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Trilogie Draconia - Livre 2 La "Porte du Ciel" s'est rouverte, mais les ombres sont plus que jamais présentes pour Sylvia Laffargue et ses amis, membres du Cercle du Dragon Céleste. "Dies Irae" (La Colère de Dieu) est un groupement ont la violence monte crescendo à l'encontre de toute activité liée à l'occulte. Ils ont une signature particulière liée à un QR code, accompagnée d'une symphonie puissante de Verdi. Entretemps, Sylvia réalise qu'une ombre ne la lâche pas : Thorn. À la fois dangereux et mystérieux, il va jusqu'à s'immiscer dans son inconscient. Quelque chose ne va pas avec la magie draconique, alors que "Dies Irae" continue à sévir, risquant même un jour de s'en prendre à La Voie Initiatique, et aussi au clan... Les dragons étant considérés comme maléfiques depuis des siècles. De nouveaux secrets liés aux dragons pourraient se faire un jour, alors qu'un danger incommensurable se profile à l'horizon. Une seule chose est certaine : l'Ombre prend de l'ampleur. Elle risque de frapper très fort, laissant sa marque à tous. Nouvelle édition révisée. LA TRILOGIE DRACONIA : Sous le Sceau du Dragon Le Glaive de la Liberté Entre Ombre & Ténèbres
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Seitenzahl: 753
Veröffentlichungsjahr: 2024
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ESSAIS ÉSOTÉRIQUES
Encyclopédie des Plantes et des Pierres Magiques et Thérapeutiques,
Éd. Trajectoire, 2011
Les Quatre Éléments de la Magie Naturelle, Éd. Trajectoire, 2012
Les Pierres et Cristaux Magiques, Éd. Grancher, 2014
Le Coffret des Pouvoirs Magiques des Pierres, Éd. Trajectoire, 2015
ROMANS
Draconia 1 : Sous le Sceau du Dragon, Éd. Édilivre.com, 2011 ; Éd.
Valentina, 2014 ; autoédition, 2016
Draconia 2 : Le Glaive de la Liberté, autoédition, 2017
Errances, autoédition, 2019
Draconia 3 : Entre Ombre & Ténèbres, autoédition, 2020
L’Ampleur de nos Destins, autoédition, 2023
NOUVELLES
Souvenirs à Fleur de Peau, (novella) autoédition, 2021
Kaléidoscope, autoédition, 2021
Le Tombeau des Illusions, (ebook) autoédition, 2023
Pour vous, lecteurs, qui n’avez jamais cessé d’y croire…..
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
DEUXIÈME PARTIE
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
TROISIÈME PARTIE
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
Chapitre 47
Chapitre 48
Chapitre 49
Chapitre 50
Chapitre 51
Chapitre 52
Chapitre 53
Chapitre 54
Chapitre 55
Chapitre 56
Chapitre 57
Chapitre 58
Chapitre 59
De la brume s’étendait au-dessus du sol, tel un manteau d’ouate diaphane. Une brise taquina cette nappe avec insistance, sans parvenir à la disperser. Les hirondelles avaient déjà commencé leur gracieux ballet aérien en piaillant dans l’air frais du matin. Les rares étoiles encore présentes estompaient leur faible clarté au fur et à mesure que le ciel s’éclaircissait. À l’Est, le soleil préparait son apparition, sur fond d’une palette variée de teintes roses, oranges, et mauves.
Déjà, quelques rayons dorés effleurèrent les hauteurs d’un manoir niché au creux d’arbres centenaires. Les fins rais de lumière filtrèrent à travers les persiennes avant de se poser sur le visage d’un enfant endormi.
Le jeune garçon au visage mutin fronça le nez et tendit la main à tâtons pour se saisir de sa couette, mais cette dernière avait glissé au sol et ses doigts ne se refermèrent que sur quelques particules qui voletaient, paillettes d’or dansant dans la lueur solaire. Poussant un ronchonnement mécontent, l’enfant replia alors son bras sur ses yeux. Rien n’y fit ; il était réveillé pour de bon. Il décida de se lever pour ouvrir la fenêtre. La lumière du soleil pénétra à flots dans la petite chambre du deuxième étage. L’enfant s’y attendait et avait fermé les yeux pour ne pas se laisser aveugler. Cela faisait un moment déjà que l’enfant avait instauré ce petit jeu avec le soleil. Chaque matin, il y prenait un plaisir renouvelé.
Cette journée commençait comme une autre au manoir. Les autres occupants devaient encore dormir et le petit garçon serait à nouveau chargé de réveiller sa mère qui se trouvait dans la chambre voisine. C’était lui le plus lève-tôt de la communauté.
Si l’enfant n’avait pas eu le réflexe coutumier de fermer les yeux, il aurait certainement remarqué quelque chose d’inhabituel : des véhicules sombres s’approchaient et se garaient non loin du manoir, tout en restant le plus possible dissimulés par la végétation environnante. Il aurait vu les hommes armés en descendre par petits groupes pour se poster tout autour de l’imposante demeure.
Cette journée commençait comme une autre au manoir. Pourtant, elle prit une tournure résolument tragique à l’instant même où les intrus débarquèrent en force dans la vieille bâtisse.
De ce vacarme, l’enfant n’avait entendu que le fracas des portes défoncées, et les tirs cinglants qui projetaient de violents flashs lumineux à travers la coursive de l’escalier principal qui descendait jusque dans le hall d’entrée. Le premier accès fut pris d’assaut. Les ombres des tireurs et de leurs victimes tombant sous les balles esquissaient d’effroyables fresques sur les murs. Que ce soit au rez-de-chaussée comme au premier étage, les occupants du manoir furent surpris par les hommes qui les abattirent sans sommation. Les rares qui tentèrent de fuir furent fauchés par les autres groupes en faction auprès de toutes les portes, armes aux poings.
Apeuré, l’enfant avait passé la tête par la porte entrebâillée de sa chambre quand une silhouette surgit dans son champ de vision. Il voulut crier, mais une main ferme l’avait déjà bâillonné et maîtrisé. L’enfant ne s’apaisa qu’en reconnaissant le parfum floral de cette personne et la chaleur de sa peau.
— Maman ! s’écria-t-il en pleurs en se blottissant dans ses bras. Qu’est-ce qu’il se passe ? J’ai si peur !
Son petit corps fut secoué par ses sanglots violents tandis que cette femme serrait farouchement son fils tout contre elle.
— Chut… mon chéri, c’est moi. Calme-toi… N’aie pas peur, lui murmura-t-elle à l’oreille.
Alors que l’enfant commençait à se calmer un peu, des bruits en provenance de l’escalier attirèrent l’attention de la jeune femme. Elle se tourna dans cette direction. Inutile d’espérer pouvoir s’enfuir de cet enfer par là. Si elle voulait s’échapper avec son enfant, il lui faudrait trouver au plus vite une autre issue.
Déjà, les autres portes de l’étage s’ouvraient les unes après les autres et quelques personnes furent abattues par le tir des fusils à pompe et des armes automatiques. Les corps sans vie s’écroulaient au sol ou bien étaient propulsés contre les murs dans d’épouvantables projections pourpres.
Une odeur de poudre et de sang, mêlée de soufre, saturait déjà l’air. Émanations sépulcrales aux relents de mort.
La femme couvrit les yeux de son fils avant de tenter quoi que ce soit. Les tueurs n’avaient pas encore atteint leur niveau, et il restait un seul espoir : la buanderie du manoir, là où le linge était plié et repassé après avoir été lavé. Cette pièce comprenait surtout un petit monte-charge très pratique pour acheminer les kilos de linge propre depuis rez-de-chaussée, à l’arrière du manoir. Avec un peu de chance, ils ne seraient pas remarqués en passant par là. Ils pourraient rejoindre le village voisin pour appeler les secours.
Alors que le commando meurtrier avançait déjà dans leur direction, la femme n’eut que le temps de se précipiter dans le couloir. Elle parvint à atteindre l’angle le plus proche et se mis hors de vue. Son cœur battait à tout rompre, mais elle retint sa respiration, de peur que la moindre inspiration n’attire l’attention sur elle et son fils. Mais non, leurs poursuivants étaient occupés à démolir les portes pour massacrer ceux qui s’étaient réfugiés derrière. Ils ne firent pas attention aux deux fugitifs.
La porte de la buanderie était juste à côté, entrouverte. La jeune mère se faufila dans la pièce et verrouilla la porte.
Tremblante, elle accentua la pression de ses bras autour de son enfant dans un espoir vain de le calmer. Pourtant, les tueurs se rapprochaient inexorablement de leur cachette, il ne fallait surtout pas qu’ils se fassent remarquer. Elle aperçut le monte-charge encastré dans le mur, avec les boutons de commande à l’extérieur. Elle pesta en silence ; il faudrait activer le mécanisme et se glisser très vite à l’intérieur avant que le casier métallique ne commence à descendre.
Les bruits de pas se rapprochaient.
Déjà, quelqu’un tentait d’ouvrir la porte avant d’y flanquer des coups de pied. Elle n’offrirait qu’un bref répit avant de voler en éclats.
Sans plus tergiverser, la jeune femme se précipita avec l’enfant dans le caisson du monte-charge. Elle passa le bras à l’extérieur et frappa d’un coup sec le bouton activant la descente. Une brève secousse lui fit lâcher un cri. La porte s’ouvrit alors à la volée et deux hommes entrèrent armes au poing. Ils ouvrirent le feu, sans atteindre leurs cibles qui se dirigeaient déjà vers les étages inférieurs. De rage, ils aboyèrent des ordres à leurs coreligionnaires, mais ne sachant pas où aboutissait le dispositif, ils ne pouvaient se poster par avance pour intercepter ceux qui s’y étaient réfugiées. Le groupe semblait avoir déserté les deux premiers étages pour se concentrer sur ceux du dessus.
Le monte-charge s’arrêta au niveau de la laverie dans un feulement grinçant. La pièce était dotée de deux portes d’accès, dont une donnant sur la cour arrière du manoir, là où était garée sa voiture. La jeune femme marqua un instant d’hésitation, le temps de s’assurer qu’aucun des hommes armés n’avait déboulé en attente de les descendre, elle et son enfant. Elle sortit du caisson en tentant de faire le moins de bruit possible. Son fils suivit son exemple.
— Ne t’en fais pas, on va s’en sortir… Tu verras, chuchota-telle. Quand on se sera enfuis d’ici, on n’aura plus rien à craindre. Pour l’instant, nous devons être très discrets. Il ne faut pas faire de bruit, d’accord ?
L’enfant hocha la tête, tremblant de peur, les joues encore striées de larmes.
À pas feutrés, ils longèrent le mur où s’alignaient les imposantes machines à laver. Le tout était d’atteindre leur véhicule sans se faire repérer. Au-dessus de leur tête, le tintamarre des armes à feu ne s’était pas interrompu. La femme porta une main tremblante à ses lèvres au moment où un cri de panique allait lui échapper. Elle se mordit les doigts jusqu’au sang et la pression des doigts de son fils dans sa main l’aida à reprendre pied, à ne pas se laisser submerger par la terreur qui risquait de la tétaniser au plus mauvais moment. Il lui lança un regard. Elle se demanda si sa détresse s’adressait à ceux qui étaient massacrés sans la moindre pitié ou par peur de ce qui pourrait leur arriver s’ils se faisaient attraper par ces gens.
Par chance, la porte extérieure de la laverie n’était pas très utilisée et une imposante nasse de lierre tombant des murs la dissimulait au regard de toute personne à l’extérieur.
La femme exerça une pression sur la vieille poignée cuivrée, le souffle bloqué. Pourvu qu’elle ne grince pas en s’ouvrant ! Non, elle put ouvrir le battant sans bruit. Aussi improbable qu’incongru dans une situation si dramatique, l’espoir fit une percée dans les pensées de la jeune mère. D’un coup d’œil rapide, elle constata que personne ne montait la garde à ce niveau. Elle saisit cette chance inespérée, et s’élança vers son véhicule. Avec l’enfant, elle courut le plus vite possible dans le fol espoir de rester le moins longtemps à découvert. Quelqu’un pourrait très bien les voir à travers une fenêtre. Son enfant et elle offraient alors des cibles faciles. Comme à la fête foraine. En plus macabre.
Plus que quelques mètres, et ils seraient dissimulés par la voiture en bordure du parking. Fébrilement, elle fouilla ses poches à la recherche des clés qu’elle y avait fourrées au moment de quitter sa chambre. Le tintement électrisa sa peur quand une détonation suivie d’une douleur cuisante la traversa de part en part, faisant exploser la vitre devant elle. Une balle du fusil l’avait atteinte entre les omoplates pour ressortir par la poitrine dans une gerbe pourpre. Terrifié par le coup de feu, l’enfant s’était plaqué au sol et glissé sous la voiture. Quelqu’un se rapprochait d’eux à pas vifs, faisant crisser le gravier.
L’enfant, tétanisé, avait les mains sur les oreilles. Ses yeux inondés de larmes ne pouvaient se détacher de la silhouette de sa mère, couchée à plat ventre dans une flaque de sang.
— Maman…
— N’aie pas peur, souffla-t-elle. Je vais bien... Va, Xavier… et cache-toi du mieux que tu pourras. Personne… Ne laisse personne te trouver.
Malgré ses larmes, l’enfant secoua la tête.
— Nan ‼ J’veux pas ! J’veux rester avec toi !
— Sois un bon garçon et fais ce que je te dis… Va te cacher…
La voix de sa mère lui parvint de plus en plus faiblement.
Les bruits de pas s’étaient arrêtés à leur niveau. L’homme qui se tenait au-dessus d’elle dédaigna son fusil pour un revolver qu’il portait à la ceinture. Il l’arma et le braqua sur sa proie.
Deux détonations retentirent.
L’écho se répercuta aux alentours. Il ne vit pas que l’enfant s’était dégagé du dessous de la voiture pour se réfugier derrière le talus de buis le plus proche. Un autre homme le héla pour qu’il revienne au manoir. Après avoir jeté un dernier regard à la ronde, celui-ci obtempéra.
— T’as de la chance, morveux, mais je te retrouverai.
Il tourna les talons et rejoignit son acolyte qui l’attendait.
Xavier vit le regard de sa mère devenu opaque.
En dépit de son jeune âge, il comprit que la lueur de vie qui l’animait venait de s’éteindre pour toujours.
« La peur de l’inconnu, c’est l’appréhension du connu défiguré par l’imagination. »
Albert Brie
« Il existe deux leviers pour faire bouger un homme : la peur et l’intérêt personnel. »
Napoléon Bonaparte
« L’ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence. Voilà l’équation. »
Averroès
Le velours nocturne scintillait de multiples diamants tandis que la lune nimbait d’une lueur laiteuse le paysage environnant. Le doux bruissement du feuillage des arbres soulignait la tranquillité de cet instant.
Sur un sentier, au plus profond d’une forêt luxuriante, de petits cailloux lisses et ronds émettaient un faible éclat qui illuminait le chemin sur lequel une femme s’avançait d’un pas décidé. Elle regarda à l’horizon et son attention fut attirée par une lueur vert émeraude qui semblait venir d’une montagne dont la silhouette lui était familière. La promeneuse marcha sans hésitation vers cette montagne qui semblait l’appeler.
Elle s’émerveillait des lieux chaque fois qu’elle y revenait, inspirant la fraîcheur nocturne printanière. Un petit rire la saisit à l’idée qu’en réalité, c’était le mois de septembre et que les arbres seraient bientôt revêtus de leur parure automnale. Mais pas ici. Cette forêt était singulière, au point de ne pas être atteinte par les saisons du monde extérieur.
Cette forêt était magique.
Quand la promeneuse arriva au pied de la montagne, elle vit que la lueur verte provenait d’une petite plaque de pierre ronde et plate, arborant le symbole du yin et du yang avec deux dragons. Le symbole du clan auquel la jeune femme appartenait. La première fois qu’elle était venue ici, la plaque était restée vierge. Elle posa alors sa main gauche dessus. La terre trembla tandis que la paroi rocheuse se transforma petit à petit, évoquant la gigantesque gueule ouverte d’un dragon.
L’Antre de l’Initiation.
D’abord évanescent, le rayonnement vert se propagea, libéré de la roche qui réprimait son éclat. La femme n’en fut pas incommodée, simple question d’habitude puisque ce n’était pas la première fois qu’elle faisait face à ce phénomène. Les flots de lumière semblaient surgir du plus profond de la terre. Même l’air ambiant paraissait avoir été rehaussé de cette nuance émeraude.
Après avoir esquissé un sourire, la jeune femme commença à descendre un plan incliné qui tournait en colimaçon vers les entrailles de la montagne. Quelques instants plus tard, elle aboutit dans une immense salle voûtée, taillée à même la roche et dont la hauteur au plafond était impressionnante. Dans cette pièce étrange, la présence d’entités familières se faisait de plus en plus sentir.
Six portes massives et élégantes se dévoilèrent devant elle. De gauche à droite : de couleur dorée, puis verte, jaune, bleu saphir, rouge et la sixième porte semblait avoir été façonnée dans un limpide cristal de roche blanc. Or, la lumière verte venait de la deuxième porte.
Singulièrement, seules les deux premières portes – la dorée et la verte – étaient bien visibles, les autres semblant moins distinctes, presque immatérielles. À croire que le moment de les franchir n’était pas encore venu. L’espace d’un instant, un trouble se fit dans l’esprit de la visiteuse. Sans même y prêter attention, elle s’était dirigée vers la porte rouge, celle désignant les pouvoirs liés au Feu, alors qu’elle aurait dû rejoindre la verte, liée à la force élémentale terrestre. Même la porte jaune provoqua une impression de déjà-vu. Étrange… car elle ne s’expliquait pas pourquoi elle avait réagi ainsi.
Pour l’instant, la visiteuse s’approcha de la porte verte, ravalant ses doutes. Des mots étaient gravés avec finesse sur un panneau suspendu aux poignées : « Qu’as-tu appris ? »
Elle posa la main droite sur son cœur, ferma les yeux et répondit avec la profondeur de son esprit : « En tant que magicienne draconique, j’applique les Lois Divines Universelles des enseignements dispensés par les dragons, sages et éternels ».
Quelques instants s’écoulèrent durant lesquels la jeune femme put ressentir le regard des créatures draconiques sur elle, même si elles demeuraient invisibles. Elles mettaient à l’épreuve la sincérité de l’initiée qui se présentait à leur jugement. Le cœur battant à tout rompre, elle craignit de se voir refuser l’accès. Auquel cas, elle ignorait combien de temps elle devrait patienter avant de pouvoir se présenter à nouveau devant les dragons. Mais non. La porte s’ouvrit en grand laissant paraître à nouveau la lumière pulsative qui avait guidé la magicienne jusque là.
Elle entra dans une pièce tout aussi vaste et circulaire que la précédente. Un immense pentagramme enchâssé dans un cercle était gravé à même le sol marbré, couvrant toute la surface de la salle. Sur chacune des pointes se trouvait un dragon vert assis qui regardait avec une attention soutenue la nouvelle arrivante. Ils encerclaient complètement les lieux. L’aspect massif de leur silhouette semblait être contrebalancé par leur port de tête majestueux. Sur le cou élégamment arqué démarrait une grande crête qui se poursuivait tout le long du dos.
La jeune humaine se sentit minuscule en comparaison de ces gigantesques gardiens impassibles. Elle poursuivit néanmoins sa progression vers le centre du pentagramme.
De longues tapisseries étaient tendues sur les murs, reprenant le même motif : un triangle dont la pointe était dirigée vers le bas, traversé en son milieu par un segment parallèle à la base : le symbole de l’Élément Terre. Un chêne était représenté, le tronc émergeant du centre même du triangle, entouré de trois signes du Zodiaque. Celui du Taureau, de la Vierge et du Capricorne.
Cette fois, l’impression de déjà-vu ne pouvait être ignorée plus longtemps. Cette jeune femme n’était pourtant jamais venue dans cette pièce. Avait-elle rêvé de cet endroit auparavant, n’en retrouvant le souvenir qu’à ce moment précis ? Maintenant qu’elle y réfléchissait, elle avait perçu le regard des cinq dragons sur elle. Or l’espace d’un bref instant, elle avait cru déceler du mépris dans leurs yeux d’olivine. Elle se retourna, mais elle avait dû se tromper puisque les entités draconiques avaient gardé la même expression insondable.
J’ai sans doute mal vu, songea-t-elle.
Au centre de l’étoile à cinq branches se tenait un autel sculpté dans la même roche que le reste de la pierre, sur lequel un objet en lévitation brillait d’un puissant éclat. C’était la source de la lumière verte, mais surtout une puissance élémentale défiant l’imagination.
C’était un objet circulaire, plat et à peine épais de un ou deux centimètres pour une quinzaine de largeur. Taillé dans une magnifique agate mousse, avec un pentagramme cuivré gravé à la surface, de la même manière que le symbole au sol de cette pièce. Tout autour, sur la bordure, cinq séries de signes étaient ciselées en brun. La jeune femme les reconnut pour les avoir déjà vus à plusieurs reprises : le Pentacle de la Terre. Pourtant, c’était bien la première fois qu’elle pouvait l’admirer en détail.
N’hésite pas, vas-y.
Encouragée par cette injonction télépathique émanant de l’un des cinq gardiens – et qui sonnait plus comme un ordre qu’une invitation – la magicienne draconique posa sa main gauche sur le pentacle, dont la lumière apaisante et sereine parvint à atteindre jusqu’aux tréfonds de son être. Dès cet instant, elle fut gagnée par une force nouvelle en laquelle elle reconnut la puissance de la Terre.
La voix des dragons résonnait au loin : « Tu es revenue dans l’Antre de l’Initiation de ton plein gré. Sous l’approbation de tes maîtres, tu es là afin de démontrer l’étendue de tes efforts récents de l’ennoblissement de ton cœur, de ton être et de ton âme. En ce jour, nous avons pleinement conscience de ton élévation tant spirituelle que magique au sein de la draconia ».
Déjà, l’intensité des forces à l’œuvre diminuait par paliers. Les boucles sombres de la jeune femme voletaient autour de son visage. Elle attendit encore un peu avant de retirer sa main du précieux item magique, encore plongée dans le bien-être de cet instant. Quand elle finit par rouvrir les yeux, ses paupières dévoilèrent l’intensité d’un regard violet parsemé d’étoiles dorées.
Par l’épreuve qu’elle venait d’accomplir, Sylvia Laffargue venait de franchir la seconde étape de son parcours initiatique en tant que Gardienne d’Obscurité.
Deux ans après la première étape de son initiation à la magie des dragons, Sylvia venait d’atteindre le deuxième degré initiatique. Voilà qui était plutôt encourageant compte tenu du fait qu’elle ne s’y était mis qu’à l’aube de l’été 2010, dans des conditions difficiles. Elle avait réussi à récupérer l’item le plus précieux forgé par les dragons. L’Épée Mystique qui recelait une grande puissance magique. Même si les pouvoirs innés de la jeune femme avaient gagné en puissance, elle était encore loin d’être à même de les contrôler. Encore trop novice, sans doute, elle savait que la route serait encore longue et qu’il lui faudrait faire preuve de patience.
Sylvia se tourna vers chacun des cinq dragons autour d’elle et leur adressa la salutation rituelle d’usage entre un magicien draconique et ces créatures fantastiques : le triple signe. Déjà, le sentiment de malaise qu’elle avait ressenti venait de refaire surface et la jeune femme n’avait qu’une hâte : se soustraire à leur regard dédaigneux dont elle avait du mal à s’expliquer l’origine. Une fois qu’elle eut complété un cercle après avoir salué chaque dragon, elle rejoignit la grande porte par laquelle elle était arrivée.
Une fois sortie, Sylvia s’adossa au battant en lâchant un soupir de soulagement. L’atmosphère était presque devenue si oppressante qu’elle n’aurait pas tenu davantage.
Un détail attira pourtant son attention : elle n’était pas revenue dans le hall aux six portes massives, comme elle s’y attendait. Au lieu de quoi, Sylvia se trouvait sur une terrasse circulaire sous le firmament étoilé. Elle était peut-être même tout près du sommet de la montagne. Une transition pour le moins insolite.
Dans le ciel, de gracieux dragons volaient autour de la montagne. Plus petits et élancés que leurs comparses verts, les dragons de l’Air étaient d’une couleur allant du jaune pâle au à une nuance plus vive, avec d’amples ailes dont les écailles évoquaient des plumes. Ils étaient tout simplement magnifiques. Contemplant avec émerveillement cet incroyable ballet aérien, Sylvia remarqua qu’un dragon blanc se tenait en bordure de la terrasse. Elle se dirigea vers lui en souriant. Ce dernier avait perçu la présence humaine qui s’approchait, car il tourna vers elle son regard mauve intemporel.
Sans la moindre hésitation, la jeune femme se blottit contre son épaule massive.
— Sha’oren, j’espérais te voir après ce rite initiatique. Ça fait trop longtemps que nous n’avons plus eu l’occasion de discuter, tous les deux.
Le guide spirituel de la jeune femme pencha la tête et lui donna un petit coup de museau contre l’épaule en guise de salutation. Il transmit aussi à sa protégée une onde d’énergie apaisante, dans sa joie de la revoir.
Bien qu’il puisse parler normalement, il s’adressa à elle par télépathie.
— En effet, cela faisait trop longtemps que je n’avais pas eu le plaisir de ta visite dans l’Antre de l’Initiation. C’est une bonne chose que tu aies réussi à démontrer ta valeur. Si tu ne respectais pas le code en vigueur entre magiciens et dragons, ou si ton cœur n’était guidé que par les ténèbres, tu n’aurais jamais pu parvenir aussi loin. Nous, dragons, savons que tes motivations sont sincères, et que ta conscience s’éveille à nos enseignements.
Sylvia eut un petit rire spontané.
— Décidemment, tu n’as pas changé ! Tu as l’art et la manière pour soutenir ta disciple, toi. Depuis qu’on se connaît, je me suis toujours dit qu’en cas de noyade, je pourrais compter sur toi pour me demander si l’eau est bonne.
Le dragon blanc savait bien qu’elle plaisantait, même si ce genre d’humour le laissait de marbre… sauf à cet instant. Depuis le temps passé à observer les humains, il arrivait encore à Sha’oren de se laisser surprendre. Il fixait Sylvia qui comprit que l’entité draconique n’était pas là que pour la féliciter. Elle reconnut ce regard pour l’avoir déjà perçu deux ans auparavant, quand le dragon blanc l’avait poussée à retrouver l’Épée Mystique. Elle n’était pas dupe du comportement du dragon blanc, et cela doucha pour de bon son enthousiasme de le revoir.
Ça y est, il a repris son air sérieux des grands jours. À tous les coups, il va me coller une mission à accomplir. Comme si les dernières n’avaient pas suffi…
Tout en maugréant, elle savait pertinemment que Sha’oren pouvait lire ses pensées, et qu’il ne s’en privait jamais. Sauf qu’elle s’en fichait, à cet instant.
— En vérité, je voulais te féliciter pour ton passage initiatique de l’Élément terrestre, mais aussi t’encourager à poursuivre tes efforts. C’est pourquoi je t’ai invitée ici, au sommet de cette montagne.
Sylvia, estomaquée, pivota sur elle-même pour admirer la vue extraordinaire qui s’offrait à son regard.
— Alors comme ça, nous sommes bien tout en haut ? Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi élevé.
À ces mots, elle s’était rapprochée du bord de la terrasse, en évitant de trop s’avancer de peur que le vertige ne la gagne. La curiosité fut néanmoins plus forte que son appréhension et Sylvia voulut apercevoir le paysage d’un tout autre point de vue. Elle en fut pour ses frais parce qu’un banc de nuages dissimulait la vue. Ils étaient même si proches que Sylvia aurait pu en effleurer la surface cotonneuse du bout des doigts. Ce qu’elle fut tentée de faire.
— Dis-moi Sha’oren, sommes-nous si haut que l’on puisse dépasser les nuages ? Je me demande à quelle hauteur on est par rapport au niveau du sol.
L’être draconique eut un petit rire amusé.
— Alors là, je suis ravi que tu te poses ce genre de question, et figures-toi qu’il n’y a pas trente-six façons d’y répondre. Il va falloir vérifier par toi-même.
La jeune femme s’alarma aussitôt.
— Attends… Tu ne vas quand même pas faire ça ?
— Bien sûr que si, je vais faire ça.
— Eh merde.
Sha’oren balaya la terrasse de sa queue et percuta sa disciple dans le dos, la projetant dans les nuages en contrebas. Tout s’était passé comme prévu ; Sylvia était tombée dans son jeu – au sens propre du terme – encore mieux que les fois précédentes. Il n’aurait plus besoin de recourir à de tels stratagèmes pour l’obliger à obtempérer.
Une voix féminine furibarde se fit entendre au loin.
— J’en ai marre ‼
Sha’oren esquissa un sourire satisfait.
— Moi, je ne m’en lasse pas. Ça marche à tous les coups.
La chute libre.
Sylvia ne s’inquiéta pas d’être sans parachute, puisque dans les dimensions éthérées du plan astral, les conséquences pouvaient ne pas être les mêmes que dans la réalité.
Elle traversa différentes couches nuageuses qui lui cachaient la vue, ce qui l’empêchait de repérer l’endroit où elle se trouvait. En même temps, à chaque fois que son corps traversait une nouvelle strate ouateuse, elle pris conscience de la matérialité qui se renforçait de plus en plus en elle. Un vent frais sifflait à ses oreilles et s’engouffrait dans son ample chevelure sombre, faisant perler des larmes à ses paupières. Chaque parcelle de son corps retrouvait petit à petit une consistance normale. Ce qui lui fit comprendre que sa chute la conduisait non seulement dans un autre lieu géographique, mais surtout de plus en plus bas à travers les innombrables niveaux du plan astral.
Sylvia finit par s’étaler à plat ventre sur de la pelouse. Même si l’endroit lui avait épargné la mort inévitable que ce genre de chute n’aurait pas manqué d’occasionner, son corps accusait malgré tout des douleurs impossibles à ignorer. Elle se releva en maugréant à l’encontre de Sha’oren et ses méthodes expéditives pour la contraindre à coopérer. Elle prit un bref appui sur ses genoux et jeta un regard surpris aux alentours, car elle venait de reconnaître l’endroit où elle avait été expédiée manu militari.
Les bâtiments de style haussmannien du quartier entouraient ce qui avait été le premier square de Paris, dans le 4e arrondissement. Les arbres, ainsi que le nombre de bancs publics avec son lot de touristes et autres promeneurs démontrait que la jeune femme avait vu juste. Elle se mit à marcher sur les sentiers, encore sous le choc de ce qui s’offrait à son regard. Parce que, si elle avait reconnu la silhouette élancée de la tour Saint-Jacques, elle avait plus l’impression d’avoir été projetée dans une photo en noir et blanc aux proportions démesurées. Ce qui provoquait une impression d’étrangeté d’autant plus grande qu’il n’y avait aucun mouvement. Le temps donnait l’impression de s’être figé, et Sylvia eut beaucoup de peine à croire ce qu’elle voyait. Un homme d’une cinquantaine d’années lançait une balle à un fox-terrier, tous deux figés en plein mouvement. Comme pour les pigeons et autres moineaux qui s’éloignaient d’un quignon de pain alors qu’un cycliste passait à proximité. Un enfant à côté de sa mère s’amusait à faire des bulles qui restaient sans la moindre ondulation sur la surface miroitante. Même le flux incessant de la circulation de la rue de Rivoli s’était mis sur pause.
Sylvia réprima un bref frisson qui n’était pas dû au froid. Une sensation diffuse, qu’elle avait appris à reconnaître.
La sensation d’être observée.
Quelque chose remua à proximité. L’ombre qui s’étalait au pied de la tour s’agita au niveau du sol, et Sylvia se mit en position défensive. Une silhouette noire se profila avant de se matérialiser afin de s’affranchir de l’obscurité d’où elle avait surgi. Sylvia n’y prêta plus autant d’attention, car elle venait de percevoir d’autres frémissements dans les ombres environnantes ; encore d’autres silhouettes identiques à la précédente. Des entités qui n’avaient qu’une forme humaine.
La jeune femme remit une mèche de cheveux derrière son oreille et poussa un soupir d’exaspération.
Et c’est reparti ! J’espère bien que c’est la dernière fois.
Sylvia avait déjà eu affaire à ces entités spectrales maléfiques à plusieurs reprises lors de ces dernières semaines, et ce n’était pas la première fois que Sha’oren lui confiait la mission d’éradiquer ces vermines gluantes à différents endroits de Paris. Cette fois, elle avait la ferme intention de dégommer ces affreux avant de demander que le grand dragon blanc colle ces missions à d’autres membres du clan. Ses amis pouvaient se dévouer un peu, pour changer !
La patience, qui n’était pas le fort de Sylvia, vint à manquer.
— Alors, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ?!
Comme pour répondre à cette injonction, les silhouettes qui encerclaient leur proie se ruèrent sur elle, en dépit de son petit sourire en coin. Décidément, ils n’avaient toujours tiré aucune leçon des affrontements précédents.
Quels imbéciles.
Sans un mot, elle leva sa main gauche au-dessus de la tête en y concentrant son pouvoir qui se manifesta en une lueur violette. D’un geste ample, elle rabattit son bras devant elle et, s’inspirant d’un de ses mangas préférés, fit surgir une épée d’argent étincelante de sa paume. L’Épée Mystique de la Draconia. Le plan astral étant le seul endroit où elle pouvait faire appel au pouvoir de cette relique dès que nécessaire.
Une fois l’arme sacrée en mains, Sylvia décrivit un simple geste circulaire, ce qui mit à mal la plupart des ombres autour d’elle. Elle l’avait déjà fait maintes fois, et c’était imparable. Elle se mit à courir, tout en fauchant sans mal les ombres humanoïdes à grands coups de lame, comme du blé mûr. Ils s’effritèrent aussitôt en cendre.
Contre toute attente, quelques-uns de ses adversaires se regroupèrent en une vague noire et gluante qui allait l’ensevelir. Une sphère sombre se forma autour d’elle, mais des éclairs dorés cinglèrent violemment avant de faire voler en éclats ce barrage incongru. L’idée aurait pu être intéressante si les pouvoirs de son Épée n’étaient pas venus à bout très vite de ce piège dérisoire.
De ses opposants, il n’en restait plus qu’un.
Cette silhouette n’avait rien à voir avec les autres. Celle-ci n’était pas grossièrement ébauchée dans les boues méphitiques et noires de l’astral, mais arborait plus les caractéristiques d’un homme. Détail encore plus étrange : lui aussi était armé d’une épée à lame noire.
Sylvia perçut très bien l’instant de flottement qui s’en suivit ; chacun semblait jauger l’autre. Autant d’instinct que par observation, elle s’était rendue compte que celui-ci serait plus coriace. Comme pour répondre à cette pensée, l’inconnu des ténèbres se mit en garde.
Il va y avoir du sport.
Elle resserra la prise sur son arme.
Avant même qu’elle n’ait pu se préparer à attaquer, l’ombre fondit sur elle avec une vitesse et une agilité fulgurantes. La pointe de son épée effleurait le sol en projetant une gerbe de gravillons dans son sillage. Au moment où il allait frapper la jeune femme, la lame noire rencontra celle, argentée, de l’Épée Mystique. Sylvia ne fut sauvée de ce coup puissant que grâce à ce seul réflexe. L’inconnu ne renonça pas pour autant et se lança à nouveau à l’attaque. Prise au dépourvu, Sylvia dut se résoudre à rester piégée en défense, ce qui ne lui était encore jamais arrivé jusqu’à présent. Une situation périlleuse qui pourrait s’avérer fatale.
L’ombre s’interrompit, à la plus grande surprise de Sylvia qui se figea, dans l’expectative.
— C’est bien ce que je pensais, finit par dire l’ombre. Tu n’as aucune technique et la pseudo maîtrise de ton arme n’est qu’embryonnaire. Pas étonnant que tu te fasses battre par le premier venu.
Sylvia fut étonnée à plus d’un titre. Non seulement parce qu’il avait soulevé un problème dont elle ne s’était ouverte auprès de personne, mais surtout parce que c’était bien la première fois qu’une des ombres du plan astral lui adressait la parole lors d’un combat. Sans compter qu’il avait raison, ce qui ne fit qu’accroître son exaspération. Ses joues rougirent de honte et de colère.
— On ne peut pas être doué dans tout ce qu’on entreprend. Et quand bien même tu dirais vrai, aurais-tu au moins une suggestion à proposer pour y remédier ?
Elle devina que son adversaire esquissait un sourire sardonique. Il semblait avoir une idée sur la question. Il décida de la lui faire partager sans attendre en lui imposant une suite de coups rapides et précis dont Sylvia eut toutes les peines du monde à se protéger. Encore un peu et il la tuerait.
— En fait, le plus simple serait de chercher à améliorer ce qui ne tient pas la route. Pour toi, ça signifie qu’il va falloir très sérieusement travailler ta technique en escrime. Dans l’immédiat, si tu n’es pas en mesure de m’affronter comme il se doit, il ne te reste qu’une seule chose à faire… Meurs !
À ces mots, un choc puissant la frappa de plein fouet. Ses yeux s’étaient écarquillés en voyant que l’arme de son adversaire l’avait empalée à la poitrine.
Un cri s’étouffa dans sa gorge.
Samedi 22 septembre 2012
Paris
Avenue Foch
Un cri s’étouffa dans sa gorge et Sylvia rouvrit les yeux, le souffle court. Il lui fallut quelques instants pour recouvrer une respiration plus ample, reprendre possession de son corps, et se réhabituer petit à petit à ce qui l’entourait. Ses pensées, elles, nécessitèrent plus de temps pour se réorganiser, et d’accepter à la jeune femme ce qu’elle n’avait pas compris dans l’instant.
Elle venait de se faire tuer.
Au moment où l’épée noire avait traversé son corps, ce dernier s’était pulvérisé tels d’improbables tessons de verre qui se désagrégèrent avant d’être réduits en poussière. Ce qui mit un terme brutal à la séance de voyage astral que Sylvia avait commencé dans l’après-midi.
Encore un peu désorientée, elle prit quelques minutes à observer la pièce, sans attacher d’importance aux détails. Juste pour reprendre contact avec la réalité. Sylvia eut la confirmation qu’elle était revenue à elle.
Quand qu’elle avait commencé à étudier et pratiquer la magie, sa technique de sortie astrale s’était améliorée depuis qu’elle avait cessé de s’allonger sur le dos afin de permettre à son esprit de quitter son corps. Bien que ce soit pourtant la méthode recommandée par beaucoup, elle y avait renoncé après avoir constaté qu’elle finissait toujours par s’assoupir, ce qui n’était pas le but de la manœuvre. La position assise fut très vite adoptée, parce qu’elle aidait à se relaxer sans y perdre de sa concentration. Sylvia se leva, et effectua quelques étirements. Ce genre de séance provoquait toujours une torpeur musculaire qu’il valait mieux résorber au réveil, comme si elle sortait d’un sommeil profond.
Elle avait trouvé refuge dans la salle de travail que sa jeune amie Thessa Drac avait installée chez elle. Vivant désormais seule en l’absence régulière de ses parents pour leur travail pour l’ambassade du Canada, et depuis la mort de son frère aîné, elle appréciait ces visites inopinées. L’adolescente était encore au lycée, mais Sylvia savait que cela ne la dérangeait pas que ses amis passent en son absence. Sans compter que Thessa était la seule de l’équipe à disposer d’une pièce consacrée à l’ésotérisme dont la bibliothèque s’était encore étoffée grâce aux différents apports des uns et des autres. Il en allait de même pour les jeux de tarot, les minéraux, et d’autres choses encore.
Sylvia sourit en se disant que cette pièce ressemblait de plus en plus à La Voie Initiatique, la boutique spécialisée de la famille Tarany, boulevard du Temple. Elle aimait cet endroit pour y avoir travaillé à mi-temps deux ans auparavant. Cela lui semblait si loin déjà.
Tout en se remémorant ce qui s’était passé durant son voyage astral, la jeune femme farfouilla dans son sac pour en sortir un épais livre relié dont la couverture imitation cuir comportait une inscription : « Journal Secret ». Un ambigramme que l’on pouvait lire peut importe de tenir le carnet à l’endroit où à l’envers. Ce genre de dessin graphique plaisait beaucoup à la jeune femme qui avait eu un vrai coup de cœur.
Ce recueil servait à noter ses différentes expériences liée à la pratique de la magie : ses rêves, séances de divination, résultats de ses pratiques rituelles, mais aussi un compte-rendu détaillé de ses sorties astrales. Le plus secret de ses écrits, qu’elle ne montrerait à personne. Que ce soit ses compagnons du clan ainsi que Sylvain, son frère jumeau. Certaines choses y étaient trop personnelles pour les partager avec quiconque.
Sylvia s’installa au bureau près d’une fenêtre et ouvrit le journal. La pointe du stylo-feutre noir glissa sur le papier couleur crème, au rythme des notes apposées par la jeune femme qui nota tout ; en commençant par le fait d’avoir franchi le niveau suivant dans son initiation à la magie draconique, sa discussion avec Sha’oren, et la frustration qui la tenaillait d’avoir été encore manipulée. Il trouvait cela sans doute amusant, mais pas elle. Le moment allait venir où elle n’hésiterait plus à remettre les pendules à l’heure.
Ce n’était pourtant pas cela qui l’avait le plus perturbée. Il ne fut pas aisé de coucher sur le papier ce qui s’en était suivi. L’affrontement près de la tour Saint-Jacques et de l’ombre qui s’était distinguée des autres. Celle-ci avait battu la jeune femme à plate couture. Son orgueil encore à vif, elle porta la main à sa poitrine, là où l’épée noire était censée l’avoir transpercée de part en part. Elle ne chercha pas pour autant à minimiser ce qui s’était passé, même si cela n’avait rien à voir avec les autres fois où elle avait infligé une raclée aux entités maléfiques qui avaient eu la mauvaise idée de croiser son chemin.
Sylvia releva la tête, les pensées perdues dans le lointain. Tandis qu’elle tapotait machinalement le bas du stylo contre le papier, elle savait au plus profond d’elle-même qu’elle ne pouvait plus se voiler la face encore longtemps sur ses piètres aptitudes à l’épée, et qu’il faudrait vite y remédier. Surtout si elle traînait dans son sillage une ombre armée bien décidée à en découdre.
Dans un dernier paragraphe, elle mentionna la date du jour de l’Équinoxe d’Automne, dont l’équilibre était en parfaite harmonie avec la balance liée à la durée du jour égale à celle de la nuit. Elle en était à cette réflexion quand elle fut à nouveau troublée par l’étrange sentiment de déjà-vu qui s’était emparé d’elle dans la pièce avec les dragons verts. Elle décida de ne plus y attacher d’importance. Cela ne rimait à rien, puisque c’était la première fois qu’elle s’y rendait.
Avenue de France
La pluie et la fraîcheur automnale avaient incité les clients en terrasse à se réfugier à l’intérieur du pub The Frog & British Library, situé non loin de la bibliothèque François Mitterrand. Comme c’était un des seuls bars du quartier, il y avait souvent une foule polyglotte qui donnait aux lieux un caractère assez cosmopolite. Les clients venaient d’horizons si différents que l’ambiance sociale en sortait bigarrée ; des étudiants, mais aussi des businessmens, avec une forte proportion d’amateurs de sport venus assister aux retransmissions télévisées.
Sylvia Laffargue, Thessa Drac, Philippe Helm et Coralie Tarany étaient déjà en pleine discussion tout en se réchauffant avec du café pour quelques-uns et du thé pour les autres, le tout accompagné d’une tourte pommes-caramel que Thessa avait commandé et qui avait donné faim aux autres.
Deux hommes s’engouffrèrent à l’intérieur de l’établissement bondé. Ils vinrent s’installer aux places gardées exprès pour eux, juste à côté de cuves à bière en cuivre. À cause des intempéries, ils avaient été copieusement douchés.
Le capitaine Frédéric Laforrest et le lieutenant Sylvain Laffargue avaient pu s’éclipser des locaux de la Police judiciaire, le mythique 36 quai des Orfèvres, après avoir bouclé une affaire. Ils se réjouissaient de pouvoir passer cette soirée avec leurs amis, et de laisser les horreurs de leur profession de côté, même si ce n’était que momentané. Les occasions de se retrouver tous les six étaient devenues trop rares, à cause de leurs emplois du temps.
Alors que les deux officiers de la PJ s’installaient, Sylvia et Coralie rigolaient encore des discussions entretenues par leurs voisins de table qui avaient tendance à parler fort et trop fort. Du reste, le petit groupe n’allait pas s’éterniser. Ils avaient choisi d’aller au cinéma d’à côté, laissant les fans de football à leur sport favori : regarder le match en s’imbibant de bières.
Pour l’heure, ils profitaient d’un peu de la tranquillité toute relative des lieux quand Sylvain sortit un journal gratuit de la veille, déjà ouvert, pour le montrer à sa sœur jumelle. Le jeune homme espérait qu’un article en particulier attirerait son attention. Ce qui arriva puisque Sylvia, sidérée, reposa la tasse de son cappuccino pour mieux voir l’article.
— Non, mais ça alors ! J’ai raté ça ? C’est arrivé hier ?
Sylvain acquiesça en savourant la pinte de bière qu’une serveuse sexy à l’accent so british venait de lui servir. Même s’il savait que sa sœur ne manquerait pas de tomber sur le bref article qui avait retenu son attention, il ne s’attendait pas à ce qu’elle soit aussi stupéfaite. Pourtant, elle n’en démordait pas.
— Non mais, j’y crois pas ! Le romancier Maxence Lécrivain était en dédicace sur les Champs Élysées ! J’aurais adoré y aller…
Frédéric étouffa un rire amusé, comme les deux autres filles, tandis que Philippe, intrigué, haussa un sourcil en se demandant de quoi il était question. Le capitaine savait ce à quoi Sylvia faisait référence, à l’inverse de son jeune collègue. Il n’avait pas remarqué l’encart publicitaire d’une grande librairie parisienne qui avait retenu l’attention de Sylvia.
Sylvain lui prit le journal des mains pour mieux voir de quoi il retournait quand il tomba à son tour sur l’article promotionnel.
— Attends Sylvia, je ne voulais pas parler de ça, mais de…
— T’inquiète. Je sais très bien de quoi tu voulais parler.
Elle lui adressa un clin d’œil malicieux en tapotant le journal sur un encart discret : « Une conférence New Age tourne mal ».
L’envie de faire marcher son frère avait été trop forte pour ne pas céder à la tentation. Néanmoins, elle comprenait pourquoi ce banal fait divers avait retenu l’attention du jeune homme, y compris celle de Thessa et de ses autres amis qui lisaient l’article en question.
Philippe, définitivement intrigué, rejoignit la conversation.
— C’est quoi cette histoire ?
Après un instant de lecture, Thessa fit un résumé à ses amis.
— D’après ce qu’on apprend là-dedans, une conférence a mal fini en province, à Chartres. C’était après les heures d’ouverture, dans une libraire spécialisée en médecines naturelles et en bien-être : reïki, sophrologie, zen, yoga, New Age... etc. Seuls les participants, la conférencière et le couple gérant la boutique étaient présents pour l’occasion.
— Quel était le sujet de la conférence ? demanda Coralie.
— Il était question des bases de la lithothérapie,. L’art de soigner au moyen des minéraux. Apparemment, plusieurs participants ont mis tout le monde dehors avant de s’en prendre violemment à la conférencière et aux gérants. Ils ont été roués de coups et menacés de mort s’ils continuaient à mentir aux esprits faibles et leur bourrer le crâne avec, je cite l’article : « leurs inepties de charlatans démoniaques ». Bref, ils en ont vu des vertes et des pas mûres avant que l’arrivée des flics ne fasse déguerpir les agresseurs.
Philippe soupira.
— Courageux mais pas téméraires, comme dit votre dicton. Je trouve ce genre d’actes d’une lâcheté pas croyable. Il faut espérer que ces dingues ont été retrouvés et neutralisés.
— Même pas, contra Sylvain. Ils ont disparu de la circulation et les victimes n’ont pas réussi à les identifier. Le choc du traumatisme, peut-être. Les autres participants à la conférence ont été entendus aussi, bien sûr, mais ils ont tous donné des versions si disparates et contradictoires qu’on a du mal à croire qu’ils puissent avoir assisté aux mêmes événements. Comme quoi, les témoins oculaires ont leur importance, mais il leur arrive parfois de ne pas être fiables.
Thessa réprima un frisson.
— Ce n’est quand même pas croyable de voir jusqu’où la violence des gens peut aller. Ça me fiche la trouille d’y penser.
Sur ces mots, elle resserra en tremblant ses mains fines autour de la tasse de chocolat viennois devant elle. Comme si ce simple geste pouvait réprimer la vague d’angoisse qui venait de la saisir.
Sylvia comprit soudain que quelque chose ne collait pas avec le reste.
— Une minute ! Que ces types n’aient pas pu être retrouvés figure bien dans le journal, mais pas que les témoins avaient tenu des propos contradictoires dans leurs dépositions. Comment vous l’avez su, tous les deux ?
Frédéric parvint non sans mal à engloutir une bouchée de tarte sans s’étouffer de rire.
— Et bien, tu n’es pas la frangine d’un flic pour rien parce que tu es redoutable, toi aussi. Nous avons eu vent de l’affaire et on s’est renseigné. Tu sais, les discussions de couloirs vont bon train entre collègues. Surtout que ce n’est pas le premier cas d’agression liée à l’ésotérisme dans le pays.
À ces mots, Sylvia ainsi que Philippe, Coralie et Thessa ne purent dissimuler leur surprise.
Sylvain reprit le journal ouvert à la page des faits divers.
— Cette librairie est la cinquième à faire l’objet d’une agression depuis les trois derniers mois. Avant cela, d’autres enseignes ont eu des emmerdes. À savoir des manifestations virulentes lors de l’ouverture d’une boutique à Quimper, des clients harcelés qui ont fini par détaler comme des lapins dans une librairie de Rennes, deux autres ont été saccagées à Angers et au Mans. Enfin, il y a eu Chartres.
Si ces propos choquèrent leurs amis, les deux officiers de la PJ poursuivirent néanmoins leurs explications.
Le capitaine Laforrest reprit la parole.
— En fouinant un peu, on a découvert que toute cette série de violences et de menaces a été faite à l’encontre de commerces spécialisés en thérapies naturelles, mais surtout les boutiques ésotériques, dit-il d’un air désolé en fixant Coralie. Comme il n’y a pas eu de mode opératoire commun à toutes ces agressions, mais aussi des lieux et des dates trop éloignées les unes des autres, les collègues locaux n’ont pas fait le rapprochement, même si certains ont fini par avoir la puce à l’oreille et ont commencé à en parler entre eux. Ça ne fait pas office de preuve, mais c’est néanmoins très troublant. On ne va pas reprocher à nos collègues de faire preuve d’intelligence, non ? En tout cas, après avoir examiné ces affaires, Sylvain et moi en sommes arrivés à la conclusion qu’elles ont été fomentées par un seul et même groupe d’individus. Pourtant, aucun de ces forfaits n’a été signé. Donc, on ne peut rien faire pour le moment et ce sont les gendarmeries locales qui sont chargées de chacune de ces affaires.
— Je comprends bien que cela soit préoccupant, nota Coralie, mais je ne vois pas trop pourquoi vous vous y intéressez autant. Ce n’est quand même pas comme si ces malades allaient débarquer à Paris un de ces quatre matins.
Les deux policiers échangèrent un regard gêné, puis Sylvain acquiesça en direction de son collègue. Il fallait leur dire ce qu’ils venaient de découvrir. Poussant un petit soupir résigné, le capitaine sortit de son sac un plan du pays qu’il déplia soigneusement. Chacun libéra la place nécessaire et se pencha pour mieux voir.
— Regarde un peu l’emplacement des villes en question, dit Sylvain en se saisissant d’un feutre rouge. D’abord Quimper (dont il entoura le nom d’un cercle), ensuite Rennes, Angers, Le Mans, puis Chartres… Plus ça continue et plus ces types deviennent violents et incontrôlables. Qui peut savoir ce qu’ils vont nous préparer la prochaine fois qu’ils frapperont. Nous, en tout cas, on l’ignore et je n’ai pas envie d’attendre les bras croisés qu’il y ait des morts.
En voyant cela, Coralie hoqueta face à l’ensemble de la situation. Frédéric comprit le regard tétanisé de son amie.
— Oui, confirma-t-il. Ils se dirigent vers l’Est. Ça ne fait aucun doute. Tout nous porte à croire qu’ils se rapprochent de Paris, et qu’ils ne viennent pas faire du tourisme.
Lundi 24 septembre 2012
Rue Berger
Déjà le matin, et Sylvia aurait bien voulu prolonger le week-end avec une journée de repos supplémentaire. Au moment de se lever, encore emmaillotée dans la couette, la jeune femme avait envisagé de prendre sa journée. Après tout, faire l’école buissonnière de temps à autre ne faisait pas de mal et la planète ne s’arrêterait pas de tourner pour autant.
Le sketch du clochard analphabète de Coluche, avec ses à peu près désopilants, sembla tout à fait approprié. L’humoriste avait tancé un badaud : « Allez va bosser, la France a besoin de toi ! Tu lui diras qu’elle ne m’attende pas, j’vais être en retard aujourd’hui ! »
Elle était sur le point de céder à la douce tentation de sécher les cours, quand une seconde sonnerie du réveil faucha net cet accès de flémingite aiguë, lui rappelant qu’elle n’était plus étudiante. Sylvia eut toutes les peines du monde à se préparer à affronter cette nouvelle journée de travail qu’elle avait pourtant envisagé d’envoyer bouler. D’autant plus qu’elle ne pouvait s’absenter aujourd’hui ; une importante réunion était prévue dès la première heure en présence de toute l’équipe rédactionnelle au complet. Une absence injustifiée un jour pareil ne passerait pas inaperçue. Sylvia grimaça à la simple idée de se faire remonter les bretelles, comme quand elle avait été surprise à sécher les cours à l’époque du collège.
Elle s’arracha à contrecœur de son lit douillet, avant d’ôter sa nuisette à fines bretelles et se diriger vers la salle de bains pour prendre une douche. Top chrono ! Le contre la montre matinal venait de commencer.
Tant pis, le farniente en semaine sera pour une autre fois.
**
Une fois la double porte vitrée de l’entrée franchie, Sylvia sentit son cœur devenir un peu plus léger, comme souvent, au moment d’entrer dans l’immeuble où siégeait la rédaction du magazine Le Cercle Magique. Elle y était devenue une des rares chroniqueuses à plein temps, alors que bon nombre de collègues n’étaient, au mieux, que des pigistes plus ou moins réguliers depuis la création de cette publication mensuelle.
D’un signe de la main, Sylvia salua le gardien au rez-de-chaussée qui lui rendit la politesse avec un grand sourire, ce qui tranchait avec l’indifférence qui lui était le plus souvent adressée. Elle se rendit vers l’ascenseur dans lequel elle parvint à entrer in extremis avant la fermeture des portes. Elle monta à l’étage des locaux de la rédaction, avec la certitude que la réunion avait commencé sans elle. Au passage, elle subtilisa deux petits muffins dans une boîte laissée ouverte sur le bureau voisin du sien.
C’est un pousse-au-crime, ça. Je me demande si Sébastien sait que c’est moi qui lui en grappille de temps à autre. Non… Sans doute pas.
Comme Sylvia n’avait pas pris le temps de manger en partant, elle se promit de compenser ce menu larcin auprès de son collègue. Arrivée avec son petit-déjeuner improvisé devant la salle réservée aux réunions, Sylvia tenta d’ouvrir la porte et se faufiler le plus discrètement possible jusqu’à la grande table de conférence. Sylvia eut la confirmation de son pressentiment, et en eut un peu marre d’avoir encore raison. En effet, ses intuitions se vérifiaient un peu trop souvent à son goût ces derniers temps.
Adèle Ogerau – la rédactrice en chef – était à l’une des extrémités, à peaufiner son ordre du jour quand Sylvia se glissa à une place libre. Sans même lui avoir décoché un regard, elle savait que sa supérieure n’était pas dupe parce qu’elle s’était sentie prise en flagrant délit. Comme Adèle ne semblait pas d’humeur à se lancer dans un rappel à l’ordre rébarbatif et même de faire la moindre remarque, c’était plus qu’inespéré.
Adèle s’éclaircit la voix.
— Bon, on va commencer maintenant que tout le monde est arrivé (Sylvia rentra la tête dans les épaules). Vous aurez tout le temps nécessaire pendant la pause café et l’heure du déjeuner pour vous raconter vos folles péripéties du week-end. Là, tout de suite, j’aimerais qu’on aborde différents sujets d’importance. L’air de rien, on a beaucoup de travail et peu de temps pour tout boucler.
Cette entrée en matière eut l’avantage de capter l’attention des collaborateurs. Adèle n’avait même pas besoin de hausser le ton pour cela, et Sylvia apprécia cette manifestation d’autorité : main de fer dans un gant de velours.
Après s’être assurée de l’attention de tous, la rédactrice en chef jeta un coup d’œil à ses notes avant de reprendre la parole.
— Je tenais d’abord à vous féliciter pour l’excellent boulot qui a déjà été accompli depuis la création du Cercle Magique sur Internet. Nous n’étions alors qu’un petit webzine diffusé en ligne, élaboré le plus souvent par des participations de bénévoles passionnés. Aujourd’hui, non seulement nous sommes passés offline en nous lançant aussi sous format papier et rendus disponibles auprès de la plupart des kiosques, mais nous sommes devenus sans doute la seule publication assez stable pour constituer une équipe d’employés en CDI, à plein temps. Rien que pour ça, vous pouvez être fiers. Vous avez fait de gros efforts et ça a fini par porter ses fruits. Bravo à tous parce que c’est vous qui faites vivre ce journal.
Sur ces mots, elle promena son regard brun autour d’elle, observant comment chacun semblait approuver ses propos. Cette réussite était incontestable et d’autant plus inattendue dans le domaine des publications périodiques traitant d’un sujet tel que l’ésotérisme en France.
— Ce que je sais aussi c’est que le mois prochain, nous serons fin octobre. Inutile de vous rappeler ce qui se passe à ce moment de l’année, n’est-ce pas ?
Réaction enthousiaste collégiale.
— C’est Halloween ‼
— Et surtout le moment de la sortie du numéro spécial de l’année. Celui qui est le plus attendu par nos lecteurs.
Un silence total tomba. À tel point que l’on aurait pu entendre murmurer les employés du bureau voisin à travers la cloison.
Ah zut, je n’y avais plus pensé, réalisa Sylvia.
Elle se rendit compte au regard gêné de ses collègues qu’ils avaient oublié eux aussi, plus empressé à l’idée de faire la fête.
Adèle avait réussi à recentrer tout ce petit monde.
— En vue de cette publication, beaucoup m’ont suggéré de faire une spéciale « Fin du Monde » à cause de la prédiction du calendrier maya. Sauf que c’est tellement du déjà-vu que ça finit par lasser. Ça reviendrait à essayer de surfer sur une vague trop insignifiante pour être porteuse. Autant éviter, vous ne croyez pas ? Quelques-uns parmi vous ont proposé des idées correspondant plus dans au thème de cette célébration.
Sébastien DeGuine intervint dans ce sens.
— N’oublions pas qu’à l’origine c’était une fête païenne. Elle était venue d’Europe avant d’être importée par les colons dans le Nouveau Monde et de faire le voyage retour, devenue désormais d’un marketing outrancier des vendeurs de confiseries et de costumes d’opérette.
— C’est vrai, renchérit Adèle. Évitons autant que possible de tomber sur des clichés et le banal à pleurer. Proposons au contraire une espèce de retour aux sources ancestrales de cette célébration. Voici les idées qui ont été sélectionnées : un article expliquant les différences entre l’Halloween actuelle et son pendant ancien qu’est la fête celtique de Samhain… que j’ai toujours du mal à prononcer correctement : « so-wen ». L’idée d’évoquer les superstitions du moment pourrait être intéressante, mais ça a déjà été traité en long, en large, et surtout de travers. Notre Inès va nous concocter un rituel entier que nos lecteurs pourront mettre en œuvre chez eux, seuls ou avec d’autres participants. Quelque chose de simple, mais suffisamment documenté quand même. Ça te va comme ça, Inès ?
En réponse, une petite bonne femme d’une cinquantaine d’années approuva sans réserve.
Rassurée de voir deux sujets importants réglés aussi vite, Adèle se prit à espérer que l’attribution des suivants se déroulerait tout aussi vite, et que la réunion ne s’éterniserait pas. Ce fut le cas ; la plupart des chroniqueurs étaient contents des sujets sur lesquels ils auraient à plancher. Miranda Tonnerre – souvent charriée à cause de son nom de famille et du fait que l’emportement lui provoquait toujours de brusques pics d’électricité statique – se vit confier la préparation de recettes thématiques appétissantes. Un sabbat était l’occasion de partager un véritable festin, et la gourmandise touchait un vaste lectorat. Sébastien DeGuine se vit confier un article lié à la divination, l’une des activités majeures de Samhain. Un article concernant la décoration de la maison et un autre sur les propriétés magiques d’une plante, furent ajoutés au tout dernier moment. Adèle était très satisfaite des thèmes sélectionnés ainsi que leur répartition, autant auprès des chroniqueurs que des pigistes. Elle leva soudain un regard surpris sur Sylvia.
— C’est bizarre, mais tu ne m’as envoyé aucune idée de sujet. Comment ça se fait ? D’habitude c’est toujours toi qui déposes tes propositions avant que les autres ne fassent qu’envisager de bouger. Ça ne te ressemble pas. Du coup, tu plancheras sur le dossier spécial de ce numéro, à savoir un article succinct sur la célébration des morts à travers l’Histoire et comment c’est lié à Halloween, pour que ça ne fasse pas trop parachuté.