Incriminable or - Pascal Drampe - E-Book

Incriminable or E-Book

Pascal Drampe

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Beschreibung

A partir de certains faits réels, le commandant Blanco vous fait découvrir, via ce polar, les terribles fléaux liés à l'orpaillage illégal en Guyane. L'exploitation clandestine de l'or vous plonge dans la cruauté humaine, la destruction de cette forêt amazonienne et de ses populations autochtones. Un récit à vous couper le souffle...

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Seitenzahl: 196

Veröffentlichungsjahr: 2022

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À la mémoire de Stéphane et Sébastien, nos deux camarades commandos disparus le 27 juin 2012, lors de l’opération Harpie à Dorlin – Guyane -.

Du même auteur, chez BoD :

Témoignages :

- L’incroyable destin de Blanco, juillet 2021.

- L’enveloppe jaune, avril 2022.

Polars

- Blanco 1 : Insoupçonnable vengeance, avril 2020

- Blanco 2 : Insoutenable héritage, août 2020.

- Blanco 3 : Inconsolables petits anges, juin 2021.

- Blanco 4 : Inqualifiable cannabis, février 2022.

Mes remerciements à

Betty Perpignan, ma compagne et ex-collègue,

Frédéric Deleuze, mon ex-adjoint à Saint-Laurent-du-Maroni,

Jérôme Faith, dit « Le Jaguar », de l’O.N.F.,

et feu Raphaël Harlé, ex-chef d’État-Major.

Sans eux je n’aurais pu mener à bien ces missions extrêmes de lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane.

Haïku.

Or pur guyanais, Action impure de l’Homme, Mère nature meurtrie.

Blanco.

Sommaire

Prologue

1.

Immersion en forêt amazonienne

2.

Succès dérangeant

3.

Rencontres mortelles

4.

Remonter à la source

5.

Enquête perso communicative.

6.

Tel est pris qui croyait prendre

7.

Pressions déclinantes

Épilogue

Prologue.

Dans cet étroit layon, au fin fond de la forêt amazonienne, la tension atteignait son comble. Dans un silence de mort, une formation pédestre d’une trentaine de gendarmes et de militaires progressait tactiquement vers le sulfureux site d’orpaillage illégal de Dorlin, dans la région de Maripasoula, au centre-ouest de la Guyane. Le taux d’humidité proche des 90% et la palpable nervosité des binômes rendaient l’air irrespirable.

L’attitude guerrière des combattants démontrait une détermination sans faille ; les visages creusés, l’œil vif, les muscles bandés par l’effort, le groupe d’intervention de la gendarmerie et les commandos du 9e R.I.M.A. (*), pour certains, porteurs de fusils d’assaut, avaient toutes les raisons d’afficher une telle hardiesse.

Pour cause, quelques heures plus tôt, dans le cadre d’une opération conjointe d’envergure police-gendarmerie-armée de lutte contre l’orpaillage illégal, l’un des hélicoptères Puma, en approche du site Dorlin, avait essuyé des tirs d’armes de guerre, blessant à l’abdomen l’un des camarades gendarmes. L’escouade aérienne se retranchait sur la commune de Maripasoula, au bord de la rivière Lawa, pour lui prodiguer les premiers soins et établir, dans l’urgence, une stratégie à l’endroit des assaillants. C’est ainsi qu’il était décidé, en comité restreint, de mener l’opération de contre-attaque.

Après deux heures de marche, le groupe, qui évoluait bon train, arriva dans un passage encore plus gainé que celui du sentier qu’il empruntait depuis plusieurs kilomètres. La situation géographique ne lui était pas favorable, puisque progressant totalement à découvert au fond d’un talweg.

(*) : 9e Régiment d’Infanterie de Marine basé en Guyane.

Nonobstant l’abondance d’espèces animales dans cette forêt dense, un silence assourdissant régnait anormalement dans l’atmosphère, ce qui, malgré cet endroit propice au guet-apens, n’empêcha pas le premier binôme de s’engager dans le virage en épingle. La sanction ne se fit pas attendre ; des tirs en rafale, provenant des mornes dominant la formation en progression, vinrent faucher le commando de tête. Son coéquipier, n’écoutant que son courage et son devoir, fut à son tour touché par balle, alors qu’il tentait de dégager son binôme. Les coups de feu ne cessèrent et deux gendarmes furent également atteints par les ogives des fusils d’assaut. Les tireurs embusqués, sans doute un gang brésilien sévissant dans les parages, prirent la fuite à travers la végétation luxuriante, avant de se volatiliser derrière la ligne de crête.

À deux cents kilomètres de ce terrifiant théâtre de guerre, le commandant Blanco reçut la visite du directeur adjoint, dont l’air grave laissa présager de l’annonce d’une mauvaise dépêche. À l’énoncé du drame, le nouveau chef d’État-Major de le D.D.P.A.F. (*) de la Guyane s’affala dans son fauteuil et se prit la tête dans les mains, s’exclamant d’une voix révoltée : « je me doutais que cette opération allait foirer ». Puis, après avoir observé un long silence, Blanco se leva et avisa le sonneur de tocsin : « j’y vais, j’veux la peau de ces salauds ! ».

(*) : Direction Départementale de la Police Aux Frontières.

1- Immersion en forêt amazonienne.

Quelques semaines auparavant…

Ce 1er avril 2018, dans un bureau parisien feutré de la D.A.P.N. (*), une décision se prenait en catimini quant à l’avenir du commandant de police Blanco, en fonction à la Sûreté départementale des Alpes-Maritimes. Le directeur de séance imposa son point de vue : « il vaut mieux lui donner satisfaction pour éviter du grabuge à Nice. Vous savez de quoi il est capable, ce flic ; s’il reste là-bas, nul doute que le sang coulera. De surcroît, on l’envoie au bout du monde, à Saint-Laurent-du-Maroni, ainsi tout le monde y gagnera en tranquillité. Avisez-le, rédigez son arrêté sur le champ. Je considère que l’affaire est classée ».

Ce veuf endurci, quinquagénaire, homme de parole, valida l’affectation qui arrangeait l’ensemble des protagonistes. Et, surtout, cette décision libérait ses proches du travail de sape des détracteurs régionaux enfin débarrassés de ce dérangeant incorruptible.

Avec pour tout bagage un sac de sport contenant deux chemises pour autant de jeans et de paires de chaussures, sans-le-sou, Blanco embarquait à destination de Cayenne, le cœur lourd du difficile choix de laisser en toute impunité les malfaisants, pour protéger les siens. Il était reçu, neuf heures plus tard, par le directeur de la Police Aux Frontières de la Guyane, qui, le regard fuyant et l’attitude peu élégante, complètement avachi dans son grand fauteuil en cuir, annonça sans vergogne la couleur.

(*) : Direction de l’Administration de la Police Nationale.

---Vous m’avez été imposé par Paris, sans compter que vous aurez la lourde tâche de remplacer l’excellent Commandant de Saint-Laurent-du-Maroni qui a fait un travail remarquable durant quatre ans. J’espère que…

Blanco, encore à cran après huit longues années à annihiler les entourloupes dans le Comté de Nice, coupa net la parole au directeur qu’il jugea bien trop suffisant.

---Toutes mes condoléances, Monsieur. Mais sachez qu’il n’y a plus de bons ou de mauvais flics. Aujourd’hui, seules les statistiques sont bonnes ou mauvaises, du moins pour ce qu’on veut bien leur faire dire. Alors, donnez-moi les chiffres de votre pépite de Commandant et considérez que mes résultats N+1 seront supérieurs. Sur ce, s’il n’y a d’autres éléments plus pertinents, je vais disposer pour prendre la fameuse route de Saint-Laurent.

Pire entrée en matière parut difficile à égaler. Blanco s’attendait tout de même à un accueil plus apaisant, particulièrement après ce long et fastidieux combat gagné contre la mouvance niçoise. Nul doute que le message de Paname était défavorable à l’empêcheur de tourner en rond ; le rouleau compresseur ne s’arrête jamais dans cette Institution. Bref, et depuis bien longtemps, ce flic invétéré en avait pris son parti. Comme à son habitude, il allait mener, seul, sa barque au bord du fleuve du Maroni, sans négliger de surveiller ses arrières.

Parvenu au bout du monde à la tombée de la nuit, via une route monotone, quasi déserte et dépourvue d’éclairage, tracée au milieu de cette interminable forêt dense, Blanco ne put observer l’extravagante végétation et le paysage sauvage saint-laurentais qu’au lever du jour, lorsqu’il prit le volant de son véhicule de service pour rejoindre ses nouveaux locaux. Célèbre pour son bagne, cette deuxième ville de la Guyane, bordée du fleuve Maroni et implantée en forêt amazonienne, apparut tel un îlot au cœur d’un écrin de verdure du poumon de la Terre. Passant devant le Camp de la Transportation, le commandant ne put s’empêcher de repenser aux propos tenus par deux courageux responsables syndicaux de la caserne Auvare à Nice, soucieux de se loger du côté des restants, malgré les origines nordistes de l’un et gersoises de l’autre : « on n’a pas réussi à le mettre en prison, mais il part casser des pierres à Cayenne ». Le bagne de Nice ayant fermé ses portes au milieu du XIXe siècle, c’est vers celui de la Guyane qu’ils dirent l’envoyer. Ce traitre souvenir raviva subrepticement sa colère persistante. Un instant, il songea qu’à l’époque, on faisait d’un voleur de pain un bagnard ; Blanco, lui, était relégué pour avoir privé de quelques bouchées indues certains malfaisants du cru. Il revint dans le présent, lorsqu’il traversa cette commune poussiéreuse, digne d’un décor du Far West. La diversité ethnique des passants confirma la richesse culturelle : Asiatiques, Amérindiens, Créoles, Sud-Américains, parsemés de quelques Caucasiens aux allures de fonctionnaires insouciants. Il fallut qu’il pénètre dans le fameux quartier de la Charbonnière pour y découvrir les Bushinengués, appelés communément les noirs marron, issus des grands mouvements de marronnage, les esclaves qui, jadis, fuyaient la propriété de leur maître.

Blanco perdit soudainement ses repères au centre de nulle part, plongé dans une autre époque. Une passagère de l’avion l’avait pourtant prévenu : « à la Charbo, vous allez subir un énorme choc culturel dont vous vous souviendrez à jamais ». C’était très loin du compte, d’ailleurs le commandant, littéralement chamboulé par l’œuvre artistique, dut s’arrêter au bord du fleuve. Plus d’une cinquantaine de très jeunes femmes et hommes, accompagnés de leurs enfants, s’affairaient nus dans le Maroni, au milieu d’un ballet incessant de pirogues motorisées véhiculant passagers et marchandises entre le débarcadère français et celui en vis-à-vis d’Albina, la ville frontalière du Surinam. Le plus naturellement du monde, certains déféquaient, pendant que d’autres se toilettaient, se lavaient les dents ou nettoyaient la vaisselle et le linge ; dans une ambiance joviale teintée du sranantongo, langage communément appelé le taki-taki, un mixte d’argots néerlandais, portugais, africains, anglais, créoles et autres, selon les origines claniques aluku, ndjuka, paramaka ou saramaka. Cet inattendu bouleversement, ajouté au soleil de plomb qui s’abattait sur ce petit coin de planète, malgré l’heure matinale, recouvrit de sueur le corps de Blanco. Il ne sut quoi penser, s’interrogeant sur les raisons de sa présence dans cet endroit hors du temps. Lui qui flânait, il y a quelques heures encore, sur la célébrissime Promenade des Anglais, où il avait navigué en eaux troubles durant huit années, trouverait-il, dans les eaux boueuses et saumâtres du Maroni, une nouvelle clarté d’esprit ? Quitter le théâtre du superficiel pour retrouver les valeurs fondamentales, c’est sans doute ce dont le commandant avait le plus besoin à cet instant.

Il s’épongea comme il le put, dans cette moiteur ambiante où le linge ne sèche jamais, longea le bord du fleuve sur trois cents mètres pour faire face à l’enceinte de son nouveau service, dont il prenait le commandement quadriennal. La façade des bâtiments était recouverte d’une couche de moisissure verdâtre ; de grosses flaques d’eau stagnaient dans la cour intérieure, dans l’indifférence totale des effectifs accommodés à ce cadre de travail dégradé. A priori, rien d’encourageant, si ce n’est le sourire affiché par son sympathique nouvel adjoint, le lieutenant Fred, arborant sa tenue d’apparat.

---Je vous souhaite la bienvenue chez vous, Chef !

---Merci, Fred. Mais on va commencer par se tutoyer.

Ce qui ravit le jeune officier ; la glace fut immédiatement brisée, malgré le rigoureux savonnage de planche du directeur. Pas étonné, le commandant briefa aussitôt son nouveau protégé. Aussi vif que l’éclair, Fred comprit que les salades niçoises étaient le corollaire de manigances de quelques cols blancs régionaux, dérangés par la droiture et l’obstination du flic. Malgré les preuves tangibles de ces manipulations, le doyen des juges du tribunal de grande instance de Nice n’avait toujours pas prononcé le non-lieu. Blanco n'eut pas à insister davantage auprès de son nouveau bras droit ; sa réputation de bosseur intègre ayant précédé son arrivée, via des circuits moins opaques que ceux des hautes sphères. Après une brève inspection des lieux et quelques poignées de mains avec ses effectifs, Blanco fit la tournée des grands ducs en commençant par le sous-préfet malheureusement sur le départ. Il visita ses homologues des autres institutions régaliennes et termina par le maire, Léon Bertrand, ancien ministre sous l’ère Chirac.

Les jours suivants, avec l’excellente collaboration de Fred, Blanco prit, avec un certain désarroi, la mesure du service. Il s’attendait à plus de piment eu égard aux propos élogieux tenus par le directeur à l’endroit de l’ancien commandant. Il n’y alla pas par quatre chemins.

---Fred, si j’ai bien compris, je n’ai que deux moments clés dans la journée ; à midi, pour annoncer téléphoniquement les résultats de la matinée au dirlo, et à 18 heures, pour lui conter le tableau de chasse de l’après-midi. C’est bien ça ?

---Tu as tout pigé, Chef. Professionnellement, rien de ragoûtant. Ça me change de mes folles nuits à Paname.

Ainsi se formalisèrent les premiers appels dénués de bon sens au directeur basé à deux cent soixante kilomètres de Saint-Laurent-du-Maroni, qui se satisfaisait de la continuité des résultats de la traque à l’E.S.I. (*), à raison d’une dizaine par jour, du lundi après-midi au vendredi midi. Sans effort, le commandant Blanco devenait aussi bon que son réputé brillant prédécesseur. Finalement, pourquoi se mettre la rate au court-bouillon ?

Pour planter le décor, trois mille cinq cents interpellations par an, pour la plupart des ressortissants surinamais, pour autant de reconduites à la frontière, sachant que certains sujets étaient interpellés au moins une dizaine de fois dans l’année, parfois le matin et l’après-midi d’une même journée. Les expulsions étaient des plus sommaires, via un piroguier sous contrat, Abollo, à raison de douze euros par passager, l’embarcation étant dépourvue d’escorte policière française pour des raisons de sécurité et d’économie, chaque place de fonctionnaire eut été facturée. Ainsi, ces grands criminels de clandestins étaient officiellement remis aux policiers surinamais souvent absents de ce terrain de jeu stérile. Et tout le monde était satisfait, les voyageurs transportés aux frais de la princesse y trouvaient leur intérêt, même si parfois certains s’agaçaient du ridicule de ces opérations de ramassage, estimant que leur pays était tout naturellement le fleuve et ses abords, où, pour rappel, leurs aïeuls avaient été livrés à partir du XVIIIe siècle…

(*) : Étranger en Situation Irrégulière.

Il y aurait matière à débattre durant des jours sur l’absurdité et l’inefficacité de ces reconduites frontières ; le Maroni symbolisant plus un lien qu’un obstacle entre des populations de mêmes origines, sachant que beaucoup d’entre elles étaient exploitées par certains Guyanais peu scrupuleux, tantôt collabos tantôt cupides.

Dès son arrivée, le commandant, heureusement soutenu par son jeune adjoint, sut qu’il ne s’inscrirait pas uniquement dans cette systémique statisticienne alimentaire prônée par des carriéristes. D’autant que, quelques jours plus tard, un non-lieu était prononcé à son endroit par le tribunal de grande instance de Nice, lui rendant, par la même, sa liberté d’esprit, donc d’action. Son intention d’utilité publique avait déjà germé lors des deux premières réunions en sous-préfecture, où gendarmes et militaires débriefaient de leurs opérations de lutte contre l’orpaillage illégal dans l’Ouest guyanais. Ces missions, réalisées par des renforts trimestriels de gendarmes mobiles et de militaires de diverses unités, nécessitaient une formation de trois semaines pendant lesquelles les garimpeiros, mineurs brésiliens, exploitaient sans opposition les sites clandestins. Avant de prendre l’initiative auprès du nouveau sous-préfet, plutôt pro gendarme, Blanco en fit part à sa direction, via le chef d’État-Major, Raphaël Harlé, ami d’enfance du directeur.

---Raf, il y a un très beau coup à jouer ici pour redorer le blason de la P.A.F., j’ai trouvé un créneau pour contribuer activement à la lutte contre l’orpaillage illégal. La faille du système réside en l’absence, durant trois semaines, des forces de l’ordre en renfort de métropole sur la scène de…

---Je t’arrête tout de suite, Blanco. C’est chasse gardée de la gendarmerie, le directeur refusera de prendre des risques sur ce terrain miné. Il te rappellera dans la soirée.

Il ne s’étonna pas de ne recevoir aucun appel de Cayenne, mais n’abandonna pas son idée décuplée par la rencontre avec le très discret et méfiant Jérôme de l’O.N.F. (*), qu’il rencontra lors du pot d’arrivée du sous-préfet.

---Commandant, vous soulignez avec pertinence cette absence temporaire sur les zones d’orpaillage illégal, mais c’est le bébé de la gendarmerie. Moi-même, qui a collaboré avec eux, je fais l’objet de procédures judiciaires pour destruction matérielle au préjudice de complices de ces exploitations clandestines. Un conseil, laissez tomber.

C’était méconnaître la force de persuasion de ce flic qui se retrouvait par hasard à la tête d’un service de la P.A.F., qu’il décrivait péjorativement comme une direction de fonctionnaires. Après une heure de discussion, celui qu’il surnommera Le Jaguar accepta une sortie en forêt, le lendemain. Blanco se doutait bien qu’il serait testé physiquement et surtout mentalement dans cet environnement amazonien hostile. Ce qui ne l’inquiéta pas davantage, n’étant heureusement pas né dans la soie.

(*) : Jérôme Faith de l’Office National des Forêts de l’Ouest guyanais, surnommé Le Jaguar par le commandant de police Pascal Drampe, et reconnu en tant que tel, fut le premier intervenant extérieur décoré de la médaille d’honneur de la police nationale en 2013.

Dès potron-minet, Jérôme et Blanco, suivis par un épais nuage de poussière rouge, circulaient déjà sur la piste Paul Isnard, l’une des artères les plus empruntées par les garimpeiros pour ravitailler les sites d’orpaillage clandestin. Au volant de son pick-up, Jérôme, comme d’habitude, resta muet. Ce mûr trentenaire originaire d’Annecy, véritable force tranquille, connaissait la forêt de l’Ouest guyanais comme sa poche ; il y exerçait depuis plus d’une décennie et se fondait à merveille dans ce décor qui ne laissait aucune place à la tricherie. Ici, c’était la loi de la jungle, chaque erreur se payait comptant. Cette forêt, en apparence si accueillante, pouvait devenir un véritable enfer si l’on enfreignait ses règles élémentaires.

Un évènement peu commun brisa ce lourd silence. Un majestueux jaguar s’engagea sur la piste et stoppa net sa progression. Les deux acolytes de circonstance ne purent prononcer le moindre mot, tant la magnificence du félin les fascina. L’animal massif au pelage jaune tacheté, à la tête robuste, entrouvrit sa mâchoire puissante, fixa les deux intrus, avant de disparaître, alliant souplesse et puissance. Jérôme, les yeux encore écarquillés, mais le sourire aux lèvres, s’adressa alors au commandant.

---Sûr que pour votre première sortie, c’est un bon présage. Sachez qu’il est fréquent que des habitants de la forêt n’ont parfois pas la chance d’en voir un seul au cours de leur existence. Alors, imaginez le cadeau que vous offre mère nature aujourd’hui. Vous êtes un privilégié.

---J’en suis tout à fait conscient, c’est surtout de bon augure pour notre prochaine collaboration, Jérôme. Puis, ce serait plus sympa qu’on se tutoie. Tu ne crois pas ?

La rencontre singulière avec cet animal au sommet de la chaine alimentaire, n’ayant que l’Homme pour seul prédateur, scella celle des deux nouveaux comparses. Reprenant la progression sur la piste en latérite, Jérôme mit pied à terre au PK 32, au Pont Portal. Blanco comprit immédiatement que cet endroit était propice au montage d’une embuscade ; ce serait un bon début pour prouver l’utilité de la P.A.F. et enrayer la logistique des garimpeiros. Si le guide lut la grande détermination dans le regard du commandant, il fallait maintenant le tester en condition périlleuse. Il planqua son pick-up à environ vingt bornes du PK 60 de la Croisée d’Apatou, fixa Blanco en guise de voyons maintenant ce que tu as dans le ventre et l’invita à le suivre, chacun une machette en main. L’invité sut d’ores et déjà qu’il devrait serrer les crocs pour satisfaire au test de compatibilité avec ce milieu hostile.

Durant six heures, dans une véritable étuve, le binôme s’enfonça dans l’épaisse forêt, se frayant le passage à coup de coutelas, sous ce climat chaud et humide. Totalement muet, lançant juste quelques discrets regards d’extrospection envers son suiveur, ou parfois lui indiquant de l’index ou d’un coup de tête une situation qu’il ne pouvait pas comprendre, plus les deux marcheurs crapahutaient, plus le sourire se lisait au coin des lèvres de l’ouvreur. S’il savait que Blanco, ruisselant de sueur, serrait courageusement les dents, il constatait néanmoins que le mental était au rendez-vous. De retour au véhicule, Jérôme l’avisa, la mine satisfaite et respectueuse.

---Bon, c’est ok pour moi, tu es apte pour le service. Maintenant, il ne te reste plus qu’à imposer tes idées en haut lieu. Ça ne sera pas le plus facile, crois-moi, Blanco.

Sur la route de Saint-Laurent-du-Maroni, pendant plus de deux heures, Jérôme briefa le commandant sur les ravages causés à la nature et aux populations, en raison de l’exploitation aurifère aussi illégale que polluante.

---Avant de te lancer dans cette aventure, je veux que tu sois conscient que l’orpaillage illégal est le principal fléau social, sanitaire et environnemental menaçant la Guyane. Si tu n’en es pas convaincu, alors inutile de poursuivre plus loin notre collaboration. La forêt est dévastée, les rivières souillées, les populations humaines et animales menacées et contaminées. L’utilisation massive de mercure servant à séparer l’or du minerai, sachant qu’il en faut 1,3 kg pour obtenir 1 kg d’or, est un polluant toxique qui s’accumule dans les milieux naturels et se concentre le long des chaînes alimentaires aquatiques, atteignant des concentrations importantes dans la chair des poissons carnivores. Je ne te fais pas de dessin lorsqu’ils sont consommés par les autochtones, touchant les systèmes nerveux, digestifs et immunitaires, ainsi que les reins et les poumons. De plus en plus de nourrissons meurent ou naissent avec des malformations. Un malheur n’arrivant jamais seul, leur handicap annonçant le mauvais œil dans la tribu, les infanticides sont fréquents.

Habituellement du genre taiseux, Jérôme parla à s’en meurtrir les cordes vocales, abordant les répercussions sociales de la ruée vers l’or : filières d’immigration irrégulière, réseaux de prostitution, trafics d’arme et de drogue, assassinats, organisations criminelles. Sans compter que cette délinquance ultra-violente représentait un frein pour l’économie guyanaise, notamment en raison de l’insécurité ainsi générée. Le décor était planté. Si ces précieux éléments de langage ne parvenaient à convaincre les hautes sphères, alors, autant que Blanco quitte ce territoire illico presto.

Avant de soumettre son plan de bataille au sous-préfet, il devait obtenir l’accord du directeur pour monter une première opération au Pont Portal. Il tâta le terrain auprès de Raf, le chef d’État-Major qui l’avait à la bonne.

---Raf, j’ai trouvé un site où monter une embuscade nocturne et causer de lourdes pertes aux garimpeiros. Profitons des trois semaines de formation des nouveaux.

---Ne va pas te mettre en difficulté, Blanco, tes résultats sont bons et ces Brésiliens sont dangereux. Le Directeur ne donnera pas son aval. Il jouerait trop gros sur le coup.

Ayant anticipé ce refus catégorique, le commandant avait pris soin d’envoyer une note de service du dispositif, mettant en exergue une première qui, en cas de succès, pourrait faire reluire les galons du dirlo, ô combien si précieux de sa personne. Pour autant, il ne reçut aucun appel, mais uniquement un accord verbal officieux de Raf, le lendemain soir : « tu peux mettre ton plan à exécution, mais le Directeur ne te couvrira pas en cas de pépin. Bien entendu, il insiste pour que cette opération n’impacte pas tes résultats d’E.S.I. ». Qu’à cela ne tienne, la planification nocturne de la mission permettait de ne pas déroger à la bonne santé des chiffres de l’expert-comptable, d’autant que Blanco comptait bien en ajouter quelques-uns au compteur, lors de sa souricière. Pour le reste, il put convaincre le sous-préfet, malgré une forte résistance du commandant de gendarmerie, mais avec le soutien de celui du 9e R.I.M.A. Le commandant Blanco sut faire preuve de persuasion, les réfractaires ne pouvant nier l’impact nocif de la trop longue phase d’abandon de la forêt et de ses axes logistiques, laissant libre champ au pillage de l’or guyanais. Au sortir de la réunion, Blanco, qui, désormais, se savait être attendu au tournant, put lire le rictus du commandant de gendarmerie, ce qui décupla sa motivation, si tant est qu’il en avait encore besoin. Il s’empressa de rendre visite au marcheur de l’O.N.F.