Imaginary Edge Box Book - Rina B. Owen - E-Book

Imaginary Edge Box Book E-Book

Rina B Owen

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Beschreibung

L'Ombre des Faes
Gare aux ombres.
Depuis toujours, Héléna vit dans un village nommé Paché dont elle n'a jamais quitté les terres. Lorsqu'elle est sacrifiée aux Shadow Faes pour rembourser les dettes de ses pairs, elle ne pensait pas être accusée de meurtre le lendemain.
Pourtant, au cours de sa première nuit dans l'extravagant palais des Faes, un des conseillers impériaux est retrouvé assassiné. Dès lors, Héléna a deux semaines pour prouver son innocence, mais les Shadow Faes cachent de sombres secrets et le seul qui puisse l'aider pourrait être l'homme qu'elle méprise le plus de tous...


Chasseurs des ombres
Angleterre, 1888.
Ekate fait partie des Chasseurs des Ombres et parcourt les îles britanniques afin de protéger les humains des créatures du Mal. Depuis de longues années, il éradique les êtres surnaturels, en les passant au fil de sa lame orientale.
Un jour, une lettre l'invite à collaborer avec l'Armée d'Émeraude, les soldats sous les ordres du roi, afin d'éliminer un nid de goules à Londres. Il accepte de s'y rendre, mais une fois sur place, il est informé que les généraux de l'armée se serviraient de cette opération comme d'un écran de fumée, poursuivant un autre dessein qu'il devra découvrir.
Aidé d'Hayden, un jeune Chasseur avec qui il a combattu par le passé, Ekate mène l'enquête, mais ces complots pourraient bien être le cadet de ses soucis; il a plusieurs secrets à garder, dont celui de son sang.
Et s'il n'y prend pas garde, c'est son coeur qu'il risque de briser...


À PROPOS AUTEURES

Rina B. Owen est une auteure de romans jeunesse et de romances en tous genres. Elle adore les chaï lattés et ne passe pas une seule journée sans consommer des sucreries. Lorsqu'elle n'écrit pas, vous pouvez toujours la retrouver avec un livre à la main. Elle adore se perdre dans tous genres d'univers et rêve de s'installer un jour dans un pays enneigé.

De nationalité belge, Alice est étudiante en traduction-interprétation, mais préfère largement écrire ses histoires à étudier du vocabulaire. Les idées ont toujours creusé leur petite place, d'abord dans un coin de sa tête, puis sur Wattpad. Elles donnent aujourd'hui naissance à plusieurs romans et nouvelles en tous genres. Jamais rassasiée de romans de l'imaginaire, puis peu à peu, contemporains, elle peut passer plusieurs heures à oublier le vrai monde pour visiter ceux qui sont nés dans la tête des autres.

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Table des matières

Prologue6

Chapitre 110

Chapitre 217

Chapitre 322

Chapitre 428

Chapitre 533

Chapitre 636

Chapitre 739

Chapitre 845

Chapitre 951

Chapitre 1057

Chapitre 1163

Chapitre 1271

Chapitre 1379

Chapitre 1485

Chapitre 1592

Chapitre 1699

Chapitre 17103

Chapitre 18111

Chapitre 19118

Chapitre 20127

Chapitre 21137

Chapitre 22144

Chapitre 23150

Chapitre 24159

Chapitre 25168

Chapitre 26174

Chapitre 27183

Chapitre 28188

Chapitre 29193

Chapitre 30199

Chapitre 31204

Chapitre 32209

Chapitre 33215

Chapitre 34224

Chapitre 35230

Chapitre 36237

Chapitre 37246

Chapitre 38252

Chapitre 39257

Chapitre 40263

Chapitre 41269

Chapitre 42275

Chapitre 43281

Chapitre 44288

Chapitre 45294

Chapitre 46300

Interlude306

PROLOGUE

 

La nuit régnait sur le village paisible de Paché. Les oiseaux avaient rejoint leurs nids et les troupeaux de vaches et de chèvres s’étaient regroupés pour se réchauffer entre eux.

Seule la lune semblait être présente dans le ciel, effaçant avec ses rayons abondants la lueur des étoiles. Malgré cette lumière, l'obscurité de la nuit se réfugiait encore dans les moindres recoins, créant un ravissant tableau teinté de noir et de blanc.

De nombreuses cabanes en bois avaient été disposées autour d'une trace bien précise qui permettait une meilleure organisation interne, ainsi qu'un fonctionnement plus efficace du lieu. Chacun connaissait sa place à Paché et tâchait de la respecter sans jamais faillir. C’était cette rigueur qui faisait prospérer les villageois jour après jour.

Les façades de leurs cabanes avaient pris des allures pâles et macabres au beau milieu de la nuit. Cette heure tardive pouvait faire du lieu le plus paisible un décor digne de récits d'horreur.

Soudain, la porte d'une des maisons s’ouvrit, produisant un bruit grinçant. Une figure humaine en sortit, s'aventurant dans l'univers nocturne intrigant.

L'homme avança à petits pas vers une autre habitation, avant de toquer à la porte de celle-ci. Il attendit longuement une réponse censée provenir de l'autre côté de la surface en bois de chêne. Puis, après un long silence, un autre individu, chauve et musclé, en sortit en toute tranquillité. Il se fondait parfaitement dans l'atmosphère lugubre.

Un petit sourire effrayant se dessina sur son large visage lorsqu'il aperçut son acolyte et ses dents blanches scintillèrent comme le feraient des joyaux. Tout ceci pourrait donner la chair de poule à n'importe qui, c'était certain !

— L'heure est venue? demanda-t-il en penchant la tête sur le côté.

Au fond de lui, il connaissait déjà la réponse à sa question qui n’était rien d'autre qu'une formalité. Sa voix grave résonna dans l'air telle une menace.

Son interlocuteur, bien plus frêle et jeune, lui fit signe de le suivre sans pour autant lui adresser le moindre mot.

— Toujours aussi muet à ce que je vois, pesta le grand chauve en levant les yeux au ciel.

Puis, il décida enfin de suivre les instructions de son allié et ferma la porte de sa cabane derrière lui. Sa tentative de discrétion fut aussitôt ruinée par les gonds grinçants de l'objet. Pourtant, il tâcha de ne pas s'en soucier.

Les deux êtres, radicalement différents, se dirigèrent vers la bordure du village qui était délimitée par une forêt aussi dense que dangereuse. Pourtant, ils n’hésitèrent pas à s'approcher encore et encore de cet immense piège naturel.

Combien de personnes ne s’étaient pas perdues dans ses entrailles ? Combien n’avaient pas perdu la vie face à la famine, la fatigue ou les animaux sauvages ? Trop pour les compter sur les doigts d’une main. Les bois avalaient les jeunes comme le ferait un démon.

Les deux inconnus restèrent longuement là, à contempler la profondeur obscure de la forêt qui paraissait être inhabitée. L'aîné croisa les bras en expirant longuement pour montrer son agacement.

Tout à coup, une figure svelte et élégante se détacha de l’ombre, faisant sursauter les deux humains qui reculèrent aussitôt. L'ombre s’avança vers eux et s'approcha de plus en plus de l'odeur de la peur qui émanait de ses alliés.

— Avez-vous enfin fait votre choix ? les questionna une voix captivante, qui paraissait parvenir d'un autre monde.

Le plus gringalet des deux hommes acquiesça d'un hochement de tête, laissant ainsi la parole à son acolyte.

— La jeune fille de la cabane onze, celle avec les cheveux bruns et les chèvres, confirma le colosse, tout en pointant du doigt l'emplacement en question.

L'être surnaturel tourna la tête vers cette demeure si semblable aux autres. Un air pensif s'empara de son visage aux traits fins et bien dessinés. Tout en lui incarnait la perfection. Ses cheveux longs et noirs tombaient élégamment sur ses puissantes épaules, et ses yeux brillaient sous la lumière blanche de la lune.

— Très bien, répondit-il, satisfait, en se grattant le menton.

Sa cape noire vagua autour de ses membres souples lorsque le vent passa dessous.

— On viendra la chercher demain. Si vous estimez cette jeune fille suffisante pour payer la dette que vous avez accumulée à notre égard, et qu'elle l'est, on vous laissera vivre en paix. Sinon...

La phrase resta en suspens, ne trouvant aucune fin. Toutefois, tous en connaissaient la suite. Les deux hommes avalèrent difficilement leur salive, avant de reculer d’un pas. L'odeur d'angoisse qui les entourait ne cessait pas de s'amplifier, ce qui fit naître un sourire sur le visage pâle de leur interlocuteur. Il se délectait du pouvoir qu’il avait sur les humains et se contenta de se détourner d'eux, s'enfonçant de nouveau dans la forêt remplie de dangers. Demain, son souverain obtiendrait ce qu’il souhaitait depuis des années : voir une humaine intégrer sa Cour. Elle ferait office de distraction et de bête de foire pour l’occuper lui et son peuple.

L’individu vêtu d’une longue cape noire sourit. Son heure était venue, il allait enfin pouvoir mettre son plan en marche. Tout était sur le point de changer.

 

CHAPITRE 1

 

Le soleil se leva lentement sur Paché, chassant les dernières traces d'ombre qui y avaient pris place pendant la nuit, et le coq hurla à pleins poumons pour réveiller les villageois grincheux.

Un petit sourire amusé prit place sur mon visage bronzé et mes jambes me guidèrent à travers mon village natal. Mon regard fut attiré par le pauvre coq de ma voisine qui se prenait tous genres d'objets dans la tête.

Un petit rire cristallin parcourut l'intégralité de ma gorge, attirant l'attention des quelques agriculteurs déjà levés.

— Bonjour, Héléna ! me cria un homme aux épaules larges et aux cheveux grisonnants.

— Salut, Georgi ! lui répondis-je, tout en esquissant un petit mouvement de la main.

Un des porcs de l'éleveur sauta droit dans une flaque de boue, projetant la bouillie brune partout sur les vêtements de l'homme. Ce dernier commença aussitôt à jurer, tandis que je m'éclipsai rapidement.

Cette scène provoqua mon premier fou rire de la journée. Seul Georgi était capable de m'amuser à ce point ! J'essayais de toujours être de bonne humeur puisqu'on me disait que c'était la seule chose que je savais bien faire.

Devant moi s'étalaient quelques allées recouvertes d'un gravier gris foncé qui menaient vers les autres élevages. Les vaches chassaient paisiblement les mouches qui se posaient sur leurs dos et les poules cherchaient des vers de terre un peu partout.

Mes chèvres ne se trouvaient plus qu'à quelques mètres de là. J'étais la seule à élever cette espèce animale et j'avais toujours peur qu'il leur arrive quoi que ce soit. Après tout, les villageois n'avaient pas été très enthousiastes à l'idée d'accueillir ces animaux méconnus de la région. Le combat que j'avais mené pour les convaincre de mon initiative avait été rude, mais j'avais tenu bon jusqu'à le gagner.

Georgi, le doyen de Paché, était le seul qui m'avait soutenue et le fait que les autres le respectent m'avait grandement aidée dans ma croisade. Il était gentil et tendre, tout en restant ferme lorsqu'il fallait prendre des décisions.

Cependant, mon rêve le plus cher était de pouvoir retrouver un jour ma mère et sa douceur. Ses bras réconfortants et ses contes fantabulesques me manquaient tant ! Elle avait disparu au cœur de la mer des reflets et n'était jamais revenue de son voyage. D'après les récits, le navire qui la transportait avait fait naufrage à cause d'un orage d'une violence sans précédent, emportant le bateau sous les vagues de l'océan. J'aurais aimé périr avec elle ce jour-là au lieu de l'attendre naïvement à Paché.

J'étais convaincue que Georgi se sentait coupable de ce qui était arrivé à ma mère. Il avait toujours fait office du père que je n'avais jamais eu. Je secouai la tête pour tenter d'oublier ces pensées négatives et me concentrai sur le lever de soleil. Ce tableau constitué de rouge et orange était si magnifique !

Quelques personnes me saluèrent lorsque je passai à côté de leurs élevages, certains plus chaleureusement que d'autres. Je gardais mon éternel sourire sur le visage, tandis que le vent jouait avec mes longues mèches brunes.

J'esquissai quelques petits pas de danse lorsque, soudain, une poule passa devant mes pieds à une vitesse folle. Je chancelai en fronçant les sourcils.

— Marcia ! cria une femme.

Elle faisait de son mieux pour ne pas perdre l'animal de vue.

— Marcia, reviens ! répéta la petite dame qui avait du mal à suivre la cadence de sa poule.

Elle gesticulait, ressemblant elle-même à une volaille qui tentait de prendre son envol. Ne prétendait-on pas que les animaux ressemblaient à leur maître ?

— Attendez, madame Herbert. Je vais aller la chercher ! la rassurai-je.Je ne lui donnai même pas le temps de répondre, et partis en courant pour rattraper le petit être agité.

La vie à la ferme n'était pas toujours une partie de plaisir. Pourtant, la situation m'amusa et je ricanai telle une enfant. Grâce à des péripéties du genre, la vie à Paché était loin d'être ennuyante !

Je manquai de tomber à cause de mes longues jupes à carreaux verts, mais me redressai aussitôt. J'avais beau courir aussi vite que possible, Marcia trouvait toujours un moyen de m'échapper et les petites ruelles entre les élevages et les cabanes ne me facilitaient absolument pas la tâche !

À mon plus grand bonheur, la poule finit par s'arrêter au bord de la forêt. Je pouvais enfin l'attraper ! Je la rejoignis en quelques pas, essoufflée par cette course matinale. Les coins de mes lèvres se relevèrent lentement pour former un petit sourire. Marcia ne bougea plus du tout, comme tétanisée.

On commence à se faire trop vieilles pour tout ça, songeai-je d'un air amusé.

Après m'être reposée un peu, mes yeux scrutèrent ce qui m'entourait. Les villageois ne s'approchaient jamais aussi près de la forêt, elle leur faisait trop peur. Moi, je m'y aventurais de temps à autre, mais je faisais bien attention de ne pas trop m'éloigner pour ne pas me perdre. Nombreuses étaient les âmes qui avaient péri dans cette masse d'arbres.

Je plissai les yeux, tandis que mon attention fut captivée par autre chose que la créature de compagnie de madame Herbert.

Non loin de là, un animal était allongé sur le flanc et mes mains se mirent à trembler lorsque je l'aperçus. Ces pattes à sabots, cette tête longiligne, ces petites cornes, ces yeux aux pupilles horizontales, tout ça ne pouvait correspondre qu'à une seule créature élevée dans les environs ! J'avançai de quelques pas pour confirmer mes doutes, tout en retenant ma respiration. Le pelage noir de la bête fut caressé par le vent et son regard vert fixait le vide de la forêt. Il n'y avait aucun doute : elle était bel et bien morte.

Quelques larmes me montèrent aux yeux lorsque je parvins à identifier le cadavre allongé à mes pieds. Une boule se forma au niveau de mon estomac, tandis que la sueur perla le long de mon dos. Marcia me rejoignit en quelques battements d'ailes, comme pour me consoler.

Mes bras tremblaient, tandis que je m'accroupis auprès du défunt. J'attrapai la tête de la petite chèvre. Son corps entier était déjà dur comme de la glace, et sa langue pendait horriblement de sa bouche.

Je caressai le museau de ma chère Novata qui venait tout juste de nous quitter. Mais pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle faisait en dehors de l'enclos du troupeau ? J'étais pourtant sûre d'avoir fermé correctement le portail la veille !

Encore jamais, non jamais, une de mes bêtes avait été tuée d'une façon aussi barbare ! Les villageois l'auraient achevée dans le but de la manger, et il en allait de même pour les rares bêtes sauvages qui s'aventuraient jusqu'ici, mais jamais ils n'auraient laissé son corps là sans rien en faire. Ce cadavre était la preuve d'une terrible barbarie. Alors, pourquoi avoir tué Novata ? Souhaitait-on m'envoyer un message ? Une mise en garde ? Je ne possédais plus rien d'autre que mon troupeau, donc je ne voyais pas ce que quiconque voudrait obtenir de moi.

Quelques larmes tombèrent sur la fourrure de ma chère chèvre et je découvris qu'une immense griffure ornait son ventre, mais qu'aucun sang ne s'en échappait. Je décidai donc de passer mes doigts sur cette blessure étrange. J'avais de plus en plus de mal à respirer et mes doigts tremblaient. Les poils doux de Novata chatouillèrent ma peau lorsque je passai mes mains sur les parties de son pelage qui étaient encore intactes.

Mon regard tomba assez rapidement sur une marque circulaire qui creusait la chair de l'animal comme si elle tentait d'entrer dans le corps de sa victime.

Mon souffle se coupa net lors de cette découverte. Mon rythme cardiaque tripla par la même occasion, accentuant la peur qui infestait peu à peu mes veines. Qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir signifier ? Je n'avais jamais rien vu de tel ! J'étais trop ébahie par ma découverte pour pouvoir pousser le moindre cri d'horreur.

Je ne voulais pas alarmer le village entier, pas maintenant. Ils interprèteraient ceci comme un mauvais présage et feraient à coup sûr abattre toutes mes chèvres ! C'était l'occasion rêvée qu'ils attendaient depuis déjà si longtemps.

Marcia, elle, était déjà retournée auprès de madame Herbert, me laissant seule avec une dépouille terrifiante. Je n'étais pas habituée à la mort autre que celle d'origine naturelle.

Je ne savais plus quoi faire. Tout s'embrouillait dans ma tête, ce qui me poussa à paniquer. Mon rythme cardiaque ne cessa pas d'accélérer, m'emprisonnant dans la mélodie monotone de mon pouls affolé. Ma vue se brouilla à plusieurs reprises, me donnant l'impression que j'étais sur le point de m'évanouir.

Les yeux vides de Novata fixaient le ciel d'une façon inquiétante, alors qu'un haut-le-cœur remonta le long de mon œsophage et en brûla les parois fragiles. La sueur continuait à couler le long de mon front et de mon dos et j'ouvris à plusieurs reprises ma bouche, sans pour autant dire quoi que ce soit.

Je suis si navrée, ma chère Novata. J'aurais dû te protéger, pensai-je.

Je passai une dernière fois ma main sur la marque inscrite dans son pelage, avant de me lever. Mes jambes tremblaient sous le poids de cette terrible découverte et des larmes chaudes coulaient le long de mes joues rougies. Mes capacités physiques limitées ne me permettaient pas de porter le cadavre jusqu'à mon troupeau, mais je tenais tout de même à leur donner la chance de revoir leur camarade une dernière fois. Même si ça pouvait paraître insensé pour certains, je devais les emmener ici. Les animaux avaient autant besoin de faire leur deuil que les humains.

Soudain, un son que j’aurais cru ne jamais entendre résonna au beau milieu de Paché. C'était comme si un cri au secours parcourait les parois de toutes les cabanes de cet endroit : la corne de rassemblement ! Cet appel me perça les tympans, l'adrénaline fit bouillir mon sang et mes yeux partaient dans tous les sens. On m'avait toujours affirmé qu'entendre la corne de rassemblement serait quelque chose de perturbant, de terrifiant, mais je n'aurais jamais cru que ça me bouleverserait à ce point. L'instrument était seulement utilisé en cas de grand besoin.  Ça ne présageait rien de bon.

Je devais rejoindre mon troupeau avant que Georgi et madame Herbert ne m'obligent à les suivre jusqu'à la place centrale. Je devais m'assurer que mes autres protégés se portent bien !

 

CHAPITRE 2

 

J'avais une seule tâche à accomplir à présent et j'espérais que je n'arrive pas trop tard.

Mes pas se faisaient de plus en plus précipités. Je tentais de parvenir aussi rapidement que possible jusqu'à mon élevage, sans pour autant alarmer les autres habitants de Paché de la découverte.

Je me dépêchais pour atteindre mes chèvres avant que tous les villageois ne se soient regroupés sur la grande place centrale. La corne de rassemblement fit entendre un second cri, démontrant que l'heure était grave. Avait-ce quelque chose à voir avec la mort de Novata ? J'en doutais. Le meurtre d'un animal comme elle était loin d'être une préoccupation par ici.

La marque gravée dans sa chair ne cessait de hanter mon esprit embrumé. À qui, ou quoi, ce sceau pouvait-il bien appartenir ? Une chose était sûre : le détenteur n'était pas originaire de la région. Sinon, j'aurais reconnu le sigle sans la moindre difficulté puisque ma mère me les avait tous fait étudier lorsque j'étais plus jeune.

Je secouai la tête pour me concentrer de nouveau sur le chemin menant vers le lieu que je tentais d'atteindre, avant de pouvoir rejoindre le regroupement de villageois avec l'esprit tranquille.

Au loin, mon troupeau de chèvres apparut, mais je n'étais visiblement pas la seule qui n'était pas pressée de répondre à l'appel de la corne. Georgi contemplait l'ensemble du troupeau, faisant nerveusement des tours sur lui-même.

Soudain, il se retourna vers moi. Même de loin, je parvins à voir le soulagement qui ornait son visage lorsqu'il se rendit enfin compte que j'étais celle qui venait à sa rencontre. Je m'avançai, geste que je regrettai aussitôt. Lorsque j'étais assez proche de lui, l'homme empoigna mon bras pour me retenir d'aller plus loin. C'était une facette que je ne lui connaissais pas.

— Héléna ! Tous t'attendent ! m'affirma-t-il avec une voix remplie de reproches, comme si je venais tout juste de faire une bêtise en ignorant l'ordre de rassemblement.

C'était sûrement le cas, les réunions étaient toujours importantes.

— Attends, Georgi ! Je dois m'assurer que mon troupeau va bien, lui annonçai-je en douceur.

Je tentai de me débarrasser de lui et me sentis de plus en plus inconfortable, alors que sa poigne se resserra. Pourtant, mon éternel sourire d'optimiste ne laissa rien transparaître de mes réelles émotions.

— Non, Héléna. Ils t'attendent.

Son ton était ferme et sinistre, comme s'il venait de m'annoncer un malheur sans précédent.

Ils ? Les villageois ? Non. Ce "ils" était bien plus profond que celui qu'il aurait employé pour désigner nos cohabitants.

Je secouai mon bras, que Georgi tenait toujours, afin de tenter de me libérer. Rien n'y faisait, il ne me lâcha pas. Il était résolu à ne pas me laisser partir et son regard bleu cristal, normalement tellement vif, me transperça tout entière. Je ne l'avais encore jamais vu aussi sérieux et réprimai un frisson qui menaça de parcourir l'intégralité de ma colonne vertébrale.

— D'accord, allons-y, me résignai-je en me sentant martelée par l'appréhension.

Ça ne servait à rien de faire l'enfant bornée dans cette situation aussi alarmante qui n'avait rien de banal. Plus vite le rassemblement serait terminé, plus vite je serais de nouveau libre de faire ce que je voulais.

Je me laissai donc faire et on traversa l'intégralité du village. Moi, en traînant des pieds et, lui, en me poussant à avancer à une allure dont je ne le croyais pas capable. C'était comme si quelque chose le poursuivait, comme si sa vie dépendait de ces quelques secondes de course pourtant insignifiantes à mes yeux.

Au loin, la grande place apparut peu à peu, dévoilant l'immense horde de villageois qui y patientait. Un nœud me tordit l'estomac, et ma gorge se serra de plus en plus. Ils paraissaient attendre que quelque chose en particulier se produise, mais je n'avais aucune idée de ce dont il s'agissait.

Une partie de moi était alarmée, décuplant mes sens humains si peu performants. Je sentais que je devais tout faire pour échapper à cet instant critique ! À mon grand malheur, je n'avais pas d'autre choix que de poursuivre ma route.

Georgi me tirait derrière lui comme on le ferait avec un animal mal dressé et la corne de rassemblement fit entendre un ultime appel. L'heure était très grave, mais pourquoi ? Je ne voyais ni soldats ni menaces naturelles.

En traversant la foule, je manquai de trébucher sur les jupes des femmes et les pieds des hommes qui tentaient d'apercevoir l'inconnu qui s'était dressé au milieu de la place centrale. Je n'avais aucune échappatoire et me sentais prisonnière de la marée dense que composaient mes semblables. J'inspirai profondément l'air matinal dans le but de me calmer et de faire bonne figure.

Ma mère aurait su quoi faire, j'aurais aimé l'avoir à mes côtés à cet instant-là. Elle m'avait élevée seule et avait servi dans l'armée pendant la guerre des continents, alors qu'elle n'était qu'une adolescente. Elle avait tenté de toutes ses forces de m'inculquer ses astuces de survie les plus utiles, mais je n'avais jamais eu la tête à ça. Je n'en avais jamais eu besoin, mais regrettais amèrement de ne pas l'avoir écoutée. J'aurais sûrement dû pour savoir comment réagir dans des situations délicates comme celle-ci.

Je m'arrêtai d'un bloc lorsque mon regard tomba sur l'homme chauve et musclé qui se trouvait au milieu de la place ouverte. J'étais comme tétanisée face à son visage, parcouru par une immense cicatrice, que je n'avais plus revue depuis des années.

Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais aimé ne plus jamais avoir à le revoir. Par manque de chance, on habitait dans le même village. Il avait pris la fuite en découvrant que ma mère était enceinte et lui avait fait subir la disgrâce et la honte à cause de son statut de parent unique qui était vu d'un très mauvais œil par la communauté. Le sang de cet imposteur traversait mes veines, mais notre lien s'arrêtait là. Il n'était pas mon père, seulement mon géniteur, et je le méprisais au plus haut point pour sa lâcheté.

Je baissai la tête pour fixer les doigts de Georgi qui étaient toujours posés sur ma peau. Je serrai les poings, mais fis bien attention de ne pas laisser paraître mon désagrément sur mon visage. Si j'osais me rebeller devant tous, je serais sûrement discréditée et humiliée, donc je restai silencieuse pour l'instant.

Tout à coup, mes yeux repérèrent un inconnu, un visage que je n'avais encore jamais vu dans les parages auparavant. Il avait les traits fins, trop délicats pour pouvoir provenir de la région, des cheveux longs couleur or et une allure aussi élégante qu'impressionnante. Mon regard ne parvenait pas à se détacher de lui. Il était si différent de tous les individus que j'avais l'habitude de côtoyer, c'était comme s'il venait d'un tout autre univers ! Ses mouvements doux et souples m'indiquaient qu'il ne travaillait pas la terre, qu'il côtoyait des sphères plus aisées dont je n'avais entendu que des histoires et des légendes.

— C'est elle ? demanda-t-il avec sa voix cristalline.

— Oui.

La voix de mon lâche de géniteur résonna dans l'air et j'avais du mal à saisir le sens de leur conversation.

C'est elle ? Moi ? De quoi parlaient-ils donc ?

 

CHAPITRE 3

 

 

Mon géniteur prit le relais de Georgi, me tirant par le bras d'une façon encore plus indélicate que son prédécesseur. Je laissai échapper un petit cri de rage pour montrer mon mécontentement, mais personne n'y fit attention. J'avais l'impression d'être une marchandise qu'on passait des mains d'un client à celles d'un autre. C'était comme si tout le monde avait déjà conscience de ce qui était sur le point de se produire, tout le monde sauf moi.

— Oui, c'est bien elle, confirma une fois de plus mon géniteur avec sa voix aussi brutale que son apparence.

Tout en lui était repoussant, de sa carrure jusqu'à sa personnalité. Bon, de mon point de vue en tout cas, mais je devais avouer que je n'étais pas très objective. Il avait fondé une nouvelle famille et prenait bien soin d'elle, mais n'avait jamais avoué qu'il était celui qui avait mis ma mère enceinte. Je me demandais même si sa nouvelle femme le savait ou non.

Le regard de l'homme en question était rivé sur le mystérieux inconnu, comme si sa vie en dépendait. Pour la première fois, je voyais de la frayeur passer dans son regard obscur. Au plus profond de lui, il était terrifié. J'avais donc une bonne raison de l'être à mon tour !

— Très bien, sonna la réponse mélodieuse de l'intrus.

Il claqua des doigts, comme pour donner un ordre à son interlocuteur. Je ne cessais d'exercer de la pression sur la poigne de mon géniteur pour le faire lâcher. Il râla en me donnant un coup, mais je n'abandonnai pas pour autant. Je vendrais ma peau bien plus cher qu'il le pensait !

J'étais terrifiée par cette situation inattendue et n'attendais que de retourner auprès de mes chères chèvres, mais j'étais assez lucide pour savoir que ça n'arriverait pas de sitôt. Ils avaient concocté un mauvais coup.

Soudain, un immense animal sortit des profondeurs de la forêt, tirant une sorte de carrosse entièrement constitué de fer blanc. Cette créature aux airs d'amphibien me fit plus penser à un lézard qu'à autre chose, mais les plumes incrustées dans son cou me poussèrent à changer d'avis. Des cris d'effroi s'élevèrent en l'air derrière moi et je vis les villageois, peu ouverts d'esprit, reculer avec les yeux grands ouverts.

Moi, j'étais fascinée par cette apparition si unique et inattendue. Cette espèce était bien lointaine de celles qui vivaient dans les environs ! C'était comme si elle venait d'un autre univers, d'une autre dimension, en mélangeant les attributs de plusieurs créatures que nous croisions au quotidien. Je n'avais jamais rien vu de tel ! La bête avança vers nous et je plissai les yeux pour mieux l'observer.

Une langue de serpent se fraya un chemin en dehors de la grande bouche du reptile. Ses yeux globuleux aux iris d'un violet clair créèrent un parfait contraste avec ses écailles d'un vert vif et ses immenses pattes laissèrent de profondes marques dans la terre séchée. Ses ongles paraissaient être très tranchants et j'espérais ne jamais devoir m'y trouver confrontée. Elles pouvaient me déchiqueter la chair en un battement de cils !

— Voici Benti, m'annonça l'homme aux cheveux dorés dont les traits étaient préservés des épreuves du temps.

Il me regarda droit dans les yeux et posa sa main sur les écailles de l'animal, en lui caressant lentement et affectueusement le museau. Ces paroles ne s'adressaient qu'à moi et moi seule. Il avait compris que j'affectionnais les créatures qui sortaient de l'ordinaire. Mon expression émerveillée y était sûrement pour beaucoup.

Le vêtement noir, aux airs de toge, que portait cet homme lui venait jusqu'aux chevilles. Et sa peau paraissait être imprégnée d'un voile de poudre d'or. J'ignorais si c'était naturel ou non, mais je ne pouvais m'empêcher d'y voir de la magie.

— Il fait partie des derniers Kievs, les humbles serviteurs des Shadow Faes, m'expliqua-t-il.

Benti lova doucement sa grande tête contre son bras, y laissant des petites plaies à cause de ses écailles tranchantes.

Pourtant, celles-ci se refermèrent aussitôt, comme si elles n'avaient jamais existé. Je croyais rêver, mais devais me rendre à l'évidence : tout ceci était bel et bien réel. La douleur de la pression des gros doigts de mon géniteur dans ma chair ne pouvait pas être une illusion.

— Héléna, tu pars avec eux. Tu leur appartiens, maintenant, me cracha ce dernier de sa voix grave.

J'avalai difficilement ma salive. Comment ça, je partais avec eux ?

« Tu leur appartiens ». N'étais-je qu'une poupée de chiffon qu'on pouvait troquer contre tout et n'importe quoi ? Je sentais l'incompréhension monter en moi, mais faisais de mon mieux pour la contenir. Je valais mieux que de faire une scène au beau milieu d'un rassemblement.

Mais qui étaient « leur » ? Je ne pouvais pas nier que j'étais terrifiée et en colère à la fois. Au fond, j'espérais simplement que ce soit une mauvaise blague.

— Tu auras toutes tes réponses en temps et en heure, Héléna, me rassura l'inconnu aux pouvoirs surhumains.

— Qui êtes-vous ?

Ma réplique était plus froide et tranchante que je ne l'aurais voulue. J'étais désemparée et effrayée, mais ne pouvais pas me montrer aussi faible. Jamais. C'était une des rares choses que j'avais héritées de ma mère.

— Tovan. Premier consul des Shadow Faes.

Le vent ne tarda pas à jouer avec les longues mèches de mon interlocuteur, dévoilant ses oreilles légèrement pointues. Un Fae ?

Ma mère m'avait parlé de cette civilisation à deux ou trois reprises. À mon grand malheur, je ne parvenais pas à me souvenir de ses paroles ou de ses mises en garde.

Se pouvait-il que Tovan ait de bonnes intentions ? C'était très peu probable, même si son attitude bienveillante me poussait à croire le contraire.

La question qui me taraudait le plus était : est-ce qu'il a quelque chose à voir avec la mort de Novata ? C'était une sacrée coïncidence qu'il débarque pile à ce moment-ci !

Benti me fixait avec ses grands yeux violets. Il paraissait intrigué par le fait que je sois restée calme lors de son apparition. Je lui adressai un sourire auquel il répondit par un petit son qui ressemblait à un grincement de porte.

Tovan me fixa intensément avec ses yeux d'un bleu cristallin. Cela fit naître en moi une succession de sueurs froides et je me poussai à détourner poliment la tête.

— L'heure est venue, murmura l'homme chauve qui se tenait à mes côtés.

C'était presque comme s'il ressentait de l'empathie pour moi. Je secouai aussitôt la tête, effaçant cette réflexion absurde de ma mémoire. Si c'était vraiment le cas, il ne me sacrifierait pas. J'étais convaincue que tout ceci était son idée afin qu'il puisse enfin se débarrasser de moi et de son passé, de son erreur.

— Oui, allons-y, Benti, acquiesça Tovan en tapotant la tête du Kiev.

Puis, il partit en direction du carrosse en acier blanc et je laissai échapper un soupir, avant de recevoir un coup dans le dos.

— Toi aussi, Héléna, m'ordonna-t-on, alors que je retins un cri de douleur.

—Calme-toi, Coad, lui répondis-je avec une assurance qui m'était rare.

Mon insolence me valut un nouveau coup dans le dos et je grimaçai en haletant. Lorsque je me trouvais penchée en avant à cause de la douleur, l'individu au crâne luisant approcha ses lèvres de mes oreilles pour me chuchoter quelque chose qui me fit frissonner.

— Au moins, Paché est débarrassé de l'erreur que tu es. Personne ne te voulait ici, personne ne voudra jamais de toi.

C'étaient les derniers mots que j'entendis, avant d'être violemment poussée vers le carrosse. Coad m'adressa un dernier sourire terrifiant, avant de me tourner le dos au moment où je m'installai dans le moyen de transport.

— Tout se passera bien, Héléna, me rassura Tovan qui était assis en face de moi.

Je hochai la tête et souhaitais le croire, mais je ne savais même pas où on se rendait ni ce que le futur me réservait.

CHAPITRE 4

 

Mon regard gris parcourut l'environ-nement qui défilait à une allure impression-nante. Je n'aurais jamais cru qu'une bête aussi imposante que Benti pouvait avancer à une telle vitesse ! Malgré sa taille importante, il enchaînait les pas sans jamais faillir.

L'existence même de cette créature me démontrait à quel point j'étais ignorante au sujet du continent sur lequel je vivais. Que savais-je vraiment de ce monde qui était le mien ? Pas grand-chose si ce n'étaient les coutumes de mon village ou les besoins mon troupeau. Je n'avais jamais quitté Paché, mis à part pour aller cueillir des champignons dans la forêt avoisinante. Le fait que le village soit si éloigné des autres m'avait toujours empêchée d'entrer en contact avec d'autres êtres, même si j'aurais bien aimé en savoir plus à leur sujet.

Tovan jouait avec ses longs cheveux dorés, sans me lâcher une seule seconde du regard. C'était comme s'il avait peur de me voir disparaître d'un seul coup.

Son vêtement noir aux allures antiques était traversé par des fils d'or, rappelant les reflets dorés qui dansaient sur sa peau. Rien que cela suffisait à me montrer que nous ne faisions pas partie de la même espèce.

Mon cœur se serra de plus en plus, au fur et à mesure qu'on s'éloigna de mon village natal. Quelques larmes me montèrent aux yeux en repensant à ce que j'avais laissé derrière moi.

« Tu leur appartiens à présent ». Ces mots me donnèrent des frissons. Je n'étais rien de plus qu'un jouet qu'ils s'échangeaient. Contre quoi en plus ? Quelle avait été la contrepartie ? J'espérais qu'elle avait au moins été bonne, que mon départ n'avait pas été en vain.

Je serrai les poings en me remémorant les paroles dédaigneuses de mon géniteur. J'aurais aimé lui donner un coup dans la tête, mais en avais été incapable. Je n'avais pas assez de force pour le confronter et je le savais bien.

— Alors ? m'interrogea Tovan pour me sortir de mes pensées.

Je le fixai, sans pour autant comprendre sa question. Que voulait-il dire par là ? J'ouvris légèrement la bouche, prête à lui demander des explications, mais il me répondit avant que je puisse articuler le moindre mot.

— Que veux-tu savoir ? Je t'avais promis que tu aurais des réponses.

J'étais agréablement surprise par ses paroles encourageantes. Au moins, il tenait ses promesses, c'était un bon début. Je croisai les bras, avant de me racler la gorge. Mais que souhaitais-je vraiment lui demander ? Il y avait tant de questions, plus confuses les unes que les autres, qui se pressaient à l'avant de mon esprit que j'avais du mal à les trier.

Je fermai les yeux, tout en inspirant le parfum des sapins entre lesquels Benti se frayait un chemin. Ces arbres étaient un signe d'harmonie chez nous. Ils abritaient les âmes des nymphes qui ne sortaient que lorsque le printemps arrivait. Elles fertilisaient nos plantations et nous aidaient lors des récoltes. Lorsqu'elles se présentaient à nous, elles adoptaient une forme humaine pour ne pas nous effrayer. En réalité, elles avaient la peau semi-transparente d'une couleur verte ou bleue et portaient des robes qui flottaient au gré du vent. C'était le seul peuple magique dont je connaissais les caractéristiques, bien que ma mère m'ait également raconté des récits au sujet des autres.

J'ouvris de nouveau les paupières et contemplai Tovan qui attendait patiemment ma réponse. Ses iris étaient si bleus qu'ils me faisaient penser aux légendes de la mer des reflets. L'eau de ce lieu était réputée pour être si cristalline qu'on en voyait toujours le fond. Ses coraux d'un bleu clair lui donnaient sa couleur si unique. Seuls quelques-uns des villageois de Paché avaient eu la chance de s'y rendre et nous l'avaient décrite de leur mieux.

— Qui sont les Shadow Faes ?

Ma voix se déroba et je vis ses traits se déformer peu à peu. Il paraissait réfléchir.

— Nous sommes une des quatre grandes espèces de Fae. Nous régnons sur le seul territoire du continent qui est recouvert de forêt et qui se trouve entre le Royaume Interdit et les Dunes Fatales.

Sa voix mélodieuse et douce créa un écho dans ma tête et me captiva tout entière.

— Les quatre grandes espèces de Faes ?

Je n'avais aucune idée de ce dont il parlait, mais étais impatiente de le découvrir.

— Il y a nous, les Vision Faes du Royaume Interdit, les Summer Faes des îles de la mer des reflets et les Desert Faes des Dunes Fatales, m'expliqua-t-il.

Je hochai la tête et tentai d'assimiler toutes ces informations, mais savais que je n'y parviendrais pas de sitôt. J'étais si ignorante !

— Les Shadow Faes possèdent une étendue qu'on nomme La Forêt des Kievs. On y cohabite avec les créatures en question et avec les nymphes qui suivent tous les deux les ordres de notre Empereur. Notre palais est situé dans le nord-est du territoire et est entouré de chênes, contrairement aux villages de l'ouest comme Paché qui vivent entre les pins à cause de la proximité des terres glaciales du Royaume Interdit.

Je hochai la tête en tentant de créer une carte du continent très abstraite dans mon esprit. Je m'apprêtai à poser une nouvelle question à mon interlocuteur au sujet des différents Faes, lorsqu'il répondit de lui-même à cette dernière. Je croisai les bras, consciente qu'il parvenait à lire mes pensées. L'idée qu'il puisse fouiller dans ma tête ne m'enchantait pas du tout, loin de là !

— Les Vision Faes sont les plus vulnérables. Ils sont capables de voir le passé et le futur, mais pas le présent. Toute menace physique leur est donc souvent fatale. Quant aux Summer Faes, ils vivent dans l'abondance et la bonne humeur sous le règne de leur leader. Ils sont porteurs de bons présages et savent respirer sous l'eau. Les Desert Faes sont ceux dont nous en savons le moins. Ce sont des guerriers et des métamorphes, mais nous ne les avons jamais côtoyés, me confia Tovan.

Les quatre grandes espèces étaient toutes plus différentes les unes que les autres. Ensemble, ils se complèteraient, mais je savais que former des alliances était loin d'être facile.

— Autrefois, nous vivions tous ensemble, en harmonie.

Ça devait être tellement magnifique ! pensai-je en imaginant tous ces peuples réunis.

— Ça l'était, m'affirma mon interlocuteur avec le regard toujours perdu dans le vide.

J'espérais qu'il cesserait d'explorer les pensées, mais étais heureuse de ne pas devoir prononcer le moindre mot pour qu'il me comprenne. J'étais tellement impressionnée par toutes ces nouveautés que j'ignorais si j'aurais été capable d'aligner deux mots.

Les rayons du soleil semblaient s'immobiliser sur les traits de cet homme à la peau dorée. Tout bruit de la course de Benti s'estompa jusqu'à disparaître complètement, et les odeurs de la forêt se transformèrent peu à peu en ceux d'un rêve, d'un souvenir, comme s'ils étaient ancrés dans le plus profond de ma mémoire à tout jamais.

— En ce qui concerne les Shadow Faes, tu les découvriras bien assez tôt...

CHAPITRE 5

 

 

Tovan avait ordonné à Benti de s'arrêter lorsque le soleil était à son zénith. On descendit du carrosse et on s'installa près d'une rivière dont le nom m'était inconnu. Je n'en avais encore jamais vu de ma vie et fus émerveillée par la clarté de l'eau. Des poissons bleus et orangés passaient de temps à autre et se laissaient emporter par le courant. Quant au fond du fleuve, il était recouvert de pierres grises et de coraux bleus, tout comme ceux de la mer des reflets étaient censés d'être.

À Paché, on s'était toujours ravitaillé en eau auprès d'une source qui se trouvait à une des extrémités du village. Ça nous avait permis de ne jamais avoir à nous aventurer plus loin que le bord de la forêt pour survivre.

— Tu dois avoir faim, m'interpella soudain Tovan.

Il sortit quelque chose d'un des sacs accrochés à la selle de Benti et je le suivis du regard sans lui répondre quoi que ce soit. Pouvais-je vraiment lui faire confiance au point de manger ce qu'il m'offrait ?

— Et Benti ? le questionnai-je en observant la créature qui suait à peine malgré notre long voyage.

— Les Kievs mangent de l'herbe, ils peuvent brouter n'importe où, n'importe quand. Pratique, n'est-ce pas ?

Le Fae s'assit par terre et me fit signe de le rejoindre. J'hésitai, avant d'obéir. De toute façon, je n'avais pas d'autre choix que de l'écouter. Si je m'enfuyais maintenant, il me rattraperait. Et si ce n'était pas le cas, je mourrais de faim ou d'épuisement puisque je n'avais jamais été entraînée à survivre toute seule dans la forêt.

Une fois assise, je contemplai l'environnement qui avait bien changé depuis notre départ. Les pins avaient laissé place à ce que Tovan avait appelé des chênes et le climat était plus étouffant et humide. Parfois, je pensais voir des particules scintillantes flotter dans l'air, mais jugeais cette apparition une création de mon esprit.

— Pourquoi est-ce qu'on n'est pas resté dans le carrosse pour manger ? demandai-je à l'homme aux cheveux dorés.

Je voyais mal un homme de son rang s'habituer à se retrouver avec l'arrière-train dans la poussière à chaque repas.

— Les Shadow Faes sont liés à la terre, nous avons besoin d'être en contact avec la nature pour reprendre des forces.

Il posa ses paumes sur l'herbe et ferma les yeux. L'éclat doré qui recouvrait son corps retrouva peu à peu sa splendeur et un sourire prit place sur son visage.

Maintenant qu'il était concentré, j'aurais pu m'échapper avec une bonne avance, mais je ne pouvais pas m'y résoudre et détournai simplement le regard de ses traits resplendissants. S'il me voulait vraiment du mal, il ne serait pas aussi rassurant, n'est-ce pas ? Je ne parvins pas à me convaincre moi-même, mais espérais que je me sortirais indemne de ce voyage inattendu.

— Tu devrais avaler quelque chose, ton ventre gargouille, m'assura le Fae.

Je portai de nouveau mon regard sur lui et vis qu'il me tendait une boîte métallique contenant des fruits.

L'acier était quelque chose que nous ne connaissions pas plus que ça à Paché. Au village, tout était fait de bois puisque le métal était une matière trop noble pour que nous puissions nous la procurer. Les villageois ne possédaient rien d'une assez grande valeur pour l'échanger contre cette dernière.

J'acceptai les aliments et les avalai en redécouvrant leurs goûts sucrés que j'avais depuis longtemps oubliés. Ma mère m'en avait parfois rapporté des similaires de ses expéditions à travers le continent. Les fruits que Tovan venait de me donner firent renaître les instants sacrés que j'avais passés avec ma génitrice et je souris en soupirant.

— Tu les aimes bien ? m'interrogea l'homme en question.

Je hochai la tête en le remerciant.

— Oui, merci beaucoup pour ce repas.

Il paraissait être satisfait de ma réponse et posa son regard sur le fleuve qui coulait juste à côté de nous. J'aurais juré pouvoir entendre des oiseaux chanter au loin, mais mon ouïe n'était pas assez affûtée pour que je puisse l'entendre correctement.

Benti broutait d'un air satisfait et, l'espace d'un instant, j'aurais aimé que cette harmonie dure pour toujours. Malheureusement, la vie me réservait un futur bien différent de ce que j'avais anticipé.

CHAPITRE 6

 

 

Benti avait repris sa longue course et j'étais de nouveau assise en face de Tovan sur une des deux banquettes du carrosse. Le bruit des grandes pattes du Kiev ne cessait de créer une mélodie monotone et lassante. Un troupeau entier de chèvres aurait créé moins de bruit que cet animal à lui tout seul.

Tovan me fixait sans prononcer le moindre mot, comme si on était revenu au point de départ de notre voyage, comme si le repas paisible d'un petit plus tôt n'avait jamais eu lieu. Et, disons-le, son air sérieux avait le don de me déstabiliser.

Le Fae jouait avec les nombreuses bagues argentées qui ornaient ses fins doigts. Les pierres précieuses incrustées dans ces bijoux scintillaient et créaient de minuscules arcs-en-ciel sur l'acier de notre habitacle. Une grande agitation animait mon esprit. Je réfléchissais à notre destination, à mon futur, à la raison pour laquelle ils m'avaient fait quitter Paché. Toutes les interrogations s'accumulaient sans cesse dans mon esprit.

— Et pourquoi suis-je ici ? lui demandai-je soudain.

L'espace de quelques secondes, aucune réponse ne vint à ma rencontre. Tout resta silencieux et seul le bruit des pas de Benti me démontra que le temps ne s'était pas arrêté.

Tovan ne cessait de me fixer droit dans les yeux, me rendant encore plus nerveuse que je l'étais déjà. L'idée qu'il puisse être en train de fouiller dans mon esprit à cet instant-là me donna la chair de poule.

— Je savais bien que tu me poserais cette question, m'avoua finalement le consul, tout en gardant son regard cristallin ancré dans le mien.

Sa réponse était vide de toute émotion, monotone, effrayante. En l'espace de quelques secondes, cet homme était passé d'une créature agréable à une présence glaciale. Je ne parvenais pas à déterminer d'où ce changement si radical provenait et peinais à croire qu'il était celui avec lequel j'avais pris le déjeuner un peu plus tôt.

Bien qu'il ait prononcé ces mots, il ne m'avait pas répondu pour autant. C'était presque comme si il avait peur de ce qu'il devait m'annoncer, ce qui était loin de me rassurer. Était-ce si compliqué de me confier pourquoi ils m'avaient emmenée ici ?

La tension ne cessait de croître dans mon organisme. Plus vite je découvrirais la raison de ma présence ici, plus vite je pourrais comprendre la potentielle menace à laquelle je faisais face.

— On y est, m'annonça soudain mon interlocuteur.

Benti s'arrêta brusquement pour appuyer les mots de Tovan. Mon dos ne tarda pas à entrer en collision avec l'acier du carrosse, m'arrachant un petit cri de surprise et de douleur. Tovan sortit aussitôt du moyen de transport, me laissant seule avec mon mal de dos. Je murmurai quelques jurons peu commodes, avant de contempler la pièce en acier vide dans laquelle je me trouvais.

Je tournai la tête en direction de la sortie de cette cage dont la porte venait d'être ouverte. L'extérieur avait l'air si accueillant et menaçant à la fois que j'hésitais à l'explorer. Je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait, des dangers auxquels je pouvais me retrouver confrontée sans jamais l'avoir demandé. Je déglutis avec difficulté. Les Shadow Faes étaient des créatures magiques et puissantes d'après ce que j'avais compris, ce qui ne fit que m'angoisser davantage.

Je commençai par me lever, tout en gardant la tête basse pour éviter de me cogner contre le plafond de l'habitacle en acier. À mon grand bonheur, mes pieds trouvèrent d'eux-mêmes le chemin vers la sortie sans que mes jambes ne soient tétanisées.

Un flux d'air doux me caressa les joues lorsque je sortis enfin la tête de l'embrasure de la porte. Une succession de rayons lumineux réchauffa ma peau et un voile doré frappa aussitôt mon regard en m'aveuglant. Après avoir cligné à plusieurs reprises des paupières, mes pupilles parvinrent à distinguer le paysage qui m'entourait.

Le lieu qui se présenta à moi dépassa de loin toutes les illusions que j'avais pu me créer au sujet de ma destination. Un palais, entièrement constitué d'acier blanc, se présenta à moi. Les quatre tours du bâtiment colossal brillaient de mille feux sous les rayons du soleil et une immense bannière, comportant l'insigne des Shadow Faes, flottait en l'air.

Un immense arbre était représenté dessus. Son tronc creux abritait un lotus blanc et sur ses racines poussaient d'autres fleurs plus petites. Je me demandais ce que ces éléments pouvaient bien désigner, mais j'étais avant tout heureuse de ne pas y voir figurer la spirale que j'avais découverte sur la fourrure de Novata. Peut-être que ce peuple n'avait rien à avoir avec son meurtre ? Soulagée, je contemplai la structure magique avec un sourire aux lèvres.

La façade était recouverte d'ornements forgés et des pierres précieuses noires et blanches avaient été incrustées dans ces formes élégantes. Captivée, je ne pouvais pas m'empêcher de fixer ce palais, bouche bée. Il possédait une centaine de fenêtres, plus grandes les unes que les autres, qui permettaient à quiconque de m'observer dans l'ombre des rideaux qui y étaient accrochés. Cette pensée me donna la chair de poule.

— Héléna !

La voix de Tovan m'interpella vivement. Je continuai à observer, pendant encore quelques secondes, cet édifice resplendissant. Puis, je me tournai vers le premier consul des Shadow Faes. Pourquoi m'avait-on emmenée ici ? Que pouvais-je bien leur apporter ?

Ils détenaient déjà tout ce dont un être vivant pouvait rêver !

CHAPITRE 7

 

 

Je tournai lentement la tête vers Tovan qui ne cessait de m'interpeller. Une rangée de gardes était debout devant lui et il leur adressa d'aimables mots dans une langue qui m'était inconnue. J'ignorais qu'il en existait une autre que celle que je parlais moi-même ! Mon ignorance au sujet du monde me frappa une fois de plus. Comment avais-je pu croire que le continent serait une réplique parfaite de Paché ?

Les deux premiers gardes, aussi grands et robustes l'un que l'autre, m'observèrent de loin. Ils tenaient fermement des lances en acier au creux de leurs mains gauches et portaient des armures noires ornées du blason de cet endroit qui était représenté sur la bannière que j'observais plus tôt. Aucun casque n'ornait leurs crânes, dévoilant leurs longs cheveux bruns et blonds et leurs petites oreilles pointues. Les couleurs de leurs iris variaient entre le bleu clair et le gris foncé, en passant par le vert. Rien qu'en les observant, je compris qu'ils n'étaient pas humains. Ils dégageaient quelque chose de bien plus puissant et charismatique.

Est-ce qu'ils étaient là pour me protéger ou pour éviter que je ne m'enfuie ? Je n'en savais rien, mais me doutais qu'on ne tarderait pas à m'expliquer tout ce que j'avais besoin de savoir.

Je secouai la tête pour me concentrer de nouveau sur l'essentiel : ils me voyaient comme leur propriété. À leur grand malheur, je n'étais pas prête à me cantonner à ce rôle, pas avant que j'aie tout essayé en mon pouvoir pour changer cette situation. Une fois que je connaissais assez bien les terres et le palais, je m'éclipserais comme une voleuse. Si je vivais assez longtemps pour y parvenir en tout cas. Je n'avais aucune idée de ce qu'ils avaient prévu de faire avec moi.

— Nous sommes en retard, me fit remarquer Tovan, tout en faisant signe aux gardes de nous laisser passer.

Ceux-ci ne bougèrent pas, ignorant les exigences de leur premier consul. Alors, ce dernier prononça un mot aux sons exotiques, qui eut le don de faire réagir les gardiens du passage principal du palais. Je ne comprenais pas le terme en question et étais incapable d'en mémoriser le son. Sa prononciation était lointaine de celle à laquelle on m'avait toujours habituée. Elle était chantante, mélodieuse, douce.

Quoi qu'il veuille dire, le mot en question fit bel et bien en sorte que les hommes en armure s'écartent de notre passage. Ces derniers ne me quittèrent pas pour autant du regard. J'avais la désagréable impression d'être un animal qu'on détaillait, une bête de foire.

Je jetai un dernier coup d'œil à Benti pour me changer les idées, tout en esquissant un petit signe de la main en guise d'au revoir. J'avais toujours été plus à l'aise avec les animaux. L'immense amphibien réagit aussitôt en agitant ses pattes avant. Je lui accordai un dernier sourire, avant de me détourner pour suivre Tovan. Le Fae commença à monter la petite colline sur laquelle le palais avait été bâti.

Le chemin qui mena jusqu'à l'entrée de ce majestueux édifice était recouvert d'un gravier blanc qui avait été sali par les intempéries et les pas des passants. Deux rangées de lanternes longeaient les côtés de cette traînée de petites pierres. Elles servaient sûrement à éclairer l'entrée après la tombée de la nuit et donnaient un air magique à l'ensemble du décor. Je m'imaginais déjà le fin filet de lumière que ces cages formaient lorsque la lune se hissait dans le ciel.

Ça me rappelait tant les mondes fantastiques des contes que ma mère m'avait racontés lorsque j'avais à peine dix ans. J'avais passé tant de nuits à rêver de ces magnifiques aventures ! Maintenant que je paraissais en vivre une, j'étais bien moins enthousiaste.

Et pour cause : les histoires de ma génitrice prenaient toujours un tournant obscur ou avaient des fins mitigées. Ce n'était qu'en grandissant que je l'avais compris.

— Les hommes et femmes qui résident dans le palais parlent la même langue que toi, celle des humains. On est les seuls de tous les Faes à la maîtriser, m'expliqua Tovan dans une tentative de me rassurer.

Toutefois, je ne l'écoutais qu'à moitié, bien trop occupée à m'imaginer les visages et les accoutrements de ceux et de celles que j'étais sur le point de rencontrer. Je ne savais rien de leur culture, de leur histoire ou de leur style de vie. M'accommoder à eux serait donc complexe, mais pas impossible.

Vu l'allure des gardes sobres, maussades et sérieux, j'appréhendais pas mal ma rencontre avec mes hôtes. Je n'avais pas oublié qu'ils ne me voyaient pas comme une forme de vie, mais comme un sacrifice.

Tovan pouffa de rire. Je me rappelai aussitôt qu'il savait lire dans les pensées et me maudis intérieurement en me rendant compte de mon erreur. Je ne devrais pas m'adonner à de telles réflexions en sa compagnie. Mais qu'y avait-il de si amusant ?

— Est-ce que vous détenez tous ce pouvoir ? lui demandai-je en espérant que ce ne soit pas le cas.

Je ne supporterais pas de devoir partager mes sensations et mes doutes les plus intimes avec tout le monde.

— Non, je suis le seul qui le détient chez les Shadow Faes, me rassura-t-il avec un ravissant sourire aux lèvres.

Par instants, il avait l'air si jeune et enthousiaste, que j'en oubliais facilement son statut. J'ouvris lentement la bouche pour lui poser une autre question, mais il m'en empêcha en m'interrompant.

— Sois patiente. Tu verras dans peu de temps à quoi notre univers ressemble. 

Je serrai les poings. Pourquoi avais-je toujours l'impression d'être une pauvre petite fille perdue lorsqu'il me parlait ? Je devais avouer que je n'étais pas très à l'aise dans la situation actuelle, mais ce n'était pas une raison de me traiter comme si j'étais idiote.

On marcha côte à côte, lui perdu dans ses pensées, moi concentrée sur tout ce qui m'entourait. J'expirai longuement, agacée par l'atmosphère mystérieuse que Tovan cultivait en refusant de m'en dire plus au sujet de sa civilisation. Que me voulaient-ils donc ? Cette question ne cessa pas de refaire surface dans mon esprit sans que je n'y trouve la moindre réponse.

— On y est, finit par m'annoncer mon guide.

Il m'indiqua une petite porte cachée dans l'acier des imposants murs du palais. Je devais passer par là ? Alors, à quoi servait le grand portail ? Je n'étais sûrement pas assez importante pour passer par là.

— On joue la carte de la discrétion, Héléna. Tous t'attendent avec impatience, tu es l'invitée d'honneur ce soir ! Ce serait dommage de gâcher la surprise.

Une fois de plus, on me considérait comme une attraction, comme un divertissement. J'en eus des sueurs froides.

— Puis, ce serait impoli de te présenter à eux dans cet état, conclut mon interlocuteur en pointant du doigt mes habits.

Je jetai un coup d'œil à ma petite robe à carreaux verts. Elle était vieille, décolorée et même trouée par endroits, mais, au moins, elle était confortable. Je l'affectionnais puisque ma mère me l'avait cousue elle-même, mais je comprenais ce que Tovan me disait. Même si j'aurais aimé pouvoir croire le contraire, cette tenue n'était pas digne d'un palais. Il me fallait me rendre à l'évidence.

CHAPITRE 8

 

 

Tovan m'ouvrit la petite porte de service avec élégance, tout en me faisant signe de le précéder. Ç'aurait été plus approprié pour lui d'être en tête de ligne, afin qu'il puisse me guider à la place de jouer la carte de la galanterie, mais je n'en dis rien. Ce n'était pas le moment d'exiger quoi que ce soit et, de toute façon, il pouvait s'introduire dans ma tête s'il souhaitait réellement connaître le fond de mes pensées.

En entrant dans le palais, je découvris devant moi un passage secret sombre et inquiétant. L'acier blanc de la façade avait été troqué contre des escaliers en pierre brute. Une seule chute dessus serait assez pour m'ouvrir profondément la peau et un frisson parcourut mon échine à cette idée. Je plissai les yeux, envahie par la panique face à cette obscurité inhabituelle. À Paché, les habitations en bois ne possédaient que très peu de fenêtres, mais j'y avais passé la majorité de mon temps dehors. N'étant pas habituée aux espaces fermés comme celui-ci, je ne pouvais pas m'empêcher de sentir l'inquiétude m'envahir.

Toutefois, lorsque Tovan entra à son tour dans l'espace humide, quelques lumières s'allumèrent. Elles avaient été incrustées dans les murs de façon aléatoire, ce qui me fit comprendre qu'elles étaient des composants naturels du lieu. Je posai ma main sur quelques-unes d'entre elles, bloquant ainsi le rayon blanc qu'elles émettaient. À ma grande surprise, elles étaient glaciales.

— Ces cristaux détectent l'aura des Faes. La teinte de la lueur qu'elles émettent dépend de la nature de celui qui croise leur chemin, m'expliqua le premier consul en souriant.

— Quelle couleur sont celles des autres ? l'interrogeai-je avec curiosité.

— Celle des Summer Faes est jaune, celle des Vision Faes est bleue et celle des Desert Faes devrait logiquement être rouge.

— Logiquement ?

— Comme je te l'ai dit plus tôt, nous ne savons presque rien d'eux, ils sont les seuls à ne jamais avoir mis les pieds ici.

Il haussa les épaules sans s'en préoccuper, ce qui me fit sourire. Ça ne m'étonnait pas qu'il soit celui que les Shadow Faes avaient envoyé à Paché pour venir me chercher. Il était agréable à fréquenter et tentait de mettre son interlocuteur autant à l'aise que possible.

Malheureusement, cela ne suffisait pas à atténuer la tension qui continuait de grandir à l'intérieur de mon organisme.

Tovan m'adressa un mouvement de tête pour m'inciter à monter les escaliers qui se présentaient à nous. Je savais que je n'avais plus d'autre choix à présent et inspirai, avant d'obéir.

— En ce qui concerne les auras...

Ma phrase resta en suspens, alors que je cherchais une façon de bien formuler ce que j'étais sur le point de lui demander.

— Est-ce que j'en ai une aussi ?

Il s'arrêta au beau milieu des escaliers et ses yeux cristallins scrutèrent brièvement l'air qui se situait autour de ma tête. Je devais en permanence jeter des regards en arrière pour voir s'il suivait encore, ce n'était pas très pratique. Je me trouvais trois marches plus haut que lui, mais ça ne changeait rien à l'intensité de sa prestance.

— Toutes les créatures ont des auras, sauf les humains, m'avoua-t-il en secouant la tête.

Il avait l'air navré de ne pas pouvoir m'annoncer une nouvelle plus palpitante.

— Et tu parviens à toutes les voir ? articulai-je en faisant bien attention d'inspirer par le nez et d'expirer par la bouche pour rester calme.

Notre ascension était bien plus éprouvante qu'elle n'en avait l'air et je me demandais où elle pouvait bien nous mener.

— Exactement. Normalement, ce don est réservé aux Vision Fae, mais une anomalie présente dans mes gènes a fait en sorte que je puisse également le maîtriser.

Je devinai que je venais de toucher une corde sensible. Je n'aurais jamais pu deviner qu'il me soit semblable. Comme moi, il n'entre dans aucune case.