Helmut et les drôles d’oiseaux - Louis Chamack - E-Book

Helmut et les drôles d’oiseaux E-Book

Louis Chamack

0,0

Beschreibung

"Helmut et les drôles d’oiseaux" est une satire du racisme ordinaire, ce racisme diffus et universel, traversant toutes les classes sociales, toutes les croyances, toutes les identités. Il ne s’exprime pas toujours violemment, mais se loge dans les réflexes, les jugements hâtifs, les héritages culturels ou les tensions économiques. Aucun personnage n’est épargné, car chacun, à sa manière, porte en lui une forme de rejet de l’autre. Face à ce mal ancien, enraciné dans notre histoire collective, ni la répression ni les sermons ne suffisent. La pièce choisit une autre voie : celle de l’humour – cet humour décapant qui permet de prendre du recul, de rire des autres comme de soi-même, et, peut-être, d’amorcer une prise de conscience.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Louis Chamack est l’auteur de plusieurs pièces de théâtre parmi lesquelles "L’herbe amère", "Don Cervantes" ou" le Manchot de Lepante" – œuvre majeure et intemporelle à ses yeux –, "La rédemption d’Aaron", récompensée par le prix de la Fondation Beaumarchais en 2009 – et La "1002ᵉ nuit, les femmes de la citadelle". Son ouvrage actuel est une satire sur le racisme.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 92

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Louis Chamack

Helmut et les drôles d’oiseaux

Théâtre

© Lys Bleu Éditions – Louis Chamack

ISBN : 979-10-422-7305-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Derrière le rideau, la voix envoûtante d’Oum Kalthoum s’élève avec force, quelques instants avant les coups répétitifs du « brigadier » (comme il était coutume au théâtre pour prévenir le public de l’imminence de la représentation).

Le rideau s’ouvre et l’on découvre un homme corpulent en peignoir, tenant un manche à balai, avec lequel il assène les trois derniers coups au plafond, en rythme avec ceux du play-back, mais comme le voisin indélicat ne semble pas obtempérer, et que la mélodie continue à s’écouler avec force jusqu’au dernier rang du public, le récalcitrant branche la stéréo. Alors un tsunami symphonique « La Chevauchée des Walkyries » chasse sans ménagement toutes les belles tessitures de la chanteuse orientale. Enfin, l’homme en peignoir baisse légèrement le son, et comme il constate que le voisin a abdiqué, sous la charge de la cavalerie teutonne, il éteint sa sono.

PAUL(se déplace avec précaution comme un convalescent) : Merci, Richard.

Le salon, petit bourgeois, quelques meubles de style, une bibliothèque murale face au public, avec une télévision grand écran encastrée en son centre et près de la fenêtre, un perchoir surmonté d’une cage d’oiseau recouverte d’une housse de protection qui masque son contenu.

Paul se sert un whisky. Il boit une lampée du liquide brun, grimace et observe quelques secondes la pluie qui ruisselle sur les vitres de la fenêtre côté Cour. La sonnerie du téléphone le sort de sa rêverie. Il décroche.

PAUL : Ouais ? Salut (Un temps.) J’suis sorti ce matin. Double pontage et tout le tralala, j’en pouvais plus, un cauchemar (un temps). Comme d’hab’, les restrictions sadiques : plus de sel, plus de sucre, de pizza, de gras. (Il s’envoie une rasade de whisky.) Plus d’alcool… (Dans la cage, sous la housse, un sifflement militaire s’élève ; le célèbre chant de la Wehrmacht « Heidi heido heili heilo ».) Non, c’est rien, c’est Helmut qui s’est réveillé… Un tortionnaire ce cardiologue, dis-moi, Sitbon, c’est quoi comme origine ? (Comme l’oiseau vocalise avec les « hahahahaha » de la marche militaire, Paul va retirer la housse qui masque la cage et un magnifique perroquet apparaît et se dandine sur son perchoir.) Klappe ! Helmut. (Le perroquet se tait. Il revient au téléphone.) Tu connais pas la meilleure, Raymond a été hospitalisé aussi. Non, il est…

HELMUT : Oui, oui, oh oui, oui, oui. (Le ton est assez explicite.)

PAUL : Helmut ! Sa femme m’a dit qu’il a un priapisme (il ricane.) Non, c’est pas grave. C’est une érection permanente.

Il rit.

HELMUT : Oh oui, oh oui, encore, encore…

Une femme de belle allure, assez sophistiquée, fait son entrée. Elle est grande, blonde, observe le perroquet et le menace en mimant à son intention un geste de tranchement de gorge. Helmut se tait aussitôt.

PAUL (sans se rendre compte de la présence de la nouvelle venue à qui il tourne le dos, il poursuit.) : Ça fait trois jours qu’il a le mât de Misaine dans le calbute. (Un temps.) Non, c’est pas la peine d’aller le voir, c’est pas contagieux (Il rit à nouveau. En se retournant, ilremarque la présence de sa femme et lui fait unsigne.) Oui, j’ai vu ça… Si ça continue, ça va déborder comme à la Belle Époque. J’te rappelle plus tard.

(Il raccroche.)

HELMUT : Pas l’oignon, pas l’oignon !

PAUL : Mais qu’est-ce que tu lui as filé à bouffer pendant mon absence ?

MATHILDE : C’est pas moi qui l’ai nourri, c’est le voisin.

Elle désigne le sol.

PAUL : Quoi !

MATHILDE : Quand tu n’es pas là, il est insupportable, il hurle et chante des marches militaires toute la sainte journée, et en allemand en plus.

PAUL : Et alors ! On est en république, non ?

MATHILDE : Moi, j’en pouvais plus. Alors je l’ai confié à Bienvenu Désiré.

PAUL : À qui ?

MATHILDE : C’est le nouveau locataire du dessous. Il est Congolais, comme Helmut. D’ailleurs, il s’est cru au pays et ça l’a calmé illico.

PAUL (détachant chaque mot) : Comment as-tu pu confier mon perroquet à un…

MATHILDE : … Attention à tes paroles Polo, Bienvenu Désiré est un homme distingué, ingénieur en robotique, c’est une tronche comme on dit, d’ailleurs cette invention c’est lui qui l’a conçue, c’est…

Elle désigne le fauteuil recouvert d’un drap.

PAUL : … Arrête de m’appeler Polo, j’ai horreur de ça, ça fait gilet jaune, et ici c’est pas un dépotoir.

MATHILDE : Votre seigneurie aurait-elle l’amabilité de considérer que nous avons une petite dette envers lui. Toutes les caves sont inondées et ça continue de monter. Il a peur pour sa machine.

PAUL : Toi, tu as une dette. C’est à toi que j’ai confié Helmut pas à… (Il hésite.) à un Congolais en robomatique.

MATHILDE : Ingénieur ! On prétend que certaines personnes qui ont côtoyé la grande faucheuse comme toi reviennent à des sentiments de tolérance et à une plus grande spiritualité.

PAUL (se dirige vers le guéridon et saisit le courrier qui est posé dessus, il ouvre la première lettre. Il jette un coup d’œil et la balance dans la poubelle à ses pieds.) :Je te rassure tout de suite, je n’ai pas vu de lumière au bout du tunnel, je ne me suis pas détaché de mon corps pour observer les chirurgiens à l’œuvre et aucun diablotin n’est venu me titiller la prostate. (Il ouvre une autre lettre et la parcourt rapidement.) Qu’est-ce que c’est ? Écoute ça. (Il lit.) « Très cher, il ne se passe pas grand-chose dans nos vies insipides. L’écume des jours coule sur nos visages, nos mains et nos corps comme une érosion sournoise et nous vivons par procuration les vies fabuleuses ou épouvantables de ceux dont on a scénarisé les moindres gestes, les amours palpitantes ou les fins tragiques. Mais rien n’est plus doux qu’un regard de chien pour son maître, quel que soit l’amour ou la cruauté qu’on a eu envers lui. Ma chienne Tina est morte dimanche. J’avais besoin de t’écrire quelques mots pour diluer un peu la peine qui m’a envahi. Tendrement, ton ami éternel. » Qu’est-ce que c’est, ces conneries ?

MATHILDE : C’est trop bien rédigé pour être une de tes relations. Tous tes amis écrivent comme ils parlent. Ça au moins c’est une lettre, pas une bafouille. Donc ça ne peut pas te concerner.

Elle saisit l’enveloppe qui est restée sur le guéridon.

MATHILDE : C’est bien ce que je pensais. Le facteur s’est gouré. C’est pour la jolie brunette du troisième.

PAUL : C’est qui ? (Il prend l’enveloppe.) Levy-Cohen ! (Il marque un instant le coup, va ouvrir la fenêtre et hurle à l’adresse des voisins.) En bas, c’est Brazzaville et Bamako ! En haut Babel Oued et Tel-Aviv. Il ne manque plus qu’un Niakoué de Pékin et c’est la Tour de Babel ici.

Une voix off avec un accent asiatique lui répond.

LA VOIX OFF : Les Niakoués, ils t’emmerdent !

PAUL (très surpris, à Mathilde) : Y a des faces de citron ici ? (Mathilde opine de la tête.)

DEUXIÈME VOIX OFF (avec un accent maghrébin prononcé) : Les Bougnouls aussi, ils t’emmerdent !

MATHILDE : Ferme, y a d’l’écho.

Comme Paul s’exécute, on perçoit une troisième voix venant du rez-de-chaussée.

TROISIÈME VOIX OFF : Et les Bamboulas, ils te…

PAUL (avant de refermer) : Ta gueule toi !

MATHILDE (pince sans rire) :C’est quand la fête des voisins ?

PAUL (s’éponge le front) :C’est affreux, on est cerné. Ils veulent ma peau, ces ordures.

MATHILDE : Toi, tu vois tout en noir. Mais ils n’ont pas oublié comme tu les traitais avant ton hospitalisation.

PAUL : Moi non plus et comme les vacances sont terminées, on va reprendre les bonnes vieilles habitudes. (Mathilde lui a servi un verre et il boit un peu de whisky.) Bravo la mixité sociale. « L’enfer c’est les autres », en particulier le voisinage, si tu vois ce que je veux dire. Même au zoo, on respecte les différences. On ne mélange pas les fauves avec les primates ni les aigles avec les colombes.

MATHILDE : Je suis dubitative, mon chéri. Sartre comme référence.

PAUL : Il est mort et les morts bénéficient d’un linceul de respectabilité.

MATHILDE (siffle, admirative) : Je t’ai connu plus maurassien. Se pourrait-il que ton AVC ait modifié ton ADN ? Serais-tu passé de l’autre côté de l’échiquier ?

HELMUT : Non, non, elle est trop grosse !

PAUL (jette un coup d’œil vers Helmut) :Les cocos sont bien passés du nôtre, faut être magnanime (Il ricane.) « À cheval donné, on ne regarde pas les dents »… Même si elles se font rares. (Il se dirige vers la porte de la chambre.) Je vais prendre ma médication et faire une petite sieste, qu’on ne me dérange pas.

Il sort. Mathilde allume la TV. Sur l’écran, une journaliste sous une pluie battante. On mesure la montée inquiétante de la Seine avec toutes les berges inondées. Sur les images de désolation des commentaires.

COMMENTAIRES TV : Depuis près d’une semaine, les Parisiens scrutent la Seine dont le lit a inondé les berges. Les musées longeant le fleuve sont en alerte et selon Vigicrues avec plus de 6 mètres, cette crue semble vouloir battre des records. À Paris, le cumul pluviométrique a triplé et d’autres villes de la région parisienne sont touchées.

Mathilde éteint l’écran et compose un numéro sur son portable.

MATHILDE : Tu peux rappliquer. (Un temps) Il dort. (Elle se lève et ôte le drap qui recouvre l’invention de Bienvenu-Désiré. Un fauteuil, bardé de câbles et muni d’une énorme batterie fixée sous le siège, apparaît au public. Une sorte de casque étrange hérissé d’électrodes est posée sur le haut du dossier. Des coups discrets sur la porte d’entrée attirent son attention. Elle va ouvrir. Un grand noir l’air inquiet entre sur la pointe des pieds.) Je t’ai dit qu’il dort. J’ai doublé la dose de Gardénal qu’il prend pour la sieste.

BIENVENU : T’es folle, les somnifères en surdosage, ça peut être très dangereux. Et s’il s’en était rendu compte ?

MATHILDE : Impossible. C’est indétectable dans le whisky.

Bienvenu s’approche de la cage du perroquet.

HELMUT (chantant) :Le dimanche à Bamako c’est le jour de mariage…

BIENVENU (enthousiaste) : Tu as vu ? Il m’a reconnu.

MATHILDE : Oui, ça, c’est pas dur.

BIENVENU : Alors, mon petit Moumout, comment ça va ? Il est beau, mon Moumout. (Il chantonne.) Le dimanche à Bamako.

MATHILDE : C’est Helmut. Et arrête de gâtifier avec ce volatile.

BIENVENU : Je l’aime moi ce petit Papagay-là.

MATHILDE : Je sais, mais faudra éviter de le remettre dans la chambre la prochaine fois cet oiseau de malheur…

BIENVENU : Pourquoi ?

MATHILDE : Je t’expliquerai plus tard. Il faut qu’on parle de choses sérieuses (Elle l’entraîne vers son invention.)