Innocences - Patrick Morel - E-Book

Innocences E-Book

Patrick Morel

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Beschreibung

Après de nombreuses années à écrire des nouvelles pour des concours ou des revues, il devenait urgent d’en regrouper quelques-unes pour ce projet de recueil.

"Innocences" vous entraînera des rivages de la Bretagne au cœur des cités au travers de onze textes graves, drôles ou touchants sur le thème de l’enfance.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1958, Patrick Morel, instituteur à la retraite, se partage entre l’écriture de nouvelles et de romans. Son aventure littéraire a vraiment débuté en 1996 avec "Le coup de pied au cul", une nouvelle policière qui a été adaptée sur les ondes de la RTBF pour l’émission « On the road again ». Une trentaine d’années plus tard, l’auteur compte à son actif neuf romans, pour la plupart policiers, et une centaine de nouvelles.

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« Les enfants qui jouent seuls sont comme les somnambules, il ne faut pas les réveiller. Le retour à la réalité peut être traumatique, le charme de leur innocence risque de se briser pour toujours. »

L'écorchée, Donato Carrisi

« En définitive, je suis resté en filigrane cet enfant timide et secret qui implique candeur, innocence, insoumission et sauvagerie. »

Digestion difficile

Papa est mort ce matin. J’ai punaisé sa photo au mur de la chambre. Avec une grosse croix au feutre noir dessus. Mort… enfin pas tout à fait. Je voulais voir ce que ça me ferait quand il serait plus là. Eh ben, j’ai pas pleuré !

Papa est parti ce matin. De bonne heure. Ça, c’est la vérité vraie. Celle avec laquelle on peut pas tricher. Il s’est envolé pour Cayenne. Papa est steward à Air France.

Papa est un grand voyageur. Moi, je suis un petit sédentaire comme il se plaît à le répéter. Je passe mes journées entre ma chambre et l’école Jean Jaurès. Je suis en CE1 et j’aime pas ma maîtresse. Elle est grande avec des petits yeux méchants. Elle me rappelle trop Maman. C’est pour cela que je la déteste.

Papa est le fils de Mamie. C’est elle qui me garde quand il est dans les airs. Elle est gentille mais elle a la peau toute fripée. On dirait une sorcière. Une gentille sorcière. Mais une sorcière tout de même. Elle ressemble à une pomme flétrie. Une pomme toute moche.

Mamie est venue à la maison lorsque Maman est partie. C’était il y a longtemps, juste après Noël. Moi, je pense que Maman a attendu d’avoir ses cadeaux pour filer. Le Père Noël lui avait apporté un beau collier avec des pierres précieuses : des vertes, des rouges, des bleues. Papa connaissait le nom de toutes les pierres par cœur. Moi, j’ai pas réussi à les retenir car j’ai pas de mémoire. C’est ce que raconte la maîtresse. Alors je fais comme si j’avais pas de mémoire, je joue au gros nigaud.

Mamie, je voudrais pas lui faire de mal. Sans elle, qu’est-ce que je ferais maintenant ? Forcément des bêtises comme les copains du quartier. Aux récrés, ils essayent toujours de m’entraîner dans leurs mauvais coups. Même que Mamie, sa photo, elle est à part. Au-dessus de mon lit. Comme ça en dormant, j’ai l’impression qu’elle veille sur moi. Mais il va bien falloir qu’elle comprenne. Cette vie-là, j’ai du mal à m’y faire. J’ai commencé une lettre pour lui expliquer la chose, mais je bute sur chaque mot. J’suis pas un caïd en orthographe mais j’aimerais lui tourner un beau texte, façon rédac, comme la maîtresse nous l’a montré : intro, développement et conclusion. J’en suis encore qu’au brouillon…

Mamie a l’œil. Mine de rien, elle remarque tout. Un jour, j’avais échangé ma tortue Ninja contre une boîte de Pogs. Elle m’a fait tout un foin, jusqu’à ce que le copain me rende la statuette. Dans l’affaire, j’ai perdu un pote. Déjà que j’en ai pas beaucoup…

Mamie a vraiment un œil de Sioux. Lundi dernier, elle a repéré que la photo de Papy avait disparu. Je m’étais pas méfié. Depuis le temps qu’elle était accrochée au mur, elle a laissé une trace sur le papier peint. Je lui ai servi un gros bobard, mais elle est pas tombée dans le panneau. Pourtant, il fallait bien que je m’entraîne sur quelqu’un.

Papy est mort pour de vrai. Il y a bien longtemps, avant que je pisse dans ma couche. Il était banquier. Il s’occupait de compter l’argent des gens du quartier. Ça lui prenait beaucoup de temps. Il avait une mine sévère. On aurait pu le confondre avec le directeur de l’école. Et puis il a pas eu de chance. Un jour, des braqueurs sont venus à l’agence et lui ont piqué tout son or. Il s’est mis en colère et il a voulu imiter les gendarmes. Sauf qu’il savait pas se servir d’une arme. Les autres avaient plus d’expérience. Enfin, c’est ce que Mamie m’a raconté…

Papy est mort une seconde fois. C’est moi qui lui ai tordu le cou avant de le découper en morceaux. Des gros au début. Puis de plus en plus petits... Deux... Quatre... Huit... Même qu'à partir de là, je l'ai plus reconnu. J'étais triste et content à la fois. Il fallait bien débuter par quelqu’un…

J’ai senti que Mamie commençait à se poser des questions lorsque la photo de Maman a connu le même sort que celle de Papy. Pourtant, j’avais bien attendu trois jours pour commettre mon second forfait. Quelque chose en moi m’avait poussé à retarder l’échéance, comme si avec les morts, il fallait toujours se méfier. Il circule tellement d’histoires à leur sujet que j’étais plus trop sûr de moi. En fait, j’avais un peu peur de la réaction du fantôme de Papy. Finalement, il m’a ignoré et je m’étais fait de la bile pour pas grand-chose.

L’air de rien, Mamie a flairé le coup tordu. Depuis la disparition du portrait de Maman, elle arrête pas de tourner autour de moi. Dès le lever, elle me suit comme une vieille louve inquiète, me posant sans arrêt des questions. Elle me harcèle au quotidien. Pourquoi ci ? Pourquoi ça ? Où vas-tu ? Que fais-tu ?... Elle va même jusqu’à me tâter comme si j’étais une chaudière sur le point d’exploser. J’en ai franchement marre ! Heureusement que j’ai encore la récré de la cantine pour jouer avec Adrien et Théo. Ceux-là, ce sont de vrais potes à qui je peux tout dire. C’est d’ailleurs Théo qui m’a donné l’idée des photos.

La maîtresse m’a gardé après la classe. Tous les autres élèves sont sortis comme des lièvres, de peur de finir eux aussi dans les collets de Mlle Lennec. Je me sentais pas en forme. J’avais un peu mal au ventre. J’imaginais la tête de Mamie, seule à la barrière. La maîtresse a été plus sympa qu’à l’ordinaire. Elle aussi a cherché à percer mon secret. Elle s’inquiétait pour ma santé et mes résultats scolaires. Elle trouvait que j’étais très pâle. Transparent comme du papier calque.

La maîtresse a parlé à Mamie. J’ai pas voulu écouter. Je savais ce qu’elles avaient à se raconter. Au retour, Mamie m’a traîné jusqu’au cabinet médical du Dr. Leber. C’est un jeune médecin plein de ressources. Il raconte tout le temps des blagues foireuses. Mamie a une totale confiance en lui. Moi pas. Il m’a ausculté sous toutes les coutures comme si mon corps pouvait cacher un vice de fabrication pas encore identifié. Avant d’empocher ses honoraires, il a prescrit toute une série d’analyses et de radiographies. En sortant, j’allais déjà mieux.

Après le goûter, je me suis isolé dans ma chambre. Mamie s’est assise dans son fauteuil pour regarder son jeu préféré à la télé. J’ai même pas sorti mes cahiers et mes livres de mon cartable. À quoi bon ! Les devoirs pouvaient bien attendre. J’ai juste pris une feuille de papier et un stylo. J’avais plus le temps de terminer mon brouillon. Encore moins de le recopier. Mais je voulais pas m’endormir sans laisser de message. Alors j’ai écrit à toute vitesse les mots qui traversaient mon esprit comme des étoiles filantes. Je crois que cela faisait bien plus vrai qu’une rédaction à la manière de la maîtresse. De toute façon, Mamie comprendrait… De plus en plus, j’avais mal au ventre. Une douleur atroce qui partait du zizi et remontait jusqu’au cœur. J’étais vraiment dans un sale état.

Papa est mort. J’ai arraché sa photographie du mur et je lui ai tordu le cou. J’ai déchiré son portrait en deux. Puis en quatre. Enfin en huit. J’ai regardé le tas de confettis et je les ai avalés un à un, comme je l’avais fait avant pour les photos de Papy et Maman… Et puis aussi pour toutes celles de l’album de famille du grenier. Puis je me suis étendu sur le lit avec un sale poids sur l’estomac. Là au moins, j’étais sûr de garder Papa, Maman et toute la famille bien au chaud dans mon ventre…

Misère, misère…

La chaise.

J’ai d’abord placé la chaise…

Oh, pas n’importe où ! Je voulais la mettre en situation, trouver l’endroit adéquat. Une véritable étude de terrain qui m’a tourmenté quelques jours, car le choix de l’emplacement était d’une importance cruciale. Il fallait que j’aie du recul pour observer cette chaise. Avec, en prime, un décor pour la valoriser ainsi qu’une profondeur de champ suffisante à mon entreprise.

Je l’ai donc installée devant l’entrée condamnée d’un immeuble insalubre. Une construction du dix-neuvième siècle à la façade souillée par les affres du temps, où la pierre défigurée témoignait des épreuves endurées, où un incendie avait eu raison des combles et du dernier étage. Un arrière-plan lépreux sur lequel se devinaient, pour combien d’années encore, quelques portraits sculptés d’illustres inconnus.

Ma chaise calée, j’ai accroché le panneau. Puis j’ai changé de trottoir.

Ce recul d’une bonne dizaine de mètres a permis d’élargir mon champ de vision et d’appréhender de meilleure façon le comportement des passants face à l’obstacle que je leur destinais.

Les premiers n’y ont guère prêté attention. Emportés par leurs pensées, ils ont machinalement contourné la chaise. Enfin, un vieil homme s’est arrêté, a longuement observé l’objet, s’est de toute évidence demandé ce qu’il faisait là, avant de découvrir le panneau fixé au mur. Avec précaution, il s’en est approché, a cherché dans sa poche une paire de lunettes absente, avant de renoncer en maugréant.

À ce moment-là, pris de remords, j’aurais pu le rattraper pour lui expliquer le sens de ma démarche. Mais c’était aller à l’encontre de la règle que je m’étais fixée, partant du principe que l’objet seul devait conduire des inconnus à se l’approprier.

Je laissais le vieillard s’éloigner avec ses interrogations lorsque ma manche de blouson s’est soudain mise à peser. Une bouille toute ronde aussi lumineuse qu’une nuit étoilée essayait avec force d’attirer mon attention.

— Comment t’appelles-tu ? lui ai–je demandé.

— Jean d’Arc.

— Jean d’Arc ! ai-je repris avec surprise.

— Ouais, je m’appelle comme le saint.

— La sainte…

— Dis môssieu ! Pourquoi la chaise est là-bas ?…

Le gosse devait avoir dans les sept ou huit ans et sa main aux longs doigts effilés me désignait avec insistance le siège sur le trottoir d’en face.

— Sais-tu lire au moins ?

— Bien sûr que j’sais lire, j’suis au CP ! s’est-il rengorgé tel un paon indigné.

— Alors, viens avec moi !…

Je lui ai pris la main et nous avons traversé. Il faut dire qu’il y avait peu de mouvement dans cette rue. Juste quelques passants isolés et des voitures en stationnement le long des trottoirs.

Face au panneau, il a dégagé sa main et a commencé à déchiffrer.

— Ici… la… mi… sère… a… droit…

Butant sur la fin de la phrase, il m’a alors regardé et j’ai vu soudain ses grands yeux noirs s’attrister.

— Elle n’est pas facile à lire, tu sais, ton histoire !

— Ce n’est pas grave. Je vais t’aider…

Et à deux, nous avons répété :

— Ici… la misère… a droit de cité.

— Ça veut dire quoi ? m’a-t-il demandé.

— Tu sais ce qu’est la misère ?…

Il a réfléchi tout en jouant avec une canette vide à ses pieds.

— C’est… vivre sans thunes ?

— Voilà un bon raccourci. Dans le quartier, beaucoup de gens sont pauvres. C’est pourquoi, j’ai amené une chaise.

— Tu peux pas m’causer français ! s’est-il énervé… C’est vrai ! J’finis par plus rien comprendre à c’que tu m’racontes.

— Je t’explique…  La chaise est là pour que les gens s’assoient et s’ils sont d’accord, je les photographie.

— Avec quel appareil ? s’est-il enquis, soudain soupçonneux.

Celui que j’ai dans mon sac.

— Alors comme ça, t’avais tout prévu !…

Et pour bien lui montrer que je ne lui racontais pas d’histoires, j’ai exhumé mon reflex 24x36 du sac que je portais à l’épaule.

— Tiens, prends-le !

Instantanément, il a collé sa pupille au minuscule œilleton avant de balayer la rue à cent quatre-vingts degrés.

— C’est vraiment chouette ! a-t-il conclu en me rendant l’appareil. Mais j’suis pas sûr d’avoir envie que tu m’photographies.

— Ah bon ! Et pourquoi ?…

Il m’a souri amèrement.

— C’est rapport à la photo. Tu m’la donnes ou tu la gardes pour toi ?

— Je te l’achète…

Sous l’effet d’annonce, son regard a chaviré.

— Cher ?

— Ça dépend de ce que tu entends par cher…

— De quoi m’payer des bonbecs ?

— De quoi t’acheter des bonbons.

Et là, j’ai sorti le billet que je lui destinais pour prouver ma bonne foi.

— Et si tu en prends deux, tu m’en paies deux ?

— Oh là, là, Jean d’Arc, pas de surenchère ! Je ne suis pas la Banque de France…

Il s’est gratté la tête, de nouveau soucieux.

— Et qu’est-ce tu vas faire de toutes ces photos ?

— Une exposition. J’ai un contact à la mairie pour monter un projet.

— Ah ouais… Et je pourrai aller m’voir ?

— Bien sûr, l’ai-je rassuré. La mairie est ouverte à tous.

— Bon, alors c’est d’accord…

Le gosse s’est assis et je me suis écarté. Je voulais lui laisser le temps de redevenir naturel et d’oublier la présence de l’objectif. Ce qu’il a fait, en essayant plusieurs positions, avant de prendre finalement appui sur le barreau inférieur, jambes repliées, les coudes sur les genoux et la tête posée sur ses paumes retournées.

— C’est bon ! m’a-t-il lancé. Je suis prêt…

J’ai attendu qu’il se détende encore. Puis le cliché en boîte, je suis revenu vers lui le billet à la main.

Il a pris son bien et l’a glissé sans attendre dans l’une de ses chaussettes.

— … Comme ça, j’risque pas qu’on m’le chourave…

Sage précaution, ai-je pensé tandis qu’il prenait ses jambes à son cou avec une félinité tout africaine.

Puis j’ai repris mon poste d’observation et j’ai attendu. Il était aux alentours de onze heures et l’air s’est progressivement chargé d’effluves. D’odeurs et de parfums de contrées lointaines. Des senteurs raffinées de cuisine orientale et de plats ancestraux. Une façon de me rappeler l’importance des traditions culinaires pour bon nombre de déracinés.

Progressivement, la rue s’est animée. Les passants sont devenus plus nombreux et ma chaise a été prise d’assaut. Beaucoup s’y sont assis sans même prendre le temps de lire le texte explicatif. Par ignorance de la langue le plus souvent. Par lassitude aussi. Et je dois avouer que ma proposition les a, pour la plupart, surpris. Non pas que je promette de l’argent pour une photo mais que je paie pour témoigner de leur dénuement. Quelques-uns m’ont même opposé un refus catégorique, arguant que leur misère n’était pas à vendre.

À l’opposé, d’autres sont venus marchander au prix fort leur prestation, me soupçonnant de vouloir tirer honteusement profit de leur détresse.

La misère s’est faite du coup plus mercantile.

Et puis Jean d’Arc est réapparu traînant derrière lui ses neuf frères et sœurs.

— Ils sont tous là ! m’a-t-il fièrement annoncé en me désignant la fratrie. Abdoulaye , Fête Nat, Assomption, Isidore…

Je l’ai laissé faire les présentations tandis que je détaillais ces visages vibrant d’une excitation malsaine.

— Laisse tomber Jean d’Arc !… J’en ai assez pour aujourd’hui.

— Comment ça ? s’est-il insurgé en prenant une expression outrée. Ils veulent aussi s’payer des bonbecs ! Alors tu m’files la thune ?…

— N’insiste pas !… Je crois que mon idée était mauvaise.

— Pas d’accord ! Tu m’donnes l’argent et c’est moi qui f’rai le partage…

La soudaine agressivité du gosse m’a sidéré. Une violence tout à la fois troublante et révélatrice, m’ouvrant les yeux sur les difficultés d’une entreprise citoyenne.

— … Alors, on les fait quand ces photos ?!…

À contrecœur, j’ai cédé. Puis j’ai repris ma chaise et je suis rentré chez moi le moral en berne. J’ai passé toute la nuit à développer les épreuves, à tirer ces portraits que j’avais obtenus dans la douleur. Au petit matin, j’étais crevé, mécontent du fruit de mon travail, persuadé que tous ces clichés n’étaient qu’un reflet pervers de ce que j’étais venu chercher. Un bon motif pour repartir sans plus attendre sur le terrain.

Je suis retourné devant l’immeuble.

J’ai abandonné ma chaise au même endroit que la veille et j’ai investi l’édifice d’en face. Au second étage, dans un appartement vide et saccagé, je me suis installé et j’ai attendu. Tel un sniper guettant ses proies.

Ma première victime a été le grand-père. Se souvenant de sa mésaventure de la veille, l’homme a chaussé sa paire de lunettes et cherché en vain le panneau. N’a trouvé que les habituels graffitis ornant la façade et s’est assis pour réfléchir à tant de machiavélisme. Puis il est reparti comme il était venu, en traînant la jambe et son incommensurable désespoir.

Je l’ai mitraillé, comme tous ceux qui l’ont suivi sur cette chaise solitaire. Des anonymes portés par la rumeur, déçus de ne pas me trouver une liasse de billets à la main. Un ballet de silhouettes, d’âges, de douleurs que j’ai essayé de saisir, de cadrer, de voler.

Voleur…

Voilà bien mon dilemme. Je me nourris de la détresse humaine pour mener à bien mon projet personnel et de fait, j’en viens à douter de la sincérité de mon action.