dangereuse…               "De sa haine aux abois la fierté se redouble." Et dans le cas de Marius elle était devenue trop excessive. Il l’utilisait à contre-emploi.En même temps, comment pouvait-il le vivre autrement ?   

Imaginez-vous deux secondes à sa place : il avait côtoyé les sommets, il menait en Afrique une vie de Pacha : grande maison, serviteurs, voitures haut de gamme, voyages…                  Je me souviens encore avec précision, quand j’ai débarqué, alors âgé de 14 ans, à Pointe-Noire, pour échapper au divorce sordide de mes parents.                                                         Il était venu me chercher sur le tarmac, à l’atterrissage de mon avion, avec le service d’ordre du président congolais, habillé d’une chemise et d’un pantalon blanc de grand couturier.

Je ne l’avais pas vu depuis 7 ans.   

Teint mat, silhouette de surfeur, sourire aux lèvres, il m’avait fait découvrir son monde. Restaurant matin, midi et soir, soirée branchée en compagnie de la Jet set locale, belle maison sur deux niveaux, domestiques...   

Il ne se refusait rien ! Même sa bibliothèque était remarquable, il se l’était fait faire sur mesure, chaque ouvrage avait été relié dans un cuir luxueux et le titre y était incrusté en filigranes d’or. Seigneurial !                                                                Il avait d’ailleurs une anecdote à ce propos qui définissait assez bien les libertés qu’il pouvait se permettre.                            En pleine montée de la polémique, il s’était appliqué à faire relier les «Versets Sataniques » par le restaurateur qui avait pignon sur rue à Pointe-Noire et qui était, il faut quand même le savoir et l’intégrer, musulman pratiquant.                         Rappelons que leur auteur, Salman Rushdie, fut désigné comme « homme à abattre » et une fatwa fût émise contre lui en 1989 par l'ayatollah Khomeyni, car son livre «offensait l'Islam, le Prophète et le Coran» !

L’écrivain fut même placé sous la protection de Scotland Yard.Marius, lui, sa petite farce l’avait fait mourir de rire !                 Il était comme ça, Marius, effrontément drôle, intrépide, parfois inconvenant, il n’avait peur de rien ni de personne.             Iconoclaste, rebelle, bravant les interdits, victime grandiose, donc fatalement tragique, les difficultés se dressant devant lui, l'anathème le frappant, et le vouant à l'enfer, à l’image de tous ces personnages de littérature classiques, trop flamboyants aspirant à une surhumanité venue du fond des âges.                     Sauf que ce pessimiste, ou plutôt, cette perspicacité ironique, ce regard lucidement moqueur et avouons-le quelque peu hautain, constate l’absurdité de la vie.                                           Il y eut aussi cette fois où il se retrouva à partager la même table que Jackie Onassis et son aussi célèbre armateur de mari, et où ce fut lui au final l’attraction de cette soirée.                    Drôle, brillant, il s’était mis une salle hilare dans la poche en l’espace de quelques heures.                                                 Marius menait grand train et il le faisait avec délectation.  

Il ne boudait pas son plaisir. Il aimait sa vie et entendait bien en profiter le plus, et le mieux du monde !                                     Alors imaginez : se retrouver seul, sans un sou, complètement tributaire de ses proches. Seul avec le souvenir de ce passé fastueux. L’alcool est vite devenu son meilleur et plus fidèle ami.           Il a bien eu quelques histoires qui, telledes bouffées d’oxygène après un risque de noyade, lui avaient donné une nouvelle impulsion. Malheureusement il semble qu’il faille naître sous les bonnes étoiles…                                                                         Et ce n’est pas la chance des membres de cette famille!    

    Lui qui avait toujours vécu sa vie à trois cent pour cent, brûlant la chandelle par les deux bouts, parcourant le monde au gré des compétions de surf, aventurier dans l’âme, il avait été surpris par cette chute incontrôlable, inattendue, même s’il savait que l’Afrique était un pays instable où les coups d’états renversaient des situations plus sûrement que n’importe où ailleurs. Ce retour en France, violent, c’était comme si on lui avait coupé les ailes en plein vol.                                                       Lui qui était de ceux qui estiment que « la vie ne se compte pas en respirations, mais par les moments qui t'ont coupé le souffle », il était presque concevable, qu’à l’image de son vécu, il choisisse sa conclusion :

C’est lui qui a décidé quand dire stop et comment tirer sa révérence !                                                                                           Nous ne sommes pas dans le récit tragique d’une personne fragile et suicidaire. C’est l’histoire d’un homme qui a décidé de choisir sa mort ! Parce que quand c’est trop, c’est trop !   

Toutes ses tentatives ont échoué, tout s’est soldé systématiquement par de la laideur, de la noirceur, l’échec.

 

Alors juste STOP !                                                                                                                                   Il ne s’agit pas ici d’un individu faible qui a jeté l’éponge. C’est au contraire une preuve de force. Il a voulu aller jusqu’au bout de lui-même, malgré son mal à l’âme, malgré ses chagrins, ses déboires et ses désillusions. Lui, il a voulu explorer toutes les pistes, de sa façon si particulière, parfois maladroite, souvent trop bruyante, mais il a tout tenté et de toutes ses forces.

Et même si la fin était prévisible, plus qu’on n’aurait voulu l’admettre, il a essayé, désespérément, tragiquement, mais putain… il a essayé ! À en perdre le souffle, à en perdre la vie !    

 

 

 

6

 

C’est donc un peu dans cette configuration complexe qu’a débuté sa romance avec Géraldine.                                        Très fragilisé et torturé, il a quand même voulu croire en cette histoire pleine du « lui d’avant », pleine de souvenirs d’Afrique, comme un rebond revigorant dans ce passé dont il était si terriblement nostalgique. Au départ, cela lui a fait un bien fou !                                                                                      Du côté d’Adèle, c’était avec une sorte de soulagement qu’elle envisageait cette nouvelle liaison.                                              Libérée d’un tourment quotidien, elle y voyait une véritable promesse de lendemain chantant.