Identités - C. Sizel - E-Book

Identités E-Book

C. Sizel

0,0

Beschreibung

Quand la société a décidé que vous êtes devenu un paria, que vous reste-t-il comme espoir de survie ?

Peur. Discrétion.
Les règles ont changé. Le territoire est divisé entre différents gangs qui tiennent les rues d’une main de fer.
Ce monde, c’est celui de Lia et si elle veut y survivre, elle va devoir s’adapter !

Un thriller futuriste à quatre voix d'une rare intensité !

EXTRAIT

Le bip régulier du lecteur numérique qu’elle passe sur le code barre des livres la berce doucement ; Lia secoue la tête pour garder les idées claires et rester concentrée sur sa tâche.
La nuit n’a pas été de tout repos, ponctuée par le bruit des coups de feu et des sirènes de pompiers. En venant au bureau, elle a vu de la fumée s’élever au loin et elle a supposé que l’incendie n’était pas encore maîtrisé. Malgré son esprit qui a eu tendance à divaguer toute la journée, la jeune femme est plutôt satisfaite : elle a réussi à traiter trois caisses d’ouvrages aussi divers que variés. Évidemment, cela ne vaut pas le temps où elle dirigeait la section d’achats de la bibliothèque, mais elle a quand même à cœur de bien faire son travail, ne serait-ce que pour ne pas se faire remarquer.
— Lia ?
Cette dernière sursaute en entendant la voix grave de son responsable. Lewis la fixe en fronçant les sourcils, sa peau sombre plissée par l’inquiétude et par ses cinquante-trois ans. Surprise, elle jette un regard un peu hagard dans le bureau et elle réalise que Cyril, son seul collègue, n’est déjà plus là.
— Il est quelle heure ?
— Celle de partir, tu devrais te dépêcher, nous n’avons qu’une heure de trêve.
Lia en a parfaitement conscience : dépasser l’heure limite est dangereux. Elle est reconnaissante à Lewis de l’avoir rappelée à l’ordre en plus de ce qu’il fait déjà pour elle au quotidien. Aujourd’hui, rares sont les femmes ayant encore un poste pour pourvoir à leurs besoins.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Je ne ferai pas durer le suspense plus longtemps, ce roman est une merveilleuse pépite! Il a tout pour lui : l’univers, les personnages, les rebondissements avec toujours ce sens de la mesure et de l’équilibre qui lui permet de nous toucher en plein cœur par sa justesse. J’en sors époustouflée ! - Blog Les rêveries d'Isis

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née en 1987 dans la région Parisienne, Sizel a grandi dans un petit village du Poitou-Charentes.
Bien qu’elle ait passé des heures à dévorer des romans tels que la Belgariade, Harry Potter ou la Tapisserie de Fionnavar et si elle a toujours aimé se raconter des histoires, elle n’a eu envie d’écrire qu’à la vingtaine passée. Lisant énormément de fanfictions à cette période, elle a naturellement commencé par cela, mais rapidement elle a eu envie de donner une forme plus concrète à ses propres personnages, univers et intrigues. C’est ainsi qu’ Identités a vu le jour, puis d’autres histoires, inspirées de ses pérégrinations depuis sa sortie du lycée et toujours imprégnées des genres de l’imaginaire qu’elle aime tant.

En dehors, de l’écriture, la vie étant une succession d’opportunités, elle n’est pas restée plus de deux ans au même endroit depuis qu’elle a eu son bac. Après des études techniques orientées ensuite relation client, elle a été commerciale quelques années avant de s’envoler une première fois pour le Japon. Aujourd’hui, elle prépare un nouveau départ à l’étranger, où elle puisera probablement de nouvelles idées à inclure dans ses récits...

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 615

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



IDENTITÉS

ISBN : 979-10-9478639-0

ISSN : 2430-4387

Identités

Copyright © 2018 Éditions Plume Blanche

Copyright © Illustration couverture, Aurélien Police

Tous droits réservés

C. S I Z E L

IDENTITÉS

(Roman)

« Ce que je veux te laisser par dessus tout, […] 

c’est la conscience de ton histoire, de ton identité, 

la conscience de tes origines et des forces qui t’ont façonnée ». 

La pluie, avant qu’elle ne tombe, JONATHAN COE, Ed. Folio

PROLOGUE

— Bonjour Maude. 

L’adolescente la dévisage durement, mais Black ne s’en formalise pas. La plupart des enfants qui intègrent son école n’ont pas vécu des années faciles et elle est bien placée pour les comprendre.

— Tu t’es montrée insolente avec ton professeur aujourd’hui. 

— Je ne devrais pas être là de toute façon, murmure Maude, la mâchoire serrée.

— Et où devrais-tu être ? soupire Black. 

Les yeux de l’adolescente à fleur de peau brillent et Black devine que les larmes ne sont pas loin. 

— Chez moi…

— Ton quartier n’existe plus Maude, tu le sais bien.

Black essaye de faire preuve de douceur, mais elle sait que quoi qu’elle dise, la jeune fille ne sera pas apaisée pour autant. Cela fait à peine trois ans que la paix règne. Du haut de ses quinze ans, Maude a grandi au rythme des conflits. Tout s’est passé si vite. Presque du jour au lendemain, les affrontements entre gangs se sont intensifiés à travers tout le pays, alimentés en armes et moyens par les pays voisins qui voulaient fragiliser le gouvernement en place. Ils y sont d’ailleurs parvenus… depuis plus de douze ans, les gangs se partagent le territoire.

Dans un premier temps, les campagnes ont été plutôt épargnées, les villes ont été grandement plus impactées, voire détruites. Heureusement, maintenant la situation est stabilisée.

— Maude, tu sais que la vie n’est pas facile à l’extérieur du quartier pour les Modifiés. Tu as encore besoin de temps. 

L’adolescente ne l’écoute déjà plus. Elle sanglote, les bras autour de ses jambes remontées sur la chaise.

LIA

CHAPITRE 1

Le bip régulier du lecteur numérique qu’elle passe sur le code barre des livres la berce doucement ; Lia secoue la tête pour garder les idées claires et rester concentrée sur sa tâche. 

La nuit n’a pas été de tout repos, ponctuée par le bruit des coups de feu et des sirènes de pompiers. En venant au bureau, elle a vu de la fumée s’élever au loin et elle a supposé que l’incendie n’était pas encore maîtrisé. Malgré son esprit qui a eu tendance à divaguer toute la journée, la jeune femme est plutôt satisfaite : elle a réussi à traiter trois caisses d’ouvrages aussi divers que variés. Évidemment, cela ne vaut pas le temps où elle dirigeait la section d’achats de la bibliothèque, mais elle a quand même à cœur de bien faire son travail, ne serait-ce que pour ne pas se faire remarquer.

— Lia ?

Cette dernière sursaute en entendant la voix grave de son responsable. Lewis la fixe en fronçant les sourcils, sa peau sombre plissée par l’inquiétude et par ses cinquante-trois ans. Surprise, elle jette un regard un peu hagard dans le bureau et elle réalise que Cyril, son seul collègue, n’est déjà plus là.

— Il est quelle heure ? 

— Celle de partir, tu devrais te dépêcher, nous n’avons qu’une heure de trêve. 

Lia en a parfaitement conscience : dépasser l’heure limite est dangereux. Elle est reconnaissante à Lewis de l’avoir rappelée à l’ordre en plus de ce qu’il fait déjà pour elle au quotidien. Aujourd’hui, rares sont les femmes ayant encore un poste pour pourvoir à leurs besoins. 

— Oui, oui, désolée. Je n’ai pas vu l’heure passer. Je pars tout de suite. Bonne soirée.

— À toi aussi. Dépêche-toi.

Lia se lève et ramasse rapidement ses affaires. Elle enfile un long manteau rendu informe par l’âge et prend soin de se couvrir le visage de sa grande capuche afin de se prémunir du regard des autres. 

Une fois la porte de la bibliothèque municipale passée, elle se mêle à la foule compacte qui avance à grandes enjambées, la tête basse. L’odeur âcre d’une fumée douteuse, en plus des parfums nauséabonds habituels, la saisit et Lia ajoute mentalement des masques filtrants jetables à sa liste de course. Cela va lui coûter cher, mais ne sachant pas quels composants se promènent dans l’air ambiant, elle préfère jouer la prudence. 

Après une brève hésitation, elle se dirige vers l’Avenue-de-la-Liberté. Elle a trop peur de tomber sur un membre d’un gang dans les marchés noirs pour se risquer à y aller même si les prix y sont bien plus abordables.

Il lui faut de précieuses minutes pour atteindre sa destination et son marathon commence. Elle court entre les étals pour rassembler aussi vite que possible les articles nécessaires pour sa survie. Il n’y a rien d’extravagant : des boîtes de conserve, du riz et des pâtes pour tenir une petite semaine. 

Les boutiques faites de bric et de broc n’ont rien d’engageant. Les vendeurs ont une mine peu avenante qui l’aurait sûrement poussée à rebrousser chemin, il y a encore quelques années de ça. 

Elle repère les masques et à grand renfort de coups de coudes pour se faufiler, en achète un sans un regard pour le commerçant aussi pressé qu’elle. Elle ne s’est pas trompée, le prix est exorbitant et elle devra se serrer la ceinture plus tôt que prévu. 

Avec un léger temps de retard, elle remarque qu’elle avance plus facilement. C’est anormal et la peur s’insinue en elle. La jeune femme ne comprend pas : les lieux devraient être encore pleins à cette heure-ci. Cela ne fait pourtant qu’une quinzaine de minutes, tout au plus, qu’elle est sortie de la bibliothèque. D’un geste fébrile, elle récupère une vieille montre dans sa besace chargée et constate que les aiguilles fatiguées indiquent dix-sept heures quarante-huit. Il lui reste seulement douze minutes pour parcourir une distance qui en nécessite normalement vingt. Quinze à très vive allure, mais la course est proscrite, car le souffle lui manque déjà d’avoir autant tourné dans le marché. 

Lia avale sa salive avec difficulté en comprenant l’urgence de la situation. Elle s’insulte intérieurement de s’être conduite de façon si imprudente. La moindre des choses aurait été de vérifier l’heure lorsqu’elle a réalisé qu’elle n’avait pas entendu la cloche sonner. Il est clair à présent qu’elle n’avait pas le temps de terminer tous ses achats ce soir. 

Sachant qu’elle n’a pas d’autre choix, elle prend la direction de son appartement, le corps chancelant d’appréhension. Elle est dans une position délicate et il va falloir qu’elle compte sur sa bonne étoile. Les gangs ne démarrent pas les confrontations dès dix-huit heures, mais graduellement jusqu’à atteindre son apogée à la tombée de la nuit, elle a donc théoriquement toutes ses chances de rentrer chez elle sans être coincée entre deux feux. Lia accélère le pas en s’accrochant à cette idée. 

Lorsque les cloches sonnent la fin de la trêve, la jeune femme ne sait plus comment agir. Courir la rendrait suspecte, mais marcher tranquillement augmente son exposition aux dangers. Elle panique. Son cerveau refuse de fonctionner normalement.

Quand on lui saisit le bras, elle ne comprend pas immédiatement ce qui lui arrive. Le temps qu’elle se ressaisisse, l’inconnu a réussi à l’entraîner dans une ruelle sombre. Il l’aveugle avec une puissante lampe torche tout en abaissant de son autre main sa capuche.

— Bonne pioche, une fille ! Ça va valoir un petit paquet au marché noir !

Le souffle lui manque. Quelle que soit la personne qui l’achèterait, Lia ne donne pas cher de sa peau. L’homme s’approche d’elle et se colle autant que possible pour la fouiller. Son odeur rance d’alcool et de crasse lui donne envie de vomir. Ses doigts s’attardent sur son corps, la terrifiant. Il attrape son sac en bandoulière rendue lourd par les quelques boîtes de conserve et, d’un geste brusque, le retire pour le jeter hors de portée. Le couteau à l’intérieur est désormais inaccessible. 

Appeler au secours serait du suicide et ne pourrait qu’attirer un nouvel agresseur aussi bien attentionné que le premier. Lia a beau réfléchir, elle ne trouve rien qui puisse l’aider, aucune feinte pour s’enfuir. L’inconnu déboutonne son manteau, certainement pour évaluer la marchandise. 

Les mains de la jeune femme tâtent discrètement le mur derrière elle dans un acte désespéré. L’une d’elles entre en contact avec quelque chose de long et dur. Elle essaye de le manœuvrer légèrement et elle sent que l’objet n’est pas retenu. D’un geste guidé par la terreur, elle soulève le tuyau et frappe l’homme de toutes ses forces dans les côtes. Il pousse un grognement en reculant. Elle ne lui laisse pas le temps de réagir et lui donne un deuxième coup à la tête, le projetant au sol. 

Elle reste quelques secondes, tremblante, à regarder son agresseur assommé. Son esprit sort doucement de sa torpeur : elle doit se mettre l’abri. Elle se dirige à petits pas rapides vers l’avenue, attrape son sac au passage sans prendre la peine de ramasser les boîtes qui s’en sont échappées et le riz qui s’est répandu sur le bitume. 

À peine a-t-elle rejoint l’axe principal que Lia tombe face à un homme. Grand, une tête et demie de plus qu’elle, blond aux yeux bleus et rasé de près, il est plus propre que son premier agresseur. 

— Wouha, t’as une mine horrible !

Ses pupilles sont écarquillées par la terreur. Son expression effrayée est amplifiée par le fond de teint blanc et les traits noirs qui accentuent ses cernes qu’elle prend soin de réaliser chaque matin. L’inconnu regarde par-dessus l’épaule de Lia qui se fige en devinant qu’il voit l’homme inconscient : elle craint les représailles. Il reporte son regard sur elle et lève un sourcil dubitatif.

— Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me concerne pas, mais tu devrais remettre ta capuche. Même maquillée, on voit que tu ne devrais pas être dehors.

Bien que déstabilisée par le conseil inattendu, Lia obéit. L’homme aux cheveux pâles reprend sa route sans un mot de plus, laissant derrière lui une jeune femme désorientée. Elle finit néanmoins par se ressaisir et par se diriger vers son appartement, le visage baissé. Lia ne court pas, même si ce n’est pas l’envie qui lui manque. Profitant de la pénombre qui s’intensifie, elle longe les murs pour passer inaperçue. 

Chaque pas la plonge dans une frayeur sans nom. Quand sa main tremblante touche enfin la poignée de porte de son immeuble, elle ne peut retenir un soupir de soulagement. Elle l’abaisse, mais cette dernière refuse de s’ouvrir et elle peine à retenir un cri de frustration. Lia se souvient alors que pour plus de précautions, la dame du rez-de-chaussée a décidé de la fermer chaque soir pour leur offrir une maigre protection supplémentaire. 

La jeune femme cherche fébrilement ses clés. Elle espère ne pas les avoir perdues dans la ruelle. Le tintement léger du métal lui arrache un gémissement anxieux. Enfin, elle les met dans la serrure avec des gestes mal assurés et la déverrouille enfin. 

Lia s’engouffre dans le hall de l’immeuble en haletant. Il lui faut plusieurs secondes pour retrouver un peu de force afin de refermer à clés derrière elle. Elle monte les trois étages pour atteindre son refuge et une fois à l’intérieur, elle s’écroule. 

Un long moment, à genoux sur le sol carrelé du studio, la jeune femme est secouée par des sanglots incontrôlables. Elle sait qu’elle a échappé de peu à l’enfer et qu’elle est pratiquement une miraculée. Cela lui fait prendre pleinement conscience de la précarité de sa situation. Jusque-là, elle a réussi à se protéger en suivant scrupuleusement les règles qu’elle s’est imposées. À grand renfort de profondes inspirations, elle finit par se calmer. Elle est toujours agitée de tremblements, mais elle est incapable de déterminer si c’est le froid ou la peur qui en est la cause. 

Au réveil, Lia a du mal à ouvrir les yeux. Sa nuit a été écourtée par les souvenirs de la veille qui n’en finissaient pas de la hanter. Pour la première fois depuis longtemps, elle s’est demandé si elle ne ferait pas mieux de rejoindre ses parents à la campagne. Certes, la guerre civile y est également présente, mais aux dernières nouvelles, les zones rurales seraient épargnées et les conflits bien plus intenses dans les villes. De toute façon, son père ayant toujours été une figure locale reconnue et respectée, elle est intimement convaincue qu’il fait partie de ceux qui ont le pouvoir.

Assise sur le lit, elle n’est toujours pas sûre de sa décision. Bien que cela puisse lui offrir plus de sécurité, une vie casanière, mariée à un homme choisi par complaisance plutôt qu’avec le cœur et subir l’autorité paternelle, particulièrement étouffante, n’a aucun attrait à ses yeux. La conclusion s’impose d’elle-même : il lui faut donc aller travailler. 

Après avoir attaché grossièrement ses cheveux châtain foncé en chignon, la jeune femme entre dans la salle de bain pour se maquiller, comme à son habitude. Ses yeux bruns, dont le blanc est injecté de sang par le manque de sommeil, ajoutent une touche finale bienvenue. Lia enfile ensuite deux couches de vêtements aussi sombres que lâches pour se protéger du froid de l’hiver naissant. 

Attrapant ses clés sur le comptoir de la kitchenette, elle retourne sa besace sur la table du coin-cuisine. Son contenu s’éparpille et des piles tombent sur le sol. Elle les ramasse et commence une inspection visuelle de son kit de survie. Rien ne semble avoir souffert de la confrontation de la veille.

Lia teste la lampe torche qui s’allume sans problème. De la même façon, elle s’assure du bon fonctionnement des piles de rechange. Minutieusement, la jeune femme vérifie les dates de péremption de quelques barres de céréales, ainsi que de la boîte de conserve et des sachets de soupe lyophilisée. Le couteau s’ouvre toujours aussi facilement et son vieux taser est complètement chargé. Elle sait que cela pourrait lui sauver la vie un jour et elle met un point d’honneur à tout contrôler consciencieusement. 

La besace à la hanche, elle enfile son large manteau par-dessus et quitte son cocon. Une fois devant la porte de l’immeuble, elle inspire profondément et place le masque de protection sur son nez. Son odeur, quoiqu’un peu étrange, est toujours plus agréable que celle qui plane dans les rues. D’une démarche décidée, elle se mêle aux passants très pressés durant l’heure de trêve.

Pour ne pas que la ville meure économiquement, les gangs sont tombés d’accord pour laisser les civils évoluer dans une paix toute relative de huit heures à neuf heures le matin et de dix-sept heures à dix-huit heures le soir. Aujourd’hui, la grande majorité des gangs ayant scellé celui-ci n’existe plus, mais cette habitude persiste. En dehors de ces heures, les chances de se retrouver coincé entre deux feux sont trop grandes pour prendre le risque de sortir.  

Lia slalome dans la foule tout en surveillant ce qui l’entoure avec nervosité. Du coin de l’œil, elle devine un fusil sous le blouson d’un homme statique. Instinctivement, la jeune femme cherche le symbole qu’il doit avoir sur la main. Il a un tatouage qui ressemble à un œil dans un triangle : la marque des Illuminavit, le gang qui dirige son quartier. Quelque part, cette idée est rassurante. Chaque groupe a ses propres règles et ses personnes à persécuter, elle n’a donc pas à s’inquiéter d’un éventuel changement. Bien qu’ils estiment que les femmes doivent rester à la maison, les Illuminavit ne les traquent pas avec trop d’insistance, ce qui lui laisse une marge de manœuvre bienvenue. 

Quelques instants plus tard, le bâtiment en pierres anciennes est en vue : Lia a la chance d’habiter à moins de cinq minutes de la bibliothèque municipale et cela limite considérablement les risques d’agressions qu’elle pourrait subir lors de ses trajets quotidiens. 

Une fois à l’abri, la jeune femme inspire profondément pour retrouver son souffle et un rythme cardiaque plus raisonnable. Dès qu’elle est à l’extérieur, elle s’attache à adopter une démarche vive et essaye de respirer le moins d’air possible pour éviter d’avaler les relents d’ordures, de poudre et de sang qu’elle ne supporte toujours pas malgré les années qui passent. 

Lewis lui sourit. Chaque matin, il l’attend dans le hall pour lui permettre de rejoindre les sous-sols sans entrave. Il lui jette un coup d’œil suspicieux, sentant qu’elle est plus tendue que d’habitude. Son responsable ne lui pose néanmoins aucune question, soucieux de ne pas se mêler des affaires qui ne sont pas les siennes. Son téléphone, objet devenu rare, sonne et il le sort de sa poche avec des gestes fébriles. Inquiète de rester au milieu du passage, Lia surveille nerveusement les alentours. Un instant plus tard, il le range, le visage soudain plus grave. 

— On y va ? lui demande-t-il. 

Lia ne se montre pas plus curieuse, elle se doute de ce qui le ronge. Quelques jours auparavant, elle a surpris une conversation entre lui et sa femme. Ils venaient de découvrir que l’homme choisi pour épouser leur fille est violent. Ce qu’ils croyaient être une mesure de sûreté s’est transformée en calvaire. 

Lia suit son responsable avec le visage baissé et évite le regard de ceux qu’ils croisent. Une fois sur place, Lewis s’assoit derrière le bureau où son ordinateur ronronne déjà, l’esprit toujours ailleurs. 

Cyril entre à son tour et elle lui adresse un petit signe de bienvenue auquel il répond distraitement. Son unique collègue affiche un magnifique œil au beurre noir qui ne le met pas du tout en valeur. Pour un homme viril, cela peut faire partie du tableau, mais sur lui qui paraît si fragile, si efféminé, cela sonne faux. Il s’agit d’ailleurs de son problème et de la raison pour laquelle il se terre ici, comme elle. Lewis les protège comme il le peut avec ses faibles moyens et leur fournit un travail et un salaire. 

— Vous n’avez pas l’air d’avoir passé une bonne nuit l’un et l’autre, murmure leur responsable. Essayez de prendre soin de vous quand vous quittez le boulot, je ne peux pas le faire à votre place.

Lia et Cyril hochent la tête de concert. Ils en ont conscience et savent qu’ils jouent un jeu dangereux. Elle s’assoit derrière son PC et tire une caisse pleine de livres à proximité pour amorcer la saisie informatique.

Sa propre descente en enfer a été graduelle. Lia, malgré ses vingt-six ans, gérait une petite équipe de six personnes. Lorsque les gangs ont commencé à gagner en influence, ses subordonnés masculins ont commencé à se montrer désobligeants envers elle. 

Cela fait quatre ans qu’elle a été convoquée, et que la direction l’a forcée à accepter un nouveau poste. Officiellement parce qu’il y avait une réorganisation des effectifs. Officieusement, elle était une femme cadre et c’était très mal vu par le gang responsable du quartier à l’époque. Par chance, Lewis l’a immédiatement prise sous son aile et lui a permis de garder un travail ainsi que son indépendance.

La journée lui a semblé bien longue et Lia a sursauté de nombreuses fois à cause de bruits inhabituels. Revenir chez elle a été une délivrance. 

Pour avoir un peu de compagnie, elle allume la télévision dont les programmes rediffusent en boucle les mêmes documentaires et séries qui prennent de l’âge. C’est un reportage sur la forêt amazonienne et elle repose la télécommande sur son clic-clac avant de déballer, comme chaque soir, son sac sur la table à manger. 

Des coups de feu résonnent et la nervosité la gagne. Après quelques secondes, elle se détend un peu. Il n’y a pas de raisons qu’ils viennent jusqu’à elle. Poussée par une curiosité malsaine, elle entrebâille un rideau pour regarder dehors. 

Un homme est poursuivi par trois autres. Lia est trop loin et il fait trop sombre pour distinguer leurs tatouages qui lui permettraient d’identifier leurs gangs. L’inconnu pris en chasse se retourne et tire avec l’énergie du désespoir. Son acte maladroit porte ses fruits, car deux hommes s’écroulent, touchés par les balles hasardeuses. Elle referme et essaye de retrouver la quiétude de son havre de paix.

La faim commence à la tenailler et elle ouvre ses placards. Une partie de ses courses étant restées dans la ruelle, il n’y a pas grand-chose. Sans conviction, la jeune femme attrape une boîte de raviolis qu’elle vide dans une casserole. Après plusieurs essais infructueux, Lia comprend que le gaz de ville ne fonctionne plus. 

Ce n’est pas vraiment une surprise. Lorsqu’elles ont quitté leur poste sous la pression de leur hiérarchie et des gangs de plus en plus agressifs, de nombreuses employées ont laissé des virus dans les ordinateurs. La bonne nouvelle, c’est que cela a mis un tel bazar que ni la société gérant le gaz, ni celle s’occupant de l’eau ou de l’électricité n’a été capable d’éditer une facture depuis plusieurs années. La mauvaise, c’est que plus personne ne s’occupe de l’entretien du réseau et, petit à petit, des pans entiers de la ville en sont privés. Sans remords, elle se rabat sur son unique plaque électrique.  

En attendant que son plat se réchauffe, Lia attrape un vieux magazine féminin écorné sur la table basse. Elle le connaît par cœur, mais cela ne l’empêche pas de le relire, comme pour trouver un semblant de normalité. Le reportage à la télévision laisse place à des clips datant de quelques années et la jeune femme se lève pour remuer son repas en dansant au rythme de la musique. 

Elle verse le contenu de la casserole dans une assiette et s’installe à la table en formicas pour manger et vérifier son kit de survie. Cela ne lui prend que quelques minutes puis elle abandonne la vaisselle sale dans l’évier. Elle dépose sa besace pleine au pied du clic-clac et entre dans la minuscule salle de bain attenante à l’unique pièce du studio.

Lia se déshabille et se glisse dans sa douche. Elle savoure d’avance l’eau qui va couler sur sa peau : heureusement, le chauffe-eau ne fonctionne pas au gaz. La température agréable lui fait le plus grand bien et elle se détend réellement pour la première fois depuis l’agression. Malgré le plaisir, la jeune femme n’y reste pas très longtemps et à peine séchée, elle se maquille de nouveau, par mesure de précaution. Une fois satisfaite, elle enfile un jogging et un large T-shirt pour dormir. Lia attrape un livre déjà lu trois fois et éteint la télévision. Le clic-clac déplié, elle s’affale en soupirant dans son lit. 

Cela ne fait pas dix minutes qu’elle est installée lorsque quelqu’un frappe à sa porte. Lia est paralysée, incapable d’agir : il y a bien un an qu’une telle chose ne s’est pas produite. Les coups redoublent. Elle décide de faire la morte et d’éteindre la lumière. 

Un son métallique résonne et la jeune femme comprend qu’on tente de crocheter sa serrure. Lia se lève en silence et récupère son Taser dans la besace. Elle s’approche de la porte sur la pointe des pieds. Une fois dans l’angle du mur, cette dernière s’ouvre doucement, presque sans un bruit.

CHAPITRE 2

Quelques secondes après, une tête d’homme aux cheveux clairs apparaît et s’invite sans bruit dans l’appartement. L’intrus n’a pas l’air d’avoir remarqué sa présence et observe les lieux avec prudence. 

Quand la jeune femme distingue suffisamment son dos dans la pénombre, elle tire et l’inconnu s’écroule. Elle entend un juron et réalise avec effroi qu’il y a un deuxième individu qui attend dehors. 

Après ce qui paraît être une éternité, une deuxième tête apparaît. Le nouveau venu a les mêmes cheveux pâles, quoiqu’un peu plus longs que son compère, mais à la place d’un homme de bonne carrure, Lia fait face à un adolescent. Elle serre les poings, prête à aller au corps à corps au besoin : il est menu, elle a ses chances. Avant même d’avoir fait un pas, la jeune femme s’arrête nette, les yeux fixés sur l’arme braquée sur elle. L’objet contraste d’une façon malsaine avec la sucette qu’il a dans la bouche. 

— Eh ! La femelle, t’es quoi ?

Lia serre les dents. Elle a envie de le gifler pour faire disparaître l’air hautain que l’adolescent arbore. Il se croit supérieur parce qu’il est armé et la jeune femme n’a pas la possibilité de lui prouver le contraire sans mettre sa vie en danger. Avec suspicion, l’inconnu la dévisage.

— Bah quoi ? Tu as perdu ta langue ? 

— Vous êtes chez moi, lâche-t-elle du bout des lèvres.

 Lia a beau réfléchir, elle ne trouve aucune échappatoire. Le jeune homme l’observe et elle le sent indécis. Il jette de nombreux regards au deuxième individu, toujours inanimé, et elle réalise que son attitude confiante n’est qu’une façade. L’adolescent n’a pas l’air très à l’aise avec l’arme et Lia regagne espoir : peut-être qu’elle peut négocier. 

— Je ne savais pas comment réagir, tente-t-elle de se justifier. Je suis désolée.

Il ne répond pas et se passe la langue sur les lèvres avec nervosité. Inquiète, elle observe l’homme au sol. Lia fronce les sourcils en réalisant qu’elle le connaît ; elle l’a furtivement croisé après l’agression. Elle prend peur lorsqu’elle comprend qu’ils ne sont peut-être pas là par hasard. La jeune femme poursuit son inspection et durant une seconde, son cœur s’arrête de battre. Il porte un lion rugissant sur le dos de sa main et elle distingue le début d’un code-barres sur son poignet. 

Plus d’une dizaine de petits gangs qui manquent de stabilité et trois clans se partagent le territoire. Hormis les Illuminavit qui dominent son quartier, elle n’en connaît que quelques-uns. Entre autres, il y a les Gardiens du feu, les pompiers, les Caducées regroupent médecins et infirmière, les Sudistes, qui dirigent une bonne partie sud de la région, et le Clan Lionnais, bande de mercenaires notoires, qui propose ses services aux plus offrants. 

Plutôt que se concentrer sur l’arme, Lia s’intéresse aux mains de l’adolescent et elle découvre la même marque. La jeune femme déglutit : elle vient de se mettre un membre d’un des clans les plus actifs à dos, la négociation pour sa vie va se révéler délicate, voire impossible. 

L’homme grogne et se redresse péniblement. Lia recule contre le mur lorsque l’adolescent lui fait un signe suggestif de son arme. 

— Léo ? 

Il y a de l’inquiétude dans la voix de l’inconnu, presque de l’affolement. 

— Je suis là, Lud. Tout va bien, lui répond l’adolescent, soulagé de le voir reprendre connaissance. 

— Qu’est-ce qui s’est passé ? 

— Il y avait une femelle !

— Léo, je t’ai déjà dit de ne pas employer ce terme ! Il y avait quelqu’un ? Merde ! Tu l’as tuée ? 

— Non ! 

L’homme soupire, comme rassuré, et Lia reprend un peu espoir.

— Pourquoi n’a-t-elle rien dit quand j’ai frappé ? Et elle est où ?

— Derrière toi !

À présent assis, Lud jette un regard vitreux autour de lui. Ses yeux s’arrêtent sur elle et Lia se tasse un peu plus sur elle-même. Il se lève en chancelant. Une fois debout, il inspire pour retrouver son équilibre et son aplomb. Lia est terrorisée. Hurler ne servira à rien, tenter de fuir ou se défendre lui semble désuet : s’il veut la tuer, elle est à sa merci. Le plus jeune poursuit : 

— Elle a l’air malade. Je suis pas sûr qu’on puisse rester là. 

— On ne peut pas ressortir, Léo, réplique l’adulte sur un ton grave. 

Il récupère l’arme de l’adolescent et la range dans un étui sous sa veste. L’inconnu s’approche d’elle et plisse les yeux. Soudain, ses pupilles s’écarquillent de surprise.

— Et bien, pour une coïncidence ! 

Il a l’air sincère, mais elle a du mal à le croire. Sa réaction interpelle l’adolescent à présent perplexe.

— Tu la connais ? 

— Je suis tombée sur elle avant-hier en cherchant des infos. 

Lud la regarde avec insistance malgré la pénombre de la pièce. Lia reste silencieuse, anxieuse. 

— Tu sembles intelligente, donc je vais te proposer un marché : je suis sûre que tu comprendras vite où est ton intérêt. Je te laisse mon frère pour la nuit. Tu prends bien soin de lui et si je le récupère demain sans une égratignure, je passe l’éponge sur… l’incident. Sinon, je te tue. Qu’est-ce que tu en penses ?

Lia n’est pas convaincue d’avoir le choix. Léo n’est guère plus enthousiaste qu’elle. 

— Je ne veux pas rester là. Elle est malade !

— Non, je pense que c’est juste du maquillage. 

— Lud, me laisse pas, geint l’adolescent. 

— J’ai des choses à faire cette nuit et il est hors de questions que tu m’accompagnes. 

— Mais…

— La discussion est close. 

L’homme se détourne de son frère et fait face à Lia, trop près au goût de la jeune femme. 

— Il va bien à mon retour, tu vis. Il lui arrive quoi que ce soit, je te tue. Tu fuis : je te cherche, je te trouve et je te tue. Je te jure que tu regretteras que l’homme ne se soit pas occupé de toi dans cette ruelle. Compris ?

 Lia hoche la tête frénétiquement et il affiche un sourire satisfait. 

— Parfait, à plus tard. 

D’un pas vif, il quitte l’appartement et referme la porte derrière lui. Lia et Léo se dévisagent sans parler, aussi mal à l’aise l’un que l’autre. D’un geste lent, elle appuie sur l’interrupteur et ils clignent des yeux à cause de la brusque luminosité. Léo lui paraissait plutôt menu dans la pénombre et son sentiment est renforcé à la lumière : il est chétif, presque aussi pâle qu’elle, les yeux cernés et de la saleté macule ses joues. Aux traces, Lia suppose qu’il a pleuré dans les dernières heures. Elle le voit tirer sur ses manches et constate que des liens ont rougi ses poignets et égratigné sa peau. 

Elle tend le bras pour regarder de plus près, mais il recule. Léo se prend les pieds dans les chaussures de la jeune femme, placées près de la porte, et tombe à la renverse. Sa sucette lui échappe, laissant une traînée gluante sur le carrelage. 

— Me touchez pas, la menace-t-il. 

Lia lève les bras en signe d’apaisement. 

— D’accord, désolée. C’est juste que vos poignets ont l’air blessé et…

— Ça vous regarde pas !

— J’ai compris, je voulais juste aider. 

L’adolescent se relève péniblement, recule avec crainte dans l’appartement. Pourtant, son frère s’est montré suffisamment persuasif pour qu’il ne vienne même pas à l’esprit de Lia d’intenter quoi que ce soit contre lui. 

— Il y a une porte sur votre gauche. 

L’adolescent tourne la tête une fraction de seconde comme s’il avait peur de la perdre de vue. 

— C’est une salle de bain. Si vous le souhaitez, vous pouvez vous doucher, vous soigner avec ce qu’il y a sous le lavabo. Il y a de grands T-shirts et un jogging dans le placard du fond. La porte ferme à clé, je ne pourrais pas vous… déranger. 

Lia a un peu de mal à trouver ses mots. L’adolescent n’a pas l’air convaincu. Il regarde plusieurs fois la pièce furtivement, sans rien dire. Enfin, il finit par ouvrir la bouche : 

— Il y a de l’eau chaude ? 

Son ton plein d’espoir arrache un sourire à la jeune femme. 

— Il y en avait encore tout à l’heure quand je me suis douchée !

En crabe, l’adolescent se dirige vers la salle de bain sans la quitter des yeux. Lia reste immobile jusqu’à ce qu’elle entende le verrou. Elle baisse ses bras et se retient de justesse de tomber à genoux : l’adrénaline redescend et la laisse pantelante. 

Après un temps nécessaire pour se reprendre, elle ferme à clé pour plus de sécurité. La jeune femme ramasse ensuite la sucette abandonnée pour la mettre à la poubelle et d’un coup d’éponge nettoie le sol. 

À contrecœur, elle réaménage quelque peu son appartement. Cela fait plusieurs années qu’elle n’a pas eu de visiteurs et l’idée de partager son toit ne lui plaît pas. Par mesure de précaution, elle laissera son lit à l’adolescent. Lia récupère des couvertures dans un placard pour se créer un couchage de fortune près des meubles de la kitchenette : dans vingt mètres carrés, il est difficile de mettre de la distance entre eux, mais elle fera au mieux. 

Après un instant de réflexion, elle décide de lui préparer à manger. Vu ses réserves et l’achat du masque, cela va être financièrement délicat à gérer, mais rien n’est trop beau pour se mettre Léo, et par conséquent, Lud, dans la poche. 

Lia lave une casserole et choisit une de ses dernières conserves : lentilles et saucisses. Elle allume la plaque et lance la cuisson. Les bras croisés sur la poitrine, elle se les frictionne comme pour chasser le froid qui n’est pourtant pas là. Le regard dans le vague, elle fixe la cuisinière sans vraiment la voir, l’esprit ailleurs. 

Un raclement de gorge la ramène à l’instant présent. Elle s’empresse d’éteindre en constatant que des bulles éclatent sous l’effet de la chaleur. 

— Vous avez faim ? 

L’adolescent la fixe avec méfiance. Lia insiste sans conviction : 

— C’est une boîte, mais ce n’est pas si mauvais. 

Léo s’assoit sans rien dire, mais elle ne s’en formalise pas. Elle dépose sa casserole sur le dessous de plat, sort une assiette et des couverts de l’égouttoir. Il se sert généreusement et dévore les lentilles comme s’il n’avait pas mangé depuis dix jours. 

À présent qu’il est lavé, Lia remarque la finesse de ses traits, presque féminins. Ses yeux bleu clair sont soulignés de cils épais qui les font ressortir. Il dégage une étrange candeur. 

— Arrêtez de me regarder. 

— Désolée !

Soudain, l’adolescent se lève et elle l’observe sans bouger. Il inspecte le lit qu’elle s’est installée près de la table. 

— Sans vouloir vous donner d’ordre, lui précise-t-elle, je pensais que vous prendriez le lit ! 

Léo la regarde puis le clic-clac au fond de la pièce. Bien qu’il hésite un moment, il finit par s’y diriger à pas lents. Pendant que l’adolescent se glisse sous les couvertures, elle fait sa vaisselle. Une fois sa tâche accomplie, elle jette un coup d’œil discret à son visiteur : ce dernier est roulé en boule dans le lit et au rythme de sa respiration, Lia suppose qu’il dort déjà. 

La jeune femme éteint, soupire et s’installe dans l’amas de couvertures. Elle espère qu’elle arrivera quand même à trouver le sommeil. Couchée en chien de fusil, Lia se demande ce qui va se passer si elle décide de rester le lendemain à l’appartement pour veiller sur Léo. Si elle ne se rend pas au travail, elle pourra lui dire adieu.

Plus fatiguée qu’elle ne l’avait réalisé, elle s’endort sans s’en rendre compte et sans avoir trouvé de réponses à ses interrogations. 

CHAPITRE 3

Le réveil sonne et trois grognements simultanés se font entendre. Lia se lève d’un coup en se remémorant les évènements de la veille, trop brusquement pour ses membres crispés qui protestent. La jeune femme réalise, non sans effroi, que Lud est rentré sans la tirer du sommeil. Ce n’est pas rassurant et il faudra qu’elle y remédie : peut-être qu’une guirlande de boîtes de conserve accrochée à la porte ou au-dessus pourrait faire l’affaire.

Les idées encore embrumées de rêves peu joyeux, Lia entre dans la salle de bain, bien décidée à retrouver ses esprits. Une fois sous la douche, elle pousse un petit cri surpris en sentant le jet sur sa peau. La veille, Léo a dû utiliser toute l’eau chaude qui était disponible et elle n’a pas pensé à réenclencher le ballon. La jeune femme expédie sa douche en quelques minutes à peine et se sèche avec des gestes brusques. 

Soudain, la porte s’ouvre et elle a à peine le temps de se couvrir avec la serviette pour cacher sa nudité à l’homme blond qui pénètre à l’intérieur, sans gêne. Lia n’a pas l’habitude de partager son appartement et elle n’a pas pensé à verrouiller. 

Lud reste immobile sans rien dire, la détaille sans discrétion. Pudiquement, la jeune femme rougit plus qu’elle ne le voudrait. Elle se ressaisit et l’interpelle avec agacement :

— Oui ? Je peux faire quelque chose pour vous ?

Lia souhaite juste qu’il ne réponde pas « s’amuser », car elle sait qu’elle ne pourra pas l’éviter. L’homme se reprend et s’adresse à elle avec un sourire courtois.

— Tu te camoufles bien.

Lia était bien plus plantureuse quelques années auparavant, mais le régime forcé imposé par la situation lui a fait perdre plusieurs kilos. Aujourd’hui, elle se considére comme maigre et a du mal à se regarder dans le miroir. Cette remarque déplacée de la part d’un inconnu qui s’invite dans sa salle de bain l’énerve plus qu’autre chose. 

Ne prenant pas la peine de lui répondre, elle cale sa serviette autour de sa poitrine et une fois assurée qu’elle ne tombera pas, attrape son maquillage. Lud fixe son reflet sans rien dire et s’installe plus confortablement contre le mur. Il la regarde appliquer la couche pâle, puis le khôl sur ses cernes. Enfin, il finit par parler :

 — J’ai besoin d’aide. 

Lia lui jette un coup d’œil nerveux et son air sérieux lui fait comprendre qu’elle ne pourra pas y couper.

— Ça peut attendre que j’enfile quelque chose ? Je vais prendre froid, rétorque-t-elle, la gorge sèche. 

— Je suppose.

Lud ressort, au grand soulagement de la jeune femme qui retrouve un peu d’intimité. Elle enfile un jogging et un long pull informe. Devoir faire face à un membre de gang qu’elle a agressé la veille ne la rassure pas. Lia le trouve patientant sagement à même le sol juste à côté de la porte. Elle attend de savoir ce qu’il veut d’elle, une boule au creux de l’estomac. Comme il ne parle pas, mais que l’heure tourne, elle finit par l’interroger avec autant de déférence que possible :

— Que puis-je faire pour vous ? Il y a un problème ?

Lud lui indique d’un signe de doigt de baisser le son de sa voix pour ne pas réveiller l’adolescent, la repousse dans la petite pièce attenante avant de lui répondre dans un murmure :

— Non, tu n’as pas à t’inquiéter, tu as pris bien soin de Léo.

Après un instant de réflexion, il poursuit :

— En fait, j’ai deux choses à te demander : d’abord, on va devoir rester là pour la journée, il me faudrait donc tes clés.

Lia en conclue qu’elle n’est donc pas obligée de leur tenir compagnie. Elle pourra aller au travail ce qui est déjà une bonne nouvelle, bien que lui laisser son trousseau ne l’enchante pas.

— Je les mettrai dans la boîte aux lettres en partant, continue-t-il sans tenir compte de son mutisme. Pour la deuxième chose…

Il tarde à poursuivre sa phrase et elle le pousse à parler : 

— Oui ?  

— J’ai besoin de soin.

Sans prévenir, il baisse son pantalon déchiré, tâché de sang pour laisser apparaître un bandage grossier sur sa cuisse. Il défait le tissu et révèle une profonde entaille que Lia découvre en grimaçant.

— C’est plus que des premiers soins dont vous avez besoin, mais d’un médecin ! 

— Ce qui est impossible pour le moment, donc il va falloir que tu fasses au mieux. 

Lia regarde la balafre, incertaine de pouvoir y remédier. Elle n’a pas suivi de formation de premiers secours et devenir une infirmière dévouée ne lui a jamais traversé l’esprit. 

La jeune femme inspecte la plaie, se permettant de la palper avec précaution. Lud ne dit rien, mais l’observe avec intensité, ce qui la rend nerveuse. Elle sent qu’elle n’aura pas le droit au moindre faux pas. 

Après avoir récupéré une serviette, Lia nettoie le sang qui perle de la blessure puis la savonne n’ayant pas de meilleur antiseptique à y appliquer. Elle ne peut retenir une grimace lorsqu’elle constate combien la plaie est profonde. Malgré ses gestes aussi doux que possible, elle voit les muscles de Lud se contracter. Il lui faut ensuite un instant de réflexion avant de prendre un torchon propre dans la cuisine ainsi qu’un couteau. En l’attendant, l’homme s’est assis à même le carrelage de la salle de bain, avec un air serein malgré son impressionnante lésion. 

Lia coupe le torchon en lanière dans le sens de la longueur. Après avoir épongé de nouveau le sang, elle confectionne un bandage de fortune. Une fois fini, elle regarde le résultat sans enthousiasme et espère qu’il sera plus satisfait qu’elle par ses soins. Avec crainte, Lia lève le visage vers Lud qui la dévisage sans gêne de ses yeux perçants.

Avec hésitation, elle prend la parole :

 — Je ne sais pas si ça vous va…

— C’est bon, je n’aurais pas mieux fait tout seul de toute façon.

Les cloches sonnent pour indiquer l’heure de liberté matinale. Lia saute sur ses pieds.  

— Merde, je suis en retard ! 

La jeune femme se fige quand elle réalise qu’elle n’a pas l’aval de son invité pour quitter les lieux.

— Je peux y aller ? J’ai besoin de ce travail !

— Je t’en prie. 

Lia se précipite dans le salon, met son manteau et enfourne ses affaires dans son sac. Avant de partir, elle donne une dernière indication sans prendre la peine de voir si quelqu’un l’écoute : 

— Je pose les clés sur le meuble devant la porte. 

Sans attendre de réponse, elle glisse celle de la boîte aux lettres dans sa poche, rabat sa capuche et court en direction du rez-de-chaussée, pressée. 

Le soir même, Lia ouvre sa boîte aux lettres, surprise de réellement y découvrir son trousseau. Elle monte les marches qui mènent jusque chez elle avec une certaine appréhension. La clé tourne sans problème dans la serrure et la porte pivote sans difficulté sur ses gonds. 

La jeune femme entre et observe son refuge avec minutie. Il n’y a pas de traces de leur passage, comme si tout cela n’avait été qu’un rêve. Elle est presque déçue de comprendre que tout est revenu à la normale. Hormis Lewis et Cyril, elle n’a plus parlé à personne depuis longtemps et les échanges qu’elle a eus avec les deux intrus lui rappellent combien elle se sent seule parfois. Lia se laisse tomber dans le clic-clac à présent replié. Elle se perd dans ses pensées et lisse distraitement la housse du canapé. 

Lia n’a jamais été contre intégrer un gang : cela lui permettrait d’acquérir un certain statut et un semblant de sécurité. De plus, elle pourrait sortir de sa solitude, ce qui ne se serait pas un mal. 

Malheureusement, c’est une idée qui a peu de chance d’aboutir. Tout d’abord, la plupart des gangs sont plus un ramassis de voyous que de vraies organisations qui tentent de construire quelque chose. Ensuite, il faut pouvoir y entrer et elle n’a aucune idée de la façon dont ça se passe. Enfin, malgré la précarité de sa situation actuelle, il serait encore plus dangereux de se mettre à découvert. Pour le moment, elle n’a pas d’autre choix que de poursuivre cette vie solitaire. La sirène annonce la fin de la trêve et la jeune femme se relève, lasse. Avec un soupir résigné, elle attrape son sac et le vide sur la table de la cuisine comme chaque soir…

Quand des coups sur sa porte la réveillent en sursaut, Lia se demande dans un premier temps ce que le grand blond a bien pu oublier. Lorsque les coups de poing se transforment en coups de pied tout aussi violents, la jeune femme réalise que ce n’est certainement pas lui et qu’elle a des ennuis. Elle se lève d’un bond en regardant l’heure. Il est quatre heures du matin et le ciel est encore sombre dehors. 

— Ouvrez ! On sait que vous êtes là ! 

Lia peste en sentant l’agressivité dans la voix de l’homme. Elle enfile avec maladresse un pull au-dessus de son T-shirt avant de resserrer le galon de son jogging pelucheux. Pendant que l’inconnu s’acharne de plus en plus, elle attrape son sac et son manteau. 

L’homme ne frappe plus, il cherche à briser la porte et au bruit sinistre qu’elle entend, il est en bonne voie pour y parvenir. Électrisée par l’urgence de la situation, elle enfile son manteau avec son sac en bandoulière par-dessus ses vêtements. 

Lia se dirige vers la seule issue qu’elle ait et qui était bloquée la dernière fois par Léo : la fenêtre. La jeune femme a un haut de cœur quand elle regarde les trois étages qui la séparent du sol. Elle se force à quitter le vide des yeux pour se concentrer sur le toit du garage de l’autre côté de la ruelle. 

À présent, l’homme tire dans la porte, furieux qu’elle ne cède toujours pas sous ses coups. Lia se penche pour s’assurer que le cul-de-sac soit bien désert. Elle ne perçoit aucun bruit, aucune ombre et elle monte sur le rebord pour se préparer à sauter en tentant de vaincre sa peur et son vertige. 

Quand le bois rompt dans un grincement sinistre, son instinct lui donne l’impulsion nécessaire et elle saute. Le bruit des coups de feu et de la porte qui s’effondre cachent le son de sa chute maladroite sur la tôle du garage. Elle se relève, tremblante et surprise d’être encore en un seul morceau. 

Lia se colle au mur pour être le moins visible possible depuis la fenêtre et se dirige à petits pas prudents vers l’extrémité du toit. Osant à peine respirer, elle essaye de ne pas penser aux grincements que provoquent ses enjambées. La jeune femme entend des cris et des coups de feu dans son appartement. Elle essaye d’accélérer sa progression en silence. 

Une fois au bord, elle cherche dans la pénombre le moyen le plus sûr de descendre les derniers trois mètres cinquante. Elle devine une maigre gouttière dans l’angle du mur et décide de l’utiliser en tant qu’échelle de fortune. Après avoir descendu un mètre à peine, cette dernière cède et Lia tombe dans un tas de cartons laissés par le propriétaire du garage quelques mois auparavant, lors de la fermeture de l’établissement. De nouveau, elle capte de l’agitation au-dessus d’elle et elle s’empresse de se coller contre la tôle sans oser bouger un cil par peur de se faire repérer. La jeune femme frotte ses paumes écorchées l’une contre l’autre et grimace d’inconfort.

À présent qu’elle est en bas, Lia réalise que ses projections en cas de situation critique n’ont jamais été plus loin et qu’elle doit improviser.

CHAPITRE 4

Avec difficulté, son cerveau se remet à fonctionner pour trouver une issue. Lia cherche autant avec ses yeux qu’avec ses mains pour pallier à la pénombre. Ses doigts testent la résistance de la chaîne qui ferme définitivement le garage et elle déglutit. Même en insistant, elle ne cédera pas. 

La jeune femme continue de tâter avec fébrilité la tôle et distingue une ouverture familière. Une lueur d’espoir illumine son esprit et elle se retient de crier tant l’afflux d’adrénaline est puissant. 

Elle se souvient qu’un des employés avait perdu la clé et, pour éviter les foudres de son patron, venait avant tout le monde pour passer par le vasistas. Il ne restait plus ensuite au jeune homme qu’à déverrouiller les portes de l’intérieur. Elle l’a regardé faire tous les matins, amusée par son manège. 

Lia monte sur un jerrican abandonné et tente de pousser la vitre. Cette dernière refuse de bouger et elle craint qu’elle n’ait été scellée. Par désespoir, la jeune femme s’acharne dessus pendant ce qui lui paraît être une éternité, avant de comprendre qu’il ne faut pas la pousser vers le fond, mais la faire coulisser vers la droite. Soulagée, elle lance son sac à travers la fenêtre et s’y réfugie en se glissant par l’ouverture exiguë. 

Une fois à l’intérieur, elle prend soin de bien refermer derrière elle, récupère son kit de survie et s’immobilise, effrayée à l’idée que quelqu’un d’autre soit déjà là. Comme elle n’entend rien, elle se tasse dans un coin sombre du bâtiment et espère que ses poursuivants ne soient pas trop tenaces. Par mesure de précaution, elle sort son Taser et met son couteau dans sa poche, mais avec l’espoir de ne pas avoir à s’en servir.  

Après un long moment, Lia distingue deux voix d’hommes dans la ruelle. Le mur du garage déforme les sons et l’empêche de comprendre ce qu’ils se disent. La porte d’entrée pousse des gémissements désagréables lorsqu’ils tentent de l’ouvrir et la jeune fille devine que la personne qui s’acharne sur la chaîne commence à perdre patience. Il insiste plus encore, décidé à en venir à bout. Le métal rouillé de la tôle couine quand il cède. Elle peut enfin comprendre ce qu’ils se racontent et réalise avec effroi qu’ils ont des lampes électriques. Elle se tasse un peu plus dans l’ombre d’une carcasse de voiture en espérant l’impossible. 

— C’est bien, bravo, tu as réussi à ouvrir ! Maintenant j’aimerais que tu m’expliques comment elle a pu entrer, vu comme la porte était bien fermée de l’intérieur ! 

— Oh, fais pas ton chieur. Le chef a dit de fouiller partout. 

— Il a également dit de ne pas perdre notre temps. 

— T’as autre chose à faire, l’intello ? 

— Oui, chercher la meuf. Je n’ai pas besoin de pièces automobiles. 

— T’as tort, au marché noir ça vaut une fortune. 

— Si quelqu’un s’en aperçoit, on aura des emmerdes. Je te suis pas. 

— Eh bien, casse-toi alors ! Parce que je n’ai pas l’intention de me priver. Il faut saisir sa chance au vol, et si tu es trop con pour le comprendre, c’est pas mon problème !

Il y a un instant de flottement puis Lia devine des bruits de pas qui s’éloignent. Quelques secondes plus tard, le deuxième homme s’enfonce dans le bâtiment en insultant son collègue qui l’a abandonné. La jeune femme le suit à l’oreille, incapable de voir autre chose que la lumière de sa lampe. Elle ose à peine respirer de peur de se faire repérer. Le mercenaire avance avec lenteur au milieu des vestiges du garage : colonnes sur roulettes, voitures plus en état de rouler, outils… 

Elle sursaute lorsqu’il lâche un juron et aperçoit avec désespoir une pièce métallique qui ressemble à une balle, rouler sous la carcasse derrière laquelle elle se cache. L’homme peste et se met à genoux pour chercher son précieux bien. Quand il regarde sous le châssis avec sa lampe, Lia sent son sang se glacer. Elle l’entend rire et contourner le véhicule. La jeune femme tente de fuir, mais elle est bloquée par des étagères effondrées et le mur. Poussée par la détresse, elle passe par-dessus le capot avec maladresse, mais une main se referme sans douceur sur sa cheville et la tire en arrière en la projetant par terre. Son Taser lui échappe et tombe, hors d’atteinte de ses doigts désespérés. 

— L’autre con va être dégoûté !

Son agresseur la retourne et se met à califourchon sur elle. Elle tente de se libérer à coup de genoux et d’ongles, mais sans succès. Au ralenti, elle le voit ouvrir la bouche : il va appeler les autres. D’un geste souple, sans préméditation, elle attrape le couteau dans sa poche et le plante où elle peut. Elle est soulagée quand son début de cri se transforme en gargouillis sans puissance, mais la terreur reprend le dessus lorsqu’elle sent un liquide chaud couler sur elle. 

D’un mouvement de hanches, Lia le fait basculer en retenant des gémissements de dégoûts. Elle s’écarte de lui, tremblante, des larmes perlent sur ses joues. La jeune femme ne fait rien pour les arrêter ou les essuyer. Elle se contente de récupérer la lampe de son agresseur avant de chercher son Taser, mais grimace lorsque sa main entre en contact avec une substance poisseuse et sombre. 

Ses gestes sont nerveux, mais elle refuse de céder à la panique. Elle sait que cela ne fera que diminuer ses chances de survie. Une fois le précieux objet retrouvé, elle prend soin de nettoyer son couteau sur un tissu abandonné par les mécaniciens avant de le ranger puis de s’éloigner de sa victime. 

Lia inspecte ses vêtements et constate, non sans malaise, que le haut de sa tenue est couvert de sang. Cette vue macabre déclenche des nausées qu’elle a du mal à tempérer. Un peu hagarde, la jeune femme cherche une nouvelle solution pour quitter le garage et mettre autant de distance possible entre elle et le corps de son assaillant. 

Elle range la lampe de poche éteinte et récupère un châle. Lia retourne son manteau pour essayer de cacher le sang qui l’imprègne et enroule le tissu vieillot autour de sa tête dans l’espoir de dissimuler au maximum son visage avant de rabattre sa capuche par-dessus. Elle place son sac en bandoulière contre son ventre pour se rendre encore moins avenante qu’elle ne l’est déjà. Lia se dirige ensuite vers la porte et prend soin de récupérer un pot avec quelques vis visses au passage. Après s’être assurée que la rue est toujours déserte, elle sort.

Dans la rue principale, Lia devine de l’agitation, si bien qu’elle s’inquiète peu de devenir le centre d’intérêt des badauds en quittant le cul-de-sac. Malgré tout, découvrir les causes d’un tel attroupement l’angoisse : il faut que ce soit grave pour que les gens évacuent leur domicile à cette heure-ci. 

La jeune femme s’avance vers l’allée à petits pas, le dos voûté, autant par précaution que pour garantir le réalisme de son déguisement. Au milieu des bruits difficilement identifiables, elle distingue la sirène des pompiers et devine qu’il y a un incendie, la seule raison qui les fait encore se déplacer. Lia vérifie une dernière fois que sa capuche tombe assez pour la cacher aux yeux des autres et quitte la pénombre pour se mêler aux inconnus. Une fumée âcre la fait tousser et elle a besoin d’un instant pour s’y habituer. 

Après quelques minutes d’errance, Lia finit par avoir une vue d’ensemble de la situation. Le gang a mis le feu au studio. Cela a chassé les habitants du confort douillet de leurs appartements et les immeubles voisins en ont fait autant, craignant pour leur propre sécurité. 

Soudain, Lia prend conscience qu’elle n’a plus d’endroit où retourner et que tout ce qu’elle possède, à présent, elle l’a sur elle. La jeune femme n’arrive pas à savoir si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Elle est en vie certes, mais pour aller où ? Elle regarde d’un air absent les pompiers qui discutent avec le gang maître du quartier afin d’obtenir un droit de passage pour éteindre les flammes.  Elle devine l’échange tendu au visage crispé du pompier en chef. 

La jeune femme distingue clairement le feu qui s’échappe des fenêtres de son ancien appartement et de celles de ses voisins. Il ravage tout et les craquements sinistres qui résonnent la font frissonner. L’obscurité de la nuit rend la lumière rougeâtre, plus impressionnante encore. Des hommes armés sont postés devant et menacent du regard la foule craintive ainsi que les pompiers qui attendent de se frayer un chemin pour sauver ce qui peut l’être.

Lia sursaute lorsqu’elle sent une main sur son épaule. Elle se fige, incapable de respirer ou de faire le moindre mouvement. C’était pourtant inévitable, cela se passait trop bien. Lorsque la jeune femme entend un gémissement, elle se retourne pour faire face à son nouvel agresseur. 

Une inconnue d’une quarantaine d’années pleure de désespoir. D’après ce que Lia arrive à comprendre entre deux sanglots, son fils est à l’intérieur et personne ne peut aller le sauver. Elle supplie toutes les personnes qu’elle a à portée de main, s’agrippe à leurs vêtements, mais personne ne bouge. Les curieux fixent tous l’incendie, comme hypnotisés. Cela n’a rien à voir avec eux, ils ne feront donc rien pour elle. 

Un homme arrive, la ceinture et lui murmure à son oreille des paroles qu’il doit espérer réconfortantes. Ce doit être son mari. Lia remarque plusieurs familles s’accrocher les unes aux autres, comme des naufragés s’agripperaient à un radeau de misère en observant leur bateau couler. Certains arrivent à rester silencieux, mais la plupart ne peuvent retenir des sanglots plus ou moins marqués face au spectacle des flammes qui dévorent tous leurs biens. 

Lia réalise que hormis un endroit où passer ses nuits, elle n’a rien d’autre à protéger que sa propre vie. Dans ce monde chaotique, c’est ce qui s’apparente le plus à la liberté. Le pompier en chef réussi enfin à se faire entendre. Le gang quitte la scène, le sourire aux lèvres. Ils sont satisfaits de leur travail et ne s’en cachent pas. Les pompiers n’attendent pas plus longtemps et se précipitent enfin vers les flammes pour tenter de sauver ce qui peut l’être. Ils aspergent les bâtiments et certains trouvent le courage d’affronter l’incendie à la recherche de survivants. Personne ne se fait d’illusions et même la femme désespérée semble avoir renoncé à retrouver son fils. Lia décide de fuir la scène de crime sans se retourner. Il est inutile d’avoir des regrets, cela ne changera rien à sa situation.

Alors qu’elle s’éloigne, Lia tente de comprendre ce que le gang peut gagner à provoquer un tel ravage. Elle envisage un instant que ce soit pour elle, mais après réflexion, la jeune femme suppose qu’elle n’est pas une priorité.  Cela ressemble à un message laissé à l’attention de Lud. C’est une action extrême et elle se demande à quoi elle a été mêlée. De toute façon, il n’y a aucune raison qu’Il revienne par ici. L’appartement de Lia n’a été qu’un refuge de passage et rien d’autre. La jeune femme ne voit pas comment sa destruction pourrait avoir le moindre impact sur lui. 

En levant le nez pour observer les alentours, Lia constate qu’elle est dans une zone de la ville qui lui est inconnue. Elle se sent complètement déconnectée de la réalité. La jeune femme a de la chance de n’avoir croisé personne de dangereux jusque-là et elle est incapable d’agir de façon à limiter les risques que cela arrive. 

Sournoisement, la fatigue l’assomme et la fait tituber. Elle s’immobilise et regarde les immeubles autour d’elle sans savoir ce qu’elle cherche. Lia s’est toujours considérée comme une femme de réflexion et non d’action. Le simple fait d’avancer l’oblige à puiser dans ses réserves. 

Trop obnubilée par ses pensées et par son errance, elle remarque à peine le jour qui se lève. Lorsque les premiers rayons du soleil réchauffent sa peau, Lia a la désagréable impression d’être à découvert. Prise de cours, elle se tapit dans une ruelle sombre, derrière une benne dont l’odeur la fait grimacer de dégoût. Elle attendra un moment plus propice pour chercher un refuge.

Lorsque la cloche sonne enfin pour indiquer l’heure de liberté matinale, elle quitte sa cachette en dénouant ses muscles engourdis par la tension. La jeune femme hésite un instant à retourner à la bibliothèque, mais renonce à ce projet. Elle ne sait pas si on l’attendra devant le bâtiment et elle ne tient pas à le découvrir. 

La population commence à sortir et son anxiété grandit. Avec crainte, Lia décide de s’y confronter, consciente que si elle ne bouge pas maintenant, elle passera la journée derrière la poubelle. La violence de la foule face à son déguisement de mendiante est à la hauteur de ses attentes : elle est chassée sans ménagement d’un bout à l’autre de la rue et les insultes pleuvent à n’en plus finir. Le plus dur, ce sont les coups, mais Lia ne peut pas se montrer trop agile en les évitant sous peine d’être repérée. Malgré tous ces points négatifs, la jeune femme est plutôt satisfaite. Elle fait une misérable crédible et cela lui offre une certaine protection : les gens ne s’intéressent pas à elle.

La cloche sonne à nouveau et l’allée se vide d’un coup. Elle ne s’est jamais retrouvée dehors à cette heure-là, elle est perdue. Bien que la Lia se soit éloignée de plusieurs rues de son appartement, si elle ne trouve pas rapidement un refuge, cela ne changera pas grand-chose à sa situation. 

Une série de coups de feu et de hurlements à quelques centaines de mètres la pousse à agir. Lia observe avec un sentiment d’urgence les bâtiments autour d’elle. L’un d’entre eux semble inhabité et elle décide de s’y engouffrer sans se poser plus de questions. Elle referme derrière elle, le plus silencieusement possible.