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Au détour d'une douzaine de nouvelles, suivez le lapin blanc, ou un renard roux, à travers tout autant d'histoires tantôt empreintes de surnaturel, mais aussi amusantes, émouvantes, étranges et inquiétantes. Peut-être vous égarerez-vous au coeur d'un brouillard séparant le monde des vivants et des défunts ou dans un palais des glaces à nul autre pareil. Qui sait... Vous y rencontrerez des êtres marqués du sceau de la Magie et dont le destin est sur le point de basculer à tout jamais, mais aussi la Mort, sous différents aspects, et qui réussirait à vous mettre Échec et mat. Êtes-vous prêt à découvrir les mille et une facettes de ce kaléidoscope fantasmagorique ?
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Seitenzahl: 441
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Avant-propos
Un Souvenir à Fleur de Peau
Les Bourgeons de l’Espoir
Les Lames de l’Âme
Trois Voies Vers la Mort
Faites vos Voeux !
Marque-Vie
Analepse
Momento Mori
Escapade à WonderLand
Par amour
Gambit
Triskel
Surprise 😊 !
Depuis ma jeunesse, le plaisir de raconter des histoires devait être ancré en moi. Seulement, je n’avais jamais eu vraiment l’idée de les mettre par écrit. Sans doute qu’à l’époque, je préférais qu’elles se développent en secret.
Comme pour la plupart des enfants, je présume, les récits qui me plaisaient le plus étaient fantastiques, mythologiques, ou nimbés de légendes. Bien sûr, les dragons en faisaient partie, et c’est peut-être ce qui m’a tant inspirée pour la Trilogie Draconia.
Plus important, je vois ce recueil comme un patchwork bigarré dans lequel se croisent les genres en toute liberté. Bien loin du cloisonnage qui morcelle d’ordinaire les courants littéraires par le biais de conventions figées et restrictives.
En France, il semble encore assez mal vu qu’un auteur aille s’aventurer sur les voies d’un genre autre que ce qui lui est habituel. Cela tend à déstabiliser les maillons bien ordonnés de la chaîne éditoriale. Je voudrais donc rendre un hommage appuyé aux consoeurs et confrères de plume qui ne se laissent pas entraver par de telles considérations, et passent allègrement d’un style à un autre selon leur bon plaisir ; fantastique, thriller, roman historique, feuilletons, etc. Henri Loevenbruck me vient à l’esprit, même s’il est loin d’être le seul.
Cet ouvrage se veut aussi un hommage tout personnel envers les écrivains, passés ou contemporains, à s’être adonné à l’art de la nouvelle : Miguel de Cervantes, Honoré de Balzac, Edgar Allan Poe, Émile Zola, Guy de Maupassant, Arthur Conan Doyle, Francis Scott Fitzgerald, Howard Phillips Lovecraft, Isaac Asimov, Boris Vian, Philip K. Dick, Frédéric H. Fajardie, Stephen King, John Connolly, Ray Bradbury, Bernard Werber, Cédric Sire… et j’en oublie sans doute. En faire une liste complète et non exhaustive aurait transformé cet Avant-propos en un pavé indigeste, aussi n’ont été cités que ceux dont la prose aura marqué mon parcours littéraire, et ce depuis les bancs du collège. Ne m’en tenez pas rigueur par rapport aux écrivains ne figurant pas dans l’énonciation précédente. S’ils sont présents à votre esprit, alors c’est tout aussi important.
La nouvelle n’est pas un art qui se meurt, en témoignent les ouvrages qui continuent à être semés aux quatre vents de l’actualité éditoriale. Comment ne pas citer le roi incontesté de cet exercice : Stephen King ? Il a écrit plus de deux cents nouvelles et novellas à ce jour, dont plusieurs recueils parmi lesquels figurent Danse macabre, Différentes saisons, Tout est fatal, Brume, Juste avant le crépuscule ou encore Le Bazar des mauvais rêves. À noter d’ailleurs que Classe tous risques a pour thème central ce qui pourrait mal se passer en avion. Une lecture déconseillée aux aérodromophobes.
Les auteurs français s’illustrent aussi dans ce domaine. Comme avec L’Arbre des possibles et Paradis sur mesure de Bernard Werber, Au-delà de l’Horizon de Franck Thilliez, Déchirures et Dreamworld de Cédric Sire, ainsi que D’Ombre et de Silence de Karine Giebel.
Mes coups de coeur vont aux ouvrages réunissant les talents de plusieurs auteurs, comme L’Empreinte sanglante, Écouter le noir, la collection 13 à table !, mais aussi à une nouvelle écrite à quatre mains : L’Encre et le sang de Franck Thilliez et Laurent Scalese.
En tant que lectrice, je suis toujours une grande friande de nouvelles. Chacun de ces textes m’apparaissant comme autant de gourmandises littéraires que l’on peut savourer à son rythme et selon ses seules envies de l'instant. De quoi se régaler entre deux romans.
Quoi qu’il en soit, l’écriture de nouvelles est devenue un moment privilégié pour me changer les idées pendant le travail occasionné par des projets livresques plus volumineux. Ces petites histoires m’aident en plus à exercer au mieux ma créativité en m’essayant à différents thèmes, dans une durée plus courte. Certains titres sont d’ailleurs tellement inspirants que j’envisage d’en faire des versions plus développées qui pourraient aller jusqu’à un roman.
D’autres proviennent de participations à différents concours de nouvelles. Ce qui explique leur brièveté. Faute d’un palmarès, je me suis au moins bien amusée à écrire ces petites histoires à qui j’ai voulu donner une chance d’exister dans ma bibliographie.
Au fil du temps, l’inspiration des nouvelles qui ont suivi est venue de façon quasi naturelle. Simplement en partant d’une observation dans la vie quotidienne, d’une idée surgie au cours d’une discussion, d’un songe, d’un coup de coeur ou d’un coup de sang, d’une colère à terrasser… etc.
Selon Bernard Werber, la « nouvelle (…) semble la base même de l’artisanat d’auteur. C’est là qu’on peut tester des formes, des mécanismes, des points de vue, des procédés de narration différents. » Comment ne pas être d’accord ?
Il n’y a aucun fil thématique d’aucune sorte pour relier les nouvelles que vous allez découvrir. Elles se suivent dans l’ordre chronologique où elles se sont accumulées. En dépit d’un dépoussiérage, chacune d'elle est restée dans son jus. Elles exhalent ces fragrances propres aux oeuvres de jeunesse d’une écrivaine qui exerce sa plume, tel un chat qui fait ses griffes. L’idée étant de conserver une trace de cette évolution au fil du temps. Pour information, la première a été imaginée en été 2006, tandis que la dernière a été écrite en automne 2019, juste avant le challenge d’écriture du NaNoWriMo.
Ce recueil m’évoque donc un assemblage bariolé de couleurs et de formes. Comme les fragments d’un kaléidoscope. Ces pièces, pourtant éparses, parviennent à former un ensemble assez artistique, peu importe le regard que l’on y porte.
D’où le choix du titre de cet ouvrage.
Kaléidoscope.
Quand on regarde à travers un de ces objets, il suffit de le faire tourner pour que les éléments se mettent à bouger et forment de nouveaux schémas, presque à l’infini. Avec les mots, c’est pareil ; changer la place des lettres et des espaces et de nouvelles phrases se profilent et vous emportent dans les méandres d’une intrigue. N’est-ce pas merveilleux et quasiment magique ?
C’est une joie non dissimulée qui m’étreint à les voir (enfin) réunies. Toutefois, elle ne serait rien comparée à celle qui pourrait être la mienne si vous preniez autant de plaisir à les lire que moi au moment de les rédiger. D’ailleurs, j’aimerais être auprès de vous pour observer les réactions que vous pourriez avoir durant votre lecture.
Bon voyage à vous au fil des mots.
M@giquement,
~Lise-Marie Lecompte
Imaginærum, été 2021.
Ce jour-là, je m’étais réveillée avec un souvenir qui avait resurgi des méandres de ma mémoire. Je n’ai jamais été très douée pour me rappeler mes rêves, une fois le matin venu.
Bon nombre de mes amis m’avaient expliqué les bienfaits de noter le souvenir de ses rêves, mais il fallait bien reconnaître qu’il m’arrivait assez souvent d'oublier ce que pouvaient avoir été mes mémoires oniriques de la nuit passée. Par conséquent, le carnet posé sur ma table de chevet comptait de nombreuses pages blanches. À l’exception de ce jour où je ne notais pas un rêve des plus récents. Pourtant, celui-ci m’était revenu avec une extraordinaire netteté. Il était d’autant plus troublant qu’il avait coïncidé avec quelque chose qui m’était réellement arrivé…
Assise sur mon lit, j’essayais d’écarter au mieux les brumes qui s’apprêtaient à brouiller de nouveau ma mémoire, et de me souvenir de ces évènements en détail.
*
Il y a de cela quelques années, j’avais accompagné ma classe d’arts graphiques dans un château… dont curieusement le nom m’a échappé. La journée était radieuse, ensoleillée et la visite se passait très bien. Notre guide était une jeune femme rousse très enthousiaste à l’idée de nous faire découvrir les moindres recoins de cet incroyable bâtiment historique. Sans compter qu’elle connaissait mille et une petites anecdotes qui rendaient la visite plus vivante et décontractée.
Quant au professeur qui avait organisé cette sortie, il nous parlait beaucoup de la symbolique cachée qu’il pouvait exister dans ce château, qui avait dû être bâti aux premières années de l’Inquisition. Comme cela me passionnait, j’étais admirative de voir toutes les astuces qu’avaient pu avoir les païens pour dissimuler leurs croyances ainsi. Pour déjeuner, nous avions apporté nos sandwiches et nous avions profité du beau temps pour manger dehors, à l’ombre des chênes et des ormes majestueux. Le vent chantait doucement dans les feuillages denses de cette fin de printemps qui annonçait déjà l’approche de l’été et je me sentais très bien.
La visite reprit et se poursuivit sans anicroche jusqu’au moment où nous passâmes devant une lourde porte massive. Je demandais à notre guide ce qu’était cette porte qui avait attiré mon attention -alors que personne ne semblait l’avoir vue- et elle m’expliqua qu’elle menait dans les sous-sols du château. Pourtant, elle fut un peu réticente à nous faire visiter cette partie du palais. Mes camarades et notre enseignant en Histoire de l’Art avaient tellement insisté qu’elle finit par céder… et je perçus que c’était vraiment à contrecoeur.
En voyant cette porte, c’était comme si un appel impérieux résonnait au plus profond de moi. J’étais mal à l’aise, sentant que l’air se chargeait inexorablement d’une étrange énergie. Un frisson me parcourut brusquement des pieds à la nuque, un peu comme une grande décharge électrique. En massant mon cou pour en atténuer la sensation désagréable de picotement, je savais d’instinct qu’un orage était sur le point de se produire. Et mon intuition avait vu juste, puisque nous n’avions pas réalisé que des nuages lourds d’humidité venaient de s’amonceler au-dessus du château pendant que nous étions occupés par la visite.
Notre guide tira la porte massive et il y eut un appel d’air tellement fort que c’était comme si le passage qui venait d'être dévoilé cherchait à nous attirer. Elle enclencha l’interrupteur et des lumières s’allumèrent le long du couloir, nous montrant un escalier taillé à même la pierre. Pas vraiment rassuré, le petit groupe entama la descente des marches qui conduisaient au sous-sol.
Tandis que nous progressions, j’avais comme l’impression que vous venions subitement d’accéder au côté obscur du château. Non seulement à cause du fait que la lumière du jour ne nous parvenait plus, mais aussi parce qu’une intuition me disait que nous allions certainement regretter d’être venus. Mon regard croisa celui de notre guide qui s’était retourné pour s’assurer que tout le monde était bien là et un lien psychique me fit comprendre qu’elle avait saisi le fond de ma pensée. Une ombre dans ses yeux me glaça le sang dans les veines, car elle semblait me dire que je ne savais pas à quel point j’étais dans le vrai.
*
Une fois que nous sommes arrivés au bas de l’escalier, notre guide nous fit visiter la cave à vin. Il y avait là différents grands crus qui auraient fait le bonheur d’un sommelier digne de ce nom. Cela montrait de toute évidence les goûts raffinés et sûrs du maître de ces lieux en matière de vin. Et notre professeur ne tarissait pas d’éloges sur cette cave. À tel point d’ailleurs qu’on avait eu du mal à l’arracher à cet endroit afin de poursuivre la visite.
Les salles suivantes présentaient bien moins d’intérêt ; je me souvenais particulièrement d’une où étaient entreposés les meubles et tableaux en cours de restauration.
Tandis que les autres allaient çà et là et qu’un groupe discutait avec la guide, je remarquais une toile couverte d’une étoffe tout au fond de la salle. Je m’en approchais. Le textile était partiellement déchiré, et une débordante curiosité me poussait à le retirer pour admirer l’oeuvre qu’il dissimulait. Et c’était ce que j’avais entrepris de faire. Au fur et à mesure que je relevais le tissu lentement, le portrait d’un homme m’apparut. Il était brun, encore jeune puisqu’il paraissait avoir à peine trente ans, et très séduisant. Il semblait ne pas avoir été représenté seul. J’étais alors sur le point de révéler le tableau complètement, mais une voix me fit sursauter.
— Mais, que faites-vous ?
C’était notre guide qui venait de me rejoindre. Stoppée net dans mon élan, j’avais lâché le tissu qui avait de nouveau recouvert le tableau.
— Je… Ben je… À vrai dire, je n’en sais rien, balbutiais-je. Je voulais simplement apercevoir ce que pouvait représenter cette peinture.
La jeune femme lança un regard étrange à l'objet en question avant de me parler.
— Allez, suivez-moi, la visite n’est pas terminée et il y a encore beaucoup à voir.
Acquiesçant, je sortis un peu de ma torpeur et rejoignis le groupe.
Nous retournâmes dans le couloir pour nous diriger vers une porte plus large située au fond. Ce faisant, notre guide nous expliqua que cette partie du château n’avait pas été restaurée depuis des années et que seule l’électricité y avait été installée pour l'éclairage. Au même moment, un grondement de tonnerre phénoménal éclata au-dessus de nous et résonna lugubrement dans le couloir ce qui nous fit tous sursauter. Les lumières s’éteignirent brutalement, et quelques personnes ne purent réprimer un cri.
— Et merde, il ne manquait plus que ça… marmonna notre guide, un brin contrariée.
— Comment on va faire pour voir où nous allons ? demanda une de mes camarades qui était apeurée.
Le professeur avait remarqué des torches tout au long du parcours. Il en trouva quelques-unes à tâtons et en alluma une à l’aide du briquet qu’il avait toujours sur lui. Une fois la lumière revenue, le groupe se calma un peu.
— Que fait-on à présent ? demandai-je à notre guide.
— La foudre a dû tomber sur le château, faisant sauter le disjoncteur. Je dirais qu’on a pour à peine une demi-heure avec ces torches, c’est plus que suffisant pour retourner au rez-de-chaussée.
— On pourrait visiter une dernière salle et puis remonter ? demanda un de mes camarades. Autant qu’on ne soit pas descendus pour rien.
Notre guide était perplexe. Pourtant, je la sentais désireuse de sortir d’ici au plus vite.
Déguerpir aurait été un mot plus approprié en la circonstance.
— C’est vrai qu’on aurait bien un peu de temps pour la salle qui est juste en face, mais je vous préviens tout de suite qu’on ne pourra pas trop s’y attarder. En plus, je déteste cette salle, rajouta-t-elle dans un murmure que je fus la seule à entendre.
Avec les lueurs dansantes des flammes, l’ambiance avait radicalement changé et on se serait presque cru dans un de ces films d’horreur des années 1950 qui m’avaient fichu des trouilles pas possibles quand j’étais toute petite. En fait, tout le monde n’en menait pas large.
Alors que nous franchissions les quelques pas qui nous séparaient de la porte, mes camarades masculins faisaient des plaisanteries douteuses pour tenter de terrifier les filles… Mais je percevais qu’ils étaient certainement plus effrayés qu’elles et qu’ils essayaient, bien petitement, de le dissimuler.
Le professeur d’Histoire de l’Art voulut même dérider un peu notre guide.
— Il faudrait vraiment ouvrir cette partie du château aux visiteurs. Je suis sûr que vous auriez bien plus de clientèle. Après tout, rien de tel qu’une séance d’angoisse pour pimenter la vie de ceux qui manquent de stress.
La jeune femme fut prise d'un rire jaune.
— Ah ouais ? Tordant. C’est malin ça, comme humour ! Je vous rappelle que je ne voulais pas descendre là dedans, moi. Alors, soyez gentils et flippez en silence.
Ce qui mit un terme aux ricanements de tout le reste du groupe.
Tandis que nous marchions, ma tension paraissait avoir grimpé en flèche… sans doute sous l’effet de la peur occasionnée par cette atmosphère oppressante et lugubre.
Au moment où notre guide poussa la lourde porte qui émit ce faisant un grincement épouvantable, je sentis que mon coeur s’était arrêté de battre dans ma poitrine comme un vieux réveil. Au même instant, j’entendis comme un murmure dans ma tête. Je ne savais pas qui c’était, mais c’était la voix d’un homme qui entonnait une mélopée en latin et dont je ne distinguais pas les mots tellement le son était ténu.
Tout à coup, je compris pourquoi j’avais la certitude que j’aurais à regretter d’être revenue jusqu’ici et je ne voulais pas entrer. La peur m’avait comme paralysée malgré moi.
Je m’interrogeai sur le fait que j’avais employé inconsciemment le verbe revenir, alors que c’était bien la première fois de ma vie que je mettais les pieds ici, le reste du groupe voulu entrer dans la pièce totalement obscure.
La lueur des torches révéla à tous le sinistre contenu de cette pièce… qui avait été une salle de torture du temps de l’Inquisition. Il y avait divers instruments horribles et pervers… comme de lourds fauteuils métalliques avec plein de pointes longues et acérées, des cages suspendues au plafond par des chaînes et, parmi d’autres outils barbares, une authentique Vierge de Nuremberg trônait au fond de cet épouvantable endroit. Elle était à moitié ouverte et laissait entrevoir les pointes telles des poignards implacables qui transperçaient leurs victimes, les tuant petit à petit.
— Cette salle des supplices avait été aménagée ici depuis le XVIIe siècle, commenta notre guide visiblement mal à l’aise. On ne compte plus les malheureux qui furent soumis à la torture en ces murs et bons nombre d’entre eux y moururent. Je me souviens que la dernière victime de cette barbarie fut la propre fiancée de l'occupant de ces lieux. Elle avait été accusée de sorcellerie par le châtelain qui voulait, selon les rumeurs, la séparer de son fils qui, rendu fou de chagrin, disparut peu après.
Les membres du groupe furent pris d’un haut-le-coeur général qui leur fit prendre conscience qu’un bon bol d’air frais serait le bienvenu.
Pour ma part, j’avais été tellement tétanisée d’effroi qu’il m’avait fallu quelques instants pour réaliser que j’étais toute seule dans cette pièce, dans les ténèbres. Ma peur avait augmenté encore de plusieurs crans, ce qui m’aida à revenir pour de bon à la réalité. Les autres n’avaient sûrement pas noté qu’il leur manquait quelqu’un et que le plus vite je les rejoindrais, le mieux ce serait. Mais par où étaient-ils partis ? Le couloir était totalement sombre et vide.
*
Là, c’était réussi, j’avais vraiment la trouille ! Je savais d’instinct que la moindre chose curieuse m’aurait fait hurler d’effroi. Il fallait absolument que je trouve mon calme au plus vite et que je ne cède pas à la panique qui venait de s’emparer de moi.
Quelque chose attira mon attention sur la gauche. Il y avait une faible lueur tremblante. Sans doute celle des torches du groupe qui revenait me chercher.
C'est alors que la litanie en latin se fit à nouveau entendre au loin, dans la même direction que les lumières. Un peu rassurée, je me dirigeais donc vers cet éclat, et aussi vers cette voix inconnue, grave empreinte d’une telle sensualité, et qui m’appelait inlassablement. Je me demandais pourquoi elle me semblait si familière.
Pulchram rosam est. Quidemes, O Aeternum, hoc sanctae foedus amororis non solum étiam délicias et hoc non hàbére finis.
D’un pas hésitant, je me dirigeais dans une nouvelle salle dont les portes étaient ouvertes en grand. Je compris que la lueur qui avait attiré mon regard provenait de la myriade de chandelles en cire d’abeille qui répandaient une lumière accompagnée d’un subtil parfum.
Oui, mais par qui avaient-elles été allumées ? me demandai-je, à nouveau apeurée. La guide nous avait pourtant précisé que personne n’était venu ici depuis des siècles.
Après avoir pris une profonde inspiration, je me décidai à entrer.
Quand j’arrivais au centre de la pièce, je ressentis un picotement insistant au niveau de ma nuque. Cela me mit plutôt mal à l’aise, car je savais qu’il y avait sans doute quelqu’un de tapi dans l’obscurité, derrière moi, et qui m’observait en silence. J’avais peur, certes, mais je n’allais pas me laisser impressionner pour autant. Faisant volteface, je me retrouvai en présence d’un homme. D’abord étonnée, je le fixai avec curiosité, car il me semblait l’avoir déjà vu quelque part. Il était debout devant moi, les mains croisées dans son dos, et me regardait en souriant.
L’examinant des pieds à la tête, il était vêtu à la mode du XVIIIe siècle, si je me rappelais bien ce que j’avais pu voir dans mes livres. Avec sobriété mais dégageant tout de même un soupçon d’élégance innée. L'inconnu portait une simple chemise blanche, un gilet brun et un pantalon noir pris dans des bottes en cuir de la même couleur. En comparaison, ma robe de coton grenat à fines bretelles surmontée d’un cache-coeur en dentelle rouge carmin était en total anachronisme. Ses cheveux noirs comme le jais tombaient jusqu’aux épaules et ses yeux, tout aussi sombres, semblaient sonder mon âme apeurée. Il était grand, plutôt bel homme, et émanant un magnétisme animal impossible à ignorer.
Je crus d’abord à une hallucination, mais si cette personne avait pu arriver ici, peut-être qu’elle pourrait être en mesure de me guider jusqu’au rez-de-chaussée où j’espérais retrouver mes camarades. J’étais en proie au doute, déchirée entre deux instincts contradictoires. L’un m’encourageait à aborder le bel inconnu, tandis que l’autre me suppliait de quitter cet endroit au plus vite.
Il dut percevoir mon hésitation et s’avança alors vers moi, mettant ainsi un terme à mon idée qu’il ne puisse être qu’une hallucination. J’avais de plus en plus peur et je ne pouvais bouger.
Il prononça à nouveau la litanie en latin qui m’avait guidée jusqu’ici. C’était donc lui qui la proférait, telle une incantation lancinante.
Pulchram rosam est. Quidemes, O Aeternum, hoc sanctae foedus amororis non solum étiam délicias et hoc non hàbére finis.
Plus il répétait ces mots et plus j’étais captivée par son regard, sombre et insondable, qui m’avait ôté jusqu’à la volonté de fuir.
Il était tout proche de moi… et je ne pouvais pas esquisser le moindre mouvement, comme s’il avait réussi à me figer par l’usage de la voix, au charme envoûtant. Une intonation que je connaissais, que je reconnaissais par-delà le temps sans même m’expliquer pourquoi.
D’un geste doux, il tendit la main vers mon visage et m’effleura la joue, arborant toujours un sourire effronté. Ce simple contact m’électrisa, comme si tous mes sens avaient été soudain tirés d’un très long sommeil. À croire que la réalité avait basculé et volé en éclats.
— J’attends cet instant depuis si longtemps, murmura-t-il.
— Comment ça, vous saviez que j’allais venir ? demandai-je éberluée.
— Oh oui… J’ai traversé des sombres vallées d’éternité et de solitude pour te retrouver.
La douceur de cette main sur mon visage et l’accent profond de sa voix accrurent l’impression grisante qui m’avait envahie.
Il m’entoura de ses bras et me serra contre lui. Non, s’il avait été un fantôme, il n’aurait certainement pas eu une réalité aussi tangible.
— Si seulement tu savais à quel point j’ai été désespéré quand mon père t’a fait accuser. Ça m’avait mis hors de moi ! Il avait juré par écrit devant l’évêque qu’il t’avait surprise à invoquer le démon pour me tuer alors qu’en réalité, tu faisais simplement un cataplasme de plantes pour soulager l’entorse que je m’étais faite en tombant de cheval. Tu étais une innocente, toi enfant de la nature, et tes dons de guérisseuse faisaient merveille autour de toi. Ce monstre t’a faussement accusée et livrée à une mort des plus atroces dans l’unique but de nous séparer à jamais. Mais il a échoué… et tu m’es enfin revenue.
Malgré la brume qui envahissait mon esprit, je réalisais que ce jeune homme n’était autre que celui dont j’avais vu le portrait un peu plus tôt et qu’il me confondait avec sa fiancée qui avait été assassinée par les bourreaux de l’Inquisition. Fascinée, je vivais ma première rencontre surnaturelle avec un fantôme.
Je voulais lui dire qu’il y avait erreur sur la personne, mais aucun son ne parvint à franchir mes lèvres, me laissant encore davantage en son pouvoir impérieux. Et tandis qu’il me tenait enlacée, en gardant l’un de ses bras autour de ma taille, il m’effleura le dos, des reins à la nuque, tout en se penchant vers mon cou. Je humais le parfum suave et légèrement ambré de sa peau. Jamais un homme ne m’avait encore troublée à ce point-là.
— J’en ai voulu comme jamais à mon père d’avoir livré froidement aux bourreaux la seule personne qui avait illuminé ma morne existence et qui m’avait redonné la joie de vivre.
Il continuait à me parler, en murmurant à mon oreille. Mais sa voix, toujours aussi douce et profonde, avait pris comme un accent rauque et sauvage qui renforçait l’ardeur du jeune homme.
— On peut même dire que je l’ai haï à mort d’avoir laissé ces ignobles pervers souiller la pureté de ton corps et de ton âme. Rassuretoi, ma douce, ils l’ont tous payé au centuple. Tu n’imagines pas jusqu’où j’ai pu aller afin d’obtenir le pouvoir d’exercer ma vengeance. Pour toi, j’ai vraiment renoncé à tout. Oui, à tout, et mon père fut ma première victime. J’ai eu un plaisir indicible à le tuer et à voir sa vie le quitter petit à petit.
Je fus prise d’un brusque frisson d’effroi à ces mots, mais l’inconnu avait resserré l’étreinte de ses bras autour de moi.
— Oui, souffla-t-il, j’ai massacré tous ceux qui t’avaient torturée et violée. Ensuite, j’ai longtemps attendu ainsi que tu reviennes à la vie. Que tu sois mienne à nouveau. Tu es enfin là, avec moi, pour toujours cette fois.
Il me releva le menton, m’obligeant à le regarder dans les yeux qui capturèrent mon âme tourmentée.
— Pulchram rosam est. Quidemes, O Aeternum, hoc sanctae foedus amororis non solum étiam délicias et hoc non hàbére finis, murmura-t-il en me caressant le cou un peu rudement.
Quand je tentais de protester et de me dégager, il me reprit contre lui de plus belle et scella mes lèvres d’un baiser brusque et passionné. Tandis qu’il m’embrassait, un exquis vertige s’empara de moi, me faisant perdre tous mes repères. À tel point d’ailleurs que j’avais passé inconsciemment un bras autour de ses épaules pour m’empêcher de chanceler.
Le jeune homme me libéra quelque peu de son emprise. Il caressa mes longs cheveux châtains et les ramena en une seule mèche sur le côté. Puis, il fit glisser sensuellement ses baisers dans mon cou pendant que je reprenais mon souffle tant bien que mal, dans un état second.
— Maintenant que je t’ai retrouvée, ma bien-aimée, il n’est plus question que je laisse qui que ce soit nous séparer de nouveau. Pas même la mort, me dit-il animé d’une volonté farouche.
Il fut pris d’un tressaillement soudain qui me ramena un peu à la réalité. Je n’avais plus peur, mais je me demandai ce que l’inconnu voulait faire de moi par la suite.
C’est alors que mon regard glissa sur le mobilier présent dans cette pièce étrange. Certains d’entre eux étaient couverts de bâches lourdes de poussières et les toiles d’araignées avaient envahi la salle en de nombreux endroits. Parmi tout ce bric-à-brac, un élément du décor attira mon attention pendant que cet homme me gardait emprisonnée dans ses bras et qu’il continuait inlassablement à m’embrasser dans le cou.
Déposé sur un piédestal de marbre se trouvait un élégant cercueil en acajou laqué et sculpté, entouré de deux larges cierges allumés. Celui-ci était ouvert, montrant bien qu’il était vide.
Seigneur, je ne suis pas en train de flirter avec un fantôme, songeais-je aussitôt.
Mon esprit divaguait, totalement à la merci de cet homme. D’un geste audacieux, il avait glissé les doigts au bord de mon cache-coeur et avait entrepris d’en élargir un peu l’échancrure. Il passa ensuite sa main, douce et ferme à la fois, sur ma poitrine avant de continuer à descendre le long de mon corps jusqu’au noeud du fragile habit qu’il dénoua prestement.
D’un geste brusque, je parvins enfin à me libérer de son étreinte. Il me scruta avec un peu de surprise. J’étais encore haletante, consumée tout autant que lui par la même passion dévorante.
Mon compagnon plongea à nouveau son regard enfiévré dans le mien et réalisa que j’avais saisi ce qu’il était à présent. Il me vit écarter le léger tissu de dentelle et faire glisser la bretelle de ma robe, dénudant mon épaule et ma gorge. Il sut alors que non seulement j’avais compris ce qu’il voulait, mais aussi que je l’acceptai sans broncher.
— Non ! s’écria-t-il. Impossible de résister à une invitation si généreuse !
Il fondit sur moi et me serra avec une force incroyable, mais sans me faire mal pour autant, s’assurant ainsi que je ne lui fausserais pas compagnie. Puis, il me lécha voluptueusement le cou avant de poser ses lèvres sur ma peau. Je fermais les yeux, sentant les crocs acérés pénétrer lentement et profondément dans la chair de ma gorge alors qu’un léger bruit de succion confirma la sensation du sang qui s’évacuait de mon corps. Je perdis conscience tout doucement et ne pouvais que m’abandonner à lui. Les ténèbres s’épaississaient de plus en plus et je m’évanouis.
Dans un état de grande faiblesse, j’étais étonnée d’être encore en mesure de rouvrir les yeux. Tout tanguait autour de moi et je compris que j’étais toujours dans cette pièce étrange avec mon non moins insolite compagnon. Il me portait dans ses bras jusqu’au cercueil dans lequel il m’allongea sur le ventre. Je fus prise d’un frisson de panique, mais j’étais trop faible pour opposer la moindre résistance.
— Non, ma douce, tu n’es pas morte, murmura-t-il… mais presque, avait-il rajouté avec malice.
— J’ai peur… soufflai-je
— De la mort ou de la douleur ?
— La douleur.
— Tu n’as rien à craindre. Je ne te ferai jamais mal. Quant à la douleur, elle n’en sera que plus exquise.
Puis, il grimpa d’un bond dans le cercueil et me monta sur le dos avant de me masser la nuque en entonnant la litanie en latin qui me faisait perdre toujours mes moyens.
— C’est une incantation que j’ai écrite spécialement pour toi, pour aider ton âme à me retrouver. Je n’en ai pas encore fini avec toi, ma chérie. Au moins, je vais m’arranger pour que tu aimes ça.
Sur ces mots, il s’allongea sur moi et lécha le mince filet de sang qui coulait sur mon épaule avant de planter ses dents là où il m’avait déjà mordue.
L’obscurité envahit à nouveau mon esprit.
*
— Regardez, ça y est, on dirait qu’elle s’est enfin réveillée, dit une tonalité féminine au-dessus de moi.
— Faudrait que l’un d’entre nous aille chercher un toubib, dit une autre voix.
Plusieurs personnes se mirent à parler en même temps, m’empêchant ainsi de comprendre ce dont il était question, mais aussi des pas précipités.
Si c’était ça le paradis (ou l’enfer, vu que je ne savais pas encore où j’avais fini), j’aurais espéré que ce soit un peu moins bruyant. Mais après que mes yeux se soient accoutumés à la lumière environnante, je compris que je n’étais pas au paradis ni même en enfer, mais simplement étendue sur un sofa dans l’un des salons du château. Il faisait nuit à présent, l’orage continuait à résonner au-dehors et une pluie diluvienne martelait les fenêtres.
Mon pauvre esprit embrumé essaya tant bien que mal de recoller les fragments de souvenirs de ce qui m’était arrivé. Tout à coup, je me rappelais de la foudre qui avait fait sauter les éclairages, des torches qu’on avait allumé, de la chambre des tortures, des chandelles dans la pièce inconnue, puis cette voix qui m’avait guidée jusqu’à cet homme séduisant et étrange qui… Mon Dieu !
Je m’assis vivement et portai la main à ma gorge. Curieusement, il n’y avait rien ; aucune marque ni trace. C’était à n’y rien comprendre. Est-ce que tout ceci n’avait été qu’un mauvais rêve ? J'en gardais toutefois une séquelle puisque mon cou était quand même un peu endolori.
Il fallait à présent que je sache ce qu’il s’était passé pour que je me retrouve ici. Je le demandais alors à une de mes camarades qui était restée près de moi.
— En fait, ce n’est qu’après avoir rejoint le haut de l’escalier qu’on a réalisé que tu n’étais plus avec nous. La guide était trop effrayée pour redescendre au sous-sol, alors elle a chargé un autre employé d’escorter le prof pour te retrouver. D’après ce que j’ai entendu, ils t’auraient aperçue dans une salle non loin de celle avec tous les trucs de barbares. Ça a franchement surpris le type et notre guide puisque tu avais réussi à entrer dans cette pièce qui avait été fermée et que personne n’avait pu ouvrir. Ils ont vu que tu avais perdu connaissance, alors l’autre employé a vérifié ton pouls et il t’a portée jusqu’ici en attendant que tu te réveilles.
C’était donc ça… En fait, tout ceci n’avait jamais eu lieu en fin de compte. Oui, mais des questions restaient tout de même sans réponse. Comment ai-je réussi à entrer dans cette salle qui était verrouillée ? Pourquoi m’étais-je évanouie là-bas ? La douleur que j’avais au cou pouvait avoir été occasionnée par ma chute sur le sol pavé. Mon regard glissa sur mon cache-coeur dont le noeud avait été défait. Je revoyais les gestes de l’homme qui m’avait envoûtée dans ce rêve étrange.
— Qui a fait ça ? demandai-je à la fille restée près de moi.
— Alors ça, j’en sais rien, quand on t’a retrouvée, tes vêtements étaient déjà comme ça.
Puis notre professeur fit sortir tous mes camarades afin de me laisser un peu me reposer. Ce dont je lui fus reconnaissante, car j’étais encore épuisée.
À ce moment-là, la porte du salon se rouvrit et notre guide s’approcha de moi. Visiblement, elle était soulagée qu’il ne me soit rien arrivé de fâcheux et sa sollicitude me toucha beaucoup. En même temps, je me sentais très gênée d’avoir provoqué tant d’histoires pour si peu, bien malgré moi.
— J’espère que vous allez mieux. Sinon, on peut toujours faire venir un médecin.
— Tout va bien à part que j’ai un peu mal à la nuque… mais rien de bien méchant, dis-je embarrassée. J’ai simplement besoin d’un peu de repos.
— Vous voulez peut-être prendre quelque chose ?
Je secouai la tête en signe de dénégation.
— Pourtant, j’ai préparé un cocktail de fruits qui vous aidera à recouvrer vos forces, fit une autre voix.
Cette voix me fit tressaillir. Non, ça ne pouvait pas être lui. Je me tournais pour distinguer l’homme qui venait de nous rejoindre avec un grand verre à la main. La vision de cette personne se superposa avec le souvenir de celle que j’avais cru voir au sous-sol. Je devais avoir l’air complètement paniquée puisque notre guide me regardait avec curiosité et que je ne quittais pas des yeux le nouveau venu.
— Vous... murmurais-je avec effroi. Mais qui êtes-vous ?
— Vous vous connaissez, tous les deux ? s'étonna-t-elle ?
Alors que je ne parvenais pas à articuler le moindre mot, l’inconnu me regarda avec une certaine confusion et fit signe que non.
— Je vous présente mon cousin William, reprit la jeune femme. C’est lui qui est parti à votre recherche et qui vous a ramenée jusqu’ici. On dirait que ça t’amuse de flanquer la trouille à nos visiteurs, hein Will ? fit-elle en grondant gentiment son cousin qui semblait être un peu perdu.
La ressemblance avec le bel inconnu était tout simplement hallucinante. Le dénommé William, contrairement à celui qui m’avait ensorcelée, n’avait rien d’une apparition surgie d’un lointain passé, mais bien du nôtre. Il était vêtu d’un polo à manches courtes, de jeans, et ses cheveux mi-longs noirs étaient retenus en arrière sur la nuque. Puis, je regardais avec méfiance le verre qu’il tenait. Le liquide qu’il contenait était d’un rouge presque grenat qui évoquait plus une rasade de sang frais qu'autre chose.
Ma suspicion ne sembla pas lui avoir échappé.
— Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?
— Oh, c’est une recette maison… Bref, c’est top secret, dit-il en souriant. Mais je peux vous dire qu’il y a non seulement du jus d’orange, un peu de citron et tout un savoureux mélange d’ananas, de fraises, de raisin et de framboises, fit-il en m’adressant un clin d’oeil taquin. La couleur est due aux fruits rouges et au sirop de grenadine que j’ai rajouté. Buvez… ça vous fera du bien, dit-il d’un ton encourageant.
Je me sentais un peu embarrassée de me conduire ainsi devant une personne aussi prévenante à mon égard. Je pris le verre, avec les mains tremblantes. Il m’aida alors à guider mes gestes, avec une grande douceur. La boisson était fraîche, revigorante, et si délicieuse que je la bus lentement jusqu’à la dernière goutte sous les yeux ravis de notre accompagnatrice qui s’adressa à son cousin en souriant.
— Je crois que tu as une nouvelle adepte de tes savoureux cocktails de fruits.
En quelques instants, j’avais assez recouvré mes forces pour rejoindre le car qui nous avait conduits jusqu’ici et entamer le trajet du retour vers la région parisienne. Les élèves se rendirent dans le véhicule tandis que notre guide s’entretenait encore avec l’enseignant. Je m’apprêtais à partir moi aussi quand je sentis une main se poser sur mon épaule, me faisant sursauter. C’était William qui semblait vouloir me parler seul à seule.
— Je suis vraiment désolé de ce qui s’est produit aujourd’hui dans les sous-sols du château. C’est bien la première fois que ce genre d’incident arrive.
J’esquissais un sourire rassurant, balayant ainsi des excuses qui n’avaient pas lieu d’être.
— Vous n’avez pas à vous faire pardonner, ce n’est la faute de personne. Au contraire, c’est moi qui devrais vous remercier d’être parti à ma recherche, de m’avoir portée jusqu’au rez-de-chaussée et d’avoir pris soin de moi, votre cousine et vous.
— Elle m’a dit que vous étiez tombée en admiration pour un des tableaux dans les sous-sols. Ils ont été restaurés, mais comme ils ne seront jamais plus exposés dans le château, nous avons reçu la permission d’en disposer comme bon nous semblait. Alors, comme cette toile n’a pas beaucoup de valeur marchande, je me suis dit que ça vous ferait peut-être plaisir de la garder.
Il me tendit un sac contenant quelque chose de soigneusement empaqueté.
— Mais, je ne peux pas accepter !
— Si vous le pouvez, dit-il en me mettant l'objet entre les mains. La seule chose que je vous demande, c’est de ne pas l’ouvrir avant que vous ne soyez rentrée chez vous. Ça vous évitera d’avoir à répondre à la multitude de questions qu’on ne manquerait pas de vous poser. D’accord ?
Je hochais doucement la tête pour lui dire que j’avais bien compris. Il me regardait droit dans les yeux et je ne pouvais plus échapper à ces yeux aussi profonds qu’une nuit sans lune.
— Eh oh la miss ! Tu es encore à la traîne ! s’était exclamé joyeusement mon professeur d’Histoire de l’Art.
Revenant tout à coup au moment présent, je pris congé de cet homme qui m’effleura doucement la main tandis que je rejoignis l’enseignant qui s’impatientait un peu à la grande porte du château.
Le trajet du retour se fit tranquillement, du moins pour moi. J’observais continuellement par la fenêtre, sans pour autant discerner quoi que ce soit. Non seulement à cause de la pluie, mais surtout parce que la nuit limitait grandement la visibilité. Mais non, mon esprit avait été capturé par un homme étrange au regard aussi profond et insondable que cette nuit. Je ne voyais rien d’autre que ses yeux, empreints de douceur et de tristesse, qui avaient dévoré mon âme.
*
Tout bien réfléchi, je n’ai jamais trop su comment j’étais rentrée chez moi. Cela avait été trop machinal et routinier pour que je puisse y avoir attaché une quelconque importance. Après avoir suspendu ma veste trempée au-dessus d’un radiateur et mis mon parapluie à sécher, je m’installais sur le canapé du salon afin de déballer le paquet qui m’avait été si généreusement offert. Cette fois-ci, ce n’était pas un vieux tissu déchiré par le temps qui recouvrait le tableau. Il était enveloppé dans une étoffe d’un blanc immaculé. Mes mains tremblèrent un peu d’excitation, car j’allais enfin voir l’oeuvre dans son intégralité. Ce que je n’avais pas pu faire durant la visite du château.
Pulchram rosam est. Quidemes, O Aeternum, hoc sanctae foedus amororis non solum étiam délicias et hoc non hàbére finis.
À peine, j’avais posé mes yeux sur le tableau ainsi révélé que ces mots résonnèrent à nouveau dans mon esprit tourmenté et que mon coeur battait violemment dans ma poitrine. Car j’avais devant moi le portrait de l’homme que j’avais vu dans les sous-sols. Impossible de se tromper ; la tenue vestimentaire, les cheveux longs et surtout les yeux, en tous points semblables, et qui étreignaient douloureusement mon coeur.
Mon regard glissa ensuite sur la droite, sur le portrait de la jeune femme qui avait été représentée à côté de lui. La litanie en latin résonnait sans discontinuer dans ma tête tandis que j’entendais à nouveau cet homme murmurer à mon oreille : « J’attends cet instant depuis si longtemps, tu sais… J’ai traversé des sombres vallées d’éternité et de solitude pour te retrouver… Il n’est plus question que je laisse qui que ce soit nous séparer de nouveau… pas même la mort… »
Je ne m’étais pas rendu compte que j’avais glissé dans une sorte de transe. Mes mains laissèrent échapper le tableau qui tomba sur le tapis dans un bruit étouffé. Je n’entendais plus rien d’autre que cette litanie qui m’appelait. Le regard vide et perdu dans le lointain, je me relevais, me dirigeant vers la porte-fenêtre du salon, vers le balcon qui culminait au neuvième étage.
L’orage s’était dissipé entre temps, et les nuages s’étaient dispersés, laissant entrevoir la lueur laiteuse de la pleine lune. D’un geste lent, j’écartais les rideaux et aperçus une silhouette debout sur la rambarde du balcon. Il y avait quelqu’un, et je savais déjà de qui il s’agissait.
Enveloppé d’une cape noire agitée par le vent, c’était bien lui… J’ouvris en grand la fenêtre. Il se pencha vers moi et me tendit la main pour que je vienne le rejoindre. Docilement, je lui donnais la mienne, et fis un bond tandis qu’il me guidait doucement à lui, dans ses bras.
D’ordinaire, je ne me serais jamais juchée ainsi en équilibre aussi instable sur la balustrade au-dessus du vide. Sans compter que j’étais sujette au vertige, et que l’équilibrisme n’avait jamais été mon fort, mais tout était différent maintenant. Affranchie du fardeau de mes frayeurs, plus rien d’autre ne comptait à mes yeux que la félicité d’être de nouveau aux côtés de mon énigmatique compagnon. Blottie tout contre lui, bercée par sa voix, je n’avais plus peur de rien désormais.
Il sourit et m’embrassa avec une infinie tendresse. Puis, il bascula dans le vide, m’entraînant avec lui. Alors que nous tombions tous les deux, plus rien n’avait d’importance. Je lui rendis son baiser et nos deux silhouettes enlacées s’évaporèrent, telle la brume dans le vent.
Dans le salon, les rayons bleutés de la pleine lune s’étaient posés sur le tableau qui était resté sur le sol. Il représentait cet homme mystérieux accompagné de sa fiancée. Elle avait de longs cheveux châtain foncé et les yeux bruns nuancés de vert. Elle portait une simple robe claire avec de légers imprimés fleuris.
Une femme qui me ressemblait en tous points.
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À l’origine, cette histoire n’était qu’un petit délire doublé d’un challenge. En 2006, je rédigeais des articles pour un forum ésotérique ; des critiques de livres, des interviews d’auteurs, ainsi que des textes informatifs sur différents sujets. C’est à la suite de circonstances amusantes que j’ai eu envie d’écrire une nouvelle. Non seulement pour le plaisir de tenter l’expérience, mais sans doute plus pour avoir l’avis des membres du site sur ma capacité à mener une intrigue. Voilà comment cette histoire a vu le jour.
Ceci a été sûrement ma première oeuvre dans un genre vampiresque, qui a depuis fleuri comme des pâquerettes dans les librairies. Ici, vous avez une version corrigée, mais assez fidèle malgré tout à la mouture originelle… maladroite comme pas deux et truffée de fautes. La honte…
Plus récemment, une réécriture complète à été lancée et le résultat a dépassé mes espérances les plus folles. Le texte a pris une telle ampleur que c’est presque devenu un roman à part entière.
Cette histoire s’intitule désormais Souvenirs à Fleur de Peau et ferait passer celle-ci pour une amourette très fleur bleue.
La première fois que Damien entendit parler de la grève de la SNCF qui avait lieu le jour même, c’était dans le bus qui devait le conduire à son boulot. Bref, un peu tard pour s’organiser en conséquence. Le jeune homme pesta et se reprocha un bon moment de n’avoir pas écouté les informations au lieu de jouer en ligne avec des copains durant une grande partie de la nuit. Il ne lui restait plus qu’à téléphoner à son travail afin de prévenir un retard qui était devenu inéluctable.
Depuis le temps qu’il habitait en Seine-Saint-Denis, il était habitué aux caprices liés aux transports en commun. Quand ce n’étaient pas les grèves, il fallait compter avec les trains différés -au mieuxvoire même carrément supprimés sans préavis -au pire- ainsi que des accidents en tous genres. Et même s’il avait été informé tardivement, il savait à peu près à quoi il devrait s’attendre en arrivant à la gare pour prendre le RER B. Une ligne qu’il s’était amusé à surnommer le RER Bétaillère, car il lui semblait que les bestiaux étaient sûrement mieux lotis qu’eux.
Quand le bus déversa l’une de ses cargaisons matinales de passagers, Damien vit immédiatement les quais bondés. Il comprit qu’il serait effectivement en retard et pas qu’un peu. C’était bien simple, il ne restait plus un seul mètre carré de bitume qui n’était pas occupé par des souliers. La bousculade promettait déjà d’être mouvementée à l’arrivée du prochain train. D’ailleurs, celui-ci mit plus d’une demi-heure pour arriver. Pendant ce laps de temps, le jeune homme avait réussi à téléphoner à son boulot pour prévenir. Il avait été embauché comme serveur dans une brasserie du quartier proche des Jardins du Luxembourg, non loin de la station du RER, ce qui rendait ses trajets plus directs. Le plus souvent, il travaillait pour les deux services, celui du midi et du soir. Il n’aimait pas trop ce boulot, mais c’était mieux qu'un temps complet au chômage.
Comme il fallait s’y attendre, la rame était déjà bondée alors qu’il y aurait encore toutes les stations du parcours avant d’arriver à la Gare du Nord, le terminus. Damien s’était d’ailleurs toujours demandé où pouvait être la nécessité que les trains soient omnibus en temps de grève. Non seulement les gens ne pouvaient pas monter, mais ceux qui étaient déjà dedans se retrouvaient tellement serrés qu’en comparaison des sardines en boîte jouissaient d’un espace vital bien plus vaste.
Le visage plaqué contre la vitre d’une des portes, le jeune homme fit son trajet, littéralement écrasé par un type qui avait cru bon de s'encombrer une énorme valise. Il ne fut pas fâché de pouvoir sortir de là ou plutôt de suivre le mouvement les pieds à quelques centimètres du sol, emporté par la foule comme le chantait Édith Piaf, lorsque tout le monde descendit en une seule masse humaine compacte sur le quai.
Pour couronner le tout, Paris était enfoui sous un brouillard épais et opaque. À tel point qu’il devenait difficile de retrouver son chemin.
Comme il s’y attendait un peu, Damien arriva en retard à son travail et devrait sans doute faire des heures supplémentaires pour faire bon poids.
Durant le service de midi, bon nombre de clients étaient de mauvais poil, voire même carrément exécrables. Par conséquent, le moindre retard était marqué par des vociférations impatientes. Ce qui tendait à confirmer pour le jeune homme que l’organe qui contrôlait réellement les humeurs humaines était l’estomac. Les gens pouvaient avoir des réactions tout à fait stupides s’ils avaient le ventre vide.
Il n’eut pas le loisir de pousser plus loin ses observations. Lui et ses collègues devaient encaisser une double ration de stress dont ils se seraient fort bien passés. Non seulement à cause de celui imposé par les clients, mais aussi par le patron qui insistait pour accélérer une cadence qui était déjà infernale.
À quinze heures, Damien quitta avec soulagement la brasserie, complètement fourbu. Il devait reprendre le travail d’ici trois heures pour assurer le service du soir. Et vu comment s’était déroulé celui du déjeuner, il appréhendait un peu pour la suite de la journée. Il sortit donc dans la rue et constata que la chape de brume qui s’était abattue sur la ville n’était toujours pas dissipée à cette heure.
D’habitude, il passait ces heures de libre dans les cybercafés du coin. Soit pour clavarder avec ses amis qui étaient en ligne, soit pour se défouler les nerfs avec les jeux en réseaux. Mais pas aujourd’hui.
Sans s’en rendre compte, Damien longea un bistrot et continua à marcher encore quelques minutes avant de réaliser qu’il était dans une rue qui lui était totalement inconnue. Pendant un instant, il se demanda même comment il était parvenu jusque là. Il était désorienté dans ce quartier et ne savait plus en repartir.
Le jeune homme remonta d’un geste la bretelle du sac à dos suspendu à son épaule et se dirigea vers la boutique la plus proche. Il espérait y rencontrer quelqu’un qui puisse l’aider à retrouver son chemin à travers cet océan de brumes.
Du reste, Damien n’avait jamais vu un tel magasin auparavant. Auréolé d’un soupçon de mystère, il semblait hors du temps. En tout cas, en total anachronisme avec les enseignes modernes environnantes. Intrigué, Damien s’approcha de la vitrine pour mieux en discerner les détails. Celle-ci était essentiellement composée de bois verni. Des décorations du même matériau esquissaient de magnifiques arabesques et volutes évoquant la nature tout autour de la devanture et de la porte d’entrée. Des éléments d’ornementations typiques de l’Art nouveau que Damien avait reconnus sur-le-champ. L’enseigne finit par confirmer cette intuition. Façonnée en une élégante mosaïque de faïence aux lettres vert sombre sur blanc, elle aurait très bien pu avoir été conçue par Mucha en personne.
Non sans une certaine stupéfaction, le jeune homme réalisa surtout que si cette boutique était bien d’époque, elle daterait au moins du début du XXe siècle. Ce qui ne fit qu’accentuer la sensation étrange et mystérieuse de cet endroit.
Arrivé devant la porte, il actionna la poignée et entra. Un tintement léger d’une clochette brisa le silence.
Tout comme la devanture, l’intérieur de cette officine était constitué de bois. Aussi bien le plancher, les étagères que le comptoir, les meubles aux innombrables tiroirs ou encore le pourtour des cadres qui ornaient des illustrations botaniques. L’air embaumait un mélange de cire d’abeille et de plantes. Un parfum assez caractéristique des plus anciennes herboristeries de la Capitale.
— Sois le bienvenu, Damien. Je t’attendais.
La douce voix qui venait de se manifester ainsi fit sursauter le garçon qui se demandait d’où elle pouvait bien provenir.
— Il ne faut pas avoir peur, je suis ici.
Une dame âgée d’au moins soixante-dix ans sortit de derrière un rideau de perles en bois qui semblait dissimuler l’accès à l’arrièreboutique. Son épaisse chevelure blanche était bouclée, avec des reflets argentés. Des lunettes rondes étaient perchées sur son petit nez retroussé. Ses yeux étaient bruns et pétillants de malice. Tout en elle exhalait la bonté et la bonne humeur.
Comme le nouveau venu ne semblait pas avoir retrouvé l’usage de la parole, la brave femme eut une moue amusée.
— Ça t’en bouche un coin que je puisse savoir comment tu t’appelles et que tu allais venir, alors que tu n’étais jamais venu en ces lieux. Est-ce que j’ai vu juste ?
— Euh… oui, finit par articuler Damien. J'ignorais même qu’un tel endroit pouvait exister.
— En fait, Daminou, voilà bien longtemps que je te connais. Tout comme je savais que nous étions destinés à nous revoir. Alors, je t’ai attendu patiemment pendant des années.
Venant de cette inconnue, l’appellation familière qu’elle avait employée étonna Damien, car ce surnom n’était utilisé que dans le cadre très restreint de sa famille. Par contre, la vieille dame ne s’en formalisait par davantage. Elle était en train de disposer deux tasses de thé accompagnées d’une assiette de biscuits sablés sur le comptoir principal, non loin d’une ancienne balance à plateaux en cuivre.
— Allez, ne reste pas planté là, dit-elle. Depuis tout ce temps que je t’attends, je crois que tu peux m’accorder le plaisir de partager une tasse de thé, n’est-ce pas ?