L'Ampleur de nos Destins - Lise-Marie Lecompte - E-Book

L'Ampleur de nos Destins E-Book

Lise-Marie Lecompte

0,0

Beschreibung

Au palais du royaume d'Ethundae, l'arrivée de Will Bladewell en tant que nouveau garde personnel du prince Ezra Thorne crée d'autant plus la surprise à la Cour qu'il s'agit... d'une femme. Willemina aura d'abord du mal accepter auprès d'un jeune homme au caractère bien trempé qui n'entend pas céder aux contraintes imposées par son père, et de son maître d'armes. Pourtant, bien malgré eux, des liens vont se tisser entre Will et Ezra. Ils savent pourtant que leurs naissances respectives rendent tout attachement impossible entre un héritier du royaume et une simple roturière, mais leurs sentiments vont bien au-delà de ces considérations. Ezra et Will vont non seulement devoir apprendre à s'accepter, mais aussi faire face aux complots qui se profilent, jusqu'aux plus hautes sphères de la monarchie. L'ampleur de leurs destins va-t-elle renforcer les sentiments qui se tissent entre la farouche combattante et le prince ou, au contraire, les déchirer ?

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 350

Veröffentlichungsjahr: 2024

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



DE LA MÊME ÉCRIVAINE

ESSAIS ÉSOTÉRIQUES

Encyclopédie des Plantes et des Pierres Magiques et Thérapeutiques, Éd. Trajectoire, 2011

Les Quatre Éléments de la Magie Naturelle, Éd. Trajectoire, 2012

Les Pierres et Cristaux Magiques, Éd. Grancher, 2014

Le Coffret des Pouvoirs Magiques des Pierres, Éd. Trajectoire, 2015

ROMANS

Draconia 1 : Sous le Sceau du Dragon, Éd. Édilivre.com, 2011 ; Éd. Valentina, 2014 ; autoédition, 2016

Draconia 2 : Le Glaive de la Liberté, autoédition, 2017

Errances, autoédition, 2019

Draconia 3 : Entre Ombre & Ténèbres, autoédition, 2020

L’Ampleur de nos Destins, autoédition, 2023

NOUVELLES

Kaléidoscope, (recueil) autoédition, 2021

Souvenirs à Fleur de Peau, (novella) autoédition, 2021

Le Tombeau des Illusions, (ebook) autoédition, 2023

CE ROMAN EST ÉGALEMENT DISPONIBLE EN FORMAT NUMÉRIQUE

♫ INSPIRATIONS MUSICALES

Au cas où vous souhaiteriez nimber ces mots d’une émotion supplémentaire incitant au lâcher-prise, essayez donc les musiques qui m’ont accompagnée pendant la rédaction de cette histoire.

Bandes originales de films :

The Last of the Mohicans, de Trevor Jones & Randy Edelman

Pirates of the Caribbean, de Hans Zimmer : Dead Man’s Chest et At World’s End

Two Steps From Hell :

Blackheart ; Broken Dream ; Eternal Sorrow ; His Brightest Star was You ; Men of Honor ; Last One Standing

The Corrs :

Rebel Heart ; Old Hag ; Silver Strand ; Haste to the Wedding

Loreena McKennitt :

Prologue ; Ancient Pines

À tous les camarades de plume qui ont, de par le monde, relevé le défi abracadabrant du NaNoWriMo. Soyez-en fiers !

Sommaire

PROLOGUE

CHAPITRE PREMIER

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

CHAPITRE 18

CHAPITRE 19

CHAPITRE 20

CHAPITRE 21

CHAPITRE 22

CHAPITRE 23

CHAPITRE 24

CHAPITRE 25

CHAPITRE 26

ÉPILOGUE

GÉNÉRIQUE DE FIN

POSTFACE KESAKO, LE NANOWRIMO ?

À PROPOS DE L’AUTRICE

PROLOGUE

C’était jour de fête au village, et l’ensemble de la population s’était mise à l’œuvre pour décorer les rues et les venelles de fanions multicolores. Par endroits, les festivités semblaient même avoir pris un peu d’avance, à en croire les quelques musiciens qui avaient entonné des mélodies légères au tempo entraînant. De délicieuses odeurs s’échappaient dans l’air, donnant faim aux passants qui eurent le malheur d’en humer les fragrances gourmandes. La joie dansait déjà dans les cœurs des femmes, des hommes aussi bien que des enfants qui s’égaillaient çà et là. Certains faisaient tantôt des farandoles ou dessinaient des fresques colorées sur les pavés des ruelles sous le regard amusé des gens qui les entouraient.

Une heureuse rumeur résonnait par delà même les environs du village, puisque l’écho des sarabandes qui étaient jouées pouvait atteindre une femme qui se tenait sur la rive d’un grand lac voisin. Sa solitude contrastait, pour le moins, avec l’ambiance festive qui lui parvenait, portée par la brise qui agitait quelques mèches de sa chevelure sombre. Son regard ne fixait rien de particulier. Pourtant, quiconque l’aurait vue à cet instant précis aurait pu jurer qu’elle semblait embrasser l’ensemble du paysage qui s’offrait ainsi à elle.

Tranquillement assise sur la souche d’un arbre qui lui faisait office de siège, la femme s’amusa de voir un enfant courir vers elle. Âgé d’à peu près huit ans, le petit Mathis s’ouvrit d’un large sourire alors qu’il se jetait dans les bras de celle qui l'attendait. Il semblait essoufflé suite à sa cavalcade depuis la demeure familiale.

— Ma tante ! Pourquoi ne venez-vous pas pour vous amuser ?

— Mathis, nous avons encore tout le temps que nous voulons. La fête ne commencera vraiment qu’après la tombée de la nuit.

— Mais alors, pourquoi restez-vous ici, toute seule ?

La jeune femme esquissa un sourire en contemplant la frimousse interrogative de son neveu. Elle avait toujours apprécié la franche sincérité qui le caractérisait. Ce qui faisait qu’elle l’aimait comme s’il avait été son fils.

— J’avais besoin d’un peu de tranquillité avant de rejoindre la fête. Je n’ai jamais vraiment été à l’aise quand il y a beaucoup de monde, voilà tout. Et puis, regarde un peu autour de toi. N’est-ce pas un endroit magnifique et paisible ?

Mathis observa un instant la nature environnante, et se laissa peu à peu gagner par la sérénité qui y régnait. La douce lumière de cette fin d’après-midi filtrait à travers les arbres dont le feuillage dense chantait en écho avec le vent qui jouait dans les branchages. L’étendue du lac était même si vaste qu’à l’horizon, il arrivait que l’on ne sache plus à quel endroit commençait la terre et où finissait le ciel. La surface tranquille scintillait d’une myriade d’étincelles, tandis qu’un subtil ressac se faisait entendre sur la rive, à quelques pas à peine des deux seuls témoins de ce tableau frais et estival.

L’enfant s’était blotti contre la robe lavande de sa parente.

— Avoue que l’on est bien ici, Mathis.

— C’est vrai, mais je m’ennuie un peu.

À la plus grande surprise de ce dernier, celle-ci le dévisagea un instant avant de partir d’un rire franc.

— Très bien, tu as gagné, espèce de tête de linotte ! Que voudrais-tu faire ? Je te préviens, tu ne risques pas de réussir à me faire revenir de suite au village.

Mathis porta un index sur ses lèvres, tout en arborant une expression pensive comme seuls les enfants en ont le secret. Tout à coup, son regard sombre s’illumina d’une lueur comme s’il avait trouvé une bonne idée de divertissement.

— Racontez-moi une histoire, s’il vous plaît.

La jeune femme ouvrit des yeux étonnés.

— Je voudrais bien, mais je n’ai pas ton livre préféré de contes avec moi. Il faudrait que nous retournions à la maison. Et puis, dois-je te rappeler que tu as toujours tendance à t’endormir avant que je n’aie fini de lire ?

— Cette fois, promis, j’écouterai jusqu’à la fin ! l’implora-t-il.

— Il n’en reste pas moins que je n’ai pas de livre.

— Vous pourriez inventer une histoire, rien que pour moi.

Tu es un malin, toi ! songea la jeune femme en lui lançant un regard attendri.

Encore un bref instant, et il ne lui resterait plus qu’à capituler. Le petit Mathis le savait très bien lui aussi, conscient qu’il était de son pouvoir de persuasion sur sa tante favorite. D’ailleurs, il voulait toujours que ce soit elle qui lui raconte une histoire le soir, et il reconnaissait volontiers piquer du nez avant qu’elle n’ait fini le conte dont elle lui faisait la lecture.

— Alors… Que pourrais-je choisir ? Une qui fait peur ?

— Non ! Je pourrais avoir de mauvais rêves.

— Bon, d’accord. Laisse-moi quelques petits instants pour réfléchir, tu veux bien ?

L’enfant acquiesça, trop content d’avoir obtenu gain de cause. Il se redressa et vint s’asseoir sur l’herbe, à côté de sa tante, les mains sur ses genoux. Il contemplait la jeune femme dont le regard se perdit au loin.

Tout autour d’eux, la mélodie de la nature se mêlait aux brides à peine perceptibles d’une musique enjouée en provenance du village voisin. Malgré les intonations joyeuses de ces airs enjoués, l’expression de cette femme devint alors un peu plus sérieuse. Elle poussa un soupir nostalgique et, après encore un bref regard à l’horizon, elle se tourna vers Mathis, qui était resté tranquille pendant à peu près cinq minutes, sans s’impatienter. Ce qui ne constituait rien de moins qu’un exploit remarquable, compte tenu de l’agitation perpétuelle qui l’animait.

— Dis-moi, Mathis. Connais-tu les contrées qui entourent celle où nous vivons ?

— Ici, c’est Critano, commença-t-il à énumérer en comptant sur ses doigts. Ensuite, je sais qu’il y a Malluanius en haut. Et il y a aussi un autre pays dont je n’arrive jamais à dire le nom, tellement c’est compliqué à se rappeler.

— C’est Ethundæ, qui est à l’Ouest par rapport à nos contrées.

— Et pourquoi me demandes-tu tout cela ? Le maître nous parle déjà de cela en classe, tu sais.

La moue un peu boudeuse de Mathis était assez éloquente pour exprimer son mécontentement de se voir rappeler quelque chose qu’il n’aimait pas beaucoup, comme rester assis entre quatre murs pour suivre des leçons rébarbatives. Cela amusa quelque peu la jeune femme qui entreprit de lui expliquer.

— L’histoire que je veux te raconter se passe dans le royaume voisin d’Ethundæ. C’est un assez petit territoire, comparé aux deux autres, où vivait un roi devenu veuf depuis le décès prématuré de son épouse, alors que leur fils unique n’était qu’un enfant d'à peu près le même âge que toi, dit-elle en tapotant le nez de Mathis du bout du doigt, ce qui le fit rire. Puis, les années passèrent, et le prince grandit pour devenir un jeune homme. Suite à un attentat auquel il ne réchappa que de justesse, il fut décidé qu’un garde rapproché serait alors attribué à sa protection.

L’histoire commença donc avec l’arrivée du nouveau garde du corps. Il était sur le point de faire son entrée dans la salle du trône, en présence du roi Pryam Thorne, de son fils Ezra, et des principaux conseillers curiaux. Bien sûr, à ce moment-là, personne n’aurait été en mesure de prévoir ce qui allait se produire au moment où ladite personne allait franchir la porte, et faire son apparition.

Là où cette assemblée s’attendait à voir quelqu’un de précis, un autre nom fut alors annoncé, à la plus grande surprise générale.

Il s’agissait de Will Bladewell.

CHAPITRE PREMIER

Dans la salle du trône, deux élégants sièges avaient été érigés afin que le roi et le prince puissent s’y tenir tous les deux. Ce dernier savait qu’il s’agissait en réalité de la place qui avait été celle réservée à sa mère la reine, et cela lui provoquait toujours un pincement au cœur, malgré les années qui s’étaient écoulées depuis son décès. Il observa son père à la dérobée. Il avait une ample chevelure poivre et sel, sa barbe était taillée au plus près de son visage lui donnait un air sévère, et ses iris d’un bleu clair comme de la glace. L’homme était aussi impressionnant pour lui qu’il devait l’être aux yeux de ses propres sujets. En comparaison, le prince Ezra était très différent de son père puisqu’il avait les cheveux d’un roux foncé et les iris d’un vert sombre. Le roi Pryam avait déjà plusieurs fois fait remarquer à son fils qu’il tenait plus de sa mère, sur bien des points, même si il avait hérité de ses yeux et surtout d’un tempérament assez similaire au sien. Normal, puisqu’en grandissant, il s’était évertué à ressembler à son père, cherchant toujours son approbation.

Pourtant, on pouvait dire que l’ambiance avait quelque chose d’assez solennel. Il était prévu que le garde du corps personnel du prince se présenterait dans quelques instants. Les conseillers du roi furent invités à faire sa connaissance, dès que celui-ci passerait la lourde porte à double battant.

Déjà, le maître d’armes attitré du château, Wilhem Dryden, se tenait non loin du dais et des quelques marches permettant d’accéder au trône. L’homme était âgé d’à peu près une quarantaine d’années et affichait une silhouette à la fois svelte et musclée. Ses épaules larges en disaient long sur sa capacité tant à encaisser qu’à porter des coups violents. Pour le moment, il attendait tant bien que mal que l’homme qu’il avait expressément formé se décide à faire son entrée. Manifester ouvertement son agitation aurait été très mal venu en présence du souverain. Aussi, se contenta-t-il de prendre son mal en patience. Enfin, avec plus de mal que de patience, à en croire l’expression de son visage.

Quelques coups furent frappés à la hâte, et un garde fit son apparition. Après avoir salué le roi, il se tourna vers Wilhem qui vint à sa rencontre. Ce dernier souffla quelques mots au maître d’armes qui ne parvint pas à contenir une exclamation de surprise avant de se rattraper. Il eut du mal à retrouver un semblant d’impassibilité, mais nul ne pouvait douter qu’il venait de recevoir une nouvelle qui ne le réjouissait pas particulièrement. Les deux hommes échangèrent quelques mots, comme si le garde demandait une autorisation qui finit par lui être accordée. Il s’empressa de quitter la salle, non sans avoir à nouveau salué le monarque, comme l’exigeait le protocole.

Un lourd silence s’abattit alors. Si Wilhem Dryden était préoccupé, les autres conseillers du roi ne cachaient pas leur fébrilité à l’idée de savoir ce qui pouvait bien se tramer. Hormis pour le plus âgé d’entre eux qui s’était endormi. La curiosité aiguillonnait Ezra Thorne, même s’il arrivait mieux à dissimuler les expressions de son visage aux autres. Une technique constatée sur son père qui parvenait à ne rien montrer de ses pensées et laissait paraître une froide impassibilité. Le prince avait appris à se parer d'un masque de nature similaire avec tout autant de talent. Malgré tout, un observateur aguerri n’aurait pas manqué de remarquer la petite lueur d’intérêt qui s'était manifestée dans le vert profond de ses yeux. Quelque part, sans trop savoir pourquoi, il sentait que l’organisation bien orchestrée de cette présentation venait de prendre une tournure inattendue, et cela l’amusait au plus haut point.

Le maître d’armes pivota vers le roi afin de lui expliquer les évènements récents.

— Votre Majesté, veuillez pardonner ce contretemps, mais il semblerait qu’il y ait eu quelques imprévus concernant l’arrivée du garde attitré au prince héritier.

— Vous m’aviez dit qu’il s’agissait de votre meilleure recrue : Spencer Knyvett.

— Oui, Excellence. Il a remporté, sans réelle difficulté, les duels auxquels il a dû faire face pour sa sélection. Malheureusement, je viens d’apprendre qu’il y avait eu du nouveau, et qu’un opposant aurait réussi à vaincre Spencer. Ce qui fait que nous avons donc un autre soldat pour ce poste. Quelqu’un d’inconnu dans les rangs des gardes royaux.

— Voilà qui est assez extraordinaire, il est vrai, dit le roi. Cet individu est-il au faîte de sa situation peu commune ?

— Il faut croire que oui. Accepteriez-vous de le rencontrer sans attendre ? S’il s’avère que cela ne vous convient pas, nous pourrons le congédier pour en revenir à ce qui était prévu auparavant.

— En effet, ce serait une bonne idée. Faites-le donc entrer.

Après une petite courbette, le maître d’armes se dirigea vers la porte où le garde avait fait une timide réapparition. Celui-ci annonça :

— Votre Majesté, voici la personne qui a su remporter le duel décisif le désignant comme apte à devenir le protecteur du prince. Voici Will Bladewell.

Déjà, un murmure s’empara des conseillers, de même que pour Dryden qui ne pouvait pas manquer de reconnaître ce nom, synonyme d’une certaine notoriété. Qui que soit cette personne, elle arrivait avec un patronyme dont la réputation n’était plus à faire. Ce fut donc avec une curiosité de plus en plus vive que l’assemblée attendit que le nouveau venu se présente enfin à eux.

Une silhouette fine se dessina avant de faire son apparition aux yeux de tous, et ce fut la surprise totale.

Il s’agissait d’une jeune femme.

— Mais de quelle déplaisante plaisanterie s’agit-il ? s’exclama l’un des conseillers. Pardonnez-moi, Votre Majesté, mais nous n’avons que faire d’un soldat qui se ferait précéder d’une quelconque assistante, aussi avenante soit-elle.

Loin de s’offusquer de cette tirade quelque peu misogyne, le roi ne dit rien, même si sa surprise était manifeste.

Le garde s’adressa alors à la nouvelle arrivante.

— En fait, Mademoiselle, il doit y avoir une erreur…

— Sûrement pas, énonça-t-elle d’une voix claire. Vous avez pourtant annoncé mon nom. Maintenant, je peux très bien repartir et poursuivre ce pour quoi j’étais venue jusqu’à la Cité de Gormar.

Dryden en resta incrédule.

— Attendez un instant. Êtes-vous Will Bladewell ?

— C’est bien moi. Willemina Bladewell, pour vous servir.

Un silence s’abattit alors, telle une chape de plomb, sur l’ensemble de l'assistance. L’hébétude et la stupeur se manifestaient sur la plupart des visages, y compris des quelques gardes présents à l’intérieur de la pièce.

De toute évidence, personne ne se serait attendu à ce qu’une femme fasse ainsi son apparition en de telles circonstances.

Le roi, qui avait failli se lever en voyant la nouvelle arrivante, commença à l’interroger, curieux de savoir par quel coup du sort elle était parvenue jusque là.

— Voici donc Willemina Bladewell, qui aurait réussi à battre celui qui avait vaincu tous ses opposants en duel.

— Sauf votre respect, Votre Majesté, je n’irai pas jusqu’à dire qu’il a vraiment terrassé son précédent adversaire, puisqu’il a triché de façon claire et sans équivoque. Je l’ai vu. Seulement, ce Spencer n’a pas supporté d’être contrarié par une frêle femme. Son orgueil a été piqué au vif. C’est alors qu’il m’a défiée en duel, sans doute pour tenter de laver l’affront qui venait de lui être infligé. Au fond, cela aurait pu être une bonne idée, mais il est tombé sur plus fort que lui. Par conséquent, on m'a expliqué que la charge pour laquelle Spencer semblait avoir été désigné me serait alors attribuée. Je n’en ai appris la teneur qu’en arrivant au château.

Wilhem Dryden se mordit la joue, résistant ainsi à l’envie qui lui monta au nez de renvoyer cette donzelle impudente qui venait apparemment d’infliger la pire humiliation à l’un de ses meilleurs élèves. La notoriété de son nom ne justifiait pas tout.

— Certes, vous avez remporté ce duel, mais reconnaissez que nous soyons quelque peu… euh… dubitatifs quant à vos aptitudes.

Le castellan Nethan se leva et se tourna vers Willemina. Quand il s’adressa à elle, le ton de sa voix était moins vindicatif et plus empreint d’ouverture d’esprit.

— N’ayant pas assisté à votre affrontement contre Spencer, qui était le champion présumé, comprenez que nous soyons quelque peu perplexes. Votre patronyme est lié à un clan qui fut autrefois très renommé dans l’art du combat et du maniement des armes. Aussi, je vous propose de nous faire ici même, à mains nues, la démonstration de vos talents. Est-ce que cela vous convient ?

— Votre proposition est honnête. Très bien, j’accepte.

Sans broncher, elle bondit prestement sur l’un des gardes qu’elle délesta sans peine de sa lance. Elle se précipita sous le dais pour en braquer la lame sur la gorge du roi… avant que quiconque n’ait eu le temps de réagir. Bien sûr, l’instant d’après, toutes les armes présentes dans la salle du trône furent pointées en direction de Willemina qui ne s’en émut pas plus que cela. Elle baissa néanmoins la lance d’un geste doux pour se redresser.

— Trop facile, observa-t-elle. Un assassin pourrait très bien faire la même chose que moi en menaçant d’attenter à la vie de Sa Majesté. J’aurais été tuée ensuite, mais ma mission-suicide aurait été accomplie avec succès. Il semblerait que les procédures de sécurité soient à revoir. Très promptement.

— Quelle insolence ! pesta l’un des conseillers. On ne peut quand même pas laisser cette femme nous dire ce que nous avons à faire pour protéger notre roi et sa lignée.

Contre toute attente, le prince Ezra se mit à applaudir tout en s’esclaffant.

— Toutes mes félicitations ! Vous avez réussi à faire la preuve de l’inefficacité de ces oiseaux de malheur. D’où leur orgueil offusqué. Rien que pour cela, votre démonstration est non seulement concluante, mais elle mérite tous les éloges.

— Mon fils, un peu de retenue, je te prie, dit le roi d’une voix sèche. Puisque mademoiselle Bladewell a vaincu celui qui était destiné à ta protection rapprochée et que tu sembles bien disposé vis-à-vis d’elle, je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’elle occupe désormais ce poste.

L’envie de rire d'Ezra disparut aussitôt.

— Mais… Père…

Le ton du roi se fit néanmoins plus dur.

— Tels sont mes ordres, et ils sont aussi valables pour toi.

Le jeune homme contempla la demoiselle à la dérobée. Si elle n’avait pas été assignée à sa protection, il se serait peut-être beaucoup amusé à la courtiser. Malheureusement, les circonstances allaient sans doute changer du tout au tout à partir de cet instant.

CHAPITRE 2

Après la démonstration de force pour le moins efficace devant le roi et ses conseillers, Willemina Bladewell fut conduite dans un bâtiment annexe du château, là où on pouvait avoir accès autant à l’aile administrative qu’aux différents corps militaires des lieux. Ce fut Wilhem Dryden qui fut chargé d’effectuer l’intégration de la nouvelle recrue. Après avoir rejoint le maître d’armes dans les jardins jouxtant l’édifice, elle fut conduite dans un long couloir où plusieurs portes se succédaient. Étant la seule femme, il aurait été un peu compliqué de la loger aussi près des autres membres de la garde, qui était surtout composée d’éléments masculins. Il fut donc décidé que Willemina résiderait plutôt dans l’étage réservé aux domestiques, non loin du quartier des femmes de ménage. Elle y serait tranquille et surtout moins loin du château que si elle avait logé avec les autres soldats présents.

La chambre qui lui avait été attribuée lui plut d’emblée. Les meubles étaient de confection simple, mais ils étaient robustes et pratiques. Ce qui était tout à fait suffisant aux yeux de quelqu’un qui avait toujours vécu dans un confort relativement sommaire. Au bout du couloir, il y avait une salle de bains commune, avec de profondes baignoires en porcelaine, isolées les unes des autres par des rideaux. Elle tira de l’eau chaude pour en remplir une, tout en ajoutant un peu d’eau froide afin d’en ajuster la température. Une fois que son bain fut prêt, la jeune femme se dévêtit avant de s’immerger en poussant un soupir de soulagement. Elle s’accorda quelques instants pour laisser la chaleur agir sur ses muscles quelque peu endoloris, et prendre le temps de réfléchir sur les évènements qui venaient de se produire.

À l’origine, elle s'était rendue jusqu’au château avec l’intention d’y trouver un quelconque emploi dans la garde royale. Certes, elle avait rejoint le maître d’armes Dryden, mais pas exactement comme elle l’avait prévu. En pensant à leur rencontre, les traits de la jeune femme se tirèrent ; elle avait bien vu le mépris hautain de Dryden la première fois qu’il avait posé les yeux sur elle, et il lui était un peu difficile d’en estimer la cause avec précision. Était-ce parce qu’elle avait bouleversé une organisation bien rodée, ou était-ce à cause d’elle ?

En marchant dans les couloirs, elle avait surpris les regards en coin des gens qu’elle avait croisés et leurs murmures à peine discrets. Plusieurs fois, le nom du royaume de Critano fut prononcé, avec dégoût. Certaines personnes avaient fait un léger détour dans le seul but de ne pas se trouver sur le même chemin qu’elle.

Willemina ne tergiversa pas davantage tout en se frictionnant avec un savon au miel. Même si elle l’avait souhaité plus que tout au monde, elle n’aurait jamais pu faire disparaître ce qu’elle était simplement en se frottant la peau le plus fort possible. Pas plus qu’elle n’aurait pu effacer, par la même occasion, les idées préconçues de tout un peuple. Aussi, avait-elle décidé de chercher à s’accommoder au mieux de la situation. Elle sortit du bain et se sécha soigneusement avant d’enfiler à nouveau ses vêtements.

Elle s’évertua à démêler son ample chevelure brune aux reflets acajou, et ce simple coup d’œil dans le miroir lui rappela pourquoi les gens la regardaient souvent de travers. Ses cheveux lui arrivaient jusqu’aux épaules, ses yeux sombres aux iris aux nuances de gris chatoyants et son teint mat étaient caractéristiques du peuple du pays voisin : Critano. Près de cent ans auparavant, des escarmouches avaient éclaté à la frontière de cette contrée au moment où le roi d’Ethundæ avait eu des velléités d’agrandir son territoire. La riposte de Critano avait été sans commune mesure, et les habitants de ce pays n’étaient plus désormais les bienvenus. Aussi, il était très étonnant qu’une femme arborant les caractéristiques critaniennes soit réellement bien accueillie au château, et encore moins pour assurer la sécurité de l’unique prince héritier.

Willemina en était là, dans ses réflexions, quand quelques coups discrets furent frappés à la porte de la salle de bain.

— Mademoiselle Bladewell ? Je m’appelle Brienne, et je suis l’une des femmes de chambre du palais. On m’a envoyée pour vous faire savoir que le maître d’armes Dryden vous attend au quartier des officiers.

— Très bien. J’ai fini et je suis habillée, vous pouvez entrer.

La porte s’ouvrit alors et une jeune domestique fit son apparition.

Elle ne doit pas être plus âgée que moi, songea Willemina qui fut ravie de voir quelqu’un qui ne la regardait pas avec dédain, mais avec un doux sourire.

— Venez, le maître d’armes n’est pas réputé pour sa patience.

— D’accord. D’autant plus que je voudrais éviter d’avoir à le contrarier d’entrée de jeu.

Tandis que les deux femmes marchaient dans les couloirs recouverts d’un simple parquet de chêne, Brienne ne pouvait s’empêcher d’observer Willemina à la dérobée. Elle cherchait à lui dire quelque chose, mais sans pour autant oser le faire.

— Allez-y, Brienne. Dites sans détour ce qui vous préoccupe.

— Pardon. Je… je ne voulais pas me montrer impolie, mais j’ai remarqué que vous n’avez ni vêtements de rechange ni aucun bagage en arrivant.

Willemina eut un petit rire.

— En fait, si... mais toutes mes affaires sont restées à l’auberge où je réside en ville. D’ailleurs, il va bien falloir que je trouve le temps de tout récupérer, à un moment ou un autre.

— Si vous voulez, nous pourrions nous en occuper. Comme cela, vous retrouveriez vos possessions dans votre chambre avant ce soir.

— En effet, ce serait une très bonne idée, mais j’ai le sentiment que je ne vais pas rester très longtemps ici.

— Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

Willemina jeta un petit coup d’œil amusé à la jeune femme qui la regardait avec une curiosité évidente.

On voit bien que tu ne juges pas les gens sur leur seule apparence. Dommage que tout le monde ne soit pas comme toi.

Elle lâcha un soupir.

— Je pourrais très bien ne pas faire l’affaire pour le poste qui m’a été proposé. Aussi, je n’aurais plus qu’à retourner moi-même à l’auberge, avant de rentrer chez moi.

— Ne dites pas cela. Après tout, vous avez fait sensation dans la salle du trône, d’après ce que l’on dit.

Willemina manqua de trébucher à ces mots.

— Comment ?

Brienne eut un petit haussement d’épaules.

— Après tout, beaucoup de gens ont assisté à votre arrivée et n'ont rien raté de votre… euh… démonstration musclée auprès du roi. Certaines personnes sont bavardes, et la rumeur a très vite fait le tour du château à l’heure qu’il est.

Willemina geignit en son for intérieur. Ce n’était pas vraiment comme cela qu’elle comptait se faire remarquer du maître d’armes Dryden, et cet état de fait n’allait sans doute pas améliorer leurs rapports. Il fallait craindre que cette rencontre soit encore moins cordiale que celle qu’elle aurait pu espérer par rapport à ses origines.

Déjà, Brienne l’avait conduite au quartier des officiers, dans un bâtiment jouxtant la résidence du personnel du château. Un édifice en pierres robustes où les meurtrières ne laissaient passer qu’un peu de lumière.

Avant même que Willemina ne dise quoi que ce soit, Brienne toqua à la porte et annonça leur arrivée. Une voix bourrue leur répondit de derrière le battant massif.

— Faites-la entrer, puis disposez, Brienne.

— Oui, maître Dryden.

La femme de chambre ouvrit le passage devant Willemina, puis s’en alla, en lui souhaitant bonne chance dans un murmure discret.

— Fermez derrière vous, fit le maître d’armes.

Le bureau était très sommaire, avec une table en bois massif recouverte de documents et de livres. Un feu dans l’âtre parvenait à peine à réchauffer les lieux. Wilhem Dryden était appuyé au linteau de la cheminée, achevant d’allumer une petite pipe qu’il tenait dans sa main. Il tira quelques bouffées avant de relâcher la fumée.

— Mademoiselle Bladewell, je crois que vous avez déjà fait connaissance, tous les deux.

À ces mots, Willemina tiqua en se demandant de qui il était question, quand un léger raclement de gorge attira son attention. Un jeune homme aux cheveux couleur sable et aux yeux d’un bleu profond était assis, le genou posé sur la cuisse opposée, sur l’une des deux chaises qui faisaient face à la cheminée.

Elle reconnut d’emblée l’individu.

— Spencer Knyvett ?

Ce dernier lui répondit sans même lui accorder un regard

— Lui-même.

— Si vous êtes là et que vous m’avez fait mander, c’est sans doute pour me signifier que vous avez finalement choisi monsieur Knyvett pour assurer le poste de garde du prince.

— Du tout, répondit Dryden. D’abord, prenez place, Mademoiselle. Ne prêtez surtout pas attention à mes manières, je suis connu pour n’en avoir aucune. Sachez que j’ai surtout l’habitude de m’entretenir avec d’autres hommes. Aussi, n’attendez aucun traitement de faveur sous prétexte que vous êtes une femme.

Une telle entrée en matière eut pour effet de tranquilliser Willemina qui s’assit alors sur le siège, désormais curieuse, puisqu’il n’était pas question de la congédier.

— Voyez-vous, poursuivit le maître d’armes, Spencer m’a raconté ce qu’il s’était passé sur le terrain d’entraînement lors du dernier match de sélection, et comment vous êtes intervenue.

— Vous savez donc qu’il y a eu bel et bien manquement aux règles élémentaires lors de cet affrontement et que je ne pouvais pas l'ignorer.

À n’en pas douter, Spencer aura minimisé l’ampleur de la défaite que je lui ai infligée ensuite, songea-t-elle.

Dryden observa tous les deux avant de reprendre la parole.

— Quoi qu’il en soit, si vous êtes là, c’est parce que vous allez devoir vous partager la tâche de garde rapprochée.

— Comment ? demanda Spencer. Après avoir été battu à plate couture par une femme, vous voulez me garder dans vos rangs ?

— Exact. Le fait est qu’il est impossible de protéger efficacement quelqu’un à toute heure du jour et de la nuit. Aussi, vous allez devoir assumer cette tâche tous les deux. Un emploi du temps précis avec vos heures de présence vous sera attribué sous peu. Quand vous ne serez pas en service auprès du prince, vous pourrez disposer du restant de vos journées comme bon vous semblera.

— Pardon de vous demander cela, fit Spencer, mais de quel corps d’armée dépendons-nous ?

— Techniquement, vous êtes affiliés à la garde royale, mais vous avez tous les deux une chaîne de commandement bien différente. Vous ne devrez répondre que devant moi-même et, bien entendu, à notre souverain.

— Pas au prince ? fit remarquer Willemina.

Dryden tira un peu sur sa pipe.

— Pas la peine de lui en donner la possibilité. C’est Sa Majesté qui peut décider de vous maintenir ou non au service de son fils. Connaissant ce dernier, et compte tenu que cette protection se fait sans son agrément, il aurait vite fait de vous renvoyer à la première occasion. Spencer, tu peux disposer. Je te verrais plus tard par rapport à ton entraînement.

— Très bien, maître.

Il se redressa et quitta la pièce sans même accorder le moindre regard à Willemina. Elle comprit que l’apaisement dans leurs rapports ne serait pas pour tout de suite.

— Mademoiselle Bladewell, reprit maître Dryden en ramenant la jeune femme à l’instant présent, je crois savoir que vous avez été installée dans l’une des chambres réservées aux domestiques.

— Oui.

— Qu’en est-il de vos affaires ?

— Elles sont toujours à l’auberge où je suis arrivée hier.

— À la rigueur… Ce n’est pas un problème en soi. J'enverrai quelqu’un pour récupérer tout cela. Mais dites-moi pourquoi vous êtes montée ainsi jusqu’à Gormar.

— Pour vous rencontrer. Ryan Bladewell, le chef actuel de mon clan, espérait que je parvienne à vous convaincre de me faire passer la maîtrise.

— Votre père voulait que je fasse de vous un maître-lame ?

— Oui. Ma famille a une certaine notoriété dans ce domaine, mais si nous pouvions compter un maître-lame officiellement reconnu du royaume, cela apporterait une aura de prestige qui ne saurait être remise en question dans la profession.

De surprise, Dryden avait failli en lâcher sa pipe, mais il se reprit bien vite et retrouva son attitude ordinaire. Nul autre que lui ne pouvait superviser la formation de l’élite armée d’Ethundæ. Son jugement était d’autant sans appel qu’il s’occupait lui-même des épreuves de sélection dont peu d’élèves se vantaient de sortir vainqueurs.

Il toisa la jeune femme de haut en bas, comme s’il la jaugeait, et nota qu’elle lui rendait son regard sans ciller. La marque d’un esprit fort qui força malgré tout son respect. Du reste, il faudrait la voir à l’œuvre avant de pouvoir estimer pleinement son potentiel et se prononcer sur sa demande de formation. Si la moitié des informations à propos de son clan était vraies, ce ne serait qu’une simple formalité. Aussi, était-il curieux qu'une femme devienne ainsi la dépositaire du savoir-faire familial, alors qu’elle n’était transmise qu’aux hommes de la lignée. Sans compter qu’il voulait en apprendre plus quant à ses origines critaniennes.

— Pour commencer, vous accompagnerez Brienne qui vous fera faire un premier tour de reconnaissance des lieux. Aussi bien dans le château que dans les dépendances. Vous irez ensuite vous restaurer tandis que nous nous occuperons de vos bagages. Demain matin, je veux vous voir à sept heures précises sur le terrain d’entraînement. Avant de prendre votre service auprès du prince, je pourrais déjà commencer à vous évaluer.

Elle se releva, comprenant que leur entretient s’achevait là.

— Très bien. Merci et à demain.

— Oh ! Ne me remerciez pas encore. Parce qu’avec moi, comme avec le jeune Thorne, vous ne semblez pas savoir à quelle sauce vous pourriez être mangée. Alors, tenez-vous prête à tout, mademoiselle Bladewell.

CHAPITRE 3

Le septième coup venait de sonner à l’horloge du château.

Willemina était déjà en train de patienter sur le terrain réservé aux entraînements. Des bruits de pas attirèrent alors son attention, ainsi qu’une odeur de tabac.

— On peut au moins reconnaître que vous êtes ponctuelle, admit le maître d’armes. C’est un bon début.

Il la rejoignit en tenant deux épées factices en bois. Un détail qui ne manqua pas d’amuser quelque peu la jeune femme qui repensa aux séances d’entraînement en vigueur au sein de son clan, auprès de son père. Une tout autre histoire par rapport à ce qui pouvait se faire ailleurs. Elle attendait donc, avec une certaine curiosité, de voir la suite des évènements. Tous deux se firent face dans l’un des cercles au sol qui étaient réservés aux duels.

Dryden tendit une épée en bois à la jeune femme qui s’en empara d’un geste précis.

— Vous connaissez les règles, n’est-ce pas ?

— Oui. S’il n’est pas tué, le perdant est celui qui se fait sortir hors des limites du cercle.

— Bien. Du reste, c’est assez facile à se rappeler. Même s’il ne s’agit que d’une évaluation, je ne vais pas vous ménager pour autant.

Willemina acquiesça en focalisant déjà sa concentration.

Alors là, je n’en espérais pas autant de votre part.

Les premiers échanges étaient simples, mais leur précision en disait long quant à la dextérité des deux opposants. Après avoir constaté que la jeune femme maîtrisait les bases les plus élémentaires, Dryden augmenta autant la difficulté des coups que leur rapidité d’exécution. Un changement de rythme qui ne surprit pas Willemina tandis qu’elle enchaînait les feintes et les parades sans effort apparent. Dryden gardait le contrôle tout en cherchant à percer les défenses de son opposante qui ne faiblissait pas sous les coups.

Déjà, quelques personnes s’étaient regroupées autour de l’aire d’entraînement, étonnées que le maître d’armes se batte contre une femme qui lui tenait remarquablement bien tête. Peut-être espéraientils voir celui qui leur menait la vie dure être enfin défait. Cependant, ni Willemina ni Dryden ne se souciaient d’eux, concentrés sur le duel qui les accaparait. Soudain, Willemina esquissa un enchaînement complexe qui surprit le maître d’armes qui dut se replier sur une position défensive, mais il reprit pied, chargeant encore plus vite. À tel point qu’elle ne vit pas l'attaque suivante, jusqu’à ce qu’elle réalise que Dryden venait de lui assener un coup violent à l’abdomen qui manqua de la faire sortir du cercle.

— Vous êtes morte, fit ce dernier d’un ton impassible.

Willemina contempla la lame en bois avec à peu près autant de surprise que si elle lui avait traversée le corps de part en part. Si la réputation de maître Dryden était fondée, la rapidité de ses coups était légendaire, et elle était déjà assez satisfaite d’avoir réussi à tenir aussi longtemps face à lui, alors que tant d’autres s’étaient fait étendre bien plus vite. Elle baissa son arme tout en reprenant son souffle, dans l’attente d’un verdict.

— Votre dernière attaque était très intéressante. Je n’avais rien vu de pareil. Était-ce là un enchaînement qu’on vous enseigne dans votre famille ?

— Oui. Une technique mise au point par mon clan.

— Cela a bien failli marcher. Il s’en est fallu de peu pour que vous l’emportiez. Pourtant, c’est avec le dernier coup que vous avez perdu parce que votre épée n’était pas correctement ajustée. Je vais vous montrer comment vous auriez pu réussir à parer mon attaque.

Ils reprirent place à l’intérieur du cercle, et Dryden entreprit d’apprendre l’ensemble de la séquence à Willemina, jusqu’à ce qu’elle en connaisse tous les aspects. Elle était essoufflée et une fine transpiration perlait sur sa peau quand l’horloge sonna neuf coups. Ce qui mit net un terme à la séance d’évaluation.

— Diantre ! fit Dryden. Vous allez être en retard pour votre premier jour auprès du prince ! On arrête là pour ce matin. Voilà votre emploi du temps, et filez.

La jeune femme eut tôt fait de prendre le papier plié que le maître d’armes venait de lui donner et elle se mit en route sans attendre. Non pas vers le château, mais sa chambre pour faire un peu de toilette et se changer pour revêtir l’uniforme des gardes royaux. Elle ne pouvait quand même pas se présenter négligée et couverte de poussière devant le prince héritier. Si elle n’avait pas pu savoir ce que Dryden pensait du test auquel elle avait été soumise, elle espérait bien pouvoir lui en parler à la fin de son service.

Dans sa chambre, Willemina se passa le visage à l’eau claire contenue dans le broc et la cuvette en porcelaine. Elle troqua sa tenue habituelle par une chemise de lin noir brodée de motifs complexes, un pantalon de cuir teint, ainsi qu’un pourpoint sombre. L’uniforme comptait aussi une paire de gants et des bottes. Malheureusement, l’intendant n’avait pas de soldat aux petits pieds dans les troupes. Ce qui obligea Willemina à se contenter de conserver les siennes qui étaient noires et d’une coupe à peu près similaire. Elle délaissa l’épée longue qui lui avait été remise, lui préférant son sabre personnel.

Quelques instants plus tard, elle se rendit dans le corps principal du palais, non loin des appartements royaux où étaient logés le monarque et son fils. Les lieux étaient infiniment plus vastes et luxueux que le quartier des serviteurs et l’aile administrative. Ici, même si certaines personnes la regardèrent à la dérobée, le fait qu’elle porte l’uniforme des gardes lui donnait une certaine légitimité en ces lieux. Elle n’était, malgré tout, qu’une roturière parmi ceux qu’ils servaient dans les murs du palais. Son emploi du temps lui indiquait où elle devait se rendre en ce premier jour.

Un lieutenant qui montait la garde la fit entrer et la présenta officiellement aux autres membres du groupe qui étaient là.

— Le prince est encore avec son précepteur, mais je sais qu’il n’y a aucun inconvénient à ce que tu prennes ton service à ses côtés.

Le lieutenant lui ouvrit la haute porte, et elle le salua d’un signe de tête.

Ladite pièce était en réalité la bibliothèque du château. Si l’ensemble de l’édifice semblait peu vaste et massif dans son ensemble, alors celle-ci donnait l’impression d’abattre les cloisons par la seule présence d’une infinie collection de livres, comme un agrandissement notable de l’espace environnant. Sans parler de la hauteur sous plafond, puisque la bibliothèque comptait deux étages avec des escaliers en colimaçon métalliques, tandis que des échelles permettaient d’accéder aux ouvrages placés tout en haut. Des lampes en bronze fournissaient l’éclairage nécessaire.

Willemina céda alors à l’envie d’admirer les lieux, car elle avait toujours aimé les livres. Elle se souvint que sa mère la retrouvait souvent endormie au milieu d’une myriade d’ouvrages quand elle était encore enfant. Le plaisir de découvrir ces lieux était manifeste, et elle aurait bien voulu pouvoir les examiner tout à loisir, mais ses nouvelles responsabilités ne le permettraient pas, du moins tant qu’elle serait en service. Ensuite, qui sait…

Je crois bien que j’ai trouvé comment occuper mon temps libre, songea-t-elle avec un enthousiasme non dissimulé à l’idée d’arpenter les couloirs à la découverte des trésors de connaissance et de sagesse enfouis dans ces pages.

Elle aperçut alors le maître bibliothécaire. Un homme d’âge mûr aux cheveux déjà blancs qui était occupé à trier une pile d’ouvrages. En voyant la nouvelle arrivante, il se leva pour venir à sa rencontre.

— Maître Rendell, se présenta-t-il à la jeune femme. Vous devez être mademoiselle Bladewell, je présume ?

— Vous présumez bien, répondit Willemina en souriant.

— Oh, ce n’était pas bien difficile non plus, vous savez. Il n’y a pas d’autre fille dans la garde royale, et puis maître Dryden m’a prévenu que vous prendriez votre service à cette heure-ci.

— D’ailleurs, où est le prince ?