Juger et juger encore les crimes internationaux - Diane Bernard - E-Book

Juger et juger encore les crimes internationaux E-Book

Diane Bernard

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Beschreibung

Le principe ne bis in idem interdit que l’on soit « jugé deux fois pour la même chose ». Or la pluralité des juges compétents pour les crimes « les plus graves » (génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité) augmente la probabilité de doubles procédures. Cet ouvrage décortique l’histoire, les justifications et la mise en oeuvre du principe dans le droit des TPI et de la CPI, et permet de dégager plusieurs hypothèses. La prégnance d’un idéal répressif, d’abord : la « lutte contre l’impunité » favorise la multiplication des procédures. Une ratio legis surprenante, ensuite : le principe ne bis in idem paraît servir moins à protéger l’accusé qu’à répartir les compétences entre juges concurremment compétents. Originale et minutieuse, cette première étude du principe ne bis in idem ouvre également certaines pistes vers la théorie du droit.

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© Groupe Larcier s.a., 2014

Éditions BruylantRue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

EAN 9782802742807

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe Larcier. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

LA COLLECTIONORGANISATION INTERNATIONALEET RELATIONS INTERNATIONALES

est dirigée par

Vincent CHETAIL

PROFESSEUR À L’INSTITUT DE HAUTES ÉTUDES INTERNATIONALES

ET DU DÉVELOPPEMENT, GENÈVE

OUVRAGES PARUS DANS LA MÊME COLLECTION

1. L’UIT et les télécommunications par satellites, par JACQUES GARMIER, 1975.

2. L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), par JOSEPH EKEDI-SAMNIK, 1975.

3. La genèse de l’Unesco : la Conférence des ministres alliés de l’Éducation (1942-1945), par DENIS MYLONAS, 1976.

4. L’inspection internationale. Quinze études de la pratique des États et des

Organisations internationales, réunies et introduites par GEORGES FISCHER et DANIEL VIGNES, 1976.

5. La politique commerciale commune de la CEE et les pays de l’Europe de l’Est, par BRANKO TOMSA, 1977.

6. Théorie des systèmes et relations internationales, par PHILIPPE BRAILLARD,1977.

7. Normes internationales du travail : universalisme ou régionalisme?, par CHRISTIAN PHILIP, 1978.

8. Les rapports entre l’Organisation des Nations Unies et l’Organisation de l’Unité Africaine, par E. KWAM KOUASSI, 1978.

9. Le mécanisme de la prise des décisions communautaires en matière de relations internationales, par URAL AYBERK, 1978.

10. Les sanctions privatives de droits ou de qualité dans les organisations internationales spécialisées, par CHARLES LEBEN, 1979.

11. La question de Jérusalem devant l’Organisation des Nations Unies, par JOËLLE LE MORZELLEc, 1979.

12. Institution spécialisée et Organisation mondiale : étude des relations de l’OIT avec la SDN et l’ONU, par MANUELA TORTORA, 1980.

13. La coordination de l’action des organisations internationales au niveau européen, par RAYMOND FERRETTI, 1984.

14. Les organes intégrés de caractère bureaucratique dans les organisations internationales, par JACQUES SCHWOB, 1987.

15. Les accords Salt. Contenu – Application – Contrôle, par NOTBURGA

K. GOLER-CALVO ET MICHEL A. CALV O, 1987.

16. Le Programme andin : contribution de l’OIT à un projet-pilote de

coopération technique multilatérale, par JEF RENS (et l’équipe du Programme andin), 1987.

17. Trente ans d’expérience Euratom. La naissance d’une Europe nucléaire, par OLIVIER PIROTTE, PASCAL GIRERD, PIERRE MARSAL ET SYLV IANE MORSON, 1988.

18. La diplomatie de la détente : la CSCE, d’Helsinki à Vienne (1973-1989), par VICTOR-YVES GHEBALI, 1989.

19. La Communauté économique européenne et les intégrations régionales des pays en développement, par NTUMBA LUABA LUMU, 1990.

20. La nouvelle Europe de l’Est, du plan au marché, par JEAN-DANIEL CLAV EL et JOHN C. SLOAN, 1991.

21. Le système antarctique, par JOSYANE COURATIER, 1991.

22. L’Europe, puissance spatiale, par MIREILLE COUSTON et LOUIS PILANDON, 1991.

23. Conflits, puissances et stratégies en Europe. Le dégel d’un continent, par DOMINIQUE DAVID, 1991.

24. L’éthique des relations internationales. Les théories anglo-américaines contemporaines, par KLAUS-GERD GIESEN, 1992.

25. L’Organisation des Nations Unies et la protection des minorités, par ISSE OMANGA BOKATOLA, 1992.

26. La coopération policière européenne contre le terrorisme, par PIERRICK LE JEUNE, 1992.

27. L’institution de la conciliation dans le cadre du Gatt, par ERIC CANAL-FORGUES, 1993.

28. Le Traité de Maastricht, par J. Cloos, G. Reinesch, D. Vignes et J. WEYLAND, 1993.

29. Une clef pour l’Europe, par J. LEPRETTE, 1994.

30. Le conflit intraétatique au Liban. Problèmes de maintien de la paix, par KATIA BOUSTANY, 1994.

31. L’évolution du Fonds européen de développement prévu par les Conventions de Yaoundé et de Lomé, par JEAN-PIERRE NDOUNG, 1994.

32. Le droit et les minorités, par ALAIN FENET, GENEVIÈVE KOUBI, ISABELLE SCHULTE-TENCKHOFF ET TATJA NA ANSBACH, 1995.

33. Contentieux des organisations internationales et de l’Union européenne, par JEAN MOUSSÉ, 1996.

34. Quelle Europe pour les droits de l’homme? La Cour de Strasbourg et la réalisation d’une « union plus étroite » (35 années de jurisprudence : 1959-1994), édité par PAUL TAV ERNIER, 1996.

35. Unité et diversité : notions autonomes et marge d’appréciation des États dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, par ELIAS KASTANAS, 1996.

36. Droits intangibles et états d’exception. – Non-Derogable Rights and States of Emergency, Edit. & coordinat. : DANIEL PRÉMONT, CHRISTIAN STENERSEN, ISABELLE OSEREDCZUK, 1996.

37. L’OSCE dans l’Europe post-communiste, 1990-1996. Vers une identité paneuropéenne de sécurité, par VICTOR-YVES GHEBALI, 1996.

38. L’éthique de l’espace politique mondial. Métissages disciplinaires, sous la direction de KLAUS-GERD GIESEN, 1997.

39. L’Union de l’Europe occidentale. Phénix de la défense européenne, par ANDRÉ DUMOULIN et ERIC REMACLE, 1998.

40. La personnalité collective des nations. Théories anglo-saxonnes et

conceptions françaises du caractère national, par PHILIPPE CLARET, 1998.

41. Institutions européennes et identités européennes, sous la direction de MARIE-THÉRÈSE BITSCH, WILFRIED LOTH et RAYMOND POIDEVIN, 1998.

42. L’effondrement de l’empire soviétique, sous la direction de ANNE DE TINGUY, 1998.

43. La renégociation multilatérale des dettes : le Club de Paris au regard du droit international, par CHRISTINA HOLMGREN, 1998.

44. La dimension politique des relations économiques extérieures de la Communauté européenne. Sanctions et incitants économiques comme moyens de politique étrangère, par TANGUY DE WILDE D’ESTMAEL, 1998.

45. Les effets des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.

Contributions à une approche pluraliste du droit européen des droits de l’homme, par ELISABETH LAMBERT, 1998.

46. La France et la force de protection des Nations Unies en ex-Yougoslavie : enjeux et leçons d’une « opération de maintien de la paix », par THIERRY TARDY, 1999.

47. Le second printemps des nations. Questions nationales et minorité

en Pologne (Haute Silésie, Biélorussie polonaise), Estonie, Moldavie,

Kazakhstan, par WANDA DRESSLER, 1999.

48. L’organisation mondiale du commerce. Droit institutionnel et substantiel, par THIÉBA UT FLORY, 1999.

49. La réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies, par OLIVIER

FLEURENCE, 1999.

50. Le destin du continent européen. Le chemin de la Grande Europe, par PAUL SABOURIN, 1999.

51. L’alliance Atlantique et l’OTAN, 1949-1999 : un demi-siècle de succès, sous la direction de PIERRE PASCALLON, 1999.

52. Les usages de la mémoire dans les relations internationales. Le recours au passé dans la politique étrangère de la France à l’égard de l’Allemagne et de l’Algérie, de 1962 à nos jours, par VALÉRIE-BARBA RA ROSOUX, 2001.

53. Le couple France-Allemagne et les institutions européennes, sous la

direction de MARIE-THÉRÈSE BITSCH, 2001.

54. La politique européenne de sécurité et de défense (PESD). De l’opératoire à l’identitaire. Genèse, structuration, ambitions, limites, par ANDRÉ DUMOULIN, RAPHAËL MATHIEU et GORDON SARLET, 2003.

55. L’Europe des commissaires. Étude sur l’identité européenne des traités de Rome au traité d’Amsterdam (1958-1997), par BERNARD ROCHARD, 2003.

56. Le Conseil de sécurité des Nations Unies et la maîtrise de la force armée. Dialectique du politique et du militaire en matière de paix et de sécurité internationales, par ALEXANDRA NOVOSSELOFF, 2003.

57. Le fait régional et la construction européenne, sous la direction de MARIE-THÉRÈSE BITSCH, 2003.

58. Le Plan Schuman dans l’histoire. Intérêts nationaux et projet européen, sous la direction de ANDREAS WILKENS, 2004.

59. Le système régional africain de protection des droits de l’homme, par MUTOY MUBIALA, 2005.

60. La gouvernance supranationale dans la convention européenne, sous la direction de WILFRIED LOTH, 2005.

61. L’Europe et l’OTAN face aux défis des élargissements de 1952 et 1954. Actes du colloque organisé par le Centre d’études d’histoire de la défense et l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne les 22, 23 et 24 janvier 2004, 2005.

62. Cultures politiques, opinions publiques et intégration européenne, sous la direction de MARIE-THÉRÈSE BITSCH, WILFRIED LOTH ET CHARLES BARTHEL, 2007.

63. Dissolution et succession entre organisations internationales. Contribution à la théorie de la succession entre organisations internationales, par DANDI GNAMOU- PETAUTON, 2008.

64. Eurasie. Espace mythique ou réalité en construction ?, sous la direction de WANDA DRESSLER, 2008.

65. Les frontières dans tous leurs états. Les relations internationales au défi de la mondialisation, sous la direction de PIERRE DE SENARCLENS, 2009.

66. La corruption et le droit international, sous la direction de DANIEL DORMOY, 2010.

67. Opinions publiques et politique européenne de sécurité et de défense commune : acteurs, positions, évolutions, sous la direction de ANDRÉ DUMOULIN et PHILIPPE MANIGART, 2010.

68. La diplomatie de l’universel : la Guerre froide, les États-Unis et la genèse de la Déclaration universelle des droits de l’homme, 1945-1948, par OLIVIER BARSALOU, 2012.

69. Un exemple d’association à la Communauté européenne : le cas de la Turquie, par CEREN ZEYNEP PIRIM, 2012.

70. L’usage de la force dans l’espace : réglementation et prévention d’une guerre en orbite, par HUBERT FABRE, 2012.

71. Organisation internationale et guerre mondiale. Le cas de la Société des Nations et de l’Organisation internationale du travail pendant la Seconde Guerre mondiale, par VICTOR-YVES GHEBALI, 2012.

72. Droit international humanitaire : un régime spécial de droit international ?, sous la direction de RAPHAËL VAN STEENBERGHE, 2013.

73. Permanence et mutation en droit des conflits armés, sous la direction de VINCENT CHETAIL, 2013.

74. Les crimes internationaux. Entre internationalisation du droit pénal et pénalisation du droit international, par ISABELLE FOUCHARD, 2014.

À Damien S.

SOMMAIRE

REMERCIEMENTS

PRÉFACE

LISTE DES ACRONYMES ET ABRÉVIATIONS

INTRODUCTION

Titre I - La place du principe ne bis in idem dans l’histoire de la justice pénale internationale

CHAPITRE 1 – DE VERSAILLES À GENÈVE, PRÉMISSES DU PROJET DE COUR INTERNATIONALE

CHAPITRE 2 – CONCRÉTISATIONS DU PROJET INTERNATIONAL PÉNAL : LA GUERRE ET SES SUITES

CHAPITRE 3 – PROGRÈS ET HÉSITATIONS DES NATIONS UNIES

CHAPITRE 4 – ABOUTISSEMENTS CONCRETS DU PROJET : LES TRIBUNAUXAD HOC ET LA CPI

Titre 2 - La coexistence du rôle protecteur et de la fonction articulatoire du principe ne bis in idem.

CHAPITRE 1 – CONTRIBUTION DU PRINCIPE À L’ARTICULATION DES COMPÉTENCES ENTRE JURIDICTIONS INTERNATIONALES ET INTERNES

CHAPITRE 2 – UNE RECONNAISSANCE VARIABLE DE LA « CHOSE » JUGÉE (L’IDEM)

CHAPITRE 3 – UNE RECONNAISSANCE VARIABLE DE LA CHOSE « JUGÉE » (LEBIS)

CONCLUSION – LES DIFFÉRENTS SENS DU PRINCIPE

BIBLIOGRAPHIE

INDEX

TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS

L’Université Saint-Louis, ainsi qu’on l’appelle aujourd’hui, est un havre pour les chercheurs : des équipes techniques aux pointures académiques, tous y contribuent à la constitution d’une véritable école interdisciplinaire de citoyenneté critique. Cet ouvrage est issu de la première partie d’une thèse que j’y ai soutenue en juin 2011, et je tiens à remercier tous mes collègues, techniciens et secrétaires, chercheurs et autorités institutionnelles, professeurs et assistants, d’avoir contribué à l’aboutissement de cette recherche. Un ouvrage de théorie du droit, issu de la seconde partie de ma thèse, paraîtra d’ailleurs très prochainement aux Publications des Facultés Saint-Louis.

Je tiens à remercier plus personnellement ceux qui ont relu, commenté et évalué mon travail. Madame la Juge et Professeure Christine Van den Wyngaert, d’abord, dont certaines publications sont l’exacte source d’inspiration de cette étude : son travail scientifique et judiciaire sont un modèle pour la jeune chercheuse que je suis. Les recherches de Robert Roth, riches tant de technicité en matière pénale que de profondeur en théorie du droit, ont également nourri ma réflexion ; la clarté d’esprit et d’expression du professeur Roth m’ont beaucoup aidée, à titre plus particulier, à concevoir la problématique et les enjeux que j’aborderai ici. Avec la discrétion qu’on lui connaît, Michel van de Kerchove a également lu et discuté cette étude ; nos échanges ont constitué pour moi des moments d’éveil intellectuel et je me réjouis de nos nouveaux projets. Damien Vandermeersch m’a fait l’honneur de lire et relire mes épreuves avant d’en juger formellement et même, aujourd’hui, d’en préfacer la version publiée ; qu’un praticien aussi actif et engagé, à la démarche scientifique critique et éclairée, ait accepté de s’investir dans mon travail et de partager avec moi sa vision du droit international pénal est un honneur. Yves Cartuyvels a investi un temps incomparable dans la discussion de mes hypothèses et la relecture de leur transcription – la richesse de ses recherches et le métier dont, cent fois, il m’a répété la trame (Lacan ne dit-il pas qu’il n’y a pas d’enseignement sans répétition ?), font de lui un maître à penser et à travailler ; j’espère avoir l’occasion de déplier encore nos collaborations scientifiques et amicales. J’adresse mes plus profonds remerciements à François Ost, enfin, qui m’a fait l’insigne honneur de m’inviter à l’expérience de la thèse et m’a accordé sa confiance. Les aléas de la recherche d’autrui ne sont certainement pas aisés à supporter. La profondeur de sa pensée a durablement marqué l’étudiante en droit que j’ai été, la jeune chercheuse que je suis, la citoyenne et l’enseignante que j’aimerais devenir.

PRÉFACE

À première vue, le principe ne bis in idem apparaît fort simple : on ne peut, en règle, poursuivre ou juger à deux reprises une même personne pour les mêmes faits, peu importe que celle-ci ait été condamnée, acquittée ou définitivement mise hors cause. Au-delà du sentiment que bis repetita non placent, il s’agit avant tout de protéger le justiciable contre toute forme de harcèlement judiciaire qui consisterait à remettre en question à son détriment des décisions, pourtant définitives, rendues à son égard.

Lorsque Diane Bernard a évoqué ce thème pour la première fois, je fus surpris. Il me paraissait étrange de consacrer une thèse, et nous savons comme l’exercice est exigeant, à une règle qui, d’après ma perception, ne devait trouver à s’appliquer que de façon fort exceptionnelle. En effet, la mobilisation du principe ne bis in idem présuppose l’existence d’un conflit positif de compétence à savoir la multiplication ou plutôt la succession de poursuites engagées à l’encontre du même accusé du chef des mêmes faits. Or l’expérience nous apprend qu’en matière de droit international pénal, les conflits positifs de compétence sont fort rares, les autorités judiciaires nationales et internationales ayant une capacité limitée et ne faisant pas preuve d’un zèle particulier dans la poursuite des auteurs des crimes qualifiés pourtant comme les plus graves. En revanche, nombreuses sont les victimes et les organisations non gouvernementales à se plaindre de l’absence de toutes poursuites des auteurs de crimes « flagrants » de droit international humanitaire avec, pour conséquence, le renforcement d’un sentiment néfaste d’impunité.

Mais, dès l’entame du chantier, le temps ne fut pas long pour que je prenne conscience de la pertinence du choix de Diane Bernard et des perspectives que le sujet traité offrait. Il suffit d’ailleurs de parcourir le présent ouvrage pour s’en convaincre.

Procédant d’une approche systémique, l’auteur nous invite à revisiter la maxime ne bis in idem non seulement à travers ses différentes facettes (l’interdiction de la répétition des poursuites, la prohibition de la double peine et l’autorité de la chose jugée) mais également dans une fonction de répartition des rôles dans la sphère du droit international pénal entre les tribunaux internationaux, d’une part, et les juridictions nationales, d’autre part.

Le fil conducteur proposé par Diane Bernard est intéressant à plus d’un titre.

D’abord, il nous donne l’occasion de (re)découvrir le nouveau paysage du droit international pénal tel qu’il se dessine depuis le début des années 1990 à la suite de la création des Tribunaux pénaux internationaux (TPIY et TPIR), juridictions relativement récentes mais déjà en fin de vie, et de la constitution de la Cour pénale internationale, institution permanente appelée à occuper, dans le dispositif, une place centrale, même si elle est conçue comme complémentaire.

Ensuite, à travers une grille d’analyse originale et critique, il nous permet de comprendre comment les grands maîtres du droit international pénal ont organisé la cohabitation et la coopération entre les tribunaux nationaux et les juridictions internationales dans la nouvelle architecture mise en place. C’est dans ce cadre que la proposition de l’auteur de concevoir la règle ne bis in idem comme un outil « répartiteur » ou « articulateur » de compétence prend corps mais aussi reçoit une ampleur inattendue.

Naviguant entre les principes de primauté et de complémentarité, la règle se décline sous des aspects variés et multiples suscitant l’intérêt renouvelé du lecteur. Partant du constat d’une pluralité de juridictions (nationales et internationales), l’auteur analyse la répartition de leurs compétences respectives à la lumière de la règle ne bis in idem qu’elle dissèque dans une analyse remarquable, d’une part, de l’idem et, d’autre part, du bis. L’exposé est charpenté, complet, fouillé et, même à plusieurs égards, fort subtil.

Cet ouvrage est l’aboutissement d’un travail scientifique auquel l’auteur s’est consacré avec rigueur et compétence mais aussi avec passion, jeunesse et enthousiasme. La parution du second volet de l’« opus » sous le titre de « trois propositions pour une théorie du droit international pénal » est déjà annoncée et le présent ouvrage aiguisera assurément l’impatience du lecteur à découvrir la suite.

Damien (l’autre) VANDERMEERSCHAvocat général à la Cour de cassationProfesseur à l’UCL et à l’Université Saint-Louis

LISTE DES ACRONYMES ET ABRÉVIATIONS

AGNU

Assemblée générale des Nations Unies

CDI

Commission du droit international

CADH

Convention américaine relative aux droits de l’homme

CEDH

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Cour EDH

Cour européenne des droits de l’homme

Cf.

confer, renvoie le lecteur à un autre document.

CIJ

Cour internationale de justice

CPI

Cour pénale internationale

CPJI

Cour permanente de justice internationale

CSNU ou CS

Conseil de Sécurité des Nations Unies

Ibid.

renvoie à la référence bibliographique immédiatement précédente

ONG

Organisation non gouvernementale

ONU, ou NU

Organisation des Nations Unies

op. cit.

opus citatum, renvoie à un ouvrage déjà cité dans le chapitre en cours

OSCE

Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe

OTP

Bureau du Procureur (Office of the Prosecutor)

PIDCP

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

PrepCom

Commission préparatoire sur l’établissement d’une CPI, 1996-98

RPP

Règlement de procédure et de preuve

RPPY

Règlement de procédure et de preuve du TPIY

RPPR

Règlement de procédure et de preuve du TPIR

RPPCPI

Règlement de procédure et de preuve de la CPI (rarement utilisé)

SGNU, ou SG

Secrétaire Général des Nations Unies

StCIJ

Statut de la Cour internationale de justice

StCPI

Statut de la Cour pénale internationale, ou Statut de Rome

StTMIE

Statut du Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient

StTMIN

Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg

StTPIR

Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda

StTPIY

Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

TMI

Tribunal militaire international

TMIN

Tribunal militaire international de Nuremberg

TMIEO

Tribunal militaire international d’Extrême-Orient (ou de Tokyo)

TPIR

Tribunal pénal international pour le Rwanda

TPIY

Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

TSSL

Tribunal spécial pour la Sierra-Leone

TSL

Tribunal spécial pour le Liban

INTRODUCTION

1. – Cet ouvrage est consacré à la maxime ne bis in idem (et non non bis1), qui signifie littéralement « pas deux fois dans la même affaire »2. L’idée en est qu’un individu ne doit pas être traduit devant des juridictions répressives à deux reprises, pour la même chose. La règle3 est connue sous divers intitulés4 : elle a pour équivalent anglo-saxon la prohibition against double jeopardy et le principe autrefois acquit, autrefois convict5 ; elle est exprimée en allemand par les erledigungsprinzip (principe de finalité) et anrechnungprinzip (principe de prise en compte).

1. Objet

2. – Issue du droit romain, la maxime bis de eadem re ne sit actio a traversé les âges6 et est aujourd’hui reconnue dans la plupart des ordres juridiques nationaux7, au point que certains tendent à attribuer une valeur coutumière à son application au sein des frontières étatiques8. Elle est également inscrite dans de nombreuses conventions internationales9. Ainsi, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) en fait un élément du droit de l’accusé à un procès équitable, dans les limites territoriales de l’État10 ; la Convention américaine des droits de l’homme l’établit dans son Chapitre II (consacré aux droits civils et politiques)11 et la Commission interaméricaine confirme qu’elle a pour but de protéger l’accusé12 ; dans son article 4, le Protocole 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) établit le « droit à ne pas être jugé ou puni deux fois » par les juridictions d’un même État13.

3. – Ces conventions, ainsi que les droits nationaux, visent à protéger l’accusé d’un abus judiciaire, empêchant qu’il se trouve à deux reprises « en péril » (in jeopardy) devant les juridictions nationales. La règle garantit aussi que les procédures judiciaires ne demeurent pas indéfiniment ouvertes, ce qui favorise la sécurité juridique14 et l’efficacité judiciaire.

4. – Cette reconnaissance unanime du principe ne bis in idem doit néanmoins être nuancée. D’abord, une très grande diversité apparaît entre les définitions et paramètres de la règle. Nous verrons que, selon la façon dont ces paramètres sont prévus et interprétés, l’ampleur de la protection peut considérablement varier.

5. – En outre, seule la forme « interne » de la règle est unanimement établie : la protection n’est assurée qu’au sein des ordres juridiques nationaux, dans les limites des frontières étatiques. Lorsque les juridictions de plusieurs États disposent concurremment du pouvoir de juger in idem, on assiste d’ailleurs à un oubli relatif des deux finalités de l’adage : la souveraineté pénale et territoriale l’emporte sur les droits de l’individu et l’efficacité judiciaire15. L’autorité des choses jugées à l’étranger n’est que limitativement reconnue : si certaines solutions bilatérales sont parfois négociées, si les États sont libres de chacun reconnaître une autorité aux choses jugées à l’étranger16, le principe ne bis in idem ne connaît pas de formulation générale, d’existence transnationale certaine17. La reconnaissance de décisions rendues par des juridictions étrangères n’est pas absolue : aucune règle transversale ne l’impose18, aucun système général de protection n’existe19. Autrement dit, il n’y a pas d’unanimité à propos d’un principe ne bis in idem « inter-national », « externe » ou « inter-juridictionnel ». Ainsi voit-on apparaître différentes réalités juridiques quant à l’application de cette règle, selon les solutions mises en œuvre par les États20. Par exemple, le PIDCP n’interdit pas formellement son application transfrontalière tandis que le Comité des droits de l’homme (comme la plupart des États) a restreint sa portée à l’espace national21.

6. – Deux exceptions récentes nuancent ce constat : dans l’Union européenne et devant les juridictions internationales pénales, le principe ne bis in idem s’applique au-delà des frontières nationales. L’application extraterritoriale de la règle dans le champ européen a en effet fait l’objet de très nombreux commentaires22 : inscrit au cœur du mécanisme de reconnaissance mutuelle23, le principe y contribue à la coopération judiciaire entre États membres depuis son inscription à l’article 54 de la Convention d’application de l’accord de Schengen. C’est la seconde exception aux limites du principe, en droit international pénal donc, qui fait l’objet de cet ouvrage. D’abord parce qu’elle est bien moins commentée et que le champ international pénal, in statu nascendi, offre aux chercheurs l’opportunité, par leurs commentaires, de réfléchir non seulement après mais également avec voire avant les praticiens. Ensuite parce que le principe ne bis in idem y est tout particulièrement lié aux mécanismes d’articulation entre juridictions compétentes en matière de crimes internationaux : l’étudier mène à analyser le système international pénal dans son ensemble.

7. – Cet intérêt pour une étude systémique explique la brièveté de nos commentaires sur les applications « intra-juridictionnelles » du principe ne bis in idem (devant une même juridiction ou au sein d’un même ordre (national))24 : nous nous concentrons sur son intervention dans les conflits entre différents « ordres juridiques »25. Nous optons néanmoins pour une large vision de la règle ne bis in idem, ouverte à ses formulations centrée sur la peine (ne bis poena in idem) et non spécifiquement contentieuse (res judicata)26.

8. – Différents aspects de la règle seront ainsi mobilisés : l’interdiction d’une double action (ne bis in idem), la prise en compte de peines déjà subies (ne bis poena in idem, « pas deux peines pour la même chose ») et l’autorité de la chose jugée (res judicata pro veritate habetur, « la chose jugée est tenue pour vérité »). Cette notion d’autorité de la chose jugée recouvre les « effets attachés à la décision juridictionnelle »27, parmi lesquels se range l’interdiction d’une nouvelle action in idem à laquelle elle est associée depuis l’époque romaine28 : en matière pénale, l’autorité de la chose jugée implique que l’on ne puisse rejuger in idem. Autrement dit, le principe ne bis in idem peut être considéré comme une expression de l’autorité de la chose jugée29, comme la « version pénale » de ce principe30. D’autres conséquences importantes sont attachées au principe : l’une, symbolique, tient à l’interaction entre les systèmes juridiques ; l’autre, plus technique, est contenue dans l’article 89-2 du Statut de Rome : malgré les divergences d’interprétation à ce sujet, il nous semble clair que selon cette disposition, le principe ne bis in idem constitue la seule exception à l’obligation des États de livrer à la Cour un individu sous mandat d’arrêt délivré par elle.

2. Champ d’investigation

9. – Cet ouvrage propose une étude du principe ne bis in idem en droit international pénal. Nous définissons ce champ de façon restrictive, le limitant au droit des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda (TPIY et TPIR)31, et au droit de la Cour pénale internationale (CPI), à l’exclusion donc du droit des tribunaux pénaux internationalisés (tels celui du Tribunal spécial pour le Liban ou du Tribunal spécial pour la Sierra Leone)32 et du dit « droit pénal international », qui regroupe les aspects internationaux des droits pénaux nationaux33 (et non seulement le droit des crimes internationaux, objets de la discipline internationale pénale34). Nous ne travaillerons à titre principal ni en droit pénal national ou européen, ni en droit comparé, ni en droit international public.

10. – Ce choix d’un champ restrictivement limité aux TPI et à la CPI se justifie par notre intérêt pour l’architecture du droit international pénal, la construction de cette nouvelle branche du droit. En effet, unies dans un même effort, ces juridictions peuvent ensemble être considérées comme l’amorce d’une justice pénale internationale structurée. Ainsi observe-t-on une « double perméabilité » entre TPI et un « rapport de continuité qui unit les institutions soi-disant occasionnelles à celle permanente, relation qui s’inscrit dans un processus d’évolution homogène »35. Parce qu’elle nous paraît constituer le cœur d’une régulation de la justice internationale pénale, la Cour pénale internationale retiendra l’essentiel de notre attention.

11. – Par contre, il s’agit bien d’une recherche en droit : nos réflexions en matière de politique des relations internationales, malgré les liens étroits de cette discipline avec la nôtre, seront réduites à l’incontournable, au nécessaire requis par l’honnêteté scientifique. « Pour avancer j’ai dû me résigner à laisser sur le bas côté de la route un fardeau très encombrant : le bruit du monde. [Comme l’écrit Poncela,] j’ai dû momentanément oublier la Tchétchénie, les bombardements sur la population irakienne, le martyre des palestiniens, tous ces conflits qualifiés d’ethniques ou de religieux, rayés des cartes du tendre politique et de leurs dispositifs compassionnels. J’ai dû faire comme si les tribunaux pénaux internationaux avaient à connaître, sans exclusive, de tous les conflits armés graves »36, comme si la justice pénale internationale telle qu’elle existe actuellement n’était pas traversée d’accords politiques.

3. Hypothèse

12. – Dans ce champ d’investigation, nous développerons l’hypothèse suivante. Alors qu’au sein des frontières étatiques, la protection de l’accusé constitue traditionnellement sa première ratio, le principe ne bis in idem nous paraît revêtir en droit international pénal une autre fonction, d’ordre structurel. Lorsqu’elle se trouve internationalisée, la règle ne bis in idem contribue d’abord, selon nous, à articuler les compétences concurremment détenues par différentes juridictions37. Il ne se serait donc pas agi, pour les rédacteurs des Statuts des TPI et de la CPI, de promouvoir les droits de l’accusé ou l’efficacité judiciaire mais de structurer le droit international pénal. Le principe ne bis in idem contribue à l’architecture du droit international pénal plutôt qu’à un droit international des droits de l’homme ou à une économie judiciaire à l’échelle internationale : sans se défaire de ses finalités traditionelles de protection de l’accusé, il ne les poursuit plus à titre principal. Il est surtout l’un des rouages de la mécanique juridictionnelle du droit international pénal, un outil de répartition de compétences entre instances susceptibles de juger in idem.

13. – Il faut reconnaître que « la signification d’une règle dépend… d’abord du contexte dans lequel elle se trouve prise et de ses interactions avec d’autres règles qui lui confèrent sa véritable valeur au sein de ce système. Il est ainsi illusoire de penser qu’une règle demeure “la même” en changeant de système »38. Or le contexte du droit international pénal est sans précédent : la création d’un niveau juridictionnel supplémentaire (les TPI ou la CPI) crée par nature un risque de bis in idem, puisque plusieurs juridictions se partagent la compétence d’agir39. « Les chevauchements juridictionnels (…) augmentent les risques de contrariété de jugement (…) Or, le système international est à cet égard fort dépourvu »40. Le principe ne bis in idem s’est donc vu mobiliser pour en organiser la mécanique juridictionnelle. « En raison de l’ampleur que revêtent la plupart des crimes de droit international humanitaire, une certaine répartition du travail doit s’opérer entre les juridictions nationales et les tribunaux internationaux dans l’exercice des poursuites »41 ; c’est à cette répartition, en l’absence même de conflits positifs de juridiction, que participe le principe ne bis in idem. Il contribue à prévoir les éventuels conflits de compétence et, par là, à articuler les relations entre instances concurremment compétentes.

14. – En ce sens, on observe notamment que Shany désigne explicitement la règle ne bis in idem comme régulatrice des relations entre juridictions nationales et internationales42, que Conway lui attribue un rôle dans la mise en œuvre du droit international pénal43, que Tallgren la considère comme une ultime garantie de la bonne allocation des compétences juridictionnelles, au risque d’ailleurs que soient mis à mal les intérêts de l’accusé44. Dans le même sens, s’il est saisissant de constater que Zappala n’aborde pas le principe ne bis in idem dans sa monographie, pourtant très complète, consacrée aux droits de l’homme dans les procès internationaux pénaux45. Cela dit, il faut observer que la doctrine fait généralement coexister les différentes rationes du principe46. Nous ne soutenons pas que la règle ne bis in idem se défait entièrement, en droit international pénal, de son rôle protecteur de l’accusé mais que ce rôle est partiellement supplanté par une fonction structurelle d’aménagement des interactions juridictionnelles.

15. – Notre objectif n’est pas de proposer une solution à la « fragmentation » du droit international général, que craignent certains47, mais de comprendre l’importance du principe ne bis in idem dans la mise en place du droit international pénal et, par là, d’éclairer certaines idées-force et subtilités architecturales de cette discipline. Nous soutenons donc que le principe n’y apparaît pas seulement comme une garantie en faveur de l’accusé mais davantage comme un instrument de répartition des compétences, d’articulateur juridictionnel (Titre 1). Cette coexistence d’une fonction articulatoire dominante avec un rôle garantiste, traditionnel mais estompé voire inexistant, se confirmera au long d’une étude technique des éléments constitutifs du principe (Titre 2). Nous verrons ainsi que ne bis in idem revêt des significations différentes, selon les interactions juridictionnelles qu’il régit : ce sont là les différents sens du principe.

1. L’erreur est commune, sans doute parce qu’« en latin tardif, le domaine d’emploi de la négation volitive a été progressivement envahi par la négation non, qui a fini par s’imposer aux dépens du ne, et qui est devenue la négation la plus productive dans les langues romanes », écrit A. ORLANDINI, Grammaire fondamentale du Latin, t. VIII, Négation et argumentation en latin, Leuven/Paris, Peeters, 2001, p. 27. Or ne est bien une négation volitive, c’est-à-dire qu’elle implique une intention d’agir, une décision, un sujet d’énonciation – comparable en quelque sorte à l’impératif français ; elle convient donc davantage à une règle de droit. Dans cette étude, nous respecterons néanmoins la formulation choisie dans les textes législatifs, jurisprudentiels ou doctrinaux que nous citerons, si par hasard y a été préféré l’usage du non bis in idem.

2. Ce qui apparaît tout à fait explicitement dans la formulation équivalente nemo debet bis vexari pro una et eadem causa.

3. Nous utiliserons indifféremment, pour désigner notre objet, les termes « règle » et « principe », voire « maxime », refusant néanmoins de le considérer comme un « adage ».

4. Cf. Criminal procedure systems in the European Community, Ch. VAN DEN WYNGAERT (dir.), Butterworths (London), 1993, p. 408.

5. M.L. FRIEDLAND, Double jeopardy, Clarendon, Oxford, 1969.

6. Cf. J. LELIEUR-FISCHER, La règle ne bis in idem. Du principe de l’autorité de la chose jugée au principe d’unicité d’action répressive. Étude à la lumière des droits français, allemand et européen, Thèse inédite, Université Panthéon-Sorbonne (Paris I), 2005, pp. 15-43.

7. Cf. les nombreux rapports nationaux compilés dans « Les compétences criminelles concurrentes nationales et internationales, et le principe ne bis in idem », Rev. int. droit pénal, 2002, 3-4, vol. 73, pp. 773-1145 ; Ch. VAN DEN WYNGAERT et T. ONGENA, « Ne bis in idem Principle, including the issue of Amnesty », The Rome Statute of the International Criminal Court, A. CASSESE, P. GAETA et J.R. JONES (dir.), vol. 1, OUP, 2002, p. 706 ; I. TALLGREN, « Article 20. Ne bis in idem », Commentary on the Rome Statute of the International Court. Observers’ notes, Article by Article, O. TRIFFTERER (dir.), Nomos (Baden-Baden), 2008, p. 673.

8. Cf. par ex. A. CASSESE, International criminal law, OUP, 2008, p. 319 ; Y. SHANY, Regulating jurisdictional relations between national and international courts, OUP, 2007, p. 160.

9. Ch. VAN DEN WYNGAERT et T. ONGENA, op. cit., note 7, p. 707.

10. Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par la résolution 2200 A (XXI) de l’AGNU, 16 décembre 1966, et entré en vigueur le 23 mars 1976, art. 14-7.

11. Convention américaine relative aux droits de l’homme, adoptée à San José le 22 novembre 1969 et entrée en vigueur le 18 juillet 1978, art. 8, §4.

12. « Este principio busca proteger los derechos de los individuos (…)», CIADH, Loayza Tamayo c. Pérou, Série C no 33, 17 septembre 1997, § 66 (disponible uniquement en espagnol).

13. Protocole no 7 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales tel qu’amendé par le Protocole no 11, Strasbourg, 22 novembre 1984, entré en vigueur le 1er novembre 1988, art. 4. Cela corrobore son caractère de garantie individuelle sans pour autant l’inscrire sûrement dans le droit à un procès équitable : avant l’adoption et l’entrée en vigueur du Protocole 7, la Commission n’avait guère émis d’opinion claire au sujet de l’inscription du principe ne bis in idem parmi les garanties du procès équitable, définies à l’article 6 de la Convention. Peut-être la Cour devrait-elle clarifier cette question, d’autant plus que le Protocole 7 est peu ratifié. Cela dit, interpréter l’article 6 dans un sens englobant le ne bis in idem priverait l’article 4 du Protocole de tout effet utile, ce qui rend cette lecture relativement peu probable. Cf. à ce sujet K. STARMER et I. BYRE, Blackstone’s human rights digest, Blackstone Press (London), 2000, no 8.58 ; S. TRECHSEL, Human rights in criminal proceedings, OUP, 2005, p. 385.

14. T. VANDER BEKEN, G. VERMEULEN et T. ONGENA, « Concurrent national and international criminal jurisdiction and the principle “ne bis in idem” », Revue int. droit pénal, 2002, vol. 73, pp. 811-848 ; G. CONWAY, « Ne bis in idem in international law », Int. Crim. Law Review, 2003, vol. 3, p. 223.

15. La doctrine états-unienne de la « double souveraineté » (dual sovereignty doctrine) tempère davantage encore cette application intra-territoriale : considérée comme faisant exception à l’interdiction de double jeopardy, elle permet que différentes actions soient menées successivement in idem, devant différentes instances. Par exemple, qu’ait lieu un procès sur base d’une violation de la Constitution des États Unis, après un procès au sein d’un état. Cf. par ex. D.E. LOPEZ, « Not twice for the same : how the Dual Sovereignty Doctrine is used to circumvent non bis in idem », Vanderbilt Journal of Transnational Law, vol. 33, 2000, pp. 1263-1303 (pp. 1271-72 en particulier).

16. Cf. par ex. l’art. 3 du titre préliminaire du Code belge d’instruction criminelle, qui confère une reconnaissance limitée aux jugements étrangers.

17. Cf. à ce sujet, not. Ch. VAN DEN WYNGAERT et T. ONGENA, op. cit., note 7, p. 708, ou I. TALLGREN, « Article 20. Ne bis in idem », op. cit., note 7, p. 674.

18. Ch. BASSIOUNI, International criminal law, vol. III, Nijhoff, Leiden, 2008, p. 548.

19. Cf. par ex. Ch. VAN DEN WYNGAERT et T. ONGENA, op. cit., note 7, p. 708, ou I. TALLGREN, « Article 20. Ne bis in idem », op. cit., note 7, p. 674.

20. M. HENZELIN, « “Ne bis in idem”, un principe à géométrie variable », Revue pénale suisse, t. 123, 2005, p. 381. Pour une synthèse de l’état du principe ne bis in idem dans les différents cercles (UE et espace Schengen, PIDCP et CEDH, Belgique), cf F. KUTY, Justice pénale et procès équitable, Larcier, Bruxelles, 2006, § 2100-2144.

21. Comité des droits de l’homme, AP c. Italie, Communication 204/1986 soumise le 16 janvier 1986, § 7.3.

22. Cf. J. VERVAELE, « Ne bis in idem : towards a transnational constitutional principle in the EU ? », Utrecht Law Review, 9-4, 2013, pp. 211-229 ; pour une thèse différente de la nôte, cf. J. LELIEUR, « Transnationalizing ne bis in idem : how the rule of ne bis in idem reveals the principle of personal legal certainty », Utrecht Law Review, 9-4, 2013, pp. 198-210 ; pour une étude du principe dans les champs européen et international pénal, cf. D. BERNARD, « Les solides frontières du principe ne bis in idem : fondement et objectifs en droit européen et international », Fondements et objectifs des incriminations et des peines en droit européen et international, D. BERNARD, Y. CARTUYVELS, Ch. GUILLAIN, D. SCALIA et M. VAN DE KERCHOVE (dir.), Anthemis, Limal, 2013. Pour un survol de la question en droit européen seulement, cf. cette sélection d’articles : M. BOHLANDER, « Ne bis in idem », International Criminal Law, vol. III : International enforcement, Ch. BASSIOUNI (dir.), Nijhoff (Leiden), 2008, pp. 541-560 ; J.A.E. VERVAELE, « The transnational ne bis in idem principle in the EU Mutual recognition and equivalent protection of human rights », Utrecht Law review, 2005, pp. 99-118 ; N. NEAGU, « The ne bis in idem principle in the interprettion of European Courts : towards uniform interpretation », Leiden Journal Int. Law, 25, 2012, pp. 955-977 ; P. OLIVER et Th. BOMBOIS, « “Ne bis in idem” en droit européen : un principe à plusieurs variantes », Journal dr. Eur., 193 (vol.20), 2012, pp. 266-272 ; cf. pour de plus amples développements D. SARMIENTO, « El principio ne bis in idem en la jurisprudentia del TJCE », L. ARROYO-SAPATERO et A. NIETO-MARTIN (dir), El principio de ne bis in idem en el derecho penal europeo e international, Ed. de la Universidad de Castilla – La Mancha (Cuenca), 2007, pp. 37-64 ; I. COLOMER HERNANDEZ, « Conflictos de jurisdicciòn, non bis in idem en litispendentia international en la Uniòn europea », ibid., pp. 65-94 ; cf. CJUE, Hüseyin Gözütok et Klaus Brügge, C-187/01 et C-385/01, 11 février 2003.

23. G. VERNIMMEN-VAN TIGGELEN et L. SURANO, « Quel futur pour la reconnaissance mutuelle en matière pénale ? Analyse transversale », L’avenir de la reconnaissance mutuelle en matière pénale dans l’Union européenne, G. VERNIMMEN-VAN TIGGELEN, L. SURANO et A. WEYEMBERGH (dir.), IEE/ULB (Bruxelles), 2009, p. 576.

24. Bien que l’appel et la révision puissent être considérés comme des atteintes au principe ne bis in idem, nous ne les étudierons donc pas (sauf incidemment). Ce choix est explicité au Titre 2, chapitre 3, para. 614. Nous n’étudierons pas non plus les questions de ne bis in idem liées au cumul des charges ou des peines dans une même affaire (multiple sentencing, cumulative charging) – à ce sujet, cf. Ch. BASSIOUNI, op. cit., note 18, pp. 543-548 ; ou par ex. A. BOGDAN, « Cumulative charges, convictions and sentencing at the Ad hoc International Tribunals for the former Yugoslavia and Rwanda », Melbourne Journal of International Law, vol. 3, 2002, pp. 1-32.

25. Le terme « ordre » est utilisé ici au sens commun, mais conc. l’inexistence d’un ordre juridique international pénal, cf. D. BERNARD, Trois propositions pour une théorie du droit international pénal, Pub. FUSL (Bruxelles), 2013, chapitre 2 (à paraître).

26. Ainsi le principe ne bis in idem et l’autorité de la chose jugée ont-ils été considérés comme synonymes : cf. par ex. A.-M. LA ROSA, Dictionnaire de droit international pénal – termes choisis, PUF, 1998, v° non bis in idem, p. 65 ; ou la traduction de l’« autorité de la chose jugée » par les termes « double jeopardy » dans L’autorité de la chose jugée, la réponse à l’accusation et le verdict/ Double Jeopardy, pleas and verdict, Commission de Réforme du droit du Canada, Document de travail, 1991.

27. Dictionnaire du vocabulaire juridique, R. CABRILLAC (dir.), Litec (Paris), 20002, v° « Autorité de la chose jugée ».

28. J. LELIEUR-FISCHER, op. cit., note 6, p. 55.

29. F. KUTY, op. cit., note 20, § 2137.

30. G. CONWAY, « Ne bis in idem and the International Criminal Tribunals », Criminal Law Forum, 2003, vol. 25, p. 355. À l’inverse, il a été soutenu que l’autorité de la chose jugée au criminel sur le criminel constitue l’une des manifestations de la règle ne bis in idem, cf. M. PRALUS, « À propos de la règle non bis in idem, valeur en droit interne de l’un de ses aspects : non bis ? », Arch. politique criminelle, no 18, 1996, p. 42. Pour une étude détaillée des relations entre ne bis in idem et res judicata, cf. J. LELIEUR-FISCHER, op. cit., note 6.

31. Au vu de la très grande proximité des textes et décisions des deux Tribunaux ad hoc en la matière, nous les aborderons ensemble, comme un tout juridique ; les éventuelles divergences, fussent-elles infimes, seront néanmoins pointées et explicitées.

32. Appelés parfois « tribunaux hybrides » car ils constituent davantage un renforcement de l’action nationale par des moyens internationaux, cf. Les sources du droit international pénal : l’expérience des tribunaux pénaux internationaux et le statut de la Cour pénale internationale, M. DELMAS-MARTY, E. FRONZA et E. LAMBERT-ABDELGAWAD (dir.), Paris, Société de législation comparée, 2005.

33. A. YOKARIS, La répression pénale en droit international public, Ant. N. Sakkoulas/Bruylant, Athènes-Bruxelles, 2005, p. 5.

34. pour une définition du droit international pénal, cf. A. CASSESE, op. cit., note 8, pp. 3-27.

35. R. ADJOVI et G. DELLA MORTE, « Le procès équitable devant les Tribunaux pénaux internationaux », Procès équitable et enchevêtrement des espaces normatifs, H. RUIZ-FABRI (dir.), Paris, Société de législation comparée, 2002, p. 237.

36. P. PONCELA, « Mesure et motivation de la peine dans les jugements du TPIY », Le droit pénal à l’épreuve de l’internationalisation, R. ROTH et H. HENZELIN (dir.), LGDJ/Georg/Bruylant (Paris/Genève/Bruxelles), 2002, p. 326.

37. Un questionnement comparable émerge en droit européen : dans l’espace Schengen, le principe ne bis in idem « est clairement reconnu comme une disposition juridique au service d’un processus dynamique d’intégration européenne », écrit M. HENZELIN par ex., « “Ne bis in idem”, un principe à géométrie variable », op. cit., note 20, p. 381.

38. E. WYLER et A. PAPAUX, « Extranéité de valeurs et de systèmes en droit international privé et en droit international public », A. PAPAUX et E. WYLER (dir.), Actes du colloque des 27 et 28 novembre 1997, Paris, Pedone, 1999, p. 295. Ainsi Y. Shany écrit-il que l’autorité de la chose jugée dépendra de la conception à l’œuvre, sera définie différemment selon la façon dont sont abstraitement conçues les relations entre juridictions nationales et internationales, Regulating jurisdictional relations between national and international courts, op. cit., note 8, p. 160.

39. G. CONWAY, « Ne bis in idem in international law », op. cit., note 14, p. 225.

40. G. GUILLAUME, « Multiplication des instances judiciaires internationales : perspectives pour l’ordre juridique international », Discours prononcé devant la Sixième commission de l’AGNU, 27 octobre 2000, icj-cij.org

41. D. VANDERMEERSCH et Ph. MEIRE, « La coopération avec la Cour Pénale Internationale à la lumière de l’expérience de la coopération avec les tribunaux internationaux ad hoc », La Belgique et la Cour pénale internationale : complémentarité et coopération, Bruylant, Bruxelles, 2005, p. 159.

42. Y. SHANY, op. cit., note 8, p. 20 not. et en détail pp. 159-163.

43. G. CONWAY, « Ne bis in idem in international law », op. cit., note 14, p. 223.

44. I. TALLGREN, « Article 20. Ne bis in idem », op. cit., note 7, p. 672.

45. S. ZAPPALA, Human rights in international criminal proceedings, OUP, 2003.

46. Cf. par ex. Ch. VAN DEN WYNGAERT et G. STESSENS, « Non bis in idem Principle : resolving some of the unanswered questions », Int. and Comparative Law Quarterly, vol. 48, 1999, pp. 781-785.

47. cf. à ce sujet par ex. J. I. CHARNEY, « Is international law threatened by multiple international tribunals ? », RCADI, 1998, t. 268, pp. 101-382 ; B. KINGSBURY, « Is the proliferation of international courts and tribunals a systemic problem ? », NYU Journal of int. law and politics, vol. 31, 1998-1999, no 4, pp. 679-696 ; P.-M. DUPUY, « The danger of fragmentation or unification of the international legal system and the International Court of Justice », NYU Journal of Int. Law and Politics, vol. 31, 1998-1999, pp. 791-808. Sur la place du droit international pénal dans une réflexion sur la fragmentation du droit international général, cf. D. BERNARD, « Beyond hierarchy : Standards of Review before the International Criminal Court », in W. WERNER et L. GRUSZCYNSKI (dir.), Standards of review in international courts and tribunals. Rethinking the fragmentation and constitutionalization of international law, Oxford University press (Oxford), à paraître en 2014.

TITRE 1

La place du principe ne bis in idem dans l’histoire de la justice pénale internationale

« II n’est possible d’éviter à coup sûr la guerre que si les hommes s’entendent pour instituer une puissance centrale aux arrêts de laquelle on s’en remet dans tous les conflits d’intérêt ».

Lettre de Sigmund Freud à Albert Einstein,Vienne, septembre 1933

16. – Examiner les projets d’établissement d’une juridiction pénale internationale permettra de comprendre les enjeux de cette entreprise et de connaître mieux les origines des Statuts des TPI (StTPIY et StTPIR) et du Statut de la CPI (ou Statut de Rome, StCPI), que nous analyserons dans le Titre second. Ce travail historique favorisera une meilleure appréhension de la pratique des TPI et de la CPI et offrira de premiers arguments appuyant la thèse soutenue dans cet ouvrage.

17. – Il apparaîtra en effet que le principe ne bis in idem s’est vu intégrer aux mécanismes de répartition des compétences pénales entre les niveaux juridictionnels international et internes. L’intérêt de reconnaître une autorité aux choses jugées a été souligné en droit international public : c’est là un moyen de renforcer la cohérence de cette branche1 ; nous verrons qu’en droit international pénal plus spécifiquement, une fonction similaire a été souvent attribuée à la règle ne bis in idem, et ce de façon explicite, et qu’elle apparaît dans les actuels StTPI et StCPI. Cette fonction justifie que la règle ait été plus souvent inscrite parmi les rouages juridictionnels de cette branche du droit (les mécanismes de recevabilité ou de saisine des juridictions, par exemple) que parmi les garanties assurées à l’accusé. Autrement dit, l’histoire de la justice internationale pénale révèle une attention indéniable des concepteurs de la future CPI au principe ne bis in idem ; cette attention paraît plus précisément centrée sur le potentiel régulateur (ou organisationnel) du principe que sur son rôle traditionnel de droit de l’accusé. La protection traditionnelle s’en voit parfois atténuée, au profit d’intérêts structurels. Seront donc corroborées, historiquement, les hypothèses que nous avons formulées en introduction.

18. – Aux fins de le démontrer, nous entamons donc ici une étude chronologique des projets de juridiction pénale internationale. Notre propos se limitera aux projets ayant trouvé une forme d’application, même limitée, et plus particulièrement à la place qu’y occupe la règle ne bis in idem. Cela nous conduira à ne rien dire de certains projets purement théoriques et à ne guère commenter la problématique globale de la compétence internationale en matière pénale, sa nature, ses realia ou justifications. Nous intéresse la concurrence de compétences entre une juridiction internationale pénale et les autres tribunaux compétents en la matière ; plus spécifiquement encore, nous analyserons surtout l’intervention du principe ne bis in idem dans cette concurrence. Notre questionnement porte donc sur l’articulation de compétences judiciaires, sur les questions de double procès et d’autorité de chose jugée, plutôt que la justification ou le fondement juridictionnel à l’œuvre dans chaque tribunal envisagé ou créé.

19. – Suivant un fil chronologique donc, nous analyserons d’abord les travaux conduits entre les deux guerres mondiales, prémisses du projet de cour internationale (Chapitre 1), ensuite les avancées plus concrètes induites par la Deuxième Guerre mondiale (Chapitre 2), puis les progrès réalisés de 1946 à 1989 sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (Chapitre 3). Enfin, nous examinerons les événements survenus dans les années 1990 : la création des TPI à la faveur malheureuse des dramatiques événements rwandais et yougoslaves, la signature du Statut de la CPI et une explosion des travaux doctrinaux en la matière ; nous dresserons enfin un bref bilan des affaires en cours (Chapitre 4).

CHAPITRE 1

DE VERSAILLES À GENÈVE, PRÉMISSES DU PROJET DE COUR INTERNATIONALE

20. – En 1873 déjà, Gustave Moynier, fondateur de la Croix-Rouge, envisageait la création d’une cour pénale internationale et impartiale2. C’est plus tard, après la Première Guerre mondiale, que les premières actions tendant vers cet objectif se sont manifestées. Ce premier chapitre est consacré aux premiers mouvements en faveur d’une juridiction pénale internationale, observables dans les années 1920 et 1930. Comme annoncé, nous prêterons une attention toute particulière à la place qu’y occupe le principe ne bis in idem.

21. – Nous observerons d’abord les premières velléités de ne pas voir de graves crimes rester impunis, exprimées lors des travaux de la « Commission des responsabilités des auteurs de la guerre et sanctions » (§ 1). Elles mèneront à l’adoption des Traités de Versailles et de Sèvres (§ 2) et seront prolongées par des travaux doctrinaux tout à fait novateurs : certains envisagent dès 1926 la création d’une juridiction pénale internationale résolument dotée de compétences (§ 3). Ce mouvement trouvera un premier accomplissement au sein de la Société des Nations : nous verrons qu’une Convention portant création d’une cour pénale internationale a été adoptée en 1937 (§ 4).

SECTION 1. – TRAVAUX LIMINAIRES SUR UN HAUT TRIBUNAL DES CRIMES DE GUERRE (1919)

22. – Le 25 janvier 1919, au sortir de la Première Guerre mondiale, la Conférence des préliminaires de paix crée une « Commission des responsabilités des auteurs de la guerre et sanctions » et la charge entre autres de préparer la constitution d’un tribunal des crimes de guerre. Dans son rapport3, cette commission analyse les agressions territoriales ayant provoqué la guerre ainsi que les « violations des lois et coutumes de la guerre et des lois de l’humanité ». Elle estime que chaque État a compétence pour juger les individus « prisonniers ou… autrement tombés en son pouvoir » mais que dans certaines situations, impliquant des ressortissants de différentes nations, un « haut tribunal » devrait être institué. Sont visées en particulier les autorités « ennemies » dont les ordres auraient traversé les frontières.

23. – Ce qui nous intéresse ici, c’est l’inclusion du principe ne bis in idem au sein des huit « bases essentielles » du haut tribunal proposé4. Le rapport de la commission établit en effet le principe suivant : « aucun individu ne sera susceptible d’être jugé par une cour nationale pour un crime au sujet duquel il aura déjà été traduit devant le haut tribunal. Mais aucun procès ou aucune sentence d’un tribunal ennemi n’entravera le procès ou la sentence du haut tribunal, ou d’une cour nationale relevant d’un des États alliés ou associés »5.

24. – Le texte pose, d’une part, la reconnaissance d’une autorité de chose jugée absolue aux décisions de la juridiction internationale envisagée et, d’autre part, l’affirmation d’une primauté complète de cette cour et des juridictions des pays vainqueurs, par le déni de toute autorité à d’éventuelles décisions nationales antérieures, rendues dans les États vaincus. Autrement dit, est ici envisagée une règle ne bis in idem à deux vitesses : reconnaissance absolue des jugements du haut tribunal et des tribunaux alliés, absence d’autorité des décisions rendues par les juridictions nationales ennemies. Que l’accusé subisse deux procès n’est pas problématisé : on assiste à une vision du droit international pénal comme primant tout à fait les ordres juridiques internes. La perspective d’établir un haut tribunal paraît donc moins novatrice qu’à première vue : elle est proposée par les vainqueurs, lesquels envisageaient de déléguer la charge de poursuivre leurs ennemis à une cour dont ils auraient désigné les juges.

25. – Les recommandations de la commission ne seront pas suivies par la « Conférence de la paix » et n’apparaîtront donc pas dans le Traité de Versailles. Leur intérêt pour nous réside surtout dans le choix d’inscrire pour la première fois la règle ne bis in idem parmi les « fondamentaux » d’une juridiction pénale internationale. On peut considérer que c’est bien là un signe que la règle ne bis in idem touche à la conception structurelle du projet même de justice internationale.

26. – On observe cependant que la formulation du principe ne bis in idem par la commission n’est pas très élaborée : cela vaut en particulier pour la formulation de l’idem comme « crime » alors qu’il est peu probable que les qualifications nationales et internationale eussent pu être parfaitement identiques. Cette imprécision est certainement à associer avec la nature de draft des travaux de la Commission.

27. – Organiser la reconnaissance de jugements rendus par le haut tribunal ou des juridictions internes relevait néanmoins d’une intuition intéressante : nous verrons qu’ultérieurement, des projets envisageant une cour criminelle internationale oublieront souvent de prévoir l’articulation de décisions potentiellement concurrentes.

SECTION 2. – PERSPECTIVES OUVERTES DANS LES TRAITÉS DE VERSAILLES (1919) ET DE SÈVRES (1920)

28. – Le Traité de Versailles6 n’aboutira pas à la création d’une cour pénale internationale, ni permanente ni spécifiquement consacrée aux affrontements de 1914-1918. Il constitue néanmoins la première expression d’une volonté de poursuivre un individu en droit international, sur base de sa responsabilité pénale individuelle. Son article 227 prévoit en effet que Guillaume II puisse être poursuivi devant un tribunal spécialement établi à cette fin :

« Les puissances alliées et associées mettent en accusation publique Guillaume II de Hohenzollern, ex-empereur d’Allemagne, pour offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des Traités. Un tribunal spécial sera constitué pour juger