Inconsolables petits anges - Pascal Drampe - E-Book

Inconsolables petits anges E-Book

Pascal Drampe

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Beschreibung

Les deux flics firent voler en éclats la porte d'où provenait la musique d'orgue à l'ambiance satanique anxiogène. Sous l'effet de surprise, trois des huit braqués se pissèrent dessus instantanément. Malgré leur lourd vécu, le commandant Blanco et son adjointe restèrent paralysés par la vision d'horreur. D'une voix proche d'un cri de révolte, la capitaine Linda les avisa fougueusement: "Gardez les mains en l'air et mettez vos sales gueules contre le mur! Je plombe le premier fumier qui bouge !

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Seitenzahl: 206

Veröffentlichungsjahr: 2021

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Du même auteur :

« Insoutenable héritage », Blanco 1 -collection Blanco-publié chez BoD, avril 2020.

« Insoupçonnable vengeance », Blanco 2 -collection Blanco-, publié chez BoD, août 2020.

« Flic, un métier qui tue… », avril 2019 republié chez BoD, 2021.

A ma mère, Francine Horcholle.

« Pour ton incroyable victoire face à la Covid-19 ».

A ma cousine, Sabine Drampe, infirmière.

« Grâce à toi, maman a survécu ».

Mille mercis.

Haïku

Innocents lotus,

puretés fugitives,

perdues à jamais.

Blanco

Sommaire

Prologue

Saisine controversée

Prémices d’un réseau de reztavek

Avertissement sans frais

Réseau tentaculaire ?

Improbables rebondissements

Enquête sous haute malveillance

Têtes coupées

Épilogue

Prologue

Au même instant, un cri strident leur perça les tympans. Le commandant Blanco s’adossa solidement contre l’épaisse clôture en pierre de la demeure. La capitaine Linda, d’un appui assuré du pied sur les mains aux doigts fermement entrecroisés de son partenaire, sauta l’obstacle mural avec dextérité, aussitôt suivie par son acolyte. Dans cette nuit noire et glaciale, d’apparence si paisible, ils traversèrent hâtivement la pelouse pour pénétrer dans la cuisine de la grande bâtisse. Leurs traits de visage affichaient une détermination extrême. Armes aux poings, ils identifièrent, en provenance du sous-sol, un fond de musique d’orgue à l’ambiance satanique anxiogène. Comme pour rattraper le faisceau lumineux de leur torche, ils descendirent les marches d’escalier pour faire face à la porte d’où provenaient les bruissements et sous laquelle s’échappait un filet de lumière.

Leur pouls battait la chamade, les deux flics ne se devinaient à peine dans la noirceur du corridor. Ils marquèrent un temps d’arrêt, inspirèrent profondément pour reprendre leur respiration. Comme à leur habitude, ils engageraient l’assaut à la fin d’un compte à rebours silencieux de trois secondes. D’un violent coup d’épaule, le commandant Blanco força l’ouverture, en même temps qu’ils crièrent leur qualité, les armes pointées vers les occupants de la pièce macabre.

Malgré leur lourd vécu, les deux acolytes furent, une fraction de seconde, paralysés par la vision d’horreur qui leur sortit les yeux des orbites. Sous l’effet de surprise, trois des huit braqués, deux femmes et un homme, se pissèrent instantanément dessus. D’une voix proche d’un cri de révolte, Linda les avisa fougueusement.

---Gardez les mains en l’air et mettez vos sales gueules contre le mur ! Je plombe le premier fumier qui bouge !

Pas habitué à ce que son adjointe lui emprunte ce genre de propos, Blanco lui exposa clairement la paume de la main gauche en guise de prise de relais. D’autant qu’il constata que l’index droit de sa partenaire avait quitté le long du pontet pour se fixer nerveusement sur la queue de détente de son Sig Sauer. Il arrêta cette musique oppressante, avant de prévenir fermement les antagonistes.

---Vous allez sagement exécuter les ordres ! Vous mettre la tronche contre ce mur, décaler les jambes vers l’arrière et croiser les poignets dans le dos ! Ne faites aucun geste que vous pourriez regretter !

Convaincue de la maîtrise de son chef de groupe, la capitaine Linda lui jeta un regard approbatif. Blanco resta songeur un bref instant, oscillant entre le dégoût, devant cette scène consternante, et la satisfaction de pouvoir claquer ce flag à la figure des nombreux détracteurs lui barrant la route ces derniers temps.

La preuve éclatait enfin au grand jour. Désormais, plus rien ne pourrait l’arrêter dans sa quête de vérité. Du moins le pensait-il...

1 – Saisine controversée.

Quelques jours auparavant…

Ce 1er décembre 2018, debout dans la file d’attente à l’aéroport Las Americas de Saint-Domingue, le commandant Blanco était plongé dans ses pensées. Finalement, son adjointe, la capitaine Linda, avait eu raison de lui préconiser cette quatorzaine hors hexagone. Lui qui était incapable de se souvenir de ses dernières vacances. Peut-être six ou sept ans plus tôt ? Bref, quasiment depuis qu’elle l’avait rejoint dans son groupe Crim’ au S.R.P.J. de Lille, à quelques encablures de leur lieu de naissance, elle à Maubeuge, lui à Jeumont. Sa dernière affaire sensible avait laissé quelques vilaines traces dans ses environnements professionnel et privé, du moins pour le peu que ce dernier existât encore. Voilà le sort réservé à ces flics entêtés, pourtant en voie de disparition, lorsqu’ils s’en prennent aux notables du coin. Et ce, en raison d’un incendie qui causât la mort de deux jeunes belges dans un établissement hébergeant des étudiants, situé sur la route de Valenciennes à Maubeuge. Si, à l’évidence, les premières investigations des enquêteurs maubeugeois ne tendaient qu’à démontrer des circonstances accidentelles, le commandant Blanco, en visite dans sa famille, inversait la tendance, mettant à jour une dramatique affaire d’escroquerie à assurance, commanditée par des propriétaires ayant pignon sur rue. Diverses pressions malintentionnées avaient eu pour corollaire de le faire sortir de ses gonds. Qui pouvait soutenir ces criminels responsables de la mort de deux jeunes, brûlés vifs ? Malgré ses nombreux faits d’armes, pour quelle raison avait-il eu des comptes à rendre, sous pli confidentiel, au ministre de l’Intérieur ? Sans compter l’absence totale de soutien de sa hiérarchie départementale, quand bien même elle ne l’avait pas saisi de l’enquête. Ainsi, son adjointe, Linda, l’avait invité à poser son mouchoir dessus : « tu as quand même réussi à les faire mettre au chaud quelque temps. Mais tu connais le système, il faudra que tu l’admettes un jour ou l’autre, Blanco ! Fais un p’tit break de deux semaines ! ».

Au sortir de ces quatorze jours caribéens, le quinquagénaire paraissait un peu moins que son âge, avantagé par sa corpulence sportive. Son nouveau teint hâlé, contrastant avec ses tempes poivre et sel, faisait davantage ressortir sa bonne mine. Une allure relâchée et une esquisse de sourire semblaient révélatrices de vacances régénératrices. D’ailleurs, son regard langoureux, à l’endroit d’une très jolie femme typée hispanique, ne laissait planer aucun doute quant à un séjour revigorant. Lui qui ne voulait rien faire, rien penser pendant cette mise au vert, avait rencontré cette magnifique espagnole au complexe hôtelier de la Casa de Campo à Higuey. Elle y officiait en tant que responsable qualité. La rencontre fut tout à fait fortuite, puisque la chambre occupée par Blanco avait été tirée au sort pour un contrôle dans les règles de l’art. Alors qu’il lézardait sur son lit king size, il était tout de suite séduit par le charme de sa visiteuse. Atout qu’elle tentait de cacher fébrilement sous le prétexte professionnel. Elle l’avisait d’un français remarquable, souligné d’un accent ibérique charnel qu’elle ne pût dissimuler, non plus.

---Nous sommes navrés pour le dérangement, Monsieur. Votre chambre va faire l’objet d’un contrôle qualité. Pour nous faire pardonner, la Direction vous invite ce soir, à sa meilleure table, à l’heure qui vous conviendra.

Cette apparition inopinée le sortait littéralement de sa léthargie. Le contraste entre l’aspérité de ses pensées ténébreuses et la douceur de cette somptueuse femme à la peau dorée, lui libérait enfin l’esprit, encore parasité, malgré les treize premiers jours de vacances. Lui, qui avait un tempérament assez dur sur l’homme, était, a contrario, plutôt très avenant envers la gent féminine. Il l’avisait avec beaucoup d’élégance.

---Au contraire, je suis fort aise d’être dérangé par une dame aussi charmante. J’accepterais volontiers cette invitation si vous pouviez m’honorer de votre présence.

Surprise, ses joues, pourtant déjà joliment ambrées, viraient à une couleur sapotille encore plus soutenue. Troublée, elle répondait avec tact.

---Malheureusement, le règlement intérieur de l’établissement n’autorise pas le personnel à se joindre à la clientèle, excepté pour les impératifs du service. Vous m’en voyez très sincèrement désolée, Monsieur.

---Alors, permettez-moi de vous inviter à dîner dans le restaurant de votre choix. Si je dois reconnaître que je ne suis pas insensible à votre charme, sachez que cette soirée sera basée sur l’apprentissage des us et coutumes de votre magnifique pays. Bien entendu, il ne s’agirait pas que cet échange vous pose la moindre complication vis-à-vis de votre proche entourage.

S’affairant presque maladroitement à sa mission, elle ne répondait pas immédiatement, décontenancée par cette invitation d’une convenance inhabituelle. Puis, avant de quitter la chambre, elle acceptait timidement la proposition. Ils se rejoignaient, discrètement, à seize heures, devant la basilique Catedral Nuestra de la Altagraciaà Higuey. Pour plus de discrétion, et sachant qu’il y prenait l’avion le lendemain, Blanco lui proposait de se rendre à Santo-Domingo. Attention qu’elle appréciait à sa juste valeur, d’autant qu’elle n’avait pas mis les pieds au centre historique de la capitale depuis plus d’un an. Chemin faisant, Blanco bénéficiait d’un véritable récital de son éloquente guide touristique de circonstance, détentrice d’une licence d’histoire. Salina semblait ravie de bénéficier de cette escapade en compagnie de cet inconnu si différent du touriste habituel. Elle l’avisait subitement de manière austère.

---Sachez, Monsieur, que ce n’est pas dans mes habitudes de partir en visite avec un client de l’hôtel. Vous savez ce qui se passe, ici, avec le tourisme sexuel. Je ne m’autorise pas à juger les gens, mais les visiteurs ne devraient pas tirer ainsi profit de la pauvreté. Je ne sais pas si vous avez visité la ville de Boca Chica ?

Blanco acquiesçait avec compassion, appuyant son sentiment par la présentation rituelle de la paume de sa main gauche, puis répondait d’un ton rassurant.

---Je m’en suis échappé, ce matin. Une minute de plus et je commettais un meurtre. Voir, au grand jour, ces mômes au regard si vide, esquissant des sourires de circonstance à l’endroit de ces prédateurs sexagénaires transpirants grassement, m’a donné la nausée. Inutile de préciser que le taximan, qui m’avait conseillé d’y passer mes deux derniers jours de vacances, n’a pas bénéficié de la course retour. Rassurez-vous, j’ai suffisamment d’expérience pour savoir avec qui je partage ce moment.

Soulagée, Salina poursuivait sa narration sur l’histoire et la géographie économique de son pays, comme pour lui attribuer un label qualité plus conforme. Ainsi, jusqu’à l’arrivée à la Calle El Conde de la Zona Colonial, au centre-ville de la capitale, Blanco voyageait à travers plusieurs siècles. Ils arpentaient cette rue principale pavée jusqu’à la place de la Basilica Catedral de Santa Maria la Menor, où ils s’installaient à la terrasse d’un réputé restaurant italien. Plus le repas avançait, plus la complicité entre les deux convives se dessinait, d’autant que tous deux partageaient cette particularité de ne pas avoir vécu un moment aussi insouciant depuis de nombreuses années. Le commandant ne pouvait s’empêcher d’y ajouter sa touche subtile de séduction et d’humour qui produisait immanquablement son effet sur son accompagnatrice. Salina proposait de poursuivre la soirée dans un club branché du quartier huppé, Blanco lui ayant lâché, lors du dîner, avoir rangé son kimono et sa ceinture noire au placard, pour s’initier à la danse latino. Il relevait fort bien le défi, grâce à son déhanché plutôt habile pour un Européen, au grand ravissement de sa voluptueuse partenaire. Deux heures de bachata aussi endiablées que sensuelles suffisaient à émoustiller le duo, à fleur de peau. Somme toute très attirée par son élégant cavalier, Salina s’en décollait peu à peu. Le commandant recouvrait péniblement son self-control, mais en respectait la démarche, malgré la frustration.

En raison de l’heure tardive, il était préférable que Salina passe également la nuit à l’hôtel Sheraton, avant de rentrer seule à la Romana, le lendemain. Avec suffisamment de délicatesse pour éviter que le regard du réceptionniste ne s’attardât trop lourdement sur sa ravissante accompagnatrice, le commandant réservait une seconde chambre. Ils s’échangeaient un dernier regard teinté d’amertume, avant d’entrer dans leur quartier respectif. À peine la porte refermée, Salina se mordait violemment le tranchant de la main. C’était le prix à payer pour défendre la réputation de la femme dominicaine. Après une agréable douche, elle s’allongeait sur le lit moelleux, le sourire léger. C’était plus compliqué pour Blanco, qui ne jouissait pas de cette volonté propre à la gent féminine. Il s’interdisait, à contrecœur, mais à raison, de frapper à la porte de Salina, dont l’attitude la rendait encore plus désirable. Immobile sous les jets de la colonne hydromassante, les yeux clos, tel le tableau de Redon, il ressassait, en boucle, ces danses enlacées qu’il n’avait jamais connues aussi voluptueuses. Puis, il s’étala de tout son long sur le dessus de lit, toujours envoûté par le doux souvenir des courbes avantageuses et enivrantes de sa partenaire de circonstance. Cette savoureuse vision était interrompue lorsqu’il entendait toquer légèrement. La porte ouverte, Salina s’adressait timidement à lui.

---Je ne voudrais pas que tu interprètes mal mon…

Blanco mettait un terme à cet embarras en la prenant par la main pour l’allonger sur le lit. Il lui susurrait à l’oreille de s’abandonner pour mieux apprécier l’instant, la faisait pivoter délicatement sur le ventre, en prenant soin de lui laisser son drap de bain recouvrir le bas de sa chute de rein, jusqu’au haut de ses cuisses. Il lui plaçait sa longue chevelure noire bouclée sur un côté et lui inclinait le visage sur l’autre, tout en lui dégageant la nuque. Il mettait un fond de musique zen, s’enduisait les mains de la réputée huile sensuelle Ylang Ylang qu’il emportait toujours dans ses bagages, puis l’invitait à respirer profondément pour relâcher les tensions. Il lui effleurait à peine la peau, de la nuque jusqu’à la base du dos pour éveiller ses sens, avant d’appliquer de légères pressions sur les épaules et l’ensemble du dos. Il sentait que Salina commençait à se délivrer. Sans jamais perdre le contact, il descendit le long de son corps pour lui masser les pieds, le bas de ses jambes, jusqu’à remonter au niveau de ses cuisses. Le splendide corps de Salina commençait instinctivement à onduler sensuellement, les caresses se faisaient plus précises, alternant des impulsions plus vigoureuses sur ses fesses galbées et des effleurements du bout des doigts à l’intérieur de ses cuisses, lui provoquant de légers soubresauts incontrôlés. Blanco, totalement nu, lui ôtait délicatement son drap de bain pour lui effleurer, d’un lent mouvement de va-et-vient du torse, le haut du dos jusqu’au bas des fesses qui tendaient à s’ouvrir davantage à chaque passage plus savamment appuyé. Entrecroisant ses doigts entre ceux de la voluptueuse Salina, il pouvait ainsi mieux appréhender les sensations de sa partenaire et deviner le moment où les deux corps devaient s’unir plus profondément. Sa langue experte prenait la place de son poitrail, pour mieux apprécier le goût de miel de ce fruit délicat, et déclenchait des mouvements saccadés des jolies fesses recouvertes de frissons de Salina. C’est le moment qu’ils choisissaient tous deux pour sceller leur union charnelle, Salina se cabrait d’un seul coup, un gémissement sensuel s’échappant de ses lèvres pulpeuses. L’érotique bachata qui s’engageait durant une bonne partie de la nuit, aura raison du duo épanoui.

Au petit matin, lors du copieux petit-déjeuner, Blanco s’enjôlait élégamment de la mine de Salina, dont une once de fébrilité s’affranchissait de son accoutumé charisme. Puis, pour occulter le départ imminent de son ami, elle abordait de riches sujets de discussion dont l’un attirait plus particulièrement l’attention avisée du flic invétéré. Celui de rumeurs d’un trafic d’enfants pauvres, communément appelés les reztavek. En somme, ces petits esclaves du pays voisin, Haïti, transiteraient, via la République dominicaine, à destination de l’étranger. Blanco connaissait différents réseaux liés à la traite des êtres humains, notamment ceux d’Afrique et des pays d’Asie du Sud-Est. Cependant, il n’avait jamais entendu parler de cette filière haïtienne. Il stockait cette précieuse information dans un petit coin de sa tête.

Ce samedi 1er décembre, Salina insista pour l’accompagner à l’aéroport. Sa présence expliqua le visage réjoui d’un Blanco transformé. Pourtant, un singulier changement d’attitude de sa protégée le ramena à la dure factualité du terrain. Le doux visage de Salina se fit soudainement plus sévère. D’un geste directionnel du menton, elle lui indiqua la cible. Un homme, la trentaine, typé espagnol, et un enfant caribéen, d’à peine dix ans, foncé de peau. Le duo, qui semblait mimer le rôle pèrefils, emprunta un itinéraire bis, précédé d’une policière de l’immigration. L’homme, jusqu’ici plutôt contracté, marqua un perceptible relâchement corporel. A contrario, le petit garçon affichait un regard vide, exsangue d’insouciance enfantine. Comme évoqué par Salina, il ressemblait étrangement aux reztavek destinés à l’esclavage moderne, et plus si « affinités ». Il portait toute la misère du monde sur ses frêles épaules surplombant un corps squelettique au ventre gonflé. Résigné, il ne bénéficiait d’aucun geste tactile de la part de son accompagnateur, qu’il suivait somnambuliquement.

Le commandant ne pouvait ignorer les propos de Salina : « des enfants arrivent aux pays et disparaissent on ne sait où, ni comment ». Y assistait-il en direct ? Comment le savoir, d’autant que le duo venait de se volatiliser ? Avant de se soustraire, à son tour, au champ visuel de Salina, Blanco lui adressa un dernier regard, suffisant à lui faire comprendre qu’il avait identifié l’objectif. Par chance, Blanco les retrouva dans l’avion à destination de Paris-CDG, assis aux sièges 12A et 12B. Les places libres le permettant, Blanco put s’installer à proximité d’eux, au 14D, pour bénéficier d’un poste d’observation idéal. L’attitude des deux voyageurs ne fit qu’attiser sa curiosité. Insensible aux larmes qui coulèrent silencieusement sur les joues du gamin, au décollage, l’homme lui posa une batterie de questions en italien. Très scolairement, il répondait aussi bien dans cette langue, qu’en français ou en espagnol, en feuilletant son passeport belge. Cette relation semblait de plus en plus ambiguë. L’homme ne manifestait aucun geste paternel. Il ne pouvait s’agir d’un père et de son fils.

« Chasser le naturel, il revient au galop », Blanco réalisa que le professionnel prenait déjà l’ascendant sur le privé. À en oublier qu’il venait de quitter l’envoûtante Salina. Il s’accorda un come-back de leurs merveilleux moments, avant de trouver le sommeil. Au petit matin, à la descente de l’avion, il leur emboîta le pas jusqu’au filtrage policier, où l’attitude de l’homme devint moins aérienne. Les regards, qu’il adressa au petit, devinrent plus insistants. Cette relative tension n’échappa au policier adjoint de sécurité, perché dans l’aubette. Interrogé, le gamin répondit, craintivement, qu’il voyageait avec son père et qu’il rendait visite à sa maman, en Espagne. Devant le regard circonspect du trop jeune policier, le père, avec assurance, communiqua l’identité et le téléphone de la soi-disant mère. Dubitatif, l’agent nota les indications sur un morceau de papier et, en absence de collègue expérimenté, valida l’entrée sur le territoire français. Au passage, Blanco mémorisa le numéro RIO correspondant à l’identification du jeune fonctionnaire. Puis, il pressa le pas jusqu’aux bagages. Fort heureusement, il récupéra sa valise avant eux et s’embusqua à proximité de la sortie des passagers pour reprendre la filature. Le petit semblait complètement désorienté et apeuré. Ils montèrent dans un taxi, Blanco en fit de même et ordonna au chauffeur de les suivre.

La spirale était enclenchée, il se devait de découvrir le véritable statut de l’enfant. Changer ses plans à la dernière minute était monnaie courante. Il perdrait sans doute son billet TGV à destination de Lille. Mais à quoi bon s’inquiéter d’une futilité, alors qu’il pouvait passer à côté d’une affaire grave. Son mode de fonctionnement l’empêchait de se poser ce type de questions. Il suivait son instinct, point. À neuf heures trente, le taxi les déposa dans le 17ème arrondissement de Paris, avenue de la Porte-des-Ternes. Blanco leur enchâssa le pas, discrètement. Le père, couvert d’un épais manteau, et le fils, plutôt légèrement habillé et transi de froid en ce mois de décembre, pénétrèrent dans le hall d’entrée d’un immeuble haussmannien, au numéro 105. Le commandant poursuivit son chemin. Aucune erreur n’était permise. Pour avoir fait partie de leur environnement visuel durant le voyage, Blanco devait éviter de croiser leur regard. Le vent glacial lui brûlant le visage, il convenait de trouver un point d’observation abrité. Soit, il restait à proximité du 105 et s’installait en terrasse chauffée au Ballon des Ternes ; soit, il se positionnait du côté pair de l’avenue, au Bistrô. Il opta pour le second établissement qui lui offrait plus d’amplitude visuelle et de discrétion, la science du « voir sans être vu ». Déjà deux heures qu’il planquait. Son sentiment oscillait entre les souvenirs sensuels de la République dominicaine et les perspectives glacées de ce que son instinct lui laissait entrevoir, ici. Quasi à l’heure méridienne, son téléphone le sortit de ses pensées.

---Blanco, je suis sur le quai, tu es où ?

---Merde, désolé, Linda, je t’ai complètement zappée. Je suis encore à Paris. Je t’expliquerai tout à l’heure.

---La dernière fois que tu as employé ce ton, c’était pour la galère de l’incendie. Tu devais souffler. T’es sur quoi ?

---Une rumeur circule en République dominicaine quant à la disparition d’enfants. Et, j’ai voyagé derrière un père et son fils dont la relation n’était pas naturelle.

---Ouais, Blanco, mais tu es dans quel cadre ?

---Tu ne vas pas t’y mettre ! Il y en a déjà assez avec ces tauliers et leurs procédures sur papier glacé. Tu sais bien que, parfois, il faut mettre les mains dans le cambouis.

---Je sais, Blanco. Mais, est-ce le bon moment ?

---Il n’y a pas de bon ou mauvais moment lorsqu’il s’agit d’enfants. J’ai de sérieux doutes, d’autant qu’une amie me les a signalés à l’aéroport de Las Americas.

Ce n’était pas tombé dans l’oreille d’une sourde. Linda, un tantinet blagueuse, le taquina un peu.

---Une amie ? Je comprends mieux que tu n’as pas donné le moindre signe de vie depuis quinze jours.

---Linda, je raccroche, ils sortent de l’immeuble.

Les deux voyageurs montèrent précipitamment à l’arrière d’une flambante BMW série 7, noire, aux vitres teintées. Blanco n’eut pas le temps d’esquisser le moindre geste que le bolide se volatilisa. Il releva tout de même l’immatriculation, détenait cette adresse et pouvait identifier les deux voyageurs via la compagnie Air France. Il rappela aussitôt son adjointe.

---Passe-moi cette plaque au fichier, Linda.

---Je le fais sous ton matricule et sur ton ordi, cette fois-ci. J’ai eu assez d’emmerdes la dernière fois.

---Merci, Linda. Je prends le premier TGV. Tu seras dispo pour me récupérer à la gare de Lille-Europe ?

---Bien sûr, d’autant que le taulier veut te voir.

---Mais nous sommes dimanche ? C’est à quel sujet ?

---Aucune idée, il tient absolument à te parler. À toute.

Le temps d’avaler un jambon beurre et de piquer un petit roupillon dans le TGV, que Blanco débarqua déjà sur le quai. Malgré leur pudeur, la franche accolade révéla la joie des retrouvailles. Il est vrai qu’ils passaient la plupart de leur temps ensemble. Ils se rendirent immédiatement au Service Régional de la Police Judiciaire à Lille-Centre. Blanco expliqua plus en détail cette potentielle affaire. Linda lui glissa l’imprimé de l’identification de la BMW correspondant à un véhicule belge, ce qui augmenta davantage la curiosité du commandant. Le taulier, l’œil sévère, les attendait déjà. Ce divisionnaire en fin de parcours, flirtant avec la soixantaine, n’avait plus, pour seul objectif, qu’une reconversion au poste de « Monsieur Sécurité » à la mairie lilloise. S’il avait bourlingué, l’usure du métier avait eu raison du flic. D’ailleurs, depuis quelque temps, il s’interdisait le moindre écart, son intérêt pour le collectif s’étant effacé au profit de son confort personnel. Même Blanco, qu’il avait pourtant adulé, représentait maintenant un danger pour sa petite popote. Linda et Blanco entrèrent dans son immense bureau.

---Commandant, quelle mine superbe.

---Je n’en dirais pas autant de vous, Monsieur.

L’air gêné de Linda contrasta avec celui décontracté de Blanco qui pouvait se permettre de le chambrer un peu. Il lui avait sauvé la mise, à maintes reprises, sur des affaires qui défrayèrent la chronique dans les Hauts-de-France. Deux préfets successifs avaient failli le faire sauter en raison de la pression médiatique causée par des enquêtes au point mort. Mais Blanco avait neutralisé les malfrats, juste à temps.

---Toujours aussi direct, à ce que je vois, Commandant.

La capitaine tenta vainement de s’esquiver.

---J’imagine que vous avez des choses à vous raconter ?

---Restez, Capitaine. Vous êtes également concernée.

Le discours fut non négociable. Après le remueménage de l’incendie criminel de Maubeuge, le taulier ordonna au commandant de n’engager aucune affaire sans qu’il n’en soit averti. Il incombait à la capitaine de l’aviser, par tout moyen, du non-respect de ces consignes. Ce monologue réduisit à néant tout le bien-être emmagasiné par Blanco lors de son séjour caribéen. Agacé, il se leva et avisa fougueusement son directeur.

---Si vous en avez terminé, permettez-moi de disposer. Dernière chose. Si, par malchance, vous faisiez l’objet de quelconques pressions comme par le passé, ne comptez pas sur quelqu’un de raisonnable, comme vous le dites si bien, pour vous sortir du pétrin. À bon entendeur, salut !

Énervé, Blanco sortit sans attendre la réponse du directeur médusé. Linda ne savait plus où se mettre.

---Je peux, Monsieur ?

« Qui ne dit mot, consent », elle quitta discrètement le bureau, referma délicatement la porte, avant de se rendre dans celui de son commandant, qui avait déjà fait valser la poubelle métallique cabossée contre le mur.