Hazel eyes - Tome 1 - Tarah Desert - E-Book

Hazel eyes - Tome 1 E-Book

Tarah Desert

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Beschreibung

                        Des êtres Humains évolués.

                                          A

                                           Z

                                           E

             La quête spiritueLle d’une âme en peine.

                                          E

                                          Y

                     Des destins Etroitement liés.

                                          S

Voici ce qui vous attend en ouvrant ce livre, mais un conseil :

Chaque détail a son importance, alors concentrez-vous.

La solution se trouve peut-être à portée de main.










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Tome 1 : DONS

 

 

 

Ce livre est une fiction. Toute référence à des évènements historiques, des personnes ou des lieux réels serait utilisée de façon fictive.

Le monde enchanté, inventé par l’auteur, s’est inspiré de la mythologie égyptienne qui a dû être en partie modifiée pour répondre aux contraintes liées à l’histoire. Les noms des dieux ont été conservés.

Les autres noms, personnages, lieux et évènements sont issus de l’imagination de l’auteur, et toute ressemblance avec des personnages vivants ou ayant existé serait totalement fortuite.

Copyright ©2024 by Tarah Desert

Tous droits réservés, y compris le droit de reproduction de ce livre ou de quelque citation que ce soit, sous n’importe quelle forme.

« Le Code de la propriété intellectuelle et artistique n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article L.122-5, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l'article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. »

Titre de l’édition originale : HAZEL EYES

Couverture : © Nat H Art’s

Logo : © Tarah Desert

ISBN : 978-2-38625-169-6

Dépôt légal :mars 2024

 

 

 

 

 

À Grisgris,

pour avoir égayé nos vies et su prendre ta place dans notre famille.

 

À mes voisines préférées, Romane et Pauline.

 

À Louise et Gabriel.

 

 

PLAYLIST DE HAZEL EYES

 

Voici quelques chansons qui ont accompagné l’écriture de HAZEL EYES

Gymnopédie No 1 de ErikSatie

Thalath Daqat de Abuet Yousra

All Along the Watchtower de Jimmy Hendrix

Nouzha de Akim ElSikameya

J’t’emmène au vent de Louise Attaque

J’irai où tu iras de Céline Dion

Mariage d’amour de Chopin

Les noces de Figaro de Mozart

Happy de Pharrel Williams

Still Loving You de Scorpions

Hotel California de Eagles

 

Retrouver la playlist complète de HAZEL EYES sur Spotify :

 

 

 

Note pour le lecteur : Les dialogues enitaliques et en Times New Romansont les dialogues menés par télépathie.

Prologue : Origine du monde et mythologie égyptienne

 

« La science est une bénédiction pour qui la saisit et une malédiction pour qui la fuit, mais on ne doit jamais être orgueilleux de son propre savoir puisqu’il n’y a pas de limite dans la science et que personne ne peut arriver à la perfection. »

Ptahhotep

 

Au commencement, une étendue d’eau, ténébreuse, illimitée, impalpable et sans direction constituait le néant. Appelée le Noun, cette substance était personnifiée par quatre couples de divinités, masculines ou féminines, et chacune d’elles symbolisait l’un des quatre principes de la substance primitive. Elles étaient nommées l’Infini, l’Obscurité, l’Invisibilité et L’Errance. Cet océan primordial, inerte et paisible, effrayant, mais inoffensif, se complaisait dans son état d’inconscience en arborant avec modestie un équilibre parfait et éternel, à l’image de ses divinités originelles. Le Noun était pourtant d’une richesse incommensurable et disposait de tous les éléments nécessaires à la Création. Un jour, dans les tréfonds de son immensité, une variation minime et presque imperceptible le déstabilisa. Cette hypostase infinitésimale possédait l’essence des origines et la connaissance absolue du tout. En prenant conscience de son existence et par la force de sa volonté, elle se développa avec véhémence jusqu’à devenir le Tout-Puissant, le Démiurge. Cet être suprême prononça alors son nom et le monde comprit que le premier dieu primordial s’était réveillé. Atoum, dont la solitude lui pesait, cracha puis éternua, et par cet acte, il fit émerger du Noun deux dieux primordiaux, qu’il appela Shou et Tefnout. Le dieu de l’air et la déesse de l’humidité, nouvellement nés, décidèrent de partir ensemble explorer les eaux primitives, mais sans leur père, ils s’y perdirent. Atoum envoya à leur recherche son œil divin, une puissance brûlante et explosive, le dieu soleil Ré. L’intensité de la lumière qui jaillissait de son essence l’aida à retrouver les disparus et à les ramener auprès du Créateur. Soulagé de leur retour, Atoum versa des larmes dans le Noun.

Shou et Tefnout s’unirent et de leur amour naquirent Geb et Nout. Ces progénitures divines étaient si étroitement enlacées que le néant lui-même ne pouvait circuler entre eux. Leur père voyait ses enfants infertiles et s’inquiéta, puis sous l’ordre d’Atoum, il décida de les séparer. Shou plaça son fils, le dieu de la terre, en dessous de sa fille, la déesse du ciel, et avec l’aide des divinités originelles, la magie opéra. La première planète naquit. Elle fut appelée la Terre. Puis de nombreux corps célestes apparurent jusqu’à former l’Univers tout entier.

L’Infini devenu Fini.

Lorsque la planète bleue émergea du Noun par le pouvoir des dieux, Atoum autorisa son œil divin à évoluer à distance, mais il obligea Ré à entreprendre une course bien définie dans le ciel. À bord de sa barque enchantée, il éclaira des astres nouvellement conçus qui se mirent à graviter autour de lui à une vitesse régulière et incroyablement rapide. Le premier système Réaire vit le jour.

De l’Obscurité jaillit la Lumière.

En signe de l’amour infini du Créateur envers ses enfants, les larmes d’Atoum apportèrent sur Terre le mouvement, la conscience et le temps, qui se manifestèrent de différentes façons. Une multitude de cellules microscopiques, au pouvoir extraordinaire, se développèrent pour se regrouper à leur guise et former deux familles interdépendantes : la flore et la faune. Parmi celles capables de se mouvoir selon leur propre volonté, une espèce animale fut vantée par le premier dieu primordial comme l’apogée de son expression créative et vivante. Elle fut appelée l’Homme.

De l’Invisible émergea le Visible.

Atoum hébergea ses créations complexes sur la planète bleue et Ré resta à proximité pour les guider. L’environnement dans lequel évoluait la vie devait représenter un lieu d’exploration infini, alors le Créateur demanda aux dieux primordiaux d’y établir les règles nécessaires à son équilibre et accepta en retour qu’ils y séjournent. Dès que la tâche fut terminée, les Humains sortirent de leur ville natale, Héliopolis, pour parcourir leur nouveau terrain de jeu. Or, seuls ceux qui en comprirent les rouages parvinrent à découvrir tous ses mystères, puis à transmettre leurs savoirs à leurs semblables. Grâce aux plus téméraires d’entre eux, les mortels purent, avec le temps, conquérir tout le territoire offert par leur Créateur.

De l’Errance, la Direction apparut.

Ainsi le Noun abritait l’Univers d’Atoum, la Terre recueillait les descendants du premier dieu primordial et l’œil divin Ré les protégeait.

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1 : À la découverte de l’Angleterre

 

« À partir de l’incertitude, avancer tout de même. Rien d’acquis, car tout acquis ne serait-il pas paralysie ? L’incertitude est le moteur, l’ombre est la source. Je marche faute de lieu, je parle faute de savoir, preuve que je ne suis pas encore mort. »

Philippe Jaccottet

 

Rhéa

Vendredi 1er août

Mon cœur se serre, mes pensées s’enfouissent et mon regard se perd à travers la vitre. Le temps est maussade et la pluie, tombant à grosses gouttes, incite les passants à déployer leur parapluie. Comme je le désirais, mon moral peut à présent s’aligner sur la météo estivale d’un mois d’août. Le savoir m’apporte un certain réconfort, mais la tristesse m’oppresse toujours autant, telle une chape de plomb m’étouffant à petit feu. Je prends alors une grande bouffée d’air et tente d’apaiser mon rythme cardiaque en contemplant à nouveau le paysage extérieur. Devant mes yeux fatigués se dressent quelques bâtiments dont la façade s’accorde aux tons grisâtres et menaçants du ciel orageux. La circulation se révèle, quant à elle, plutôt calme et organisée. Des taxis, garés sur le bas-côté, attendent patiemment que des voyageurs fassent appel à leurs services pour les mener à bon port et d’ailleurs, une queue commence à se former. Mon regard se porte soudain sur une femme, toute de noir vêtue, dont les traits tirés laissent percevoir un sentiment d’urgence et de désespoir. Cette quadragénaire traverse le passage piéton en hélant un chauffeur et quelques secondes plus tard, la voiture démarre sous les yeux exorbités de la foule. Mon allure actuelle ressemblerait-elle à la sienne ? Cette possibilité me déprime un peu plus et je soupire de lassitude en prenant conscience de mon piètre état mental. Sans crier gare, je suis sortie de mes pensées moroses par des cris stridents et mon corps se crispe aussitôt. Attirée par le vacarme, ma tête se tourne d’instinct vers la droite et mes épaules se relâchent en découvrant un enfant en pleine crise de nerfs. Cette vision incarne le résultat classique d’une mère refusant de céder aux caprices de son petit. Observer le trublion se rouler par terre, étire mes lèvres et tord mes entrailles à la fois. Il me fait penser à Agapé et cette évidence m’incite à m’éloigner au plus vite pour empêcher mes émotions de déborder.

J’ai atterri à Londres il y a moins de quinze minutes et malgré ma peine, l’excitation commence à monter. Du coin de l’œil, je guette à présent l’arrivée de mon sac de randonnée sur le carrousel à bagages. J’ai essayé de partir légère et avec une certaine fierté, je suis parvenue à emporter avec moi dix-sept kilos en soute et sept kilos en cabine. Pour ce road trip d’un an, je me déleste finalement d’un poids incommensurable, celui de la routine meurtrière et du confort matériel, que je visualise comme des entraves à ma liberté déjà tant limitée. Aujourd’hui, je n’aspire plus à rien ou peut-être que j’attends tout de la vie, au contraire. Bien trop égarée pour poursuivre naïvement mon existence insipide, j’ai décidé de prendre une année sabbatique à trente-trois ans, dans le but de m’octroyer une pause bien méritée et penser à mon avenir. La démarche n’est pourtant pas courante à mon âge. La plupart du temps, les Humains la réalisent au cours de leurs études ou avant de démarrer dans la vie professionnelle, mais fidèle à mon statut d’être à part, j’ai tout laissé derrière moi. Huit années de bons et loyaux services m’ont en définitive amenée à tout perdre et ce rappel ravive ma douleur, dans une brûlure intense et profonde, presque impossible à soulager. Soudain, j’aperçois Grigris au loin alors sans attendre, je me fraye un chemin à travers la foule de vacanciers pour le rejoindre. Tel un animal de compagnie fidèle, j’ai baptisé de ce nom mon sac de randonnée afin de me sentir un peu moins seule au cours de ce périple. Le voir me réconforte et même si mon sentiment peut sembler absurde, il marque le début de mon voyage qui peut maintenant commencer sereinement. Je le récupère ainsi de justesse et me gratifie de ma pratique sportive régulière, car mon bagage, aussi léger soit-il, reste un poids lourd à soulever. Ces dernières semaines, j’ai couru chaque jour entre cinq et quinze minutes pour passer mes nerfs. Il m’est de même arrivé d’utiliser mon elliptique, en visionnant un film d’action ou de suspense, mais j’ai préféré bannir pour le moment les romances, incompatibles avec mes états d’âme. D’autre part, j’ai pris le temps de feuilleter des livres de développement personnel sur la gestion des émotions, sans résultat probant. Mes principales occupations de la semaine ont ainsi été de préparer mon sac, manger et pleurer. Enfin, pour être honnête, surtout les deux dernières. J’ai dû m’enrober de trois kilos depuis the Day avec toutes les tablettes de chocolat et les bonbons dont je me suis gavée à chaque crise de larmes. Or étant venue ici avec l’intention de laisser libre cours à ma déprime, mon apparence physique ne devrait pas m’importer outre mesure. D’ailleurs, les prochains jours remédieront rapidement à ce changement corporel et le savoir me met du baume au cœur.

Sur cette note d’espoir, je me dirige vers la sortie et après avoir traversé plusieurs halls, j’atteins celui du Terminale Humain numéro un. Je prends dès lors le temps de désactiver le mode avion de mon téléphone portable, puis de constater avec tristesse l’absence de messages et mes yeux se posent un instant sur l’écran d’accueil. Il est onze heures cinquante en heure locale. Sachant qu’une personne doit venir me chercher devant les guichets de location de voiture dans dix minutes, je m’avance avec entrain vers la zone indiquée sur les panneaux d’affichage. J’ai prévu de commencer mon périple par un trekking organisé de quinze jours, afin de découvrir la région du Lake District, qui se situe à environ cinq heures de route de la capitale. Participer à un voyage all inclusive présente de nombreux avantages, dont le fait de ne rien avoir à penser avant le départ. Pour dire, je n’ai pas pris le temps de m’intéresser au programme ou au comté dans lequel nous allons randonner. Les informations dont je dispose se révèlent être limitées, mais je sais malgré tout que le parc national est réputé pour ses montagnes au relief accidenté et qu’il y pleut souvent. J’ai toujours recherché la paix intérieure ainsi que la sérénité dans la nature, alors mardi matin, cette activité m’est venue à l’esprit telle une évidence et sur un coup de tête, j’ai pris ma décision. J’ai trouvé une destination où mon moral serait aligné à la météo puis sur le site d’une agence de voyages recommandé par mon moteur de recherche, j’ai réservé la première proposition suggérée, sans réfléchir outre mesure. Même si me déplacer dans des zones peu peuplées m’est fortement déconseillée, je me suis autorisée une folie, car les risques sont limités auprès des Humains et puis j’ai pris mes précautions. Convaincue de mon choix, je dépose Grigris à mes pieds et patiente. Les minutes passent, les unes après les autres, puis un couple s’arrête à un mètre de moi et, sans même me regarder, les amants se retournent pour m’offrir leur dos. Une femme les rejoint, aussitôt suivie par un autre voyageur, et en quelques battements de cils, je suis entourée de huit individus dont les échanges ne me laissent aucun doute sur leur nationalité. Nous avons incontestablement pris le même avion en provenance de Marseille. N’ayant aucune envie de sociabiliser, je m’écarte de l’attroupement avec une certaine gêne, mais je me promets de faire bonne figure dès demain. Soudain, un homme, d’une trentaine d’années, arrive d’un pas décidé vers nous, en tenant d’une main une pancarte sur laquelle est écrit « Trekking Paradize ». Un sourire éclatant illumine ses traits masculins et sur un ton charmeur, l’individu prend la parole :

— Good morning everyone and welcome to England! My name is John Watterson. It’s my pleasure to be your guide during these two weeks1. Oh, ne vous inquiétez pas, je maîtrise aussi très bien le français.

Les épaules de certains voyageurs s’abaissent en signe de soulagement et mes lèvres s’étirent malgré moi. Considérant l’anglais comme ma langue maternelle, je la parle couramment depuis toujours et d’ailleurs, en passant la plus grande partie de ma vie en France, je suis parvenue à devenir bilingue bien avant ma majorité. Cette pensée ravive de vieilles émotions et sans y prêter attention, monsieur Watterson poursuit son discours avec la politesse caractéristique des Britanniques :

— J’espère que vous avez tous effectué un agréable voyage et que vous êtes excités par cette nouvelle aventure. Pour ma part, je suis ravi d’être parmi vous aujourd’hui. Sachez que je ferai tout mon possible pour rendre cette expérience fantastique. Je tiens à présent à vous fournir quelques renseignements. Tel que spécifié dans mon mail, nous dînerons ce soir à Manchester, puis nous dormirons dans un hôtel situé au centre de la ville afin de reprendre la route pour Ambleside à l’aube. Demain, vous aurez quartier libre jusqu’à seize heures. Nous nous retrouverons tous à ce moment-là dans les locaux de Trekking Paradize et j’y animerai une réunion lors de laquelle les dernières informations sur l’organisation du trekking vous seront transmises. Pour rappel, la marche débutera dimanche.

Le guide sort à la fin de son discours un papier froissé de sa poche afin de vérifier nos identités. À l’appel de son nom, Marie Bonnet, la petite femme blonde aux cheveux tressés, du seul couple participant à l’aventure, s’avance d’un pas rapide et montre son passeport. Monsieur Watterson la gratifie de son beau sourire, puis appelle son mari, Arnaud Bonnet, au moment où un individu, vêtu d’un anorak kaki et dont la capuche couvre la totalité de son front, l’interpelle. L’importun chuchote à son oreille et à la seconde où il relève la tête, j’ai la sensation que ses yeux me sondent derrière sa paire de lunettes de soleil opaque. L’homme pointe alors la liste et trace avec son doigt une ligne imaginaire. Par ce geste, le guide frémit légèrement, mais acquiesce en affichant à nouveau une mine enjouée. Ce comportement étrange m’amène à croire que le perturbateur est l’un de ses supérieurs et par la suite, cette hypothèse s’installe dans mon esprit, en tournant en boucle, puis disparaît brutalement, dès que notre accompagnateur reprend l’appel :

— Arnaud Bonnet, Benoit Roman, Mark Calisson, Laura Mendes, Nathalie Poulain, Frédéric Pichot, Caroline Dubois…

Monsieur Watterson marque un temps d’arrêt, fronce les sourcils et rive son regard vers le mien avant d’affirmer :

— Vous devez être madame Rhéa Soumaya, n’est-ce pas ?

J’acquiesce d’un signe de tête et le guide déclare :

— Il manque Elijah Stoica. Je vous prie de bien vouloir l’attendre quelques minutes avec votre chauffeur ici présent.

John Watterson me montre l’homme à l’anorak kaki et poursuit sur un ton d’excuse :

— Je ne dispose que de huit places dans ma voiture. Monsieur Korhonen a gentiment accepté de vous accompagner jusqu’à Ambleside. Il faut savoir qu’il ne parle pas le français. Est-ce un souci pour vous ?

Je réponds par la négative et le guide me remercie puis invite les voyageurs à le suivre. Après que le groupe soit parti, un silence malaisant s’installe entre nous. En effet, mon chauffeur s’est positionné à mes côtés et sans un mot, il a décidé de se concentrer sur la poubelle d’en face. Je lui jette quelques coups d’œil sans parvenir à capter son attention, alors embarrassée, un soupir m’échappe et mes yeux observent l’écran d’accueil de mon téléphone pour compter les secondes. Au bout de deux minutes, qui m’ont semblé durer une éternité, l’individu à l’anorak kaki saisit son portable d’une main, décroche et seuls des sons gutturaux traversent la barrière de ses lèvres pincées. L’importun termine en acquiesçant puis se tourne dans ma direction et d’une voix profonde, il me précise que l’heure est venue de partir. Je profite du fait que l’homme ait amorcé la conversation pour lui demander si Elijah Stoica est arrivé et monsieur Korhonen me répond par la négative. Dès lors, je m’abaisse, récupère les bretelles de Grigris, puis essaye de le remettre sur mon dos avec une certaine difficulté. Chose faite, j’observe, sidérée, mon accompagnateur déjà loin devant moi, mais tout à coup, il se retourne et me lance d’un ton sec :

— Dépêchez-vous. Nous devons rejoindre Manchester avant dix-sept heures.

La froideur de ses paroles m’étonne et mes sourcils se froncent, mais par politesse j’avance vers lui d’un pas rapide, en lui offrant un sourire qui n’atteint pas mes yeux. J’espère de tout cœur ne plus revoir cet homme dès que nous aurons regagné Ambleside. Monsieur Korhonen a les mains libres et je suis offusquée qu’il ne me propose pas son aide, mais aussitôt, je me rabroue intérieurement. Pouvoir me débrouiller seule dans n’importe quelle situation devrait être un objectif en soi et d’ailleurs, je n’ai besoin de personne dans ma vie, enfin sauf d’Agapé. Ne souhaitant montrer aucune faiblesse à ce manant, je marche la tête haute et d’un pas déterminé. Nous passons une porte vitrée, puis une seconde, et lorsque je suis essoufflée et pleine de sueur, nous parvenons à sortir de l’aéroport. Sans crier gare, l’odeur du pétrichor me monte au nez et mes yeux se ferment quelques instants pour en apprécier la fragrance si particulière. À l’instant où mes paupières s’ouvrent, je constate que mon chauffeur a déjà atteint l’autre côté de la chaussée et, agacé, il me fait signe d’avancer vers l’une des voitures les plus chères au monde. Monsieur Korhonen grimpe dans un Range Rover Sentinel et la surprise me laisse sans voix. Des souvenirs d’un passé lointain me reviennent brusquement en mémoire et je peine à cacher mon trouble. Mon père possédait le même modèle de couleur noire, mais celui-ci, gris métallique, se révèle plus discret et je l’apprécie davantage. L’un de mes rêves d’enfant était de conduire le véhicule familial et pour cette raison, je jubile à l’idée de passer quelques heures à l’intérieur. Je me mentirais à moi-même si je réfutais mon faible pour les voitures de luxe et d’une manière générale pour les matériaux de qualité. Or, je n’ai plus le loisir d’en profiter depuis bien longtemps et en le réalisant, mon humeur maussade disparaît comme par enchantement. Je rejoins sans attendre monsieur Korhonen, afin d’admirer ce bijou de plus près, puis après avoir déposé Grigris dans le coffre, je m’installe à l’arrière du quatre-quatre. Un large sourire est accroché à mes lèvres, mais à regret, ce dernier meurt en prenant conscience qu’une vitre sombre me sépare de la partie conducteur. Observer le tableau de bord au cours du trajet me sera impossible, alors mes épaules s’affaissent et je soupire de lassitude. Moins d’une seconde après avoir pu boucler ma ceinture, le Range Rover Sentinel démarre en trombe et dans un crissement de pneu mon corps est plaqué contre le siège. Dès que nous rejoignons la M40, le conducteur adopte une allure plus régulière, ce qui me permet de me détendre un peu et de m’installer plus confortablement. Mes écouteurs en place, je lance avec plaisir maplaylist « Symphonie ». Gymnopédie No 1 d’Erik Satieretentit dans mes oreilles et aussitôt la douce mélodie réchauffe mon cœur et me fait oublier les secousses erratiques de la voiture. Je pose ainsi la tête contre la vitre et regarde avec attention le paysage environnant défiler. La nature est verdoyante et malgré les nuages sombres obscurcissant le ciel, quelques rayons parviennent à les traverser. Ils éclairent d’une lumière presque mystique les bosquets et je me demande si mon expérience sera à l’image de ce spectacle saisissant. Ma volonté d’exister pourrait-elle être assez forte pour repousser les ténèbres ? Cette interrogation bouscule mon esprit, mais mon rythme cardiaque s’apaise et je finis par m’endormir paisiblement.

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 2 : Trouver la cible

 

« L’archer a un point commun avec l’homme de bien : quand sa flèche n’atteint pas le centre de la cible, il en cherche la cause en lui-même. »

Confucius

 

Ezékiel

Vendredi 1er août

Un peu plus tôt.

Assis, seul, à une table ronde et bancale d’un des cafés londoniens de l’aéroport d’Heathrow, je fais le point sur la situation. Les randonneurs de la première session d’août doivent se présenter dans dix-sept minutes sur le lieu de rendez-vous, à une dizaine de mètres devant moi, et pour le moment, je n’en ai repéré aucun. Ma tête tourne à nouveau vers le tableau d’affichage installé à ma droite et je vérifie une énième fois l’heure d’arrivée du vol de la compagnie française. L’Airbus A319 s’est posé quinze minutes plus tôt et j’en ai obtenu la confirmation par mon équipe, alors à l’approche de l’heure fatidique, je redouble de vigilance. D’après les recherches du client, la cible devrait faire partie de l’arrivage du jour et je l’espère sincèrement. En effet, nous avons pour mission d’identifier l’individu, de le réceptionner en toute discrétion puis de le livrer aux forces de l’ordre humaines, de préférence avant la fin de la semaine. Toutefois, le peu d’informations dont je dispose m’amène à prendre un risque trop élevé à mon goût et le savoir augmente mon irritabilité. En sus, pressée par le temps, mon équipe n’a pu vérifier qu’en partie les données transmises par le client et dans ces circonstances, tous les scénarios sont à étudier, même les plus improbables. La cible pourrait être armée, violente et si elle possède une déficience mentale ou est simplement suicidaire, elle serait en mesure d’user de ses facultés en public. Or, aucun dommage collatéral n’est envisageable et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nos clients font appel à l’ACE. Je n’écarte pas non plus la possibilité que l’individu ne se présente pas aujourd’hui et ce scénario me déplaît au plus haut point. J’exècre perdre mon temps, mais malheureusement, même son genre nous est inconnu et ce constat ne me laisse qu’une seule envie : tout faire trembler. À l’accoutumée, je confie ces tâches aux membres de mon équipe et coordonne à distance les opérations. Ainsi, Aiden, mon second, aurait dû se trouver à ma place, mais à l’heure actuelle, même en étant borgne de l’œil droit, mon état de santé s’avère meilleur que le sien. Dans un soupir discret, je tourne en douceur ma cuillère dans le café noir qu’un serveur en uniforme rouge est venu m’apporter, puis le porte à mes lèvres. Le goût amer et puissant du breuvage envahit aussitôt mes papilles et m’amène à retenir un haut-le-cœur. Inutile d’insister, cette boisson humaine se révèle toujours aussi infecte pour mon fin palais, habitué à de meilleures saveurs. Finalement, cette expérience confirme ma vision sur ces bipèdes : des êtres à l’énergie comparable à une batterie non rechargeable essayant à tout prix de prolonger leur durée de vie, bien entendu sans succès. Dire que ces derniers dirigent le monde… Nous, au moins, n’avons besoin de personne.

Je repousse ma tasse fumante au bord de la table circulaire et lève la tête au moment où une femme s’arrête au niveau des guichets de location de voiture. Le regard rivé sur la voyageuse, j’observe avec attention ses moindres faits et gestes en mémorisant chaque détail au cas où une traque devrait être lancée. L’Humaine est chargée de deux sacs. L’un, de petite taille, est positionné devant elle, tandis que l’autre, dans les tons blanc-gris et de cent litres, est installé sur son dos. La cible potentielle a revêtu une doudoune bleu marine, un jean brut et des chaussures de randonnée assorties. Un bonnet noir est enfoncé sur sa tête et m’empêche de distinguer la couleur ou même la texture de ses cheveux. Cette femme, pour parfaire sa tenue hivernale et totalement inadaptée à cette douce journée d’été, porte une imposante écharpe enroulée autour de son cou et qui cache à ma vue ses traits. Son accoutrement témoigne de sa nature fragile, car même si la température peine à dépasser les quinze degrés, ses vêtements étoufferaient n’importe quel Anglais. Dans ces conditions, observer son visage m’est presque impossible et pourtant, je suis positionné à une dizaine de mètres d’elle. Mes facultés à cette distance me permettraient de compter un à un les pores de sa peau, mais je parviens uniquement à contempler ses yeux, qui d’ailleurs sont de couleur noisette, tout à fait ordinaire. Sur ce constat intriguant, je balaye du regard le hall à l’affût du moindre mouvement suspect et patiente. En moins de deux minutes, le groupe composé de quatre hommes et cinq femmes se forme. Ces derniers discutent à présent les uns avec les autres dans une ambiance enjouée et chaleureuse. Toutefois, la première randonneuse à être arrivée sur les lieux reste en retrait et personne ne semble réaliser sa présence. Il faut croire que sa tentative de camouflage fonctionne à merveille. En écartant de ma conscience cette pensée absurde, je prends le temps d’observer chaque voyageur avec minutie afin d’identifier leurs signes distinctifs et les inscrire dans ma mémoire. Lorsque Watterson apparaît enfin, je laisse tomber quelques pièces sur la table, puis m’avance d’un pas lent et mesuré vers les guichets de location de voiture. Les membres du groupe rivent, sans le savoir, leurs regards dans ma direction pour écouter leur guide qui me tourne le dos. Je termine dès lors mon inspection visuelle sans le moindre effort puis, m’étant impossible de reculer davantage le dernier examen, j’entame avec une certaine appréhension mon analyse olfactive. J’expire tout l’air de mes poumons et après les avoir entièrement vidés, une profonde inspiration me permet de capter les fragrances propres à chaque Français. Brusquement, je suis pris d’une quinte de toux en recevant les effluves un peu trop prononcés du troisième voyageur. Avec un dégoût non dissimulé, je continue le test, mais ne perçois rien d’anormal et mes sourcils se froncent. Une odeur inhabituelle émane de la femme au bonnet noir. Son parfum sucré et floral m’intrigue sans que j’en comprenne la raison, mais comme les huit autres, elle est de nature humaine. Aucune anomalie n’ayant été détectée, j’approfondis malgré tout mon contrôle et frôle les esprits des randonneurs. Cette technique est l’une des facultés de notre espèce et peut être celle que je préfère. Elle me permet de communiquer par télépathie avec mes semblables, même si sur les Humains, je peux uniquement l’utiliser afin d’évaluer leur robustesse mentale. Mes yeux se ferment à cette pensée et mes pas m’approchent du groupe. Les secondes s’écoulent et aucune singularité n’apparaît, mais une sensation étrange m’incite à recommencer quand soudain mon pressentiment se confirme. Je perçois seulement huit consciences au lieu de neuf et une nouvelle fois, la femme frileuse attire toute mon attention. Je n’avais encore jamais observé ce phénomène sur un être humain et le constater m’incite à pousser mon inspection. Dès lors, je stoppe ma progression au niveau d’un des piliers du hall et me concentre sur cette mystérieuse personne. Au bout de trois secondes, j’abandonne ma tâche, car aucune de mes tentatives ne porte ses fruits. J’ai l’impression d’essayer de communiquer avec un lapin qui serait passé entre les mains de Kyo affamé et en pleine crise de nerfs. Finalement, même si le groupe est encore incomplet, je pense avoir identifié la cible. J’ordonne aussitôt à mon second de me fournir son nom et reste à couvert le temps d’obtenir une réponse. Ma demande me rappelle combien il est urgent de trouver une nouvelle recrue et un soupir m’échappe. Nous avons besoin de compter dans nos rangs un génie en informatique, qui aurait pour principale fonction la sécurité, l’analyse de données et le piratage, puisqu’à ce jour, ces activités sont réparties entre les différents membres de mon équipe. Dans ces conditions, notre organisation nous empêche de nous consacrer pleinement sur nos spécialités respectives et l’accident d’hier en est la preuve. Au moment où je me convaincs d’agir au plus vite, Aiden frôle mon esprit et me transmet son identité. Elle s’appelle Rhéa Soumaya et tel un signe de mauvais augure, mes poils se hérissent instinctivement. Dès lors, je me mets en marche et interpelle sans tarder le guide puis après avoir fixé avec insistance la jeune femme avec l’intention de percer ses secrets, je montre à John la ligne où son nom est inscrit.

Comme chaque fois, Watterson tremble de tout son corps dès que je me trouve à moins d’un mètre de lui et sentir sa peur m’amuse intérieurement. Cet homme est le fils d’un vieil ami à mes parents. Je le connais depuis mon plus jeune âge, mais nous n’avons jamais été réellement proches. Quinze ans auparavant, je l’ai sorti d’une situation compromettante et ce souvenir m’amène à crisper les mâchoires. John avait mis enceinte une adolescente de quatorze ans nommée Tamara. Cette dernière se voyait fonder un foyer chaleureux, mais le lycéen ne partageait pas ses envies. Il refusait d’admettre son erreur et pour l’éloigner, il a commencé à dénigrer l’amour que la petite lui portait. Tamara l’a menacé d’en informer Stan Watterson, le père de l’Humain, et John a pris peur. Il était incapable d’assumer sa bêtise auprès de sa famille, alors il m’a supplié de l’aider. J’ai accepté par amitié pour Stan et parce que je suis son aîné d’un an. Je lui ai tout de même interdit de prendre contact avec la jeune Anglaise le temps de m’intéresser de plus près à sa situation, puis je suis parti la rencontrer dans sa ville natale. Après une longue discussion en tête à tête, Tamara a pris la décision de mettre fin à cette grossesse non souhaitée. Avec une certaine innocence, elle s’imaginait vivre un conte de fées, mais a rapidement compris que la réalité était bien différente. Je l’ai accompagnée à chaque étape du processus, dans le dos de la famille de John, de la sienne et de la mienne. Cette épreuve nous a permis de créer un lien et depuis nous avons gardé contact. D’ailleurs, Tamara s’avère être la seule Humaine qui détient une place particulière dans mon cœur. Par la suite, mon amie s’est concentrée sur ses études et les années ont défilé. Elle est devenue une brillante avocate en droit pénal humain et le savoir me gonfle de fierté. Cette femme mérite son succès et la vie trépidante qu’elle mène actuellement. Ma relation avec John s’est détériorée après cet évènement et depuis un sentiment de colère m’anime en sa présence. Ainsi, avec une certaine envie de vengeance, j’exploite cet homme à la moindre occasion. Pour cette mission, je lui ai falsifié un diplôme de guide de haute montagne et Cylian, mon ami d’enfance, lui a concocté un curriculum vitae d’exception. Mes pensées dévient vers la soirée d’avant-hier et je réprime un sourire en visualisant le document.

 

 

Tanzanie

Ascension du Kilimandjaro

un an de préparation 

Népal

Ascension de l’Everest

deux ans d’entraînement 

Alaska

Berger à Anchorage

dix ans d’activité

Alaska

Organisateur de trekkings pour alpinistes confirmés

montée du Denali une fois par mois

 

 

Nous sommes partis dans un fou rire à nous tordre en deux lorsque Cylian a mis sous nos yeux le curriculum vitae de Watterson. Il faut savoir que depuis son adolescence, l’Humain fréquente la salle de musculation sept jours sur sept, mais malgré ses années de pratique, il ne peut à présent soulever qu’une trentaine de kilos par bras. Ce médiocre fait honte à ses origines, et ce, même si sa nature est humaine. Le pire est de constater que John s’acharne à prouver sa valeur dès qu’il en a l’occasion et ses efforts ne modifient en rien l’avis de mes semblables. Pour cette raison, il a répondu positivement à ma requête quand je lui ai proposé de me rendre un service deux jours plus tôt. Mes sourcils se froncent à nouveau en réalisant que mon ennui est tel qu’il m’est possible de divaguer sur le terrain. Pourtant mon comportement doit être irréprochable, alors je me rabroue intérieurement pour me reconcentrer sur la mission et prends une profonde inspiration. Trois minutes plus tard, le groupe est parti et une personne manque à l’appel : Elijah Stoica. Son absence m’amène à considérer cet homme comme une seconde cible potentielle et afin de vérifier mon hypothèse, je contacte mon second par esprit :

— Peux-tu me préciser où se trouve le prénommé Elijah Stoica ? Il aurait dû prendre le vol en provenance de Marseille aujourd’hui, mais j’ai des doutes à ce sujet. À l’instant où j’obtiendrai ton retour, nous pourrons partir avec le deuxième suspect.

Surpris par mon annonce, mon second m’interroge sur ma dernière affirmation et je lui indique qu’il sera en mesure de comprendre dans quelques minutes. Aiden, sans perdre une seule seconde, lance ses recherches et pour patienter, j’inspecte à nouveau l’esprit de la jeune femme, mais, tel un dead rabbit2, il se révèle toujours inexistant. En revanche, son parfum me captive davantage et je prends conscience qu’obtenir l’avis d’Aiden sur l’anomalie cérébrale de la randonneuse est devenu ma priorité. La sonnerie de mon mobile vient soudain interrompre mes pensées et après avoir décroché, mon second me rabroue :

— Sérieusement, tu devrais lui parler pour faire connaissance. Ton comportement est si louche qu’il risque de lui faire peur. As-tu oublié nos cours de diplomatie humaine ?

Sans prendre ombrage de sa réprimande, je l’interroge par télépathie sur l’avancée de ses recherches, mais Aiden ignore mes questions et me pousse à mimer une conversation téléphonique normale. Agacé, je grogne et le laisse percevoir mon humeur massacrante. Mon second se concentre instantanément sur ma demande initiale et me transmet les informations récoltées :

— Elijah Stoica se trouve actuellement à Ambleside. L’homme a atterri ce matin à Londres, avec le groupe d’Élémentaires. Je suis tout de même surpris que Trekking Paradize se soit trompé lors de la réservation de son billet d’avion. J’ai anticipé ta requête et envoyé Cylian inspecter les lieux en attendant notre arrivée. Nous avons perdu un temps précieux, mais nous allons rapidement le rattraper.

En appréciant le professionnalisme mêlé à l’optimisme d’Aiden, je le rassure en lui précisant que notre venue pourrait nous être utile puis sans ajouter un seul mot, je coupe les communications, téléphonique et télépathique, en même temps. Je me tourne aussitôt vers la jeune femme et m’apprête à lui empoigner le bras pour l’attirer vers la voiture, mais me ravise à la dernière seconde, au moment où les propos d’Aiden me reviennent en mémoire. Je l’interpelle à la place et sur un ton sans équivoque, elle apprend que l’heure du départ a sonné. Je lui précise aussi, à sa demande, qu’Elijah Stoica n’est pas ici puis je me dirige vers la sortie. Dix secondes plus tard, je n’entends toujours pas le bruit de ses pas marteler le sol, alors je marque un temps d’arrêt pour me retourner et peste. La jeune femme installe son sac sur son dos avec la lenteur d’un paresseux et la force d’un môle. Je fulmine et à l’instant où elle me foudroie du regard, je l’oblige à se dépêcher, sans prendre en considération son mépris. Sortir de l’aéroport se révèle être une délivrance et mes épaules se relâchent. J’inspire hâtivement plusieurs bouffées d’air, plus ou moins fraîches, et me régale de l’absence d’émanations chimiques. Je ne parvenais plus à supporter ces dernières qui sont d’ailleurs principalement utilisées par les Humains. Les effluves des parfums, des crèmes hydratantes, des déodorants, et de tout autre produit cosmétique porté par les voyageurs ont saturé mon nez et m’ont déclenché un début de migraine insoutenable. Enfin, j’exagère peut-être un peu, car notre espèce n’est pas sujette aux maux de tête et ne tombe jamais malade. Cependant, une gêne s’installe quelques minutes après chaque exposition de ce genre et perturbe notre humeur, le temps d’évacuer les molécules olfactives. Avec une certaine fierté pour notre condition si particulière, j’atteins la voiture en quelques enjambées et sans attendre, je m’assois sur le siège conducteur, au côté d’Aiden. Je me tourne en silence pour vérifier la position de la vitre et un sourire étire mes lèvres. Sans même le savoir, dès que les portes se fermeront, la cible potentielle sera emprisonnée. En effet, cette voiture blindée s’avère être un bijou de technologie. Le 4x4 Range Rover Sentinel peut résister à des attaques en tout genre, en provenance de l’extérieur et de l’intérieur. Or, une illusion modifie son apparence et aucun être humain non autorisé ne perçoit sa réelle utilité. De plus, les personnes assises sur la banquette ne peuvent avoir recours à leurs facultés hors du commun, bloquées par des mécanismes de protection. En outre, une bombe qui exploserait à l’arrière du véhicule serait absorbée par l’habitacle sans générer de dommage à l’avant. Mon entreprise fructueuse m’a permis d’acquérir ce modèle récemment. Il vient à présent compléter la collection sommaire mise à disposition des membres de mon équipe et j’en suis ravi. Brusquement, le coffre se ferme puis la porte arrière gauche se verrouille et sans demander mon reste, je démarre le pied au plancher. Après avoir dépassé Langley Corner, situé à une quinzaine de minutes de l’aéroport, mes nerfs se relâchent et j’adopte une conduite moins sportive alors Aiden saisit l’occasion pour me questionner par esprit :

— Peux-tu m’expliquer ce qui te préoccupe ?

Ma tête se tourne un bref instant vers mon second, qui montre du doigt ses sourcils et en observant mon reflet dans le rétroviseur central, je me vois les froncer. Dans un soupir, je revêts à nouveau un masque impassible puis affirme :

— J’aimerais obtenir ton avis concernant madame Soumaya. La colère pollue mes émotions depuis que mon regard s’est posé sur elle. L’odeur de cette Humaine se révèle étonnamment très agréable, mais…

Sans me laisser l’occasion de poursuivre mon analyse, Aiden me coupe la parole et précise :

— Es-tu véritablement en train de me confier que ton humeur maussade et la présence d’une passagère à l’arrière du Range Rover Sentinel sont dues à son parfum ? Par Atoum ! Mais pourquoi as-tu refusé de profiter avec nous de la soirée d’hier ? Cylian et moi nous sommes bien amusés avant que tu ne lances l’assaut.

Ses reproches augmentent mon irritabilité et je m’emporte :

— Regarde un peu dans quel état tu es. Avec une jambe fracturée à trois endroits, cinq côtes fêlées ayant perforé ton poumon et une épaule déboîtée plus de dix heures après la collision, crois-tu réellement que le moment est venu de me rappeler notre précédente mission ? J’ai dû boire un café et supporter les odeurs atroces des Humains de l’aéroport à cause de tes tendances suicidaires, alors je te conseille de ne plus aborder ce sujet si tu souhaites rentrer indemne à la maison.

Outré par mes propos, mon second me répond sur le même ton :

— J’espère que tu plaisantes ! L’intervention a été couronnée de succès grâce à mon acte héroïque. Si je ne m’étais pas jeté sous les roues de la Toyota enchantée, nous aurions perdu Peters. De plus, rien ne t’empêchait de commander un thé.

Mes dents grincent en écoutant ses paroles, car en ce qui concerne sa dernière affirmation, mon second sait parfaitement que j’ai pris cette boisson infâme pour passer inaperçu. Un soupir m’échappe et je réplique en me focalisant sur notre précédente mission :

— Aiden, nous devions le réceptionner avant qu’il ne sorte du Temple et non après. Si tu n’étais pas resté concentré sur tes groupies après avoir profité d’une étreinte passionnée avec l’une d’entre elles, nous aurions pu terminer la mission dans un meilleur état. Ton optimisme à toute épreuve nous a cette fois-ci encore joué des tours. Je te demande de limiter ces prises de risques inutiles.

Mon second ignore une partie de ma requête et se focalise sur l’information la moins importante pour ajouter :

— Kel, je vais t’apprendre une chose essentielle. En boîte de nuit, les clients viennent pour danser et non pas rester immobiles à balayer la pièce du regard. Les caméras de surveillance le font à ma place. Aussi, tu sais parfaitement que résister à la salsa cubaine m’est impossible, mais surtout, je ne pouvais pas récupérer les données informatiques de Peters et le capturer au même moment. Nous manquons de personnel.

Ces derniers mots m’amènent à passer la main sur mon visage et d’une voix mentale beaucoup plus calme, je lui réponds :

— Je m’en rends bien compte. J’ai commencé à recevoir des curriculum vitae et des lettres de motivation de plusieurs candidats spécialisés en informatique. Je vais faire de mon mieux pour les analyser cette semaine. Je ne te reproche rien, en vérité, mais nos missions sont de plus en plus à risque et nous ne pouvons plus nous permettre que l’un de nous se trouve diminué, même pour une courte durée. D’ailleurs, comment te sens-tu ?

Aiden reprend son timbre de voix habituel et affirme :

— Je devrais être à nouveau opérationnel après-demain. Peux-tu ouvrir la paroi afin que je hume le parfum de la suspecte ?

Mon regard se pose un bref instant sur la caméra du tableau de bord qui montre la jeune femme dormant à poings fermés, alors je descends la vitre de deux millimètres et patiente. Cette ouverture s’avère suffisamment grande pour nous permettre d’analyser ses caractéristiques intrinsèques, mais assez petite pour nous protéger d’une attaque inattendue. Je laisse ainsi mon second constater les faits en silence et au bout de quelques secondes, il me donne son verdict sur un ton beaucoup trop sérieux à mon goût :

— Je crois que je te dois des excuses. Son parfum se révèle si enivrant qu’il pourrait devenir addictif. Aucune femme n’a déjà produit cet effet sur moi.

Soudain, un grondement se fait entendre et je suis étonné d’en être à l’origine. La surprise se lit sur les traits d’Aiden et d’instinct, mon second réagit :

— Kel, tes nerfs semblent à vif et ceux de Louké aussi. Peut-être ne t’en es-tu pas rendu compte, mais depuis que nous avons pris la route, la voiture a vibré à deux reprises. Contrôle-toi encore un peu, s’il te plaît. Nous pouvons aller courir ce soir pour apaiser nos émotions. Je ressens le besoin de me dégourdir les jambes de toute façon.

Je hausse un sourcil et mon second ajoute :

— Simple manière de parler.

Sa remarque a pour effet de me détendre et je l’interroge à nouveau :

— Je me pose des questions sur cette femme à cause de sa fragrance étrange, mais aussi de son esprit. Je peine à identifier sa présence, comme si son cerveau était inactif. Qu’en penses-tu ?

Avec sérieux, Aiden procède à une nouvelle analyse et en moins d’une minute, il constate l’anomalie de la passagère en s’exclamant :

— Je n’ai jamais rien vu de tel, hormis sur un cadavre. Que comptes-tu faire de cette femme et de la seconde cible potentielle ?

Cet instant de calme m’aide à prendre une décision et sans attendre, je déclare :

— Nous devons entrer en contact avec Elijah Stoica. Au plus tard, il se présentera dans deux jours au siège de Trekking Paradize, pour effectuer la première randonnée du groupe d’Humains. En attendant, nous laisserons Cylian le traquer pendant que la suspecte restera avec nous. Supprime ses réservations de chambre pour les trois prochaines nuits. Nous allons dormir à Manchester ce soir et dès demain nous l’installerons au domaine. Nous essayerons de déterminer si elle possède un lien quelconque avec monsieur Stoica. Si, d’ici là, Cylian parvient à innocenter l’absent, je te demanderai de participer aux randonnées avec la jeune femme. Tu la surveilleras le temps que nous trouvions l’identité de notre cible.

La mine hébétée de mon second m’interpelle, ainsi je l’interroge pour savoir s’il adhère à mon plan et ce dernier me précise aussitôt :

— Mon cerveau s’est court-circuité en entendant les mots : « demain nous l’installerons au domaine ». Depuis quand laissons-nous des suspects entrer CHEZ nous ? Cette femme ne passera jamais les barrières, quelles que soient les bizarreries que nous avons détectées sur elle. En plus, Rhéa Soumaya est une Humaine alors s’il lui arrive malheur, nous sommes fichus. Généralement, ces idées insensées pourraient provenir de Cylian, ou peut-être de moi, mais jamais de mon chef. As-tu perdu l’esprit ?

Comprenant ses inquiétudes, je m’explique :

— Je me suis mal exprimé. Je ne tiens pas à l’inviter à entrer dans notre maison, mais je propose de l’installer dans la dépendance du domaine. Je peux faire en sorte qu’il y ait seulement deux barrières à traverser. Néanmoins, nous pourrons envisager cette option après l’avoir testée à Manchester.

Mon second me fait part de son scepticisme et dès lors, j’ajoute :

— Je me fie à mon intuition. Or, peux-tu me rappeler la dernière fois qu’il m’a induit en erreur ?

Aiden semble considérer davantage ma proposition et me répond prestement :

— Jamais, cependant nous risquons gros sur ce coup et je me demande si le jeu en vaut la chandelle.

Ses craintes sont malheureusement fondées, mais je tente tout de même de le rassurer :

— Pour cette raison, nous devons procéder par élimination et quoi qu’il en soit, je veux découvrir qui est Rhéa Soumaya.

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 3 : Iris turquoise

 

« Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit. »

Khalil Gibran

 

Rhéa

Vendredi 1er août

Quatre murs de couleur saumon, un plafond cathédrale, trois gigantesques fenêtres et de petites tables en bois. Je me découvre dans une salle de classe entourée d’enfants de mon âge et remarque que tous portent l’uniforme de notre école. Face à moi est installée une estrade sur laquelle repose un grand bureau rectangulaire, celui de notre institutrice. Sous l’immense tableau noir, une fresque bariolée décore le mur de brique et égaye le lieu trop austère à mon goût. Je reconnais cette peinture automatiquement. Nous l’avions créée avec l’empreinte de nos mains à mes six ans et même si quelques années sont passées, je la trouve toujours aussi jolie. L’ambiance est animée ce matin. Mes camarades s’amusent, certains rient à gorge déployée et d’autres commencent à se chamailler lorsque soudain, notre maîtresse entre dans la pièce. À l’unisson, nous nous levons pour nous tenir droits tels des piquets et l’accueillir poliment :

—  Bonjour madame Betty. 

En baissant les yeux, mon regard se pose sur une des filles du premier groupe et mon cœur palpite un peu plus vite. Pourquoi ne l’ai-je pas remarquée plus tôt ? Ses longs cheveux châtain clair aux reflets dorés sont reconnaissables entre tous et leur beauté me fascine comme toujours. Un sourire étire dès lors mes lèvres et mon stress retombe d’un seul coup. Je me redresse pour observer notre institutrice et replace une mèche échappée de mon chignon derrière mon oreille. Madame Betty entreprend de faire l’appel et chacun de nous s’annonce dès qu’il entend son prénom. Après avoir vérifié que nous sommes tous présents, elle déroule une grande affiche, la fixe avec des magnets en forme de kangourou sur le tableau noir puis nous interroge :

— Les enfants, pouvez-vous m’expliquer à quoi correspond la carte que je viens d’accrocher ?

Agapé est l’une des premières à lever la main et mon cœur se gonfle de fierté. Madame Betty l’apprécie beaucoup, car elle a décelé son intelligence supérieure à la normale. Moi, personne ne me remarque, mais je m’en moque un peu. Papa pense que je suis inutile. Il le répète souvent, tandis que son épouse, comme il aime si bien l’appeler, me murmure tous les soirs à l’oreille des mots doux. Maman m’adore et reste convaincue que je trouverai ma voie, mais seul compte à mes yeux l’opinion d’Agapé. Cette fille est l’être le plus important de ma vie. D’ailleurs, elle hurle sur tous les toits et à qui veut l’entendre son avis sur ma condition. Elle me pense extrêmement puissante et est persuadée qu’un jour je serai capable d’anéantir en un regard mes adversaires. Je ne la crois pas, mais je suis heureuse qu’elle me soutienne ainsi. La voix de madame Betty s’élève brusquement et je sursaute :

— Miss Soumaya, pouvez-vous répondre à ma question ?

Agapé prend aussitôt la parole et affirme :

— C’est une carte du monde. Au centre est représenté notre continent, l’Australie. Il est le plus puissant de tous.

Un rictus aimable apparaît à la commissure de ses lèvres et notre maîtresse la félicite :

— C’est correct. Pouvez-vous me préciser quelle est la ville la plus peuplée du pays ?

Prestement, ma camarade préférée ajoute avec assurance :

— La nôtre, madame Betty. Il s’agit de Sydney.

Après avoir donné sa réponse, Agapé se tourne vers moi et me fait un clin d’œil. Ses grands iris turquoise pétillent de malice et un sourire illumine son magnifique visage. Elle est mon tout, mon unique espoir.

***

La voiture s’arrête, le moteur se coupe, les portières avant s’ouvrent, puis se referment. Quelques battements de cils plus tard, un courant d’air froid s’engouffre dans l’habitacle et m’informe que nous sommes arrivés à destination. Mes paupières paresseuses peinent à se relever, mais brusquement, une voix suave s’adresse à moi avec un français presque sans accent :

— Salut, marmotte. As-tu bien dormi ?

Dès qu’une image nette atteint mon esprit, deux gemmes turquoise m’éblouissent et mon rêve me revient en mémoire. Agapé ! Je frotte alors mes yeux pour éclaircir mes idées, puis avec une pointe de déception réveillant de vieilles blessures, je prends conscience de son absence. La proximité de l’inconnu penché sur moi m’interpelle sans toutefois me déranger. Ce dernier me toise d’ailleurs avec insistance et attend patiemment une réponse de ma part qui ne vient pas de suite. Quelque peu étourdie par la sieste, je me redresse en douceur, murmure des mots inintelligibles entre deux bâillements, puis lève à nouveau le regard vers lui. L’homme s’est reculé de plusieurs pas et je peine à cacher ma stupéfaction, car sa beauté est à couper le souffle. Il me sourit chaleureusement et mon cœur rate un battement, alors mon bras se tend pour vérifier si je suis toujours plongée dans un rêve. À l’instant où mes doigts touchent son poignet, je retire tout à coup ma main et mes joues rougissent du fait de mon geste déplacé. L’apollon ne montre aucune réaction et conserve un masque impassible même si ses iris semblent luire. La curiosité me pousse à l’observer en détail malgré ma gêne visible et mes yeux s’écarquillent de plus belle. L’homme possède de longs cheveux si clairs qu’ils paraissent presque blancs et pourtant son âge devrait s’approcher du mien. Il les porte attaché au-dessus de sa tête et quelques mèches tombent sur son cou. Avec des traits fins, mais masculins, il pourrait couvrir la une des plus célèbres magazines de mode. Sa barbe blonde parfaitement entretenue souligne sa mâchoire carrée, mais la couleur de ses iris me subjugue davantage. Je pourrais percevoir à travers leur bleu luisant, les vaguelettes d’une mer caraïbéenne à l’aube d’une journée d’été. Surprise par l’intensité de notre échange, je baisse le regard et analyse sa tenue. L’inconnu porte un jean sobre et un anorak noir qui lui sied à ravir. Sa taille démesurée lui apporte une allure gracieuse et charismatique, presque irréelle. Soudain, un raclement de gorge me sort de ma contemplation et mon interlocuteur rompt le silence pour affirmer en anglais cette fois-ci :

— Mademoiselle, nous sommes arrivés à Manchester.

Je jette aussitôt un œil sur l’écran de mon téléphone et apprends qu’il est dix-sept heures passées. Mes paupières clignent à plusieurs reprises pendant que l’homme précise avec aplomb :

— Je dois à regret vous annoncer une mauvaise nouvelle. La réservation de votre chambre d’hôtel n’a pas été prise en compte. Aucune place n’est vacante ce soir dans cet établissement. Nous avons tenu informé Trekking Paradize et votre guide s’est empressé de vérifier votre dossier. Malheureusement, aucun lit n’a été prévu pour vous, et ce, sur toute la durée de votre séjour. Il ne semble d’ailleurs plus en rester au gîte. En revanche, vous êtes bien inscrite aux randonnées. Monsieur Watterson doit investiguer davantage pour comprendre la raison de ce malentendu, mais il pense que vous avez oublié de confirmer par mail votre volonté d’inclure les nuitées. Or, en l’absence d’approbation de la part du client, l’organisme ne procède à aucune réservation.

Mon esprit se réveille d’un seul coup en appréhendant le sens de ces paroles et je tombe des nues, mais sans prendre en considération ma mine dépitée, l’inconnu continue sur sa lancée :

— Pouvez-vous me confirmer que vous ne disposez d’aucun logement pour les deux prochaines semaines ?

Sans parvenir à sortir un son de ma bouche asséchée, je tourne la tête de droite à gauche et mon interlocuteur me répond sur un ton rassurant :

— Monsieur Watterson cherche une solution à vous proposer pour les nuits à venir. En attendant, vous pouvez dormir ce soir dans l’appartement que nous avons loué.

La quantité d’informations reçues en moins d’une minute trouble mon esprit et pour remettre de l’ordre dans mes idées, j’interroge cet homme venu de nulle part après avoir éclairci ma voix :

— Qui êtes-vous ? Lorsque vous utilisez le sujet « nous », de qui s’agit-il ? Et pourquoi donc ne me proposez-vous pas une autre chambre d’hôtel ?

La surprise se lit sur son visage angélique et l’inconnu déclare avec une certaine gêne :

— Je vous prie de bien vouloir m’excuser, madame Soumaya. Je me prénomme Aiden Korhonen. Ezékiel, votre chauffeur, se trouve être mon cousin. J’étais assis à l’avant du véhicule, mais à votre arrivée, une conversation téléphonique m’a empêché de vous saluer convenablement. Dès que j’ai raccroché, vous dormiez à poings fermés et je n’ai pas eu l’occasion de me présenter plus tôt. J’aimerais souligner un point important. Nous ne sommes pas des employés de Trekking Paradize. John Watterson est un ami et nous lui rendons service, car malheureusement l’organisation ne fait pas partie de ses qualités. En effet, la voiture louée par votre guide possède un nombre de sièges insuffisants et pour cette raison, John a fait appel à nous afin de l’aider à transférer tous les randonneurs jusqu’à Ambleside. Kel et moi avons réservé un appartement situé au centre de Manchester pour cette halte et puisque nous y sommes presque, je peux vous proposer de m’y accompagner. Le logement contient un lit supplémentaire qui pourrait vous convenir.

Ayant l’impression de me faire embobiner, je fulmine et mon cerveau tourne à mille à l’heure. Je mets ma main à couper que la responsabilité incombe entièrement à Trekking Paradize, mais je n’ai aucune motivation à cette heure tardive pour tenter de le démontrer ou de rechercher une chambre d’hôtel. J’accepterai la proposition de l’ami de monsieur Watterson si le logement se révèle propre et contacterai dès demain l’organisme de voyage afin de régler cette affaire. Je précise sans attendre ma volonté de visiter l’appartement et mon interlocuteur m’apprend que ce dernier se situe à dix minutes à pied de notre stationnement. Je m’extrais alors du véhicule et la fraîcheur estivale me saisit aussitôt. Après avoir enroulé mon écharpe, remonté la fermeture éclair de ma doudoune et repositionné comme il se doit mon bonnet, mes frissons cessent dans l’instant. Enfin libéré de ses tâches, je laisse mon regard balayer l’environnement qui m’entoure et découvre un grand parking souterrain abritant une multitude de voitures de toutes les catégories. La Porshe 911 TARGA 4, située à deux places de notre emplacement, accapare mon attention, mais dès que le coffre du Range Rover se referme, ma tête se tourne vers l’émetteur du bruit. Je me focalise sur monsieur Korhonen et mon accompagnateur, sans que je le lui aie demandé, m’apporte son aide en installant Grigris sur son dos puis m’invite à le suivre. L’homme à la beauté surnaturelle me propose de partager son parapluie et m’offre même son bras. Je constate par ses gestes galants que son comportement se trouve à l’opposé de celui de son cousin et le savoir me rassure profondément. D’ailleurs, le prénommé Ezékiel n’a toujours pas montré le bout de son nez et son absence me réjouit, même si je n’ai aucun doute sur le fait qu’il sera présent ce soir. Je lève alors les yeux pour observer avec plaisir les devantures des maisons tout en écoutant Aiden me conter l’histoire de Manchester.

Cette cité est considérée comme la quatrième plus grande ville d’Angleterre. Durant la révolution industrielle, elle était célèbre pour son industrie du textile et de nombreuses réalisations scientifiques y ont vu le jour. Les vestiges de cette époque sont présentés dans le musée des sciences et de l’industrie situé à quelques pas de la rivière Irwell